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La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en droit public congolais

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par Dieudonné Kaluba Dibwa
Université de Kinshasa - DEA de droit public 2005
  

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III. NOTRE POSITION

Dans cet arrêt, la Cour Suprême de Justice, section administrative qui a évoqué le principe de sa souveraine appréciation des litiges portés devant elle 134(*), s'était déclarée incompétente de connaître, de contrôler et d'annuler les actes législatifs pris par le HCR/PT, institution séparée constitutionnellement d'elle.

La motivation de la Haute Cour consacre ainsi le principe de l'inattaquabilité des actes de gouvernement (actes législatifs) ayant pour effet de donner au pays, dans une situation de crise, un gouvernement de transition. Le revirement spectaculaire de la jurisprudence de la Cour Suprême de Justice par rapport à celle consacrée dans l'arrêt R.A. 266 porte un coup dur au courage et à la capacité des magistrats de cette juridiction de tenir haut la main le flambeau de l'indépendance de la magistrature qu'ils ont pourtant allumé une année auparavant.

Cet arrêt présente néanmoins un intérêt théorique évident car il consacre la définition jurisprudentielle en droit congolais de la notion d'acte de gouvernement.

Nous pouvons regretter toutefois que la Cour Suprême de Justice ait semblé établir une synonymie entre acte de gouvernement et acte législatif  de sorte que cette façon de raisonner confine l'arrêt examiné dans une ambiguïté quant à la base légale de l'incompétence déclinée par la Haute Cour. Si la Cour Suprême est trop regardante en ce qui concerne les erreurs de motivation des décisions juridictionnelles des juges inférieurs, elle ne nous semble pas s'être préoccupée de cette exigence en ce qui la regarde elle-même. Quis custodiat custodem ?

En doctrine française par exemple, par acte de gouvernement, il est entendu « un acte politique relatif, soit aux relations entre les pouvoirs publics (dissolution de l'Assemblée, recours à l'article 16 de la Constitution de 1958) soit, aux rapports internationaux (protection diplomatique) ». Les professeurs AVRIL et GICQUEL nous apprennent que l'acte de gouvernement est une survivance de la raison d'Etat et que cette catégorie d'actes résiduels bénéficie d'immunité juridictionnelle135(*).

L'acte législatif, en revanche, est entendu comme un acte voté par le parlement selon la procédure législative établie par la Constitution. Cette définition ne prend en charge que le critère formel et organique et laisse pourtant de côté un nombre d'actes pris par le Président de la République dans le domaine réservé à la loi. Le critère matériel joint à celui formel et organique nous fonde à dire qu'en définitive l'acte législatif est une loi au sens matériel ou organique.

Des lors, il nous parait aberrant que la Cour ait utilisé les deux terminologies dans le même arrêt car l'acte de gouvernement , selon d'autres auteurs français, constitue une « qualification à prétention explicative donnée à certains actes de l'Administration, dont les juridictions tant administratives que judiciaires se refusent à connaître et qui, soit intéressent les relations du Gouvernement et du parlement, soit mettent directement en cause l'appréciation de la conduite des relations internationales de l'Etat ».136(*) Cette seconde définition montre que la notion a une origine jurisprudentielle en France alors qu'en droit congolais elle tire son fondement de l'article 87 alinéa 3 de la procédure devant la Cour Suprême de Justice.

Se prononçant sur une telle notion que le droit congolais ne connaît que par une citation à la disposition légale vantée, la Haute Cour aurait du rechercher sa signification en droit de famille romano-germanique, ancêtre du nôtre. Quoiqu'il en soit, il est évident qu'en ce qu'elles portent nomination d'un Premier Ministre dont les conditions de désignation sont constitutionnellement fixées, les ordonnances du Chef de l'Etat entreprises par le recours sont restées parfaitement des actes administratifs susceptibles d'un recours en annulation pour excès de pouvoir.

Sans une étude plus poussée sur la question, l'on peut d'emblée constater que dans un arrêt ultérieur, la haute Cour, s'appuyant sur les dispositions de l'article 87 alinéa 2 de l'Ordonnance-loi susvisée, s'est déclarée incompétente au motif que l'acte déféré avait un caractère politique et qu'il rentrait dans le cadre de la politique du gouvernement visant l'assainissement des moeurs au sein de la magistrature, et le meilleur fonctionnement de l'un de trois pouvoirs de l'Etat. C'est ce qui ressort de l'arrêt R.A.459 du 26 septembre 2001 rendu dans la cause qui opposait les magistrats révoqués par et au décret n°144 du 6 novembre 1999.

La Cour estime que le décret entrepris relève de la catégorie des actes de gouvernement et échappe ainsi au contrôle juridictionnel car étant relatif à la conduite de la politique de la Nation menée par le Gouvernement ou le Président de la République. Cet arrêt qui ne présente aucun intérêt sur le plan de la question de saisine de la Haute Cour mérite d'être examiné toutefois en ce qu'il étend et reprécise le champ d'application de la notion d'acte de gouvernement. Cependant, l'argumentaire développé par la Cour afin d'écarter le décret présidentiel de son examen ne saurait techniquement résister à la critique.

En effet, le Chef de l'Etat, auteur de l'acte querellé, était en même temps chef du gouvernement et à ce titre, il conduisait la politique de la Nation qu'il avait par ailleurs définie. Il était donc habilité à prendre deux catégories d'actes juridiques, dont certains touchaient à la politique, et d'autres dont le caractère administratif ne pouvait faire l'ombre du moindre doute.

Il nous semble osé de penser qu'un acte de révocation d'un magistrat, enchâssé dans des règles constitutionnelles et légales strictes puisse faire partie des actes de mise en oeuvre de la politique de la Nation encore que tous les actes administratifs peuvent être, de ce point de vue, des actes de mise en oeuvre d'une politique. Par ailleurs, la consécration des droits et libertés des citoyens par la Constitution et les lois de la République devrait limiter l'action des gouvernants vis-à-vis des particuliers et le contrôle juridictionnel devrait servir à les protéger contre l'arbitraire du pouvoir en vue de sauvegarder les équilibres nécessaires entre le pouvoir et les citoyens137(*).

Le professeur Clément KABANGE NTABALA opine du reste que les actes du Président de la République ne devraient pas violer notamment les droits et libertés des citoyens, sauf en cas des circonstances exceptionnelles qui sont elles-mêmes conditionnées.138(*) Dans le cas d'espèce, la compétence du Chef de l'Etat était liée par l'existence d'un cadre juridique régissant le statut des magistrats, en l'occurrence l'Ordonnance-loi n° 88-056 du 29 septembre 1988 portant statut des magistrats.

La Cour suprême de justice devrait éviter de se réfugier derrière une notion comme celle « de pouvoir autonome du pouvoir exécutif » dont les contours ne sont in specie définis.

Les tâtonnements pour trouver une base légale justificative de la décision d'incompétence de la Haute Cour dans cet arrêt comme dans l'arrêt TSHISEKEDI et USOR et Alliés indiquent que la Haute Juridiction n'a pas fait beaucoup de progrès dans le sens de la protection des droits des particuliers vis-à-vis du pouvoir et donc de l'érection de l'Etat de droit.

Enfin, pour être acte de gouvernement, l'acte qui prétend recouvrer cette appellation ne doit-il pas être pris régulièrement ? Et de ce point de vue, il sied de constater tout simplement que l'acte de gouvernement est avant tout un acte gouvernemental c'est-à-dire un acte du pouvoir exécutif et à cet égard, soumis au contrôle juridictionnel. Une interprétation extensive de la notion d'acte de gouvernement est de nature à ne pas protéger suffisamment les droits et libertés des citoyens dans la mesure où cette protection est incompatible avec une extension du champ sémantique de la notion sous étude.

Il reste le problème à notre avis de la formulation de cette disposition légale elle-même, car il est tentant de refuser cet effort de théorisation au motif que la Haute Cour apprécie seule ceux des actes législatifs qui échappent à son contrôle de même que les actes de gouvernement dont la définition légale n'est pas donnée. C'est cette part d'arbitraire qui a été à la base de la controverse dont l'intérêt scientifique reste attaché à cette notion fondamentale du droit administratif.

Dans le flou, il est permis de penser que la Haute Cour qui est composée des hommes dont les convictions politiques à l'époque surtout ne faisaient l'ombre d'aucun mystère avait la latitude de voguer à souhait sur les eaux fangeuses de l'imprécision. Aussi, est-il discutable de ne pas discuter sa décision d'incompétence. Ce risque inhérent à l'arbitraire du comportement linguistique du législateur n'est pas écarté même à ce jour où la Haute Cour traîne les stigmates d'une justice pilotée par les magistrats dont le clientélisme politique des composantes issues de l'Accord global et inclusif de Sun City reste à craindre.

* 134 Les alinéas 2 et 3 de l'article 87 de l'ordonnance - loi n° 82-017 du 31 mars 1982 indiquent clairement que la Cour apprécie souverainement quels sont les actes du gouvernement qui échappent à son contrôle d'une part, et d'autre part, elle ne contrôle pas les actes législatifs.

* 135 AVRIL (P) et GICQUEL (J), Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, 1998, p.7.

* 136 GUILLIEN(R) et VINCENT (J), Lexique de termes juridiques, Paris, Dalloz, 1985, p.8.

* 137 KABANGE NTABALA (C.), Droit administratif, Kinshasa, Imprimerie Vina, p.120 ; DUVERGER (M.), Institutions politiques et droit constitutionnel, coll. Thémis, Paris, P.U.F., 1962, pp. 222-223.

* 138 KABANGE NTABALA (C.), op.cit., p.120.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery