La saisine du juge constitutionnel et du juge administratif suprême en droit public congolais( Télécharger le fichier original )par Dieudonné Kaluba Dibwa Université de Kinshasa - DEA de droit public 2005 |
3. METHODOLOGIELes connaissances scientifiques couvrent plusieurs domaines du savoir et sont acquises grâce à l'utilisation des méthodes34(*) et techniques35(*) d'investigation propres à chaque discipline36(*). La question que nous nous proposons d'étudier ici relève sans aucun doute du droit public37(*). Mais en cette discipline, qu'est-ce que la méthode ? Le droit public dispose-t-il d'une méthode susceptible de résoudre cette question ? Laquelle ?
Nous savons déjà qu'en nous occupant des phénomènes politiques, objet de la science politique et du droit constitutionnel qui les étudient respectivement d'une manière dynamique et statique, nous sommes amené à utiliser des méthodes c'est-à-dire ainsi que le disent PINTO et GRAWITZ, « un ensemble des opérations intellectuelles par lesquelles une discipline cherche à atteindre des vérités qu'elle poursuit, les démontre et les vérifie »38(*). Indispensable, la méthode n'est pas, pour autant, unique. Marie-Anne COHENDET précise qu'en droit public une méthode de travail n'existe pas. Et quand même elle existerait, ajoute-t-elle, elle risquerait fort de se muer en un dogme scélerosant la pensée39(*). Toutefois, le droit public concernant plus largement l'élaboration des normes et l'organisation des institutions politiques et administratives, il implique parfois des analyses qui font recours aux méthodes et techniques d'investigation proches de plusieurs disciplines scientifiques dites sciences sociales et en particulier de la science politique. La démarche du publiciste sera exégétique nourrie de l'apport de l'approche jurisprudentielle40(*). Celle-ci donnera vie à la traditionnelle analyse des textes qui n'échappe pas à la pertinente remarque de Dominique TURPIN relative à ce qu'il appelle l'obsession textuelle saisie comme l'état primitif de l'évolution du droit constitutionnel.41(*) Il ne s'agit pas de se détacher du texte mais plutôt de lui donner le sens que lui confère l'apport des dimensions factuelles. Le travail de l'exégèse n'est-il pas aussi celui de rechercher le fondement qui est toujours et déjà préjuridique ou métajuridique?42(*) Qui mieux que le juge pourrait saisir ces dimensions insoupçonnées du texte de loi qu'il s'agit d'interpréter ?43(*) Le doyen DUGUIT répond en opinant que « en fait, la production spontanée du droit n'est jamais arrêtée, (et) que le juge est absolument libre dans son appréciation et qu'il ne peut pas être entravé et gêné par ce que l'on prétend avoir été la pensée réelle, quoique non exprimée, du législateur »44(*). Cet exposé des outils conceptuels nous permet de fonder le choix méthodologique que nous assumons dans cette étude. Le sujet lui-même au demeurant commande cette approche qui s'inscrit dans la trame du droit constitutionnel contemporain dont le caractère jurisprudentiel45(*) est de plus en plus marqué même si en République démocratique du Congo des pas balbutiants sont encore à compter sur ce plan46(*). La traversée toute récente du désert qu'était le monolithisme politique peut expliquer le développement timide de la jurisprudence de la Haute Cour dans le champ considéré. Nous pensons qu'il y a quelque mérite à ajouter au crédit des magistrats de la Haute Cour qui, malgré les conditions de travail pénibles, ont réussi, sur un si court parcours, à rendre quelques arrêts dont le caractère hésitant n'échappe pas cependant à tout chercheur averti. Le rôle à jouer par cette haute juridiction est capital. Indubitablement, comme le professent Martine VIALLET et Didier MAUS, sans un droit stable et simple, organisé autour d'une justice indépendante et efficace, il ne peut exister ni croissance économique ni progrès social.47(*) Ce diagnostic cruel mais sincère indique l'enjeu d'une justice constitutionnelle et administrative efficace et son rôle dans l'érection d'un Etat de droit en République démocratique du Congo. Il ne s'agit pas du seul levier de cet Etat de droit que nous entendons construire en République démocratique du Congo, mais assurément de l'un des plus importants d'entre tous. Il s'agira de tenter à partir de quelques cas bien choisis de théoriser suffisamment la notion de saisine de la Haute Cour en matière constitutionnelle et administrative. Cette tâche ardue trouve cependant quelque facilité à travers le plan que nous nous proposons de suivre. * 34 RONGERE (P.), Méthodes des sciences sociales, Paris, Dalloz, 1971, p.18 qui dit que la méthode est « une procédure particulière appliquée à l'un ou l'autre des stades de la recherche ». * 35 MULUMBATI NGASHA, Manuel de sociologie général, Lubumbashi, éditions Africa, 1980, p. 20 qui définit la technique comme « un outil à la disposition de la recherche et organisé par la méthode dans ce but ». * 36 SHOMBA KINYAMBA (S.), Méthodologie de la recherche scientifique. Parcours et les moyens d'y parvenir, Kinshasa, éditions M.E.S., 2005, p.19. * 37 ULPIEN, Digeste, Livre I, Titre 1, F.R.I., &2 définit le droit public comme ad statum rei romanae spectat par opposition au droit privé qui est ad singulorum utilitatem pertinet, cité par Emile LAMY, Le droit privé. Introduction à l'étude du Droit écrit et du Droit coutumier zaïrois, Kinshasa, P.U.Z., 1975, p.57. * 38 PINTO(R.) et GRAWITZ( M.), Méthodes des sciences sociales, Paris, 4ème éd. DALLOZ, 1971, p. 289. * 39 COHENDET (M.-A.), Droit Public. Méthodes de travail, 3ème édition, Paris, Montchrestien, 1998, p.13. * 40 LAMY (E.), op.cit, p.245 va jusqu'à ériger cette approche en méthode jurisprudentielle. * 41 TURPIN (D), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 1998, p. * 42 DAILLIER (P.)et PELLET (A.), Droit international public, Paris, L.G.D.J., 2002, pp.98-107 ont rédigé des belles pages qui font un bel état de ce débat qui relève en fait de la philosophie du droit mais à l'occasion de l'étude du fondement du droit international. Tel n'est pas notre sujet. * 43 PESCATORE (P.), Introduction à la science du droit, Luxembourg, Centre Universitaire de l'Etat, 1978, pp. 331 et suivantes professe que « la méthode exégétique est essentiellement historique, c'est-à-dire, à l'instar du théologien qui recherche à travers le texte, la volonté divine, le juriste recherche la volonté du législateur. En effet, par la force des choses, la loi n'est qu'une expression sommaire et elliptique des volontés du législateur. Cette intention, on la découvre, en première ligne, dans l'histoire du texte (c'est-à-dire dans les travaux préparatoires) et, en seconde ligne, dans l'histoire de l'époque qui a vu la genèse de la loi ». * 44 DUGUIT (L.), Traité de droit constitutionnel, tome I, 3ème édition, 5 volumes, 1923-1927,réimprimé 1972 , p.177. * 45 NTUMBA LUABA LUMU (A.D.), Droit constitutionnel général, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines, 2005, p.12. Voy. aussi HEYMANN-DOAT (A.), Libertés publiques et droits de l'homme, 6ème édition, Paris, L.G.D.J., 2000, 304 pages qui adopte l'approche jurisprudentielle pour théoriser le droit constitutionnel des libertés publiques. * 46 MABANGA MONGA MABANGA, Le contentieux constitutionnel congolais, Kinshasa, Editions Universitaires Africaines, 1999, n'en dénombre que deux en matière constitutionnelle et trois autres qu'il qualifie de « jurisprudence constitutionnelle incidente » au point que son préfacier, le professeur NTUMBA LUABA LUMU, dit ironiquement que deux hirondelles ne font pas le printemps. * 47 VIALLET (M.) et MAUS (D.), Avant-propos in DE GAUDUSSON (J. du Bois), Les constitutions africaines publiées en langue française, op.cit., p.8. |
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