B. Une dynamique urbaine difficile à
maîtriser
La ville de Moundou connait une forte dynamique urbaine au
point de phagocyter même certains villages voisins, les raisons
dermographiques peuvent justifier cela.
? Une population croissante, jeune et
paupérisée
La région du Logone Occidental, dans le
découpage actuel, est la plus petite région administrative du
pays avec une superficie d'environ huit mille (8.000) km2. Par
contre c'est
38
la région qui a la plus forte densité de
population, environ 100ha/km2. Selon les données du rapport
provisoire du deuxième recensement général de la
population et de l'habitat de 2009 (RGPH2), le taux national d'urbanisation est
de 21,7%, celui de la région du Logone Occidental est de 23,9%,
deuxième taux après celui de la région du Borkou (34,4%).
Le chef-lieu de la région Moundou a vu sa population tripler en vingt
(20) ans ; elle est passée de 50.000 habitants dans les années
1980 à 187.000 habitants en 2010.
Depuis plus de deux décennies, certaines zones de la
région du Logone Occidental (département de Ngourkousso) sont
confrontées à la rareté de terres agricoles. Un
phénomène de migration à la recherche de terres de culture
s'est installé dans ces zones. Bien que la région soit
très petite par sa taille, son dynamisme économique attire les
populations d'autres contrées du pays qui viennent s'y installer. Etant
donné que ces nouveaux venus ne sont pas des migrants temporaires, ils
recherchent des espaces pour une installation durable aussi bien pour les
activités agro-pastorales que pour le négoce. Les conflits
agriculteurs-éleveurs,
souvent meurtriers, ont pris des dimensions
inégalées nulle part dans le pays, menaçant ainsi de
manière durable la paix sociale.
Peuplée d'environ 187.000 habitants1 en 2010, Moundou a
connu au fil des années une croissance démographique rapide.
Cette croissance de la population s'est accompagnée d'une demande
croissante de terrains à bâtir. Il en résulte, une
expansion spatiale considérable à l'origine de la phagocytose de
certains villages avec son corollaire d'insécurité
foncière, ponctuée de nouveaux rapports entre les acteurs de la
ville.
Figure 5: Evolution de la population de Moundou et
tendance de 1964 - 2025
Source : Association Ngaoubourandi
39
D'après les résultats définitifs du RGPH,
le taux de croissance moyenne au Tchad est de 3.6% alors que la population de
1995-2009 a doublé. Elle est passée respectivement de 99 530
à 172 54436 habitants tandis que les infrastructures
nécessaires pour sa prise en charge n'ont pas augmenté, à
titre d'exemple : l'absence totale des logements sociaux, système
d'adduction d'eau potable limité, pourtant, la ville connait une
dynamique très perceptible tant spatiale que démographique.
Vu les statistiques existantes, la population active est
estimée à 45% pour un taux de chômage estimatif aussi de
15%. Ce taux fait abstraction du secteur privé tchadien composé
d'un secteur informel large et dynamique et d'un secteur formel embryonnaire et
englobe des actifs comme les domestiques, les commerçants ambulants et
occasionnels, les pousseurs, les cireurs, les menuisiers, les maçons
occasionnels, les chauffeurs de véhicules et moto-taxis.
Selon les données du dernier RGPH2, la ville
dénombre dans la tranche de 0 à 14 ans révolus, 66 702
âmes pour une population totale de 150 155 habitants37, c'est
pratiquement la moitié de la population locale avec au total un effectif
de jeunes à 24 ans dénombrée à 33 397 âmes.
Le constat qui se dégage une fois de plus de ces chiffres est que la
population de Moundou est très jeune. Une population assez jeune dans
une région ou le taux de pauvreté est estime à 34.4% soit
1.8% de la population pauvre et 2.9% de la population nationale, ou on
déduit à 34% le nombre des locataires, et à 18% le nombre
des personnes logées gratuitement avec 60%38 de ménage
vivant dans des conditions précaires.
Une population jeune fait appel à un certain nombre de
mesure à prendre pour constituer une main d'oeuvre efficace à la
construction de la ville. En plus, la ville de Moundou est confrontée
aux énormes déficits d'approvisionnement en eau potable.
? Une urbanisation mal conçue
Les projets de développement de la commune ont
été réalisés sans prêter attention aux
besoins des habitants de la ville qui n'ont pas été au
préalable mis au courant de ces réalisations. C'est ainsi que
certains habitants affirment qu'ils n'ont ni été informés
ni consultés au préalable avant la détermination du
nouveau périmètre de la ville et des constructions des
infrastructures comme le cas du lycée de la forêt de Koutou.
36 Estimation pour 2012 selon RGPH2
37 Selon le RGPH2 de 2009.
38 Données de l'INSSED
40
En effet, pour les techniciens de la délégation
rencontrés, la gestion de l'urbanisation et donc du foncier a
été conçue disent -ils pour être simple car les
textes et les procédures sont assez claires pour les gestionnaires.
Cependant, le manque d'un plan d'ensemble pour la ville, la volonté de
certains gestionnaires d'évoluer dans le flou, le tout couplé
à la mauvaise gestion des ressources humaines à l'échelle
nationale a fini par rendre plus que complexe, de nos jours, la gestion du
foncier à Moundou.
Une dynamique spatiale difficile à
maitriser
L'urbanisation de la ville de Moundou s'est faite au
début, par tache d'huile avant de s'opérer vers les années
2000 de façon tentaculaire. De l'avis des personnes âgées
et des personnes ressources rencontrées dans le cadre de cette
étude, cinq grandes étapes peuvent être retenues en ce qui
concerne l'urbanisation de la ville.
? La première étape a concerné
la ville originelle: 1930 - 1960
Elle a consisté pour l'administration coloniale
à entreprendre des simples travaux de restructuration surtout dans les
quartiers autochtones. Ce qui a donné lieu à l'éviction
desdits quartiers au profit du quartier administratif d'aujourd'hui. Cette
première étape consacre la ville qui s'étend des berges du
Logone à l'Avenue Ngarta Tombalbaye. Il s'agit ni plus ni moins de
l'urbanisme que nous pouvons qualifier de colonial. C'est donc sur cette
lancée coloniale motivée par le souci de contrôler aussi
mieux que possible la population locale par l'organisation de l'espace, que les
actuels quartiers comme Baguirmi, Haoussa, Bornou, Mbomia, Guelkoura, une
partie de Quinze ans et une autre de Doyon (Cotontchad) ont pu être
restructurés. L'irrégularité des rues dans ces quartiers
démontre le caractère non planifié des actions
urbanistiques qui y ont été entreprises. Cette tranche de
l'urbanisation coloniale représente une aire de 296,8 ha. Les autres
portions de la ville comme le site abritant la Cotontchad et les villas de
l'huilerie ont été restructurées juste après 1960
notamment dans les années 61 et 62.
? La deuxième étape a
concerné la tranche délimitée par l'Avenue Ngarta et
l'Avenue Négor: 1965 - 1985
Regroupant aujourd'hui les quartiers Mbombaya, Dombao et
Djarabé, cette tranche de la ville a bénéficié des
techniques urbanistiques modernes. On peut dire que c'est la vraie
période de la naissance des aménagements fonciers prenant en
compte le minimum possible des besoins présents et futurs de la ville.
Il s'agit en fait d'un urbanisme assisté. En effet, grâce au
SMUH
41
(Secrétariat des Missions d'Urbanisme et d'Habitat) la
tranche a fait l'objet d'une étude préalable à base de
photographies aériennes, ce qui a permis de déterminer la
vocation des terres et penser à leur habitabilité et leur usage
à caractère public. La régularité des rues qui la
sillonnent et la localisation des réserves foncières à la
charge de l'administration locale démontrent le sérieux qui a
accompagné les travaux techniques liés à cet
aménagement de la tranche concernée. Si l'administration
coloniale a pu contenir l'occupation anarchique de l'espace par les hommes,
lequel espace a été restructuré à ce dessein, ce
phénomène a véritablement commencé à Moundou
notamment au cours de la deuxième période de l'urbanisation que
nous venons de décrire. Il a été marqué par
l'afflux massif des hommes ayant fuit N'Djaména à cause des
événements de 1979.
? La troisième étape s'est
intéressée à l'interfluve du plateau intérieur
délimité par l'Avenue Négor et la voie de contournement :
1985 - 1990
L'assistance technique étant arrêtée alors
que l'installation anarchique de la population prenait le pas sur
l'investissement urbain, l'administration locale chargée de la gestion
foncière et de l'aménagement urbain se devait de s'assumer en
dépit des entraves d'ordre technique, matériel, financier et
humain.
C'est ainsi que les agents de l'Etat instruits de
l'expérience de l'urbanisme assisté de 1965 ont pris en main les
aménagements fonciers à Moundou. C'était en fait
l'époque d'une vie difficile caractérisée par
l'insécurité généralisée qu'entretenait
l'implacable dictature de Hissène Habré. Une période de
vie difficile parce que les populations meurtries des campagnes ont
été poussées à un exode vers Moundou tantôt
pour leur sécurité, tantôt dans l'espoir de
décrocher de l'emploi rémunéré dans les usines de
la place, quitte à être embauché comme simple manoeuvre. Ce
phénomène, a fini par conforter sinon imprimer une vitesse
à l'occupation anarchique des terrains urbains selon les gestionnaires
de la cité et autres personnes ressources rencontrées.
L'administration foncière et domaniale étouffée, n'avait
plus d'autres possibilités que de procéder par des essaims de
morceaux de villes dans l'espace quitte à les recoller par un plan
d'arpentage après. Toute porte à admettre que les
aménagements fonciers ne visaient pas autre chose que la
délimitation ou l'endiguement des occupations anarchiques du domaine
privé de l'Etat par des rues.
42
? La quatrième étape: 1990 -
2000
Elle a été marquée par l'aube d'une
urbanisation vraiment anarchique avançant sur la base du non-respect des
lois de la République. C'était l'époque d'un
véritable télescopage entre la vision coutumière de la
terre comme mère nourricière, comme lien entre les vivants et les
morts et la vision libérale qui prend la terre uniquement comme bien
marchand en milieu urbain et périurbain. Cette étape qui a
consacré l'existence officielle des nouveaux quartiers comme Doumbeur,
Dokab et une partie de Djarabé a préparé le terrain
à l'anarchie totale dans l'urbanisation où tout devient
compliqué tant dans la mise en oeuvre des instruments d'urbanisme
opérationnel que ceux de contrôle de l'urbanisme. Elle a donc
consacré l'étalement de la ville, de la voie de contournement
à la zone inondable qui nourrit la ville en produits maraîchers et
qui sert de trait d'union entre le lac Wey et le lac Taaba.
? La cinquième étape: 2000 -
2011
C'est la période des spéculations
foncières ouverte à Moundou et ses environs. Une période
de prévarication généralisée dans l'administration
foncière et domaniale dont les services techniques sont «
submergés » par la charge de travail et donc des demandes, à
telle enseigne que pour les agents du cadastre, il n'y a plus d'horaires de
travail, de jours ouvrables et non ouvrables. On assiste ainsi à des
lotissements la nuit grâce à l'éclairage des phares des
véhicules.
Bref, jusqu'à ce jour des litiges à
caractère répétitif sur le foncier entre population et les
responsables de services déconcentrés de l'Etat et les
autorités traditionnelles, et entre les populations elles
mêmes.
Il faut remarquer que la délimitation du
périmètre urbain reste toujours contestée par le pouvoir
traditionnel.
En somme, durant tout ce premier chapitre, nous avons fait une
présentation sommaire de notre zone d'études qu'est la commune de
Moundou.
Un constat se dégage, la ville de Moundou
présente un visage contrasté des facteurs de son
épanouissement socio-économique, culturel et humain. De par sa
position géographique, Moundou bénéficie d'un milieu
naturel favorable pour les activités agro-pastorales et pour
l'implantation des industries. Sa position charnière entre le Nord et le
Sud profond, mais aussi sa proximité avec la ville camerounaise de
N'Gaoundéré lui permet de jouer un rôle crucial dans des
échanges internes et externes attirant ainsi des nombreux
investisseurs.
43
Mais la ville connait aussi des sérieux
problèmes dus à la situation de paupérisation de sa
population et aux autres aléas climatiques telles les inondations.
Jusqu'ici nous avons focalisé notre analyse sur la
situation géographique de la ville de Moundou. Le second chapitre
à l'inverse sera consacré au cadre institutionnel et
réglementaire du jumelage Moundou-Poitiers.
CHAPITRE II : CADRE INSTITUTIONNEL ET
REGLEMENTAIRE
DU JUMELAGE MOUNDOU-POITIERS
44
45
En vue de bien mener cette étude, il semble au tant
plus précieux de présenter le cadre institutionnel et
réglementaire qui régit la coopération
décentralisée entre la ville de Moundou et celle de Poitiers.
Cette démarche nous amènera à faire un rappel historique
et l'état actuel du processus de décentralisation et ses
implications avec le jumelage et le développement local.
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