Le Cameroun dans la coopération sécuritaire internationale: le cas de l'EIFORCES (2008-2022)par Claudel Elian EDINA ONOMO Université de Yaoundé 1 - Master 2023 |
V-CLARIFICATION DES CONCEPTSSelon l'historien Fabien Kangé Ewané, l'une des principales exigences de tout travail qui se veut scientifique en sciences sociales, réside dans la définition des termes. Cette exigence, constitue comme un préalable à toute recherche d'ordre historique33. C'est pourquoi `' un historien ne doit jamais aborder l'histoire d'une idée, ou d'une institution sans faire méthodiquement, et exhaustivement l'histoire des mots par lesquels on l'a exprimée ou désignée». De ce fait, une analyse conceptuelle s'impose sur les notions suivantes : coopération, sécurité, coopération sécuritaire internationale. 30 F. Eboko, "Cameroun : acteurs et logiques des émeutes de 2008" , Alternatives SUD, vol 53, 2008, p. 2. 31 Issa Modibo, 38 ans, Chef bureau informatique et reprographie de l'EIFORCES, Awae, le 11 mars 2022. 32 EIFORCES, "Actualité de l'EIFORCES septembre 2020- juillet 2021 : Activités de la Direction Technique et Logistique", VIGIE, n° 010 et 011, 1er et 2ème trim 2021, p. 25. 33 F. Kange Ewane, Semence et moissons coloniales, Yaoundé, Editions Clé, 1985, p. 87. 9 1- Le concept de coopération Etymologiquement, le terme coopération est une notion usitée en politique étrangère. Il dérive de deux expréssions : le préfixe Co qui vient du mot latin Cum qui signifie avec et le suffixe Operare qui signifie `'travailler». co-operare qui veut dire `'oeuvrer, travailler ensemble» ou « Action de coopérer, de participer à une oeuvre commune »34 . Selon le Nouveau Petit Robert la notion de coopération fait référence : « à l'action de participer à une oeuvre commune ». Dans l'univers des relations internationales la notion de coopération est sujette à un vif débat entre chercheurs intéressés par les thématiques de coopération internationales, le concept est appréhendé de différentes manières par les auteurs. Par ailleurs, le mot du latin coperatio ou `'part prise à une oeuvre commune», fut d'abord utilisé comme terme théologique. Ensuite calque de l'Anglais coopération, ce terme fut employé par le réformateur Robert Owen en 1828, pour désigner sa méthode de gestion des entreprises fondées sur la répartition du profit en fonction de la participation de chacun35. A partir de 1965 le concept commence à être employé dans d'autres secteurs à l'instar de la politique. C'est grâce à la politique qu'un Etat contribue au développement d'un autre. Sur le plan théorique, la coopération se conçoit comme un mode de relations internationales qui met en oeuvre une politique ( une stratégie et une tactique) implémentée pendant une période et destinée à rendre plus intimes, à travers des mécanismes permanents, les relations internationales dans un ou plusieurs domaines déterminés, sans mettre en cause l'indépendance des unités concernées. La coopération est l'ensemble des relations établies entre les différents peuples de nationalités différentes au cours de l'histoire dans l'optique d'échanger entre eux pour créer des conditions de développement économique, politique et socioculturel. Le petit Dictionnaire Larousse grand format définit la coopération comme la politique d'aide économique, technique et financière à certains pays en voie de développement36. D'après Axelrod, la coopération est une relation de `'donnant, donnant» Tit for Tat entretenue par les Etats dans les relations internationales. Cette coopération peut être basée sur la confiance, la loyauté et l'altruisme, soit sur les institutions qui stabilisent les enjeux, en favorisant la transparence, rendant le futur plus prévisible et permettant aussi aux Etats de 34 https://www.toupie.org, consulté le 10 mai 2022 à 10 h 30minutes . 35 I. D. Machia A Rim, "Coopération bilatérale entre la Suisse et le Cameroun de 1961 à 2013. Analyse Historique" Thèse de Doctorat /Ph.D en Histoire, Université de Yaoundé I, 2019, p. 6. 36 P. Maubourguet, Le petit Larousse Grand format, Paris INC, 1992, p. 270. 10 mieux interagir37. Il s'agit ici des rapports entre des Etats souverains qui pour un enjeu stratégique, sont en compétition et dont l'objectif est d'appréhender des ressources afin de satisfaire les besoins qui sont les leurs. L'enjeu traduit la compétition, un carrefour du donner et du recevoir. Pour le juriste Emmanuel Nso Ossou `' la coopération est un rapport qui lie deux parties face à une prestation, un certain intérêt». La notion d'intérêt est capitale ici, car c'est le motif qui anime les deux sujets qui peuvent être aussi bien des individus que des Etats. Le politicien et constitutionnaliste Charles Debbash conçoit la coopération comme : une politique d'entente, d'échange et de mise en commun des activités culturelles, politiques et scientifiques entre Etats de niveau comparable ou d'entente et d'aide entre des Etats de niveaux de développement inégaux38. Du point de vue opérationnel la coopération prend source dans l'idéalisme Wilsonien. Elle est devenue une exigence des relations inter-étatiques basées non plus uniquement sur l'idée de mettre la guerre hors loi, mais beaucoup plus sur la nécessite de s'entraider. Cette nécessité de l'entraide trouve ses raisons dans les mutations techniques, communicationnelles. Ces transformations ont conduit les Etats à vouloir instituer la vie internationale autour d'organisations internationales universelles. Au-delà des divergences d'intérêts entre les états. Ces derniers coopèrent entre eux dans le cadre des règles qu'ils ont établies pour réguler leurs relations dans les domaines divers. La coopération est encadrée par les principes du droit international public codifié à la conférence internationale de Vienne du 18 avril 1961. Mais bien avant, le droit de coopérer a été consacré par le système des Nations Unies en 1945 et par, une prolifération d'agences spécialisés et de programmes ad hoc couvrant progressivement tous les domaines de l'activité humaine39. L'un des objectifs fondamental de la charte onusienne est donc de réaliser la coopération internationale. En apportant des solutions aux problèmes internationaux d'ordre politique, économique, sécuritaire à travers l'échange d'expertise. Toutefois, la finalité du droit de coopérer n'est plus seulement de favoriser l'action collective pour la réalisation de buts communs, mais aussi et surtout de réguler des rapports internationaux essentiellement horizontaux et bilatéraux. En général, la coopération repose sur un cadre institutionnel défini, mieux sur une certaine réglementation juridique. Ce cadre institutionnel s'articule autour de la signature d'un 37 R. Axelrod, W. D. Hamilton, The Evolution of Cooperation , Basic Books, Cambridge, p. 42, https://sholar.google. Com, consulté le 10 mars 2022, 13 h 08 minutes. 38 C. Debbash, Lexique de politique, 7ème Edition, Paris, Fayard, 2003, p. 117. 39 M. C. Smoufs, Les nouvelles relations internationales, pratiques et théories, Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1998, p. 139. 11 certain nombre d'accords selon les besoins et après consultation des partenaires ou acteurs en présence. L'objectif principal de la coopération est la satisfaction réciproque d'intérêts bien compris40. Les déterminants de la coopération sont à la fois politiques et moraux. En ce sens, qu'elle est similaire à la notion de solidarité humaine et au prince d'équitabilité entre les souverainetés politiques. La coopération internationale dont l'administration est garantie par les organisations à vocation régionale et universelle peut se limiter à un domaine technique précis ou au contraire englober des secteurs étroitement liés les uns aux autres et revêtir des formes diverses. Ainsi, on distingue la coopération multilatérale qui est une coopération entre Etat et une organisation internationale ou un organisme international : c'est le cas entre le Cameroun et l'Union Européenne. Le coopératisme régional met en contact des pays d'une région donnée. C'est le cas de la coopération Cameroun- Union Africaine (UA). Le coopératisme sous régional s'opère entre les Etats de la sous-région à titre illustratif la coopération Gabon-CEMAC41. La coopération bilatérale quand a elle met l'accent sur la relation entre deux Etats. Les internationalistes perçoivent la coopération comme un mode d'interactions internationales qui implique la mise en oeuvre d'une politique, de la stratégie et la tactique poursuivies pendant une durée de temps et destinée à rendre plus intime, grâce à des mécanismes permanents, des relations internationales dans un ou plusieurs domaines déterminés sans mettre en cause l'indépendance des unités concernées42. Cette définition exclut l'ingérence dans les affaires intérieures de son partenaire. Les échanges de services sont plutôt mis au centre du débat. Ces échanges connaissent une réciprocité. Dans cette analyse, il s'agit d'une coopération multilatérale technique dans le domaine sécuritaire plus spécifiquement dans la formation et la recherche entre le Cameroun à travers l'EIFORCES et la communauté internationale en d'autres termes, une coopération bilatérale et multilatérale afin de bâtir un réseau sécuritaire43. Cette dernière s'opère dans le domaine de la sécurité depuis la mise en service de l'Ecole Internationale des Forces de Sécurité. Cet établissement camerounais forme, recycle et perfectionne les forces de sécurités camerounaises (gendarmes et policiers) et civil, mais aussi accueille les agents sécuritaires étrangers. Lors des stages de formations aux opérations de soutien et de maintien à la paix multidimensionnelle, les nationaux sont accompagnés par des officiers et sous-officiers d'autres armées africains venus prendre part aux enseignements pour rehausser leurs niveau 40 Ibid. 41 https://www.persee.fr, consulté le 11 mars 2022, 12 h 43minutes. 42 P.F. Gonidec, R. Charvin, Relations internationales, Paris, Montchrestien, p. 290. 43 L. F. NTIENJOM," Rentrée académique 2014-2015 à l'EIFORCES", VIGIE,-n° 002, Août 2014, p. 7. 12 tactique et opérationnel44. Afin d'apporter ensemble des solutions adéquates aux nouvelles problématiques sécuritaires en Afrique. 2- Le concept de sécurité La notion sécurité dérive du latin securitas (dér. de securus exempt de soucis), qui signifie l'absence de soucis, sentiment d'absence, tranquillité d'esprit45. Pour le dictionnaire Le Nouveau Petit Robert la sécurité se définit comme l'état d'esprit confiant et tranquille d'une personne qui se croit à l'abri du danger46. En d'autres termes une situation, état tranquille qui résulte de l'absence réelle de danger (d'ordre matériel ou moral). D'où la notion de sécurisation qui renvoie au fait de rendre plus sécurisable un objet, un espace sociopolitique spécifique. Historiquement on retrouve deux conceptions de la sécurité, la conception « négative » ou l'on élimine la menace par des moyens militaires et de dissuasions, et la mise en oeuvre des mesures de confiance47. En outre, le dictionnaire de Science Politique conçoit la sécurité comme un sentiment, une perception et une volonté, c'est-à dire dans sa dimension subjective comme volonté de prolongement de toute construction de l'altérité, c'est-à-dire du jeu social à l'état de nature48. La dimension classique de la sécurité est formalisée par Thomas Hobbes dans le contrat social. Ce dernier n'est autre qu'un dilemme entre les individus et l'Etat. Dans ce dilemme l'individu abandonne une part de sa liberté pour la remettre au souverain qui assure ainsi la sécurité. Au-delà de cette conception hobbesienne, la sécurité est un « concept fuyant » qui laisse apparaitre une incertitude conceptuelle et relève une plasticité sémantique et pluri-sémantique. Du fait qu'elle est susceptible de présenter une connotation idéologique, elle est un « concept essentiellement contesté ». Elle est désormais une culture de coopération, se substituant à une culture de compétition et de conflit49. Cette nouvelle approche conceptuelle de la sécurité s'ancrage sur la confiance mutuelle, les avantages réciproques, l'égalité et la coopération de tous contre un ennemi identifié comme commun. Ainsi, l'approche de la sécurité collective, initiée depuis le congrès de Vienne de 1815 visait la mutualisation des moyens de lutte des Etats contre l'insécurité et les agressions éventuelles. 44 AIDEE, Listes récapitulatifs des stagiaires du DEMFS et du BESS, Awae, 22 mai 2020. 45 https://www.cnrtl.fr, consulté le 11 mars 2022, 22 h 07 minutes. 46 https://www.dictionnaire.le robert.com, consulté 11 mars 2022, 22 h 30minutes. 47 T .Balzacq, "la sécurité : définitions, secteurs et niveaux d'analyse", Fédéralisme Régionalisme, Volume 4, 2004. 48 Dictionnaire de science politique et des institutions, 6ème Ed., Armand Colin, Paris, 2005, p. 41. 49 H. Bita Heyeghe, "L'avènement de la coproduction de la sécurité: le bilan et les acteurs", Les Annales de droit, n° 12, 2008, p. 5. 13 Pour Alexandre Wolfers, le « concept ambigu »50 qu'est la sécurité, s'appréhende autour de trois questions fondamentales : la sécurité pour qui ? La sécurité pour quelles valeurs ? Et la sécurité contre quelles menaces ? Cette approche conceptualisant qui part de l'identification du référent sécuritaire est prise d'une autre manière par Dominique Bangoura pour qui, la sécurité repose sur une polarité : la sécurité sans l'autre ; la sécurité avec l'autre et la sécurité contre l'autre. La conception de la sécurité chez Bangoura diffère de celle d'Alexandre Wolfers. La sécurité chez Bangoura est saisie au sens stratégique, la menace est au centre de son action51. Les théories géostratégiques autour du Heatland et du Rimland, proposées respectivement par Mackinder et Spyman, redéfinissent la sécurité d'un Etat autour de l'endiguement stratégique de ses concurrents52. La sécurité relève de la volonté politique dans laquelle les Etats ambitionnent sauvegarder leurs intérêts dans un monde anarchisé. De ce fait la sécurité d'un Etat était assurée par sa capacité d'action militaire à travers la violence qui constituait sa force de survie. C'est ce mobile qui a facilité la course vers la recherche nucléaire et la prolifération des armes de destruction massive. Dans le présent travail, la sécurité est conçue au sens constructiviste. L'EIFORCES est une réponse institutionnelle que l'Etat du Cameroun et les autres Etats africains apportent aux nouvelles menaces sécuritaires. C'est un exemple de communauté de sécurité évoquée par Karl Deutch53. Qui va au-delà de la sphère nationale et intègre le caractère transnational, régional et international. 3- La coopération sécuritaire internationale La coopération sécuritaire internationale, est la mise en place d'un vaste réseau de relations de partenariat avec des pays et des organisations du monde afin de promouvoir la sécurité54. Elle est une manifestation du multilatéralisme et du bilatéralisme. Dans cette approche coopératiste, la sécurité est priorisée. Elle est l'oeuvre des organisations étatiques, regroupement des Etats qui poursuivent un objectif commun, sous une identité juridique propre et, dotés d'organes autonomes et permanent constituant des cadres, les mieux indiqués pour défendre et atteindre les objectifs de leurs coopération. Comme ce fut le cas lors de la 50 A. Wolfers, "Discord and collaboration, Essays on International Politics ", Baltimore, John Hop tings University press, 1973. 51 D. Bangoura, " Etat et sécurité en Afrique ", https://www.politique-africaine.com, consulté le 11 mars 2022, 10 h. 52 G. Dussouy, les théories géopolitiques : traité de relations internationales, paris, L'Harmattan, 2006, p. 78. 53 K. Deutch et S.A Burrel," Political Community and the North Atlantic Area", Princeton University Press, 1957, pp. 3-5. 54 J. Deschambault, "Sécurité et développement dans la politique de coopération internationale : une approche biopolitique le cas du Canada en Haïti (1994-2008) ", Mémoire de Maitrise en Science Politique, 2009, p. 45. 14 naissance de l'ONU en 1945, les Etats signataires ont mis en commun leurs désirs de voir un monde en paix. Cette paix qui garantira la coopération entre les entités politiques. Ce désir de sauvegarder la paix devient mondial avec l'adhésion de tous les Etats de la communauté internationale. Elle a donc une vocation universelle et à compétence universelle ou totale. Dans le cadre de cette recherche, la notion de coopération sécuritaire internationale prend le sens du transnationalisme, régionalisme et du mondialisme sécuritaire. Ceci se traduit au niveau mondial par les actions diplomatiques initiées par le Cameroun via l'EIFORCES au sein des Nations Unies afin de labéliser la mallette pédagogique de la structure policière internationale d'Awae 55 . Le régionalisme et le transnationsalisme sécuritaire, se manifestent dans cette étude par les échanges techniques dans la formation, le partage d'expertise entre le Cameroun par le canal de l'EIFORCES et ses pairs africains. |
|