§ 3 VOLS, EXPLOITATION
ILLICITE DES RESSOURCES
Depuis un demi-siècle, la région des Grands Lacs
est marquée par la hantise du génocide. Déjà en
1964, Bertrand Russel dénonçait les tueries de milliers de Tutsis
au Rwanda, « le massacre le plus systématique depuis
l'extermination des Juifs ». Les estimations des décès
associés aux conflits récurrents dans la région des Grands
Lacs d'Afrique centrale, qu'ils soient dus à la guerre elle-même,
aux maladies, à la malnutrition ou à la criminalité, sont
certes controversées mais elles sont toutes effrayantes. Pour la
période la plus dramatique de 1998 à 2004, les évaluations
proposées par B. Coghlan. [2006] font appel au souvenir. Elles
estiment le nombre des décès à 3,9 millions, ce qui fait
du conflit congolais le plus meurtrier depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Selon les dernières estimations, à mi-2008, ce chiffre
serait plutôt de l'ordre de 5,4 millions, morts aux combats exclus
[Banque africaine de développement, 2008], ce qui fait de la guerre dans
le Congo oriental la plus meurtrière depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Pourquoi ne parvient-on pas à établir une paix durable
dans cette région ? Pourquoi l'Ituri et les Kivus tout
particulièrement, bordés par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda,
constituent-ils la matrice des conflits régionaux ?
Le « modèle de la convoitise » sert
le plus souvent de système explicatif aux conflits du type de celui qui
règne dans les Grands Lacs depuis une quinzaine d'années. Selon
ce modèle, l'exportation de minerais accroît dans un territoire
donné le risque de guerre de quatre manières : le
financement des rebelles et des armes, l'aggravation de la corruption de
l'administration, la hausse des incitations à la
sécession/balkanisation et l'augmentation de la sensibilité de la
population aux chocs exogènes [Collieret al., 2003]. Le
Comité permanent des évêques de la RD Congo (2008) a
visiblement adhéré à cette explication :
« Il est évident que les ressources naturelles du Congo
alimentent la convoitise de certaines puissances et ne sont pas
étrangères à la violence que l'on impose à sa
population. » Les racines économiques des combats dans le
Congo oriental sont avérées. Encore faut-il qu'elles trouvent un
terrain favorable : un « État faillible »,
marqué par le déficit des gouvernances passées,
doté d'une démocratie inachevée et précaire, et
qui, en outre, souffre de la « malédiction des matières
premières ». La grande taille du Congo a également son
influence. Les mouvements rebelles peuvent opérer avec une relative
facilitée dans les régions éloignées du pouvoir
central, enclavées par le manque d'infrastructures, et les pays voisins
peuvent occuper certaines zones abandonnées par l'État.
Les conflits s'alimentent aussi de plusieurs contentieux
fossilisés, d'animosités anciennes, de haines
sédimentées et de diverses compétitions autour des
positions de rente, autant d'ingrédients qui ont leur propre histoire et
qui se nourrissent mutuellement. Il n'est pas aisé d'en démonter
les rouages puisqu'ils relèvent de l'illicite et sont donc partiellement
dissimulés. Tel est pourtant le propos de cet article.
L'Est du Congo, la région au coeur de tous les
conflits, forme une ceinture riche en ressources minières. Alors qu'au
Katanga et au Kasaï oriental l'exploitation du cuivre et du cobalt est
largement industrielle, dans les deux Kivus et en Ituri, les mines
relèvent de l'organisation artisanale. Trois minerais dominent
l'économie frauduleuse militarisée qui s'y est installée
depuis une quinzaine d'années : le coltan, la cassitérite
(minerai d'oxyde d'étain) et l'or. Le cobalt, les rubis et les pierres
semi-précieuses, mais aussi les bois tropicaux, la viande, le
thé, le cacao, la quinine et la papaïne constituent des ressources
d'appoint.
Le pentoxyde de tantale, reconnu pour sa dureté et sa
résistance extrême à la chaleur et à la corrosion,
est un métal très recherché. Extrêmement lourd,
relativement rare, on le trouve dans le sous-sol des Kivus sous forme de
« coltan » (colombo tantalite). Une fois pilé en une
poudre anthracite et raffiné, il est utilisé dans l'industrie
aérospatiale et l'électronique pour fabriquer les condensateurs,
les supraconducteurs et les transistors, composants essentiels pour l'armement,
l'aérospatial et tous les récepteurs, téléphones
cellulaires, ordinateurs, magnétoscopes... La production congolaise, de
l'ordre de 1 500 à 1800 tonnes, représente environ 15 % du
total mondial, assez loin derrière l'Australie et le Brésil. Si
ces deux pays exportent davantage, l'enjeu géostratégique accorde
une place particulière à la République démocratique
du Congo (RDC) dont les réserves en minerai de tantale sont
estimées à 450 000 tonnes, soit 80 % des réserves
mondiales connues. Le colombo-tantalite du Nord-Kivu et du Sud-Kivu est reconnu
comme possédant une radioactivité élevée ; sa
concentration pourrait fournir des matières fissiles susceptibles de
remplacer l'uranium dans certaines applications.
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