La République Démocratique du Congo et la lutte contre la prolifération des groupes armés, bilan et perspectives.par Potient MUKADI BIAKAPIDIABO Université de Kananga - Graduat 2020 |
§ 2 CAUSES D'ORDRE ECONOMIQUELes Kivu, à l'instar de l'ensemble de la RDC, sont l'illustration exemplaire de la « bénédiction des matières premières » dénoncée par maintes ONG. La guerre, l'exploitation des ressources naturelles et la corruption s'y auto-entretiennent. Le secteur minier des Kivu a été dominé par la production de cassitérite, jusqu'à l'effondrement du marché de l'étain en 1985. Un brutal regain d'activité minière a suivi l'explosion de la demande mondiale de tantale60(*)à la fin des années 1990. Ce métal se trouve en effet en abondance dans le sous-sol des Kivu sous la forme d'un minerai composite, le colombo tantalite, en abrégé coltan61(*). Il se trouve que la fièvre du coltan a correspondu à la période d'occupation des Kivu par les militaires rwandais, ougandais et burundais, période durant laquelle toutes les ressources naturelles, bois, or, coltan ont fait l'objet d'un pillage systématique, dénoncé à partir de 2001 par un groupe d'experts mandatés par l'ONU62(*). Vendu à 80$ le kilo à l'exportation en janvier 2000, il atteint 800$ en décembre la même année. Les rebelles du RCD-Goma flairent alors l'aubaine. Le groupe armé décréta un monopole sur l'exportation du coltan et imposa une taxe de 10$ par kilo. Par la suite, le RCD refusa de traiter avec les comptoirs qui ne pouvaient lui fournir plus de 5 tonnes par mois. Rapidement, le marché tomba entre les mains de la seule Société minière des Grands lacs (SOMIGL). En quelques mois, elle pouvait revendre 236 tonnes soit 2,36 millions de dollars au seul profit du RCD-Goma63(*). Privés de revenus, les anciens exportateurs se démenèrent pour attirer l'attention de l'opinion publique mondiale en jouant sur le sort des gorilles des Kivu. Mais il n'y avait pas que le coltan. Il y avait également l'or, le diamant, le bois ou le café qui ont constitué les ressources du conflit. Et surtout, le Rwanda et l'Ouganda contrôlaient les recettes commerciales et fiscales générées dans les territoires occupés par les rebelles qu'ils soutenaient. Cependant, bien que partenaires dans l'agression de la RDC à travers leurs armées respectives et les groupes armés qu'ils soutenaient, le Rwanda et l'Ouganda se sont révélés des rivaux lorsqu'il s'agissait de contrôler les rebelles et d'exploiter les richesses congolaises64(*). En mars 2001, le WWF (World Wildlife Fund ou le Fond Mondial pour la Nature) et l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), relayés par l'acteur américain Leonardo Dicaprio, appelaient la communauté internationale à suspendre ses achats de coltan RD-Congolais. Au même moment, un rapport de l'ONU dénonçait le pillage illégal des ressources naturelles du pays. Ce premier rapport en appellera d'autres élaborés par un panel d'experts sur les ressources naturelles. Des entreprises comme Nokia et Motorola demandèrent alors à leurs fournisseurs de ne plus s'approvisionner au Congo-Kinshasa mais de se tourner vers le Canada, le Brésil et l'Australie qui disposent aussi de coltan plus cher et moins riche en tantale. Le cours de minerai s'effondrait de 2000$ (décembre 2000) à 330$ le kilo (Avril 2001)65(*). Ces rapports, des campagnes internationales de dénonciation du pillage des ressources naturelles pour financer la violence armée ainsi que l'insécurité dans l'Est ont découragé toutes formes d'investissements formels dans l'économie minière des Kivu. L'extraction et l'exploitation sont restées informelles et artisanales, contrôlées pour la plupart par des groupes armés. C'est dans ce contexte économique que se négocièrent les accords de Lusaka. Or, tout l'Est de la RDC est commercialement connecté aux ports kenyan de Mombassa et tanzanien de Dar-es-Salaam. Les flux transitent par le Burundi, l'Ouganda et le Rwanda qui, au passage, prélèvent sinon les exportent comme productions nationales. Ces pays ont tiré un profit géopolitique des avantages économiques que leur procuraient leurs appuis aux groupes armés (principalement les différentes rébellions soutenues par le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda) ou leur positionnement dans les réseaux d'acheminement de ces flux pour l'exportation. Ainsi ces rebelles contrôlant des zones minières et les zones d'exploitation du bois ont pu peser dans les négociations pour obtenir des positions de pouvoir. Le revenu des ressources pillées représentaient 280 millions de dollars US66(*). Quant aux évaluations financières, elles représentaient ½ milliard de dollars US67(*). Forts de ce pouvoir économique, leurs parrains quant à eux, ont pesé de tout ce poids sur la Conférence Internationale dans la Région des Grands Lacs (CIRGL) qu'ils ont politiquement contrôlée. Les accords de paix et la mise en place d'un secrétariat exécutif de la CIRGL à Bujumbura n'ont pas empêché l'insécurité et le soutien de ces pays à des groupes armés. Au contraire, les rébellions du CNDP de Laurent Nkunda (2007-2009) et du M23 (2012-2013) ont vu le jour dans le Nord-Kivu et se sont organisés avec les appuis du Rwanda et de l'Ouganda accusés de parrains. En plus de la société publique, Gécamines, une centaine d'entreprises minières exploitent des gisements miniers du Katanga : Tenke Fungurume Mining (TFM) exploite une des grandes réserves du Cobalt avec un investissement de près de 2 milliards de US$, Chemical of Africa (Chemaf) basée notamment à Lubumbashi et Kolwezi, exporte les minerais à 99% de teneur de cuivre et de cobalt. Plusieurs petites entreprises minières détenues par des Indiens, des Israéliens ou des Chinois exploitent des milliers des carrés miniers. Cependant, l'économie minière est très réactive au marché mondial. Les cours du tantale dont les Kivu ne sont qu'un petit producteur en comparaison notamment à l'Australie, se sont effondrés après l'éclatement de la bulle spéculative en 2000. En revanche, le minerai d'étain est aujourd'hui fortement réévalué. Les creuseurs, les négociants et les comptoirs d'achat, acteurs locaux d'une activité essentiellement artisanale s'adaptent aux évolutions d'un marché dominé par quelques grands courtiers internationaux et industriels nord-américains, européens et asiatiques. Pour Global Witness, « la situation actuelle dans l'Est de la RDC illustre le fait que l'on ne s'attaque pas, à l'échelle internationale, aux liens entre le conflit armé et le commerce mondial des ressources naturelles68(*) ». L'économie minière s'articule étroitement avec la guerre et l'insécurité. Tous les acteurs du conflit participent au pillage des ressources, soit pour financer l'achat d'armes, soit pour des raisons d'enrichissement personnel. Le premier groupe d'experts de l'ONU avait déjà mis en évidence le fait que l'exploitation des ressources naturelles, de moyen de financement du conflit en était devenue la finalité, et donc la cause de sa perpétuation. Les rapports, jusqu'à celui remis le 12 décembre 2008 au Conseil de Sécurité, ne sont rendus que partiellement publics car la dénonciation nominale des acteurs, notamment des proches de Chefs d'Etat, est politiquement délicate. Mais ils sont suffisamment explicites pour confirmer que l'on est toujours dans le même schéma d'exploitation illicite qui, au fond, satisfait tous les acteurs. Une enquête réalisée en juillet-août 2008 par Global Witness aboutit aux mêmes conclusions : « tous les groupes militaires sont impliqués dans l'exploitation illicite des ressources minières ». Le dernier rapport du groupe d'experts donne des précisions quant au partage de facto des territoires miniers entre les groupes armés illégaux, mais aussi les militaires des FARDC. Les FDLR détiennent les positions les plus importantes; ils comptent parmi eux des grands commerçants qui négocient avec les comptoirs de vente ayant pignon sur rue, y compris au Rwanda. Plusieurs brigades des FARDC ne sont pas en reste et tirent profit de l'exploitation minière, conjointement avec les FDLR ou le PARECO. Pour ne donner qu'un exemple, les FDLR contrôlent l'exploitation minière artisanale dans le parc national de Kahuzi-Biéga; la production est évacuée par l'aérodrome de Lulingu sous contrôle de la 18e brigade des FARDC. Les acheteurs à Goma et Bukavu sont parfaitement au fait de la provenance de ces minerais (cassitérite, coltan), d'autant plus qu'ils préfinancent souvent les négociants qui, eux, sont au contact direct des groupes armés contrôlant la production. L'opacité des réseaux de commercialisation arrange beaucoup de monde. Les circuits de l'or sont particulièrement opaques, les activités illégales profitant aux groupes armés, aux commerçants, aux transporteurs, aux douaniers, etc. avant que l'or s'envole pour Dubaï, désormais sa destination de prédilection.69(*) Dans un contexte d'anomie généralisée, la seule loi qui prévale sur le terrain est celle de la kalachnikov. Mais si le conflit perdure c'est en grande partie par ce que beaucoup d'acteurs extérieurs y trouvent leurs intérêts. Pour le Rwanda, la perpétuation de la confusion aux Kivu favorise son entreprise de peuplement, ses positions économiques dans la commercialisation des ressources minières et son influence politique. Pour les multinationales et plus généralement toutes les entreprises mondialisées, les productions extraites du sous-sol des Kivu par une multitude de creuseurs misérables sont une aubaine car mises sur le marché à vil prix, elles permettent des bénéfices considérables tout au long d'une chaîne de commercialisation où les activités réputées licites frayent sans vergogne avec le monde obscur de l'illicite. * 60 MBALA LONDA M., Lesgroupes armés et la position géopolitique de la République Démocratique du Congo dans la Région des grands lacs, Université de Goma - Licence 2014. P.60 * 61DE FAILLY, D Coltan : pour comprendre, in L'Afrique des Grands-Lacs, annuaire 2000-2001, Centre d'études de la région des Grands-Lacs d'Afrique, Anvers, L'Harmattan, Paris, 2002, pp 280-306. * 62Idem * 63MUSILA C, Economie et géopolitique de la paix dans les Grands Lacs, fiche d'analyse, octobre 2014. * 64KIBEL'BEL OKA N., Les marionnettes congolaises. Essai, Les Editions du Panthéon, Paris, 2012, pp.68-69. * 65MARYSSE S et REYNTJENS F, L'Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2000-2001, L'Harmattan, Paris, 2001, p.100. * 66MBALA LONDA, M op.cit. P.62 * 67LAGRANGE, M-A, Economie de la paix, Conférence au Café Diplomatique - Ecole d'été de transformation des conflits, Chaire Culture de la Paix & Ministère des Affaires Etrangères, Kinshasa, 13 septembre 2014. * 68 www.globalwitnes.org * 69MBALA LONDA Op.cit. p.64 |
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