2.3. La diaspora congolaise et la question de la
nationalité
Du grec speiro (semer) auquel est collé le
préfixe dia (au-delà), le terme diaspora se réfère
à la migration par le fait qu'une partie du peuple est «semé
ou installé au-delà» de sa source ou terre d'origine. Si
auparavant cette terre se rapportait principalement aux
pérégrinations du peuple juif hors de Palestine, depuis peu il a
acquis un sens large. Pour Chantai Bordes-Benayoun et Dominique
Schnapper72, il s'applique
^ Jacob, 2006, p. 11. Anteby-Yemini, L., Berthomière,
W. et Sheffer, G. (sous la dir.), Les diasporas, 2000 ans d'histoire,
Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 10.
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à toutes les populations déplacées hors
de leur terre d'origine, et connues sous diverses appellations :
expulsés, expatriés, exilés, réfugiés,
immigrés, minorités, migrants...
Toutefois, pour être une diaspora, ces populations
doivent encore avoir certaines caractéristiques. Gabriel
Sheffer73 propose trois critères : le maintien d'une
identité collective, une organisation inteme et des liens avec la terre
d'origine. Et William Safran d'y ajouter : la dispersion par rapport au centre
originel, le maintien d'une mémoire de la tene d'origine, le projet d'un
probable retour et l'engagement à restaurer ou maintenir la terre
d'origine. Tous ces critères soulignent et vulgarisent une seule valeur
: la solidarité envers la tene ou le pays d'origine.
Ainsi, dans le cas sous étude les migrations
congolaises par vagues successives sont liées aux conjonctures
politiques et économiques. Si les étudiants sont parmi les
premiers, car quelques-uns ont été à l'étranger
déjà sous la colonisation, ils ne rentrent pas tous au pays
à cause des conjonctures évoquées. Les rébellions,
les crises économiques, les guerres et les répressions politiques
ont ouvert les vagues de l'émigration à toutes les
catégories sociales congolaises. Les troubles de la décennie 1990
sous la Transition politique, conjugués avec l'effondrement
économique dû aux pillages des infrastructures ont ouvert la voie
à leur tour, outre l'Occident traditionnel, vers l'Afrique australe,
principalement l'Afrique du Sud. La guerre et la contestation du régime
des Kabila durant la décennie 2000 ont amplifié encore cette
émigration, cette fois-ci vers le monde entier, y compris l'Asie,
l'Amérique latine et l'Océanie (Chine, Inde, Dubaï,
Brésil, Australie...).
Tout en étant dispersées, ces communautés
de la diaspora congolaise maintiennent des liens forts avec le pays d'origine,
elles en conservent les souvenirs et entretiennent la culture. Des
échanges réels y existent : le commerce attesté par les
produits vendus, notamment au quartier Matonge de Bruxelles, la musique
à travers les artistes invités et leurs albums, la religion par
les églises de réveil spirituel selon le rite congolais... Il
existe encore d'autres liens avec la terre d'origine, notamment virtuels par
les nouvelles technologies de l'information et de la communication
(téléphonie mobile, média en ligne, internet...).
Ces canaux favorisent aussi la participation politique de
cette diaspora qui, de plus en plus, s'implique directement dans le
débat et tient à exprimer ses positions. Ce mode de participation
politique a fait émerger un mouvement de contestation dit «
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des Combattants74 ».
Ce mouvement ressemble de plus en plus à une
arène dans laquelle le gouvernement central et la diaspora tentent de
peser sur les choix des options à prendre afin de consolider
l'identité nationale. Il en résulte des lutter contre toute
visée hégémonique ou territoriale en vue de
préserver l'unité nationale. Une dynamique inéluctable est
à l'oeuvre. Plus les actions de soutiens au régime à
travers la diaspora n'augmentent, plus ce mouvement devient une arène
dans laquelle se joue la politique nationale. Plus la diplomatie d'un Etat et
celle de sa diaspora tentent d'influencer la politique étrangère,
plus l'Etat devient capable de définir ses propres intérêts
et de les mettre en oeuvre lorsqu'ils ne correspondent pas à ceux des
autres pays ayant exporté leurs ressortissants. Ce
phénomène prend une propension importante d'autant plus que le
principe de l'unicité de la nationalité congolaise adoptée
dans la loi de 2004 n'a pas intégrée cette donne qui devient un
impératif plus qu'une nécessité.
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