CONCLUSION GENERALE
A la question de savoir si la jouissance des terres de droit
peut-elle servir de garantie de remboursements des crédits, la
réponse après analyse est que certains droits de jouissance des
terres sont insusceptibles de servir de garantie alors que d'autres sont
susceptibles suivant des conditions précises. Les modalités de
leur utilisation sont celles prévues pour l'immeuble à travers le
régime de l'hypothèque. C'est un régime insuffisamment
adapté à leur utilisation, d'où la conclusion qu'il s'agit
d'une possibilité inconsistante c'est-à-dire à repenser et
à recadrer en l'état.
Les droits pouvant constituer l'assiette des garanties sont
généralement des droits réels aliénables et
saisissables, pourtant certains droits de jouissance sont accordés
en considération de la personne du bénéficiaire (usufruit
du conjoint survivant ou usufruit des père et mère sur les biens
des enfants par exemple) ou de ses nécessités (droit d'usage et
d'habitation ou les servitudes par exemple). Ceux-ci sont inutilisables comme
assiette de garantie pour leurs caractères inaliénable
et insaisissable.
Pour ceux des droits de jouissance des terres admis pour
servir d'assiette de garantie, ils sont de deux groupes.D'un côté,
il y a les démembrements du droit de propriété. Hormis
ceux qui sont affectés de condition d'inaliénabilité et de
saisissabilité, les démembrements du droit de
propriété pouvant être utilisés comme garantie
sont : le bail emphytéotique, le bail à construction, le
droit de superficie et les droits réels de jouissance innomés. Le
bail emphytéotique comme le bail à construction sont des baux de
très longue durée. Le droit de superficie leur est semblable avec
ceci de particulier qu'il s'agit d'un droit de jouissance
perpétuel. Ces droits confèrent à leurs titulaires de
tirer des terres qui leur sont données en jouissance des utilités
économiques énormes à travers les constructions,
installations, ouvrages et cultures. Ces « peines et
soins »ou« impenses » produisent des revenus qui
peuvent déterminer un prêteur à s'en prévaloir comme
garantie. Il y a divers droits réels de jouissance innomés. Un
propriétaire peut les accorder à des tiers sur sa
propriété en vertu de la liberté contractuelle. Les droits
innomés ne s'identifient à aucun droit réel nommé,
ils empruntent aux caractéristiques des uns et des autres
démembrements du droit de propriété.
De l'autre côté, il y a des droits réels
reconnus sur les terres domaniales. Dans sa mission de gestion des vastes
terres constituées par le domaine national majoritairement et par le
domaine privé de l'Etat ainsi que le domaine public, l'Administration
peut reconnaitre des droits, parfois réels aux particuliers. Elle peut
concéder des baux emphytéotiques sur le domaine national et sur
le domaine privé de l'Etat. Dans ce dernier domaine, le bail ordinaire
peut être conclu au profit des particuliers par l'Administration
propriétaire. La concession provisoire peut être autorisée
dans le domaine national. Les droits reconnus dans ces cadres peuvent
être mis en garantie. Sur les dépendances du domaine national, aux
exploitants et occupants d'avant 5 août 1974 ont été
reconnus de véritables droits de jouissance qui peuvent servir de base
à la constitution d'une garantie. Mais pratiquement, ces derniers droits
de jouissance doivent être transformés en droit de
propriété. Dans le domaine public, des droits susceptibles de
garantie peuvent être reconnus aux concessionnaires et titulaires
d'autorisations d'occupation ou d'exploitation après la procédure
de déclassement.
Les droits réels de jouissance des terres sont
envisagés par les textes pour constituer l'assiette de
l'hypothèque, garantie généralement connue pour
grever les terres. La garantie de jouissance des terres adopte donc les
caractéristiques de l'hypothèque des terres que sont
l'accessoire, l'indivisibilité, la spécialité et la
non-dépossession du constituant avant l'échéance de la
créance garantie. Mais l'hypothèque d'un droit de jouissance a
ses caractéristiques propres car ledit droit est
lui-mêmetemporaire, précaire et
limité souvent matériellement mais toujours
juridiquement, par les droits du propriétaire et les prérogatives
de l'Administration. Il y a en outre des caractères tenant à la
créance garantie car certains droits de jouissance des terres ne sont
pas susceptibles de garantir toutes créances, les droits
conférés par l'autorisation d'occupation ou d'exploitation du
domaine public déclassé ainsi que les droits des concessionnaires
provisoires ne peuvent garantir que des créances nées
exclusivement à l'occasion de la jouissance.
Les modalités d'utilisation des droits réels de
jouissance des terres comme garantie s'adossent sur celles de
l'hypothèque concernant les terres. Les fondements de constitution que
sont la convention, la loi et la décision de justice sont retenus et les
règles de constitution, allant des conditions de fond et de forme aux
règles de publicité, sont donc les mêmes. Ainsi, le recours
au Notaire est exigé pour la validité de la constitution. Le
constituant doit être capable et titulaire du droit de disposer des
droits mis en garantie, le pouvoir de disposer est exigé en certains
cas. Les droits mis en garantie ainsi que les créances garanties doivent
être déterminés ou tout au moins déterminables
suivant le principe de spécialité. La publicité de la
garantie qui se caractérise par l'inscription est exigée et de
même cette formalité est précédée de la
publicité préalable des droits constituant l'assiette de la
garantie.
Les effets de l'hypothèque de l'immeuble avant et
après l'échéance de la créance garantie sont
également transposés à l'hypothèque de la
jouissance des terres. La voie de l'attribution conventionnelle ou judiciaire
peut être envisageable et la saisie immobilière n'est pas exclue
pour la réalisation. Entre les créanciers, les droits de
préférence des uns et des autres sont exercés et le tiers
acquéreur ne peut échapper au droit de suite des
créanciers hypothécaires. L'hypothèque d'un droit de
jouissance se transmet et s'éteint suivant les mêmes modes que
l'hypothèque de l'immeuble c'est-à-dire à titre accessoire
avec les différents mouvements de la créance et à titre
principal suivant les aléas propres à la garantie.
La transposition des règles de l'hypothèque de
l'immeuble à l'hypothèque de jouissance des terres semble ne pas
déterminer les créanciers à y recourir pour garantir le
remboursement de leurs crédits. L'hypothèque de jouissance n'est
pas visible et intelligible bien que la jouissance des terres représente
une valeur importante utilisable comme garantie. Il y a une difficulté
de conceptualisation des droits de jouissance des terres. Il est
inadapté de considérer indistinctement l'immeuble et les
utilités dont il est possible de tirer de l'immeuble en vertu d'un droit
de jouissance. Le législateur en a peut-être conscience puisqu'il
organise quelques règles spécifiques à l'hypothèque
lorsqu'elle porte sur les droits de jouissance des terres. Il en est ainsi de
l'évocation des titulaires des droits de jouissance pour constituer la
garantie et non de la qualité de propriétaire des terres dont
jouissance. Ce dernier doit en tout cas être notifié de
l'inscription de l'hypothèque du droit de jouissance de ses terres. Pour
les droits dans les domaines, le rôle de l'Administration dans la
constitution de leur garantie est renforcé. Un registre spécial
est prévu pour la publicité des droits de jouissance des terres
domaniales et pour recevoir les inscriptions des garanties dont ils peuvent
être l'assiette. L'Administration intervient quelques fois lorsqu'il
s'agit de réaliser les droits de jouissance des terres domaniales.
Au demeurant, il se trouve nécessaire d'organiser un
régime juridique propre à l'hypothèque de
jouissance des terres. Ledit régime peut bien emprunter à
certaines règles précises et déterminées de
l'hypothèque de l'immeuble. La distinction de l'assiette, l'immeuble
pour l'une et la jouissance pour l'autre, amène à penser d'autres
règles déjà préconisées dans le cadre du
gage immobilier et d'autres en matière de voies d'exécution qui
sont les voies de réalisation de certaines garanties. C'est le cas de la
saisie des récoltes sur pieds qui n'est précédée
d'aucune garantie et de la mesure de cession des revenus de l'immeuble
préconisée pour suspendre voire mettre un terme à la
procédure de saisie immobilière. Il est envisageable de partir
d'une conceptualisation des droits de jouissance des terres ainsi que de
l'hypothèque lorsqu'elle porte sur ces droits pour qu'elle soit
utilisable, fonctionnelle et véritablement utilisée.
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