Introduction générale
Depuis quelques années, l'agro-business est devenu un
modèle agricole en vogue, du moins dans le discours politique. Ce
modèle agricole a une histoire. Il a été favorisé
par la mécanisation de l'agriculture et a été
accéléré la révolution scientifique. On utilise
désormais des semences sélectionnées et des engrais de
bonne qualité pour accroître les rendements. Peu à peu se
mettent en place des entreprises agricoles de plus en plus
spécialisées. On aboutira à l'agro-industrie et aux
monopoles qui contrôlent les marchés de semences
commercialisées et des semences génétiquement
modifiées et du commerce des céréales et banane (HORMAN,
2006). Cette agriculture est productiviste et demande peu de main d'oeuvre. Le
surplus des exploitants sera absorbé par l'industrie et constitue le
prolétariat urbain. L'agro-business s'est exporté dans presque
tous les continents. Cette avance de l'Europe dans le domaine industriel et
agricole par rapport aux pays africains est bien illustrée par OUEDRAOGO
(2011):
«Visiblement le contexte européen de formation
de ce type d'agriculture n'est pas celui des pays africains. Ils n'ont pas
connu de révolution industrielle et ne sont pas, non plus dans une
position dominante dans les rapports internationaux comme ce fut le cas pour
l'Europe au XIXè siècle. En outre la mondialisation et
la concurrence constituent une limite au processus d'industrialisation -
révolution agricole pour des raisons de compétitivité. En
effet, le retard d'industrialisation des pays africains semble être une
limite à une révolution agricole endogène ; la
minimisation des coûts de production impose d'importer
nécessairement certains capitaux fixes, notamment les machines...»
(p 25).
Il ressort que les pays africains n'ont pas pratiqué
l'agro-business selon l'orthodoxie de ce modèle agricole. Cela fera que
l'agro-business pratiqué en Afrique ne sera que l'ombre portée et
projetée de celui pratiqué en Europe. Le
déséquilibre des forces, la division internationale du travail,
la colonisation, les programmes d'ajustement structurel (PAS) seront
utilisés comme moyens de pression pour imposer ce modèle à
l'Afrique. Les politiques agricoles volontaristes et productivistes pour
l'autosuffisance alimentaire seront donc abandonnées pour la
sécurité alimentaire. En Afrique l'agro-business va se distinguer
de l'agriculture paysanne par de vastes superficies sur lesquelles il est
pratiqué. Cette décision a été prise au Forum
Mondial de l'Agro-industrie tenu au Nigéria en 2010 à travers
l'Initiative de Développement de l'Agro-business et de l'Agro-industrie
en Afrique (ID3A). L'achat de vastes terres par les entreprises d'agro-business
(les unes plus puissantes que les autres au regard de leur pouvoir
économique) s'en suivra. Elles viennent de l'Asie, du Moyen Orient et
l'Europe. Ainsi, la Chine dispose de 10 000 ha de terre au Cameroun, 40 046 ha
en Ouganda et 300 ha en Tanzanie. La Corée du Sud se taille
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690 000 ha de terre au Soudan, 1 300 000 ha à
Madagascar. L'Arabie Saoudite, grand pays producteur de pétrole a 10 117
ha de terre au Soudan, 100 000 ha au Sénégal, 1 500 ha en
Algérie. Le Japon, quant à lui, exploite 1 600 ha des terres
égyptiennes. Il y a aussi certains Etats africains qui pratiquent
l'agro-business sur le continent. Il s'agit du Nigéria avec 40 000 ha de
terres au Sénégal ; la Libye exploitait 100 000 ha de terre au
Mali et 30 ha au Bénin (SOS FAIM, 2009). Malgré ces grandes
superficies mises à la disposition de ces entreprises et firmes
multinationales, la situation alimentaire de ces pays ne s'est guère
améliorée car la plupart des entreprises étrangères
ne produisent pas des cultures vivrières mais plutôt de la canne
à sucre, du jatropha pour la fabrication de biocarburant. Les compagnies
chinoises avec 100 000 ha au Mali à l'office du Niger et les compagnies
pétrolières françaises Total sont des exemples en la
matière.
Le Burkina Faso aussi, avec l'adoption des Programmes
d'Ajustement Structurel (PAS), sera désormais sur la liste des pays
où sera pratiqué l'agro- business. Surtout qu'il dispose
d'environ 9 millions ha de terres cultivables dont seulement 160 000 ha
irrigables soit 2% des terres cultivables. Les prêts contractés
par le pays seront payés aux prix de cette concession. Il en est de
même pour les 200 milliards de FCFA déjà contractés
auprès de la Banque Mondiale et du Fond Monétaire International
(Institutions de Brettons Wood) pour l'aménagement de 17 750 ha. Dans
cette somme, 20,3 milliards de FCFA ont servi à l'aménagement de
la vallée de la Volta. Le barrage de Bagré et ses
aménagements annexes ont coûté 45 milliards de FCFA
(KANAZOE, 1999). Le Burkina Faso est alors soumis aux injonctions de ces
institutions. L'ouverture au privé du secteur agricole et la
commercialisation des produits agricoles seront alors décidées
par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International à
travers le programme d'ajustement sectoriel agricole (PASA). BETHELEMONT, FAGGI
et ZOUNGRANA (2003) précisent :
«L'actuelle orientation des politiques agricoles du
Burkina Faso est donc tournée vers le marché. En effet, un des
principaux motifs utilisés pour expliquer l'atonie du secteur agricole
est l'absence d'un marché efficient capable de stimuler la production.
Selon les objectifs ministériels, toute la production agricole sera
dorénavant fondée sur les opportunités offertes par le
marché donc la demande nationale et internationale. Accéder au
marché devient dès lors une étape fondamentale dans le
processus de modernisation du secteur agricole. Si dès les années
60 le paysannat a été fondamental dans toutes les initiatives
agricoles et s'il a longtemps constitué l'instrument stratégique
de l'emploi et de la gestion politique des sociétés rurales, les
années 1990 définissent l'aptitude nouvelle par rapport au
territoire rural, son économie et sa société entreprise
agricole (agro-business), libre marché, privatisation sont devenus les
piliers déclarés du système économique du Burkina
Faso.» (p 69).
En adoptant le PASA, le Burkina Faso a opté de
prioriser l'agriculture commerciale. Sa politique agricole va se calquer sur
cette logique. Le plus grand choix sera donné aux privés et aux
marchés. Les agro-businessmen, principaux acteurs de ce nouveau
modèle agricole, sont ceux
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sur qui l'Etat compte pour exploiter les vastes terres
fertiles. Le Ministère l'Agriculture en 1999 précise:
«Des espaces fertiles s'étendent à
perte de vue à Bagré. Malheureusement, ils restent sous
exploités par les paysans qui y vivent. Ce serait un gâchis si
cela devait durer il faudra tôt ou tard rembourser. Il faudra
rentabiliser l'aménagement agricole de Bagré et des autres zones
comme le Sourou, en faisant appel à des opérateurs privés
» (M.A. 1999 : p8).
Ainsi, c'est aux agro-businessmen ou opérateurs
privés que revient désormais la rentabilisation des
aménagements agricoles. Si ce modèle agricole a commencé
par les périmètres aménagés, il ne s'y est pas
confiné. Les périmètres non
aménagés du Ziro et du Houet sont aussi concernés avec
respectivement 9 540 ha et 6 978 ha (GRAF, 2010).
Au Sourou, l'agro-business a d'abord été
expérimenté en 1999 après son lancement à
Bagré la même année. Les premiers agro-businessmen ont
exploité entre 10 à 30 ha de 1999 à 2004. Mais, tous ont
échoué avec des pertes financières allant de 4 800 000
FCFA à 54 000 000 FCFA (GRAF, 2008). Ce n'est véritablement qu'en
2005 que l'Autorité de Mise en Valeur du Sourou (AMVS) installera 17
agro-businessmen avec un cahier des charges et un protocole d'accord scellant
le lien.
Un tel passage a sans doute un impact sur la
sécurité alimentaire des populations des zones concernées.
La terre étant le principal facteur de production, elle devient par
conséquent le fond de la problématique de la production agricole
locale.
Ce type d'agriculture est au centre des débats
politiques et scientifiques car ses implications sur les questions alimentaires
et foncières sont multiples, complexes, et déterminent parfois
l'avenir de certains pays. Doit-il servir à produire pour vendre ou
s'alimenter ? Pourquoi pas les deux à la fois ? De telles questions ne
sont pertinentes que si elles s'insèrent dans un thème
d'étude. Le notre en est un. Il est intitulé : «
Agro-business, sécurité foncière et alimentaire au
Sourou : cas des périmètres agricoles de Niassan, Di,
Débé et Gouran». L'objectif visé à
travers ce thème est de contribuer à analyser les relations entre
les pratiques d'agro-business et les perspectives de sécurisation
foncière et alimentaire au Sourou. Pour traiter ce thème, deux
types de données nous ont été utiles: les revues
documentaires et les enquêtes de terrain. Le présent
mémoire comprend deux parties subdivisées en deux chapitres
chacune. La première partie traite de la présentation de la zone
d'étude. Dans la seconde partie, nous abordons la question de
l'agro-business, la sécurité foncière et alimentaire puis
une conclusion incluant des perspectives.
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I. L'approche théorique et méthodologique
de l'étude
Notre étude a été menée en prenant
en compte deux approches: l'approche théorique et conceptuelle et la
méthodologie de recherche utilisée. Elles se complètent
mutuellement. Leur présentation détaillée permet de mieux
comprendre leur importance dans cette étude.
1.1. Le cadre théorique et conceptuel
Il précède l'enquête de terrain. Il
annonce notre problématique, la revue de littérature, les
objectifs de notre étude, les hypothèses de travail et la
définition des concepts.
1.1.1. La problématique
Avec une population rurale à plus de 80%, le Burkina
Faso demeure un pays essentiellement agricole. Le potentiel agricole du Burkina
Faso est jugé capable de nourrir une population estimée à
16 248 558 habitants en 2011(Estimation/ INSD, 2007). Parmi les 9 millions
d'hectares de terres fertiles, les 500 000 hectares de terres irrigables
seulement 32 258 hectares sont aménagés (AMVS, 2010.b.). Le
potentiel hydrique est aussi important et est estimé à 41
milliards de mètres cubes d'eau dont moins du tiers est utilisé
pour les besoins agricoles et autres prélèvements animaux (SNAT,
2008).
Malgré les ressources et potentialités
hydro-agricoles disponibles, l'agriculture du pays peine à satisfaire
les besoins alimentaires des populations. Les crises alimentaires, notamment
celles engendrées par les sécheresses de 1970-1974 et de
1983-1984, témoignent de la fragilité et de l'inadaptation du
système agricole : faible maîtrise d'eau, faible
mécanisation, recours très limité aux nouvelles
technologies agricoles (semences améliorées, fertilisation
organique et chimique, irrigation, etc.). Ces problèmes se sont
accentués avec l'adoption du libéralisme comme mode de gestion
politique qui a intégré tous les secteurs d'activité dont
l'agriculture dans le commerce international. Les Programmes d'Ajustement
Structurel (PAS) dont son volet agricole PASA marque ce secteur de son sceau.
Une des conséquences du désengagement de l'Etat du secteur
agricole se traduira par la chûte des subventions jadis accordées
au secteur agricole ; elles passeront de 32 à 13 %, de 1990 à
2006 Pourtant l'agriculture contribue à près de 40% au Produit
Intérieur Brut (PIB) (DGPSA/MAHRH, 2008). A ce problème, s'ajoute
la fluctuation des prix (dépréciation) des produits agricoles sur
les marchés et par les crises économiques qui s'accompagnent
parfois de déficits céréaliers. Entre 1990 et 1991, ce
déficit était estimé à 127 000 tonnes ; 15 800
tonnes en 1997 et 1998 ; 442 000 tonnes entre 2000 et 2001 et 208587 tonnes
entre 2007 à 2008 (DGPSA/MAHRH, 2008). Ces déficits conduiront
aux importations de produits alimentaires. De 1990 à 2006, les
importations avaient un taux compris entre 13,35 et 23,34%. Pour le riz, par
exemple, les importations sont de 200 000 tonnes/an et coûteraient 20
5
milliards de FCFA (SNAT, ibid.). Selon les projections en
2015, elles atteindraient 300 000 tonnes pour un montant de plus 70 milliards
de FCFA (SORY, 2006).
La vallée du Sourou regorge aussi d'énormes
potentialités agricoles et, de ce fait, est depuis la période
coloniale une zone d'intérêt agronomique. L'administration
coloniale y avait déjà identifié, en 1925, 30 000 hectares
aménageables pour une production agricole considérable. Mais, ce
n'est que 12,7% de cette superficie qui seront aménagés soit 3818
hectares par l'Autorité de Mise en Valeur de la vallée du Sourou
(AMVS) contre une prévision d'aménagement de 27%,
équivalant à 11 500 ha (AMVS, 2010). Actuellement, selon l'AMVS,
le taux de détérioration de ces aménagements est
estimé à 20%. Pourtant, le coût des aménagements se
chiffre en milliards de francs CFA ; entre 1972 et 1984, l'hectare
aménagé revenait à 4 millions de FCFA contre 7 à 9
millions en l'an 2000. Les aménagements du Sourou sont estimés
à environ 30 milliards toujours selon le GRAF (2008). Ces
réalisations ont été possibles grâce aux fonds de
l'endettement extérieur (aide publique au développement,
prêts, etc.). Aussi, le Sourou avait pour vocation d'être un centre
de modernité agricole dans un environnement agricole national
marqué par la prédominance de pratiques agricoles
arriérées (usage répandu de la daba, par exemple). Mais
comment atteindre ces objectifs assez ambitieux au regard du contexte national?
Ce fut d'abord les coopératives comme formes d'organisation de
l'exploitation agricole, sous la direction de l'Etat, qui sont mises en place
pour la réalisation des objectifs agricoles. Mais, en dépit de
certains efforts consentis, sur les sommes importantes d'argent et de moyens
matériels déployés, le Sourou n'arrive toujours pas
à remplir sa mission de grenier du Burkina Faso. Depuis
l'avènement du néolibéralisme qui a consacré les
PASA en 1990, d'autres acteurs sont considérés comme ceux
détenant les clefs de la réussite agricole au Burkina Faso face
à l'immobilisme qui caractériserait le secteur agricole : les
agro- businessmen (OUEDRAOGO, 2011). Face à la crise des
coopératives, ils sont ceux sur qui, la « nouvelle politique
agricole » de l'Etat a placé l'avenir de l'agriculture
burkinabé en matière de réalisation de la
sécurité alimentaire et de compétitivité sur le
marché « libre ».
Selon le Plan d'Action (2010 - 2015) élaboré en
2006 par l'AMVS pour le développement durable de la vallée du
Sourou, 250 entrepreneurs agricoles devraient être installés en
fin 2015 et vont exploiter 2 500 hectares soit 65,5% de la superficie actuelle.
Il s'en suit donc que les enjeux de l'agriculture sont multiples et
soulèvent de nombreux questionnements : Qu'est-ce que l'agro-business
dans l'environnement agricole du Sourou ? Comment se manifeste-t-il ? Qui en
sont les acteurs? A-t'il un impact sur la sécurité
foncière? Est-il une perspective d'atteinte de la sécurité
alimentaire?
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