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La spécificité du personnage héroà¯que dans le Comte de Monte Cristo


par Hagar Ali-Cherif
CY Université  - Licence de Lettres Modernes  2022
  

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Partie III : La persistance du mystère autour de la figure du comte

Cette intelligence qui mène à la manipulation nous montre bien Monte Cristo comme un être qui a toujours un coup d'avance sur les évènements. Ne parvient-il pas à se venger sans être soupçonné avant longtemps ? Tout ceci, en plus de reposer sur un plan mûri à l'avance est aussi porté par des déguisements qui s'ils peuvent paraître irréalistes, se prêtent bien à l'esthétique du roman feuilleton, un genre populaire et donc sujet à des coups de théâtres et des péripéties qui ne sont pas toujours très intellectuelles.

Le travestissement a donc son importance dans l'oeuvre au point que la première forme sous laquelle réapparaît Dantès, dans le livre, après avoir trouvé le trésor de Monte Cristo, n'est pas celle du comte mais bien de l'abbé Busoni, vénérable prêtre Italien qui vient alléger l'aubergiste Caderousse de la vérité concernant le complot contre Dantès dont il a été bien malgré lui le complice dans ses jeunes années. Cette réapparition sous les traits d'un prêtre, très forte sur le plan de la symbolique, le comte de Monte Cristo se déclarant comme un envoyé divin venu pour récompenser et punir, n'en est pas moins un subterfuge utilisé pour masquer son identité. Dantès change de nom très facilement, ce qui peut être compréhensible. Lui le prisonnier numéro 34 ayant failli sombrer dans la folie, ne se reconnaît plus véritablement comme étant Edmond Dantès. Il peut donc sans problème se couler dans d'autres identités, la première, seule étant véritablement importante car étant celle liée à tous les êtres chers qu'il aimait, comme son père ou Mercedes, cette identité originelle, ayant été détruite avec sa jeunesse. N'est-il pas normal que le mystère persiste autour d'un homme aux cents déguisements, tantôt prêtre Italien, Lord Anglais ou seigneur Maltais ? Monte Cristo est en effet lui-même inconsciemment dans une quête constante de soi, une quête qui se calme vers la fin du livre lorsqu'il se réconcilie en quelque sorte, avec l'ancien homme qu'il était : Edmond Dantès. Ancienne identité qu'il ne peut plus embrasser totalement à présent, devenant une sorte d'hybride, un mélange entre une part de la bonté du jeune marin, second du Pharaon, et le personnage distant mais, vers la fin du livre, apaisé du comte de Monte Cristo. La figure héroïque que plante Dumas dans son oeuvre est difficile à cerner car toujours en mouvance, alternant entre plusieurs identités et donc plusieurs rôles joués. Effectivement il ne faut pas croire que le comte se contente de se déguiser. Sa personnalité aussi bien que son physique, sa façon de parler et d'agir changent au gré de ses travestissement. Même en cela il est plus fort que ses adversaires qui en voulant le confondre se retrouvent pris à leur propre jeu. On se souvient de la scène où Villefort, se faisant passer pour un simple inspecteur de police, obtient une audience avec Lord Wilmore qui se trouve n'être autre que Monte Cristo déguisé. «De son côté Lord Wilmore,

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après avoir entendu se refermer sur lui la porte de la rue, rentra dans sa chambre à coucher, où en un tour de main, il perdit ses cheveux blonds, ses favoris roux, sa fausse mâchoire et sa cicatrice, pour retrouver les cheveux noirs, le teint mat et les dents de perles du comte de Monte Cristo». [LCM : 849p]. La façon dont Villefort est abusé, quoi qu'assez théâtrale et se prêtant au ressort comique du roman feuilleton montre bien qu'il est facile pour Monte Cristo de changer d'apparence et d'incarner un autre homme. Preuve s'il en est qu'il s'agit d'un personnage qui se dérobe et reste mystérieux, même pour les lecteurs qui ont du mal à l'appréhender sous toutes ses formes, toutes ses apparences, tout ses subterfuges.

Toutefois ce n'est pas la seule raison qui fait que le personnage de Dumas reste un héros bien mystérieux, ce qui fonde une partie de l'attirance des lecteurs pour lui. Bien plus que physique, cette zone d'ombre concerne la façon dont l'auteur nous fait suivre les aventures de son personnage principal. Le point de vue de la narration est externe avec de rares, très rares incursions dans l'esprit de comte. Le fait de ne pas faire accéder le lecteur aux pensées du Dantès non pas jeune homme mais adulte, est un choix qui nous éloigne du vengeur, d'autant plus que le lecteur découvre comme un spectateur, au fur et à mesure qu'elle se déroule, la vengeance du comte. Cette éloignement entre le public et son héros le place dans une position originale où il attire l'intérêt non pas en se dévoilant mais justement en restant obscur quand à ses pensées et ses prochaines actions ce qui pousse les lecteurs à espérer jusqu'à la dernière seconde connaître les sentiments et les émotions de cet homme qu'ils ont connu bien en détail, jeune, quand il était encore un livre ouvert et qu'il était comme tout digne héros Romantique traversé de mille émotions. Ce manque d'accès aux pensées de Monte Cristo amène un autre point trouble qui rejoint la question de l'identité dont nous parlions plus haut. En effet si en tant que lecteurs nous savons que nous avons affaire à Edmond Dantès lorsqu'il réapparaît sous l'apparence de l'abbé Busoni pour extirper son secret à Caderousse, puis celle de Lord Wilmore pour s'emparer d'une page du registre des prisons et enfin de Sindbad le marin pour approcher Julie Morrel et Franz d'Epinay, nous n'avons presque aucun indice lorsqu'à Rome on nous parle pour la première fois du comte de Monte Cristo. Nous devinons qu'il s'agit de Dantès, mais à aucun moment cela n'est mentionné dans le livre. Monte Cristo n'est jamais révélé explicitement comme étant Edmond Dantès, il faut le comprendre implicitement jusqu'à ce que le personnage lui-même se dévoile à Fernand de Morcerf. La première personne à qui il revèle sa véritable identité est Caderousse mais même là, celle-ci n'est pas entendue par le lecteur :

«Le comte n'avait pas cessé de suivre le progrès de l'agonie. Il comprit que cet élan de vie était le dernier ; il s'approcha du moribond, et le couvrant d'un regard triste et calme à la fois :

«Je suis..., lui dit-il à l'oreille, je suis...»

Et ses lèvres, à peines ouvertes, donnèrent passage à un nom prononcé si bas, que le comte semblait craindre de l'entendre lui-même.» [LCM : 1042p].

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Le fait de devoir deviner cette identité, tout en nous rapprochant par un lien de complicité au personnage, contribue aussi à accentuer l'éloignement entre le public et le comte, comme s'il ne nous acceptait pas dans sa compagnie, parmis ses amis qui sont peu nombreux. L'identification au héros se révèle compliquée si tout ce que nous savons de lui, nous l'apprenons par ses discours et ses actes et non sa pensée intime.

Pour finir nous nous rendons donc bien compte que nous en savons très peu sur le personnage, même après avoir passé plus de deux tomes en sa compagnie. La multiplicité de ses visages et l'opacité de ses sentiments qui peuvent très bien être simulés pour autant que nous le sachions bâtissent l'image d'un homme impénétrable dont on ne sait jamais si on avance ou on recule dans son amitié, ainsi que le constate avec un pincement au coeur, Albert de Morcerf.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault