Année universitaire 2021-2022
La spécificité du personnage
héroïque dans Le
Comte de Monte Cristo
Mémoire préparé sous la direction de Mme
Corinne Blanchaud
Présenté et soutenu par Hagar Ali-Cherif
2
Remerciements
Je voudrais dans ces quelques lignes remercier toutes les
personnes qui ont contribué à la rédaction de ce
mémoire.
En premier lieu je souhaiterais exprimer ma reconnaissance
à Mme BLANCHAUD pour m'avoir guidé pas à pas dans la
réalisation de ce travail et avoir toujours eu un conseil pertinent
à me donner.
Ces remerciements s'appliquent enfin de façon plus
générale à l'ensemble de la promotion des L3 de Lettres
modernes. L'atmosphère d'entraide collective qui y règne a
apporté à mes études l'ambiance studieuse
nécessaire à la réalisation d'un projet comme ce
mémoire.
À tous, je témoigne mon respect et ma
gratitude.
3
Table des matières
Remerciements
|
.2
|
Table des matières
|
3
|
Introduction
|
5
|
Partie I : Une évolution significative de
la conception Dumasienne
du héros
|
..7
|
1. Maturité et apprentissage
|
8
|
2. L'ambition au service d'un idéal personnel
|
..9
|
|
Partie II : Un érudit parmi les ignorants
|
11
|
1. Dantès, le héros cosmopolite
|
12
|
2. Une utilisation ambigüe du savoir
|
13
|
Partie III : La persistance du mystère
autour de la figure du comte
|
15
|
1. La notion de travestissement
|
16
|
2. Une narration équivoque
|
.17
|
Conclusion
|
19
|
Bibliographie
|
20
|
4
5
Introduction
1807, Nîmes. À la suite d'un complot contre sa
personne, le cordonnier François Picaud faussement accusé
d'espionnage pour le compte de l'Angleterre est emprisonné sept ans
à la forteresse de Fenestrelle, ignorant tout du motif de son
incarcération. Libéré en 1814, riche d'un trésor
que lui aurait légué un compagnon de cellule et revenant sous le
nom de Joseph Lucher il se venge des quatre conspirateurs responsables de la
machination avant de mourir lui-même assassiné. Issue des archives
de la police et narrée par Dumas en personne1, cette histoire
réelle, quoique très romancée, constituera le
modèle du jeune marin Edmond Dantès, personnage principal du
roman le plus célèbre de cet auteur : Le Comte de Monte
Cristo2.
Genre très prisé et florissant au XIXème
siècle, le roman feuilleton s'appuie sur des personnages marquants,
adulés du grand public. Parmi la foule de héros qui peuplent
l'oeuvre de Dumas, l'un des plus connus en France comme à
l'étranger est sans conteste le second du navire Le Pharaon :
Dantès. Il est tout à fait pertinent de se demander ce qui
confère une telle aura au futur comte de Monte Cristo et en fait un
héro qui se démarque de la représentation habituelle qu'on
est en droit d'attendre d'un personnage principal. L'idée du justicier
par excellence est l'un des points les plus fréquemment soulevés
dans l'étude du personnage au même titre que le concept du
travestissement : obligatoire pour parvenir à ses fins. Ces deux notions
sont importantes et nous les développerons plus avant. Or si elles
amorcent un fécond début de réflexion, elles ne
constituent cependant qu'une partie des raisons qui différencient Edmond
Dantès des autres héros de feuilleton. Quelles peuvent bien
être ces raisons ? C'est ce que nous allons tâcher
d'éclaircir dans ce mémoire en nous interrogeant sur la
spécificité du personnage héroïque dans Le Comte
de Monte Cristo.
En nous appuyant sur une lecture approfondie des tomes du
roman et d'articles universitaires, nous étudierons tout d'abord le
personnage comme étant le contre-pied du héro de roman Dumasien,
mis en parallèle pour ce faire avec la figure du mousquetaire
d'Artagnan, du même auteur. Ce que nous découvrirons nous
amènera à aborder la position peu commune de Monte Cristo par
rapport au savoir et à la connaissance que ce soit dans le domaine
scientifique ou philosophique, rendant pour finir, le comte un être
mythique encore plus impénétrable qu'avant.
1 DUMAS, Alexandre, Oeuvres complètes d'Alexandre
Dumas, Paris, 1850-1857, p.404-408.
2 DUMAS, Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo, Paris,
1844, folio classique 1998, 2075p. Désormais
référencé : [LCMC1] ou [LCM] suivant le tome
cité.
6
7
Partie I : Une évolution significative de la
conception Dumasienne du héros
Lorsqu'on dit Alexandre Dumas, l'on pense tout de suite
à des héros représentant avant tout la fougue et les
rêves de la jeunesse. Après tout un roman paraîssant en
publication régulières se doit d'être captivant, empli de
rebondissements et d'aventures. Cependant cette conception est facilement
réfutable si l'on compare Les Trois Mousquetaires3,
oeuvre majeure de Dumas s'il en est, avec le comte de Monte Cristo.
Si nous prenons Les Trois Mousquetaires, le
personnage archétypal du héros se construit sous nos yeux.
D'Artagan est un jeune homme qui vient d'atteindre sa dix-huitième
année. Il sera tout au long du livre entouré de compagnons bien
plus âgés, certes, mais il n'en reste pas moins le personnage
central de l'oeuvre, celui qui lui donne son souffle épique, qui va au
devant de l'action là où Athos, Porthos ou Aramis ne se seraient
pas aventurés sans réflexion. Il paraît logique de narrer
les aventures d'une personne jeune qui ne connaît encore rien à la
vie, justement pour que les lecteurs puissent le voir évoluer
positivement au fil du récit. Là réside le premier point
de divergence entre le sémillant cadet aux gardes et le comte de Monte
Cristo. Nous suivons la jeunesse de ce dernier durant un laps de temps
compté : du début du livre jusqu'à l'exhumation du
trésor. À ce moment là, Edmond Dantès
disparaît pour revenir sous la forme de l'abbée Busoni, l'un de
ses nombreux déguisements, puis enfin celle du comte de Monte Cristo, un
homme d'environ trente à quarante ans, ainsi qu'il est décrit
dans le livre : «Il [...] se trouva en face d'un homme de trente huit
à quarante ans [...] cet homme avait une figure remarquablement belle;
ses yeux étaient vifs et perçants» [LCMC1 : 346p]. On voit
que le comte n'est pas spécialement marqué par l'âge, mais
qu'il n'appartient déjà plus à la catégorie des
jeunes hommes dans laquelle on rangerait plutôt Albert de Morcerf, le
fils d'un de ses rivaux. La longueur des ellipses, que ce soit celle de la
prison où Dantès passe quatorze ans, ou encore le long voyage
à travers le monde qu'il opère après s'être
emparé du trésor de Monte Cristo, nous prouve que le livre est
centré sur l'Edmond Dantès adulte et non pas le jeune homme. Ce
choix narratif nous permet de suivre les aventures d'un homme
déjà mûr à qui la vie n'a rien à apprendre,
ce qui constitue la déviation d'avec le modèle d'Artagnesque.
Là où un monsieur de Tréville ou un Athos accompagnent le
jeune bretteur tout au long du roman, la phase d'apprentissage de Dantès
est beaucoup plus courte et il s'émancipe très vite de
l'abbé Faria pour devenir son propre mentor. Le choix de nous focaliser
sur cette partie de la vie du héros est représentatif du
thème du livre, qui est la vengeance. Il y a deux façons de la
concevoir dans ces
3 DUMAS, Alexandre, Les Trois Mousquetaires, Paris,
1844, 799p.
8
deux ouvrages, deux façons qui présentent des
similitudes et des différences. Le futur mousquetaire se vengera en
effet de Milady pour le meurtre de Constance Bonacieux. S'il venge en quelque
sorte un tiers en même temps que de se venger lui-même des affronts
que la dame à commis envers lui, il le fait de façon très
fougueuse et expéditive ce qu'Athos lui reprochera plus tard. La
vengeance de Monte Cristo concerne lui aussi un tiers, son père qui
suite à son incarcération est mort de faim, oublié de
tous, mais le concerne aussi avant tout lui-même. Or loin d'être
rapide, ce qui fait tout le sel et toute la célébrité de
la vengeance du comte est qu'elle est très lente. On sent la
maturité d'un homme ayant longtemps vécu derrière le plan
ourdi de sang froid d'Edmond Dantès. Là où d'Artagnan et
ses amis en se faisant justice ressentent beaucoup de douleur, car étant
encore jeunes, ou pour le cas d'Athos imprégné de fatalisme, le
comte est considéré comme un véritable surhomme justicier,
de par son insensibilité et son plaisir apparent pour la souffrance
qu'il cause à ses ennemis. Gérard Gengembre, professeur
émérite à l'université de Caen reprend dans un
article les termes d'Antonio Gramsci sur le comte : «Le type du
«surhomme» est Monte-Cristo, libéré de cette
auréole particulière de «fatalisme» qui est propre au
bas romantisme et qui est encore plus appuyé chez
Athos»4, cette idée de libération de
notre héros montre bien la différence opérée entre
les deux oeuvres et l'évolution de la figure héroïque, munie
d'une nouvelle aura et donc d'une interprétation nouvelle.
Avec le comte de Monte Cristo, Dumas prend un nouveau
départ, et propose une oeuvre au thème certes très
usité, mais traité par un personnage peu conventionel. Car s'ils
sont nombreux les romans feuilletons à aborder la notion de vengeance,
et ainsi que nous venons de le citer Les Trois Mousquetaires
n'échappe pas à la règle, il est plus rare cependant
de traiter ce sujet à la manière du Comte de Monte
Cristo. D'Artagnan était enclin à pardonner, le comte ne
l'est pas, tout du moins pas avant la fin lorsque les doutes le prennent. Pas
vraiement antagoniste et pourtant difficilement acceptable comme un
protagoniste sans défauts il est novateur de présenter l'histoire
d'un homme à la morale bien particulière et au but sanglant
posé très clairement et qui donc en montrant le
contre-modèle à suivre provoque une rupture entre le héros
et le lecteur. Ce dernier continue toujours de suivre avec autant de
délectation les aventures du comte, mais sait dorénavant que
celui-ci ne consitue plus un modèle et cela l'amène à
questionner sa morale, par rapport à celle de Monte Cristo. Encore une
fois on remarque l'évolution par rapport à un roman tel Les
Trois Mousquetaires où la quasi exemplarité du héros
montrait de façon évidente la voie à suivre. Dumas dans
Le Comte de Monte Cristo nous fait entrevoir la voie à suivre,
mais de façon détournée et par le contre-exemple qu'il
donne. C'est ce que Raphaël Yao Kouassi appellerait le héros
concave protagoniste.
4 GENGEMBRE, Gérard, «Le comte de Monte Cristo ou le
surhomme, la justice et la loi», dans Les Cahiers de la Justice,
2012, n°1, p160.
9
Reprenant dans sa thèse sur les héros dans la
littérature les explications de Vincent Jouve sur sa classification des
différentes typologies de héro il écrit : «Le
troisième type est le héros concave protagoniste. Sa conduite est
loin d'être exemplaire, mais il est le sujet d'une histoire qui, elle,
est porteuse de leçon. En outre, comme il occupe le devant de la
scène, c'est lui qui focalise l'attention du
lecteur»5. L'évolution d'avec d'Artagnan
qualifié, lui, de héro convexe protagoniste est flagrante, un
héros convexe protagoniste étant : «un personnage à
la conduite exemplaire et qui occupe le devant de la scène [...]
héros classique qui, non seulement est, quantitativement, plus
présent que les autres personnages, mais qui, en outre, offre au public
un miroir idéalisé. C'est, par exemple, Enée, d'Artagnan,
ou encore James Bond» [HJA : 79p]. Avec l'exemple du modèle
à suivre vient aussi celui des idéaux transmis par le
héros. D'Artagnan est fortement politisé, se battant contre le
cardinal de Richelieu, grand antagoniste du roman et faisant l'éloge du
roi et de la reine. Cette vision de la politique perdure dans les autres tomes
ou le romancier nous narre les épisodes de la Fronde et les
différents partis dans lesquels les héros se rangent, souvent
poussés par d'Artagnan. Le récit du comte de Monte Cristo aurait
pu suivre le même chemin mais ne le fait pas. Emprisonné pour
cause de Bonapartisme alors même qu'il n'avait pas d'idéaux
politiques, le livre aurait pu nous décrire un Edmond Dantès
ressassant une véritable haine contre l'empereur qui a indirectement
causé sa perte. Par là il aurait pu faire l'éloge du
régime monarchique restauré. Or ce n'est absolument pas ce qui se
passe. En devenant le surhomme justicier qu'il est, Edmond Dantès se
place au dessus des lois humaines, comme un envoyé divin. La politique
trouve donc peu d'agrément à ses yeux et il s'en montre fort
détaché. En décidant de n'inclure dans sa vengeance que
des raisons personnelles et non pas politiques, Dumas ne fait donc pas de
l'histoire de Dantès un cas général de l'injustice d'un
régime, mais bien une histoire particulière avec un héros
tout aussi particulier et qui s'en retrouve par là même rendu
unique.
L'évolution de la figure héroïque dans le
roman-feuilleton Dumasien est donc avant tout un moyen de mettre en avant un
personnage en proposant une réappropriation des thèmes
déjà traités et des modèles de héros connus
afin d'aller toujours au-delà des attentes du lecteur de
l'époque, conférant à Monte Cristo une aura d'être
supérieur qui le démarque. Cela vaut lorsqu'on le compare
à d'autres héros de romans comme d'Artagnan, mais est aussi
valable à l'intérieur même de sa propre histoire où
il se singularise par les qualités qu'il possède et sur
lesquelles nous allons à présent nous pencher.
5 KOUASSI, Yao Raphaël, Héros, jeunesse et
apprentissage dans quelques romans du XIXe siècle : Chateaubriand,
René, 1802 - Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830 - Musset, La Confession
d'un enfant du siècle, 1836 - Balzac, Illusions perdues, 1837/1843 -
Flaubert, L'Éducation sentimentale, Histoire d'un jeune homme,
1869, thèse de doctorat, Université Blaise Pascal -
Clermont-Ferrand II, 2011, p79. Désormais référencé
[HJA].
10
11
|
|