B- LES LOGIQUES ORGANISATIONNELLES DE LA RESILIENCE DE
BH
La résilience de BH s'explique aussi par la
réduction de l'effectif voire la diversification des forces dans
l'armée et une inertie à repenser la doctrine de défense
qui favorise la baisse du moral des acteurs de luttes.
1- LA REDUCTION DE L'EFFECTIF ET LA DIVERSIFICATION DES
FORCES
DANS L'ARMEE
A la suite de plusieurs attaques contre les postes militaires
avancés, l'armée a réduit leur nombre au profit de la
consolidation de grandes bases. Si ce nouveau dispositif est efficace pour
protéger les militaires, il rend les populations civiles plus
vulnérables. Les militaires exècrent le combat de nuit, qu'ils
trouvent plus pénible. Bien informé, le groupe lance la
majorité de ses attaques de nuit, et fait rarement face à une
intervention de l'armée. Le moral des troupes semble bas, en particulier
au sein des unités régulières. La fatigue et l'usure de la
guerre, les problèmes logistiques et le sentiment d'être
injustement traitées par la hiérarchie, en particulier concernant
les promotions, créent des frustrations. Cela se traduit par un certain
relâchement, et même par
Mémoire présenté et soutenu par KOUOTOU
Sapam Ousmanou Page 85
Construction du dispositif de veille sécuritaire au
Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
des incidents : en octobre 2017, par exemple, un militaire du
rang a retourné son arme contre son commandant. L'on relève par
ailleurs un manque d'équipements du combattant en matériels de
communication ou de transmission. Les zones vulnérables de la menace BH
sont enclavées et n'ont presque pas de couverture de réseaux
téléphonique.
La diversification des forces de lutte contre BH est une
faiblesse en raison du cloisonnement et le déficit de coordination des
forces de défense et de sécurité. Boko Haram
représente une menace transnationale. Sa déterritorialisation
oblige les États à déterritorialiser leurs réponses
sécuritaires pour gagner en efficacité. Mais les
difficultés rencontrées à démarrer de
véritables projets de développement transfrontaliers et le retard
observé dans le financement de la FMM donnent encore l'impression que
les intérêts nationaux l'emportent sur les intérêts
régionaux.
2- INERTIE DANS LA PENSEE SECURITAIRE NATIONALE ET LA
BAISSE DU
MORAL DANS LE DVS
Il est à noter au sein du dispositif de veille
sécuritaire une inaptitude chronique à penser la
sécurité nationale. Agir de façon coordonnée sur
les différents leviers dont la nation dispose pour se défendre,
tel est le principe fondamental qui devrait guider la sécurité
nationale. Force est de constater que la sécurité nationale est
restée enfermée dans une approche théorique avec la
multiplication des attaques terroristes de BH. Face à la menace de type
asymétrique BH, les forces de défense et de
sécurité camerounaise ont montré une incapacité
notoire à mobiliser de manière efficace et coordonnée la
réponse contre BH. Le Cameroun ne parvient ni à élaborer
et mettre en oeuvre des stratégies cohérentes, ni à
développer des logiques dites « d'approche globale ». Qu'il
s'agisse des phases de prévention des crises, des phases de gestion des
crises ou des phases de stabilisation nonobstant la mise en oeuvre de la
Commission National pour le Désarmement, la démobilisation et la
réintégration en abrégée CNDDR105. Ces
institutions échouent à fédérer et coordonner des
actions relevant de leurs missions, comme l'exige pourtant aujourd'hui la lutte
contre le terrorisme islamiste BH. Les pouvoirs publics Camerounais n'alignent
pas, à court, moyen et long termes, les leviers d'action dont ils
disposent. Et ce pour des raisons multiples telles que l'absence d'une doctrine
de sécurité couvrant tous les champs ainsi que
l'impossibilité de se référer à des objectifs
politiques clairs et hiérarchisés, le déficit de
réflexion stratégique sur la finalité des actions
engagées et de définition des priorités, la
105 Décret présidentiel du
Portant création et organisation du CNDDR
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Construction du dispositif de veille sécuritaire au
Cameroun à l'aune de la menace Boko
Haram
fragmentation organique et décisionnelle des
différentes administrations et des opérateurs, redoublée
par un partage flou des responsabilités et par l'absence d'organismes en
charge d'études prospectives à l'exception du ministère de
la Défense.
Le moral des soldats n'est pas meilleur au sein du contingent
camerounais de la Force multinationale mixte (FMM) - force sous
régionale réactivée et reconstituée en 2015 par la
Commission du bassin du lac Tchad pour lutter contre Boko Haram - basé
à Mora dans le Mayo-Sava. L'octroi des primes créé
frustrations et frictions. Beaucoup de soldats pensaient qu'en rejoignant la
FMM, ils auraient un statut de salarié d'une force internationale, comme
c'est le cas pour les soldats de la composante camerounaise de la mission des
Nations unies en Centrafrique. Or la FMM n'est pas une mission onusienne et les
contingents sont payés et équipés par chaque pays.
Certains sont persuadés à tort que leurs supposées primes
« internationales » sont détournées. Il est vrai
néanmoins qu'entre 2014 et 2017, les primes mensuelles allouées
à tout soldat à l'Extrême-Nord par le ministère de
la Défense ont parfois été versées en retard. Des
soldats ont accusé les hauts gradés de détourner ces
primes.
La persistance des attaques résulte enfin de la baisse
de moral des comités de vigilance, due au faible soutien matériel
du gouvernement et aux rumeurs qui circulent sur son détournement par
les autorités administratives locales et des chefs traditionnels. Selon
les présidents de certains comités de vigilance, distinctions et
récompenses seraient parfois remises aux proches des chefs
traditionnels, y compris des individus ne faisant pas partie des
comités, plutôt qu'aux membres les plus engagés. Beaucoup
de membres des comités sont lassés et certains quittent les
rangs.
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