CONCLUSIONGÉNÉRALE
L'État cherche quotidiennement à opérer
un aménagement harmonieux entre les impératifs
sécuritaires et les libertés individuelles et collectives. Cette
conciliation n'est pas toujours évidente et facile à
opérer. Notre préoccupation essentielle a été de
démontrer, dans ce Mémoire, en quoi le hobbisme politique pouvait
contribuer à solutionner ce dilemme auquel se trouve confronté
l'État. La philosophie politique hobbesienne pourrait permettre la
conciliation entre politique sécuritaire et respect des droits civiques.
Pour vérifier cette hypothèse, la réflexion s'est
articulée autour de trois grandes parties.
La première partie s'est intéressée
à la nouvelle grille d'intelligibilité introduite par l'auteur du
Léviathandans le champ épistémologique de la
philosophie politique. À cet effet, dans le premier chapitre, nous avons
examiné le caractère scientifique du hobbisme politique. Les
griefs de ce dernier contre la philosophie politique classique, ainsi que la
scolastique, ont d'abord été relevés avant de passer
à sa systématisation de la science politique. L'essentiel du
reproche que Thomas Hobbes fait aux Anciens est que leur philosophie politique
repose plus sur des chimères que sur la réalité. Quant
à la scolastique, elle s'est fourvoyée, en logeant dans la
divinité la légitimité du pouvoir politique alors que
celle-ci se situe au niveau des hommes. Nous avons établi, ensuite, un
rapport entre le hobbisme politique et la pensée du philosophe florentin
Nicolas Machiavel. Si tous deux s'en sont pris aux classiques, il n'en demeure
pas moins que leurs approches de la politique diffèrent en bien des
points. Contrairement au philosophe de Malmesbury, le secrétaire
florentin n'a pas senti la nécessité de s'attarder sur la
question de l'organisation sociale. Thomas Hobbes, après avoir
montré les lacunes de ses devanciers, a fait de la philosophie politique
une science soucieuse de la rigueur, de la clarté. Il lui a donné
un caractère démonstratif. Pour arriver à ce
résultat, il a dû introduire de nouveaux concepts dans ce champ
disciplinaire, car ceux existants ne lui permettaient pas de rendre compte de
façon efficiente de ce qu'il voulait exprimer. Ces nouvelles notions
systématisées par lui sont, entre autres, le concept
d'état de nature et le contrat social.
C'est à l'analyse de ces concepts novateurs que nous
avons consacré le deuxième chapitre. L'idée d'état
de nature a contribué à saisir l'idée que Thomas Hobbes se
fait de l'homme ; et aussi le type de contrat social à même
de lui assurer une existence paisible. Cette existence paisible passe par la
pacification des rapports que l'homme entretient avec son prochain au
quotidien. D'ailleurs, c'est à cette tâche que le philosophe
anglais voue l'activité politique. Pour atteindre cet objectif,
l'État doit pouvoir asseoir la sécurité et faire
prospérer les libertés individuelles et collectives.
C'est cette équation difficile à laquelle doit
faire face l'État hobbesien, et tout État en
général, que nous avons tenté de résoudre dans la
deuxième partie de notre travail. Pour être beaucoup plus
explicite, nous avons montré le lien dialectique qui existe entre la
sécurité et la liberté dans la philosophie politique
hobbesienne. Le chapitre trois a alors consisté en l'analyse des
concepts de sécurité et de liberté, à partir de
l'idée qu'il s'en fait. Le contenu que l'auteur du
Léviathan donne à ces concepts va au-delà de la
conception commune. D'une part, la sécurité n'est pas, comme le
pense le sens commun, le simple fait d'éviter tout ce qui pourrait nuire
à l'intégrité physique et morale de notre personne, mais
elle est synonyme de paix et englobe tout ce qui pourrait concourir à
rendre l'existence humaine agréable. D'autre part, la liberté
hobbesienne n'est pas synonyme de libertinage. Elle trouve sa manifestation
dans ce qu'autorise la loi civile. Tout ceci concourt à faire de
l'approche hobbesienne de ses deux notions une conception assez
particulière et révolutionnaire.
Après ce travail d'analyse conceptuelle, nous avons
montré, au quatrième chapitre, la signification de la
sécurité et la liberté pour l'État hobbesien. Pour
Thomas Hobbes, l'assise de la sécurité est la première
finalité que devrait s'assigner l'État. Cependant celle-ci, en
elle-même, ne constitue pas une fin en soi, c'est un moyen terme. Cette
étape passée, l'État assurera aux citoyens la jouissance
d'un certain nombre d'éléments de droits. Il en est ainsi, car,
pour Hobbes, si les individus sacrifient la liberté illimitée
qu'ils possédaient à l'état de nature pour intégrer
la société civile, ce n'est pas pour vivre sous le joug de
l'esclavage, de l'oppression d'un quelconque tyran ou despote. En revanche,
c'est pour mieux jouir de leur liberté, une liberté plus
raisonnable, celle qu'encadrent les lois de la république. C'est
à l'abri de celles-ci que chacun pourra véritablement travailler
à sa propre réalisation.
Si Thomas Hobbes a adressé un certain nombre de
critiques à ses devanciers, disons que lui-même n'en a pas
été épargné. Nous avons alors décidé
de consacrer la troisième et dernière partie de cette
étude à l'analyse de ses critiques. À cet effet, nous ne
sommes pas voulus exhaustifs, mais sélectifs. Ces critiques ont
été abordées sous l'angle de l'application du hobbisme
politique dans la quête de sécurité publique et des
libertés civiques. Au chapitre cinq, nous nous sommes
intéressé à ce qui dans le hobbisme politique en ferait
une pensée liberticide notamment sa conception du pouvoir politique
comme devant être absolu ou encore son appel à l'instauration d'un
État qui aurait compétence à régir toutes les
sphères de la vie des citoyens. Bref, c'est à une
véritable exhortation à un étatisme exacerbé.
Après cette critique, somme toute négative du hobbisme politique,
nous avons tout de même voulu rendre justice au philosophe de Malmesbury.
Nous l'avons fait en montrant que s'il y a effectivement étatisme et
absoluité du pouvoir chez ce dernier, sa pensée n'en est pas pour
autant liberticide. Ce à quoi a été consacré
entièrement notre sixième et dernier chapitre. Nous y avons
d'abord relevé les amalgames et autres confusions qui sont faits sur le
concept d'absolutisme hobbesien et nous avons clos avec l'analyse des
garde-fous juridiques formulés par Thomas Hobbes pour préserver
la dignité humaine.
En guise de conclusion, nous estimons, et ce à juste
raison d'ailleurs, que même si la philosophie politique hobbesienne
prête le flanc à certaines critiques, il n'en demeure pas moins
que si des analyses sérieuses, exemptes de tous ces travestissements
dont elle est généralement l'objet, étaient faites, c'est
une pensée dont la mise en application pourrait concourir à la
consolidation des droits humains tant en matière de politique
sécuritaire que dans d'autres domaines. Cependant, l'époque
contemporaine n'étant pas l'époque qui a vu naître
l'hobbisme politique, il convient de l'adapter aux réalités
actuelles. Les conditions d'adaptation et d'application pourraient constituer
l'objet d'un sujet d'étude.
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