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Sécurité et liberté chez Thomas Hobbes


par Jacob Koara
Université Joseph Ki Zerbo  - Master 2022
  

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2. L'habeas corpushobbesien

Dans le débat actuel sur la question d'une meilleure harmonisation des impératifs sécuritaires avec les exigences de l'État de droit qui animent la vie politique des États confrontés à des problèmes sécuritaires, le hobbisme politique pourrait se révéler être la panacée. N'en déplaise aux détracteurs de Thomas Hobbes, le hobbisme politique, pour ce qu'en pense Adamou Dilwani, est un véritable plaidoyer en faveur du respect de la liberté et des Droits de l'Homme256(*). Dans la même veine, Michel Villey, dans son livre Le Droit et les droits de l'homme, même s'il ne fait pas de Hobbes l'inventeur du concept de Droits de l'Homme, il estime néanmoins que c'est sous sa plume notamment au chapitre XIV de son ouvrage Léviathan que le terme a été amplement tamisé pour la première fois257(*). C'est pourquoi selon toujours Michel Villey, il pourrait être désigné comme celui-là même qui aura posé les premiers jalons de la science juridique moderne258(*). À l'écouter, il est permis de voir dans l'hobbisme politique la source de la fondation des Droits de l'Homme. Et cela, à cause de sa rupture avec les classiques et la rigueur de sa démarche et de la suite logique des arguments qu'il développe dans son approche du droit. Sur cette base, il reste établi que l'auteur du Léviathan, en véritable défenseur des Droits de l'Homme et du Citoyen, inviterait l'État dans la poursuite de sa mission principale d'assurer la sécurité des citoyens au respect strict de leurs droits civiques. Pour utiliser une terminologie juridique adéquate, il promeut ce que nous pourrions qualifier d'habeas corpus.

L'habeas corpusest une notion juridique qui énonce une liberté fondamentale, celle de ne pas être emprisonné sans jugement, contraire de l'arbitraire qui permet d'arrêter n'importe qui sans raison valable. En vertu du principe, toute personne arrêtée a le droit de savoir pourquoi elle est arrêtée et de quoi elle est accusée. Ensuite, elle peut être libérée sous caution, puis amenée dans les jours qui suivent devant un juge259(*).

Ces dispositions juridiques révolutionnaires qui visent à éviter aux citoyens de tomber sous le coup de l'arbitraire, sont perceptibles dans le hobbisme politique. L'auteur du Léviathansoutient, d'une part, qu'un citoyen ne peut être tué sous prétexte de la prévention d'un crime qu'il pourrait commettre260(*). Il faut que le crime soit constaté et établi avant la prononciation de toute condamnation. D'autre part, le citoyen ne peut être arrêté de manière arbitraire, en tenant de la présomption d'innocence dont il bénéficie. Il ne peut être condamné, sans être auparavant passé devant un juge pour défendre sa cause. Ce serait bafouer ses droits, notamment celui d'être entendu. Convoquons Hobbes lui-même pour étayer nos dires : On ne peut « punir aucun homme avant de l'avoir entendu en justice et déclaré coupable »261(*) parce que sa conviction, c'est que « les juges qui condamnent sans avoir entendu les preuves sont des juges injustes. »262(*)

En outre, s'il advenait que la détention soit nécessaire pour s'assurer que l'accusé ne prenne la fuite avant la tenue de son procès, le mis en cause ne doit faire l'objet d'aucune torture263(*). L'intégrité de sa personne doit être préservée. Autant comprendre avec Hobbes que toute forme de torture, physique ou psychologique, est absolument proscrite : Le justiciable ne doit être victime ni de mutilation ni de viol. On ne peut non plus lui inspirer la terreur, en lui faisant croire qu'il sera tué ou blessé pour lui arracher des aveux. Cette manière de faire constitue en elle-même des crimes graves contre sa personne, fut-elle suspectée de crimes odieux. Ce que Hobbes prévient ici, c'est que sous l'effet de la torture, un prisonnier est capable d'avouer n'importe quoi rien que pour faire cesser son supplice. Et on ne pourrait point l'en vouloir. De tels aveux, soutirés sous le coup de la torture, ne peuvent être retenus comme juridiquement valables contre la personne de l'accusé264(*).

Par ailleurs, le juge commis pour juger l'affaire doit être impartial. D'une part, ce ne doit pas être une cause dans laquelle il a lui-même des intérêts et cela en vertu du principe juridique qui stipule que personne ne peut être juge et parti. D'autre part, avant de rendre son verdict, il se doit d'écouter soigneusement et objectivement toutes les parties au conflit, en prenant soin de vérifier la véracité des faits rapportés par les témoins. Il devra s'assurer de l'objectivité de la déposition des témoins qui ont assisté à l'événement. Pour Thomas Hobbes, « un témoin doit avoir vu ce qu'il atteste, sans quoi son témoignage ne vaut pas »265(*) un penny. Un témoin qui se ferait payer pour parjurer devant le juge serait passible de poursuites juridiques266(*) pour faux témoignage puisqu'induisant volontairement le juge en erreur. En sus, la loi en elle-même ne peut prévoir des dispositions qui éliminent du procès des preuves qui peuvent innocenter un individu267(*) mensongèrement accusé.

Au-delà de son impartialité, le juge doit posséder certaines qualités accessoires. Le philosophe de Malmesbury en identifie quatre268(*) principalement. La première, c'est qu'il doit avoir une compréhension assez correcte de la principale loi de la nature qu'est l'équité. La seconde est celle d'être une personne incorruptible. Car percevoir de l'argent préalablement ou après pour rendre un verdict favorable à l'accusé, constitue un délit plus grave que le crime du mis en cause269(*). Ainsi, Thomas Hobbes condamne-t-il la corruption des magistrats. Pour lui, un bon magistrat doit éprouver le mépris des richesses superflues et de l'avancement immérité pour l'ensemble de sa carrière professionnelle. La troisième, le bon magistrat doit avoir une grande capacité à se dépouiller de ses émotions et sentiments, telles la colère, la haine, l'affection et la pitié. Il ne doit s'en tenir qu'à la loi et seulement qu'à la loi. Enfin, ce doit être une personne qui a le sens de l'écoute, c'est-à-dire qui a la patience d'écouter.

Bien plus, Hobbes va plus loin pour dire qu'un citoyen ne peut être condamné sur la base d'une loi édictée après son délit. On peut alléguer qu'il formule, en droit et ce avant l'heure, ce qu'on appelle de nos jours le principe de la non rétroactivité de la loi.  Seul le crime postérieur à la loi tombe sous le coup de celle-ci : « Aucune loi faite après qu'un acte a été accompli ne peut faire de cet acte un crime »270(*). Mieux, sous son instigation, la loi doit faire l'objet d'une publicité. Une fois élaborée, elle doit être publiée, notifiée aux citoyens pour avoir valeur de loi271(*), exception faite des lois de nature que tout homme découvre grâce à la raison272(*). Ce principe hobbesien peut-être l'instigateur de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 qui stipule : « Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit »273(*).

Si Thomas Hobbes prescrit une hiérarchisation des crimes, c'est parce qu'il estime qu'il y a des crimes plus graves que d'autres. Si « les Stoïciens tenaient pour un aussi grand crime de tuer une poule illégalement que de tuer son père »274(*), tel n'est pas la certitude du philosophe de Malmesbury. En somme, il y a dans le hobbisme politique ce qu'on pourrait qualifier, selon le lexique juridique, de délit mineur. Les crimes commis à l'encontre de particulier tels le vol, l'infidélité, sont moins graves que ceux commis contre la personne de la république, notamment le vol de derniers publics, l'usurpation de titres des agents publics, le monnayage de secrets d'État. Bref, « le même acte, quand il a pour résultat de causer un dommage à beaucoup de gens, est plus grave que s'il a pour résultat de nuire à un petit nombre »275(*).

S'il y a des crimes plus graves que d'autres, les châtiments à infliger devraient suivre la même logique. Les peines corporelles, pécuniaires, l'emprisonnement, l'exil, l'ostracisme doivent être prononcées en fonction de la gravité du crime. Thomas Hobbes le dit expressément en ces termes : « Les châtiments les plus sévères doivent être réservés aux crimes qui sont les plus dangereux pour le bien public »276(*). Toutefois, s'il advenait que la peine encourue a été notifiée au coupable avant son délit, il est permis de lui faire écoper d'une peine plus lourde277(*) dans la mesure où ce dernier a agi en connaissance de cause.

De tout ce qui précède, on se rend compte que l'auteur du Léviathan met un point d'honneur à l'observance du respect des droits civiques des citoyens. Ces garde-fous juridiques sonnent comme des injonctions clairement faites à l'État de quêter la sécurité publique dans la stricte révérence de la dignité humaine.

* 256Adamou Dilwani, « Le Hobbisme comme théorie de la démocratie », in Perspectives philosophiques, Vol. 8, n°16, 2018.

* 257 Sur le sujet, Frank Tinland estime que se référer à Hobbes dans la formation des Droits de l'Homme comme le fait Michel Villey relève de la provocation car il serait difficile de concilier le caractère absolu du pouvoir politique hobbesien et les droits humains. Cf. Frank Tinland, « Droit à la vie, fondement contractuel de la paix civile et nécessités de l'ordre public selon Th. Hobbes et J.-J. Rousseau », in Revue d'histoire et de philosophie religieuse, Vol. 65, n°2, Avril-juin 1985, p. 154.

* 258Michel Villey, Le Droit et les droits de l'homme, Paris, PUF, 1983, p. 136.

* 259 « Habeas corpus », in www.wikipédia.com, consulté le 21/06/2021.

* 260 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 320.

* 261 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 336.

* 262 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 298.

* 263 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 336.

* 264 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 140.

* 265 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 525.

* 266 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 140.

* 267 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 298.

* 268 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 302.

* 269 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 328.

* 270Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 316.

* 271Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 289

* 272Thomas Hobbes, Op. Cit.,p. 290.

* 273 Pierre Bercis, Guide des droits de l'homme. La conquête des libertés, Paris, Hachette Éducation, 1993, p. 43.

* 274 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 322.

* 275Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 327.

* 276Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 371.

* 277Thomas Hobbes, Idem.

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