![]() |
Sécurité et liberté chez Thomas Hobbespar Jacob Koara Université Joseph Ki Zerbo - Master 2022 |
2. L'absolutisme politique comme substrat de la théorie hobbesienneLe « pouvoir absolu veut dire, pour Hobbes, le plus grand pouvoir qu'un être mortel puisse détenir de droit »223(*). Le pouvoir politique du souverain est incommensurable, indivisible, sans partages et sans bornes. Son essence est d'être absolue. Le souverain hobbesien détient à lui seul les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire : il est celui qui fait la loi, qui est habilité à l'interpréter et à la faire exécuter. Cet état de fait nous permet de proclamer avec Jean-Pierre Zaraderque Hobbes est fortement opposé à ces moyens de contrôle constitutionnels dont les démocraties modernes s'entourent pour s'efforcer de poser des limites au pouvoir (pouvoir soupçonné, implicitement ou explicitement, d'avoir une tendance à l'excès). L'idée même d'un Conseil constitutionnel relèverait donc, selon Hobbes, de ces «opinions séditieuses» qui sont susceptibles de mettre en danger la notion même de souveraineté224(*). La doctrine hobbesienne se démarque visiblement du système démocratique qui veut qu'il y ait des limites, des garde-fous au pouvoir politique. C'est même une flagrante absurdité que de vouloir le faire. Pour Thomas Hobbes, peu importe le type de gouvernement auquel nous avons affaire, la nature intrinsèque du pouvoir politique est d'être absolue. Il n'y a que les modalités d'accès et d'usage qui peuvent changer. Que ce soit donc un régime démocratique, aristocratique ou monarchique, la seule différence entre ces trois espèces d'État ne réside pas dans une différence de pouvoir mais dans une différence de commodité ou d'aptitude à procurer au peuple la paix et la santé et la sécurité, qui sont la fin en vue de laquelle elles ont été instituées225(*). Le pouvoir est simplement exercé de manière différente et peut-être avec plus de facilité dans certains types de régime plus que d'autres, mais sa quintessence est d'être absolue. Les différents rapports existant entre les types de pouvoir dans l'État sont de telle nature que céder l'un de ses pouvoirs à un tiers, c'est en réalité, ne plus détenir le pouvoir. En outre, l'absence d'un pouvoir absolu est, de l'avis de Hobbes, cause d'affaiblissement et de dislocation de la république : « Qu'est-ce en effet que diviser le pouvoir d'une République, si ce n'est le dissoudre ? »226(*) Il en veut pour preuve la toute puissante Rome dont le trépas est imputable au partage du pouvoir entre le sénat et le peuple227(*). En vérité, dans une telle situation, lorsqu'il faut prendre des décisions urgentes pour le salut de la république les hommes se perdent dans des discussions inutiles, ce qui a pour corolaire d'entraver le bon fonctionnement de l'État. De nos jours, il n'est pas rare de voir dans les républiques démocratiques, les tractations interminables plomber le bon fonctionnement de la machine gouvernementale. Si les décisions tardent à être prises en régime démocratique, c'est parce qu'il faut d'abord requérir l'avis de tous. Or, quand le pouvoir de décision appartient à un seul comme dans un régime dit absolutiste, les choses se font promptement et les pertes inutiles de temps sont circonscrites. D'autre part, la division du pouvoir politique et son exercice par diverses personnes a pour effet de créer des groupuscules qui se préoccupent plus de la défense de leurs intérêts égoïstes que du salut de la république. Chacun se lance dans des rhétoriques fastidieuses et fallacieuses pour rallier les autres à son opinion. Le constat hobbesien selon lequel « des pouvoirs divisés se détruisent l'un l'autre »228(*) est, certes, amer et triste, mais il se révèle au fond être un véritable truisme au regard de l'expérience quotidienne de la vie politique des sociétés démocratiques. L'autre atout indéniable, c'est que le pouvoir absolu ne peut faire l'objet d'une contestation. Exception faite de la résistance à toute tentative d'atteinte à leur droit à la vie, les citoyens doivent, selon Thomas Hobbes, se résigner dans toutes les autres circonstances à une obéissance totale, une déférence complète à l'autorité politique et à l'exécution pure et simple de ses décisions. Aussi manquer de docilité envers le souverain constitue-t-il un crime de lèse-majesté. Se révolter dans toute autre situation que celle que nous avons mentionnée, c'est être atteint de folie229(*). Mieux, contester l'autorité du souverain s'apparenterait à une remise en cause du contrat social, donc à un retour à l'état de nature. Autrement dit, la contestation de l'autorité politique conduirait inéluctablement à sa ruine. En vérité, si Hobbes réclame une soumission sans réserve de la part des citoyens, Gabriel Hürlimann estime que, loin d'être un fossoyeur des libertés individuelles et collectives, sa préoccupation reste de savoir comment déployer un système politique susceptible de réduire au minimum la possibilité de recourir à la force dans l'élaboration des stratégies de résolution de conflits en matière de politique intérieure ? Comment éviter qu'un groupe d'individus mécontents et prêts à recourir à la violence ne puisse revendiquer son droit d'opposer ouvertement résistance à un ordre émanant du monarque ?230(*) De toute évidence, le hobbisme politique ambitionne de bannir toute violence du corps politique, exception faite de celle qui émane de l'autorité politique. Dès lors, on comprend qu'il ne puisse admettre le droit de révolte. À en croire, Philippe Nemo, « en définitive, le souverain est tout et peut tout, les sujets rien. Certes, c'est là, pour les sujets, Hobbes l'admet, une situation misérable ; mais il faut comparer cette situation à celle de la guerre civile »231(*). Une telle lecture du philosopher politique de Hobbes permet de voir que cette pensée est aux antipodes de la conception actuelle du pouvoir politique. Elle ne pouvait susciter que des critiques. À cet effet, certains analystes politiques déploieront un autre type d'argumentaire pour montrer que l'auteur du Léviathan est en vérité victime de mauvaises interprétations. Dans leur approche de son système, Thomas Hobbes apparaît comme un penseur soucieux du bien-être des citoyens. C'est ce que nous allons voir dans le chapitre qui suit. * 223 Yves Charles Zarka, « Hobbes » in Denis Huisman, Dictionnaire des philosophes, Paris, PUF, 1984, p. 1231. * 224 Jean-Pierre Zarader, Petite histoire des idées philosophiques, suivi d'un essai : Le Statut de l'oeuvre d'art chez André Malraux, Paris, Ellipses, 1994, p. 45. * 225 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 195. * 226 Thomas Hobbes, Léviathan, trad. François Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 347. * 227 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 343 * 228 Thomas Hobbes, Op. Cit., p. 347. * 229 Thomas Hobbes, Op. Cit.,p. 71. * 230 Gabriel Hürlimann, « Hobbes, Foucault et la peur de la révolte », trad. Ariane Kiatibian, in Rue Descartes, Vol. 1, n°77, 2013, p. 52. * 231 Philippe Nemo, Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Paris, PUF, 2002, p. 153. |
|