B : Les instances non dotées du pouvoir de
sanction
Opérant dans un environnement de plus en plus complexe
et sous l'empire d'un arsenal juridique très diversifié, les
sociétés d'assurances et de réassurance peuvent se trouver
sous la supervision de plusieurs instances de régulation.
Bien qu'elles soient dépourvues du pouvoir de sanction
et ne sont dotées que du pouvoir d'enquête et de la saisine, ces
instances peuvent agir sur le comportement de ces sociétés afin
d'assurer le respect des lois et des bonnes pratiques notamment en
matière de l'information financière pour le
Conseil du Marché
Financier (CMF) (I), en matière de
protection des données personnelles pour l'Instance
Nationale de Protection des
Données Personnelles (INPDP)
(II) en matière de lutte contre la corruption pour
l'Instance Nationale de
Lutte Contre la Corruption
(INLUCC) (III)
I. Le conseil du marché financier
(CMF)
Considérées par la loi comme des
sociétés faisant appel public à l'épargne, les
sociétés d'assurances et de réassurances sont soumises au
contrôle du CMF au sens de la loi n° 94-117 du 14
Novembre 1994 portant réorganisation du marché financier. De ce
fait, il importe de présenter cette autorité de supervision
appelée conseil du marché financier (a) avant de
détailler les attributions dont il est doté
(b).
29 Voir l'article n° 15 de la loi n° 2015-36
du 15 septembre 2015.
30 Voir l'article n° 43 de la loi n° 2015-36
du 15 septembre 2015.
a)
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Présentation du CMF
Le CMF a été créé par la loi
N° 94-117 du 14 Novembre 1994 portant réorganisation du
marché financier. C'est une autorité publique,
indépendante, qui dispose de la personnalité morale et de
l'autonomie financière. Il a comme missions principalement :
> la protection de l'épargne investie en valeurs
mobilières.
> l'organisation des marchés et leur bon
fonctionnement conformément à la règlementation
applicable.
> Assurer aux investisseurs leur droit à une
information financière fiable.
> Contrôler et statuer sur les manquements à la
réglementation et saisir la juridiction pénale le cas
échéant.
> Emission des règlements régissant les
marchés et les divers intervenants relevant de son autorité
b) Les attributions du CMF
Il est à noter que le pouvoir d'infliger les sanctions
dont il dispose le CMF exclut de son étendue les
émetteurs de titres31, dès lors les entreprises
d'assurances et de réassurance en leurs qualités de
sociétés faisant appel public à l'épargne ne sont
soumises qu'au contrôle relatif à l'information financière.
Mais rien n'empêche cette autorité publique de saisir la
juridiction compétente.
Disposant des départements techniques dans son
organisation, le CMF est habilité à mener des
missions de contrôle et d'investigation relevant juridiquement de ses
attributions, à ce titre, il peut procéder à :
> L'étude et le contrôle des documents d'un
point de vue juridique et financier et détecter les
irrégularités.
> La vérification du bien-fondé des
irrégularités constatées et émettre les
recommandations nécessaires.
> La correction des irrégularités en
demandant aux sociétés concernées de procéder
à des publications rectificatives.
> Contrôler les franchissements des seuils de
participation.
> La vérification de l'exactitude de tout type
d'information financière reliée aux sociétés
faisant appel public à l'épargne.
> A la vérification du respect des délais
réglementaires de communication et de publication de l'information
financière.
Les activités de contrôle et d'enquête du
CMF ne se limitent pas à des tâches
d'extrapolation comme détaillé, en outre, des actions peuvent
être engagées par cette autorité pour prévenir,
constater ou réprimer les infractions. Ainsi le CMF
peut procéder à des contrôles et investigations
sur pièces et sur place auprès de toute personne
concernée32 , engager des plaintes33 , saisir les
pièces et les documents, et convoquer, interroger et auditionner les
personnes concernées34 .
31 L'article n° 41 de la loi n° 1994-117 du
14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché
financier.
32 L'article n° 36 de la loi n° 1994-117 du
14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché
financier.
33 L'article n° 34 de la loi n° 1994-117 du
14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché
financier.
34 L'article n° 37 de la loi n° 1994-117 du
14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché
financier.
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II. L'instance nationale de protection des données
personnelles (INPDP)
La souscription et la gestion de certains produits
d'assurances nécessitent de recueillir un grand nombre de données
à caractère personnel35, voir même,
sensibles36, de nature financières et patrimoniales pour les
contrats d'épargne, de nature médicales pour les contrats de
prévoyance... etc. De ce fait, les entreprises d'assurances et de
réassurance ne doivent pas sous-estimer le risque de contrôle
(b) de l'INPDP (a).
a) Présentation de l'INPDP
Créée par la loi organique n° 2004-63 du
27 juillet 2004, relative à la protection des données à
caractère personnel, l'Instance
Nationale de Protection des
Données Personnelles jouit de la
personnalité morale et de l'autonomie financière.
Au sens de l'article 76 de ladite loi, l'INPDP
est chargée principalement des missions suivantes:
> Accorder les autorisations et recevoir les
déclarations pour la mise en oeuvre du traitement des données
à caractère personnel.
> Recevoir les plaintes portées dans le cadre de la
compétence qui lui est attribuée par la loi.
> Déterminer les garanties indispensables et les
mesures appropriées pour la protection des données à
caractère personnel.
> Accéder aux données à
caractère personnel faisant l'objet d'un traitement afin de
procéder à leur vérification, et collecter les
renseignements indispensables à l'exécution de ses missions.
> Donner son avis sur tout sujet en relation avec les
données personnelles.
> Elaborer des règles de conduite relatives au
traitement des données à caractère personnel.
> Participer aux activités de recherche, de
formation et d'étude en rapport avec la protection des données
à caractère personnel.
b) Les pouvoirs de l'INPDP
Non dotée du pouvoir d'infliger des sanctions,
l'INPDP est une autorité de contrôle par
excellence et elle est en mesure d'exercer ce contrôle soit au
préalable soit à posteriori.
Le contrôle préalable consiste principalement en
l'octroi des autorisations en matière de L'utilisation des moyens de
vidéo-surveillance37 et la réception des
déclarations en matière de collecte et de traitement des
données à moins que la loi n'exige explicitement l'obtention
d'une autorisation préalable38.
35 On entend par données à
caractère personnel toutes les informations quelle que soit leur origine
ou leur forme et qui permettent directement ou indirectement à
identifier une personne physique ou la rendent identifiable à
l'exception des informations liées à la vie publique ou
considérées comme telles par la loi.
36 Ce sont des informations qui
révèlent la prétendue origine raciale ou ethnique, les
opinions politiques, les convictions religieuses ou philosophiques ou
l'appartenance syndicale, ainsi que les données
génétiques, des données biométriques, des
données concernant la santé ou des données concernant la
vie sexuelle ou l'orientation sexuelle d'une personne physique...
37 Voir l'article 69 de la loi organique
n°2004-63 du 27 juillet 2004.
38 Voir les articles 7 et 8 de la loi organique
n° 2004-63 du 27 juillet 2004.
26
Le contrôle postérieur consiste en le droit
donné à cette instance de mener des enquêtes. Dans ce cadre
et au sens de l'article 77 de la loi n° 2004-63 que « L'instance peut
procéder aux investigations requises en recueillant les
déclarations de toute personne dont l'audition est jugée utile et
en ordonnant de procéder à des constatations dans les locaux et
lieux où a eu lieu le traitement à l'exception des locaux
d'habitation ».
Pour des fins de transparence et d'équité
l'INPDP peut se faire assister, dans le cadre de ses missions,
par les agents assermentés pour effectuer des recherches et des
expertises spécifiques, ou par des experts judiciaires, ou par toute
autre personne jugeant utile sa participation sans pouvoir lui opposer le
secret professionnel.
Les pouvoirs de l'instance ne se limitent pas à
recevoir les déclarations et donner les autorisations ou faire les
investigations qu'elle juge utiles, mais elle peut saisir la justice, voir
même elle est tenue « d'informer le procureur de la
république territorialement compétent de toutes les infractions
dont elle a eu connaissance dans le cadre de son travail
»39.
III. L'Instance Nationale de Lutte Contre la
Corruption (INLUCC) Les entreprises d'assurances et de
réassurance constituent une scène favorable pour les criminels
à col blanc, et un terrain fertile pour la criminalité
financière comme le blanchiment d'argent, les conflits
d'intérêts, les commissions frauduleuses, les cadeaux illicites,
les extorsions ou détournements de fonds, les abus de pouvoir, le
népotisme et le favoritisme, encore le contournement
délibéré des règles internes, contractuelles et des
lois, visant à obtenir un avantage matériel ou moral indu...etc.
Dès lors ils sont concernés par les activités de
l'INLUCC (a) et sont tenus de se soumettre à son
contrôle (b) le cas échéant.
a) Présentation de l'INLUCC
Par son article 12, le décret-loi cadre n°
2011-120 du 14 novembre 2011, relatif à la lutte contre la corruption, a
créé « une instance publique indépendante
dénommée instance nationale de lutte contre la corruption
dotée de la personnalité morale et de l'autonomie administrative
et financière ».Elle se présente comme la garante de la mise
en oeuvre d'une politique nationale de lutte contre la corruption basée
sur les axes suivants40 :
> Développer les efforts fournis pour la
prévention de la corruption et sa détection.
> Garantir la poursuite des auteurs de la corruption et leur
répression.
> Soutenir les efforts internationaux de lutte contre la
corruption.
> limiter l'incidence de la corruption et veiller à la
restitution du produit des
infractions.
C'est dans le cadre de cette politique nationale de lutte
contre la corruption que l'INLUCC est chargée de :
> « Proposer des politiques de lutte contre la
corruption et le suivi de son exécution en collaboration avec les
parties concernées.
> Emettre des directives générales sur la
prévention de la corruption et prévoir les
moyens adéquats de sa détection, en collaboration
avec les parties concernées.
> dévoiler les foyers de la corruption dans les
secteurs public et privé.
39 L'article 77 de la loi organique n°
2004-63.
40 L'article n° 1 du
décret-loi cadre n° 2011-120 du 14 novembre 2011, relatif
à la lutte contre la corruption.
27
? recevoir des plaintes et dénonciations, procéder
à l'instruction et la transmission des
infractions de corruption aux autorités compétentes
y compris la justice »41.
b) Les pouvoirs de l'INLUCC
Selon l'article 18 du décret-loi cadre n°2011-120,
l'INLUCC est composée d'un président, d'un
conseil, d'un organe de prévention et d'investigation et d'un
secrétariat général.
Pour notre sujet, il importe de nous arrêter sur la
facette spécifique de l'organe de prévention et d'investigation
pour mettre la lumière sur son rôle dans le dévoilement du
crime financier.
Au sens de l'article 31 dudit décret-loi, cet organe
est doté du pouvoir « d'enquêtes et d'investigation et il est
habilité à enquêter sur les infractions de corruption. Dans
ce cadre, il est chargé de la collecte des informations, documents et
témoignages permettant l'investigation sur la suspicion de commission
d'infractions de corruption par toute personne physique ou morale, publique ou
privée, organisation, association ou instance qu'elle que soit sa nature
et la vérification des informations et des documents collectés et
de leur authenticité, et ce, avant leur transmission aux pouvoirs
judicaires compétents afin de poursuivre leurs auteurs ».
« L'instance peut procéder à des actes de
perquisitions et de saisie de documents et biens dans tous les locaux
professionnels et privés qu'elle juge nécessaire de
perquisitionner, et ce sans autre procédure. Les procès-verbaux
et les rapports rédigés par l'organe de prévention et
d'investigation lors de l'accomplissement des travaux d'investigation sur les
infractions de corruption font foi jusqu'à inscription de faux
».
Afin de réussir ses missions d'investigations et de
réquisitions, l'article 35 dudit décret-loi stipule que «
toute personne physique ou morale est tenue de fournir au président de
l'instance tous les documents dont il dispose ou déclarations sur tout
ce qui a été porté à sa connaissance ou il a
vécu ou il a pu obtenir comme informations et données entrant
dans le cadre des attributions de la commission ».
A la fin de ce premier chapitre on peut légitimement
confirmer que la conformité, avant d'être une fonction
imposée par la règlementation en vigueur, est par essence une
culture qui consiste pour l'entreprise, d'une part, à adopter des
valeurs propres à elle formulées en concepts
génériques (intégrité, probité, droiture,
incorruptibilité, etc.), d'autre part à une maitrise parfaite de
son environnement juridique pour en servir de base pour le développement
de ses propres politiques ou stratégies et l'élaboration et la
mise en place des règles de conduite pour l'ensemble des
collaborateurs.
C'est en vertu de cette culture que l'entreprise d'assurance
ou de réassurance se trouve à l'abri d'un ensemble de sanctions
de diverses rigueurs, mais plus encore, c'est par cette culture que
l'entreprise peut acquérir le statut de « l'entreprise
citoyenne » et jouer ainsi un rôle déterminant
dans la relève des défis liées à
l'intérêt général comme la lutte contre le
blanchiment d'argent et le financement de terrorisme, la prévention et
la lutte contre la corruption, etc.
41 L'article n°13 du décret-loi cadre
n° 2011-120 du 14 novembre 2011, relatif à la lutte contre la
corruption.
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L'entreprise d'assurance ou de réassurance est
appelée à adhérer à la démarche
collaborative mise en place par le gouvernement dans de divers domaines. C'est
par cette adhésion et par sa vive collaboration avec des instances ne
disposant pas de pouvoir de contrôle42 sur son activité
que l'entreprise témoigne encore une fois sa conformité.
42 En matière de LAB et FT, les entreprises
d'assurances et de réassurance sont appelées par exemple à
collaborer quotidiennement avec la Commission
Tunisienne des Analyses
Financières (CTAF) sans être
soumise à son contrôle.
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