2- Le système budgétaire
Le système budgétaire a fait l'objet
d'importants travaux portant à la fois sur son organisation, ses
fonctions et les missions des contrôleurs en tant qu'acteurs essentiels
de ce dernier (Morad, 2014). Si de nombreuses études ont tenté de
comprendre les effets positifs ou négatifs du budget sur les
comportements dans une organisation (Hartmann, 2000), elles restent souvent
aussi partielles que contradictoires (Morad, 2014). En effet, comme le
soulignent Sponem et Lambert (2010, p.161), « La majorité des
travaux fait ainsi l'hypothèse que l'on peut étudier les
différentes dimensions du budget de manière indépendante
les unes des autres ». L'autre pendant de la recherche sur le
contrôle budgétaire concerne ses rôles : planification,
coordination, évaluation, (Morad, 2014). Or, là encore, il
apparaît que des relations dichotomiques soient envisageables comme l'a
indiqué Berland (1999, p.6) pour qui « Le contrôle
budgétaire se voit ainsi attribuer un ou plusieurs rôles dans
chaque entreprise. Plusieurs de ces fonctions sont pourtant incompatibles deux
à deux ». Pour Bouquin (2005), le contrôle
budgétaire balance entre deux dimensions propres à son
herméneutique, comme le choix entre management et gestion,
maîtrise et contrôle, pilotage et mesure. C'est
précisément le déséquilibre entre ces fonctions
(Berland, 2004) qui constitue la pierre d'achoppement de nombreux travaux se
rapportant au contrôle budgétaire. L'efficacité de ce
dernier semble dépendre tout autant de son aptitude à
réaliser effectivement l'ensemble des fonctions qui lui sont
assignées qu'à sa capacité à les concilier dans le
but d'aider au mieux les managers dans la prise de décision et le
pilotage de celles-ci (Morad, 2014). En cela, il est possible de
s'intéresser à la question de la configuration même du
système budgétaire sous l'angle desmissions attribuées aux
contrôleurs de gestion dans une organisation où les
activités de mesure et de pilotage sont plus clairement définies
(Morad, 2014).
La littérature a révélé plusieurs
limites du modèle de contrôle budgétaire depuis nombre
d'années à partir des travaux d'Argyris (1953) sur les effets
négatifs du budget sur les organisations sur un plan technique
(qualité du contrôle) et managérial (comportements des
individus) (Morad, 2014). Le contrôle budgétaire ne répond
plus parfaitement aux exigences des Directions générales ni
à celles de leurs utilisateurs (Morad, 2014).
On relève, en effet, un véritablemanque de
fiabilité dans l'information financière transmise par le
contrôle budgétaire ainsi qu'un biais certaindans les
prévisions qu'il propose au point que l'outil de mesure de la
performance queconstitue le contrôle budgétaire a
été contesté (Zrihen, 2002 ; Gignon-Marconnet, 2003
;Bescos et al., 2004 ; Hall, 2008). Certains auteurs ont même
développé une voie appeléecommunément par les
anglo-saxons « Beyond Budgeting »et qui signifie
« gestion sans budget »(Drtina et al,
1996 ; Hope et Fraser, 2003). Cette voie faisait écho en France à
une étudede la DFCG (Association des Directeurs Financiers et des
Contrôleurs de Gestion) aumilieu des années 90, qui posait
clairement la question : «Faut-il tuer le budget ? ».
Desétudes ont alors tenté de comprendre les raisons de ces
critiques et la façon de sortirdu carcan budgétaire
(Gignon-Marconnet, 2003 ; Bescos et al, 2004 ; Lorain 2010) sans
pour autant apporter de réponse claire tant la diversité des
pratiques rend la chose impossible. Les travaux de Berland (2004) ont pris la
mesure de cette difficulté en tentant d'approfondir les causes des
critiques faites au contrôle budgétaire, à partir d'une
étude qualitative dont les résultats montrent clairement que
c'est dans sa dimension managériale que la pratique budgétaire
devient épineuse, en particulier pour les managers. De nombreux travaux
empiriques montrent, que le tableau de bord présente les
caractéristiquespour pallier la majorité de ces
déficiences. Ainsi, plusieurs auteurs soutiennent l'idée que le
tableau de bord ne peut pas se substituer aux budgets et qu'il convient
plutôt de rechercher lescomplémentarités entre les outils
(Mendoza et Zrihen, 1999 ; Méric, 2003).
Plus récemment, Sponem et Lambert (2010), dans un
prolongement des travaux de Berland, ont observés dans une approche
configurationnel du processus budgétaire, que les critiques ne sont pas
nécessairement liées à la multiplication des rôles
en indiquant (p. 180) que «contrairement à l'hypothèse
émise par Arwidi et Samuelson (1993), il semble que la multiplication
des rôles alloués au budget n'entraîne pas forcément
des critiques ». Ils précisent, en outre, à l'instar de
Berland, que la dimension managériale du contrôle reste la plus
contestée : «le budget est critiqué de manière
plus importante dans le groupe «budget diagnostique» qui l'utilise
uniquement pour responsabiliser, motiver et contractualiser ». C'est
pourquoi, le système budgétaire est accusé de produire des
effetsnégatifs sur les comportements des individus dont
l'évaluation est associée aux budgets sur lesquels se polarise
l'attention et qui deviennent synonymes de pression (Morad, 2014). Les
praticiens et les chercheurs admettent ainsi aujourd'hui que la technique
budgétaire ne semble plus en mesure d'assurer un certain nombre de
rôles dévolus désormais aux systèmes de mesure de la
performance (Zian, 2013).
3- Les tableaux de bords
Le TB n'est pas une démarche nouvelle (Alazard et
Sépari, 2018) car les entités ont pour habitudes de piloter leurs
performances en termes de coûts et de productivité. Mais les
concepteurs n'intégraient que des indicateurs financiers jusqu'aux
années 90. Plusieurs auteurs ont proposé aux entreprises de
développer de nouveaux modèles d'évaluation de la
performance qui regrouperaient des mesures financières et non
financières (Zian 2013). La performance définie en terme
financier ne suffit plus (Kaplan et Norton, 1996).Il apparaît
également une évolution dans la construction même des
indicateurs avec de nouvelles démarches, comme la méthode OVAR
(Alazard et Sépari, 2018) utilisée notamment pour
l'élaboration du « tableau de bord à la
française ». Zian donne dans ses travaux une
clarification de cette méthode« Dans la méthode
OVAR, la construction du tableau de bord est une approche (top-down)
c'est-à-dire que le management initie la construction du tableau de bord
en fonction des objectifs stratégiques : Objectifs et Variables
d'Action. Les Responsabilités sont ensuite déclinées et
descendues aux niveaux inférieurs de la hiérarchie en cascade.
Ainsi, chaque manager opérationnel devient responsable du choix et de la
définition de ses variables d'action. Pour chaque objectif et variable
d'action, au moins un indicateur de performance existe ».Les
limites fréquemment évoquées des indicateurs financiers
ont milité en faveur du développement de nouveaux types
d'indicateurs de gestion ou Key Performance Indicators (KPIs). Si cette
évolution ne s'est pas faite au même moment ni exactement de la
même façon selon les contextes, comme nous allons le voir, ses
déclinaisons particulières répondent cependant à
des objectifs et principes similaires. Toutefois, la mise en oeuvre des
approches non financières n'est pas sans risque, comme l'attestent
certaines pratiques d'entreprises déficientes (Giraud et al,
2005). Elles gagnent en légitimité grâce à
l'avènement de méthodologies rigoureuses. La plus connue d'entre
elle au niveau international est le Balanced Scorecard (BSC) ou tableau de
bord anglo-saxon (Giraud et al, 2005)c'est un type de TB dit
prospectif.Choffel et Meyssonnier (2005) ont souligné que le
Balanced Scorecard peut être soit le systèmecentral de
pilotage de la performance financière (à la place ou en liaison
avec les budgets), soit unereprésentation stratégique
partagée (un simple outil d'information parmi d'autres).
L'intérêt porté aux outils tels que le tableau de bord,
trouve en partie son origine dans les critiques adressées aux budgets
(Chiapello et Delmond, 1994 ; Germain, 2005).
Le tableau V ci-dessous fait la synthèse de notre revue
documentaire. C'est une grille de lecture qui renseigne sur les principaux
documents auxquels nous avons fait recourt pour mener nos travaux. Elle
présente notamment l'auteur, l'année d'édition, la taille
de l'échantillon, la théorie mobilisée, l'approche
méthodologique, les résultats et les recherches futures.
Tableau V : Grille de lecture
Auteur
|
Année
|
Échantillon (taille)
|
Théories mobilisées
|
Approche méthodologique
|
Résultats
|
Future (s) recherche (s)
|
Françoise GIRAUD et al
|
2005
|
-
|
Théorie de l'agence Théorie de
l'apprentissage
|
Analyse factorielle
|
Faire des compromis entre les différents objectifs du
budget. Faire des « budgets » différents selon les objectifs
poursuivis
|
|
Bona Clarisse OLAYE A
|
2017
|
SIA N'SON Micro finance
|
théorie de l'agence et l'approche du contrôle
interne par la gestion des risques
|
Recherches documentaires Enquêtes Interviews
|
L'application différenciée des sanctions
réduit la crédibilité des menaces de sanction. Le
processus de recrutement n'a pas un impact sur le respect des menaces de
sanction
|
|
Jihane Abi Azar
|
2005
|
6 PME libanaises du secteur agro-alimentaire
|
Théorie de la contingence
|
Etude exploratoire par entretiens; Enquête quantitative
confirmatoire
|
la fonction de contrôle dans les PME est une fonction
invisible, peu instrumentée et hétérogène où
le contrôle informel occupe une place très importante.
|
une étude comparative entre le système de
contrôle de gestion mis en place dans les entreprises familiales
libanaises et ceux des PME filiales d'une entreprise étrangère
|
Boniface Bampoky et François Meyssonnier
|
2012
|
140 entreprises sénégalaises
|
|
Etude exploratoire par entretiens; Enquête quantitative
confirmatoire
|
|
le développement de recherches « action »
permettant d'observer et d'améliorer le mouvement concret des acteurs
s'appropriant les outils et les mettant en oeuvre efficacement
|
Régis Martineau
|
2014
|
-
|
-
|
|
distinction entre outils fermés et outils ouverts
|
l'outil de gestion, en tant que texte de nature listique,
|
Houda ZIAN
|
2013
|
1536 entreprises marocaines
|
théorie de la contingence
|
hypothético-déductif
|
Plus la taille d'entreprise est grande, plus ses tableaux de
bord tendent à être sophistiqués. Plus le
degré d'informatisation des activités de PME augmente, plus
le degré de sophistication des pratiques de tableaux de bord est
élevé. Les pratiques de
tableaux de bord des PME sont plus sophistiquées lorsque les
dirigeants disposent d'une formation de type gestionnaire.
|
étudier relations inter factorielles dans le modèle
de recherche
|
Olivier de La Villarmois et Hubert Tondeur
|
2005
|
135 plus grandes entreprises françaises
|
-
|
entretiens semi-directifs questionnaires
|
la représentation du contrôle proposée par
Bouquin (1996) est validée.
|
identifier les contributions des différentes fonctions de
l'organisation au processus de contrôle organisationnel au moyen de
l'outil développé.
|
Claude ALAZARD et Sabine SEPARI
|
2018
|
-
|
Théorie des organisations
|
pédagogique
|
-
|
-
|
M'Bark Ouashil
|
2018
|
-
|
-
|
entretiens semi directifs
|
le contrôle interne favorise l'émergence et le
développement du processus de contrôle de gestion et du
management des risques.
|
|
Gérard Charreaux et Alain Schatt
|
2005
|
articles publiés de 1994 à 2003 dans les revues
françaises académiques
|
-
|
inventaire; classification
|
la majorité des auteurs ont été
cosignataires d'articles Pour les autres auteurs, la
productivité dépend du travail en commun
|
-
|
Boniface Bampoky
|
2012
|
25 entreprises sénégalaises 25 entreprises
étrangères
|
|
Approche exploratoire qualitative
Étude statistique confirmatoire
|
Cette recherche révèle quatre types
de dysfonctionnements majeurs pouvant induire des couts
performances cachés dans les entreprises sénégalaises :
Les rotations excessives du personnel, les retards et absences,
la démotivation du personnel, les mauvaises conditions
de travail.
|
|
Botaina Mjidila, Youssef El Wazani et Malika Souaf
|
2017
|
-
|
Théorie de l'agence Théorie de
l'apprentissage
|
descriptif
|
la performance peut être améliorée par
la pratique du contrôle de gestion
|
|
François Meyssonnier et Fana Rasolofo-Distler
|
2008
|
Cas d'une entreprise sociale pour l'habitat : Batigère
|
|
|
On peut développer un système de pilotage global et
cohérent, intégrant des outils et indicateurs RSE.
|
Examiner les évolutions dans le temps des
comportements des acteurs autour de ces outils de gestion et du
système de pilotage unifié mis en place
|
Source : Nos travaux (2019)
|
|