II. LE PROBLEME DE FINANCEMENT
Des trois facteurs classiques de la production agricole que
sont la terre, la main-d'oeuvre et le capital, le capital reste par principe le
facteur le plus extrêmement rare car mobiliser les fonds
nécessaires pour la mise en oeuvre des activités de
développement nécessite généralement un long
processus et de nombreuses conditions.
A. DES PAYSANS
Dans les collectivités locales, le revenu par
exploitation familiale agricole est relativement bas (entre 500 et 1000 FCFA en
moyenne par jour dans la commune d'AYOS) et n'augmente que très
lentement dans la plupart des cas. Ce faible niveau de revenu bloque
l'autofinancement des activités agricoles par les paysans et maintient
toujours constant leur niveau de production à défaut de le voir
chuter. Les besoins de financement se résument en trois types en
fonction du niveau technique et technologique des intrants et du
matériel sollicités :
? Les besoins de première catégorie : de faibles
montants, ils concernent les activités liées aux campagnes
agricoles, les activités d'embouche, les activités
légères de transformation (manioc, arachide, maïs, noix de
palme, etc.) ou encore les petits équipements. Loin d'être
couvert, ce type de besoins trouve toutefois des réponses via des
mécanismes informels de crédit, les banques sur des
filières bien organisées, les crédits fournisseurs (en
monnaie ou en nature) et la microfinance. Le calendrier de remboursement est
généralement calé sur les cycles de production des
agriculteurs;
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«Promotion des activités agropastorales et
activation de l'économie locale en situation
de décentralisation. L'exemple de l'agriculture familiale dans la
commune d'Ayos» par Emile Baudouin
MVOGO SOUGA.
? Les besoins de deuxième catégorie : ils
concernent par exemple l'équipement en culture attelée, les
motopompes, les petits aménagements hydro-agricoles, des
équipements semi-lourds de transformation (décortiqueuses, etc.)
;
? Les besoins de troisième catégorie : Ils sont
généralement liés au financement de plantations
(café, cacao, hévéa) dont le retour sur investissements
est différé dans le temps. Ce type de besoins est très
faiblement couvert, peu de systèmes de financement acceptant de prendre
des risques sur le long terme. Lorsque ce type d'investissement a une
utilité sociale forte (conservation des sols, reboisement), il peut
relever davantage d'une logique de subvention que de crédits.
Sur ces différents types de besoins, il est important
mais difficile de faire la distinction entre demande potentielle et demande
réelle solvable. L'écart peut parfois même être
très grand. Ainsi dans la zone d' AYOS, peu peuplée,
bénéficiant d'une forte disponibilité en foncier agricole
et en espaces naturels favorables aux activités de chasse et de
pêche (fleuve Nyong), et plus tardivement intégrées aux
circuits commerciaux agricoles, les ménages construisent des
systèmes d'activités qui combinent les différentes
ressources : agricoles pour 66%28, non agricoles pour
16%29 et celles de la pêche et de la chasse pour
14%30 (ces dernières activités représentent 20%
des revenus totaux pour 61% des EFA)31.
Les échanges menés avec les ressortissants de
cette zone montrent que cette persistance des activités de chasse et de
pêche est à la fois l'héritière des systèmes
traditionnels d'activités où la pêche et la chasse (ainsi
que la cueillette) qui pouvaient représenter au début du
siècle plus des trois quart des ressources du groupe familial. Ces
activités expriment également l'adaptation à travers une
stratégie relancée à partir des années 90 à
cause des difficultés de trouver un emploi dans les secteurs secondaire
ou tertiaire et de l'instabilité des cours des produits agricoles
traditionnels (café et cacao) qui se traduisaient par des
problèmes de mévente de ces produits.
28Résultats d'enquêtes de l'auteur sur le
terrain. 29Ibid.
30Ibid.
31Ibid.
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activation de l'économie locale en situation
de décentralisation. L'exemple de l'agriculture familiale dans la
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Ces échanges ont également mis en
évidence que les revenus provenant des activités de cueillette
(en particulier le vin de palme), et non renseignées
précisément par cette enquête, pouvaient également
être essentiels dans les revenus ou les trajectoires d'accumulation de
certaines EFA. Dans la commune d'AYOS, ce sont les tubercules (manioc et
macabo) et le plantain qui ont « remplacé» le cacao et le
café et qui constituent aujourd'hui les principales spéculations
marchandes de cette zone. Les entretiens dans les villages ont montré
que ces trois spéculations représentent avec l'arachide les
quatre cultures principales de cette zone.
La terre étant disponible, l'objectif de
préservation ou d'augmentation du niveau des revenus monétaires
du ménage a conduit de nombreux individus à travailler plus pour
mettre en valeur des surfaces plus importantes. Les femmes ont commencé
à augmenter leurs surfaces de « cultures vivrières »
devenues, surtout à partir de «l'arrivée du goudron»en
1992, selon leur expression, des cultures « marchandes ». Elles
peuvent, en créant des groupes féminins d'entraide, peu
usités auparavant, mettre en place de vastes surfaces de culture de
manioc (surfaces supérieures à 1 ha). Les hommes, qui
s'occupaient auparavant essentiellement de leurs cultures de rentes (cacao),
leur ont emboîté le pas quelques années plus tard («
On a longtemps cru que la petite agriculture était
essentiellement l'affaire des femmes, mais depuis quelque temps, on a compris
qu'on pouvait aussi la pratiquer » lançait un
paysan)et se sont à leur tour fortement investi dans les nouvelles
cultures vivrières marchandes (manioc, plantain, macabo...) sans tout
à fait délaisser cependant leurs cultures pérennes.
La disparition des filières administrées (cacao
et café) qui garantissaient un prix à la récolte,
même si celui-ci pouvait varier d'une année à l'autre,
amène les producteurs à entrer sur les marchés
concurrentiels et fluctuants des denrées vivrières ou
maraîchères.
Ces nouvelles conditions de vente de leurs produits vont les
amener à mettre en place des stratégies leur permettant de
profiter au mieux des variations de prix ou tout du moins à tenter
d'éviter les périodes de prix bas. Ainsi, si les calendriers
culturaux restent bien sûr largement déterminés par la
pluviométrie et la gestion de la force de travail, ces stratégies
vont amener les producteurs à tenter d'investir des périodes de
semis et de plantation qui font coïncider la période de
récolte avec celle où les prix sont plus élevés
(maïs de deuxième cycle, cultures de bas-fond et de
contre-saison,...). Les producteurs mettent également en oeuvre des
stratégies leur permettant de retarder la date de récolte en
attendant un relèvement des prix du marché. Le macabo n'est pas
désherbé en fin de cycle et après maturité pour
freiner la
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germination des tubercules et constituer ainsi un stock que
l'on pourra garder en terre de nombreuses semaines en attendant des prix plus
intéressants.
A ces stratégies au niveau des calendriers culturaux ou
des méthodes de stockage mis sur pied s'ajoutent des pratiques visant
à transformer les produits pour permettre leur conservation et leur
transport sur de longues distances (bâtons de manioc par exemple), ou
l'investissement de nouveaux marchés de niche (tapioca de manioc). Enfin
les producteurs tentent, avec des résultats plus ou moins convaincants,
de mettre en place des organisations paysannes permettant à travers la
vente groupée (le cacao par l'OP FEPADA d'AYOS32, la
SOCOPTRACA33) de prospecter de nouveaux marchés et de mieux
négocier les prix de vente.
Ainsi comme nous l'avons vu dans les paragraphes
précédents les ménages agricoles développent de
nombreuses stratégies adaptatives se situant à des niveaux
distincts de ceux relatifs à l'amélioration des performances des
itinéraires techniques. On observe même parfois, comme sur le cas
du cacao par exemple, que les variations des prix de vente de la fève et
la déstructuration de la filière ont plutôt
entraîné un abandon des recommandations de la recherche et de la
vulgarisation en ce qui concerne les différentes méthodes de
contrôle de la pourriture brune ou des capsides. Cependant, les
entretiens montrent également que les producteurs savent se saisir de
certains des résultats produits par la recherche lorsque ceux-ci
répondent aux dynamiques en cours.
C'est le cas par exemple de l'adoption des
variétés de maïs améliorées qui a
accompagné durant ces dernières années le
développement de cette nouvelle culture commerciale. Ainsi, si des
exemples intéressants de valorisation des produits de la recherche ont
été identifiés lors de ces entretiens, il semble qu'ils se
regroupent surtout autour de l'adoption de nouveau matériel
végétal (maïs, pomme de terre, palmier à huile, ...)
ou de nouvelles techniques de multiplication du matériel
végétal (technique du PIF34 pour le plantain par
exemple). Mais l'on observe une faible adoption de recommandations issues de la
recherche ou de la vulgarisation qui portent sur une intensification à
base d'intrants agricoles (engrais ou pesticides).
32GIC de la commune d'AYOS regroupant les producteurs
d'une vingtaine de villages.
33Ibid.
34Technique de multiplication du matériel
végétal à partir d'un échantillon traité
(multiplication des quantités par 100, 1000...) ; cette technique a
été découverte par des ingénieurs agronomes
nationaux et étrangers.
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Le tableau ci-après (tableau n°3)35
résume les différentes sources de revenus des EFA et leur
répartition dans une cinquantaine de ménages pris au hasard dans
les groupements Omvang et Yebekolo-Est. Il montre clairement que les revenus
agricoles représentent pratiquement 66% du total des revenus de ces
derniers.
35Travaux sur la réalisation des aires
protégées, Ministère des forêts, de la faune et de
la protection de la nature avec le soutien de la GTZ dans la commune d'AYOS,
2007.
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Type de revenus
|
Import ance du
type
en % de
l'écha ntillon
|
Importance relative des différentes
sources
de revenus (en %)
|
Syst.
de culture
|
Age du CE (en année)
|
Durée hors du
village du CE
(en année)
|
Nombre de
membres par EFA
|
Nombre d'actifs par EFA
|
Superf.
Cultivée par
EFA (en ha)
|
Superf. Cultivée par actif (en ha)
|
Cult.
|
Elev.
|
non agri.
|
Pêche et chasse
|
Revenus
majoritairem ent issus
des cultures
|
39
|
97,7
|
1,9
|
1, 3
|
5, 3
|
Divers
|
48,4
|
6,3
|
7,8
|
5,2
|
4,2
|
0,8
|
Revenus issus des
cultures et de la
pêche/chasse
|
29
|
67,5
|
5,0
|
8,2
|
19,3
|
Divers
|
47,7
|
7,7
|
5,0
|
3,3
|
3,5
|
1,06
|
Revenus issus des
cultures, des activités
non agricoles et de la
pêche/chasse
|
22
|
43,7
|
4,8
|
30,0
|
21,5
|
Divers
|
36,9
|
7,4
|
8,7
|
5,8
|
3,2
|
0,55
|
Revenus surtout
non agricoles
|
10
|
10,2
|
7,0
|
65,6
|
17,6
|
Divers
|
43,6
|
6,3
|
11,0
|
7,3
|
2,7
|
0,36
|
Tous types
|
|
66
|
4
|
16
|
14
|
|
45,2
|
6,5
|
7,5
|
5,0
|
3,8
|
0,76
|
Abréviations du tableau:
CE = chef de l'exploitation agricole; Agri = agricole.
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Cult. = culture ; % = pourcentage; Superf = superficie.
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