Introduction
Pour l'année 2020, la Suisse comptait 10 879 auteur-e-s
prévenu-e-s de violences domestiques (toutes infractions confondues),
soit 8098 hommes et 2781 femmes (Office fédéral de la statistique
[OFS], 2021). Ce chiffre, aussi élevé soit-il, reflète la
partie émergée de l'iceberg. En effet, ces statistiques sont
basées sur le nombre d'interventions de la police. Il existe
néanmoins de nombreux actes de violence laissés sous silence qui
ne font pas l'objet d'un dépôt de plainte. Comment ces adultes en
sont-ils arrivés là ? La violence domestique, plus
précisément la violence au sein des couples, est une
problématique connue et qui a déjà fait l'objet de
plusieurs études. Cette problématique, plus
particulièrement la violence dirigée envers les femmes, se
visibilise d'autant plus depuis la création du mouvement Me too, en
2007.
Lorsque l'on évoque la violence au sein du couple, cela
est majoritairement associé aux adultes, mais rarement aux
adolescent-e-s. Pourtant, les actes de violence ne sont pas liés
à l'âge des protagonistes; les jeunes sont également
touchés par la violence au sein de leur couple.
Dans le cadre d'actions de prévention dans les
écoles et en côtoyant des adolescent-e-s dans le cadre
professionnel, nous avons été à plusieurs reprises
confrontées à des jeunes en difficulté. Des adolescent-e-s
qui subissaient ou exerçaient eux-elles-mêmes de la violence dans
le cadre de leurs relations amoureuses et qui n'arrivaient pas à s'en
sortir ou alors qui ne considéraient pas cela comme de la violence.
L'adolescence est une période charnière dans la
vie, elle permet à chacun-e de se construire, et c'est à ce
moment-là que se posent les jalons de l'adulte en devenir. Il nous a
donc paru important de comprendre les différents enjeux liés
à cette période de la vie.
C'est pourquoi, nous avons décidé d'explorer et
d'investiguer la violence dans les relations amoureuses chez les adolescent-e-s
hétérosexuel-le-s entre 13-18 ans. Nous avons bien conscience que
la violence existe dans les couples homosexuels, mais cela exigerait une
orientation différente de notre travail et devrait faire l'objet d'une
étude distincte.
Pour définir plus précisément notre objet
de recherche, nous avons ciblé et mis en commun les questions qui nous
paraissaient pertinentes:
- Quelles sont les spécificités du
développement d'un-e adolescent-e, en particulier sous l'angle
émotionnel, cognitif et social?
- Comment se développe une relation amoureuse à
l'adolescence?
- Comment définir les différentes formes de
violences dans les relations amoureuses à l'adolescence (VRA) ?
- Quelle place la violence peut-elle avoir au sein des couples
adolescents?
- Comment la violence au sein du couple d'adolescent-e-s est-elle
définie sur le plan juridique?
- Des actions de prévention sont-elles déjà
mises en place au niveau de ce public, si oui,
lesquelles?
Au travers de ce travail de recherche, nous espérons
démontrer la nécessité de s'intéresser à ce
sujet, car il nous semble essentiel que cette problématique encore peu
connue chez nous, suscite plus d'intérêt auprès des
chercheur-se-s et qu'elle devienne un terrain de recherche à part
entière au vu des répercussions que la violence entraîne
sur ceux et celles qui la vivent. Nous observons que certaine-s
professionnel-le-s n'ont même pas connaissance de l'existence de cette
problématique qu'est la violence au sein des relations chez les
adolescent-e-s.
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Adolescence, amour et violence. Prévenir la violence au
sein des relations amoureuses chez les adolescent-e-s.
Ce travail se présente en trois parties. La
première partie expose des éléments indispensables
à la compréhension de notre thème. Qu'est-ce que
l'adolescence? Pourquoi s'intéresser aux violences spécifiquement
dans cette tranche d'âge ? De quel type de violence parle-t-on ? En peu
de temps, vous avez croisé les termes de violence domestique et
conjugale, qu'est-ce qui les différencie?
Nous nous intéresserons également au cadre
juridique, afin de mieux comprendre quelles lois interviennent dans notre
problématique. Puis, nous proposerons une définition de la VRA
chez les adolescent-e-s. Nous exposerons aussi les facteurs de risques, les
conséquences de cette violence sur le développement des
adolescent-e-s, notamment par les notions de traumatisme et de
résilience. Nous terminerons cette partie sur les liens qu'il y a entre
la VRA chez les adolescent-e-s et le travail social. Quel est la place et le
rôle des professionnel-le-s du social?
La deuxième partie est le coeur théorique de
notre travail. Il s'est construit à partir d'une sélection
d'études, de littérature et de travaux de recherche au niveau
national, mais surtout international puisque ce sujet est encore peu connu en
Suisse. Nous y exposerons notre méthodologie, nos critères de
sélection pour notre corpus de recherches. Nous analyserons nos
différents textes en fonction de nos quatre axes. Tout d'abord, la
violence dans les relations amoureuses chez les adolescent-e-s nous permettra
de comprendre les mécanismes qui sont concernés dans la VRA chez
les jeunes. Puis, selon le modèle d'Engel, nous analyserons les
spécificités biologiques, psychologiques et sociales de la VRA.
Ensuite, nous tenterons de comprendre les raisons liées au manque de
visibilité de la VRA chez les adolescent-e-s. Pour terminer, nous
regarderons ce qui existe au travers des champs d'intervention de la VRA, plus
précisément au niveau préventif et de la prise en
charge.
La troisième partie consistera à discuter nos
principaux résultats, notamment par le prisme du domaine social. Il
s'agira principalement de mettre en lien les violences dans les relations
amoureuses chez les adolescent-e-s et le travail social. Nous mettrons en lien
nos connaissances acquises au niveau théorique sur la base de plusieurs
apports tels que nos lectures, nos cours au sein de la Haute école de
travail social (HETS) à Fribourg ainsi que nos observations au travers
de notre pratique professionnelle.
1. Problématique 1.1. L'adolescence
L'étymologie du mot adolescent vient du latin «
adulescens » qui signifie grandissant (Guerry, 2019).
Papalia & coll. (2010) définissent l'adolescence
comme une « période de transition développementale qui
comporte des changements physiques, cognitifs, affectifs et sociaux et qui se
manifeste sous différentes formes selon les milieux sociaux, culturels
et économiques» (p.256).
D'après Cloutier & Drapeau (2015), «
l'adolescence est la période qui sépare l'enfance de l'âge
adulte. Du point de vue psychologique, cette période fait le passage
entre la dépendance enfantine et l'autonomie adulte» (p.3).
C'est une période très importante dans le
développement de tout être humain, qui se produit principalement
entre 12 et 18 ans, durant laquelle des bouleversements considérables
s'entremêlent (Cloutier & Drapeau, 2015). D'après H. Erikson,
le développement humain se fait en huit stades qui s'étendent de
la naissance à l'âge adulte; le stade cinq, celui de
l'adolescence, est évoqué comme étant la période de
la crise d'identité (cité dans Cloutier & Drapeau, 2015).
Durant cette crise nécessaire à son autonomisation,
l'adolescent-e fait un bilan personnel et se questionne sur son
identité, ses origines. Les questions que chaque individu se pose sont
personnelles, personne ne peut y répondre pour l'autre. Toutefois, un
environnement stable avec des repères clairs rendra ce bilan
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Adolescence, amour et violence. Prévenir la violence au
sein des relations amoureuses chez les adolescent-e-s.
plus facile à effectuer, contrairement à
l'absence de famille ou la présence d'importantes difficultés
sociales (Cloutier & Drapeau, 2015).
Selon Rey (1996), l'adolescence est une phase complexe et qui
suscite parfois l'incompréhension; certain-e-s adolescent-e-s sont
stéréotypé-e-s comme violent-e-s et/ou ayant des
comportements déviants tant par le discours populaire, que les
médias.
H. Erikson mentionne que l'autonomie de certain-e-s
adolescent-e-s peut être influencée par la pression des pair-e-s
et des parents. Dans le but d'être accepté-e-s, reconnu-e-s et/ou
valorisé-e-s, certain-e-s adolescent-e-s peuvent se faire subir
certaines épreuves allant à l'encontre de leur propre
volonté et contre leur intérêt personnel (cité dans
Cloutier & Drapeau, 2015). Ceci uniquement pour ne pas se faire rejeter ou
exclure par leur groupe de pair-e-s. Le milieu familial dans lequel
évolue l'adolescent-e joue également un rôle important dans
la manière qu'il-elle aura de se percevoir. Selon les auteur-e-s,
l'adolescent-e évoluant dans une famille où les membres se
respectent, où règnent la chaleur, l'affection, la
sécurité et un sentiment d'appartenance, aura potentiellement une
meilleure estime de lui-elle-même, adoptera une attitude positive face
à l'avenir et aura de meilleures chances de se sentir bien dans sa peau.
À l'opposé, un-e adolescent-e qui vivra de la violence au sein de
sa famille et que les parents ne respecteront pas, aura plus de chances de se
sentir mal dans sa peau, sera moins à l'aise dans ses relations avec ses
pair-e-s et à l'école. H. Erikson précise que les analyses
de leurs études sur le sujet ne leur permettent pas de lier de
manière univoque la façon dont l'adolescent-e se sent dans sa
peau, avec les problèmes personnels qu'il-elle vit et sa consommation de
cigarettes/drogues/alcool (cité dans Cloutier & Drapeau, 2015).
Nonobstant, il apparaît que ces éléments sont
corrélés de manière significative à la
cohésion familiale que l'adolescent-e vit à la maison (Cloutier
& Drapeau, 2015).
Selon Maïdi (2014), l'adolescent-e est fasciné-e
par lui-elle-même et l'image qu'il-elle renvoie est une
préoccupation centrale dans sa vie. Renvoyer une image négative
ou qui ne serait pas à la hauteur de ses attentes, ni à celle de
ses pair-e-s, risquerait de lui nuire, dans sa relation avec ces derniers et
dernières. Pour se construire et se sentir en sécurité,
l'adolescent-e a à la fois besoin de s'identifier aux autres, tout en
souhaitant être celui-celle qui arrive à se démarquer et
à être original-e. Ainsi, l'autre reflète sa propre
identité et rassure l'adolescent-e dans cette période de
changements.
1.1.2. Relations interpersonnelles chez les adolescent-e-s
D'après le cours de S. Guerry, l'adolescence est une
période charnière dans le développement de l'être
humain durant laquelle l'adolescent-e doit exécuter un certain nombre de
tâches. Il s'agit notamment d'accepter son corps d'adulte et d'en prendre
soin, de construire son identité d'adulte, de choisir une profession et
de s'y former. Parmi toutes ces tâches, une des plus importantes est
celle de construire son propre univers social avec ses pair-e-s, et ce tant en
amour, qu'en amitié (communication personnelle, 12 décembre
2019).
Qu'est-ce que l'amour à l'adolescence ? Nous n'avons
pas trouvé de définition qui explique clairement et
scientifiquement ce qu'est l'amour à l'adolescence. Winter (2001)
explique que pendant la période de l'adolescence, les adolescent-e-s
confondent amour et idolâtrie en précisant que c'est une
période de la vie où l'amour n'est pas dans le coeur, mais dans
les yeux, il parle alors « d'idolescence ».
Les interactions avec les pair-e-s sont donc
nécessaires et jouent un rôle primordial dans le
développement des adolescent-e-s. L'amour adolescent n'échappe
pas à cette dynamique. Une étude française menée
auprès de jeunes lycéen-e-s conclut qu'être amoureux-se au
lycée, c'est être
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Adolescence, amour et violence. Prévenir la violence au
sein des relations amoureuses chez les adolescent-e-s.
socialement reconnu-e; l'auteur emploie la métaphore de
l'arène comme lieu de l'action, mais aussi de l'observation (Juhem,
1995). Avoir une relation de couple à l'adolescence est une façon
de manifester sa position sociale. Plus un-e adolescent-e sera populaire au
sein de son groupe de pair-es, mieux il-elle sera considéré-e par
ces derniers et dernières. Ceci lui permettra d'avoir plus de chances de
sortir avec un-e partenaire plus enviable. De plus, si son-sa partenaire fait
également partie des personnes les plus valorisées, cela
augmentera sa cote de popularité dans son groupe. Une fois le couple
formé, les adolescent-e-s se montreront publiquement et exhiberont leur
amour à tout le monde, car une relation discrète n'apporterait
aucune supériorité; la relation amoureuse nécessite
d'être débattue par les pair-e-s (Juhem, 1995).
1.2. Qu'est-ce que la violence?
La violence constitue un vaste sujet, elle est multiple et
protéiforme, elle ne tient pas compte des classes sociales. Pour mieux
comprendre la violence, il nous paraît nécessaire de nous attarder
sur les définitions de la violence. Cela a pour objectif principal de
définir les types de violence qui se manifestent dans une relation
amoureuse d'adolescents.
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