D'une montagne l'autre: faire école dans les Alpes. Comparaison franco-suisse des expériences scolaires en milieu alpin (1880-1918)par Lucas BOUGUEREAU EHESS - Master 2 Histoire, parcours sciences sociales 2021 |
D'une montagne l'autre : faire école dans les
Alpes (1880-1918) Lucas BOUGUEREAU - Sous la direction de Monsieur Emmanuel SAINT-FUSCIEN Rapporteur : Monsieur Stéphane AUDOIN-ROUZEAU Photographie de couverture : Archives départementales de la Haute-Savoie. 8Fi 1131 : « Inventaire du fonds de cartes postales anciennes, semi moderne et moderne (1890-2000) », Chamonix [1900]. 3 REMERCIEMENTS Je tiens tout d'abord à remercier très chaleureusement mon directeur de mémoire, Emmanuel Saint-Fuscien pour m'avoir accompagné tout au long de ce travail. Ses remarques et conseils toujours très pertinents, sa disponibilité soutenue et ses encouragements constants m'ont été d'une aide plus que précieuse dans la rédaction de ce mémoire. Je remercie chaleureusement ma famille pour son soutien moral, ma mère particulièrement pour ses relectures. Enfin, tous mes sentiments de gratitude vont à mes camarades et amis qui, par leurs conseils avisés, leurs lectures patientes, et surtout, leurs sentiments d'amitié sans faille, ont participé à faire de ces deux années de Master, des moments enrichissants et heureux. Merci donc à Alban, Colas, Mehmet, Niya et Jonas. 4 5 SOMMAIRE INTRODUCTION 7 PREMIÈRE PARTIE. Le lieu scolaire : matérialité, pratiques et représentations 19 CHAPITRE 1. L'aménagement des lieux 21 CHAPITRE 2. Quand l'école se heurte au climat 31 CHAPITRE 3. Pratiquer l'école dans les Alpes suisses et françaises 43 DEUXIÈME PARTIE. Jeux de frontières et trajectoires de vies. 57 CHAPITRE 4. Pour vivre heureux, vivons cachés 59 CHAPITRE 5. Frontières de l'enseignement. 69 CHAPITRE 6. Le tourisme, sauveur des petites patries ? 85 CHAPITRE 7. Le maître, la maîtresse et l'enfant. 103 TROISIÈME PARTIE. Les Alpes protègent-elles de la guerre ? 119 CHAPITRE 8. Des systèmes scolaires ébranlés. 121 CHAPITRE 9. L'école transfigurée 133 CHAPITRE 10. Les territoires alpins dans la guerre 149 CONCLUSION : L'école des Alpes, quel bilan ? 161 6 7 Introduction générale« Insensibles aux intempéries des saisons, endurcis de bonne heure à toutes les fatigues, ardents au travail, âpres au gain, probes, honnêtes, intelligents, ils ne montrent de répugnance pour aucun métier. [...] Leur caractère souple, leur esprit insinuant les font prospérer là où les autres mourraient de faim »1. Voilà comment sont présentés les montagnards, dans ce cas précis, les hauts-savoyards au sein du premier manuel d'histoire à usage local de la région. On décèle de suite qu'en ce début de XXe siècle, l'environnement alpin est perçu comme peu hospitalier malgré les qualités intrinsèques des populations qui l'habitent. C'est d'ailleurs une constante au moins depuis les discours naturalistes du XVIIIe siècle : la montagne effraie mais elle fascine. Pourtant, comme l'indique le manuel, jusque « dans la plus petite commune, dans chaque hameau, s'élève une coquette maison d'école où les enfants sont instruits gratuitement par de dévoués institutrices ou instituteurs »2. Construire l'école de la nation devient durant La Belle Époque, l'objectif affiché de bien des pays européens. Le maillage scolaire s'intensifie : partout, jusque dans les bourgs les plus reculés, une école se dresse, maintenant un lien entre la nation et les territoires qui la composent. Mais est ce que proclamer l'homogénéité de l'éducation populaire suffit à lui donner une réalité effective ? Enseigner quelque part, ou être éduqué quelque part n'est pas sans conséquences sur les expériences, les représentations, et les trajectoires de vie des acteurs historiques. Nous plaidons ici pour l'introduction dans le champ de l'histoire de l'éducation, des études spatiales et environnementales, trop oubliées, bien qu'ayant prouvé leur efficience ailleurs. Les travaux en histoire de l'éducation ont pris des formes diverses et variées, motivées par un fort dynamisme à partir des années 19603, mais la focale du « quelque part » est pendant longtemps restée - et l'est peut-être encore trop souvent - celle de la Nation4. En gardant cette idée en tête, énonçons ici une première fois notre problématique de départ. L'on peut ainsi se demander comment, entre 1880 et 1918 les politiques scolaires françaises et suisses 1 F. CHRISTIN, F. VERMALE, Abrégé d'histoire de la Savoie en 10 leçons, Chambéry, Perrin, 1913, p. 164. 2 Ibidem, p. 159-160. 3 Pour un état de la recherche en éducation (certes un peu daté mais utile) voir Marie-Madeleine COMPERE, Philippe SAVOIE, « L'histoire de l'école et de ce que l'on y apprend », Revue française de pédagogie, n°152, 2005, p. 107-146. 4 On pense ici aux grandes synthèses telles que Antoine PROST, Histoire de l'enseignement en France, Paris, Armand Colin, 1968, ou encore, Françoise MAYEUR, Histoire de l'enseignement et de l'éducation. III. 17891930, Paris, A.Perrin, 1981. 8 s'inscrivent-elles dans les montagnes alpines ? En quoi façonnent-elles les manières de se représenter et de pratiquer ce milieu tout en impliquant des reformulations, des adaptations locales ? Celles-ci sont-elles superposables en France et en Suisse ? Précisons d'abord le contexte. Le parachèvement des identités nationales entamé à la fin du XIXe siècle suppose un lieu, une institution, où les enfants d'aujourd'hui seront formés à devenir les bons citoyens, les bons patriotes de demain, en une phrase : à prendre conscience de leur appartenance à une nation. De ce constat naquit une multitude de lois scolaires dans les deux pays, toutes visant à transformer l'école - existant bien évidemment déjà quoique sous des modalités différentes - en une école populaire, une école du peuple. On pense naturellement du côté français aux lois Ferry de 1881-1882 qui instaurent la gratuité, l'obligation scolaire et la laïcité à l'école de la IIIe République. Pourtant, la loi fédérale Suisse de 1874 précède la française et impose déjà la gratuité et l'obligation scolaire à l'ensemble des cantons suisses - deux conditions en réalité déjà largement respectées dans les deux territoires. Une fois posé ce constat général, il s'agit d'aller plus avant et de repérer quelques divergences dans les politiques scolaires de ces deux nations. D'un côté, la République française, administrativement centralisée, impose un système scolaire pensé à l'échelle nationale, très normé, qui s'efforce d'homogénéiser pratiques et contenus d'enseignement indépendamment des lieux compris dans ses frontières. De l'autre côté, l'État fédéral suisse, bien qu'à tendance de plus en plus centralisatrice, laisse une très large autonomie aux cantons, particulièrement en matière d'éducation. Cela donne lieu à de très grandes disparités entre cantons selon leur richesse, leur intérêt éducatif, et même leurs contenus d'enseignements ; d'autant que la Suisse compte trois groupes linguistiques - allemand, français, italien - et une très nette séparation entre cantons catholiques et protestants. On observe donc un contraste assez fort entre un État promouvant une unité de fait et un autre qui favorise une unité dans la diversité des réalités sociales et culturelles. Se déploient ici deux manières d'envisager la Nation et sa première instance de socialisation : l'école. Un deuxième point, découlant du premier, est la prise en considération de l'adaptation à l'échelle locale d'une école nationale. Dans la pédagogie républicaine, le point de vue local est intégré dans la perspective nationale : il est en effet enseigné, mais considéré uniquement comme une partie de la grande synthèse de la nation, 9 il ne peut avoir d'existence en dehors d'elle5. Il faut pourtant regarder au-delà de l'enseignement proprement dit en postulant que les expériences scolaires des acteurs s'inscrivent dans un espace. Une cohorte d'inspecteurs primaires, d'inspecteurs d'académie et de préfets - sans oublier le rôle des maires - gèrent l'application des lois nationales dans les différents territoires administratifs, ce sont des hommes de l'État, dont le pouvoir est délégué « d'en haut ». Pourtant, certains - comme les inspecteurs primaires - jouent un rôle d'intermédiaire : proches de l'administration, mais aussi du terrain, ils conseillent à la fois leurs supérieurs mais aussi les maires et les enseignants. Nous reviendrons sur la figure plus ambiguë de l'instituteur. À l'inverse, si ces personnages ont plus ou moins leur équivalent en Suisse, ils dépendent du pouvoir cantonal, limité dans l'espace, plus proche des réalités locales : un chef de l'instruction publique est présent dans chaque canton. Surtout, l'État cantonal se positionne en retrait, laissant une large place - du moins en Valais - aux pouvoirs communal et ecclésial. Intéressons-nous maintenant aux deux territoires de l'étude. La Haute-Savoie et le Valais font partie de deux ensembles organisés différemment mais poursuivant un objectif commun dans l'instauration d'une école du peuple. Tous deux sont des territoires de montagne, d'une superficie équivalente et juxtaposés de part et d'autre d'une frontière politique tracée sur le haut des cimes alpines. L'environnement géographique est largement similaire, alternant entre rocs escarpés et coteaux de montagne où vivent des populations pastorales, comprenant également des vallées plus ou moins larges, plus propices à l'activité agricole et aux industries naissantes. D'un point de vue de géographie physique, ces caractéristiques forment leur dénominateur commun, entraînant d'ailleurs des spécificités dans l'organisation scolaire. Les communes de montagne dénombrent jusqu'au début de notre période une multitude d'écoles temporaires qui changent de lieux, étant installées auprès des populations dans le bourg en hiver et les suivant dans les alpages en été. Le maillage scolaire est également extrêmement dense : la rudesse du climat hivernal bloque toute circulation, même sur de courtes distances, et oblige la tenue d'un grand nombre d'écoles de hameau, regroupant une poignée d'élèves des deux sexes, qui partagent une même expérience scolaire, isolés du reste du monde pendant quelques mois chaque année. En conséquence, le nombre d'instituteurs et institutrices est très élevé pour des communes de tailles somme toute modestes. Abordons maintenant le tourisme, vraie pierre d'angle - en devenir - de ces sociétés montagnardes. L'afflux d'étrangers, de plus en plus nombreux au fil des ans, fait vivre les 5 Idée développée entre autres par Michel YOUENN, « Des petites patries au « patrimoines culturels » : un siècle de discours scolaire sur les identités régionales (1880-1980) », Carrefours de l'Éducation, n°38, 2014, p. 1531. 10 économies locales, accroît leurs finances, permet l'investissement dans les constructions scolaires. Cela modifie également les conditions d'enseignement dans ces lieux, faisant naître ici et là des vocations de guide chez les enfants qui profitent ainsi de conférences tenues dans les locaux scolaires, de cours d'anglais ou d'allemand - surtout en France. Enfin, l'activité touristique apporte avec elle une réserve d'hommes et de femmes fortunés, souvent bien disposés à soutenir les quêtes et collectes scolaires. Les territoires alpins, repliés sur eux-mêmes en hiver, deviennent les fleurons du tourisme international en été : drôle de paradoxe qui influe grandement sur les trajectoires de vie des habitants. Seulement, il faut se prévenir contre l'idée d'un déterminisme géographique qui ne recouvre jamais entièrement le réel : s'il existe des aspects communs des deux côtés de la frontière, les différences politiques, sociales et culturelles évoquées plus haut pèsent très fortement, induisant des écarts sensibles entre les situations. Il faut ici insister sur la frontière, ou plutôt sur les frontières. La plus évidente est la frontière politique, frontière alpine qui est peut-être le déterminant principal de l'organisation scolaire - surtout dans le contexte de parachèvement des identités nationales réalisé par l'école - mais une multitude d'autres frontières peuvent être pensées pour éclairer les expériences et représentations des acteurs de l'école. Pensons ici aux frontières qui opposent enfants des bourgs aux enfants des hameaux, notamment en raison de la spécialisation des centres dans le tourisme au détriment des périphéries - Chamonix en donne un bon exemple. Mais également la frontière entre les enfants de montagne et les enfants de plaine, où l'industrie naissante et l'existence de formations professionnelles offrent des opportunités différentes. En élargissant la focale, il existe également des différences notables entre l'école de la ville et l'école du hameau, que ce soit au niveau des lieux scolaires, des possibilités d'emplois, des itinéraires de vie, et ce malgré l'intention d'instaurer un enseignement homogénéisé. La morale chrétienne qui infuse l'enseignement valaisan promeut d'ailleurs l'enfant des montagnes, plus « pur », non contaminé par les vices de la ville. Il existe encore, des frontières de genre, transfigurées par l'existence des écoles mixtes évoquées plus haut, où garçons et filles prennent place sur les mêmes bancs, isolés ensemble dans leur micro-sociabilité hivernale. Cette liste n'est pas exhaustive, et ces frontières, loin d'être des catégories arbitraires plaquées par le chercheur, sont ressenties, partagées, imaginées, appropriées et parfois instrumentalisées par les acteurs de l'école alpine. L'enseignement scolaire est producteur de représentations, de pratiques, mais celles-ci ne sont jamais la projection unilatérale et uniforme d'un pouvoir national sur des intelligences vierges. Elles coexistent et se recomposent avec les propres représentations des élèves, des enseignants, des parents d'élèves, avec leurs propres expériences sensibles inscrites dans un milieu, dans des lieux. 11 Les questions ayant trait à la pluralité des frontières prennent une résonance particulière à l'aune de la Première Guerre mondiale. L'école de montagne, l'école « isolée » est percutée par l'événement guerrier qui heurte brutalement ses frontières : les Alpes protègent-elles de la guerre ? La réponse ne peut qu'être partielle et ambiguë. Les frontières se ferment, les touristes fuient, mais instituteurs français comme instituteurs valaisans endossent l'uniforme et courent aux frontières. Ici et là, même angoisse ou du moins même incertitude au moment de l'appel6 : qui va combattre ? qui va peut-être mourir et pourquoi ? Les institutions scolaires s'en trouvent désorganisées, une partie du corps enseignant masculin est absente : comment les remplacer ? Les frontières de genre bougent : les institutrices - déjà très nombreuses dans les deux pays - suppléent aux manques d'effectifs. Des enseignants intérimaires sans expérience sont propulsés dans les salles de classe, les élèves-maîtres en formation sont arrachés des bancs de l'école normale pour aller enseigner dans les écoles vacantes. Mais cela ne suffit pas toujours : il faut parfois fermer des établissements et privilégier les regroupements - chose impossible en montagne au vu de l'enclavement hivernal des populations. Les références au milieu local qui se développaient depuis le début du XXe siècle dans les enseignements français et suisses sont éludées pour se concentrer sur la nation, sur les nations7. Le sentiment national renforcé, semble annihiler la pluralité des espaces d'identification : la patrie devient le seul cadre enseignable. Du côté français, collectes et quêtes scolaires à l'adresse des soldats du front et des réfugiés des régions dévastées se multiplient ; en Valais comme dans la plupart des cantons suisses, l'école semble remise en cause dans son rôle d'unificateur national. Le multiculturalisme helvétique qui ne semblait pas jusqu'ici poser de problème majeur - en étant même à la base du roman national - devient l'objet de tensions : de part et d'autre, sympathies plus ou moins assumées aux patries française et allemande en fonction des communautés linguistiques, attentent à la cohérence nationale - du moins dans les débuts de la guerre. Mais si la nation prend une place majeure dans les enseignements scolaires des deux pays, la guerre crée des espaces de solidarité plus larges qui transgressent ses frontières. C'est, en France, le soutien aux populations étrangères dévastées, mais aussi aux nations alliées : jusque dans le hameau le plus reculé, les pavillons des écoles se drapent des couleurs italiennes et roumaines lors de leur entrée en guerre. En Valais, c'est le soutien à la Belgique, patrie soeur 6 Étant entendu qu'au moment de l'appel, les valaisans ne savent pas s'ils vont effectivement combattre. 7 Sur l'apprentissage du milieu local à l'école voir entre autres Jean-François CHANET, L'école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996 et Anne-Marie THIESSE, Ils apprenaient la France : L'exaltation des régions dans le discours patriotique, Paris, Éditions De la Maison de l'Homme, 1997. 12 dont la neutralité a été violée, mais aussi le soutien à la France de plus en plus explicite et, dans ce canton catholique, puis le « rêve » de paix chrétienne européenne. En bref, les frontières physiques sont bouleversées, mais des frontières moins immédiatement saisissables pour l'observateur s'ouvrent. Quelle méthodologie privilégier pour appréhender les expériences scolaires alpines ? Insistons d'abord sur la dimension micro-historique8 de l'étude. En effet, notre terrain se limite aux deux territoires mentionnés, plus précisément, à quelques communes de montagne comprises en leur sein. C'est, semble-t-il, la meilleure manière d'appréhender le vécu quotidien des acteurs scolaires9 et par là, un moyen privilégié pour appréhender l'école dans son espace10. Rappelons toutefois que micro-histoire n'est pas monographie, l'attention portée aux pratiques des acteurs11 informe plus largement sur la conformité ou la déviance par rapport aux normes sociales en vigueur. De là l'idée de généralisation de cas particuliers et leurs confrontations à des changements culturels, sociaux, politiques et économiques qui débordent les frontières de l'analyse. Cette méthode appliquée à l'objet scolaire est particulièrement fructueuse, elle permet de confronter normes nationales et contournements, négociations, au niveau local. Nous voyons ici que les échelles coexistent sans s'annuler : il n'est pas inutile de rappeler les enseignements de la sociologie pragmatique, à savoir que les généralités entrent toujours dans les justifications des acteurs12 . Ces observations ont d'ailleurs été ensuite portées en histoire13, permettant de réconcilier le général et le particulier, l'échelle globale et l'échelle micro14 . Il faut pourtant reconnaître que le champ de l'histoire de l'éducation a longtemps 8 Sur l'analyse microhistorique, voir l'ouvrage fondateur de Carlo GINZBURG, Le fromage et les vers. L'univers d'un meunier du XVIe siècle, Paris, Flammarion, 1980 [1976]. 9 Sur l'histoire du quotidien, voir Alf LÜDTKE (dir), Histoire du quotidien, Paris, Maison des Sciences de l'Homme, 1994 [1989]. 10 Les études « spatiales » constituent un champ très dynamique de la recherche en sciences sociales depuis quelques décennies, mais nous notons que leur objet est systématiquement l'étude de territoires urbains et jamais ruraux. C'est aussi ce qu'écrit Alain BOURDIN, « De la production de l'espace aux lieux : un itinéraire entre espaces et sociétés », Espaces et sociétés, n° 180-181, 2020, p. 79-96, p.82. 11 Sur la prise en compte de croissante des acteurs dans la pratique historienne, voir Bernard LEPETIT « L'histoire prend-t-elle les acteurs au sérieux ? », Espace-Temps, n° 56-61, 1995, p. 112-122. 12 Idées constitutives de la sociologie pragmatique pour concilier l'échelle individuelle et générale : les acteurs utilisent des formes de justifications qui se rapportent à des « généralités civiques ». Voir Luc BOLTANSKI et Laurent THEVENOT, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991. 13 Par exemple, Simona CERUTTI, « Histoire pragmatique, ou la rencontre entre histoire sociale et histoire culturelle », Tracés. Revue de Sciences humaines, n°15, 2008, p. 147-168. 14 On trouvera des considérations similaires dans Jacques REVEL (dir), Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, Paris, Le Seuil, 1996. 13 privilégié l'analyse des règles, des lois, des politiques scolaires, calquées sans distinction sur des territoires aux réalités parfois bien différentes15 . Nous arguons ici contre l'idée d'une homogénéité parfaite des expériences scolaires à l'échelle nationale. Placer l'environnement alpin au centre de l'étude permet d'aller dans ce sens, en ouvrant l'analyse à d'autres territorialités16 présentes dans les expériences des acteurs. Cela permet de distinguer des différences de pratiques scolaires entre l'école de la ville et l'école rurale, l'école de montagne et l'école de plaine, de même pour l'école du bourg et celle du hameau. Au-delà des pratiques, les représentations changent aussi, l'école est indissociable du lieu physique où elle se dresse, les acteurs locaux mobilisent l'environnement alpin pour justifier leurs pratiques scolaires. Selon Jean-Luc Piveteau, le territoire est « un lieu de mémoire », un espace « d'appartenance » et « d'appropriation » 17 , ceci implique que l'appropriation d'un espace est vecteur d'expériences vécues particulières. Toutefois, Bernard Debarbieux nous enseigne qu'un lieu peut en contenir un autre, « échapper à son échelle » sous une forme symbolique18. L'école est un parfait exemple de cette double fonction : elle se dresse quelque part - en l'occurrence dans la montagne - et fait voir un ailleurs - la nation. Entre ces deux pôles, pas nécessairement de tensions mais plutôt une imbrication des espaces d'identification19. À travers l'école, aussi bien dans son corps immatériel - apprentissage - que son corps physique - géographie du lieu - élèves, maîtres et maîtresses expérimentent « la République au hameau »20. Bien que le présent mémoire se réduise à l'étude de la scolarisation, il informe plus généralement sur les rapports dynamiques entre populations et environnement 21 . Il faut néanmoins se prévenir de postuler un espace d'appartenance homogène qui traverserait les 15 En réalité certains travaux revendiquent déjà une forme d'histoire plus attentive aux acteurs scolaires : voir Antoine PROST, « Pour une histoire « par en bas » de la scolarité républicaine », Histoire de l'éducation, n°57, 1993, p. 59-74, mais aussi Jean-François CHANET, L'école républicaine... op.cit. et Jacques et Mona OZOUF , La République des instituteurs, Paris, Seuil, 1992. 16 François WALTER définit la territorialité par « la pratique de l'identité spatiale » pour dépasser la limite du « paysage » à la perception visuelle, François WALTER, Les figures paysagères de la nation territoires et paysages en Europe (16-20e siècle), Paris, EHESS, 2004, p. 302. 17 Jean-Luc PIVETEAU, « Le territoire est-il un lieu de mémoire ? », L'espace géographique, n°24/2, 1995, p.113-123, p. 114. 18 Bernard DEBARBIEUX, « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », L'Espace géographique, °24-2, 1995, p. 97-112 p. 101. 19 Maurice AGULHON mettait déjà en garde en 1968 contre l'idée répandue d'une annihilation des particularismes par une identité nationale autoritaire. Voir Maurice AGULHON, Histoire Vagabonde, Paris, Gallimard, 1988, « Conscience nationale et conscience régionale en France de 1815 à nos jours », p. 615-639. 20 Formule inspirée de Maurice AGULHON, La République au Village, Paris, Pion, 1970. 21 Notamment par les concepts de « médiance » et de « trajectivité » chers à Augustin BERQUE, La mésologie, pourquoi et pour quoi faire ? Nanterre, Presses Universitaires de Paris-Nanterre, 2014. 14 frontières étatiques pour créer une parfaite communion entre les populations alpines françaises et suisses. Au contraire, en partant du paradoxe apparent de deux systèmes scolaires fonctionnant différemment tout en étant placés dans un environnement semblable, il est question de réintroduire avec force la frontière nationale comme limite de disjonction. En traversant les cimes alpines, elle donne un rôle significatif au politique : on ne se représente pas, et on ne pratique pas l'école de la même manière dans les Alpes françaises ou dans les Alpes suisses. Si le référentiel alpin est mobilisé dans les deux cas pour justifier des formes que prend la scolarisation dans ces territoires, il l'est de manière sensiblement différente22. Insister sur les représentations, permet de nous prévenir contre toute tentation d'essentialiser l'environnement, et d'ainsi d'écarter les risques de tomber dans une forme de déterminisme géographique - longtemps porté par une lecture positiviste de Vidal de la Blache ou située dans la longue durée et les lourdes structures braudeliennes. Nous favorisons ainsi « la pensée de la réalité par rapport à la réalité elle-même, la représentation par rapport à l'objet représenté »23 pour expliquer les modes d'organisation et de pratiques scolaires différenciées entre la Haute-Savoie et le Valais. Peut-être faut-il ici invoquer le concept, lui aussi daté mais ô combien utile, de possibilisme permettant à Lucien Febvre de voir dans les régions un « ensemble de possibilités pour les sociétés humaines qui les utilisent mais ne sont point déterminées par elles »24. Étude micro-historique donc, mais objet qui traverse les frontières nationales pour proposer une réflexion élargie des processus de scolarisation. En somme, nous proposons ici une micro-histoire globale des expériences scolaires sur la période 1880-191825. Cette chronologie insérant le temps de guerre nous impose d'affiner notre problématique. En effet, comment comparer la situation française, nation en guerre, à celle suisse nation en paix ? Tout semble les opposer de prime abord. Pourtant, et d'ailleurs contre-intuitivement, la mobilisation générale dans les deux pays amène un temps de guerre par-delà la frontière alpine qui modifie profondément les manières de faire école. De plus, le territoire haut-savoyard - tant par les vestiges du congrès 22 Bernard DEBARBIEUX montrait récemment l'importance de la frontière politique dans les représentations identitaires des habitants du bassin genevois (côté français et suisse), dans un environnement pourtant similaire et interconnecté qui tendait à faire disparaître la frontière physique. Voir « Identités, frontières et projet de territoire. Une recherche sur les identités dans la région genevoise [compte-rendu] », Le Globe. Revue genevoise de géographie, n°150, 2010, p. 136-139. 23 Marie-Vic OZOUF MARIGNIER, La formation des départements. La représentation du territoire français à la fin du 18e siècle, Paris, EHESS, 1992, p. 14. Dans la même idée, Michel DE CERTEAU opérait une distinction entre objet et discours : L'écriture de l'histoire, Paris, Gallimard, 1975, introduction, p. 13-34. 24 Lucien FEBVRE, La terre et l'évolution humaine, Paris, Albin Michel, 1970 [1922], p. 204. 25 Projet à la base de l'approche micro-historique comme l'ont bien compris Romain BERTRAND et Guillaume CALAFAT en parlant de « micro-histoire globale » ; Romain BERTRAND, Guillaume CALAFAT, « La microhistoire globale : affaire(s) à suivre », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 73e année, n°1, 2018, p. 1 -18. 15 de Vienne de 1815 que par des justifications liées à sa géographie - est épargné d'une confrontation trop directe avec l'appareil guerrier : il n'y a pas d'hôpitaux militaires, pas de réquisitions de locaux scolaires, peu d'accueil de réfugiés dans les cantons de montagne. Ces distinctions infranationales avec les territoires de l'avant, mais également avec les autres territoires de l'arrière, autorisent alors à rapprocher les expériences scolaires hauts-savoyardes et valaisannes pendant la durée du conflit. Pour mener à bien notre travail, nous avons largement et presque exclusivement mobilisé les fonds des Archives départementales de la Haute-Savoie (ADHS) ainsi que les fonds des Archives Cantonales de l'État du Valais (AEV). Dans les premiers, c'est principalement la série « T », « Enseignement général. Affaires culturelles. Sports - 1849-2009 » qui a servi de pierre d'angle à notre travail. Nous avons pu, entre autres, consulter les monographies d'instituteurs écrites à l'occasion de l'exposition universelle de 1889 qui, tout suivant un plan stéréotypé, permettent d'appréhender l'école au niveau communal26 . Les plaintes et réclamations des instituteurs ont permis d'analyser les conflits de représentations, les jeux de pouvoir, les difficultés d'adaptation au niveau local de prérogatives nationales27 . Pour appréhender la formation des instituteurs, pour comprendre ce que l'administration attend d'eux, nous avons eu recours aux sources relatives à l'école normale d'instituteurs de Bonneville28 . D'autres sources peuvent être mentionnées : les affaires générales par communes, riches en détails sur l'organisation de l'école de la IIIe république dans les communes haut-savoyardes29. Nous nous sommes également servis de la série « O » « Administration et comptabilité communales. 17141956 », afin d'appréhender au plus proche quelques communes de montagne française, concentrant surtout des actes du conseil municipal concernant l'éducation et plus largement la politique locale30. Enfin, la série « R » « Affaires militaires, organismes de temps de guerre. 1855-1945 » où sont conservées les réponses des instituteurs à l'enquête de l'instruction publique sur les événements de la Grande Guerre, s'est révélée très précieuse pour appréhender 26 ADHS, 1 T 236, « Monographies rédigées par des instituteurs. 1888-1892 ». 27 ADHS, 1 T 54-55, « Plainte contre des instituteurs ou réclamations d'instituteurs. 1861-1918 ». 28 Notamment sous la côte ADHS, 1T 1235-1236 « Administration générale école normale de Bonneville. 18871927 ». 29 ADHS, 1 T-38-53, « Affaires générales par commune. 1860-1940 ». 30 Par exemple ADHS, 2 O 2174, « Archives de la préfecture concernant l'administration communale de Chamonix-Mont-Blanc. 1859-1941 ». 16 la période de guerre - chose difficile car les archives se raréfient31. Notons également le recours aux questionnaires de Jacques Ozouf concernant les instituteurs ayant exercé avant 1914, ce recueil de témoignages constitue un matériel ethnographique très riche - 26 concernent des enseignants hauts-savoyards32. Du côté Suisse, les recherches se sont avérées plus concises bien que fructueuses. Salarié de l'Éducation Nationale, les contraintes professionnelles ont limité nos possibilités de déplacement. Il faut également mentionner la fermeture - assez longue - des archives et l'impossibilité de se rendre en Suisse en raison de la pandémie de Covid. Tous ces aléas ont entravé notre recherche. Ajoutons à cela que les Archives de l'État du Valais ne possèdent un règlement de conservation structuré que depuis très récemment. De ce fait, la quantité documentaire est faible et nous avons été surpris de voir que certains documents présents dans l'inventaire étaient par ailleurs introuvables sur le site. Si l'observation au niveau communal est rendue plus compliquée que du côté français, nous revendiquons une histoire indiciaire33 qui, sans être exhaustive, a le mérite d'ouvrir des pistes de recherches, permet de proposer de nouveaux angles d'analyse et voies d'interprétation sur « un terrain quasiment inexploré »34. Le fond DIP « Département de l'instruction publique. 1756-1976 » contient entre autres des rapports du département de l'instruction publique sur la situation des écoles valaisannes - utiles pour avoir une vue d'ensemble de la politique scolaire du canton 35 -, des rapports des inspecteurs primaires, parfois très précis, qui - quel dommage - s'arrêtent mystérieusement en 190636, une correspondance très inégale, mais assez riche entre les différents acteurs de l'école valaisanne37. Enfin, un très beau fonds privé d'un instituteur, regroupant un cahier d'élèves et quelques lettres, permet cette fois d'observer au plus proche une classe valaisanne - une des 31 ADHS, 8 R 140 « Enquête lancée par le ministère de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts concernant la prise de notes communales sur les événements de la guerre 1914-1918 par les instituteurs : circulaire, réponses communales. - 1914-1917 ». 32 Musée National de l'Éducation (MUNAE), « Fonds Ozouf ». 33 Carlo GINZBURG, « Signes, traces, pistes. Racines d'un paradigme de l'indice », Le débat, n°6, 1980, p. 3-44. 34 Rita HOFSTETTER, Charles MAGNIN, Lucien CRIBLEZ, Carlo JENZER (dir), Une école pour la démocratie. Naissance et développement de l'école primaire en suisse au 19e, Berne, Peter Lang, 1999. Les auteurs parlent de l'histoire de l'éducation de la Suisse entière en la qualifiant de « terrain inexploré ». De nouveaux travaux ont néanmoins vu le jour depuis, mais le Valais semble totalement ignoré. 35 AEV, 1 DIP 29, « Rapports du Département de l'instruction publique ; imprimés (1876-1911) » 36 AEV, 1 DIP 30-98, « Rapport des inspecteurs scolaires. 1854-1873 ». Malgré les dates de l'inventaire, les rapports s'étendent bien à 1906. 37 AEV, 1 DIP 144.2, « Copies-lettres en français. 1906-1910 » et 1DIP 145bis, « Correspondance. 1913-1915 ». 17 seules sources « intimes » valaisanne que nous avons pu consulter38 . Nous nous sommes énormément servis de L'école primaire, journal pédagogique mensuel du canton du Valais39, grâce auquel nous avons pu compléter nos informations lacunaires, notamment sur la période de guerre, encore plus difficile à saisir qu'en France. Ce corpus, bien qu'imparfait, permet cependant d'assurer une comparaison des systèmes éducatifs français et suisses en milieu de montagne sur la période 1880-1918, de proposer des pistes de réponses aux questions que nous avons posées dans cette introduction. Dernière difficulté soulevée : l'historiographie de la recherche en éducation. Si du côté français, les productions sont nombreuses et couvrent des objets variés, la recherche en éducation valaisanne est quasiment inexistante. Rita Hofstetter écrivait il y a dix ans, que la recherche en éducation en Suisse pouvait être un laboratoire des plus intéressants du fait des grandes divergences entre les cantons et la limitation actuelle du champ à quelques monographies40. Ce travail n'a pas encore été mené : une seule étude sur le Valais existe seulement - encore que l'auteure se fonde presque exclusivement sur des productions travaux français41. Nous ouvrons ici un champ resté vierge, l'excitation de l'apprenti-chercheur se mêle à la limite évidente de ne pas pouvoir s'appuyer sur une littérature existante. Une première partie de ce mémoire sera consacrée à la réflexion autour du lieu scolaire, son implantation dans un environnement contraignant. Nous aborderons le rôle des différents pouvoirs - État, canton, commune - dans l'aménagement des locaux scolaires des communes alpines, puis essayerons de mesurer le fonctionnement de l'école en mesurant les négociations normes/pratiques qui y prennent place. Celles-ci s'incarnent au travers des spécificités - réelles ou supposées - du milieu alpin - isolement hivernal, risques naturels - et des manières de se le représenter en France et en Suisse. Une seconde partie sera consacrée aux frontières de l'enseignement, et aux trajectoires de vies qui en découlent, en pointant tout d'abord l'étanchéité surprenante entre la Haute-Savoie et la Valais - pourtant si proches. Y seront abordées les questions relatives au tourisme naissant et leur influence sur les écoles alpines avant d'étudier la place de l'environnement local dans les enseignements haut-savoyard et 38 AEV, « Pitteloud Vincent. 1557-20e siècle », « 24. Instituteur, 1908-1931 ». 39 Résonances ( resonances-vs.ch). 40 Rita HOFSTETTER, « La suisse et l'enseignement aux XIXe-XXe siècles. Le prototype d'une «fédération d'enseignants» ? », Histoire de l'éducation, n°134, 2012, p. 59-80. 41 Danièle PERISSET-BAGNOUD, Vocation : régent, institutrice : jeux et enjeux autour des Écoles normales du Valais romand, (1846-1994), Thèse de doctorat en Sciences de l'Éducation, sous la direction de Philippe PERRENOUD, Université de Genève, 2000. 18 valaisan ainsi que les manières différenciées de se le représenter. Concernant les trajectoires de vie, nous parlerons des représentations que les acteurs scolaires se font de leur milieu en mêlant contraintes « objectives » et représentations « subjectives » qui pèsent sur leur parcours et les incitent à déployer certaines stratégies. Enfin, dans une dernière partie, nous étudierons l'école des Alpes face à la guerre en montrant l'ébranlement des systèmes scolaires par l'événement guerrier la nationalisation de l'école mais aussi l'éloignement des deux territoires du front, dans un jeu de ressemblances/différences qui redéfinit les frontières scolaires, à un niveau tant local que national et même international. 19 PREMIÈRE PARTIE. Le lieu scolaire : matérialité, pratiques et représentations L'école s'inscrit par des lieux dans des milieux et doit s'y adapter si elle veut s'y implanter. Dans le cas français, l'école de la IIIe République cherche justement à s'enraciner dans toutes les localités, tant dans la matérialité du bâti que par son enseignement. Cela passe notamment par la largesse des dotations de l'État envers les communes pour les constructions scolaires42, mais aussi par la volonté politique d'imposer un programme d'enseignement unique et commun dans toutes les écoles, de prodiguer aux instituteurs et institutrices une formation de plus en plus rigoureuse. La Suisse, également prise dans le processus européen de développement de l'offre scolaire, tend vers le même objectif. Pourtant, le modèle fédéral de la Confédération laisse une large autonomie aux cantons en termes de politique scolaire, ouvrant ainsi la voie à de grandes disparités entre ces territoires. En Valais par exemple, l'État fait preuve d'une économie qui contraste avec le canton voisin de Genève - et même d'une bonne partie de ses voisins européens : la plupart des charges scolaires est laissée aux communes, les programmes censés suivre une ligne commune - quoique assez floue - sont en réalité largement laissés au bon vouloir des instituteurs, très peu formés jusqu'au début des années 1880, et souvent sous la tutelle du maire43 et du curé. Pourtant, un réel effort de « rattrapage » est revendiqué par les acteurs de l'école valaisanne sur la période 1880-1914, menant à des réalisations non négligeables en termes de politique scolaire. Il s'agit ici d'étudier à quels niveaux sont prises les décisions concernant l'école, d'identifier le rôle de l'État, du département, du canton et de la commune. Ceci n'est pas sans conséquences sur les formes que prennent les lieux scolaires dans le paysage alpin, et permet d'éclairer les « arrangements » entre prérogatives de l'État et application dans un cadre géographique particulier. Comme nous l'avons évoqué dans l'introduction, l'école de montagne n'est pas l'école de la ville, ni celle de la plaine. Elle possède plusieurs caractéristiques « physiques » propres qui induisent des modalités d'organisation différenciées selon les lieux où elle se dresse. Toutefois, au-delà de la simple insertion du bâti scolaire au sein du milieu alpin, il s'agit d'analyser les manières qu'ont les 42 La presse réactionnaire critiquera d'ailleurs les « palais scolaires » de Jules Ferry. 43 Par souci de clarté, nous utiliserons systématiquement le terme de « maire » pour le Valais qui alterne avec celui de « président ». 20 acteurs de se représenter et de pratiquer l'école de montagne. Leurs justifications s'appuient d'ailleurs très souvent sur un argumentaire lié à leur environnement physique. 21 |
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