Chapitre II : Vers l'amélioration du
problème de non enregistrement en Haïti
Après avoir analysé et interprété le
phénomène du non enregistrement des actes de naissance dans les
aspects liés au personnel et au matériel, l'Etat haïtien
parait incapable de faire fonctionner les bureaux de l'état civil comme
un service public. Est-ce pourquoi nous sommes obligé, croyons-nous, de
formuler à l'État quelques propositions en vue d'améliorer
ce fléau qui détruit la personnalité des victimes, avilit
ceux qui le soutiennent et le pratiquent, et du coup, ruine la
société. En effet, le dernier chapitre de notre travail de
recherche académique, est consacré à un véritable
plaidoyer sur l'ensemble des mesures à prendre pour diminuer
considérablement le phénomène du non enregistrement tant
dans la juridiction de Miragoâne qu'en toute Haïti. Pour ce faire,
nous essayons de proposer toute une série de recommandations palpables
visant à faciliter une solution durable. Dans ce domaine, nous insistons
sur le rôle de l'Etat en tant qu'organe de régulation, il doit
coordonner toutes les actions visant à réduire ou même
à éliminer ce fléau. Ainsi l'intervention de l'État
s'articulera autour de deux grands points : les aspects administratifs et
financiers des bureaux de l'état civil (Section 1), les aspects
techniques et légaux du système de l'état civil (Section
2).
Section 1: Aspects administratifs et financiers des
bureaux de l'état civil
Dans le cadre de cette section de notre travail de recherche,
nous faisons ressortir quelques propositions à l'Etat en Haïti
portant sur des réformes à engager dans le système sur le
plan administratif (§ 1), tout en instant sur la problématique de
la réforme des propositions qui concernent le système au point de
vue de la gestion financière des bureaux de l'état civil
(§2).
I- Sur le plan administratif
Le constat presque général au cours de notre
enquête est que les agents attachés aux différents bureaux
de l'état civil ont très peu de conscience de leur
responsabilité. À la tête d'un bureau est nommé un
officier de l'état civil qui peut s'entourer de clercs pour le seconder.
Aucun d'eux n'est formé à la profession car il n'existe
aujourd'hui aucune école ni aucun concours de la profession, la
nomination de l'officier relevant bien souvent d'un choix politique. Ils
violent donc régulièrement les normes qui réglementent
leur travail et commettent des erreurs dans la rédaction des actes. Aux
administrés de payer pour les voir corrigées. Pour réduire
sensiblement cette défaillance, il est recommandé à ce
sujet que le Ministère de la Justice et de la Sécurité
Publique (MJSP) agit sur les ressources humaines ainsi que les ressources
matérielles sans négliger les ressources financières.
1. Recrutement du personnel
Pour que le système d'état civil fonctionne
correctement nous préconisons que les autorités étatiques
attribuent à chaque bureau état civil en premier lieu tout le
personnel nécessaire à son fonctionnement. Nous entendons par
là non seulement des acteurs de l'enregistrement des actes (officiers de
l'état civil, clercs et/ou Secrétaires) mais également et
surtout le personnel de soutien comme : ménagère, gardien,
messager, etc.
Pour s'assurer de la qualification et de la compétence des
acteurs de l'enregistrement des naissances (officiers de l'état civil,
clercs et/ou Secrétaires) et autres personnels attachés aux
bureaux de l'état civil leur recrutement doit être fait de
manière régulière. Par là, on entend que le
Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP)
nomme selon le voeu des lois et règlements régissant la fonction
publique. Selon le décret du 17 mai 2005, aucun agent public ne peut
être engagé que par voie de concours. Donc toute nomination doit
être faite par le truchement d'un concours de sélection
consécutif à un programme de formation sanctionné par un
test d'évaluation.
2. Formation du personnel et sensibilisation de la population
Les premiers chantiers à entreprendre doivent cibler les
acteurs de l'état civil en leur assurant une formation et la population
en l'encourageant à se rendre dans les bureaux de l'état civil.
Sans déclarations il n'y a pas d'actes de naissance et donc pas de
preuves de l'identité légale des personnes. Ces premières
mesures consolideront les bases fragiles de l'état civil en en
garantissant la production documentaire. La formation des professionnels et des
représentants de l'État est impérative. Si l'on veut que
le système d'état civil fournisse des données valables,
fiables pour toute la nation, dans l'immédiat, l'Etat haïtien
devrait donner aux officiers d'état civil, dits gestionnaires des
bureaux d'état civil, une formation et une orientation concernant les
lois et procédures applicables en matière de l'état civil.
Cette formation devra être appuyée par des moyens adéquats
tels que les supports durs (documents) de références
appropriées, faciles à comprendre et régulièrement
mis à jour.
Cette formation technique devrait intéresser non seulement
les officiers, mais également le personnel du service d'enregistrement
à savoir les clercs et secrétaires qui doivent être tenus
constamment au courant des questions concernant par exemple la transcription,
la présentation, le recueillement des données et la conservation
des archives. D'ailleurs, un guide d'orientation devrait être mis
à leur disposition et qui servira de référence dans
l'accomplissement de leurs tâches. Dans tous les cas le personnel de
l'état civil doit continuer à être formé afin
d'atteindre, à défaut de pouvoir respecter la législation
à la lettre faute de moyens, une bonne connaissance théorique de
ses attributions et des pratiques prévues par la loi. Lorsqu'il pourra
exercer leur travail dans de bonnes conditions, il ne sera pas
nécessaire de lui enseigner la théorie.
Toutefois, pour une amélioration réelle et
intégrale des capacités du personnel, la formation des acteurs du
système de l'état civil doit inclure les questions relatives aux
droits de l'homme, à l'étique et à la déontologie
administrative ne seraient pas superflue ; c'est même une
nécessité.
La sensibilisation doit être entièrement axée
sur les actes de naissance. Parce qu'ils sont le premier document qui atteste
l'identité légale d'une personne. La sensibilisation des parents
par le personnel enseignant lors des rencontres de parents dans les
écoles est une activité à envisager. Des professeurs
pourraient écrire des sketches sur l'état civil et les faire
interpréter par les enfants afin de les sensibiliser sur la
problématique. Quand ils deviendront grands, ils garderont dans leur
mémoire ces souvenirs. D'autres actions de sensibilisation peuvent
être initiées comme la réalisation de spots radiophoniques,
de débats publics, d'affiches pour atteindre la population. Ce ne sont
que des exemples parmi d'autres des actions à mener en faveur de la
population qu'il est vital d'encourager à se déplacer vers les
bureaux de l'état civil.
3. Réalisation de voyages d'études dans des pays
francophones
Pour profiter des expériences des pays francophones ayant
déjà mis en oeuvre des programmes de modernisation de
l'état civil, des missions de voyages d'études peuvent être
envisagées surtout dans les pays africain. Ce, au regard des
similitudes avec le contexte haïtien et des avancées
observées dans les pays en question. L'objectif principal de ces
missions est de prendre connaissance de l'expérience en cours dans le
cadre des programmes de modernisation de l'état civil et des
leçons apprises. Cet échange d'expériences dans la mise en
oeuvre du processus de réforme du système d'état civil
visera spécifiquement à : (i) apprendre comment fonctionne le
système avec les innovations technologiques apportées dans le
mécanisme d'enregistrement des faits d'état civil; (ii) obtenir
une meilleure compréhension dans l'utilisation de nouveaux outils pour
la gestion de l'état civil ; (iii) apprécier la valeur
ajoutée des réformes en cours à partir des leçons
apprises ; (iv) développer des partenariats pour des échanges
d'expériences et de collaboration futurs.
4. Surveillance et transmission des données
Le délai allant du 1er janvier jusqu'au 10
février de l'année suivant celle de l'enregistrement qui est
fixé pour la transmission des dossiers aux Parquets de la juridiction du
ressort du bureau de l'état civil est très rarement
respecté. La transmission des dossiers se fait avec beaucoup de retard.
Si l'indisponibilité de registres dans les bureaux d'état civil
représente la cause essentielle de ce retard parce que les
déclarations enregistrées dans de petits cahiers seront
reportées par la suite sur les registres qui arrivent souvent avec
retard, cette défaillance n'est pas incorrigible. Pour réduire
sensiblement cette défaillance, il est obligatoire que le
Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique(MJSP)
fournisse au début de chaque année des registres de tout type
(naissance, mariage, décès, etc.) à chaque bureau de
l'état civil. Le nombre de registre à fournir dépend de la
réquisition faite par chaque Officier à la fin de l'année
écoulée.
Pour empêcher à l'officier de l'état civil de
garder les registres au cours d'une période de temps excédant
l'année civile, le Ministère de la Justice et de la
Sécurité Publique (MJSP) doit installer un
inspecteur-contrôleur de l'état civil dans chacune des
juridictions du pays. Des matériels techniques et logistiques suffisants
doivent être mis à la disposition de chaque
inspecteur-contrôleur pour faciliter les procédures de
contrôle permanent qui sont nécessaires à la bonne marche
de l'état civil. Cet inspecteur-contrôleur aura, entre autre, la
responsabilité de doter régulièrement les bureaux de
l'état civil en registres et en formulaires suffisants pour
l'enregistrement de tous les faits de l'état civil.
5. Conservation des données
L'archivage des documents de l'état civil doit
répondre à certaines normes de façon à garantir
leur stockage et par conséquent leur exploitation durable. L'analyse des
conditions de conservation et d'archivage des registres dans les bureaux de
l'état civil indique que leur état de fonctionnalité n'est
pas conforme aux standards internationaux notamment ceux relatifs aux
orientations du manuel des Nations unies relatif à l'archivage des
données d'état civil (ONU, Manuel des systèmes
d'enregistrement des faits d'état civil, 2000). L'article 45 du Code
Civil haïtien exige que tous les registres de l'état civil doivent
être tenus en double exemplaire pour chaque espèce d'acte de
l'état civil ou dispositif de jugement du Tribunal de Première
Instance. Selon ce même article, l'un des registres est détenu
par l'officier de l'état civil en son bureau jusqu'à sa mutation,
le second est déposé aux Archives Nationales, chaque
année, entre le 1er janvier et le 10 février après la
procédure de clôture prévue au Code Civil. Le
Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP)
recommandera par circulaire aux commissaires du Gouvernement la diligence
à laquelle ils sont assujettis au 10 février de chaque
année. Le constat fait durant notre enquête nous montre que
certains bureaux de l'état civil ne disposent pas plus qu'un seul
classeur métallique pour la conservation des registres et autres
documents importants pour le bureau. En ce sens, il est recommandé au
Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP)
dans l'immédiat de loger les bureaux dans des locaux spacieux et
sécuritaires. En outre, chaque bureau de l'état civil doit
être doté d'armoires, d'étagères et de tous les
autres meubles importants et suffisants pour le stockage des archives dans des
lieux à l'épreuve du feu, de l'eau, des insectes et des rats. Il
en est de même pour les registres et autres matériels de bureau
non encore en service.
6. Sur le plan financier
Sous l'angle exclusivement financier, pour reprendre le Groupe
d'Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR), l'État se
borne à instituer les officier de l'état civil mais non les
bureaux de l'état civil. Ainsi, l'officier de l'état civil semble
davantage être un officier ministériel que le représentant
d'un service public. À charge par lui de trouver un local, d'en assumer
les frais afférents (location, entretien, etc.), de recruter des
secrétaires et clercs. Il va sans dire que ces dépenses sont
répercutées sur le coût de tous les actes
enregistrés ou délivrés par le bureau. En effet, la loi ne
prévoit aucun budget de fonctionnement des bureaux de l'état
civil, obligeant ainsi les officiers de l'état civil à
établir des officines privées.
1. Budget de fonctionnement
Il est indispensable que les décideurs politiques
chargés des allocations budgétaires dégagent des
crédits assez substantiels et conséquents qui puissent assurer le
fonctionnement des bureaux de l'état civil. Ces crédits devraient
être suffisants pour l'acquisition d'équipements appropriés
(fournitures de bureau, mobilier, machines à taper et ordinateurs si
possible). Sans oublier certains frais de fonctionnement pour le paiement des
factures de l'électricité, d'eau, téléphone, etc.
Ajouté à cela, les officiers, les clercs et/ou secrétaires
attachés au bureau de l'état civil, comme on le dit
déjà doivent desservir toute une commune ou tout un quartier.
Remplissant une fonction qui requiert des qualifications essentielles comme la
probité et la pratique des écritures, officiellement ne peuvent,
en aucune façon, percevoir directement des taxes. Pour cela, ils
devraient bénéficier d'un salaire équilibré par
rapport au coût de la vie afin de leur enlever toute tentation de
commettre des fraudes, ou de falsifier des documents.
2. Grille de facturation
Le Ministère de la Justice et de la Sécurité
Publique (MJSP) doit créer une grille de facturation pour tous les
bureaux de l'état civil. Cette grille prévoirait le tarif
à payer pour chaque type de service payant que le bureau aura à
fournir à la population. Le cas du mariage civil est un exemple
pratique. Il est l'un des rares cas où l'officier est bien
obligé, certaines fois, de laisser son bureau. Quant aux actes qui sont
réputés gratuits comme les actes de naissance, les actes de
reconnaissance d'un enfant naturel et les actes de décès, des
sanctions doivent être appliquées aux Officiers de l'Etat
Civil en cas de non respect de cette formalité.
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