5.2 La focalisation
La focalisation consiste à mettre en exergue ou en
emphase un constituant parmi tant d'autres. Selon Strik (2008 :82), il est
commun dans la littérature de distinguer deux types de focus35
: le focus contrastif ou focus étroit36 et
le focus non-contrastif ou focus large37.
La technique la plus utilisée dans la focalisation est
le clivage. De manière générale, et ceci en
français, on distingue quatre parties dans une phrase clivée : un
pronom, une copule, un syntagme clivé ou focalisé, parfois
appelé `pivot' et une proposition clivée ou coda.
(5) C' est la voiture que Pierre a acheté.
pronom copule syntagme clivé coda
32lérwà, né 3an, fuim3ti,
maì twoì -faì niÌ m?Ì
gaìbèkèt.
livre, à Jean, demain, 1sg F1 donner à
sûrement « Le livre, à Jean, demain, je le lui donnerai
sûrement. »
Nous avons traduit ici la phrase (2), et comme nous pouvons le
constater, cette phrase à une traduction en Shupamem. Toute chose qui
nous permet de conclure que la structure proposée par Rizzi existe en
Shupamem.
33 *né 3an, lérwà, m?
nà taìp twó faà né Petro, jiìr?
jùm. à Jean livre, 1sg Accs Nég F1 donner
à Pierre article
« A JEAN LE LIVRE je donnerai, pas A PIERRE, L'ARTICLE.
» Cette phrase est agrammaticale en Shupamem.
34 né 3an, jiì, fuim3ti, û
pé-lò rié?
à Jean ça demain 2sg Cond dire
« A Jean, ÇA, demain, tu devrais lui dire. »
Cette phrase est la traduction de la phrase (4).
35 Selon Creissels (2004 :2), un
élément de la phrase est mis en focus s'il apparaît
particulièrement chargé d'une valeur informative
36 D'un point de vue
sémantique, le focus contrastif représente la valeur de la
variable liée par un opérateur abstrait qui exprime une
identification exhaustive. D'un point de vue syntaxique, le focus contrastif
est lui même par hypothèse un opérateur qui se
déplace vers une position de portée dans le spécifieur
d'une projection fonctionnelle et qui lie une variable.
37 Le focus non-contrastif
correspond à l'information nouvelle de la phrase. Chaque phrase contient
un focus non-contrastif. En revanche, chaque phrase ne contient pas un focus
contrastif.
101
Nchare (2012) identifie deux stratégies de focalisation
en Shupamem. Selon lui un constituant peut être focalisé par
clivage c'est-à-dire, qu'on recourt à la clivé â
(c'est). Par ailleurs, un constituant peut aussi être
focalisé par duplication verbale. Comme le montre l'exemple suivant.
(6) a. man swô pâjù tà pàm.
enfant mettre nourriture dans sac
« l'enfant a mis la nourriture dans la sac. »
b. man swô pâjù swô tà
pàm.
enfant mettre nourriture mettre dans sac « L'enfant A MIS la
nourriture dans le sac. »
Comme nous pouvons observer, en (6a), nous avons à
faire à une phrase déclarative. En (6b), c'est le verbe
swô (mettre) qui est focalisé. Nous allons revenir de
long en large sur la focalisation par duplication verbale dans la suite de
notre travail.
Comme nous l'avons dit plus haut, dans une phrase, nous ne
pouvons pas focaliser plus d'un constituant. En Shupamem, nous utilisons le
clivage pour exprimer la focalisation. Par ailleurs, dans cette langue, il est
possible de focaliser le sujet, le complément d'objet direct, le
complément d'objet indirect et le complément circonstanciel.
5.2.1 Focalisation du sujet
Considérons la phrase suivante et ses dérivations
:
(7)a. Ali pi-jùn rjgbôm né mà
mà jaûndè.
Ali P2-acheter maïs à moi à
Yaoundé « Ali m'avait acheté le maïs à
Yaoundé.
b. â Ali pi-jùn rjgbôm né mà
mà jaûndè. c'est Ali P2-acheter maïs à moi
à Yaoundé « C'est Ali qui m'avait acheté le maïs
à Yaoundé. »
c. â Ali jud iì pi-jùn rjgbôm
nè mà mà jaûndè nâ. c'est Ali qui
3sg P2-acheter maïs à moi à Yaoundé Comp « C'est
Ali qui m'avait acheté le maïs à Yaoundé. »
(8) a. Petro 0 -rjgwôn mà jaùndè.
Pierre PRS- aller à Yaoundé « Pierre part
à Yaoundé. »
b. â Petro jud iì 0 -rjgwèn mà
jaùndè nâ.
C'est Pierre qui 3sg PRS-aller à Yaoundé
Comp « C'est Pierre qui va à Yaoundé. »
* c. â Petro 0 -rjgwôn mà jaùndè
nâ.
C'est Pierre PRS-aller à Yaoundé Comp «
C'est Pierre va à Yaoundé. »
102
Dans (7b), nous avons focalisé le sujet « Ali
». Cette focalisation s'est faite par clivage. C'est pour cette raison que
« Ali » se trouve en initial de phrase. En (8b), Petro
(Pierre) a été focalisé en se
déplaçant, sa trace est remplacée par le pronom
résomptif i' (il) qui est le sujet de Ø -?gwo`n
(aller) ; en fait, le Shupamem ne permet pas que la position sujet soit
vide Nchare (2012 :505). Par ailleurs, nous constatons que c'est a'
(c'est) en début de phrase qui permet de focaliser.
(8c) est agrammatical parce qu'il ne contient pas
juo'(qui). La structure de (7c) est identique à (8c) qui est
agrammatical, qu'est-ce qui peut bien expliquer le fait que (7c) bien qu'ayant
une même structure que (8c) soit grammatical ? En Shupamem et au temps
passé, il est
possible de focaliser un constituant en position sujet sans
recourir à juo' n?ìet avoir une phrase correcte mais
quand nous avons à faire au présent nous utilisons
obligatoirement juo'. L'agrammaticalité de (8c) est dû
à l'absence de juo'. En conclusion, nous pouvons dire que la
focalisation du sujet se fait en Shupamem de deux façons :
1. a' (c'est) en début de phrase suivi du
constituant focalisé.
2. a' (c'est) en début de phrase suivi du
constituant focalisé plus juo'(qui) et n?ì en
fin de phrase;
L'arbre suivant représente la phrase (7b).
103
(9) SClivée
Spéc Clivée'
Clivée° SFoc
Spéc Foc'
Foc° ST
Spéc T'
T° SV
Spéc V'
V° SN
Spéc N'
N° SP
Spéc P'
P° SN
Spéc N'
N° SP
Spec P'
P° SN Spéc N'
N°
aì Ali Ali pI juÌn ?gbom né maÌ
maÌ jauìndeÌ
C'est Ali Ali P2 acheter maïs à moi à
Yaoundé
L'arbre (9) représente la phrase (7b). Cet arbre nous
permet de voir comment le sujet de la phrase « Ali » se
déplace de [Spéc, ST] à [Spéc, SFoc]. Et ceci nous
permet d'affirmer que le sujet peut être focalisé en Shupamem. Par
ailleurs, nous pouvons dire avec Rizzi (1997) que l'élément
focalisé occupe [Spéc, SFoc].
Nous allons représenter sur l'arbre suivant la phrase
(8b) question pour nous d'avoir l'autre structure possible de la focalisation
en Shupamem.
104
(10)
SForce
Spéc Force'
Force° Foc'
Foc° SClivée
Spéc Clivée Clivée° SFoc
Spéc Foc'
Foc° SForce
Spéc Force' Force° ST
Spéc T'
T° SV
Spéc V'
V° SP
Spec P'
P° SN Spéc N'
ì
n?
Comp
C'est Pierre qui 3sg aller à Yaoundé
aì Petro juoì I ?gwoÌn maÌ
jauÌndeÌ
N°
En (10), nous avons la deuxième structure de la
focalisation en Shupamem. En fait ici, juoì(qui) et
n?ì ont été ajouté à la phrase. En
outre, à partir de l'arbre (10) ci-dessus, il ressort que
juoì (qui/que) et n?ì occupent la tête du
syntagme de la Force (Force°). Ce qui nous permet de constater qu'en
Shupamem, la tête du syntagme de la Force peut héberger plusieurs
constituants.
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