Chapitre II :
Introduction
Le chapitre I, qui vient de s'achever, nous a permis de parler
des éléments importants qui constituent la grammaire du Shupamem
à savoir le système consonantique et vocalique, de classes
nominales, du temps de l'aspect et mode ainsi que de la négation dans
cette langue. Le chapitre II sera consacré à la théorie
sur laquelle nous allons nous appuyer pour mener notre étude à
savoir le Programme Minimaliste.
2.1 Le Programme Minimaliste
Pour comprendre la portée et élucider la raison
d'être d'émergence du Programme Minimaliste, il importe de
retracer l'histoire de ce programme de recherche. Apparue dans les
années 1950 avec les premiers travaux de Chomsky, la grammaire
générative7 marque un changement majeur et radical en
linguistique. Les deux questions principales auxquelles la théorie
minimaliste cherche à trouver une réponse sont :
i) Comment peut-on caractériser le savoir linguistique
des locuteurs adultes d'une langue donnée ?
ii) Comment le savoir linguistique se développe-t-il
chez les locuteurs ?
Dans le cadre du Programme Minimaliste, le langage est
considéré comme un don biologique. C'est-à-dire que le
langage est inné et appartient au patrimoine génétique de
l'espèce humaine. Ce qui voudrait dire que chaque être humain est
équipé d'une `faculté de langage' innée que l'on
peut caractériser comme un module dans le cerveau contenant un ensemble
de contraintes ou lois constituant la Grammaire
Universelle8. Avant de continuer, il convient de noter que les
contraintes sont paramétriques car elles varient d'une langue à
une autre. Construire la grammaire d'une langue revient à décrire
comment sont appliquées les contraintes dans cette langue. La
théorie des Principes et Paramètres permet de rendre compte
simultanément des ressemblances et des distinctions entre les
différentes langues. Le savoir linguistique de chaque locuteur est
appelé `langue interne' (Chomsky 1986 :22) ou `grammaire interne' ou
encore (`I-language'). La langue interne est un système de
règles
7 Selon Bailleul (2013 :5), «la grammaire
générative prend pour principes de base l'existence d'une
grammaire universelle».
8 Ensemble d'instructions assez abstraites pouvant
se décliner de manières différentes selon les langues ou
les groupes de langues. On ne peut pas parler de grammaire universelle sans
faire allusion aux universaux linguistiques qui sont en fait des
éléments linguistiques (phonétiques, phonologiques,
syntaxiques sémantiques ou lexicaux).
intériorisées qui constitue la grammaire mentale
d'un locuteur et qui lui permet de porter des jugements d'acceptabilité
dans sa langue maternelle. La langue interne s'oppose à la `langue
externe' (`E-language') qui est l'ensemble des données
attestées dans une langue donnée ou le savoir linguistique
partagé par une communauté linguistique. Contrairement à
la langue interne, la langue externe n'est pas un ensemble cohérent,
mais hétérogène.
Le Programme Minimaliste a pour but de rendre compte de la
créativité du langage qui permet à un être humain de
comprendre et de produire des phrases qu'il n'a jamais entendues par le
passé. Dans le cadre du Programme Minimaliste, Chomsky distingue deux
concepts importants à savoir : la compétence et la performance.
La compétence est la connaissance innée, tacite, implicite voir
même inconsciente qui permet aux individus de produire et de comprendre
des phrases qu'ils n'ont jamais entendues par le passé. La performance
est l'utilisation réelle de la langue par le sujet parlant. La grammaire
générative s'évertue à décrire et à
expliquer la compétence linguistique c'est-à-dire cet ensemble
fini des règles qui permet au sujet parlant d'engendrer un nombre infini
de phrases. Ce qui caractérise le Programme Minimaliste c'est que les
règles et les opérations syntaxiques sont guidées par
divers principes. De plus, la manière de représenter la grammaire
et les opérations syntaxiques est devenue plus simple ou `minimale'.
Ainsi, la distinction entre une structure profonde et une structure de surface
a disparu. Il ne reste plus qu'un seul niveau de représentation,
relié à deux niveaux d'interface : la Forme Phonétique
(FP9) et la Forme Logique (FL10).
Le Programme Minimaliste (Chomsky, 1993, 1995), Biloa &
Nchare (2004) garde des propriétés importantes de la
théorie des Principes et des Paramètres comme la présence
de paramètres de variation. Le schéma suivant est le
modèle de la faculté de langage dans le Programme Minimaliste
proposé par Strik (2008 :5).
41
9 Le FP concerne les propriétés
sensori-motrices du langage à savoir le son.
10 Le FL renvoie aux propriétés
sémantiques et conceptuelles, donc l'interprétation d'un
énoncé.
42
(1)
Lexique
- traits lexicaux
- traits non interprétables, déclenchant des
opérations
|
Numération
Système Computationnel Opérations
:
- Fusion externe (`External Merge') - Fusion Interne (`Internal
Merge') - Accord (`Agree')
|
Epel
Interfaces : Forme Phonétique Forme Logique
Il convient de noter que dans le Programme Minimaliste deux
opérations conduisent à la dérivation d'une phrase : la
fusion ou assemblage et le déplacement ou délocalisation.
2.1.1 La fusion
Notons tout d'abord que la dérivation d'une phrase
commence toujours par la sélection dans le lexique des items
nécessaires à la construction de la phrase. L'ensemble des items
sélectionnés est appelé numération.
Généralement, on distingue deux types de fusions : la fusion
externe et la fusion interne.
2.1.1.1 La fusion externe
Selon Chomsky (1995), la fusion externe est une
opération binaire qui explique la constitution d'une troisième
entité C à partir du fusionnement de deux entités A et B.
C'est donc une dérivation syntagmatique (Pollock (1997), Chomsky (2004,
2007, Laenzlinger (2011)). L'opération de fusion est récursive
c'est-à-dire qu'elle est répétée tant qu'il y a
encore des éléments non pris en compte dans la numération.
Observons les exemples suivants :
(2) a. pájù (nourriture)
b. jà (ma / mon)
c. pájù 3à (ma nourriture)
(3) a. rjgbôm (maïs)
b.
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iì (sa/ son)
c. rjgbôm iì (son maïs)
(4) a. màtwâ (voiture)
b. wâ (père)
c. màtwâ wâ (la voiture du père)
Nous avons fusionné (2a) et (2b) pour avoir (2c). En
fait, en (2a), nous avons paìjù « nourriture »
et en (2b) nous avons l'adjectif possessif jà « ma / mon
», c'est après la fusion de (2a) et (2b) que nous avons eu (2c)
paìjù 3à (ma nourriture) qui est «
ma nourriture » qui représente la troisième entité.
De même, pour obtenir (3c) qui est rjgbôm iì (son
maïs), nous avons fusionné (3a) rjgbôm (maïs)
et (3b) iì (sa/ son). Pour obtenir (4c) màtwâ
wâ (la voiture du père) nous avons fusionné (4a)
màtwâ (voiture) et (4b) wâ (père).
Il s'agit ici de la fusion externe.
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