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La collecte des données marines et le droit de la mer


par Wafa ZLITNI
Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis - Master de recherche en Droit international 2021
  

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Chapitre deuxième : Le régime astreignant
de la recherche scientifique marine

La partie XIII de la CMB qui s'intitule "recherche scientifique marine"281 constitue un compromis ambigu obtenu à l'issue des négociations de la CNUDM III. Des négociations «à la tonalité vive sinon âpre»282 opposant les Etats en voie de développement, défenseurs de la souveraineté maritime, aux Etats industrialisés défenseurs de la liberté des mers283. Le régime complexe284 finalement instauré pour cette activité de collecte des données marines porte préjudice à la bonne marche des travaux de recherches scientifiques marines285 même dans les zones de liberté. La CMB octroie en effet de larges pouvoirs à l'Etat côtier (section I) et peu de libertés aux chercheurs (section II).

Section I. Les pouvoirs de l'Etat côtier en matière de recherche scientifique marine

La recherche scientifique marine «n'a pas échappé à la tendance de l'appropriation»286. En effet, l'appropriation des espaces et l'emprise sur les ressources a conduit à une mise sous tutelle de cette activité de collecte des données marines soumise au principe du consentement de l'Etat côtier à la recherche scientifique marine dans ses zones d'emprise. Les Etats chercheurs ou les organisations internationales qui se proposent d'effectuer ce type de collecte des données marines dans ces zones ont dès lors l'obligation de demander le consentement de l'Etat côtier (paragraphe I) qui a un large pouvoir discrétionnaire quant à l'octroi ou le refus de celui-ci (paragraphe II).

281 Les articles 238 à 265 constituent la partie XIII de la CMB précitée intitulée «Recherche scientifique marine».

282 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.

283 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome I, Cadre institutionnel et milieu marin, op. cit., pp.16-19.

284 Ibidem.

285 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», op. cit., p. 63.

286 Idem., p.303.

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Paragraphe I: Le principe du consentement de l'Etat côtier à la recherche scientifique

Le principe du consentement constitue la «clef de voûte du système»287 institué par la partie XIII de la CMB pour la recherche scientifique marine. Le régime juridique prévu par ladite Convention pour cette activité de collecte des données marines varie selon la zone où doit être entrepris le projet de recherche288, mais le consentement exprès de l'Etat côtier reste la condition nécessaire sans laquelle ces projets de recherche ne peuvent être menés, qu'ils visent des zones sous souveraineté (A) ou des zones sous juridiction de l'Etat côtier (B).

A. Le consentement nécessaire de l'Etat côtier dans les zones sous souveraineté

Le principe du consentement de l'Etat côtier est consacré par l'article 245 de la CMB qui prévoit que «la recherche scientifique marine dans la mer territoriale n'est menée qu'avec le consentement exprès de l'Etat côtier et dans les conditions fixées par lui»289. Durant les négociations de la CNUDM III, les Etats industrialisés proposèrent que la recherche scientifique marine fondamentale dans la mer territoriale soit soumise à un régime de liberté, ce qui fut farouchement combattu par les Etats en voie de développement. Ainsi, l'Irak290, la Colombie291 et la République de Trinité-et-Tobago revendiquèrent que «la recherche scientifique marine dans la mer territoriale [doive] être conduite

287JARMACHE (E.), «Sur quelques difficultés de la recherche scientifique marine», in Mélanges offerts à Laurent LUCCHINI et Jean-Pierre QUENEUDEC, La mer et son Droit, op. cit., p. 305.

288 MONTJOIE (M.), op. cit., p.843

289 L'article 245 de la CMB précitée prévoit: «Les Etats côtiers, dans l'exercice de leur souveraineté, ont le droit exclusif de réglementer, d'autoriser et de mener des recherches scientifiques marines dans leur mer territoriale. La recherche scientifique marine dans la mer territoriale n'est menée qu'avec le consentement exprès de l'État côtier et dans les conditions fixées par lui».

290 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.13/Rev.2, Documents officiels de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la mer, volume III, pp. 199-200.

291 ONU, document A/CONF.62/C.3/L.13, Documents officiels de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la mer, volume III, p. 254.

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qu'avec l'autorisation préalable de l'Etat côtier»292, ce qui fut finalement consacré par le texte final de la CMB.

L'article 245 finit même par prévoir que «[l'Etat] côtier, dans l'exercice de [sa] souveraineté, [a] le droit exclusif de réglementer, d'autoriser et de mener des recherches scientifiques marines dans [sa] mer territoriale»293 alors que l'article 57 du Texte unique de négociation révisé ne lui octroyait qu'un «droit souverain sur la conduite et la règlementation de la recherche scientifique marine dans [sa] mer territoriale»294. L'Etat côtier détient un contrôle absolu295 sur la recherche scientifique marine non seulement dans sa mer territoriale, mais dans toutes les zones sur lesquelles il exerce «sa pleine souveraineté»296, bien que l'article 245 ne les mentionne pas explicitement297. Ainsi, en vertu de l'article 2 de la CMB, «la souveraineté de l'Etat côtier s'étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures et, dans le cas d'un Etat archipel, de ses eaux archipélagiques298, à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale»299.

292 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, op. cit., pp. 266-267.

293 Article 245 de la CMB précitée.

294 ONU, Document A/CONF.62/WP.8/Rev.1/PartIII, op. cit., pp.173-184.

295 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en Méditerranée», in MOUSSA (F.) (dir.) et LAGHMANI (S.) (dir), La mer Méditerranée entre territorialisation et coopération, colloque organisé du 18 au 20 février 2010 à Tunis, Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis, 2013, p. 55.

296 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», op. cit., p. 63.

297 MONTJOIE (M.), op. cit., p.843.

298 L'article 47.1 de la CMB précitée prévoit: «L'Etat archipel peut tracer des lignes de base archipélagiques droites reliant les points extrêmes des îles les plus éloignées et des récifs découvrants de l'archipel».

«Les eaux comprises à l'intérieur des lignes de base archipélagiques sont désignées sous le nom d'eaux archipélagiques» sur lesquelles l'Etat côtier exerce sa souveraineté, MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay», op. cit., p. 62.

299 L'article 2.1 de la CMB prévoit: «La souveraineté de l'État côtier s'étend, au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures et, dans le cas d'un État archipel, de ses eaux archipélagiques, à une zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer territoriale».

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L'Etat côtier règlemente par conséquent le passage inoffensif relativement à la recherche scientifique marine dans sa mer territoriale300 en vertu de l'article 21 de la CMB. Ces dispositions consacrent la proposition de l'Irak au cours des négociations de la CNUDM III qui selon laquelle «l'exercice du droit de passage inoffensif et de navigation ne confère pas aux Etats [...] le droit d'entreprendre des recherches scientifiques»301 ainsi que celle des Fidji selon laquelle «l'Etat côtier peut adopter, [...] des lois et règlements relatifs au passage inoffensif dans sa mer territoriale, qui peuvent porter sur les [...] recherches dans l'environnement marin»302. L'Etat côtier peut ainsi exiger des navires de recherche étrangers que ses autorités compétentes soient préalablement notifiées du passage, ou les appeler à emprunter des couloirs de navigation qu'il désigne spécifiquement303.

L'Etat côtier règlemente aussi le passage inoffensif relativement à la recherche scientifique marine dans les eaux archipélagiques en vertu de l'article 40 auquel renvoie l'article 54 de ladite Convention304, et le droit de passage en transit dans les détroits internationaux305. Ainsi, pendant l'exercice du droit de passage inoffensif reconnu aux «navires de tous les Etats, côtiers ou sans littoral»306 dans

300 L'article 21.1.g de la CMB précitée prévoit: «L'Etat côtier peut adopter, en conformité avec les dispositions de la Convention et les autres règles du droit international, des lois et règlements relatifs au passage inoffensif dans sa mer territoriale, qui peuvent porter sur les questions suivantes: recherche scientifique marine (...)».

301 ONU, document A/CONF.62/C.3/L.13, op. cit., p. 254.

302 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, op. cit., pp. 266-267

303 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en Méditerranée», op. cit., pp. 5556.

304 L'article 54 de la CMB précitée prévoit: «Les articles 39, 40, 42 et 44 s'appliquent mutatis mutandis au passage archipélagique».

305 L'article 38 de la CMB précitée prévoit: «1. Dans les détroits visés à l'article 37, tous les navires et aéronefs jouissent du droit de passage en transit sans entrave (...)

2. On entend par ·passage en transit- l'exercice, conformément à la présent' partie, de la liberté de navigation et de survol à seule fin d'un transit continu et rapide par le détroit entre une partie de la haute mer ou une zone économique exclusive et une autre partie de la haute mer ou une zone économique exclusive (...)».

306 L'article 17 de la CMB précitée prévoit: «Sous réserve de la Convention, les navires de tous les Etats, côtiers ou sans littoral, jouissent du droit de passage inoffensif dans la mer territoriale».

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la mer territoriale ainsi que dans les eaux archipélagiques307, ou du droit de passage archipélagique dans les couloirs de navigation établis par l'Etat archipel308, ou du droit de passage en transit, «les navires [...] affectés à la recherche scientifique marine [...] ne peuvent être utilisés pour des recherches [...] sans l'autorisation préalable» de l'Etat côtier309. Le passage d'un navire étranger qui se livre à des recherches scientifiques marines est alors «considéré comme portant atteinte à la paix, au bon ordre [et] à la sécurité de l'Etat côtier»310.

Le consentement de l'Etat côtier est ainsi nécessaire pour entreprendre des recherches scientifiques marines dans les zones sous la souveraineté de l'Etat côtier mais aussi dans les zones sous sa juridiction.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld