Chapitre deuxième : Le régime
astreignant de la recherche scientifique marine
La partie XIII de la CMB qui s'intitule "recherche
scientifique marine"281 constitue un compromis ambigu obtenu
à l'issue des négociations de la CNUDM III. Des
négociations «à la tonalité vive sinon
âpre»282 opposant les Etats en voie de
développement, défenseurs de la souveraineté maritime, aux
Etats industrialisés défenseurs de la liberté des
mers283. Le régime complexe284 finalement
instauré pour cette activité de collecte des données
marines porte préjudice à la bonne marche des travaux de
recherches scientifiques marines285 même dans les zones de
liberté. La CMB octroie en effet de larges pouvoirs à l'Etat
côtier (section I) et peu de libertés aux chercheurs (section
II).
Section I. Les pouvoirs de l'Etat côtier en
matière de recherche scientifique marine
La recherche scientifique marine «n'a pas
échappé à la tendance de
l'appropriation»286. En effet, l'appropriation des espaces et
l'emprise sur les ressources a conduit à une mise sous tutelle de cette
activité de collecte des données marines soumise au principe du
consentement de l'Etat côtier à la recherche scientifique marine
dans ses zones d'emprise. Les Etats chercheurs ou les organisations
internationales qui se proposent d'effectuer ce type de collecte des
données marines dans ces zones ont dès lors l'obligation de
demander le consentement de l'Etat côtier (paragraphe I) qui a un large
pouvoir discrétionnaire quant à l'octroi ou le refus de celui-ci
(paragraphe II).
281 Les articles 238 à 265 constituent la partie XIII
de la CMB précitée intitulée «Recherche scientifique
marine».
282 JARMACHE (E.), op. cit., p. 304.
283 LANGAVANT (E.), Droit de la mer, tome I, Cadre
institutionnel et milieu marin, op. cit., pp.16-19.
284 Ibidem.
285 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay»,
op. cit., p. 63.
286 Idem., p.303.
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Paragraphe I: Le principe du consentement de l'Etat
côtier à la recherche scientifique
Le principe du consentement constitue la «clef de
voûte du système»287 institué par la partie
XIII de la CMB pour la recherche scientifique marine. Le régime
juridique prévu par ladite Convention pour cette activité de
collecte des données marines varie selon la zone où doit
être entrepris le projet de recherche288, mais le consentement
exprès de l'Etat côtier reste la condition nécessaire sans
laquelle ces projets de recherche ne peuvent être menés, qu'ils
visent des zones sous souveraineté (A) ou des zones sous juridiction de
l'Etat côtier (B).
A. Le consentement nécessaire de l'Etat
côtier dans les zones sous souveraineté
Le principe du consentement de l'Etat côtier est
consacré par l'article 245 de la CMB qui prévoit que «la
recherche scientifique marine dans la mer territoriale n'est menée
qu'avec le consentement exprès de l'Etat côtier et dans les
conditions fixées par lui»289. Durant les
négociations de la CNUDM III, les Etats industrialisés
proposèrent que la recherche scientifique marine fondamentale dans la
mer territoriale soit soumise à un régime de liberté, ce
qui fut farouchement combattu par les Etats en voie de développement.
Ainsi, l'Irak290, la Colombie291 et la République
de Trinité-et-Tobago revendiquèrent que «la recherche
scientifique marine dans la mer territoriale [doive] être conduite
287JARMACHE (E.), «Sur quelques
difficultés de la recherche scientifique marine», in
Mélanges offerts à Laurent LUCCHINI et Jean-Pierre QUENEUDEC, La
mer et son Droit, op. cit., p. 305.
288 MONTJOIE (M.), op. cit., p.843
289 L'article 245 de la CMB précitée
prévoit: «Les Etats côtiers, dans l'exercice de leur
souveraineté, ont le droit exclusif de réglementer, d'autoriser
et de mener des recherches scientifiques marines dans leur mer territoriale. La
recherche scientifique marine dans la mer territoriale n'est menée
qu'avec le consentement exprès de l'État côtier et dans les
conditions fixées par lui».
290 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.13/Rev.2, Documents
officiels de la troisième conférence des Nations Unies sur le
Droit de la mer, volume III, pp. 199-200.
291 ONU, document A/CONF.62/C.3/L.13, Documents officiels
de la troisième conférence des Nations Unies sur le Droit de la
mer, volume III, p. 254.
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qu'avec l'autorisation préalable de l'Etat
côtier»292, ce qui fut finalement consacré par le
texte final de la CMB.
L'article 245 finit même par prévoir que
«[l'Etat] côtier, dans l'exercice de [sa] souveraineté, [a]
le droit exclusif de réglementer, d'autoriser et de mener des recherches
scientifiques marines dans [sa] mer territoriale»293 alors que
l'article 57 du Texte unique de négociation révisé ne lui
octroyait qu'un «droit souverain sur la conduite et la
règlementation de la recherche scientifique marine dans [sa] mer
territoriale»294. L'Etat côtier détient un
contrôle absolu295 sur la recherche scientifique marine non
seulement dans sa mer territoriale, mais dans toutes les zones sur lesquelles
il exerce «sa pleine souveraineté»296, bien que
l'article 245 ne les mentionne pas explicitement297. Ainsi, en vertu
de l'article 2 de la CMB, «la souveraineté de l'Etat côtier
s'étend, au-delà de son territoire et de ses eaux
intérieures et, dans le cas d'un Etat archipel, de ses eaux
archipélagiques298, à une zone de mer adjacente
désignée sous le nom de mer territoriale»299.
292 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, op. cit., pp.
266-267.
293 Article 245 de la CMB précitée.
294 ONU, Document A/CONF.62/WP.8/Rev.1/PartIII, op. cit.,
pp.173-184.
295 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en
Méditerranée», in MOUSSA (F.) (dir.) et LAGHMANI
(S.) (dir), La mer Méditerranée entre territorialisation et
coopération, colloque organisé du 18 au 20 février 2010
à Tunis, Faculté des sciences juridiques politiques et
sociales de Tunis, 2013, p. 55.
296 MARFFY (A. de), «La Convention de Montego Bay»,
op. cit., p. 63.
297 MONTJOIE (M.), op. cit., p.843.
298 L'article 47.1 de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat archipel peut tracer des lignes de base
archipélagiques droites reliant les points extrêmes des îles
les plus éloignées et des récifs découvrants de
l'archipel».
«Les eaux comprises à l'intérieur des
lignes de base archipélagiques sont désignées sous le nom
d'eaux archipélagiques» sur lesquelles l'Etat côtier exerce
sa souveraineté, MARFFY (A. de), «La Convention de Montego
Bay», op. cit., p. 62.
299 L'article 2.1 de la CMB prévoit: «La
souveraineté de l'État côtier s'étend,
au-delà de son territoire et de ses eaux intérieures et, dans le
cas d'un État archipel, de ses eaux archipélagiques, à une
zone de mer adjacente désignée sous le nom de mer
territoriale».
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L'Etat côtier règlemente par conséquent le
passage inoffensif relativement à la recherche scientifique marine dans
sa mer territoriale300 en vertu de l'article 21 de la CMB. Ces
dispositions consacrent la proposition de l'Irak au cours des
négociations de la CNUDM III qui selon laquelle «l'exercice du
droit de passage inoffensif et de navigation ne confère pas aux Etats
[...] le droit d'entreprendre des recherches scientifiques»301
ainsi que celle des Fidji selon laquelle «l'Etat côtier peut
adopter, [...] des lois et règlements relatifs au passage inoffensif
dans sa mer territoriale, qui peuvent porter sur les [...] recherches dans
l'environnement marin»302. L'Etat côtier peut ainsi
exiger des navires de recherche étrangers que ses autorités
compétentes soient préalablement notifiées du passage, ou
les appeler à emprunter des couloirs de navigation qu'il désigne
spécifiquement303.
L'Etat côtier règlemente aussi le passage
inoffensif relativement à la recherche scientifique marine dans les eaux
archipélagiques en vertu de l'article 40 auquel renvoie l'article 54 de
ladite Convention304, et le droit de passage en transit dans les
détroits internationaux305. Ainsi, pendant l'exercice du
droit de passage inoffensif reconnu aux «navires de tous les Etats,
côtiers ou sans littoral»306 dans
300 L'article 21.1.g de la CMB précitée
prévoit: «L'Etat côtier peut adopter, en conformité
avec les dispositions de la Convention et les autres règles du droit
international, des lois et règlements relatifs au passage inoffensif
dans sa mer territoriale, qui peuvent porter sur les questions suivantes:
recherche scientifique marine (...)».
301 ONU, document A/CONF.62/C.3/L.13, op. cit., p.
254.
302 ONU, Document A/CONF.62/C.3/L.19, op. cit., pp.
266-267
303 BEN SALEM (M.), «La recherche scientifique marine en
Méditerranée», op. cit., pp. 5556.
304 L'article 54 de la CMB précitée
prévoit: «Les articles 39, 40, 42 et 44 s'appliquent mutatis
mutandis au passage archipélagique».
305 L'article 38 de la CMB précitée
prévoit: «1. Dans les détroits visés à
l'article 37, tous les navires et aéronefs jouissent du droit de passage
en transit sans entrave (...)
2. On entend par ·passage en transit- l'exercice,
conformément à la présent' partie, de la liberté de
navigation et de survol à seule fin d'un transit continu et rapide par
le détroit entre une partie de la haute mer ou une zone
économique exclusive et une autre partie de la haute mer ou une zone
économique exclusive (...)».
306 L'article 17 de la CMB précitée
prévoit: «Sous réserve de la Convention, les navires de tous
les Etats, côtiers ou sans littoral, jouissent du droit de passage
inoffensif dans la mer territoriale».
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la mer territoriale ainsi que dans les eaux
archipélagiques307, ou du droit de passage
archipélagique dans les couloirs de navigation établis par l'Etat
archipel308, ou du droit de passage en transit, «les navires
[...] affectés à la recherche scientifique marine [...] ne
peuvent être utilisés pour des recherches [...] sans
l'autorisation préalable» de l'Etat côtier309. Le
passage d'un navire étranger qui se livre à des recherches
scientifiques marines est alors «considéré comme portant
atteinte à la paix, au bon ordre [et] à la sécurité
de l'Etat côtier»310.
Le consentement de l'Etat côtier est ainsi
nécessaire pour entreprendre des recherches scientifiques marines dans
les zones sous la souveraineté de l'Etat côtier mais aussi dans
les zones sous sa juridiction.
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