Conclusion :
Il a été question pour nous à travers
cette recherche d'observer comment le mouvement Shin-Hanga cristallise
les réflexions autour de l'esthétique japonaise moderne. Il
était alors question pour nous d'analyser en premier lieu les
différentes recherches élaborées sur l'esthétique
japonaise de la fin de l'ère Meiji à des époques plus
modernes (les années 1950 environ). Un des premiers enjeux fut de
comprendre la manière dont se construisit une première
pensée japonaise. Cette première élaboration d'une
pensée purement indigène se fît au regard et en
réemployant les méthodes occidentales. Okakura Kakuzo offrait le
meilleur exemple pour montrer l'ambivalence de ce processus. En effet, celui-ci
proposa une nouvelle esthétique proprement japonaise en
définissant selon des règles précises ce qui pouvait
prétendre à de l'art ou non, ainsi que la nature même de
l'art. Le deuxième temps de ce premier point de notre analyse consista
à observer, à l'aide des écrits de certains penseurs
japonais, comment l'esthétique japonaise s'élabore, dans le
sillage tracé par les premiers penseurs de l'ère Meiji
(principalement Okakura Kakuzo), comme une pensée japonaise unique.
Cette étape de l'histoire de l'esthétique japonaise prenait
racine à la fin de l'ère Meiji, lors des ères Taisho puis
Showa, caractérisées par une montée du nationalisme. Il
s'agissait alors pour les
78
penseurs de cette génération de retracer une
histoire de l'esthétique, observer dans les époques
antérieures une sensibilité proprement japonaise pour une
définition d'une esthétique nationale. Les travaux de Kuki Shuzo
ou encore Tetsuro Watsuji constituaient alors de bons exemples. Cette recherche
presque archéologique se concrétisait par l'étude,
toujours selon des méthodes occidentales, de concepts esthétiques
appartenant à des époques révolues de l'histoire du
Japon.
Une fois l'analyse de la pensée esthétique
japonaise de la première moitié du XXème siècle
effectuée, il s'agissait pour nous de présenter et analyser le
courant Shin-Hanga sous la tutelle de trois peintres choisis au
préalable. Notre choix ayant porté sur les estampes de Kawase
Hasui, Ito Shinsui et de Hiroshi Yoshida, ce second temps de l'analyse fut
aussi l'occasion de nous montrer ce qui définissait la
particularité du courant pictural Shin-hanga. En effet, comme
nous avons essayé de le montrer, Shin-hanga syncrétise
deux cultures différentes et compose un assemblage de différentes
conceptions esthétiques. On retrouve à toutes les
échelles, sur le plan technique ou sur les motifs, une adaptation d'une
culture traditionnelle japonaise à des méthodes occidentales.
Shin-hanga constituait d'autant plus une correspondance artistique
idéale que la volonté de l'éditeur, à l'origine du
mouvement, était de reconstruire une esthétique traditionnelle
japonaise désormais menacée par l'influence de l'art occidental.
Shin-hanga portait ainsi un regard tourné vers le passé
du Japon tout en prenant en considération l'influence que pouvait
exercer la société occidentale sur l'art japonais, à
l'image de sa clientèle américaine.
A partir de là, il s'agissait alors de voir si l'on
pouvait trouver une correspondance entre les écrits des penseurs
modernes de l'esthétique japonaise et cette production artistique
spécifique. Ce fut alors l'occasion d'observer comment, chacun à
leurs
79
manières, les peintres du courant Shin-hanga
ainsi que les penseurs modernes se livrèrent à une recherche
archéologique, chacun dans leurs médiums. La méthode
comparative nous permit ainsi de faire correspondre les textes philosophiques
modernes sur les différents concepts esthétiques
antérieurs, tels que Yugen ou encore Mono no Aware aux
oeuvres d'art. Notre méthode, que nous avons emprunté à
Erwin Panofsky, a consisté alors à observer l'adéquation
entre les descriptions du concept proposées par des penseurs comme Kuki
Shuzo ou Onishi Yoshinori et les oeuvres d'art. C'est dans cette
dernière partie que nous avons utilisé la méthode
iconographique pour établir une correspondance substantielle entre les
écrits théoriques et intellectuels du début du
XXème siècle et la production picturale de Shin-hanga.
Il s'agissait alors de comprendre les ««principes
sous-jacents qui révèlent la mentalitéì
de base d'une nation, d'une période, d'une classe, d'une religion ou
d'une perception philosophique, inconsciente
représentéìe par un personnage et
condensé en un travail »136. Et ainsi,
conformément au troisième niveau de signification
dégagé par Panosfsky : «
«Ainsi dans la conception de pures formes, motifs,
images, histoires et allégories comme manifestations de ces principes
sous-jacents, nous interprétons tous ses éléments comme ce
que Ernst Cassirer a appeléì valeurs «
symboliques ».[...] Mais quand nous essayons de le (le tableau La
Cène) comprendre comme un document témoignant de la
personnalitéì de Léonard, ou de la civilisation
de la Haute Renaissance italienne, où selon une
mentalitéì religieuse particulière, nous
utilisons l'oeuvre d'art comme un symptôme de quelque chose d'autre qui
s'exprime lui-même dans une multitude de variétésì
d'autres symptômes, et nous interprétons ses
caractéristiques iconographiques et structurels plus
136 Erwin Panofsky, Essais sur l'iconologie, Routledge,
2018, p. 6.
80
comme une évidence particulière de ce «
quelque chose autre ».137 Nous avons vu comment
finalement, aussi bien la pensée philosophique japonaise que la
production picturale du mouvement Shin-hanga cachent un désir
latent de la société japonaise au cours du XXème
siècle : réaliser et obtenir une « esthétique »
conforme à la pensée occidentale pour s'illustrer sur le plan
international. Peut-être derrière ce processus se cache aussi
finalement la prise de conscience d'une histoire unique et d'une
identité propre. Peut-être finalement, au contact d'une culture
occidentale massivement importée, parfois de force, la
société japonaise observe pleinement l'histoire qui lui est
sienne, composée d'une tradition unique et d'une sensibilité
propre. Les estampes Shin-Hanga deviennent alors non pas qu'une simple
réponse à une clientèle américaine mais bien
plutôt l'acceptation d'un héritage. Il est difficile d'imaginer
que cette adaptation d'anciens concepts traditionnels puissent se faire sans en
prendre en considération d'une manière ou d'une autre, le
discours national qui s'installe progressivement à partir de
l'ère Taisho. Les estampes cristallisent une nouvelle fois la
volonté de s'affirmer pour la nation japonaise. On se trouve ainsi dans
une démarche double. D'une part, la représentation de sites
célèbres issues de la tradition des Ukiyo-e est
l'occasion pour renouer avec un passé traditionnel. On observe alors la
ré-adaptation de célèbres séries à l'aune
d'une adaptation technique purement occidentale. D'une autre part, on observe
l'affirmation d'une géographie nationale, aussi bien auprès des
Japonais qu'auprès de la clientèle américaine propre aux
estampes. L'enjeu est alors double : affirmer un sentiment national
auprès de la population japonaise par la diffusion, notamment
auprès des Hanpukai, valoriser l'image du Japon par la
diffusion internationale de ces mêmes estampes. Le dernier temps de notre
dernière partie
137 Ibid,. p. 8.
81
consistait à analyser la représentation de la
Nature dans ses estampes. Comprendre la distinction métaphysique
existante dans l'appréhension d'une réalité commune
à travers la représentation des estampes. Il s'agissait alors de
montrer combien la perspective, pensée comme un moyen symbolique de
représentation de la réalité, pouvait influencer la
perception et la retranscription du réel au sein des estampes.
Même si pour se faire, nous nous sommes focalisés sur les paysages
de Kawase Hasui, nous aurions tout aussi bien pu analyser les bijinga
d'Ito Shinsui pour l'usage de perspective et d'une stylisation anatomique
employés pour la représentation du corps féminin. Les
estampes Shin-Hanga était en ce sens plus du tout
adéquate à une représentation picturale fidèle de
la notion d « Onozukara » mais s'apparentait bien plus
à une forme de représentation bipolaire, liant à la fois
des concepts occidentaux et une appréhension de la Nature proprement
japonaise. Ainsi, cette appréhension de la réalité
purement japonaise ne s'effaça pas au contact de la civilisation
occidentale. Evoquant l'appréhension de la Nature au travers de
l'époque Edo, cristallisée par le terme Ukiyo-e, Sylvain
Auroux ne parle pas d'autre choses lorsqu'il avance que «Une fois
venue l'ère Meiji, la réforme de la société s'est
opérée avant tout sur le plan des institutions politiques sans
transformer la structure fondamentale de la conception du réel de
l'époque précédente138
Se pose finalement à nous une question ; faisons-nous
face à une réadaptation de concepts esthétiques ou
à une véritable réappropriation à travers la
démarche de ces peintres et penseurs ? Il est fort probable que non. Ces
concepts appartiennent à une époque révolue et
l'appréhension de cette sensibilité sera toujours inexact. Ces
recherches ne visent toujours qu'à actualiser une sensibilité
esthétique disparue. Ainsi, comme a pu le dire Sylvain Auroux : «
L'analyse de Kuki est une tentative
138 Sylvain Auroux, La pensée japonaise,
quadrige, 2019, p. 100.
82
d'évocation comme dit Platon dans le «
Phèdre », de ce que « notre âme a vu jadis » sous
sa forme vécue, telle quelle, une tentative pour saisir les choses qui
iraient sans cela se perdre dans l'oubli. Entreprise philosophique fine, mais
présomptueuse et téméraire. Car ce projet est non
seulement, oserait-on dire, quelque chose d'impossible mais qui défie
l'impossible. Pour réussir, les deux conditions suivantes seraient
nécessaires : d'une part, l'expérience vécue de « iki
» par une sensibilité aiguë, d'autre part son analyse
philosophique abstraite. Or il y a une distance infranchissable par nature,
entre ces deux aspects.139 Cette barrière
infranchissable qu'évoque Sylvain Auroux est probablement celle dont ont
fait l'expérience ces peintres qui essayent de faire ressurgir une
esthétique appartenant à des époques
antérieures.
Comme nous avons pu le dire, l'époque Meiji est le
moment précis où la civilisation japonaise fait
l'expérience d'une prise de conscience de sa propre tradition et de son
histoire. La démarche d'Hisamatsu Sen'ichi constitant à diviser
les différentes étapes de l'histoire du Japon selon quatre
grandes catégories issues directement des catégories historiques
occidentales le montre bien. En effet, ce dernier s'attache à
répertorier les grandes étapes historiques de l'histoire
japonaise sous ces termes : Kodai (250ap J.C-1185ap J.C) :
l'Antiquité / Chusei (1185-1603) : le Moyen-Âge / Kinsei
(1603-1868) : L'époque moderne / Kindai(ou Gendai) (1868-à nos
jours) : époque contemporaine. Cette adaptation historique d'une
histoire d'un peuple s'avère néanmoins plus théorique
qu'autre chose. En effet, elle apparait davantage comme une méthode de
division historique facilitant la compréhension que des époques
aux particularités bien distinctes. Néanmoins, elles permirent
à de nombreux philosophes de se repérer dans le temps et
notamment de délimiter une
139 Ibid, .p. 25.
83
ère psycho-temporelle propre à l'affirmation
d'une sensibilité esthétique. C'est en ce sens que la
démarche d'Onishi Yoshinori peut se comprendre. En effet, Onishi
Yoshinori établit une correspondance entre concepts esthétiques
et époques historiques. Dans le sillage d'Onishi Yoshinori, un penseur
dont nous n'avons pas encore évoqué le nom, Hisamatsu Sen'ichi
(1894-1976), eut un impact considérable dans l'agencement des concepts
esthétiques à travers l'histoire du Japon. En effet, ses deux
ouvrages, « Nihon Bungakushi (histoire de la littérature
japonaise) publié de 1955 à 1960 et « The vocabulary of
Japanese Literary Aesthetics » publié en 1963 offrent un
système d'agencement précis des différents concepts
esthétiques. Sa méthode scientifique présente ainsi, dans
son second ouvrage, une sorte de catalogue, sous forme de tableau, où
sont agencés les différents concepts esthétiques
appartenant à chaque époque.140 On y voit alors quatre
catégories différentes, « Période », «
Humour », « Sublime », « Elégance
».141 Catégorisation qui correspond finalement à
une perception unique de la part des philosophes japonais et dont les moyens
étaient alors les mêmes que ceux en Occident : « A good
knowledge of western epistemology could inspire Japanese scholars to
reconstruct an entire epoch of their land's history in the spirit of a
meticulous geometry - although at times questionnable on philological grounds.
This was the case, for example, of Kuki Shuzo(1888-1941), whose original and
thought-provoking reading of the Edo period was informed by the aesthetic
category of «Iki»(chic) in his «Structure de l'iki(Iki no Kozo,
1926, but not published until 1930). «Une bonne connaissance de
l'épistémologie occidentale a pu inspirer les écoles
japonaises à reconstruire une complète
épopée/histoire/légende de histoire
140 Hisamatsu Sen'ichi, The Vocabulary of Japanese Literary
Aesthetics(Tokyo : Centre for East Asian Culture Studies, 1963), p. 9.
141 Ibid,. p. 9.
84
territoriale dans l'esprit d'une méticuleuse
géométrie - bien que ...Ce fut le cas, par exemple, de Kuki
Shyzo(1888-1914) dont l'originalité et la provocante analyse de la
période Edo fut complété par la catégorie
esthétique de l'' « Iki »(chic) dans son livre
« Structure de l'iki' »(Iki no Kozo, 1926), qui ne fut pas
publié jusqu'en 1930)142. L'observation ci-dessus nous
montre par l'exemple de Hisamatsu Sen'ichi la position de toute la
pensée philosophique japonaise. Si la démarche unique d'Hisamatsu
est d'un certain point unique par la création de ce qu'il nomme «
pattern »(schéma ») : « The author then identifies
aesthetics discours or « patterns » that apply to each of theses
three major rubrics. » (L'auteur ensuite identifie le discours
esthétique ou « schéma » qui s'applique à
chacune de ces trois majeurs rubriques)143 on observe que celle-ci
s'intègre dans une recherche globale de la pensée japonaise
où il s'agit de construire une histoire de la sensibilité
dès l'époque Meiji : « After examiniting the geneology
of major terms taken from the vocabulary of premodern poetics, Japanese
aestheticians aimed at constructin them as aesthetic categories and providing
new readings in the light of contemporary philosophie.
»144 (Après avoir examiné la
généalogie de termes majeurs tirés du vocabulaire de la
poétique pré-moderne, les philosophes de l'esthétique
eurent pour ambition de les construire comme des catégories
esthétiques et de proposer de nouvelles lectures dans la lumière
de la philosophie contemporaine.) On voit bien que la division en
catégories esthétiques constitua un enjeu majeur dans la
délimitation et construction d'une sensibilité historique. Ce qui
pouvait sembler être un ensemble d'émotions confus se constitua
logiquement en différents concepts. Concepts esthétiques que l'on
observe par la suite au sein de l'estampe. Cette
142 «The creation of Aesthetic Catégories
», dans Modern Japanese Aesthetics : A reader par Michelle
Marra, University of Hawai'i press, 1999, p. 20.
143 Ibid, p. 141.
144 Ibid, p. 143.
85
dernière devient aussi une limite conceptuelle par les
thèmes qu'elle aborde. Chaque cadre finalement agence un concept et le
définit ainsi. C'est finalement l'article de Toshukini
Maeno145 qui nous renseigne probablement le mieux sur la nature de
l'estampe comme medium idéal pour consacrer une tradition japonaise. En
effet, Toshukini Maeno analyse la position actuelle de l'estampe comme le
médium idéal pour analyser la sensibilité japonaise
contemporaine : « Il n'est pas aisé de parler de la
sensibilité japonaise contemporaine, car elle relève d'un double
héritage : celui du passé traditionnel et celui de la culture
occidentale, depuis la seconde moitié du XIXème siècle.
»146 Toshukini Maeno nous rappelle aussi l'aspect duel que
déjà mentionne Akira Tamba, la conjonction entre deux
sensibilités esthétiques, occidentale et extrême-oriental :
« «[...]car le système référentiel, et c'est
une des particularités de tout le domaine artistique au Japon, voit
fonctionner parallèlement les valeurs traditionnelles et les valeurs
occidentales sans que les tentatives de fusion aient jamais été
couronnées de succès. »147 Mais c'est
probablement le « regard artistique » dont il montre quelques grandes
caractéristiques qui nous intéresse le plus. En effet, Toshukini
Maeno nous rappelle combien les japonais recherchent à travers chaque
oeuvre, un univers idéal qui provoque une rupture avec la vie
quotidienne. Ainsi, les estampes peuvent correspondre aux critères
recherchée par les japonais d'« [...] une qualité
lyrique et poétique d'une oeuvre ». 148 L'auteur
nous apprend aussi que la réception de cette oeuvre de l'estampe,
pensée alors comme l'art qui «[...] a joué un rôle
important dans la formation de la sensibilité japonaise »
auprès du grand public, se divise en
145 « Esthétique de l'art contemporain au Japon
» par Tomomobu Imamuchi dans L'esthétique contemporain du Japon
: Théorie et pratique à partir des années 1930, dir.
Akira Tamba, CNRS Editions, Paris, 1997, p. 133-137.
146 Ibid, p. 134
147 Ibid, p. 135.
148 Ibid,, p. 135
86
deux parties : « Il suffit simplement de savoir que
pour les Japonais, la peinture représentait la nature
idéalisée, idyllique. Les sujets choisis avaient souvent un
rapport avec les quatre éléments ou les quatre saisons. Il
s'agissait de variations sur des thèmes connus. Quant aux valeurs
esthétiques japonaises, des expressions comme « wabi », «
sabi » et « « yugen », ou encore « iki »,
chères à l'art traditionnel, n'étaient accessibles
qu'à un public restreint d'initiés dont la vie quotidienne
était celle des grands esthètes : ceci n'était nullement
le cas de la plupart des japonais pour lesquels ces valeurs
représentaient que des notions abstraites. »149
L'article de Toshukini Maeno nous montre finalement combien l'estampe japonaise
de l'époque moderne a structuré une sensibilité japonaise,
axé autour de l'idéalisation de la nature. La connaissance de
concepts esthétiques, dont la majorité des japonais en faisaient
finalement l'inconsciente expérience, était néanmoins
connue des peintres et des initiés et, comme nous avons essayé de
le démontrer, constituait une base de représentation.
L'idéalisation de la nature à travers ces estampes, enjeu
esthétique dominant, nous permet de comprendre la renommée que
put connaitre l'art de l'estampe autour des années 1970 où des
peintres telles que Kaji Higayshiyama ou Sachiko Imai cherchèrent
à retrouver une atmosphère lyrique dans un style traditionnel.
Cette réadaptation d'anciens motifs et ré-utilisation de
thèmes fréquents de l'estampe nous informent aussi sur un
phénomène déterminant de l'art japonais moderne, dont
peut-être Shin-hanga en constitue le premier exemple : le
caractère figé de la sensibilité moderne japonaise. En
effet, comme l'avance l'auteur Toshukini Maeno : « C'est ainsi que les
Japonais ont négligé pendant longtemps toute forme de
spéculation artistique ou intellectuelle, tombant dans une perfection
maniériste, privilégiant la technique, au
149 Ibid, p. 134.
service d'un certain lyrisme ; cent ans après
l'introduction de l'art occidental au Japon, et par la suite, de toute les
tendances de l'art moderne et contemporain, le goût des amateurs d'art et
du grand public ne semble guère avoir changé comme si les
critères d'appréciation étaient depuis lors figés,
immuables, accrochés, à une tradition trop forte pour
s'éprendre de modernité. »150 Ainsi,
à travers l'histoire de l'art du XXème siècle, on peut
voir que l'estampe n'a jamais véritablement disparu du champ artistique.
Si on peut voir que l'intention des amateurs ainsi que du gouvernement japonais
est valoriser un art moderne et de privilégier les courants artistiques
d'art moderne, l'estampe ne cesse de se perpétuer, d'abord avec les
productions du mouvement Shin-hanga, puis ensuite avec les productions
d'artistes Japonais comme Français. : Brasilier, Cassigneul, Catelin,
dans les années 1970 puis dans les années 1980 avec des artistes
que nous avons déjà mentionnés : Hiroshi Omae, Yoshiteru
Nomura. Finalement, la sensibilité artistique japonaise se frayant un
chemin entre une tendance purement traditionnelle et une autre tendance
occidentale, s'affirma à l'aune du mouvement Shin-hanga dont
l'enjeu n'était pas tant d'accepter la modernité occidentale que
de, non sans une certaine nostalgie, revivre les derniers instants d'une
sensibilité indigène avant sa défloraison.
87
150 Ibid, p. 137
88
|
|