Section I : Le télétravail international
et l'enjeu migratoire
Quand un salarié évoque la possibilité de
télétravailler à partir d'un pays étranger, la
première question à se poser est de déterminer si le
salarié peut s'installer dans ce pays dont il n'est pas
ressortissant.
Pour répondre à cette question, il convient
d'opérer une distinction entre le court séjour et long
séjour.
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a) Court séjour et télétravail
international
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En règle générale, la plupart des
législations nationales en termes d'immigration retiennent
qu'au-delà de 3 mois, le séjour est considéré comme
étant long.
Par exemple, un citoyen ressortissant d'un état membre
de l'Union Européenne, a le droit de séjourner dans un autre pays
de l'UE jusqu'à trois mois sans devoir s'enregistrer (il faudra tout au
plus signaler sa présence). Il faut uniquement être en possession
d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.
Pour un ressortissant d'un état non-membre de l'UE, qui
souhaite séjourner dans un état de cette zone, ce dernier doit
normalement posséder un visa dit de court séjour (type C) qui
permet de séjourner dans ce pays jusqu'à 3 mois. Ce visa uniforme
est commun au États Schengen. Il permet de séjourner en France et
dans les autres pays Schengen, sauf exception. Il faut aussi détenir
d'autres documents qui varient selon l'objet du séjour.
Le salarié français, qui souhaite
télétravailler à partir d'un autre pays membre de l'UE
peut ainsi être tenté de multiplier ces courts séjours (de
moins de 3 mois) afin de ne pas tomber sous le régime du long
séjour.
Cependant, les courts séjours ne permettent pas de
télétravailler : il ne s'agira que d'activités
touristiques ou d'affaires (business trip) mais en aucun cas pour une
activité productive.
De plus, même pour des cours séjours, se pose la
question des droits d'entrée, le pays d'accueil pourra se montrer
suspicieux en cas d'allers retours répétés sur son sol. Il
faudra donc se méfier du statut migratoire du salarié en cas de
contrôle.
b) Long séjour et télétravail
international
En ce qui concerne le long séjour, le principe est que
si une personne réside dans un pays dont elle n'est pas ressortissante,
elle doit détenir un permis de résidence délivré
par le pays d'accueil (il existe des exceptions, notamment au sein de l'UE).
Si cette personne souhaite y exercer une activité
professionnelle, notamment sous forme de télétravail, elle devra
également détenir un permis de travail.
Ces permis de travail et de résidence sont
délivrés sur « une base d'éligibilité »,
et pour un motif précis : travail, études, famille accompagnante,
etc.
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Le salarié pourrait donc télétravailler,
mais ce n'est pas acquis de droit même s'il peut s'installer dans le
pays. Certains longs séjours visiteur ne permettent pas l'exercice d'une
activité professionnelle dans le pays d'accueil.
En France, il n'y a pas besoin de permis spécifique de
travail pour télétravailler à l'heure actuelle.
Il faudra étudier dans l'avenir la potentielle
réaction de l'état français face à cette nouvelle
pratique.
Ainsi, le régime migratoire dépendra
exclusivement du pays d'accueil et au cas par cas. Il conviendra donc, au cas
par cas, de vérifier si l'installation est libre dans le pays d'accueil,
et étudier les règles d'immigration.
Si l'installation n'est pas libre, il faut également au
cas d'espèce apprécier les bases d'installation du salarié
afin d'obtenir un permis de résidence, autre que l'emploi (la famille
installée dans le pays d'accueil par exemple).
Si le salarié peut prétendre à
s'installer librement ou, dans le cas contraire (l'installation n'est pas
libre), s'il répond aux critères pour obtenir un permis de
résidence, il faudra déterminer s'il peut exercer une
activité professionnelle, et notamment de télétravail
international. Si le télétravail est libre en France sans permis,
certains pays exigent un permis spécial, même avec un permis de
résidence, comme les USA, le Brésil, ou le Japon.
Le principal risque, en plus du danger de l'obligation de
quitter le territoire délivré par un pays qui n'autoriserait pas
cette pratique, est d'être poursuivi pour travail illégal. En
effet, le pays d'accueil, s'il ne permet pas par exemple le
télétravail à l'occasion d'un court séjour, qui
découvre que le salarié est pourtant présent sur son
territoire, en court séjour, et télétravaille pour une
entreprise étrangère, pourra considérer que le
salarié travaille sans titre de séjour et/ou sans permis de
travail et qu'il s'agit d'un travail illégal.
Face à cette nouvelle pratique du
télétravail international, certains pays, pour attirer les
salariés souhaitant y recourir, ont créé des visas
spécifiques au télétravail international depuis la crise
de la COVID-19. Ces pays sont la Barbade, les Bermudes, l'Estonie, la
Géorgie et la Croatie.
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Certains de ces pays soumettent cependant ce visa à des
conditions. Ainsi, la Géorgie propose un visa d'un an de
résidence pour un Remote Worker
(télétravailleur), à condition que le salarié
justifie de ressources minimums et d'une assurance santé
internationale.
A Barbade, le Barbados Welcome Stamp, est un
mécanisme qui offre un visa d'un an aux étrangers pour venir
s'installer et télétravailler sur l'île, et assurer la
reprise de l'économie locale. Le visa « Welcome Stamp »
délivré par la Barbade permet à un étranger ainsi
qu'à sa famille de s'installer dans le pays et d'y
télétravailler pendant une durée pouvant aller
jusqu'à12 mois. Le salarié qui souhaite bénéficier
de ce visa doit toutefois justifier d'une assurance maladie et déclarer
prévoir gagner un revenu d'au moins 50 000 $ US pendant l'année
d'exercice de son activité professionnelle dans le pays ou avoir les
moyens de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille pendant
cette durée. Le visa prévoit même que les enfants puissent
fréquenter l'école publique locale.
Nous l'avons vu, le télétravail à
l'international comporte de nombreux risques pour l'employeur et le
salarié, tant sur le plan fiscal que social et migratoire. Face à
ces risques, et aux coûts qu'ils peuvent provoquer pour l'employeur et le
salarié, une pratique semble répondre à ces risques : le
portage salarial à l'international.
Section II : Le portage salarial à
l'international, une solution aux risques du télétravail
international ?
I) Le régime du portage salarial
Le portage salarial est défini par l'article L1254-1 et
2 du code du travail. Il est caractérisé par une relation
tripartite : l'entrepreneur porté, la société de portage
et les clients.
Selon l'ordonnance n° 2015-380 du 2 avril 2015 relative
au portage salarial, « Le portage salarial désigne l'ensemble
organisé constitué par : « 1° D'une part, la relation
entre une entreprise dénommée « entreprise de portage
salarial » effectuant une prestation au profit d'une entreprise cliente,
qui donne lieu à la conclusion d'un contrat commercial de prestation de
portage salarial ; « 2° D'autre part, le contrat de travail conclu
entre l'entreprise de portage salarial et un salarié
désigné comme étant le « salarié porté
», lequel est rémunéré par cette entreprise.
»
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3 acteurs constituent donc cette relation tripartie :
- Le client, qui peut être une entreprise, une
administration, une collectivité locale ou une association.
- L'entrepreneur « porté »
- La société de portage salarial qui joue le
rôle d'intermédiaire entre ces deux acteurs, et qui est la seule
contractuellement lié avec le client.
L'entrepreneur porté est lié à la
société de portage par un contrat de travail de droit commun (CDD
ou CDI) dans les mêmes conditions que celles d'un salarié d'une
entreprise traditionnelle.
Ainsi, il bénéficie de tous les avantages
sociaux d'un salarié ordinaire.
La rémunération brute de l'entrepreneur est
calculée sur la base de son chiffre d'affaires hors taxes. Cette somme
est disponible sur un compte personnalisé qui permet à
l'entrepreneur de décider chaque mois du montant de ce qu'il souhaite se
voir reverser sous forme de salaire brut par sa société de
portage.
Du fait de son statut d'entrepreneur, sa
rémunération brute peut être optimisée en
défiscalisant les frais liés au développement de son
activité (frais de bouche, déplacements, papeterie, bureautique,
cadeaux clients...), ce qui aura pour effet d'optimiser son salaire net
d'environ 50% du montant des frais défiscalisés.
Concernant sa protection sociale, le travailleur en portage
salarial profite d'une couverture sociale complète, identique au
régime social du salarié.
Les profils les plus répandus parmi les entrepreneurs
portés sont notamment les consultants à l'international, qui ont
recours au portage salarial international.
II) Le portage salarial international
Le portage salarial international est un dispositif qui
concerne aussi bien des missions courtes et temporaires, effectuées en
détachement, et des missions longues et durables qui s'apparentent
à de l'expatriation.
Le salarié porté peut être
détaché ou expatrié par la société de
portage.
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Ce dispositif s'adresse donc aux professionnels qui souhaitent
travailler ponctuellement ou durablement à l'étranger, tout en
conservant les avantages sociaux dont il bénéficiait en France
(assurance maladie, prévoyance, assurance responsabilité civile
professionnelle, retraite, chômage, mutuelle complémentaire...) et
en bénéficiant d'une assistance de la part de la
société de portage.
En effet, la société de portage peut assister
l'entrepreneur porté de multiples manières : Gestion et
remboursement des frais liés à la mission, au réel ou bien
selon le barème forfaitaire établi par le ministère des
Affaires étrangères, déclarations auprès des
différentes caisses, versement des salaires, possibilité
d'affiliation à la Caisse des Français de l'étranger,
respect des législations sociales et fiscales locales, assurance
rapatriement, contact avec les ambassades sur place, package relocation...
III) Une solution aux risques du
télétravail international ?
Prenons un exemple : un salarié souhaite effectuer ses
missions en télétravail depuis un autre pays dans lequel son
entreprise n'est pas enregistrée. Il télétravaillera donc
depuis ce pays. L'entreprise va alors suspendre son contrat de travail (via par
exemple un congé sans solde, subordonné à l'acceptation de
l'employeur, ou via un congé « sabbatique » pouvant aller
jusqu'à 11 mois. Dans les deux cas, le contrat étant suspendu, le
salarié aura le droit de travailler pour un autre employeur), ou mettre
fin à celui-ci (avec une rupture conventionnelle par exemple), afin de
lui permettre de signer un contrat avec une société de portage
depuis laquelle il sera envoyé (en détachement ou en
expatriation) dans le pays concerné. Ensuite il réalisera des
missions et des prestations pour son entreprise d'origine qui devient alors une
entreprise cliente dans la relation tripartie du portage salarial.
Les avantages sont nombreux. Tout d'abord, la gestion est
simplifiée pour l'entreprise cliente et le salarié
porté.
Sur le plan administratif, la fiscalité, l'immigration,
la protection sociale, les affiliations diverses, l'autorisation de travail,
facturation des prestations, la paie et versement des salaires, seront pris en
charges par la société de portage.
L'entreprise d'origine du salarié, devenue l'entreprise
cliente, n'aura donc pas à supporter toutes ces charges liées
à l'expatriation ou le détachement du salarié, qu'elle
aurait
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eu à supporter si elle avait elle-même
envoyé le salarié en mobilité. Elle
bénéficiera tout de même de la prestation de travail du
salarié porté.
De plus, pour l'entreprise d'origine, il n'y a à priori
plus de risque de requalification de la présence du salarié
porté comme constituant un établissement stable de son entreprise
d'origine, car il est lié contractuellement avec la
société de portage.
En effet, il ne s'agit plus d'un salarié effectuant une
mission à l'étranger pour le compte de son entreprise, mais d'une
prestation de services réalisée par un salarié
porté pour une société de portage.
Toutefois, le contrat d'origine, s'il a été
suspendu, constitue toujours un risque en matière de requalification,
car le salarié porté reste contractuellement lié à
l'entreprise d'origine.
En dépit de ses avantages indéniables, le
portage salarial international n'est pas sans présenter des
défauts.
Tout d'abord, cette pratique comporte un coût
élevé, puisque les règles internationales applicables en
matière de fiscalité et protection sociale sont les mêmes
pour un salarié classique et pour un salarié porté
(assistance fiscale, couverture santé volontaire etc.). Même si
ces coûts sont supportés par la société de portage
et pas par l'entreprise d'origine, ils n'en demeurent pas moins les mêmes
que pour une mobilité classique.
Le second risque est la réintégration à
la demande du salarié dans son entreprise d'origine, si le contrat
d'origine était suspendu. En effet, dans le cas d'une suspension du
contrat de travail, à l'issue de cette suspension, le salarié
aura le droit de réoccuper l'emploi qu'il a quitté
temporairement, ou à défaut un emploi similaire lors de la
reprise normale du contrat de travail. L'emploi devra correspondre à ses
compétences et être rémunéré par un salaire
au montant égal ou supérieur à celui correspondant
à son emploi précédent.
Ainsi, si le salarié met fin à sa relation
contractuelle avec la société de portage, et demande à
être réintégré au sein de son entreprise d'origine,
alors qu'il est à l'étranger, cela entraînera de nombreux
coûts pour l'entreprise.
Pour pallier ce problème, l'entreprise d'origine a
intérêt à mettre fin au contrat de travail de son
salarié avant que ce dernier ne signe un nouveau contrat avec la
société de portage. Cependant, il faudrait passer par une rupture
conventionnelle (il n'est pas possible
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d'envisager un licenciement qui serait sans motif, ou de
forcer le salarié à démissionner), ce qui semble difficile
puisque le salarié n'aurait alors aucune garantie d'être
embauché de nouveau à son retour en France.
Ainsi, le portage salarial international semble être une
solution intéressante pour l'employeur qui souhaite envoyer un
salarié à l'étranger afin qu'il
télétravaille pour son compte depuis ce pays, notamment sur le
plan financier. Cependant, nous l'avons vu, il demeure certains risques pour
l'employeur. Il sera intéressant d'observer si les employeurs ont
recours à cette pratique en cette période incertaine, qui a rendu
le télétravail international, qui déjà en temps
normal présente des enjeux classiques de mobilité internationale,
d'avantage risqué pour l'employeur comme pour le salarié.
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