Introduction
En 2018, Franck WASERMAN écrivait que « les
relations financières entre l'État et les collectivités
territoriales sont en pleine recomposition depuis 2012, puisqu'il s'agit de
mieux les associer à l'effort national de maitrise des dépenses
publiques. »1
Ces relations peuvent être définies comme «
les transferts financiers de l'Etat aux collectivités
»2, mais aussi comme toutes les imbrications résultant
de leurs relations politiques et juridiques, dès lors qu'il en ressort
des conséquences financières. En ce sens, il faut entendre l'Etat
comme le gouvernement, c'est-à-dire l'organe investi du pouvoir
exécutif, et non comme le Parlement, l'organe investi du pouvoir
législatif.
En réalité, la recomposition de ces relations
semble avoir été entamée depuis plus longtemps que ce que
laisse entendre le Professeur WASERMAN, puisqu'en 2007, un groupe de travail
portant sur ce sujet avait été mis en place. Il en est
résulté le rapport Alain LAMBERT, au sein duquel, on pouvait
déjà lire que « le cadre posé en 1982-1983 et
revisité en 2003-2004 [n'était] plus adapté
»3.
L'ensemble du rapport préconisait ainsi une
rationalisation des relations financières entre l'Etat et les
collectivités territoriales, passant par la création d'un lien de
confiance et de responsabilisation de chacun des acteurs.
Cependant, les recommandations de ce rapport n'ont pas
été entendues puisqu'aujourd'hui, et sans doute plus que jamais,
le poids de l'Etat au sein des budgets locaux se fait ressentir sur les
collectivités territoriales.
En effet, selon les élus locaux, leur autonomie
financière, principe découlant de l'article 72-2 de la
Constitution, est menacée, si ce n'est illusoire. Ainsi, depuis les lois
de 1982, leurs marges de manoeuvre ont été
considérablement dégradées. L'exemple le plus
récent est celui de la contractualisation, mécanisme
imposé par l'Etat qui contrôle les dépenses des
collectivités territoriales.
Pour certains penseurs du droit, l'évolution de ces
relations les rend « déséquilibrées, instables,
et malsaines »4. Michel BOUVIER considère
d'ailleurs qu'elle est « susceptible de rendre les
collectivités territoriales totalement dépendantes des
stratégies et surtout des contraintes financières [...] de l'Etat
»5.
Le problème sous-jacent est que, comme le soulignait
l'Inspection générale des affaires sociales, dans son rapport de
2008, « Le législateur n'a pas choisi entre [...] le
modèle de l'Etat tutélaire dans
1 Franck WASERMAN, « Contractualisation
financière et libre administration des collectivités
territoriales », Constitutions, 2018, p. 271
2 Xavier CABANNES, Professeur à
l'université Paris Descartes, « Le contentieux des relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales
», AJDA, 2016, p.598
3 Groupe de travail présidé par Alain
LAMBERT, « Les relations entre l'État et les collectivités
locales », décembre 2007
4 Marie-Christine STECKEL, « Les relations
financières entre Etat et collectivités locales en Europe »,
Atelier organisé par l'Association
Finances-gestion-évaluation (AFIGESE), Entretiens territoriaux de
Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007
5 Michel BOUVIER, Professeur à
l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Directeur de la Revue
Française de Finances Publiques, « Le Cadre financier pluriannuel
post-2020 », RFFP 2018 (n°141), p. 81.
7
lequel les collectivités sont de simples
opérateurs [...] et le modèle de l'Etat
décentralisé, dans lequel il appartient aux collectivités
territoriales de définir leurs politiques et de choisir leur
modèle d'intervention. »6
Dès lors, les collectivités territoriales
semblent pouvoir gérer leurs budgets comme elles l'entendent mais,
derrière le rideau, l'Etat agit souvent comme un marionnettiste qui
guide leurs politiques publiques.
Ces balbutiements engendrent des tensions entre les deux
acteurs, qu'il faut plus que jamais atténuer afin de garantir la
nouvelle gouvernance financière, telle que mise en place par la loi
organique relative aux lois de finances, en 2001.
Ainsi, pour d'autres acteurs du droit, comme Mohamed TOUBI,
l'Etat est au contraire un « copilote, qui assiste [...] la condition
financière des collectivités territoriales
»7. Il se prive de certaines de ses recettes au profit des
collectivités territoriales, qu'il doit mieux associer à la
maitrise des dépenses publiques.
Au regard de ces divergences d'opinion, il convient de savoir
comment expliquer et dépasser la situation conflictuelle des relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales.
A priori, le conflit caractérisant les relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales
trouve sa source dans leur fondement, à savoir la Constitution (Titre
1). Pour le dépasser, il faudra nécessairement les transformer
(Titre 2).
6 Igas, 2008, p. 12-13
7 Mohamed TOUBI, « Relations financières entre
l'Etat et les collectivités : qui tient vraiment le volant ? »,
Legibase, Compta et finances locales, 26 juillet 2018
8
Titre 1 - Un conflit d'interprétation
caractérisant les relations financières entre l'État et
les collectivités territoriales
Le conflit qui alimente les relations financières entre
l'Etat et les collectivités territoriales trouve sa source dans la
notion d'autonomie financière. En effet, avant les lois Deferre de 1982,
le budget des collectivités territoriales était soumis à
un contrôle a priori du préfet, qui exerçait alors
une sorte de tutelle sur elles.
Après ces lois, les collectivités territoriales
ont été dotées d'une autonomie de gestion leur permettant
de donner force exécutoire à leur budget, dès lors qu'il
était voté. La tutelle budgétaire n'existait plus que sous
la forme d'un contrôle a posteriori du préfet.
Parallèlement, les transferts de compétences se
sont accrus massivement, concomitamment à un transfert de ressources
insuffisant.
Dans un souci de maintien de leur équilibre
budgétaire, les élus ont réclamé plus d'autonomie
fiscale à partir des années 2000. Ils devront attendre la
révision constitutionnelle du 28 mars 2003 pour que l'Etat leur
réponde, et donne aux collectivités territoriales une sorte
d'autonomie financière.
Juridiquement, cette notion ne correspond pas vraiment aux
exigences portées par les collectivités territoriales. Pourtant,
les élus ont eu tendance à s'en prévaloir, comme d'une
force politique, pour appuyer leurs politiques locales.
En réalité, au même titre que l'autonomie
fiscale, les collectivités territoriales ne paraissent pas
détenir une quelconque autonomie financière, ce qui explique les
tensions croissantes avec l'Etat.
Ainsi, s'il est soulevé par le mythe de l'autonomie
financière (Chapitre 1), le conflit caractérisant les relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales est
aussi alimenté par l'illusion d'un équilibre financier entre ces
acteurs (Chapitre 2).
9
Chapitre 1 : Un conflit soulevé par le mythe de
l'autonomie financière des collectivités
territoriales
Un mythe peut être une construction de l'esprit qui ne
repose sur aucun fondement. En ce sens, les auteurs considèrent souvent
que l'autonomie financière des collectivités territoriales
découle de l'article 72-2 de la Constitution, alors même que
celle-ci ne fait aucunement état d'un tel principe, du moins
explicitement.
Autrement compris, le mythe peut s'appliquer à un
élément réel mais dont le sens et la portée sont
amplifiés par des croyances. Il constitue alors un « ensemble
de croyances, de représentations idéalisées autour d'un
personnage, d'un phénomène, d'un événement
historique, d'une technique qui leur donne une force, une importance
particulières »8.
En France, la notion d'autonomie financière des
collectivités territoriales a trouvé ses fondements dans le
domaine fiscal dès les années 1970. Ainsi, les
collectivités territoriales ont obtenu le droit de fixer les taux
d'imposition des quatre taxes locales, parallèlement à la refonte
de la fiscalité locale. Le mouvement de décentralisation qui a
suivi n'a fait que renforcer l'assimilation de l'autonomie financière
à l'autonomie fiscale, par les élus.
Néanmoins, la révision constitutionnelle de 2003
n'a pu les satisfaire pleinement puisqu'à la notion d'autonomie
financière a été favorisée celle de «
ressources propres » des collectivités territoriales. Expression
aux contours obscurs, elle n'a permis qu'une dichotomie entre les partisans de
l'autonomie financière entendue comme une autonomie fiscale, et ceux qui
y voient une simple autonomie de gestion. Certains vont même
jusqu'à affirmer que l'autonomie financière est un mythe, une
notion idéalisée, si ce n'est inventée.
Dès lors, l'autonomie financière des
collectivités territoriales ne peut qu'être enjolivée
(Section 1). Logiquement, elle est rapidement désenchantée de
toute substance (Section 2).
Section 1 : Une autonomie financière des
collectivités territoriales enjolivée
Le mythe de l'autonomie financière des
collectivités territoriales résulte d'abord de son
ambiguïté conceptuelle (I). Ensuite, il est rendu possible parce
que l'autonomie financière parait garantie constitutionnellement
(II).
I. Une ambiguïté conceptuelle de
l'autonomie financière
L'ambiguïté conceptuelle de la notion d'autonomie
financière se trouve dans son texte fondateur, c'est-à-dire la
loi du 29 juillet 2004 relative à l'autonomie financière des
collectivités territoriales9, qui l'assimile à la
notion de « ressources propres » (A). Au-delà de sa
définition, cette loi permet une
8 Universalis, « Phénix, mythologie
», Encyclopoedia Universalis
9 Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004
prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à
l'autonomie financière des collectivités territoriales
10
mesure de l'autonomie selon « une part
déterminante » (B), qui ne peut que dépendre de
l'orientation que l'on souhaite lui octroyer.
A. L'assimilation de l'autonomie financière au
concept de ressources propres
Les lois Deferre de mars et juillet 1982 ont doté les
collectivités territoriales d'une certaine autonomie de gestion
financière en leur permettant de voter leur budget librement, sans
contrôle a priori du préfet.
Si la tutelle budgétaire persiste par un contrôle
a posteriori en cas de déséquilibre du budget, les
collectivités territoriales ont vu leurs responsabilités croitre
avec l'externalisation de certaines dépenses par l'Etat, concomitamment
à l'extension de leurs compétences.
Cette situation a amené les collectivités
territoriales à réclamer plus d'autonomie fiscale, en pensant
qu'elle serait l'incarnation de la décentralisation. Or, en France, le
pouvoir fiscal appartient au Parlement.
C'est pourquoi le Conseil constitutionnel n'est jamais
allé au-delà d'une reconnaissance d'une autonomie
financière aux collectivités territoriales. Ainsi, lors d'une
décision portant sur la révision des bases locatives, en 1990, il
a considéré qu'au regard du principe de libre administration, les
collectivités territoriales bénéficiaient aussi du droit
de disposer librement de leurs ressources, et du droit de disposer de
ressources suffisantes pour exercer leurs compétences10.
Plus tard, et pour répondre à ces
différentes problématiques, la décentralisation a
été introduite dans la Constitution, par la loi de
révision constitutionnelle du 28 mars 200311.
Depuis, l'article 72-2 de la Constitution dispose que :
« Les collectivités territoriales
bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement
dans les conditions fixées par la loi.
Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des
impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer
l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.
Les recettes fiscales et les autres ressources propres des
collectivités territoriales représentent, pour chaque
catégorie de collectivités, une part déterminante de
l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans
lesquelles cette règle est mise en oeuvre. »
Cet article pose quelques difficultés puisqu'il
contient un oxymore dès sa première phrase : « disposer
librement » de ressources mais « dans les conditions fixées
par la loi » est contradictoire. Par ailleurs, l'utilisation du verbe
« pouvoir » implique que ce ne sont que des possibilités qui
sont laissées aux collectivités territoriales, et non des
pouvoirs.
Ces formulations ambigües ont permis de cultiver le mythe
de l'autonomie fiscale qui, dans les faits, n'existe pas. Pour beaucoup, elles
sont en fait le fondement de l'autonomie financière des
collectivités territoriales, assimilée à « une
part déterminante de ressources propres » dont elles peuvent
disposer librement.
10 Conseil constitutionnel, décision n°
90-277 DC du 25 juillet 1990, à propos de la révision des bases
locatives
11 Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars
2003 relative à l'organisation décentralisée de la
République
11
Pour comprendre ce que sont « une part
déterminante », ainsi que « les ressources propres
des collectivités territoriales », il aura fallu attendre la
loi organique du 29 juillet 200412.
En effet, en son article 3, celle-ci dispose que : «
les ressources propres des collectivités territoriales sont
constituées du produit des impositions de toutes natures dont la loi les
autorise à fixer l'assiette, le taux ou le tarif, ou dont elle
détermine, par collectivité, le taux ou une part locale
d'assiette, des redevances pour services rendus, des produits du domaine, des
participations d'urbanisme, des produits financiers et des dons et legs.
»
Dès lors, et quand bien même cet article fait
état du pouvoir de la loi, les élus locaux s'en sont
emparés pour donner un poids politique à leurs programmes. De
fait, la notion de ressources propres semble pouvoir englober nombre de
ressources des collectivités territoriales, dont les recettes fiscales.
En ce sens, l'autonomie financière se confond avec elle, et toujours
dans le domaine fiscal.
D'ailleurs, comme le souligne Raphaël DECHAUX, «
la relation entre ressources propres et autonomie financière est
déterminante puisque, par définition, sans les premières,
la deuxième reste inefficiente. »13
L'article L1114-2 du Code général des
collectivités territoriales donnera, par la suite, une définition
plus précise des ressources propres. Celui-ci semble distinguer deux
types de ressources propres : celles qui ont un caractère
évidemment propre, c'est-à-dire celles sur lesquelles la
collectivité territoriale peut exercer une influence sur le montant ; et
celles sur lesquelles elle n'aura aucun pouvoir, à savoir les produits
des impositions de toutes natures dont la loi détermine le taux, et une
part locale d'assiette.
Le législateur a donc décidé de retenir
une interprétation large de la notion de ressources propres, afin
d'éviter toute violation de la Constitution. Le choix des termes permet
également d'éviter un tel abus puisque la notion de ressources
propres, assimilée à celle d'autonomie financière,
dépend également de l'expression « part déterminante
», qui apparait relativement ambigüe.
Ainsi, la loi organique précitée va la
définir en fixant un plancher d'autonomie des collectivités
territoriales (B).
B. La mesure de l'autonomie financière par
le concept de part déterminante
La Charte européenne de l'autonomie locale de 1985
impose aux Etats de garantir l'autonomie politique, administrative et
financière des collectivités territoriales. Si cette
dernière est rattachée à la notion de ressources propres,
il faut encore savoir comment calculer la « part » de ressources
propres.
C'est l'objet de la loi du 29 juillet 2004 qui, en son article
4, dispose que : « pour chaque catégorie de
collectivités, la part des ressources propres est calculée en
rapportant le montant de ces dernières à celui de la
totalité de leurs ressources, à l'exclusion des emprunts, des
ressources correspondant
12 Loi organique n° 2004-758 du 29 juillet 2004
prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à
l'autonomie financière des collectivités territoriales
13 Raphaël DECHAUX, ATER à
l'Université de Nice Sophia-Antipolis, Membre du GERJC - Institut Louis
Favoreu, « Les garanties constitutionnelles de l'autonomie
financière locale à l'épreuve des concours financiers
étatiques », Revue du droit public (n°2), 2010, p.
349
12
au financement de compétences
transférées à titre expérimental ou mises en oeuvre
par délégation et des transferts financiers entre
collectivités d'une même catégorie. »
Si le calcul est aisé, cet article porte toutefois une
limite à l'autonomie financière, comprise comme les ressources
propres des collectivités territoriales, puisqu'en son troisième
alinéa, il dispose que : « Pour chaque catégorie, la
part des ressources propres ne peut être inférieure au niveau
constaté au titre de l'année 2003. »
En ce sens, il pose un plancher d'autonomie. Il est à
noter que le terme « déterminant » a été
déclaré contraire à la Constitution, par le Conseil
constitutionnel, dans une décision du 29 juillet 200414. En
effet, il a considéré que « du fait de sa portée
normative incertaine », ce terme ne respectait « ni le
principe de clarté de la loi ni l'exigence de précision que
l'article 72-2 de la Constitution requiert du législateur organique
».
Néanmoins, cette situation reste problématique
au regard de la valeur de « la part » qui ne peut qu'être
exprimée en pourcentage. Or, un pourcentage peut évoluer en
fonction d'un autre.
Par exemple, si une commune dispose de 70% de ressources
propres, et de 30% de dotations de l'Etat, il suffit de baisser ces
dernières pour que le pourcentage des premières augmente. Certes,
la part de ressources propres augmentera, mais ce ne sera probablement pas le
cas des marges de manoeuvre de la commune, et donc, de son autonomie
financière, au sens des actions financières qu'elle pourra
entreprendre.
Cependant, pour Monsieur Pascal CLEMENT, cet ajout au sein de
la Constitution permet de « faire pièce aux tentatives de
recentralisation des ressources que n'a pu éviter le Conseil
constitutionnel faute de dispositions explicites dans la Constitution
»15.
Si l'autonomie financière est assimilée à
la notion de part déterminante de ressources propres, les
collectivités territoriales bénéficient d'autres
ressources, qui ne sont pas considérées de la sorte. C'est le cas
des emprunts ou des ressources correspondant au financement de
compétences transférées. Pour certains auteurs, ces
dernières forment d'ailleurs une garantie constitutionnelle de
l'autonomie financière des collectivités territoriales. En effet,
si elle n'est pas désignée explicitement dans le texte de la
Constitution, l'autonomie financière semble tout de même garantie
par d'autres principes constitutionnels (II).
II. Une garantie constitutionnelle apparente de
l'autonomie financière
L'autonomie financière des collectivités
territoriales semble constitutionnellement garantie puisque, d'une part, elle
est un corollaire de la libre administration des collectivités
territoriales (A), et que, d'autre part, elle est assurée par le
principe constitutionnel de compensation financière des charges
résultant de la décentralisation des compétences (B).
14 Conseil constitutionnel, décision n°
2004-500 DC, Loi organique relative à l'autonomie financière des
collectivités territoriales, 29 juillet 2004
15 Pascal CLEMENT, rapporteur au nom de la commission
des Lois sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation
décentralisée de la République, Rapport n°376, XIIe
législature, p. 26
13
A. L'autonomie financière comme corollaire
de la libre administration des collectivités territoriales
En 2018, Jean-Éric SCHOETTL écrivait que «
La libre administration ne se confond pas avec l'autonomie
financière [...] mais elle l'englobe. La seconde est une composante de
la première. »16
Pour comprendre la mesure de cet engrenage, il faut d'abord
saisir le sens du principe de libre administration des collectivités
territoriales. Pour cela, il est nécessaire de comprendre la
portée de l'article 72 alinéa 3 de la Constitution, selon lequel
« Dans les conditions prévues par la loi, ces
collectivités s'administrent librement par des conseils élus et
disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs
compétences ».
Cet article trouve son écho dans le Code
général des collectivités territoriales, et ses articles
L11111 et L1111-2 qui disposent respectivement que « Les communes, les
départements et les régions s'administrent librement par des
conseils élus » et qu'ils « règlent par leurs
délibérations les affaires de leur compétence.
»
Ainsi, la libre administration peut être définie
comme la gestion des compétences d'une collectivité territoriale
par ses élus. Cela étant dit, le rapport avec l'article 72-2
apparait évident : les collectivités disposent, pour l'exercice
de leurs compétences, de ressources dont elles peuvent disposer
librement.
Dès lors, le principe de libre administration des
collectivités territoriales est un corollaire de leur autonomie
financière. Cela avait d'ailleurs été souligné bien
avant la révision constitutionnelle de 2003 puisque, comme le souligne
la Cour des comptes dans sa mission flash sur l'autonomie financière des
collectivités territoriales, « l'autonomie financière
avait été reconnue comme un corollaire, un « attribut
logique »17 du principe constitutionnel de libre
administration, qui comportait deux dimensions : le droit pour les
collectivités de disposer librement des ressources dont elles disposent
; et le droit de disposer de ressources suffisantes pour exercer leurs
compétences »18.
De cette façon, le Conseil constitutionnel se fonde
généralement sur le principe de libre administration des
collectivités territoriales pour traiter de la question de l'autonomie
financière. Par exemple, lors de sa décision du 18 janvier
201819, une référence explicite à l'autonomie
était attendue, mais il a préféré se fonder sur le
principe de libre administration des collectivités territoriales. En
l'espèce, les requérants contestaient la conformité
à la Constitution du mécanisme financier de contractualisation.
Or, le Conseil constitutionnel n'a aucunement fait état de l'autonomie
financière des collectivités, alors même qu'il se fondait
sur les articles 72 et 72-2 de la Constitution, et a considéré
que l'atteinte portée à la libre administration n'était
pas d'une gravité telle qu'elle méconnaitrait les dispositions
constitutionnelles.
16 Jean-Éric SCHOETTL, ancien secrétaire
général du Conseil constitutionnel, « Questions sur
l'autonomie financière des collectivités territoriales :
revendication politique ou principe constitutionnel ? », Petites
affiches (n°144), 2018, p. 3
17 Michel BOUVIER, Professeur à
l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Directeur de la Revue
Française de Finances Publiques, « Pour une autonomie
financière locale au-delà des corporatismes », Revue
française des finances publiques (n° 140), novembre 2017, p.
5
18 Christophe JERRETIE, Charles DE COURSON,
députés, « Mission « flash » sur l'autonomie
financière des collectivités territoriales », 9 mai 2018, p.
6
19 Conseil constitutionnel, décision n°
2017-760 DC, 18 janvier 2018
Au-delà de cette dimension, le principe d'autonomie
financière s'est vu augmenté d'une autre forme de protection,
passant par le principe constitutionnel de compensation de toute
création, transfert ou expansion de compétences des
collectivités territoriales (B).
B. L'autonomie financière apparemment
garantie par le principe constitutionnel de compensation financière
L'autonomie financière des collectivités
territoriales apparait garantie par le principe constitutionnel de compensation
de toute extension ou création de compétences, d'où
résulteraient des charges pour les collectivités
territoriales.
Effectivement, l'article 72-2 alinéa 4 de la
Constitution dispose que « tout accroissement net de charges
résultant des transferts de compétences effectués entre
l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du
transfert concomitant par l'Etat aux collectivités territoriales ou
à leurs groupements des ressources nécessaires à
l'exercice normal de ces compétences. »
Cette exigence initie une transformation des rapports entre
l'Etat et les collectivités territoriales puisque, selon ce
schéma, l'Etat est garant de l'autonomie financière des
secondes.
Cette garantie semble indispensable à l'autonomie
financière des collectivités territoriales, qui doivent pouvoir
bénéficier de leurs ressources propres librement, sans être
noyées dans un amoncellement de charges engendrées par les
transferts arbitraires de compétences par l'Etat.
Dès 1986, au sein d'une décision dite «
Département du Finistère », le Conseil
constitutionnel insistait déjà sur le fait que cette compensation
devait être « intégrale »20.
Cependant, au sein de sa décision du 17 juillet 200321, il a
estimé que le législateur n'était tenu de prévoir
les conditions de détermination et de répartition des dotations
que pour les compétences obligatoires prévues par le
transfert.
Couplés à cette distinction, ces atermoiements
jurisprudentiels semblaient déjà annoncer la fragilité du
principe d'autonomie financière, jamais explicitement reconnu et
toujours suggéré. De plus, le paradoxe n'a eu de cesse
d'apparaitre au fil du développement : l'autonomie financière des
collectivités territoriales est entravée, car limitée
« aux conditions fixées par la loi » (Section 2).
14
20 Conseil constitutionnel, décision n°
86-223 DC, Loi de finances rectificative pour 1986, 29 décembre 1986
21 Conseil constitutionnel, décision n°
2003-474 DC du 17 juillet 2003
15
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