A. Une autonomie fiscale reconnue pour certaines
collectivités locales européennes
Pour le professeur BOUVIER, « l'impôt est
source et symbole du pouvoir (...) c'est pourquoi il n'est pas, d'une
manière générale, de pouvoir politique autonome sans
pouvoir fiscal. »154
En France, le pouvoir politique appartient à l'Etat. De
même, les collectivités territoriales ne disposent pas de pouvoir
fiscal, quand bien même elles détiennent une forme d'autonomie
financière. La situation diffère dans les autres pays
européens.
Effectivement, si la Charte de l'autonomie
locale155 a tenté de créer un cadre juridique commun
de l'autonomie locale, les disparités entre les pays européens
persistent. D'ailleurs, l'Allemagne a exclu
152 Cour des comptes, « Les finances publiques locales 2019,
Fascicule 2 », Rapport sur la situation financière et la gestion
des collectivités territoriales et de leurs établissements
publics septembre 2019, page 63
153 Pierre DE MONTALIVET, « QPC et droit des
collectivités territoriales », AIDA, 2016, p. 586
154 Michel BOUVIER., Finances locales, LGDJ, 10
éd., 2004, p. 30
155 Charte européenne de l'autonomie locale, 15 octobre
1985
65
son application de ses Länders en retenant sa dimension
locale. De la même façon, l'Espagne a pu estimer qu'elle n'avait
pas vocation à s'appliquer à ses communautés autonomes.
En son deuxième article, cette Charte énonce que
« le principe de l'autonomie locale doit être reconnu dans la
législation interne et, autant que possible, dans la Constitution.
» Elle précise ensuite que cette autonomie doit être
entendue comme « le droit et la capacité effective pour les
collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre
de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs
populations, une part importante des affaires publiques
»156.
Ainsi, elle vise l'autonomie politique, administrative, et
financière des collectivités territoriales. Cependant, elle
n'impose aucun modèle et exige seulement que les collectivités
disposent d'une ressource fiscale dont elles peuvent fixer le taux. Pour
honorer ce volet financier, certains Etats, comme l'Espagne ou la Suède,
ont accordé un pouvoir fiscal à leurs collectivités
locales.
Par exemple, en Suède, il existe « un pouvoir
central très fort, un échelon régional faible et un
pouvoir local très fort »157. Les dotations et
subventions accordées aux collectivités locales ne
représentent que 32% de leurs recettes. La part restante repose sur les
taxes locales, dont un impôt local sur le revenu.
Par ailleurs, en Italie, l'article 119 de la Constitution
prévoit un large pouvoir fiscal des collectivités territoriales
qui « établissent et appliquent des impôts et des
recettes propres, en harmonie avec la Constitution et selon les principes de
coordination des finances publiques et du système fiscal
»158.
Cependant, ce pouvoir est subordonné à
l'adoption des grandes lignes du système fiscal par le
législateur, comme a pu le rappeler le juge constitutionnel. Cette
condition est fixée selon un objectif de coordination des finances
publiques. De la même façon, en Espagne, les communautés
autonomes peuvent créer un impôt « propre »
s'il concerne un domaine qui n'appartient pas à celui de la
fiscalité nationale. De plus, le Pays Basque et le Royaume de Navarre
disposent de la possibilité de collecter tous les impôts sur leurs
territoires, et en reversent une partie à l'Etat.
Comme le démontre le Professeur STANKIEWICZ, dans ces
pays, les régions revendiquent un « PIB régional
» et une « part de fiscalité [...] globale ou
nationale »159. Cela s'explique parce que les impôts
sur le revenu des personnes, et sur les bénéfices des
sociétés y sont d'importantes recettes fiscales.
L'un des bienfaits de cette autonomie fiscale est
rappelé par l'OCDE160. Il s'agit d'une neutralisation des
dépenses publiques, et d'une fiscalité excessive. Ainsi, les
collectivités locales peuvent utiliser leurs recettes fiscales pour
couvrir leurs dépenses. Selon les règles de la
proportionnalité, elles dépendent donc moins des dotations de
l'Etat et disposent de plus amples marges de manoeuvre financière.
Toutefois, l'analyse de ces exemples révèle
également les dysfonctionnements de cette autonomie fiscale. D'abord,
elle peut induire une « érosion de la base d'imposition
», et une complexification du système d'imposition. Ensuite,
le constat est surtout celui d'une absence de « variations
significatives des taux d'imposition entre collectivités territoriales
», ce qui peut s'expliquer par une
156 Article 3 de la Charte de l'autonomie locale
157 Pascale TESSIER, « Finances locales en Europe :
Autonomie financière en Finlande et Suède : le socle, c'est la
confiance », La Gazette des communes, 18 juin 2019
158 Constitution de la République italienne,
Deuxième Partie « Organisation de la République »,
Titre V « Les régions, les provinces et les communes »
159 Lukas STANKIEWICZ, Allocataire de recherche moniteur
Université Jean Moulin Lyon 3, CERFF, « L'autonomie
financière locale en Europe », Le Lamy Collectivités
territoriales (n°11), 2006
160 OCDE, « Relations financières entre l'État
et les collectivités territoriales », 2003, p. 173-193.
66
réduction des concours financiers de l'Etat
parallèlement à une réduction des taux de la
fiscalité propre par les collectivités territoriales.
De plus, les « coparticipations » constituent, pour
certains, comme le professeur STANKIEWICZ, des dotations
déguisées, « une forme de fausse autonomie fiscale
»161.
Parallèlement, les contrôles administratifs sont
remplacés par des règles budgétaires plus contraignantes,
qui peuvent prendre la forme d'un plafonnement du solde budgétaire
général. C'est notamment le cas en Belgique.
Dans les faits, l'autonomie fiscale peut prendre plusieurs
formes. Le professeur ORSONI distingue ainsi « l'autonomie
fiscale-ressources » de « l'autonomie fiscale-pouvoir
»162.
La première correspond à la capacité
donnée aux collectivités locales de fixer le taux et la base
d'imposition des recettes fiscales dont elles bénéficient, tandis
que la seconde correspond au pouvoir normatif qui leur est donné pour
créer des impôts locaux. Elle tend vers le pouvoir politique
évoqué par Michel BOUVIER.
A la lecture de ces exemples, une question se pose :
l'autonomie fiscale-ressources de la France peut-elle tendre vers une autonomie
fiscale-pouvoir ? En d'autres termes, il convient de savoir s'il est
envisageable d'accorder un pouvoir fiscal aux collectivités
territoriales françaises. En réalité, il s'avère
que cette solution parait impossible, au vu de la structure des relations
financières entre l'Etat et les collectivités territoriales
(B).
B. L'impossible reconnaissance de l'autonomie
fiscale des collectivités territoriales en France
Le professeur KADA considère que « l'autonomie
fiscale des collectivités [est] très limitée, voire
inexistante. »163 Selon lui, c'est même ce qui
explique qu'elles soient si dépendantes des bons vouloirs de l'Etat,
notamment en matière de calcul de la dotation globale de fonctionnement,
ou d'attribution d'une part de recette fiscale plus dynamique.
En effet, elles peuvent recourir à l'impôt pour
financer leurs dépenses mais leur pouvoir fiscal n'est pas un pouvoir
normatif. En ce sens, elles ne peuvent « ni créer, ni modifier,
ni supprimer un impôt »164.
Ainsi, le Conseil constitutionnel l'a rappelé plusieurs
fois : « il ne résulte ni de l'article 72-2 de la Constitution
ni d'aucune autre disposition constitutionnelle que les collectivités
territoriales bénéficient d'une autonomie fiscale.
»165
Pour certains, pour les doter d'une autonomie fiscale
réelle, il n'y a que deux solutions fondées sur les
modèles européens : des transferts financiers issus du budget de
l'Etat, comme aux Pays-Bas ; ou un partage de divers impôts d'Etat comme
en Italie, en Espagne ou en Pologne. En France, il
161 Revue Le Lamy Collectivités territoriales, N° 11, 1er
mars 2006 - L'autonomie financière locale en Europ
162 Gilbert ORSONI, « Autonomies financières et
fiscales, Brèves réflexions à partir des exemples espagnol
et italien », RFFP (n° 80), décembre 2002, p. 106
163 Nicolas KADA, Professeur agrégé de droit
public, codirecteur du CRJ (université Grenoble-Alpes) et du GRALE (GIS
université Paris-I, « Etat et collectivités territoriales :
(petite) cuisine et (grandes) dépendances », AIDA 2019, p.
2423
164 Michel BOUVIER, Professeur à l'Université Paris
I Panthéon-Sorbonne, Directeur de la Revue Française de Finances
Publiques, « Le Conseil constitutionnel et l'autonomie financière
des collectivités territoriales : du quiproquo à la clarification
», Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel (n°33),
octobre 2013
165 Conseil constitutionnel, décision n°2009-599 DC,
29 décembre 2009
67
semble qu'un mélange des deux modèles ait
été retenu. Par exemple, le Fonds de compensation de la taxe sur
la valeur ajoutée est un prélèvement sur les recettes de
l'Etat constituant la principale aide aux collectivités territoriales en
matière d'investissement, qui grève le budget du premier.
Néanmoins, comme la TVA représente une des recettes fiscales
majeures de l'Etat, il est légitime de considérer qu'il s'agit
là d'un partage entre l'Etat et les collectivités locales.
En 2018, et pour aller plus loin, l'Assemblée nationale
recommandait d'inscrire le principe d'autonomie fiscale dans la Constitution
afin de limiter le processus de « centralisation nationalisation
» de la fiscalité locale166.
De la même façon, la Cour des comptes, au sein de
sa mission flash sur l'autonomie financière des collectivités
territoriales, a proposé de la consacrer « aux
côtés de l'autonomie financière », et «
de prévoir l'adoption d'une loi annuelle de financement des
collectivités territoriales »167. Dès lors,
une loi pourrait déterminer la part minimale des ressources de chaque
catégorie de collectivités qui devra être composée
de recettes fiscales. Les collectivités pourront ensuite en fixer
l'assiette, le taux, et le tarif, mais il existera toujours une limite
législative.
Une telle configuration permettrait aux communes,
désormais seules détentrices de la clause générale
de compétence, d'intervenir réellement dans tout domaine qui
intéresserait leurs territoires. Elle faciliterait également le
lien de la collectivité avec les citoyens locaux, et le
développement de l'idée de démocratie locale.
Selon Michel BOUVIER, il faut surtout s'interroger sur la
« possible dissociation entre autonomie de gestion et autonomie
fiscale », de même qu'il convient de différencier
autonomie de gestion financière et autonomie de décision
fiscale.
D'après ce même auteur, le pouvoir fiscal local a
progressivement disparu à partir des années 1970,
parallèlement aux décisions de dégrèvements ou
d'exonérations prises par l'Etat, qui a alors procédé
à de plus en plus de compensations, devenues petit à petit des
sortes de dotations. Par exemple, la loi de finances pour 2004 a
intégré nombre de compensations fiscales au sein de la dotation
globale de fonctionnement.
Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs renforcé ces
mécanismes en n'y apportant que trop peu de limites. Ainsi, au sein
d'une décision de décembre 1998, il a estimé «
qu'en contrepartie de la suppression progressive de la part salariale de
l'assiette de la taxe professionnelle, la loi institue une compensation dont le
montant, égal, en 1999, à la perte de recettes pour chaque
collectivité locale, sera indexé par la suite sur le taux
d'évolution de la dotation globale de fonctionnement, avant d'être
intégré dans cette dernière à partir de 2004
»168. Cela étant posé, il estime que cette
loi n'a pas pour effet de diminuer les ressources globales des
collectivités locales, ni de restreindre leurs ressources fiscales au
point d'entraver leur libre administration.
166 Alain RICHARD, Dominique BUR, « Sur les
conséquences de la suppression progressive de la taxe d'habitation
», rapport d'information n° 1258 sur le suivi des travaux de la
mission sur les relations financières État-collectivités
territoriales et la refonte de la fiscalité locale, 9 mai 2018
167 Christophe JERRETIE, Charles DE COURSON,
députés, « Mission « flash » sur l'autonomie
financière des collectivités territoriales », 9 mai 2018, p.
25
168 Conseil constitutionnel, décision n° 98-405 DC,
Loi de finances initiale pour 1999, 29 décembre 1998
En ce sens, l'Etat a pu paraitre devenir le premier
contribuable local. Pour le professeur BOUVIER, il y a, en
réalité, eu une « substitution progressive du
contribuable national au contribuable local »169.
Aujourd'hui, le système fiscal français repose
sur un partage des recettes fiscales entre collectivités, mais aussi
entre l'Etat et les collectivités territoriales. Celles-ci semblent
dotées d'une autonomie de gestion assortie d'une autonomie fiscale
limitée.
Pourtant, ce modèle peut être rapproché
des modèles européens précités. A terme, les
collectivités territoriales pourraient enfin se voir attribuer une
« autonomie fiscale-pouvoir », mais le chemin semble encore
long, puisqu'il faudra avant tout passer par une révision
constitutionnelle.
Effectivement, les solutions proposées par la Cour des
comptes nécessitent toutes une modification de la Constitution
grâce à laquelle la distinction entre autonomie financière
et autonomie fiscale serait faite.
Ce principe posé, les relations financières
entre l'Etat et les collectivités territoriales
bénéficieraient sûrement d'un apaisement dû à
la clarification et à la redéfinition des risques de chacun. En
effet, les collectivités territoriales, dans ce cadre, pourraient
gérer elles-mêmes les fluctuations de leur déficit
public.
Cependant, comme au sein des autres pays européens, il
est également possible qu'une telle reconnaissance implique des
réductions des concours financiers de l'Etat, ainsi qu'une
érosion de la base d'imposition.
Les relations financières entre l'Etat et les
collectivités territoriales doivent être transformées. Pour
cela, plusieurs solutions sont à leur disposition. La plus simple
à mettre en oeuvre sera évidemment l'instauration d'un dialogue
grâce auquel chacun pourra exprimer ses besoins, ainsi que ses attentes.
A partir de celui-ci, ils pourront agir selon un objectif de
coopération, qui pourra, à terme, se transformer en objectif de
collaboration. Pour atteindre ce dernier, il parait nécessaire
d'octroyer un pouvoir fiscal plus conséquent aux collectivités
territoriales. Or, une telle possibilité ne devra se fonder que sur une
révision de la Constitution de 1958.
68
169 Michel BOUVIER, Professeur à l'Université Paris
I Panthéon-Sorbonne, Directeur de la Revue Française de Finances
Publiques, « Le Conseil constitutionnel et l'autonomie financière
des collectivités territoriales : du quiproquo à la clarification
», Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel (n°33),
octobre 2013
69
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