B- Sanctions
En ce qui concerne les peines encourues, pour canaliser les
comportements susceptibles de compromettre l'activité économique
et de porter atteinte aux objectifs poursuivis, le législateur
communautaire a envisagé des infractions pénales tout en restant
prudent quant à la fixation des peines. Une telle prudence s'explique
par la particularité et la complexité du droit pénal qui
touche à l'ordre public interne de chaque Etat Partie au Traité
portant harmonisation du droit des affaires114. Aux termes de
l'article 5 alinéa 2 du traité, « les actes uniformes
peuvent inclure des dispositions d'incrimination pénale. Les Etats
Parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales
encourues ».
Cette petite liberté que l'acte uniforme accorde aux
Etats n'est malheureusement pas suivie par ces derniers. C'est seulement le
Sénégal, le Cameroun et récemment la centre Afrique qui se
sont acquittés des cette tache.
Le législateur Sénégalais prévoit
1 an à 5 ans de prison et une amende de 100.000 à 5.000.000 fcfa,
tout en précisant que les deux peines doivent être obligatoirement
prononcées l'une et l'autre. La loi du Cameroun prévoit quant
à elle une peine de 1 an à 5 ans et une
114Edouard Kitio, « Le contentieux du droit
pénal des affaires devant les hautes juridictions nationales et devant
la CCJA », Revue de l'ERSUMA :: Droit des affaires - Pratique
Professionnelle, N° 2 - Mars 2013, Jurisprudence.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
amende de 2.000.000 à 20.000.000 fcfa. L'article 215 du
Code pénal Centrafricain punit de 1 an à 5 ans d'emprisonnement
et/ou d'une amende de 1.000.000 à 5.000.000 fcfa les auteurs d'abus de
biens sociaux et du crédit de la société. Les trois
législations de référence prévoient des peines
d'emprisonnement similaires. Le maximum pour l'amende est le même pour le
Sénégal et la Centrafrique. Le Cameroun est
particulièrement dissuasif sur son quantum.
Mais notons que force est de constater que l'acte uniforme
n'est pas aussi explicite qu'en droit français. Ainsi, l'infraction
d'abus de biens sociaux se situe strictement dans l'interdiction pour les
dirigeants de la cible et de ses filiales d'utiliser des actifs de ces
sociétés pour rembourser la dette de la holding. La mise en place
de sûretés telles que le nantissement des actifs des filiales de
la cible ou encore affectation en garantie de ses actifs opérationnels
ou de ses créances, mécanismes que nous avons décrit plus
haut, doivent donc être considérée avec prudence. L'abus de
biens sociaux est prévu par l'article L. 242-6 alinéa 3 du Code
de commerce qui prévoit qu' « est puni d'un emprisonnement de 5
ans et d'une amende de 375 000 €, le président, les administrateurs
ou les directeurs généraux, sans distinction des dirigeants de
droit ou de fait, d'une société SA qui, de mauvaise foi, auront
fait, des biens ou du crédit de la société, un usage
qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, à
des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés
directement ou indirectement ». Les conditions
énumérées doivent être cumulativement remplies pour
caractériser un abus de biens sociaux.
Lorsqu'elle à statuer sur des opérations
financières, la Cour de cassation se réfère selon une
formule désormais classique issue de l'arrêt Rozenblum du 4
février 1985 : « pour échapper aux prévisions des
articles 425-4 et 437-3 de la loi du 24 juillet 1966 le concours financier
apporté par les dirigeants de fait ou de droit d'une
société à une autre entreprise d'un même groupe dans
laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement doit
être dicté dans un intérêt économique, social
ou financier commun, apprécié au regard d'une politique
élaborée pour l'ensemble du groupe et ne doit être ni
démuni de contrepartie ou rompre l'équilibre entre les
engagements respectifs des divers sociétés concernées, ni
excéder les possibilités financières de celle qui en
supporte la charge »115. Les dirigeants devront apporter
la preuve de trois éléments principaux pour s'exonérer de
l'accusation d'abus des biens sociaux à savoir la présence d'un
intérêt de groupe, d'une contrepartie équilibrée, et
l'absence de mise en péril de la société prêteuse.
Mais outre le fait que l'on pourra discuter l'existence d'une contrepartie, la
véritable difficulté tient dans le fait que le holding de reprise
et la société cible
115Cass. crim., 4 février 1985, Rozenblum,
n° 84-91.581 P : JurisData n° 1985-000537.
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Acquisition par la holding de reprise : un mode de
financement des opérations de restructuration Gassim Diallo
ne constitue par à proprement parlé un groupe de
sociétés car même si, juridiquement, le holding est
mère et la cible fille, il s'agit d'une hiérarchie artificiel.
D'autant plus qu'à l'issue du remboursement complet des emprunts
contractés pour acquérir la cible, les deux
sociétés sont amenées dans la plupart des cas à
fusionner.
Ainsi, le risque pénal des opérations
d'acquisition par effet de levier est de mettre à la charge de la
société cible le financement de l'achat de ses propres actions
par des moyens qui sont à même de constituer des infractions
pénales. Rappelons pour ne pas faire de confusion que le
procédé qui consiste à payer les créanciers au
moyen des dividendes versés par la société cible à
la holding est juridiquement peu risqué. A l'inverse, le risque peut
naître si le holding impose à la cible l'octroi d'avance qu'il ne
pourra lui rembourser. C'est cette confusion des intérêts du
holding et de la cible qui peut mener les dirigeants communs à la
société holding et à la société cible
à détourner les actifs de la cible au profit du holding au moyen
de conventions de trésorerie, d'assistance, ou de sous-locations des
locaux de la cible par exemple. Une telle situation a été
appréhendée par les mains des juges français notamment
dans l'arrêt Delattre-Levivier116 dans lequel de nombreux
procédés avaient été utilisés pour
transférer des fonds de la cible vers le holding. Les dirigeants
responsables de tels actes de gestion s'exposent à des condamnations
civiles pour faute de gestion et pénales pour abus des biens et du
crédit de la société117.
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