INTRODUCTION GENERALE
Ce travail est un recherche clinique en milieu culturel Luba
du Kasaï. Il décrit la manière dont les baluba ou le peuple
luba ciblé répare les violations des coutumes. Ces pratiques,
nous interpellent au point de nous aider à expliquer et faciliter le
processus thérapeutique.
La psychologie clinique s'insère dans une
activité pratique visant la reconnaissance et la nomination de certains
états, aptitudes, comportements, dans le but de proposer une
thérapeutique (Fernandez & Pedinielli, 2006). Cela étant,
toute recherche en psychologie clinique devrait avoir comme soubassement, les
manières d'être et de réagir d'un être humain concret
et complet aux prises avec une situation, pour ainsi paraphraser Lagache
(1949), l'un des pères fondateurs de la Psychologie clinique. Par
ailleurs, l'homme concret et complet ne peut être saisi que dans son
habitat naturel et son milieu social. Ce qui nous conduit à comprendre
la personnalité à travers une étude psychodynamique qui
tient compte du développement individuel, sa socialisation, sa
perception du monde, ses croyances acquises, ses convictions, bref sa
culture.
Il est évident qu'en Afrique subsaharienne, il existe
beaucoup de traditions et coutumes, et selon que l'on croit à
l'appartenance à une société, on se voit obligé
d'adopter une certaine attitude et afficher un comportement lié soit
à la tradition, soit aux normes de son clan, de sa tribu ou de sa
culture en général. Cette énergie culturelle qui se
transmet de génération en génération
s'intériorise et est à la base de manifestation, de
déclenchement et du maintien de certaines situations pathologiques qu'il
nous est parfois impossible de soulager si on n'a aucune notion de la culture
du patient. Il y a également le fait d'acculturation à travers
les migrations et différentes mutations de la population, et on arrive
parfois à subir l'influence de la culture nouvelle dans laquelle l'on
s'est accommodé. Le psychologue clinicien devrait se sentir
intéressé par cette façon de faire.
Puisque tout être humain commence sa vie en
étroite relation avec son milieu social, ce qui sous-entend, entre
autres, la culture qui caractérise le milieu social avec ses
différentes facettes dont la connaissance, les croyances, la morale, le
droit, les coutumes, les valeurs, etc. ceci nous pousse à souligner
l'importance de la psychologie culturelle et des théories
interculturelles de la psychologie telles que développées par
Troadec (2007), Segall, Dasen, Berry et Poortinga (1999, 2002).
En psychothérapie, l'intérêt est
placé sur le rapport que le patient entretient avec sa condition de
malade, la manière dont il participe au maintien ou à
l'aggravation de sa situation, toutefois les conceptions culturelles peuvent
fortement édifier et dans une certaine mesure faciliter le processus
thérapeutique. L'on comprend dès lors l'importance de la culture
dans la psychologie clinique. Cette vision permet d'intervenir dans les
situations socioculturelles.
Dans l'espace culturel de la République
Démocratique du Congo (RDC), il existe énormes ethnies parmi
lesquelles l'ethnie Luba ou les Baluba qui semble avoir une grande envergure en
Afrique centrale et environ. Cette expansion implique les interactions
interculturelles avec ses corollaires d'inculturation d'une part et
d'acculturation d'autre part. Mukendi wa Nsanga en préfaçant
Tshibasu Mfuadi (2004) dit : « les us et coutumes des
baluba sont évidemment plus intensément vécus sur leur
territoire traditionnel, mais dans les régions non baluba de la
République Démocratique du Congo, cette culture rayonne d'un
éclat particulier : les valeurs baluba vont au-delà de
simples racines culturelles d'une population pour constituer des valeurs
sociales largement universelles. »
Notre expérience dans ces milieux nous fait dire que la
conception de la vie (et de la mort), les rituels (de mariage, de naissances
spéciales, de deuil, de résolution des problèmes, ...)
sont d'une richesse inestimable.
Nous avons porté une attention particulière sur
les conséquences de violations des préceptes de
coutumes qui sont des vecteurs de plusieurs maladies et complications
existentielles et surtout leurs thérapies,
c'est-à-dire, la façon dont ces maladies ou ces problèmes
sont traités chez cette peuplade luba du Kasaï.
Ce faisant, nous avons constaté qu'il existe plusieurs
techniques de résolution des problèmes sociaux dans la culture
luba qui intéresseraient la psychologie clinique et la
psychothérapie à telle enseigne que ces pratiques peuvent
contribuer à l'enrichissement de la science et du psychologue clinicien
en particulier. Ces pratiques partent des problèmes individuels et
familiaux aux problèmes du groupe en général.
1. PROBLEMATIQUE
Quand un chasseur, par exemple, n'arrive pas depuis un certain
temps à attraper du gibier, un commerçant court de perte en
perte, un couple qui s'est marié depuis plus d'une année sans
avoir des enfants, des femmes qui éprouvent des difficultés
à l'accouchement, des décès en chaînes dans la
même famille, etc. , les baluba s'interrogent d'abord au niveau
individuel et s'il n'y a pas une suite favorable, ils interrogent la famille et
s'il n'y a pas de suite non plus on interroge les ancêtres (les
Bankambua/banyinka ou les morts). Dans un cas ou un autre, il peut
s'agir d'un mukiya (litige ou contentieux) né de l'inobservance
d'un interdit (tshibindi) qui expose à une infraction sociale
(tshibawu). A chacune des situations, il existe un rituel
approprié et des personnes bien attitrées pour procéder
à la résolution du problème. Ceci se fait selon les
règles bien précises, parfois magico-religieuses. Ces
problèmes nécessitent une réponse urgente et à une
très courte durée. Et les pratiques utilisées sont de
nature à trouver une solution si pas immédiate mais dans un
délai très bref. Voilà pourquoi au cours de cette
recherche, nous allons plus mettre l'accent sur ces pratiques
thérapeutiques brèves comme le cas de l'aide aux mourants ou
l'aide à la réanimation, l'aide à l'accouchement, l'aide
aux personnes frustrées et le rite de reparation.
Ces pratiques procèdent par la
parole, comme fondement de moyen
thérapeutique, qui peut être parlée ou chantée, sous
forme des proverbes, anecdotes, poésies, chansons, ou simplement
à travers le nom que l'on porte. A la parole s'ajoute parfois certains
ornements cérémoniaux pour donner toute l'importance à la
scène. Les pratiquants se parent des poudres, caolins, de l'argile et
autres garnitures susceptibles d'élever la conscience et amplifier la
grandeur du rituel. Mais par-dessus tout, la parole
reste et demeure l'élément primordial qui déclenche tout
en dehors du rituel.
Nsane MBONGO (2003), Philosophe et sociologue camerounais,
dans son Article en Méthode de la lutte Constructive, dit :
« La parole métaphysique africaine est une pensée
spéculative méconnue, mais ayant une intelligibilité de
dimension philosophique. Par ailleurs, elle met au jour une méthode de
traitement des conflits dont l'intérêt est à
étudier... » et dans sa conclusion, il dit :
« ... on notera que le discours thérapeutique traditionnel
fait passer aisément de la pensée ordinaire à la
réflexion métaphysique des initiés, et que cette parole
profonde fournit un système rationnel de traitement des
crises... ».
La culture luba semble avoir une influence qui déborde
les frontières de son espace géographique. Cette dimension
devrait attirer l'attention de la psychologie clinique et c'est ce qui fait
appel à l'ethnopsychopathologie, la psychopathologie interculturelle et
l'anthropologie culturelle, qui permettent de comprendre parfois
l'inefficacité de certaines de nos pratiques soignantes et d'en proposer
celles qui semblent être les plus adaptées.
La question principale de cette recherche est celle de savoir
si les pratiques thérapeutiques luba du Kasaï peuvent jouer le
rôle des psychothérapies
Pour y parvenir, on se propose de répondre à ces
questions subsidiaires:
- Quels sont les préceptes culturels chez les baluba du
Kasaï et leurs conséquences ?
- Comment diagnostiquer les troubles de comportement ou les
problèmes qui sont les conséquences de violations des
préceptes de la culture ? En d'autres termes, y a-t-il moyen de
détecter un comportement pathologique dans la culture luba ?
- Quelles sont les pratiques thérapeutiques
génériques chez les Baluba? Autrement dit, y a-t-il des
pratiques susceptibles de réparer l'inobservance aux
préceptes ?
- Ces pratiques peuvent-elles être
considérées comme méthodes ou techniques
psychothérapeutiques ?
- Enfin, Comment effectivement la parole qui est l'outil
principal de l'entretien psychologique fonctionne dans la
thérapie ? Autrement dit, comment fonctionne le psychisme pour
déclencher le dénouement du problème. Ici, notre
recherche nous amène à démontrer comment la parole,
l'outil principal de l'entretien psychologique, fonctionne dans la
thérapie.
|