2.2. Les normes culturelles
Luba et leurs applications
Au premier chapitre, nous avons effleuré que le peuple
luba est très attaché aux coutumes et à la famille. Ces
coutumes regorgent beaucoup d'interdits et/ou sacrilèges. Ceci constitue
un code de bonne conduite culturelle et morale. La violation, la transgression
ou la non observance de ces normes coutumières est passible des
pénalités sociales (Tshibawu). Nous allons
décrire les faits saillants de cette société conduisant
à des sanctions culturelles qui peuvent se manifester sous forme de
maladies psychosomatiques. Tous ces faits lorsqu'ils sont commis au sein d'une
même famille, se regroupent autour d'un terme générique
« Tshibindi ». Les faits sociaux rapportés
ci-après, en rapport avec le tshibindi ont connu l'apport
précieux de Benjamin Ngulungu Tshinyenye (1990).
Comme nous l'avons souligné, la culture luba s'articule
autour de la famille, du clan, de la tribu, jusqu'à atteindre l'ethnie.
Les prescriptions orales qui passent de bouche à oreille, de père
en fils et de mère en fille relève de la discipline et le respect
de la hiérarchie et d'autrui. Les sanctions qui surviennent de
l'indiscipline ou le non respect relèvent de la
désobéissance à Dieu et aux ancêtres ou aux anciens
qui les représentent parmi les vivants.
La tradition ou la coutume établit les règles
pour une vie harmonieuse entre les gens de même lignage, de même
échelon ou de même alliance. Ces règles s'articulent autour
des totems et tabous.
Il s'agit des normes que les ancêtres ont
imposées afin d'avoir une vie harmonieuse et une conduite
irréprochable au sein de la famille stable.
Notons que face à toutes ces situations d'impasse,
l'agent causal de toutes ces sanctions, tel que Fartunat Mukendi (2003) le
répète, n'est pas à rechercher de façon
médicale, tant et si bien qu'il ne s'agit pas de ce qu'un médecin
légiste peut repérer. Les membres de la famille s'en rendent
seulement compte après introspection, si un devin ou vieil homme vient
le leur révéler. C'est là que le psychologue clinicien
trouve sa place de choix dans l'intervention au sein de notre
société.
Les parents sont considérés chez les baluba
comme des dieux sur terre. On leur doit respect et obéissance à
tous égards. On ne peut pas découvrir la nudité des
parents, ni avoir les relations intimes (sexualité) avec son père
ou sa mère. On ne doit pas injurier les parents, leur parler avec
grossièreté ni arrogance. Pour traduire le fait que les parents
ou les anciens les plus sages et que l'on doit rester à leur
écoute, un proverbe luba « makaya kaatu atamba nshingu,
muana mulela katu watamba shandi » ce qui signifie
« les épaules ne dépassent jamais le niveau du coup
comme un enfant ne peut dépasser son père ». Bref, les
enfants ne doivent en aucun cas défier les parents.
Il découle de ce respect et de cette discipline que
toute indiscipline ou toute désobéissance signifie une violation
aux préceptes coutumiers et sont passibles des sanctions
sévères allant des troubles de comportement mineur à la
mort, en passant par plusieurs formes de malédictions (milau ou
mitshipu) qui peuvent aussi se manifester par des maladies somatiques,
psychiques ou la combinaison de deux à la fois. Si les
conséquences de ces violations ne sont pas diagnostiquées
rapidement, il y a risque que cela se répande à travers plusieurs
générations et on parle de mukiya (ou mikiya au
pluriel) qui veut dire qu'il y a contentieux.
Le respect des parents s'étend également
à tous ceux qui ont leur rang soit par alliance (comme les
beaux-parents), soit par leur âge (ceci inclut les vieillards ou les
personnes de troisième âge).
La coutume luba réglemente les relations entre les
enfants ou les personnes ayant des liens de consanguinité. Il est
formellement interdit aux enfants de même famille de se marier, d'avoir
des rapports intimes (sexualité) entre eux, de partager les mêmes
conjoints, d'avoir des querelles qui vont jusqu'à faire des parjures
(nshiya).
Nous allons décrire quelques concepts saillants de la
tradition luba ayant des conséquences génériques.
2.2.1.
Inceste/Adultère.
La société traditionnelle Luba règlemente
la vie de famille et de couple comme suit :
· dans un foyer, une femme mariée ne peut ni
coucher avec un autre homme en dehors de son mari ni recevoir des cadeaux d'un
ex-fiancé/amant. Elle ne peut en aucune façon exposer sa
nudité devant les membres de sa belle famille. Il s'agit d'un
problème de conscience et les conséquences sont multiples. Cet
acte peut conduire à la mort de la femme lors d'accouchement, il peut
bloquer l'accouchement, il peut conduire à l'infécondité
de la femme, cela peut entrainer la mort du mari ou des enfants. Dans d'autres
cas, la femme peut arriver à mettre au monde un bébé
monstrueux.
· L'homme ne devrait pas coucher avec une autre femme sur
son lit conjugal, que son épouse soit présente ou absente. Cet
acte est préjudiciable à tout son foyer, c'est-à-dire il
peut causer la mort de son épouse ou de ses enfants qu'il aura à
engendrer de ce lit souillé avec une autre femme. Le lit conjugal est
considéré comme sacré.
· Par respect des liens familiaux, l'homme ne devrait pas
avoir des rapports intimes avec sa belle soeur et vice versa. Signalons ici que
ceci n'est pas à confondre avec l'héritage ou le rite
d'héritage (bumpianyi) qui est un acte réglementé
avec des conditions d'application bien précises et qui intervient
après la mort d'un des conjoints. Et même en matière
d'héritage, il est impérieux de suivre les règles d'usage
afin d'éviter les litiges (mikiya).
· La femme ne devrait en aucune circonstance frapper son
mari. C'est un sacrilège. Une femme qui se donne à une telle
pratique est exposée à des sanctions sociales de la part de
membres de sa belle famille. Ceci en vertu du principe que l'homme est le chef
de la famille. La femme, quelle que soit sa grande taille par rapport à
son mari, lui doit obéissance et soumission. Il y a un proverbe qui dit
à ce propos que « kalume kabaka mukaji » ce
qui se traduit par « un homme si petit de taille soit-il
épouse une femme », et non le contraire.
· La désertion du toit conjugal par une femme
mariée, à l'issue d'une dispute, est une contravention aux
coutumes si celle-ci est allée se refugier en dehors de la famille de
son mari. Il est à noter que plusieurs considérations sont mises
en jeu. Peut- être elle peut avoir eu des visites de ses
ex-fiancés ou prétendants, elle peut s'exposer à des
nouveaux prétendants etc. Alors si après conseils de ses parents,
elle décide de regagner son foyer, le conseil familial devrait se
réunir pour examiner le cas. Et dans l'entretemps, le soir, c'est tout
le quartier que va crier sur elle en disant « wakupanga
mbuji » ce qui veut dire elle a manqué la chèvre,
car pour réparer elle devrait payer des amendes auprès des ses
belles soeurs qui varient entre l'argent et la chèvre selon le cas et
lors de la cérémonie publique on chante « X wakaya
kuabo kabamulonda, x wakalua muele mabele mulu » ce qui
signifie « X était partie chez elle et on ne l'a jamais
suivie, X est revenue seule avec ses seins en l'air. »
· Les parents devraient respecter leur lignage par
rapport aux enfants. Un père ne devrait jamais avoir des relations
intimes avec une fille du rang de ses enfants, de même pour la
mère, c'est une perversion et une faute grave. Ceci s'applique aussi aux
enfants entre eux. Agir ainsi, c'est briser le lien de sang. C'est incestueux.
Les conséquences sont mortelles. C'est pourquoi on conseille aux enfants
majeurs de ne pas jouer avec leurs mères et leurs soeurs surtout les
jeux de mains. Un proverbe dit : « seketela wakabaka
nyinandi » cela veut dire : « Seketela a fini par
coucher avec sa mère. »
· Comme nous venions de le dire plus haut, la chambre des
parents est sacrée. Les enfants ne devraient coucher avec leurs femmes
dans les chambres des parents.
· Deux frères devraient éviter de sortir
avec une même femme. La femme est réservée à un seul
homme. Donc deux frères ne peuvent en aucun cas partager le lit avec une
même femme. C'est comme se lier au même destin. Un proverbe luba
dit : « mukaji nkaseba ka kabunji, batu bakasomba kudi
muntu umue » ce qui veut dire « la femme est comme
une peau de renard, seul un homme convient de s'y asseoir. »
· Les parents sont considérés comme des
représentants de Dieu Créateur sur terre. Les enfants leur
doivent du respect tout azimut. Le manque de respect aux personnes du rang des
parents est un sacrilège et sanctionné par la tradition luba. De
ce fait, un enfant ne peut se permettre de frapper ni injurier un parent. Ceci
apporte une malédiction.
· Le comportement sexuel indiscipliné des parents
peuvent avoir une incidence pathologique sur le couple et sur les enfants. A ce
propos, Fortunat Mukendi (2003, 91) dit : « Si
l'adultère est sanctionné par des peines allant des amendes aux
humiliations, voire même la mort en passant par le divorce chez les
baluba du Kasaï, la non observance de certains codes de conduite
communautaire entraine des malaises physiques soit chez l'enfant, soit chez la
mère, soit encore chez son père. La guérison de ces
malaises requiert des cérémonies
appropriées ». On parle alors de nsanga.
Nsanga est à la fois la conséquence de l'indiscipline
sexuelle du père ou de la mère et aussi la pratique ou la
technique thérapeutique employée pour guérir de ces
conséquences. Le diagnostic chez l'enfant se manifeste par soit le refus
du bébé de sortir du ventre de sa mère (blocage de
l'accouchement), soit l'enfant naît mais n'augmente pas du poids, soit
l'enfant tarde à marcher, soit l'enfant fait une forte diarrhée
et un certain étourdissement.
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