1.3. L'état de la question
L'évaluation préalable est devenue l'outil par
excellence pour pouvoir mesurer, juger, évaluer et contrôler une
action dans le but d'obtenir les résultats fixés en amont de la
conception de cette action ou du projet à réaliser.
Anne-Catherine De Perrot et Tina Wodiunig, spécialistes de
l'évaluation dans le domaine de la culture, définissent
l'évaluation comme un examen ciblé de la conception au timing
d'exécution, et limité dans le temps suivant les objectifs et la
finalité préétablie du projet (De Perrot, Wodiunig, 2008).
C'est une démarche et une pratique pour juger un projet en cours ou
achevé, y compris sa conception, sa mise en oeuvre et ses
résultats, tout en respectant les étapes de sa
hiérarchisation conceptuelle.
Mesurer une action dans le cadre de la conception d'un projet,
d'un programme ou d'une politique et fixer des indicateurs de réussite,
c'est analyser la dimension des résultats ou l'amélioration que
cette action produirait. Une action ou un projet répondent à des
normes et à des règles auxquelles l'initiateur se
réfère pour bâtir des stratégies de réussite
et de faisabilité, tout en suivant le processus d'étude
préalable. Il est important de mettre au centre de cette étude
préalable la question de l'évaluation afin d'anticiper et de
mesurer dans le temps les résultats. En effet, évaluer une
action, c'est déterminer la finalité immédiate du projet
tout en se demandant si les objectifs formulés sont vérifiables
c'est-à-dire mesurables, qualifiables et interrogeables (De Perrot,
Wodiunig, 2008). Il s'agit également de vérifier les chances de
réussite afin d'éviter les erreurs. Évaluer devient la
mesure principale pour déterminer les résultats et donner des
réponses puisqu'il n'y a pas d'évaluation sans un effort
d'objectivation (Hadji, 1997, p.71), dans une finalité
déterminante. Objectiver l'action évaluative, c'est s'assurer des
mesures vérifiables concernant les résultats attendus ainsi que
les réponses sur la problématique posée en amont de la
conception de son projet durant l'évaluation préalable.
Une évaluation a un caractère normatif
(Martucceli, 2010) parce qu'elle détermine des normes à suivre et
des critères à respecter dans le cadre d'un projet dont les
indicateurs mesurent les résultats. Elle a aussi une dimension
performative puisqu'elle finit par définir le
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type d'activité à effectuer. Ainsi, à la
base, l'évaluation est un outil normé au service de
résultats fixés en amont, dans l'analyse des objectifs
préétablis dont la finalité détermine son objet
à évaluer avec des termes clairement définis et
conçus. Dans un contexte dans lequel les logiques managériales
néolibérales sont dominantes, aucun projet ou aucune action ne se
passe d'une évaluation. La démarche de l'évaluation reste
le point central pour mesurer des résultats à l'aide
d'indicateurs qui se veulent objectivement vérifiables. Dans le cadre de
notre étude, l'affirmation des logiques d'évaluation ne va pas de
soi. En effet, « la question de l'évaluation fait largement
débat dans le secteur culturel. On la dit dévoreuse de temps et
d'énergie coûteuse et réclamant une expertise difficile
à mobiliser ; on croit deviner derrière ses beaux atours l'ombre
des logiques d'audit et de contrôle ; et surtout on la considère
comme inadaptée au champ culturel, où règnent le sensible
et le subjectif... bref, le non quantifiable2 ». Face à
cette situation, l'évaluation est considérée comme
l'épée de Damoclès pour les porteurs de projet, du fait
qu'ils doivent se questionner sur la « finalité de
l'évaluation3 » : que doit-on évaluer exactement
? Que souhaite-t-on évaluer ? Que veut-on vérifier ? Que veut-on
tirer de cette action ? Il s'agit pour nous de mettre l'accent sur l'importance
de la prise en compte des réalités sociales dans
l'élaboration des politiques et stratégies de l'évaluation
préalable, qui concerne en particulier le secteur culturel. Le politiste
Julien Damon soutient que l'évaluation soulève des critiques,
voire des disputes virulentes, car tout ne serait pas évaluable (2009,
p.18-23). Par ailleurs, si l'évaluation est un contrôle ou un
audit, reste-t-elle encore utile dans sa fonctionnalité ? Une
évaluation préalable serait-elle une solution dans cette
situation de doute ? Quelle que soit la forme de l'évaluation, son objet
ou sa cible s'inscrit dans une logique de mieux tenir les engagements
fixés dès la conception des indicateurs et d'agir efficacement
(Hadji, 1997, p.19) dans l'obtention des données nouvelles afin
d'analyser les résultats.
S'il y a aujourd'hui et de toute évidence un besoin
d'évaluer dans les domaines scientifiques, politiques et de la
recherche, la réponse à ce besoin s'exprime par des moyens
stratégiques pour susciter la qualité via l'évaluation
préalable et la référentialisation (Figari, 1994). Dans le
domaine de la communication, l'évaluation a été pendant
très longtemps considérée comme une démarche utile
pour vérifier si la transmission d'un message d'un
2 Arcadi, « L'évaluation dans le secteur culturel.
Entre exigence démocratique et efficacité décisionnelle
», Colloque du 2 avril 2010, Paris, Comptoir général.
3 Idem, Colloque du 2 avril 2010.
31
émetteur à un destinataire arrivait à
obtenir le résultat espéré (un émetteur, un
objectif, un destinataire)
Dans un ouvrage sous la direction de Jacques Weiss (1991),
Michèle Genthon (1991) définit l'évaluation comme un
processus de communication suivant les informations qui circulent et les
données qui sont produites. Dans une démarche d'évaluation
préalable, le porteur de projet est face à un terrain qu'il doit
s'approprier pour recueillir des informations et des données, qui seront
diffusables après analyse et étude. En désignant
l'évaluation comme un processus de communication, Michèle Genthon
la représente dans un milieu d'apprentissage et de formation dont les
acteurs font partie en tant qu'apprenants en quête de savoir et dont
l'évaluation doit vérifier les acquis et les connaissances. Les
apprenants ont des représentations, des valeurs, des projets, des
intentions, des objectifs, des critères privilégiés (Idem,
1991) censés être évalués dans une logique de
communication. Ainsi, s'il y a communication, c'est qu'il y a des informations
qui circulent dans le but de transmettre des données et des informations
recherchées. En revanche, pour le dossier de présentation d'un
projet culturel, il pourrait être envisagé comme un outil de
communication ayant la fonction de valoriser les atouts du projet en vue de son
financement. Un document présentant les éléments de
réussite, des indicateurs pouvant déterminer la
faisabilité du projet ainsi que la présentation des ressources
possibles de réaliser l'action.
Un projet culturel dont l'évaluation préalable
détermine les stratégies et les méthodes à mettre
sur pied pour collecter des informations, permettra aux évaluateurs de
projets d'émettre leurs assentiments évaluatifs. Le support du
projet culturel ainsi conçue, permettra au porteur de projet de
communiquer avec les éventuels organismes d'octroi de subvention, du
fait qu'il transmet un message, des données évaluables et
mesurables.
Communiquer autour d'un projet culturel ou d'une action, c'est
transmettre les informations ou les données recueillies durant
l'évaluation préalable afin de poser les bases d'une analyse des
résultats. La conduite d'une évaluation préalable d'un
projet culturel en amont de la conception ouvre les brèches de la
faisabilité d'une action en évitant les erreurs et les
ratés dans les résultats par le suivi des indicateurs mis en
place.
En nous intéressant à l'évaluation
préalable, notre mémoire cherche à problématiser
pourquoi les porteurs de projet doutent du système d'évaluation
des projets soumissionnés
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dans le cadre du programme ACP Cultures+, craignant que le
leur soit rejeté. Il analyse aussi le dispositif d'accompagnement des
propositions des soumissionnaires et les acquis, les expériences, les
connaissances ainsi que les compétences de ces derniers dans la
conception d'actions. Il examine la manière dont ils appréhendent
la notion d'évaluation préalable ainsi que les règles
concernant l'octroi de la subvention. Il cherche à comprendre comment
l'évaluation est menée au sein de l'organisme d'octroi de
subventions.
Cette démarche va nous permettre de confronter nos
savoirs, nos savoir-faire et nos connaissances en évaluation
préalable avec les réalités du terrain. En somme, la
recherche, bien qu'étant une activité de production de
connaissances et de savoirs, est aussi une manière de voir, de regarder
un objet et de le connaître afin de renouveler constamment les
conceptions, les méthodes et les techniques.
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