§3. Irrationalité du conflit
En raisonnant de façon rationnelle, le conflit n'est
pas sans intérêt pour les Occidentaux :
1Bernard, J.-P., Gaspard, M. et Harral, C.,
op.cit., p.57
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? l'OTAN achève sa mission en Afghanistan. Il serait
logique que l'institution, pour justifier la
pérennité de ses services et de son budget, ne voie pas d'un
mauvais oeil la tension entre Kiev et Moscou, voire soit tentée
d'oeuvrer à l'entretenir ;
? dans l'UE, certains se souviennent que pendant la
guerre froide, confrontée à la menace
soviétique, l'opinion européenne ne contestait pas la
construction européenne. La perception par les peuples européens
d'un ennemi à l'Est permettrait de générer un « Autre
», face auquel pourrait renaître un sentiment européen en
voie d'extinction ;
? Washington ne peut que se réjouir de voir les pays
européens inquiets. Compte tenu de leur
dépendance en matière de sécurité, ils ne pourront
qu'être plus accommodants avec les volontés de la Maison
Blanche.
Le Kremlin est un acteur rationnel. Préoccupé du
développement économique de la Russie, une fois la Crimée
sécurisée, il n'a pas d'intérêt à un conflit
l'exposant à des sanctions réelles. Cependant, à partir
d'un certain seuil, il lui serait impossible de ne pas réagir
militairement. Ainsi, si Kiev ne peut reprendre le contrôle de l'Est sans
un massacre de séparatistes, quel sera le seuil de tolérance de
l'opinion russe. La CE aborde l'association de la Moldavie sur des bases
radicales : la seule issue laissée aux autorités de Transnistrie
est la capitulation sans conditions. Le Kremlin peut-il abandonner plusieurs
centaines de milliers de russophones sans perdre la face vis-à-vis de
son opinion publique.1
Il faut aussi tenir compte des données
stratégiques. Ce qui se passe en Ukraine, c'est-à-dire à
sa porte, affecte la sécurité de la Russie. Elle ne peut rester
aussi indifférente que, par exemple, la France vis-à-vis
d'évènements se produisant au Mali ou en Centrafrique, à
des milliers de
1 Bernard, J.-P., Gaspard, M. et Harral, C., op.cit.,
p.44
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kilomètres. Une réaction militaire russe de
très grande ampleur est possible. D'autant que les passions sont
tellement exacerbées dans le Donbass que l'évolution de la
situation y est imprévisible.
Les médias occidentaux se sont convaincus que les
sanctions expliquent que Moscou n'ait pas annexé le Donbass comme la
Crimée. On a vu qu'il y d'autres raisons. Penser que la menace de
sanctions a suffi et suffira à imposer les vues occidentales à
Moscou est dangereux. Bien sûr, de véritables sanctions, frappant
les hydrocarbures, les apports de technologie occidentale, la finance,
affecteraient gravement l'économie russe, mais pas seulement elle. En
effet la technologie asiatique (Chine, Japon, Corée, Inde ...) vaut
aujourd'hui celle de l'Europe et peut la remplacer. Pour l'économie de
l'UE, La perte consécutive de contrats en Russie aura des
conséquences directes et une crise économique en Russie
réduira le pouvoir d'achat dans ce pays, donc, indirectement les
exportations de l'UE. Enfin, dès que les sanctions deviendront
dommageables, des contre-mesures russes pourraient au surplus fermer des
marchés.
Pour l'Europe de l'Ouest entrer dans le jeu de sanctions
réelles contre la Russie présente un risque économique
réel. On comprend que les gouvernements européens hésitent
à céder aux pressions des États-Unis, dont
l'économie ne subira quant à elle aucune conséquence.
Surtout qu'une crise économique majeure provoquée par des
sanctions animées par les États-Unis ouvrirait de larges
perspectives à la diplomatie russe en Europe. Sur un plan
général, il est de toute façon inapproprié de
chercher dans une spirale de sanctions économiques incontrôlable
la solution à un problème qui est d'ordre
politique1.
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