D'emblée, notre réflexion est la suivante: en
Afrique de l'Ouest l'économie structurée n'arrive pas à
absorber la masse de main d'oeuvre, aussi, c'est le secteur informel qui s'en
charge. D'ailleurs pour anecdote, lors de notre séjour au Burkina Faso,
parmi les personnes que nous avons pu rencontrer, la majorité
travaillait dans de grandes structures telles que Bolloré Africa
Logistics, Delmas... Les 4/5 ont une activité dans l'informel à
côté de leur emploi salarié formel et bien
rémunéré. Il est nécessaire d'insister sur le fait
que la majorité de ces personnes a une activité dans le domaine
agricole et donc de facto dans le secteur informel. Les personnes
concernées expliquent les motifs de création de ces
activités parallèles:
· « Cette activité nous permet de créer
plus d'autonomisation de nos proches en zone rurale>
· « Nous voulons consommer local>
· « L'agriculture nous permettra d'avoir une
rentrée d'argent et de plus la demande est évidente>
· « Il est plus écolo de produire à
la maison sainement que de se ravitailler au marché avec des produits
plein d'OGM (Organisme Génétiquement Modifié)>
· « Il y a de la main d'oeuvre compétente
pour l'agriculture et on crée de l'emploi>
· « Cette seconde activité nous permet
d'avoir des weekends de détente hors de la grande ville>
Le plus souvent, le secteur informel renvoie l'image de
petits producteurs non organisés opérant à la
lisière de l'économie moderne. Ce cliché contient une part
de vérité. Toutefois, dans les pays de l'Afrique de l'Ouest,
toutes les catégories y prennent part. L'OCDE estime qu'entre 50 et 80%
de la main d'oeuvre disponible se livre à une activité
économique informelle24.
Avant tout constat, il convient de définir le secteur
informel. Le secteur informel comprend toutes les activités en dehors du
système fiscal et légal, sur lesquelles il n'y a pas
d'informations statistiques fiables disponibles. D'où la
complexité du secteur informel en Afrique car il comprend beaucoup de
micro--
24
http://www.mays--
mouissi.com/2015/03/07/afrique--le--defi--de--la--valorisation--de--leconomie--informelle/
L'entrepreneuriat moteur économique - La place de
l'ESS dans l'entrepreneuriat en Afrique de l'ouest 26
entreprises. De par nos recherches, la grande majorité
des études sur le secteur informel en Afrique se concentrent sur de
très petites activités (individuelles) telles que le commerce
ambulant, l'agriculture et l'artisanat.
Alors, certes la plupart des activités informelles
sont de très petite taille mais il ne faut pas oublier que ce
phénomène est beaucoup plus complexe et concerne aussi de
très grandes exploitations.
Le constat est le suivant, il y a un effet de saturation dans
le secteur formel qui permet l'émergence du secteur informel d'où
son importance (Marfaing L. et Sow M., 1999). Statistiquement, on estime que
l'économie informelle représente aujourd'hui une grande part du
PIB et 90 % ou plus de l'emploi en Afrique de l'Ouest.
Ce graphique nous démontre que le secteur primaire
(agriculture, élevage, pêche) est entièrement ou
très
fortement dominé par
25
l'informel. La majorité des
gens surtout externes à un champ d'étude social
ou économique pense ou imagine que l'économie informelle est une
économie limitée au monde rural, une économie pour les
personnes « pauvres », « en zones défavorisées
». Or cette économie informelle est un atout pour l'économie
ouest--africaine dans le sens où entre 50 à 90 % de la population
est employée dans ce secteur contrairement au modèle
économique structuré qui n'emploi qu'entre 5% et 10% de la
population.
Nous déduisons que les failles du modèle
capitaliste ont engendré des initiatives individuelles pour se sortir de
situation de non emploi. Ces initiatives se déroulent souvent dans le
cadre du secteur informel qui a pour avantage de permettre l'essor
d'organisations ou groupements en mesure de créer une activité
génératrice de revenus. L'initiative n'est plus individuelle mais
collective.
Cependant, malgré le dévouement de ces micros
entrepreneurs dans le secteur informel, ils sont confrontés à des
besoins non négligeables en matière d'équipements
technologiques, ils manquent de formations adéquates et de
compétences managériales et techniques. De ce fait, ils
rencontrent d'une
25
http://www.afd.fr/webdav/shared/PUBLICATIONS/RECHERCHE/Scientifiques/Coeditions/Entreprises%20informelle
s%20Afrique%20de%20l'Ouest.pdf
L'entrepreneuriat moteur économique -- La place de
l'ESS dans l'entrepreneuriat en Afrique de l'ouest 27
L'entrepreneuriat moteur économique -- La place de
l'ESS dans l'entrepreneuriat en Afrique de l'ouest 28
part des difficultés d'accès aux marchés
du fait de l'inadéquation aux normes de qualité de leurs
produits, de l'emballage et d'autre part un problème de financement et
d'accès au crédit bancaire.
En comparaison avec les pays du Nord où l'ESS est
formelle mais son impact minime, en Afrique, cette économie informelle
très importante est devenue un secteur de relance économique;
surtout, il commence à générer des normes la concernant.
D'où les questions suivantes : comment améliorer les conditions
pour permettre un meilleur environnement des affaires afin de favoriser le
développement de l'entrepreneuriat? Quelle norme juridique pour le
secteur informel? Pour faire court, il est important que ce secteur
intègre le secteur formel car ce n'est pas seulement une économie
de la « débrouille », elle attire, influence, intègre
et répond à beaucoup d'enjeux. D'où l'utilisation du
concept même de l'ESS.
Nous parlions plus haut du manque de pertinence de
l'économie structurée qui émane de l'économie
classique. Le capitalisme a engendré des effets de production de masse
nocive pour notre environnement et des gouvernances capitalistiques mal
adaptées à la plupart des sociétés. Nous pensons
que l'ESS en Afrique de l'Ouest serait unificateur car elle s'adapte au
contexte. Son histoire et ses valeurs font que l'on retrouve en son sein un
champ large dans lequel même les entrepreneurs sociaux peuvent retrouver
leurs pratiques innovantes. Il est de ce fait utile de préciser la
différence qui existe entre économie sociale, entrepreneuriat
social et entreprise sociale car il peut y avoir confusion.
En effet, l'économie sociale est composée des
sociétés de personnes : entreprises associatives,
coopératives, mutualistes dont les clients sont des sociétaires,
qui élisent leurs représentants pour diriger l'entreprise. A but
lucratif ou non, elle regroupe des associations du social et des SCOP
industrielles ou des mutuelles d'assurance. Une de ses valeurs majeures
d'entreprises est orientée autour des gouvernances collectives et
partagées.
L'entrepreneuriat social issu du modèle anglo-saxon
qu'on pourrait regrouper autour des « entreprises à objectif social
avec des outils et méthodes entrepreneuriales ». Mais elle ne
possède point de notion fondamentale sur la gouvernance collective et
partagée. L'entreprise sociale est un mouvement collectif
entrepreneurial et la notion de collectif est primordiale.
Pour conclure, les entreprises de l'ESS sont des entreprises
sociales mais toutes les entreprises de l'entrepreneuriat social ne le sont
pas. Nous sommes d'accord pour définir avant tout cette économie
par la mise en pratique des valeurs et principes de fonctionnement
énumérés précédemment de l'ESS. Or, force
est de constater que les organisations les plus formalisées et
structurées telles que les mutuelles ou encore les coopératives
de l'économie sociale se retrouvent couramment en porte-à-faux
avec ces principes. En adoptant un mode de gestion similaire au management
capitaliste, elles ne gardent d'économie sociale que le nom,
principalement en raison des avantages ou de l'accès à des
financements que cela autorise, entretenant ainsi la confusion.
L'entrepreneuriat moteur économique -- La place de
l'ESS dans l'entrepreneuriat en Afrique de l'ouest 29
Bref...L'ESS lutte pour une production de biens et services,
en préservant une dimension humaine dans ses méthodes, et en se
donnant comme vocation l'insertion sociale et économique. Tels sont les
valeurs de base à notre avis de l'économie informelle en Afrique
de l'Ouest. Nous y trouvons aujourd'hui l'entreprenariat classique
(entrepreneurs sociaux que nous jugeons opportunistes), les paysans, les
tontines, les mutuelles, l'artisanat, les groupements de paysans, les
groupements de femmes ou coopératives de producteurs... En outre, la
facilité d'entrée et de sortie de l'économie informelle
est un facteur de souplesse très important car il permet aux
micro-entreprises de « retomber sur leurs pieds ».
Alors, en Afrique de l'Ouest, les expériences
existantes telles que coopératives agricoles peuvent basculer dans le
secteur formel et seront de facto considérées comme étant
dans l'ESS. « Les premières tentatives d'institutionnalisation de
l'économie sociale sont à trouver a posteriori dans
l'implantation de coopératives agricoles en Afrique. Ces
coopératives agricoles relayées au début des années
1970 par les associations villageoises et inter-villageoises de
développement ont participé activement à l'affirmation
d'un mouvement paysan fort. Elles ont articulé leurs actions autour de
la prise de parole par les producteurs, la captation de la rente de l'aide au
développement et l'interface avec les intervenants. Les
coopératives ont révélé par leur échec la
faiblesse d'une construction par le haut et donc leur inféodation
à l'Etat. »26