Chapitre 1- LA JURIDICTION PRESIDENTIELLE EN MATIERE
GRACIEUSE
La nature juridictionnelle des décisions gracieuses
fait l'objet d'une certaine casuistique9. En effet, tandis que
certains auteurs voudraient opposer à l'acte juridictionnel la
juridiction gracieuse, d'autres tendent à considérer les actes
gracieux comme une véritable juridiction d'une nature spéciale.
Pour trancher le problème, le Doyen CORNU propose une définition
duale et étendue de la matière gracieuse ; il distingue ainsi :
d'une part, les matières qui « relèvent de la
juridiction gracieuse » (en ce qu'elles soumettent au contrôle
d'un juge un acte de volonté privée, matière de sa
juridiction), et d'autre part celles qui « sont instruites et/ou
jugées comme en matière gracieuse » (car elle sont
rattachées à la procédure gracieuse sans pour autant
réunir toutes les composantes de la matière
gracieuse)10. Cette définition peut être
complétée par celle donnée par l'article 25 du - nouveau -
Code de Procédure Civile français dit que « le
juge statue en matière gracieuse lorsqu'en l'absence de litige il est
saisi d'une demande dont la loi exige, en raison de la nature de l'affaire ou
de la qualité du requérant, qu'elle soit soumise à son
contrôle ».
En matière gracieuse, la juridiction
présidentielle est saisie par voie de requête. D'ailleurs, la
procédure sur requête relève de la compétence
exclusive de la juridiction présidentielle. Aussi, lorsque la «
juridiction compétente» est saisie par requête, c'est au
Président de ladite juridiction qu'est adressée cette
requête.
Cette requête peut solliciter du Président de la
juridiction compétente qu'il rende une ordonnance tendant à
garantir le patrimoine du demandeur (A). Le Président de la juridiction
compétente peut aussi être saisi, par voie gracieuse, par les
organes dirigeants d'une société, en sa qualité de juge
d'appui (B). Enfin, le législateur OHADA soumet à la
procédure gracieuse devant la juridiction présidentielle
certaines demandes relatives aux procédures collectives d'apurement du
passif (C).
En dehors de ces cas, la juridiction présidentielle
intervient, de façon exceptionnelle en matière d'arbitrage. En
effet, l'article 5-a de l'Acte Uniforme sur l'arbitrage dispose qu' «
en cas d'arbitrage par trois arbitres, chaque partie nomme un
9 Sur l'ensemble de la question voir J. VINCENT, S. GUINCHARD,
Procédure civile, 26e éd., Paris, Dalloz, pp.
205-210.
10 Pour les professeurs J. VINCENT, S. GUINCHARD la confusion
et la difficulté dans la détermination du caractère
juridictionnel des décisions gracieuses proviennent en grande partie
« du fait que des considérations de pure théorie
juridique (...) ont été occultées par des
considérations d'ordre pratique »; ainsi, poursuivent-ils,
« il était commode de confier aux tribunaux créés
par l'Etat pour juger, des tâches, des fonctions non juridictionnelles -
à l'origine - mais pour lesquelles le besoin de l'intervention d'une
autorité publique était nécessaire ». J.
VINCENT, S. GUINCHARD, Procédure civile, op. cit., p 192.
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arbitre et les deux arbitres ainsi nommés
choisissent le troisième arbitre ; si une partie ne nomme pas un arbitre
dans un délai de trente jours à compter de la réception
d'une demande à cette fin émanant de l'autre partie, ou si les
deux arbitres ne s'accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans
un délai de trente jours à compter de leur désignation, la
nomination est effectuée, sur la demande d'une partie, par le juge
compétent dans l'Etat-partie » ; on devine aisément que
ce « juge » sera saisi par requête, ce qui renvoie à
dire que cette compétence ressort des attributions de la juridiction
présidentielle opérant par voie gracieuse.
I- JURIDICTION PRESIDENTIELLE ET SECURISATION DU
PATRIMOINE
A la lecture des Actes Uniformes OHADA portant sur le Droit
Commercial Général, sur le Droit des Sûretés (voire,
le projet d'Acte Uniforme sur le droit des contrats), on se rend rapidement
à l'évidence : le législateur OHADA est soucieux, au
premier ordre, de la sécurité - juridique - des affaires et des
investissements. Mais il est aussi conscient qu'aucune disposition
légale ne peut déjouer la malice de l'être humain, ni
anticiper parfaitement les aléas du monde des affaires. C'est pourquoi,
il s'est évertué à prescrire des procédures
simplifiées de recouvrement. Aussi le législateur OHADA a-t-il
confié la mise en oeuvre aux instances judiciaires.
Le pouvoir judiciaire occupe donc une place importante dans la
protection de l'investissement. Ceci se traduit par l'activité de la
juridiction présidentielle qui est chargée du contrôle du
RCCM et de l'administration des sûretés (A), mais aussi de la mise
en oeuvre des mesures conservatoires et des procédures
simplifiées de recouvrement (B).
A- Le contrôle du RCCM et l'administration des
sûretés
L'article 36 de l'AUDCG dispose que « le Registre du
Commerce et du Crédit Mobilier est tenu par le greffe de la juridiction
compétente ». Ratione materiae, la juridiction
compétente est la juridiction statuant en matière commerciale ou,
en d'autres termes, faisant fonction de tribunal de commerce dans chaque
Etat11 (le Tribunal de Première Instance au Cameroun).
S'agissant de la compétence ratione
11 Cette interprétation est confirmée par
l'article 258 de l'AUDSC qui dispose « la publicité par
dépôt d'actes ou de pièces est effectuée au greffe
du tribunal chargé des affaires commerciales du lieu du siège
social ».
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loci, la règle est que pour l'immatriculation
et l'inscription des faits et mentions obligatoires, c'est la juridiction du
lieu de l'exploitation du commerce (personnes physiques) ou du lieu du
siège social (sociétés commerciales et autres personnes
morales) qui est compétente12.
L'expression juridiction compétente désigne en
réalité le président ou le juge
délégué. C'est ce qui ressort de l'article 36
précité qui prévoit que le Registre du Commerce et du
Crédit Mobilier est tenu par le greffe de la juridiction
compétente « sous la surveillance du Président de ladite
juridiction ou du juge délégué par lui à cet effet
(...) »13. A ce titre, le Président de la
juridiction compétente, saisi par requête du greffe, autorise ce
dernier à procéder à la radiation d'une inscription au
RCCM dans les cas prévus par la loi14. A ce niveau on peut
faire un parallèle avec l'Acte Uniforme sur le droit des
sociétés coopératives qui, créant un Registre des
Sociétés Coopératives, dispose à son article 84 que
« à défaut de demande de radiation dans le délai
prescrit, l'autorité administrative chargée de la tenue du
Registre des Sociétés Coopératives compétente
procède à la radiation sur décision de la juridiction
compétente saisie à sa requête ou à celle de tout
intéressé ».
En dehors du fonctionnement du RCCM, la juridiction
présidentielle est aussi compétente dans des cas liés au
contrôle des sûretés. Ainsi, lorsqu'un bien objet d'un gage
avec dépossession menace de périr, le créancier gagiste
(ou le tiers convenu) peut faire vendre, sous sa responsabilité, le bien
gagé sur autorisation notifiée au constituant de la juridiction
compétente saisie sur simple requête15. De même,
il est prévu que, toute demande tendant à la résolution
amiable, judiciaire ou de plein droit de la vente du fonds de commerce doit
faire l'objet d'une prénotation au RCCM à l'initiative du vendeur
; et que cette prénotation est autorisée par la juridiction
compétente du lieu où la vente a été inscrite, par
décision sur requête (à charge de lui en
référer)16.
12 A. PEDRO SANTOS, J. YADO TOE, OHADA. Droit commercial
général, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 120
13 Option confirmée par l'article 66 du même Acte
uniforme qui dispose que « le greffier ou le responsable de l'organe
compétent dans l'Etat Partie en charge du Registre du Commerce et du
Crédit Mobilier s'assure, sous sa responsabilité, que la demande
et la déclaration sont complètes et vérifie la
conformité de leurs énonciations aux pièces justificatives
produites comme prévu aux articles 50 et 58 ci-dessus. (...) S'il
constate des inexactitudes ou s'il rencontre des difficultés dans
l'accomplissement de sa mission, il peut convoquer le demandeur ou le
déclarant pour recueillir toutes explications et pièces
complémentaires.
14 Article 55 AUDCG.
15 Article 111 AUS.
16 Article 168 AUS.
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