Année universitaire 2014/2015
QUINONES Gilles
Master 2 Droit de la distribution et des contrats
d'affaires
Dirigé par Monsieur le Professeur Nicolas
FERRIER
Mémoire
Sous la direction de Monsieur le Professeur Nicolas
FERRIER
L'anticipation des risques d'inexécution
du
contrat
Faculté de droit et de science
politique Université Montpellier I
2
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont
propres à leur auteur et n'engagent pas l'Université de
Montpellier I.
Remerciements
3
Je tiens à remercier mes parents pour leur chaleureux
soutien.
4
Sommaire
Partie 1: L'admissibilité des mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
Titre 1: L'existence avérée des
mécanismes d'anticipation
Chapitre 1: L'expansion internationale des
mécanismes d'anticipation Chapitre 2: L'ouverture du droit interne
aux mécanismes d'anticipation
Titre 2: Le régime suggéré des
mécanismes d'anticipation
Chapitre 1: La résolution
anticipée Chapitre 2: L'exception pour risque
d'inexécution
Partie 2: La portée des mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
Titre 1: La consécration de principes
novateurs
Chapitre 1: Le principe de confiance
légitime Chapitre 2: L'efficacité économique du
contrat
Titre 2: Le bouleversement du régime de la
responsabilité contractuelle
Chapitre 1: Les conditions modifiées de la
responsabilité contractuelle Chapitre 2: Les effets modifiés
de la responsabilité contractuelle
5
Introduction
Tout comme la survenance d'une maladie expose
fréquemment un certain nombre de symptômes avants-coureurs,
l'inexécution contractuelle est également susceptible de
présenter des prémisses laissant entrevoir un tel risque. Nul ne
pourrait alors aisément nier que le fait de désamorcer à
l'avance les conséquences néfastes d'un événement
redouté constituerait une solution de bon sens.
Si le dynamisme des échanges économiques exige
inévitablement un comportement prévisible et cohérent de
la part des acteurs du marché, une certaine souplesse est
également requise dans la concrétisation de tels échanges.
Le contrat, instrument incontournable des relations commerciales, doit alors
offrir une sécurité juridique solide sans pour autant se
transformer en aliénation lorsqu'il est manifeste que les effets
attendus ne surviendront pas. Or, si en droit romain, il était d'usage
que le débiteur soit matériellement enchaîné par son
créancier avant même que l'obligation ne fut
échue1, il semblerait à l'inverse que de nos jours, ce
soit habituellement le créancier victime d'une future inexécution
qui soit contraint de lutter pour briser les chaînes virtuelles d'un
contrat voué à l'échec.
Il est important de bien mettre à nu l'existence d'un
conflit entre l'incontournable principe de force obligatoire du contrat et
l'exigence de souplesse que requière non seulement la vie des affaires,
mais aussi plus globalement, tout échange juridiquement encadré.
Cette souplesse se traduit notamment par la possibilité pour les
cocontractants de procéder à la résolution judiciaire du
contrat en cas d'inexécution par l'autre partie2. Cette
faculté offerte au créancier ne saurait faire l'objet de vifs
débats: le contrat synallagmatique impose effectivement une
réciprocité dans les obligations des parties. Cette condition de
réciprocité ne saurait légitimement être
méconnue au risque de priver de cause l'obligation de l'une des
parties3, ou devrait-on plutôt dire: sa méconnaissance
risquerait de bouleverser l'économie du contrat4.
1. J.-P. LEVY, A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e
édition, 2010
2. Article 1184 du code civil
3. Civ 30 décembre 1941: "Dans les contrats
synallagmatiques, l'obligation de chaque contractant trouve sa cause dans
l'obligation, envisagée par lui comme devant être effectivement
exécutée, de l'autre contractant; cette cause fait défaut
quand la promesse de l'une des parties n'est pas exécutée ou
s'avère soit nulle, soit de réalisation."
4. Certains auteurs tels que Sébastien Pimont critiquent
en effet l'utilisation par les juges, de la cause en tant que
6
La controverse devient en revanche beaucoup plus houleuse
lorsque se pose la question de savoir si le créancier pourrait
résoudre le contrat de manière anticipée, ou du moins,
suspendre l'exécution de ses propres obligations en présence d'un
simple risque d'inexécution. Notre système juridique actuel
semble effectivement entraver l'accès à l'utilisation de
mécanismes aptes à anticiper le risque d'inexécution.
L'anticipation est une mesure de bon sens n'ayant pas
échappé à l'oeil de juristes ayant entrepris de lui donner
une traduction juridique5. Mais il convient tout d'abord de
s'intéresser à la dimension psychologique de ce terme
après en avoir exposé les définitions classiques. Le
Larousse définit l'anticipation de la manière suivante:
"prévoir, supposer ce qui va arriver et adapter sa conduite à
cette supposition". Quant au Petit Robert, nous pouvons y trouver la
définition suivante: " Exécuter avant le temps
déterminé, devancer - Imaginer et éprouver à
l'avance". Appliqué dans un contexte marqué par les relations
d'affaires, et par conséquent, au sein d'un environnement
économique plus ou moins bienveillant, l'anticipation évoque
l'idée de construire une défense aux fins de faire face à
un danger économique dont on suppose la survenance ultérieure. Le
sentiment d'anxiété, inhibiteur lorsqu'il est exacerbé,
mais également stimulant lorsqu'il est maîtrisé, pousse
naturellement tout un chacun à "imaginer" et "devancer" les
événements néfastes susceptibles de survenir au sein d'un
environnement anxiogène. Le désir d'anticipation constitue ainsi
un phénomène naturel mais également bienvenu au sein d'un
contexte juridico-économique où les nombreux aléas
financiers et comportementaux nécessitent une prévoyance et
adaptation permanente.
Un certain nombre de travaux doctrinaux ont ainsi
été élaborés sur le sujet de l'anticipation en
droit et notamment, en matière contractuelle6. Il en ressort
qu'un tel concept a pour objet de "transformer le futur en
présent"7 en agissant "dès maintenant comme si ce
qui
fondement de la résolution pour inexécution. Ce
serait en effet méconnaître que cette notion est une condition de
validité du contrat qui de ce fait, constitue un fondement de la
nullité du contrat et non de sa résolution. Sébastien
Pimont propose alors, en guise d'alternative viable, de fonder la
résolution du contrat pour inexécution sur le bouleversement de
l'économie du contrat. (Sébastien Pimont, L'économie du
contrat, PUAM, 2004); Voir infra p.88
5. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; M. Buot de
L'épine, La notion d'anticipation en droit commercial, thèse
Paris I, 1976
6. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; M. BUOT DE
L'EPINE, La notion d'anticipation en droit commercial, thèse Paris I,
1976; Y.-M. LAITHIER Etude comparative des sanctions de l'inexécution du
contrat, thèse Paris II, pref H. Muir-Watt, LGDJ, 2004, n°464 s;
Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle,
PUAM 2011
7. Y.-M. LAITHIER, Étude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.553
7
est futur existait déjà"8.
L'idée de faire "comme si" traduit ainsi l'élaboration d'une
"fiction"9: il s'agit en effet de tirer les conséquences
juridiques d'une situation de fait attendue, et partant, inexistante à
l'heure où ces dernières sont assumées.
Il n'est aucunement étonnant de constater que certains
mouvements jurisprudentiels et doctrinaux se soient évertués
à créer et développer nombre de mécanismes et
décisions inspirés du concept d'anticipation. Tel est
particulièrement le cas dans le domaine des relations contractuelles.
Ainsi, l'inexécution contractuelle, redoutée par le
créancier, méritait telle une certaine attention des auteurs
lorsque la simple menace de sa survenance était perceptible. Il est
alors apparu que "le risque d'inexécution", en dépit de son
absence du code civil, pouvait revêtir le caractère d'un concept
éminemment juridique10 nécessitant l'application d'un
régime rigoureux.
La "maîtrise du risque d'inexécution"
nécessite en effet l'élaboration de mesures pouvant d'une part
être prises au stade de la conclusion du contrat: il s'agit des mesures
de prévisions11 se traduisant par la rédaction de
diverses stipulations contractuelles telles que les clauses pénales
destinées à dissuader et réprimer l'inexécution du
débiteur ou encore l'aménagement de sûretés ou
garanties aux fins de pallier aux conséquences d'une telle
inexécution. Ces mesures ont, nonobstant les vertus dissuasives de la
clause pénale, moins pour objet de bloquer le risque
d'inexécution que de remédier aux conséquences de son
éventuelle réalisation.
D'autre part, le risque d'inexécution peut être
maîtrisé postérieurement à la conclusion du contrat:
il s'agit des mesures d'anticipation sur lesquelles portera notre étude.
Bien qu'elles fassent l'objet d'une certaine résistance de la part du
législateur français, elles sont largement admises au sein de
nombreux systèmes juridiques étrangers et revêtent
principalement deux formes: la résolution anticipée et
l'exception pour risque d'inexécution. La première consiste
à anéantir par anticipation le lien contractuel alors que la
deuxième consiste à procéder à la simple suspension
des effets du contrat de manière anticipatoire.
8. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979, p.VII
9. F. PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.245
10. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.124: "Le constat qu'aucune disposition du Code
civil n'évoque comme tgel le risque d'inexécution, et qu'il soit
négligé de la réflexion théorique sur le contrat,
ne permet pas de conclure qu'il n'y a pas sous ce nom quelque chose dont
s'occupe la règle de droit. (...) A l'évidence "risque
d'inexécution" est un terme du vocabulaire juridique. Un mot qui a un
sens au regard du droit. Nous avancerons même, qu'il n'a qu'un sens
exclusivement juridique dans la mesure où sa charge intellectuelle en
restreint l'usage au droit et qu'il n'aurait tout simplement pas de sens dans
le vocabulaire courant. C'est un concept juridique".
11. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de
l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.245: L'auteur insiste sur la
nécessité d'opérer une distinction entre mesures de
prévision et mesures d'anticipation.
8
Après avoir établi l'existence juridique du
"risque d'inexécution", Fall Paraiso définit ce concept en ces
termes: "Est un risque d'inexécution, le fait pour tout créancier
d'être troublé dans l'exercice de son droit de créance ou
dans ses attentes légitimes par l'avènement d'une situation, dont
il n'a pas entendu assumer la présence en s'engageant ou par son
comportement ultérieur, susceptible de le priver de l'exécution
qu'il est en droit de recevoir". Il en ressort ainsi que le risque
d'inexécution ne pourrait concerner que ce que le créancier
n'aura pu détecter au moment de la conclusion du contrat. Nous ne
pourrions en effet raisonnablement évoquer l'idée d'un "risque
d'inexécution" nécessitant l'application d'un régime
protecteur du créancier lorsque ledit risque était perceptible au
stade de la conclusion du contrat. La détection d'un tel risque
dénoterait que le créancier s'apprêtait à assumer
les conséquences de la survenance d'une éventuelle
inexécution12. Fall Paraiso a ainsi pu affirmer que "lorsque
l'inexécution est prévisible ou probable dès l'engagement
pour le créancier, sa réalisation est-elle par lui
déjà acceptée. La perturbation dont il se plaint est un
effet normal de l'engagement. (...) Spéculant sur son dommage, le
créancier n'est pas recevable à obtenir en justice la cessation
d'une situation dont il avait le pouvoir d'éviter la
formation".13
La mise en oeuvre des mécanismes de prévention
du risque d'inexécution ne sauraient donc trouver application que
lorsque ledit risque n'était pas détectable au stade de la
conclusion du contrat. Ainsi, les mesures de prévisions n'ont pas
vocation à pallier aux conséquences d'une inexécution dont
la survenance ultérieure était prévisible lors de
l'échange des consentements. Prévoir un remède aux
conséquences d'une menace susceptible de se produire relèverait
d'un non-sens lorsque ladite menace pourrait elle-même être
évitée. L'indétectabilité du risque
d'inexécution au stade de la conclusion du contrat justifierait alors la
mise en oeuvre de mécanismes d'anticipation postérieurement
à celle-ci. L'application de tels mécanismes est donc en principe
conditionnée à l'apparition d'un risque d'inexécution
postérieurement à la conclusion du contrat, quoiqu'un tel risque
devrait encore nécessairement répondre à un certain
degré de probabilité, et partant, revêtir une certaine
forme. Nous ne pourrions en effet raisonnablement admettre que le lien
contractuel puisse être anéanti voire simplement suspendu sur une
simple suspicion d'inexécution.
Bien qu'une évolution positive semble se dessiner avec
l'admission explicite de l'exception pour risque d'inexécution au sein
du projet d'ordonnance portant réforme du droit
12. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.158
13. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.160
9
des contrats14, le législateur
français demeure malgré tout fortement réticent à
l'idée d'admettre que l'on puisse anéantir le lien contractuel
avant que l'événement justifiant une telle mesure n'ait eue lieu.
L'approche traditionnelle de la force obligatoire du contrat puisant notamment
ses racines au sein du droit canonique et s'appuyant alors sur le dogme du
respect de la parole donnée15, ne pourrait tolérer le
fait que nous puissions revenir sur nos propres engagements qu'en cas de
circonstances exceptionnelles. De telles circonstances pourraient-elles
provenir d'un simple risque d'inexécution? L'idée de "risque"
indique clairement que le véritable événement justifiant
la rupture du lien contractuel n'existe pas encore. Le législateur
semble, pour l'heure, réticent à l'idée d'admettre que
l'on puisse recourir à une "fiction" pour déroger à la
règle selon laquelle "les conventions légalement formées
tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites"16.
Ces mécanismes d'anticipation ont toutefois su trouver
place au sein de nombreux systèmes juridiques étrangers depuis de
nombreuses années. La notion d'"inexécution anticipée",
dénommée "anticipatory breach of contract" dans le vocabulaire
anglo-saxon, consistant à "considérer comme juridiquement
acquise" une inexécution future et appelant la mise en oeuvre de la
résolution du contrat par anticipation a pris racine en Angleterre au
XIXe siècle lors d'un arrêt dit Hochster v. De La Tour rendu en
1853. Ce mécanisme s'est par la suite exporté hors des
frontières à l'intérieur desquels il est né pour
connaître un succès fulgurant. Du continent
américain17 jusqu'en Chine18, en passant par
plusieurs États de l'Union Européenne19, le
phénomène d'anticipation du risque d'inexécution qui se
traduit par les deux principaux mécanismes que sont la résolution
anticipée et l'exception pour risque d'inexécution, a su
s'imposer avec vigueur. Ces modes d'anticipation ne sont par ailleurs
ignorés du droit du commerce international puisqu'ils sont
consacrés par la Convention de Vienne du 11 avril 198020
ainsi que les Principes Unidroit.
Plusieurs études comparatives en matière
contractuelle ont ainsi pu mettre en lumière
14. Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations: " Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais."
15. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.39
16. Article 1134 du code civil
17. Article 2-609 du code commerce uniforme des Etats-Unis
18. Loi du 15 mars 1999
19. Par exemple, en droit allemand (article §323 (4) du
BGB et article §321 (1) du BGB) ou en droit italien (Art. 1461 du code
civil italien)
20. Article 72 convention de Vienne relative à la
vente internationale de marchandise
10
de nombreuses démonstrations d'efficacité issues
de l'application de ces mécanismes d'anticipation21. Ce
faisant, il n'est nullement étonnant de constater l'apparition de
nombreux travaux doctrinaux réalisés tant à un
échelon français qu'européen et destinés à
influencer le législateur quant à l'admission de tels
mécanismes. Nous pouvons à cet égard mentionner le projet
Terré22 ainsi que les Principes de Droit Européen des
Contrats élaborés par la commission Lando23.
A l'heure où le législateur français ne
peut plus ignorer les divers travaux et propositions effectués à
l'échelle européenne, une timide évolution semble se
dessiner avec l'admission explicite de l'exception pour risque
d'inexécution au sein du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats. La reconnaissance de la résolution anticipée
semble en revanche toujours exclue des intentions du législateur bien
que la jurisprudence n'y semble pas catégoriquement hostile. Nombre de
décisions semblent ainsi avoir plus ou moins implicitement reconnu la
possibilité pour le créancier menacé d'inexécution
la possibilité de résoudre le contrat par
anticipation.24
Il ressort de ces constatations que si l'exception pour risque
d'inexécution tout comme la résolution anticipée ne sont
pour l'heure de droit positif, nous pouvons néanmoins y observer une
existence résiduelle et éparse. L'objet de notre étude
consistera alors à déterminer dans quelle mesure serait-il
opportun d'admettre une généralisation de ces mécanismes
d'anticipation en droit positif.
Nous nous efforcerons d'y apporter une réponse
exhaustive en déterminant la portée que déploierait
l'admission de tels mécanismes (Partie 2) et ce, après avoir
constaté que ces derniers sont parfaitement admissibles en droit positif
(Partie 1).
21. Y.-M LAITHIER Etude comparative des sanctions de
l'inexecution du contrat, thèse Paris II, pref H. Muir-Watt, LGDJ, 2004,
n°464 s.; Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007; Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de
l'obligation contractuelle, PUAM 2011; Marie Peig-Heng CHANG, La
résolution du contrat pour inexécution: Etude comparative du
droit français et du droit chinois, PUAM 2005; Denis TALLON et Donald
HARRIS, Le contrat aujourd'hui: comparaisons Franco-Anglaises (sous la
direction de Jacques GHESTIN)
22. Article 111 du projet Terré
23. Article 9:201 et article 9:304 des PDEC
24. Voir infra, p.41
11
Partie 1: L'admissibilité des
mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
Que ce soit au sein de notre système juridique ou en
droit comparé, les mécanismes d'anticipation constituent une
réalité qu'il serait inopportun d'ignorer. Il nous paraîtra
alors judicieux de proposer, à la suite d'une étude comparative
et de droit interne (Titre 1), un régime juridique viable des deux
mécanismes que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution afin d'attester de leur admissibilité
en droit positif (Titre 2).
12
Titre 1: L'existence avérée des
mécanismes
d'anticipation
Les mécanismes d'anticipation du risque
d'inexécution ont connu un succès fulgurant en droit
international et comparé (Chapitre 1). Un tel exemple de réussite
ne saurait être sans influence sur notre droit positif qui semble,
malgré les réticences du législateur, s'ouvrir peu
à peu à l'admission de tels mécanismes (Chapitre 2).
13
Chapitre 1: L'expansion internationale des
mécanismes d'anticipation
Que ce soit au sein des droits de common law où ils ont
été conceptualisés pour la première fois (Section
1), ou encore en droit continental et international (Section 2), les
mécanismes d'anticipation irriguent de nombreux systèmes
juridiques.
Section 1: Des mécanismes d'anticipation dans
les pays de
common law
L'étude des mécanismes d'anticipation au sein
des droits de common law nous conduit à réaliser une étude
sur la résolution pour inexécution anticipée,
dénommée "anticipatory breach of contract" dans le vocabulaire
anglo-saxon (§1) ainsi que sur l'exception pour risque
d'inexécution, applicables au sein de ces systèmes juridiques
(§2).
§1: L'"anticipatory breach of contract"
Le succès de l'"anticipatory breach of contract" nous
conduira à évoquer le célèbre arrêt Hochster
v. De La Tour lui ayant donné naissance (A) avant d'étudier les
principes de droit anglais des contrats ayant pu permettre à un tel
concept d'émerger (B).
A\ L'émergence de l'inexécution
anticipée
L'inexécution anticipée prend racine en
Angleterre lors d'un arrêt dit Hochster v. De La Tour rendu en 1853. La
solution était novatrice: aucune n'avait auparavant permis au
créancier d'anticiper l'inexécution d'une obligation
contractuelle.25
En l'espèce, Hochster fut engagé, le 12 avril
1852, comme coursier par De la Tour, qui projetait d'effectuer un voyage de
trois mois en Europe Continentale. Le salaire était fixé à
10£ par mois et le départ prévu pour le 1er juin 1852.
Toutefois, ce dernier changea d'avis et, le 11 mai, informa Hochster qu'il ne
souhaitait plus recourir à ses services. Celui-ci exerça
25. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554
14
alors une action en dommages-intérêts le 22 mai,
soit un peu plus d'une semaine avant le terme convenu. Il se posait donc la
question de savoir si un "créancier pouvait valablement agir en
dommages-intérêts en invoquant la violation d'une obligation qui
n'était pas encore exigible au jour où l'action fut
introduite"26. La chambre des Lords apporta une réponse
positive par la célèbre formule suivante: "en présence
d'un contrat comportant l'obligation d'accomplir un acte à une date
future, il existe dans l'intervalle une relation entre les parties
fondée sur le contrat, et qu'elles se promettent implicitement durant
cette période de ne rien faire au préjudice de l'autre qui soit
incompatible avec cette relation". Il existe donc un laps de temps entre la
conclusion du contrat et le commencement d'exécution de ce dernier qui
ne saurait aucunement correspondre à un vide juridique. Elle marque en
effet le début d'une relation entre les parties devant être
protégée par le droit. La rupture d'une telle relation, pouvant
notamment émaner de la manifestation d'un refus de l'une des parties
d'exécuter ses futurs obligations contractuelles, revête le
caractère d'une inexécution anticipée. Le constat d'une
telle inexécution à venir devrait alors permettre au
créancier, outre l'obtention d'une allocation de
dommages-intérêts, de rompre le contrat
immédiatement27.
L'effet radical de ce remède est tempéré
par la condition de mise en oeuvre suivante: l'inexécution future doit
être certaine28.
Certains auteurs semblent avoir conféré une
conception moraliste à cette décision. Tel est le cas de M.
Atiyah qui a pu considérer cet arrêt comme un "hommage à la
conception promissoire du contrat"29. La conclusion de ce dernier
équivaudrait à un échange de promesse implicite dont la
rétractation par l'une des parties engagerait sa responsabilité
contractuelle, peu important que l'obligation concernée soit ou non
exigible. Il semblerait que selon cette conception, ce n'est point
l'inexécution en elle même qui fonderait la résolution du
contrat mais la rupture du lien de confiance inhérent à toute
relation contractuelle.
Y.-M Laithier réfute cette hypothèse et
considère que la responsabilité contractuelle est
fondamentalement justifiée par des considérations
économiques30: l'objectif serait avant tout de réduire
le préjudice du créancier et subséquemment, le montant des
dommages-intérêts dus par le débiteur.
26. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 554
27. Ewan McKENDRICK, Contract law, Basingstoke (GB): Palgrave
Macmillan, cop. 2009, p.316 : "One contracting party may inform the other
party, before the time fixed for performance under the contrat, that he will
not perform his obligations under the contract. This is called an anticipatory
breach of contract, which entitles the innocent party to terminate performance
of the contract immediately".
28. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
29. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 555
30. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p.555
15
Cette jurisprudence a par la suite influencé le
continent américain: l'inexécution anticipée a en effet
été reconnue par la Cour suprême fédérale en
1900, progressivement été adoptée par les Etats
fédérés31, "codifié par
l'UCC32, consacrée par le premier Restatement of
Contracts33, (...), puis reprise et améliorée par le
second Restatement of Contracts"34.
L'inexécution anticipée s'étant
étendue à l'ensemble des pays de common law, elle est
également reconnue dans la sphère européenne35
et internationale36 et tend par ailleurs à influencer les
systèmes de droit romano-germanique37.
B\ Le fondement de l'inexécution
anticipée
Les raisons du succès d'un mécanisme juridique
permettant à un créancier de s'extraire d'un contrat voué
à l'échec avant même que les obligations de l'autre partie
ne soient échues peuvent notamment s'expliquer par le faible rapport
d'interdépendance que le droit anglais des contrats attribue aux
obligations des cocontractants. Comme ont pu le faire remarquer René
David et David Pugsley, "même si l'on parle droit des contrats (law of
contract), c'est bien plutôt l'idée d'engagement contractuel
(promise) qui est l'idée centrale dans ce droit". Au sein de ce
système juridique, le contrat est avant tout considéré
comme un regroupement de promesses indépendantes, à l'inverse des
systèmes de droit civilistes qui confèrent au contrat le
caractère d'un tout unitaire et indivisible marqué par la
réciprocité des engagements. "L'importance du lien contractuel" a
en effet pu être mise en évidence en droit français par la
notion de cause, inconnue du droit anglais.38Par conséquent,
si le droit français peut aisément concevoir qu'un
créancier puisse s'extraire d'un contrat en cas d'inexécution par
son débiteur, il en va tout autrement lorsque l'inexécution n'est
pas encore exigible. Le fait pour l'un des cocontractants de se
désengager en raison d'un simple risque d'inexécution briserait
la relation
31. Central Trust Co v. Chicago Auditorium, 240 U.S. 581,
spéc., p.589 ; Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 556
32. UCC §2-610
33. Restatement of Contracts §250 et s.
34. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 556
35. PDEC Art 9:304: "Si avant la date à laquelle une
partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution
essentielle de sa part, le cocontractant est fondé à
résoudre le contrat".
36. Principes d'UNIDROIT: Art 7.3.3; Convention de Vienne du
11 avril 1980: Art 71 et 72
37. Par ex, en droit allemand: §323 (4) BGB: "Le
créancier peut résoudre le contrat avant même
l'échéance de la prestation, s'il est évident que les
conditions de la résolution sont remplies".
38. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration de
Françoise GRIVART de KERSTRAT, Les contrats en droit angais, LGDJ, 1985:
"Le rapport d'interdépendance qui existe entre les obligations des deux
contractants sera d'une part moins marqué en droit anglais que dans le
droit français, où l'idée centrale de cause, si
discutée qu'elle soit aujourd'hui, a eu historiquement le mérite
de mettre en relief l'importance du lien contractuel".
16
existante entre les obligations de chacune des parties.
Concevoir le contrat comme "un engagement, ou un ensemble
d'engagements reconnus par le droit"39 en l'absence de lien
contractuel ne pouvait investir le contrat d'une force obligatoire aussi
vigoureuse qu'en droit français. Si l'on considère l'engagement
d'une manière isolée, il serait incongru que le droit anglais des
contrats puisse imposer, à l'instar du système juridique
français40, un consentement mutuel des cocontractants pour
permettre la révocation du contrat. La force obligatoire du contrat
s'explique en effet partiellement en raison du lien existant entre les
obligations de chacune des parties. L'interdépendance entre les
engagements de chacune des parties permet en effet au contrat de droit
français de revêtir une force obligatoire beaucoup plus vigoureuse
qu'en droit anglais. L'engagement étant en revanche
considéré isolément en droit anglais, la faculté de
se désengager ne pouvait alors être que plus simplement reconnue
et attribuer à la notion civiliste d'exécution forcée
qu'un caractère exceptionnel. Ainsi, ce n'est que si le non respect
dudit engagement aura causé "un dommage contraire au droit" qu'il
engagera la responsabilité de son auteur et contraindra ce dernier
à l'allocation de dommages-intérêts. Le droit anglais des
contrats reconnaît par ailleurs qu'un tel dommage pourrait
résulter de la trahison de la confiance légitime que le
créancier aura placé en son débiteur (injurious
reliance)"41.
On peut ainsi aisément concevoir que lorsque la
confiance du créancier aura été trompée, ce dernier
aura la faculté de sortir du contrat sans être tenu par ses
propres engagements et pourra en outre demander une allocation de
dommages-intérêts pour le préjudice subi. Le
créancier n'aura donc aucunement besoin d'attendre que l'obligation de
son débiteur devienne exigible et qu'une atteinte effective ait
été portée au lien contractuel par ce dernier pour
demander la résolution du contrat: la rupture du simple lien de
confiance légitime, issu d'une certitude du créancier tenant
à l'inexécution future par le débiteur, suffira pour qu'il
puisse se désengager sans qu'aucune faute ne lui soit imputable.
Le droit anglais des contrats jouissait alors, au XIXe
siècle, d'une certaine souplesse permettant à une notion telle
que l'"anticipatory breach of contract" d'émerger pour ensuite
connaître une ascension fulgurante.
39. Définition doctrinale de Pollock
40. Art 1134 alinéa 2
41. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration de
Françoise GRIVART de KERSTRAT, Les contrats en droit angais, LGDJ,
1985
17
§2: l'exception pour risque d'inexécution
Bien qu'actuellement inexistant en droit anglais (A), l'exception
pour risque d'inexécution est un mécanisme d'anticipation
consacré par le code de commerce uniforme des Etats-Unis (B).
A\ En droit américain
L'"anticipatory breach of contract" constitue une mesure forte
ne pouvant s'appliquer qu'en cas de certitude d'inexécution future. Il
est cependant très tôt apparu que le simple risque d'une
inexécution à venir méritait une certaine attention par le
biais d'un mécanisme aux effets beaucoup plus tempérés:
l'exception pour risque d'inexécution. Ce mécanisme a fait sa
première apparition au sein d'un article 2-609 du code de commerce
uniforme des États-Unis applicable au contrat de vente42. Ce
texte dispose qu'"un contrat de vente impose à chaque partie
l'obligation de ne pas nuire aux attentes de l'autre de recevoir la prestation
due. Toutefois, en présence de raisons sérieuses de crainte quant
à l'exécution du contrat, l'autre partie peut demander par
écrit une garantie de cette exécution. Jusqu'au moment de la
réception de cette garantie, celle-ci peut, si cela est commercialement
raisonnable, suspendre tout type d'exécution pour laquelle elle n'a pas
encore reçu la contrepartie convenue". Par conséquent, si un
simple doute sérieux ne permet pas de procéder à la
résolution du contrat, il autorise le créancier craintif à
suspendre l'exécution de ses propres obligations contractuelles. Le
second Restatement of contracts (art 251) a par la suite entrepris de permettre
l'application de ce mécanisme initialement prévu pour le seul
contrat de vente à l'ensemble des contrats.
Le code de commerce uniforme a pu par la suite constituer un
modèle incontournable pour tous les codificateurs ayant récemment
entrepris d'introduire l'exception pour risque d'inexécution. Tel est
notamment le cas de l'article 7.3.4 des Principes Unidroit et de l'article
8.105 des Principes du droit européen du contrat.43.
42. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
43. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
18
B\ En droit anglais
Pour l'heure, l'exception pour risque d'inexécution
n'est pas admise en droit anglais. Le code de commerce uniforme du droit
américain semble toutefois avoir déployé une certaine
influence sur le droit anglais des contrats qui "envisageait d'introduire dans
son droit positif ce remède, fondé sur la perte de confiance en
son cocontractant, à l'occasion de la préparation à partir
de 1966 d'un projet de Code des contrats à l'initiative de la Law
Commission"44. La consécration de l'exception pour risque
d'inexécution, complémentaire de l'"anticipatory breach", en
droit européen des contrats, devrait toutefois, à terme,
encourager son introduction en droit anglais.
Section 2: Des mécanismes d'anticipation en
droit continental et international
Bien qu'étant issu des systèmes juridiques de
common law, les mécanismes d'anticipation que sont la résolution
anticipée et l'exception pour risque d'inexécution n'ont eu de
grandes difficultés à s'exporter vers des droits de tradition
civiliste (§1). Preuve ultime de leur importance en matière de
relations d'affaires, ils sont également consacrés en droit du
commerce international (§2).
§1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays
de tradition civiliste
Si l'"anticipary breach of contract" n'a eu aucun mal à
trouver place au sein de plusieurs États de l'Union Européenne
(B), il a également su s'exporter au sein de pays où la situation
juridique, politique et coutumière pourrait paraître très
éloignée des pays occidentaux (A).
A. L'anticipation du risque d'inexécution en
droit chinois
1. L'exception pour risque d'inexécution
L'exception pour risque d'inexécution est un
mécanisme explicitement admis en droit
44. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
19
chinois à l'inverse du droit français qui ne
permet sa mise en oeuvre uniquement que par l'application de certains textes
dérogatoires au droit commun ou encore, par le détour de certains
instruments juridiques tels que l'action en
référé45. Il convient également de noter
que pour éviter la pérennité de la suspension et permettre
au créancier de trouver un cocontractant susceptible de répondre
à ses besoins économiques, celui-ci est autorisé à
résoudre le contrat par anticipation dans le cas où le
débiteur ne donnerait pas de garanties suffisantes d'exécution
suite à la mise en oeuvre de l'exception pour risque
d'inexécution.
2. La résolution anticipée
La résolution anticipée a été
admise en droit chinois par une loi du 15 mars 199946. La lecture de
la doctrine chinoise ayant commenté cette loi dénote une
volonté de défendre les intérêts du
créanciers avant ceux du débiteur. Yang Lixin a ainsi
naturellement affirmé que lorsque le créancier "sait que l'autre
partie n'exécutera pas son obligation, il est injuste d'attendre
l'arrivée de l'inexécution sans pouvoir adopter des mesures
positives"47.
Le droit français semble bien au contraire faire
prévaloir les intérêts du débiteur. En effet, la
résolution judiciaire doit en principe être demandé en
justice: seul le juge peut alors décider si oui ou non, le
créancier sera libéré ou bien si un délai de
grâce doit être de nouveau accordé au débiteur.
À travers un droit des contrats fortement marqué par le courant
solidariste et l'emploi fréquent du terme "débiteur malheureux"
par nombre d'auteurs, il semble difficile d'admettre avec aisance le concept
d'une résolution anticipée qui permettrait au créancier de
s'extraire du contrat avant que l'obligation du cocontractant ne soit
échue.
Le droit chinois, à l'instar des systèmes
juridiques de common law, protège davantage le créancier d'une
obligation inexécutée ou plus simplement, d'une obligation
risquant de faire l'objet d'une inexécution.
Trois conditions doivent toutefois être
respectées pour pouvoir résoudre un contrat par anticipation: il
est nécessaire que le créancier se trouve "avant
l'échéance de la date d'exécution", dans le cas inverse,
il s'agirait d'une simple résolution pour inexécution. Il incombe
également de déterminer que "l'une des parties manifeste
explicitement, ou par son comportement, qu'elle n'exécutera pas" le
contrat; l'appréciation étant effectuée in concreto.
45. Voir infra, p. 32
46. Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat
pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit
chinois, PUAM 2005
47. Lixin YANG (sous la direction de), Commentaire des
articles de la loi sur les contrats en Chine, éd. Xinghua, Pékin,
1999, pp. 213-214
20
Enfin, "il faut que l'inexécution anticipée
porte sur l'obligation principale du contrat. Si la violation porte sur une
obligation accessoire, le contrat ne peut alors être résolu". Ces
conditions mettent ainsi en relief un critère
d'évidence48 quant à l'inexécution future ainsi
qu'un critère d'intensité tenant à l'obligation
inexécutée.
Force est de constater que le droit chinois a repris de
manière assez fidèle le régime des recours
anticipés des pays de common law. Ce dernier s'est par ailleurs
également exporté au sein de l'Union Européenne.
B. L'anticipation du risque d'inexécution en
droit européen
Les mécanismes d'anticipation n'ont pu qu'attirer
l'attention des juristes européens ayant effectivement entrepris
d'élaborer divers travaux doctrinaux et propositions parlementaires (1)
ainsi que celles de législateurs nationaux ayant inévitablement
été influencé par le législateur européen
(2).
1. Droit de l'ue
Le droit européen des contrats démontre une
volonté d'admettre au sein de ses États membres les
mécanismes de la résolution anticipée et de l'exception
pour risque
d'inexécution. Une telle ambition se révèle
à travers la lecture des Principes de Droit Européen des Contrats
(a) et de la proposition de règlement du parlement européen et du
conseil relatif à un droit commun européen de la vente (b).
a) Les PDEC
Le juriste français ne peut plus, à l'heure
actuelle, ignorer les travaux doctrinaux effectués à
l'échelle européenne. Les principes de droit européen des
contrats élaborés par la commission Lando visant à
faciliter l'harmonisation d'un droit commun des contrats au sein
48. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de
conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie
BRES, La résolution du contrat par dénonciation
unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est
pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible
à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation
actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement
inexécution de la part du débiteur.
21
de l'UE, constituent alors un document de
référence incontournable.
Afin d'élaborer des règles suffisamment souples
et aisément applicables aux échanges commerciaux, les
rédacteurs se sont inspirés des droits nationaux des États
membres mais également des Restatements américains et de
conventions internationales telles que la Convention de Vienne sur les contrats
de vente de marchandises.49
Il n'était alors pas étonnant de constater que
les recours anticipés que constituent l'exception pour risque
d'inexécution et la résolution anticipée n'aient
échappé à la vigilance des rédacteurs.
La résolution anticipée est consacrée par
un article 9:304 des PDEC qui dispose que "lorsque dès avant la date
à laquelle une partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y
aura inexécution essentielle de sa part, le co-contractant est
fondé à résoudre le contrat."50
On constatera en premier lieu que la résolution
anticipée est limitée par l'existence de prudentes conditions de
mise en oeuvre, à l'instar de l'ensemble des systèmes juridiques
qui consacrent ce mécanisme: l'inexécution ne saurait concerner
une simple condition accessoire tandis que sa survenance doit découler
de l'"évidence"51.
Comme a effectivement pu le démontrer Aurélie
Brès, l'emploi du terme "manifeste" indique que la survenance d'une
inexécution essentielle ne doit pas être simplement probable mais
être "évidente". Toutefois, il n'est aucunement nécessaire
de détenir une "certitude absolue": l'évidence signifie que les
circonstances actuelles permettent raisonnablement de déduire que le
débiteur n'exécutera pas ses obligations contractuelles.
La rédaction de cet article étant assez vague,
il incombait à la doctrine de déterminer avec précision
quels types de faits étaient susceptibles de caractériser une
inexécution future: le débiteur pourrait par exemple se trouver
durablement dans l'impossibilité matérielle d'exécuter ses
obligations contractuelles, ou encore, affirmer clairement qu'il
n'exécutera pas ses obligations.52
Les PDEC consacrent également l'exception pour risque
d'inexécution qui constituent un complément
indissociable53 de la résolution anticipée. L'article
9:201 dispose en effet
49. Ole LANDO et Hugh BEALE (éd). - The principles of
european Contract Law, Part I, Non-performance and Remedie, RIDC 1996 Vol 48
N°1 p. 229
50. Rémy CABRILLAC, Droit européen
comparé des contrats, LGDJ, 2012
51. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de
conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie
BRES, La résolution du contrat par dénonciation
unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est
pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible
à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation
actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement
inexécution de la part du débiteur.
52. Aurélie BRES, La résolution du contrat par
dénonciation unilatérale, Litec 2009
53. Voir infra, p.56
22
qu'"une partie peut (...) suspendre l'exécution de sa
prestation dès lors qu'il est manifeste qu'il y aura inexécution
de la part du co-contractant à l'échéance"54.
Il convient de noter que la récente réforme française du
droit des contrats consacre expressément l'exception pour risque
d'inexécution. Force est d'observer, malgré l'absence de la
résolution anticipée au sein de la réforme, que les PDEC
constituent désormais un modèle incontournable pour le
législateur français.
b) La proposition de règlement du parlement
européen et du conseil relatif à un droit commun européen
de la vente55
La proposition de règlement relative à un droit
commun européen de la vente a théoriquement pour objectif
principal de réduire les coûts de transaction imputables aux
différences entre les systèmes juridiques des États
membres. Une telle réduction devrait nécessairement pourvoir
à la fluidité des relations commerciales
transfrontières56. Bien que le régime mis en place
serait facultatif pour les cocontractants et affiche alors une vocation
à cohabiter avec les droits nationaux, l'objectif poursuivi est en
réalité beaucoup plus ambitieux. De nombreux articles concernent
en réalité la plupart des contrats et non la seule vente, de
sorte que les législateurs nationaux risquent à terme,
d'être incités à procéder à une harmonisation
totale du droit des contrats57. Tel est notamment le cas des
dispositions concernant la "résolution pour inexécution
anticipée" ainsi que l'exception pour risque d'inexécution que le
règlement qualifie de "droit de suspendre l'exécution". Le droit
de résoudre ou de suspendre le contrat par anticipation ne peut en effet
concerner la seule vente, bien que les rédacteurs ne manquent pas de
mentionner clairement les termes "vendeurs" et "acheteurs" au sein des
articles. Par conséquent, lorsque les législateurs nationaux
intégreront cette possibilité, bien que facultative, au sein de
leur système juridique, ils seront très certainement contraint de
modifier le droit national pour appliquer ces mécanismes à
l'ensemble des contrats bien que certains contrats spéciaux feront
certainement exception.
Jean Sebastien Borghetti a ainsi pu faire remarquer que
l'admission d'un tel règlement européen entraînerait
à terme une inévitable harmonisation du droit commun des contrats
pour
54. Rémy CABRILLAC, Droit européen comparé
des contrats, LGDJ, 2012, p.166
55. Proposition de règlement du parlement européen
et du conseil relatif relatif à un droit commun européen de la
vente du 11/10/2011 COM(2011) 635 final
56.
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0635:FIN:fr:PDF
57. S. BROS, Le projet de droit commun européen de la
vente: menace ou opportunité pour le modèle contractuel
français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou
danger?, RDC octobre 2012 p.1452
23
la simple raison qu'il existe une évidente synergie
entre le droit commun et le droit spécial: il serait inconcevable de
déconnecter ces deux composantes. Il pourrait en effet paraître
inopportun d'admettre la résolution anticipée et l'exception pour
risque d'inexécution dans le cadre du contrat de vente et non pour
d'autres types de contrats. De même, il pourrait sembler incongru
d'accepter ces deux outils juridiques pour les relations transfrontières
et non pour les rapports strictement internes.
La proposition de règlement européen aurait donc
une influence certaine sur le droit commun français des contrats: son
admission inciterait fortement le législateur à introduire la
résolution anticipée et l'exception pour risque
d'inexécution en droit positif.
Les objectifs d'harmonisation totale poursuivis par les
institutions européennes ne manquent toutefois pas d'entraîner un
certain nombre de conflits. Deux articles concernent la résolution
anticipée et sont chacun situés sous un chapitre intitulé
"moyens d'action à la disposition de l'acheteur" et "moyens d'action
à la disposition du vendeur". Leur rédaction est cependant
quasiment identique et autorisent aussi bien l'acheteur que le vendeur à
procéder à une résolution pour inexécution
anticipée "dès lors que l'inexécution serait de nature
à justifier la résolution" et dans le cas où le
cocontractant aurait "déclaré qu'il ne s'exécuterait pas
ou s'il est par ailleurs manifeste qu'il ne s'exécutera pas.
"58 Ces dispositions n'ont pas échappé à
certaines critiques, notamment en ce qui concerne les rapports
déséquilibrés que constituent les relations entre
consommateurs et professionnels. Si l'on pourrait aisément concevoir
l'admission d'une telle possibilité pour les relations entre
professionnels, il en est tout autrement dans le cadre d'une relation entre
consommateur et professionnel et où ce dernier souhaiterait
unilatéralement mettre fin au contrat avant que l'obligation de payer du
consommateur ne soit échue. Comme a pu le faire remarquer S. Bros, "le
professionnel qui, par exemple, a recueilli plus de commandes qu'il ne peut
fournir de produits, ne va t-il pas (résoudre) le contrat en se
prévalant de quelques motifs douteux"59? Force est de
constater que si l'anticipation du risque d'inexécution par le biais de
la résolution anticipée est concevable pour assouplir les
relations d'affaires entre partenaires commerciaux, il serait inopportun d'en
faire application pour les relations déséquilibrés tels
que les rapports entre consommateurs et professionnels ou encore, entre grandes
entreprises et PME. Or le souci animant les institutions européennes est
de cantonner les pouvoirs du juge qui demeure avant tout national
58. Article 116 et 136 de la proposition de règlement
du parlement européen et du conseil relatif relatif à un droit
commun européen de la vente du 11/10/2011 COM(2011) 635 final
59. Le projet de droit commun européen de la vente:
menace ou opportunité pour le modèle contractuel français
- la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC
octobre 2012 p.1452
24
et qui de ce fait, constitue un obstacle sérieux
à l'harmonisation recherchée en droit des contrats60.
Il n'est donc aucunement étonnant de constater que
"l'unilatéralisme"61 prend une place importante au sein de ce
règlement. Par ailleurs, la résolution anticipée ne
saurait, pour des raisons d'efficacité évidente, être mise
en oeuvre que de manière unilatérale62. Recourir
à un juge briserait l'utilité de ce mécanisme qui est de
répondre à un objectif de célérité. Il est
toutefois nécessaire de rappeler que "le consommateur et la petite
entreprise ont besoin d'un juge pour encadrer leurs relations
économiques"63.
2. droit des pays voisins
Outre l'Angleterre, plusieurs États membre de l'Union
européenne reconnaissent également la résolution
anticipée ainsi que l'exception pour risque d'inexécution non
reconnue en droit anglais.
Ainsi, le droit allemand consacre, depuis une réforme
du 26 novembre 200164, la résolution anticipée au sein
d'un article §323 (4) du BGB qui dispose que "le créancier peut
résoudre le contrat avant même l'échéance de la
prestation, s'il est évident que les conditions de la résolution
sont remplies". L'on constate de prime abord que le BGB admet
l'inexécution future comme "juridiquement acquise"65; les
conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution et
celles de la résolution anticipées étant identiques. Cette
dernière n'est pas soumise à des conditions d'applications
autonomes. Il y a eu lieu d'en déduire que l'inexécution future
est assimilée à une inexécution consommée. À
partir du moment où l'inexécution future est "évidente",
il y a lieu de la traiter de la même manière qu'une
inexécution actuelle.
Le droit allemand reconnaît également l'exception
pour risque d'inexécution. L'article §321 (1) du BGB admet en effet
cette possibilité "lorsqu'après la conclusion du contrat, il
devient manifeste que son droit à contre-prestation est menacé
par le manque de ressource de l'autre partie". On remarque alors que
l'exception pour risque d'inexécution est subordonnée à
un
60. Le projet de droit commun européen de la vente:
menace ou opportunité pour le modèle contractuel français
- la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC
octobre 2012 p.1452
61. Le projet de droit commun européen de la vente:
menace ou opportunité pour le modèle contractuel français
- la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC
octobre 2012 p.1452
62. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
63. Le projet de droit commun européen de la vente:
menace ou opportunité pour le modèle contractuel français
- la place de l'unilatéralisme: progrès ou danger? S. BROS, RDC
octobre 2012 p.1452
64. Loi du 26 novembre 2001 relative à la
modernisation du droit des obligation (Gesetz zur Modernisierung des
Schuldrechts)
65. Rémy CABRILLAC, Droit européen
comparé des contrats, LGDJ, 2012
25
risque d'insolvabilité du cocontractant. Le champ
d'application de ce mécanisme est donc plus restreint en droit allemand
que dans nombre de systèmes juridiques qui l'autorisent. En effet, le
code de commerce uniforme du droit américain, les PDEC, ainsi que le
projet français de réforme de droit des contrats n'imposent
aucunement de rapporter l'existence d'un risque d'insolvabilité du
cocontractant.
On pourra par ailleurs noter que le droit italien subordonne
également l'application de l'exception pour risque d'inexécution
à un tel risque d'insolvabilité. L'article 1461 du code civil
italien autorise tout contractant à suspendre l'exécution de sa
prestation "si les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé
de telle sorte que l'obtention de la contreprestation est en sérieux
danger"66. Ce texte a été introduit en 1942 sous
l'influence du droit allemand67.
§2: Droit du commerce international et
mécanismes d'anticipation
En ce qui concerne le droit du commerce international, la
convention de Vienne du 11 avril 1980 relative à la vente internationale
de marchandises (A) ainsi que les Principes Unidroit relatifs aux contrats du
commerce international (B) consacrent la résolution anticipée du
contrat.
A\ Convention de Vienne du 11 avril 1980
L'article 72 de la convention de Vienne du 11 avril 1980
relative à la vente internationale de marchandise dispose au sein d'un
alinéa 1er que "si, avant la date de l'exécution du contrat, il
est manifeste qu'une partie commettra une contravention essentielle au contrat,
l'autre partie peut déclarer celui-ci résolu"68. Ce
texte est rédigé au sein d'un chapitre V intitulé
"dispositions communes aux obligations du vendeur et de l'acheteur" et d'une
section I intitulée "Contravention anticipée et contrats à
livraisons successives". L'idée d'anticipation étant clairement
évoquée, il ressort de ces titres une indéfectible
volonté d'accorder une importante place à la résolution
anticipée; celle-ci pouvant par ailleurs être
66 Art. 1461 du code civil italien: "Ciascun contraente
può sospendere l'esecuzione della prestazione da lui dovuta, se le
condizioni patrimoniali dell'altro sono divenute tali da porre in evidente
pericolo il conseguimento della controprestazione, salvo che sia prestata
idonea garanzia (1822, 1877, 1956,1959; att. 169)."; Andréa Pinna,
L'exception pour risque d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
67. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
68.
http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/sales/cisg/V1056998-CISG-f.pdf
26
mise en oeuvre unilatéralement tant par le vendeur que
l'acheteur. A l'instar des nombreux systèmes juridiques admettant ce
mode d'anticipation, le texte exige la présence d'un risque manifeste
d'inexécution.
Le deuxième alinéa de l'article 72 indique quant
à lui que, "Si elle dispose du temps nécessaire, la partie qui a
l'intention de déclarer le contrat résolu doit le notifier
à l'autre partie dans des conditions raisonnables pour lui permettre de
donner des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses
obligations". Le créancier est donc tenu, à l'exception des cas
où le temps ne viendrait à manquer, d'offrir au débiteur
la possibilité de démentir les apparences en fournissant au
premier des "assurances suffisantes de la bonne exécution de ses
obligations". Un principe de faveur pour le maintien du lien contractuel est
ainsi affirmé malgré l'énonciation d'une
possibilité de rompre unilatéralement le contrat en
présence d'un simple risque d'inexécution.
B\ Principes Unidroit
A l'instar de la Convention de Vienne du 11 avril 1980, les
principes Unidroit relatifs aux contrats du commerce international consacrent
explicitement la faculté pour le créancier situé face
à un risque manifeste d'inexécution, la possibilité de
résoudre unilatéralement le contrat par anticipation. L'article
7.3.3 dispose en effet qu'"une partie est fondée à
résoudre le contrat si, avant l'échéance, il est manifeste
qu'il y aura inexécution essentielle de la part de l'autre partie. "
Le succès international des mécanismes
d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution ont naturellement pu déployer une
influence sur la doctrine, la jurisprudence et la législation
française.
27
Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux
mécanismes d'anticipation
La résolution anticipée du contrat pour risque
d'inexécution ne fait l'objet d'aucune reconnaissance législative
à l'heure actuelle, bien que la jurisprudence n'y semble pas
catégoriquement hostile et que certains travaux doctrinaux plaident en
faveur de son admission (Section 2). Une évolution semble toutefois se
dessiner avec la reconnaissance explicite de l'exception pour risque
d'inexécution au sein du projet de réforme de droit des contrats,
bien qu'un telle mécanisme puisse d'ores et déjà
être appliqué de manière résiduelle en droit positif
(Section 1).
Section 1: La reconnaissance de l'exception pour risque
d'inexécution
Bien que l'exception pour risque d'inexécution ne soit
pour l'heure admise au sein d'une disposition générale (§1),
elle devrait bientôt apparaître au sein de notre système
juridique à la suite de la réforme prévue du droit des
contrats (§2).
§1: La dissimulation de l'exception pour risque
d'inexécution
L'exception pour risque d'inexécution est actuellement
admise par certaines dispositions relatives au contrat de vente (A). Au
delà de ce seul contrat, de nombreux subterfuges permettent toutefois
d'appliquer l'exception pour risque d'inexécution alors qu'elle ne fait
l'objet d'aucune consécration générale. C'est ce que
permet notamment une application détournée de la
déchéance du terme, bien la réelle efficacité de ce
détour soit controversée (B), ainsi que des
référés spéciaux (C).
A\ Les dispositions relatives au contrat de vente
A l'heure actuelle, le code civil français ne contient pas
de dispositions générales tenant à l'exception pour risque
d'inexécution. Tout au plus, celui-ci expose un nombre
28
particulièrement restreint de dispositions
spéciales contenant une telle mesure: il s'agit des articles 1613 et
1653 du code civil. Ces textes concernent le seul contrat de vente.
Aux termes de l'article 1613 du code civil, le vendeur n'est
pas obligé "à la délivrance, quand même il aurait
accordé un délai pour le payement, si, depuis la vente,
l'acheteur est tombé en faillite ou en état de
déconfiture, en sorte que le vendeur se trouve en danger imminent de
perdre le prix; à moins que l'acheteur ne lui donne caution de payer au
terme". N'affichant aucune volonté d'appliquer cette mesure au
delà du seul contrat de vente, le législateur ne s'est pas
prononcé avec des termes généraux pour désigner
l'exception pour risque d'inexécution. Ainsi, nous ne décelons
pas d'expressions telles que "suspendre l'exécution de ses propres
obligations d'exécution contractuelles" et "en présence d'un
risque d'inexécution par le cocontractant" mais de termes propres au
contrat de vente. Le risque d'inexécution est ici évoqué
sous l'expression "danger imminent de perdre le prix"69 alors que
l'exception traduit la non obligation pour le vendeur de délivrer le
bien. La mise en oeuvre de ce mode d'anticipation est subordonnée
à un "état de faillite ou de déconfiture" chez l'acheteur.
La suspension des obligations ne peut donc ici être mise en oeuvre que
pour un risque d'inexécution découlant de circonstances bien
précises.
Ce faisant, le législateur affiche une volonté
de pallier à la suppression de la déchéance du
terme70 en cas d'ouverture d'une procédure collective
opérée par la loi du 25 janvier 198571. Si il est,
depuis cette réforme, impossible de rendre immédiatement exigible
une obligation originairement affectée d'un terme en raison d'une
procédure collective, il serait inconcevable d'empêcher le vendeur
de prendre un certain nombre de mesures lui permettant de protéger ses
intérêts économiques72. Si l'obligation à
terme du cocontractant ne peut devenir exigible, les conséquences d'une
probable inexécution doivent pouvoir être anticipées.
L'article 1653 protège, à l'inverse, les
intérêts économiques de l'acheteur situé face
à un risque d'inexécution. Selon ce texte, lorsque "l'acheteur
est troublé ou a juste sujet de craindre d'être troublé par
une action, soit hypothécaire, soit en revendication, il peut suspendre
le paiement du prix jusqu'à ce que le vendeur ait fait cesser le
trouble, si mieux n'aime celui-ci donner caution, ou à moins qu'il n'ait
été stipulé que, nonobstant le trouble,
69. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.231
70. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
71. Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au
redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises
72. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.231: "Le jugement d'ouverture n'entrainant pas la
déchéance du terme, l'obligation de l'acheteur ne peut,
même de ce fait, être traitée comme une obligation
méconnue".
29
l'acheteur paiera." L'expression vague "a juste sujet de
craindre d'être troublé par une action" peut poser certaines
difficultés d'appréciation. Quel est le degré
d'intensité attendu du risque d'inexécution? La jurisprudence
semble se livrer à une interprétation restrictive du texte: la
cour de cassation a en effet estimé que l'acheteur ne devrait suspendre
le paiement du prix qu'en présence d'"un véritable péril
d'éviction" ou d'"un danger sérieux"73.
Quant au préjudice, actuel ou éventuel,
justifiant la mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution,
celui-ci est constitué par une atteinte à l'exercice du droit de
propriété74. Il convient de rappeler que ce droit est
une liberté fondamentale traditionnellement considérée
comme étant inviolable et sacrée75. Il n'est alors
nullement étonnant de constater que le législateur ait pu prendre
soin d'octroyer à l'acheteur un mécanisme d'anticipation
permettant d'éviter une telle violation.
B\ L'application détournée de la
déchéance du terme
Bien qu'il soit interdit au créancier d'exiger
l'exécution d'une obligation avant terme76, il existe une
mesure permettant, sous certaines conditions, de procéder à la
déchéance du terme même. Ses conditions d'applications
demeurent toutefois restrictives: la déchéance ne peut notamment
jouer, nous l'avons vu, en cas d'ouverture d'une procédure
collective.
L'article 1188 du code civil dispose que "le débiteur
ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son
fait il a diminué les sûretés qu'il avait données
à son créancier". Le créancier pressentant un danger du
fait de la diminution par le débiteur des sûretés qu'il lui
avait donné, peut ainsi invoquer la déchéance du terme
pour rendre les obligations immédiatement exigibles. L'ordre des
prestations étant supprimées, les obligations de chacun
deviennent simultanées. Le mécanisme classique de l'exception
d'inexécution peut alors être invoqué par chacune des
parties, la simultanéité constituant la condition d'exercice de
l'exception d'inexécution. Selon Andréa Pinna, ce "détour
par la déchéance du terme" masquerait une manoeuvre assimilable
à une exception pour risque d'inexécution77.
73. Civ 1er, 23 octobre 1963, bull n°452; Fall PARAISO, Le
risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM 2011, p.231
74. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.234
75. Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et
du citoyen : "la propriété étant un droit inviolable et
sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique, légalement constatée, l'exige
évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable
indemnité."
76. Article 1186 du code civil: "Ce qui n'est dû
qu'à terme, ne peut être exigé avant
l'échéance du terme ; mais ce qui a été payé
d'avance ne peut être répété."
77. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.
30
Il s'ensuit alors inévitablement la difficulté
suivante: l'exception d'inexécution pourra être invoquée
par chacune des parties au contrat, de sorte que les effets du contrat feront
l'objet d'un blocage plus ou moins prolongé. En effet, "le
bénéfice de ce remède étant réciproque par
nature, chacune des parties trouve son inexécution justifiée tant
que son cocontractant ne s'est pas exécuté"78. Une
telle situation ne pourrait perdurer indéfiniment; par
conséquent, le blocage peut être résolu par le mutuus
dissensus permettant à une partie de demander la révocation
de la convention sur le fondement de l'article 1134 alinéa 2 du code
civil. Le mutuus dissensus peut en effet résulter de
circonstances de fait dont l'appréciation relève des juges du
fond79. On aboutit alors en pratique à une sorte de
résolution anticipée.
La déchéance du terme peut ainsi constituer une
mesure d'anticipation du risque d'inexécution bien qu'il ne s'agisse pas
de son objectif premier. Comme le fait remarquer Andréa Pinna,
l'anticipation "n'a pas lieu par rapport au terme, c'est le terme même
qui est anticipé"80. Autrement dit, si l'anticipation permet
de "faire comme si"81 l'inexécution était actuelle, la
déchéance du terme permet de "faire comme si" les obligations de
chacun étaient d'ores et déjà exigibles.
Ce détour par la déchéance du terme
permettrait alors de considérer que notre droit positif admet
l'exception pour risque d'inexécution lorsque le débiteur
procède à une diminution des sûretés qu'il avait
données à son créancier; une telle diminution traduisant
un risque sérieux d'insolvabilité. On constate ainsi un
rapprochement avec nombre de législations étrangères
admettant l'exception pour risque d'inexécution; tel est le cas de
l'article 1461 du code civil italien qui permet plus largement au
créancier de suspendre l'exécution de ses propres obligations "si
les conditions patrimoniales de l'autre partie ont changé de telle sorte
que l'obtention de la contreprestation est en sérieux
danger"82.
Bien qu'une mutation des conditions patrimoniales du
débiteur ne soit pas exactement assimilable à une diminution
volontaire par ce dernier des sûretés auparavant données au
créancier, les effets que l'on souhaite éviter sont identiques:
l'insolvabilité du débiteur. Ce
78. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.
79. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.
80. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.
81. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. Hallouin, L'anticipation: contribution
à la formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979
82. Art. 1461 du code civil italien: "Ciascun contraente
può sospendere l'esecuzione della prestazione da lui dovuta, se le
condizioni patrimoniali dell'altro sono divenute tali da porre in evidente
pericolo il conseguimento della controprestazione, salvo che sia prestata
idonea garanzia (1822, 1877, 1956,1959; att. 169)."
31
rapprochement implicite, par le "détour de la
déchéance du terme"83, avec les législations
admettant expressément l'exception pour risque d'inexécution
traduit ainsi l'opportunité de concevoir un tel mécanisme dans le
marbre de la loi française. Tel est l'objet de l'article 1120 du projet
d'ordonnance portant réforme du droit des contrats qui admet
explicitement l'exception pour risque d'inexécution84.
L'existence d'un détour par la déchéance
du terme permettant de déduire l'existence d'un mécanisme
d'exception pour risque d'inexécution est toutefois
réfutée par Fall Paraiso. Son idée s'appuie en premier
lieu sur le fait que l'exception d'inexécution est un "mythe"; seul
l'exception pour risque d'inexécution existerait. Il démontre
cette hypothèse en expliquant qu'il est nécessaire
d'opérer une distinction entre "absence d'exécution" et
"inexécution".85
L'absence d'exécution indique la situation selon
laquelle, il n'y a pas eu exécution de la part du débiteur alors
que le temps pour accomplir celle-ci n'a pas encore expiré. Dans un tel
cas, la mise en oeuvre d'une exception d'inexécution serait impossible
puisqu'il n'y a pas encore eu d'inexécution. Seul un mécanisme
d'anticipation du risque d'inexécution serait alors envisageable:
à savoir, une exception pour risque d'inexécution ou une
résolution anticipée.
L'inexécution, quant à elle, traduit la
situation selon laquelle il n'y a pas eu exécution de la part du
débiteur alors que le temps pour accomplir l'exécution a
expiré. La seule issue possible serait alors d'appliquer le
régime des sanctions de l'inexécution: à savoir,
l'exécution forcée ou la résolution pour
inexécution assortie de dommages-intérêts. Ce que l'on
appelle "exception d'inexécution" ne serait en réalité
qu'une mesure transitoire permettant au créancier de protéger ses
intérêts économiques en attendant que la résolution
ou l'exécution forcée du contrat ne prenne effet. Fall Paraiso
qualifie alors cette mesure d'"abstention contentieuse" ou encore de "mise en
demeure qui ne dit pas son nom".86
La déchéance du terme ayant pour effet, selon
Andréa Pinna, de permettre la mise en oeuvre de l'exception
d'inexécution ne pourrait donc avoir une efficacité
réelle. Si l'obligation devient immédiatement exigible,
l'exception d'inexécution ne pourra être appliquée qu'en
vue d'obtenir la résolution du contrat pour inexécution ou bien
l'exécution forcée, et ne masquera donc pas une réelle
exception pour risque d'inexécution.
83. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003, p.31 et s.
84. Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais."
85. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM, 2011, p.225
86. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM, 2011, p.226
32
Fall Paraiso a par ailleurs pu ajouter que, même dans le
cas où l'exception d'inexécution existerait réellement, la
condition de simultanéité des obligations n'aurait pu être
remplie. L'affirmation selon laquelle il n'y aurait aucun ordre des prestations
est un leurre87. En pratique, "il y a toujours un ordre des
prestations; soit que celui-ci résulte de l'usage, du type d'obligation,
de la nature de la convention, de son objet, ou encore des circonstances
elles-mêmes". Tel est le cas de la vente au comptant où l'acheteur
paie avant que le vendeur ne délivre la chose ou bien
l'inverse88. L'ordre des prestations ne pouvant factuellement
être supprimée, seule une exception pour risque
d'inexécution pourrait, en pratique, avoir lieue.
C\ L'application détournée des
référés spéciaux
Il a pu être affirmé que les règles du
droit judiciaire privé pouvaient permettre au créancier de
suspendre l'exécution de ses propres obligations en dérogation
aux règles issues du droit des obligations qui interdisent d'opposer une
exception d'inexécution en cas d'inexigibilité de la
créance89.
Les dispositions relatives aux référés
spéciaux permettent en effet au président du TGI de prescrire
toute mesure conservatoire, telle que la "suspension de l'exécution de
l'obligation préalable" aux fins de prévenir un dommage imminent.
Il semblerait qu'aux yeux de la cour de cassation, un tel dommage puisse
provenir d'un risque d'inexécution. La haute juridiction
considère en effet que les juges du fond relèvent, "par motifs
propres et adoptés, que les éléments versés aux
débats sont de nature à laisser penser que le cessionnaire serait
fondé à faire jouer les clauses de garanties stipulées en
sa faveur et à opposer aux cédants l'exception
d'inexécution ou de compensation ; qu'ayant par là-même
constaté que le versement du solde du prix exposerait M. Amet (le
cessionnaire) à un dommage imminent en le privant du
bénéfice des garanties liées à la
réciprocité des obligations en cause, la cour d'appel n'a fait
qu'user des pouvoirs qu'elle tient de l'article 873 alinéa 2 du nouveau
code de procédure civile (...)"90.
Il convient de noter que le "détour par les
référés spéciaux" permet également de
87. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM, 2011, p.240: "Ce détour par une fausse condition
d'un faux-concept pour donner à l'exception pour risque
d'inexécution une portée que la loi ne lui attribue pas est sans
fondement".
88. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM, 2011, p.240
89. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.
90. Com. 2 févr. 1993, Bull. civ. IV, n° 46;
cité par Andréa Pinna, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.
33
protéger le créancier des règles
contraignantes des procédures collectives qui interdisent notamment la
déchéance du terme en cas d'ouverture d'une telle
procédure. Si le jugement d'ouverture entraîne un arrêt des
poursuites individuelles en vertu d'un article L621-4091, ce dernier
ne saurait s'appliquer aux seules mesures conservatoires. Or il convient de
rappeler que les dispositions sur les référés
spéciaux qualifient explicitement la suspension de l'exécution de
l'obligation préalable de mesure conservatoire, et ce, à juste
titre car l'exception pour risque d'inexécution ne constitue pas une
mesure tendant directement à résoudre le contrat92. On
constate ainsi que les règles du droit judiciaire privé peuvent
venir contourner l'interdiction de principe par le droit des obligations de
l'exception pour risque d'inexécution.
§2: La consécration de l'exception pour risque
d'inexécution
Les détours plus ou moins efficaces évoqués
ci-dessus dénotent l'évidence selon laquelle la
consécration d'un principe général serait bienvenue (A).
Le législateur semble avoir tenu compte de cette nécessité
en consacrant explicitement l'exception pour risque d'inexécution dans
le projet de réforme du droit des contrats (B).
A\ L'opportunité d'un principe
général
La présence des subterfuges évoqués
ci-dessus démontre que le créancier menacé de perdre la
contrepartie attendue de l'exécution de ses propres obligations
contractuelles souhaitera toujours anticiper ce danger. Le refus du
législateur de consacrer pleinement un mode d'anticipation tel que
l'exception pour risque d'inexécution conduit malgré tout
à l'inverse de son intention première qui est de protéger,
coûte que coûte, l'intangibilité du contrat. L'utilisation
artificielle et détournée de certaines règles juridiques
initialement inadaptées à l'anticipation du risque
d'inexécution contractuelle, entraîne effectivement une mauvaise
calibration. Outre l'inefficacité du détour par la
déchéance du terme démontrée par
91. Article L621-40 du ccom:
"I. - Le jugement d'ouverture suspend ou interdit toute action en
justice de la part de tous les créanciers
dont la créance a son origine antérieurement audit
jugement et tendant :
1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une
somme d'argent ;
2° A la résolution d'un contrat pour défaut
de paiement d'une somme d'argent.
II. - Il arrête ou interdit également toute voie
d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que
sur les immeubles.
III. - Les délais impartis à peine de
déchéance ou de résolution des droits sont en
conséquence suspendus."
92. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.
34
Fall Paraiso, le détour par les
référés spéciaux présente également
un certain nombre d'inconvénients. Il convient en effet de noter que "le
risque d'inexécution de l'obligation à terme constituera presque
toujours la menace d'un dommage imminent depuis que le décret du 17 juin
1987 est venu confirmer que le juge de l'urgence ne peut se déclarer
incompétent « en présence d'une contestation sérieuse
». Ce qui signifie que le juge peut autoriser la suspension de
l'obligation préalable, même s'il n'est pas certain que le
débiteur à terme se rendra coupable
d'inexécution."93 Cette règle issue du droit
judiciaire privé représente inévitablement un danger pour
la sécurité des relations contractuelles étant
donné que le juge des référés sera obligé de
statuer quelque soit son degré de certitude quant au risque
d'inexécution. Il s'ensuivrait alors un risque d'assimilation
particulièrement fréquent de ce dernier, quelque soit son
degré d'intensité, à un dommage imminent, et par
conséquent, une utilisation fréquente et inadaptée de ce
type d'"exception pour risque d'inexécution". La volonté du
législateur de protéger l'intangibilité du contrat est
donc contournée par l'utilisation d'outils juridiques inadaptés,
et partant, plus nocifs encore pour le principe de force obligatoire du contrat
que l'on entend protéger.
La consécration explicite d'un outil juridique
répondant à l'objectif d'anticipation recherché
permettrait au contraire de déployer un régime adapté,
claire et précis. De la sorte, les risques que le législateur
entend éviter pourront être exposés clairement dans ses
conditions de mise en oeuvre. Le législateur semble avoir pris acte de
ces inconvénients en consacrant explicitement l'exception pour risque
d'inexécution dans le projet de réforme du droit des contrats.
B\ Le projet de la chancellerie
Aux termes de l'article 1120 du projet d'ordonnance portant
réforme du droit des contrats, du régime général et
de la preuve des obligations, "une partie peut suspendre l'exécution de
sa prestation dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne
s'exécutera pas à l'échéance et que les
conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour
elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs
délais." Le créancier d'une éventuelle inexécution
future peut donc suspendre unilatéralement l'exécution de ses
propres obligations. L'exception pour risque d'inexécution est donc
subordonnée à deux conditions: un risque manifeste
d'inexécution et un certain degré de gravité des
conséquences de l'inexécution pour le créancier. Le risque
d'inefficacité judiciaire que présentait le "détour par
93. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003, p.31 et s.
35
les référés spéciaux" est donc
supprimé. L'initiative de l'anticipation du risque d'inexécution
appartiendrait désormais au seul créancier. Ce faisant, il
résulte une meilleure protection de ce dernier combinée à
une responsabilisation accrue. Le créancier sera en effet
impérativement contraint de respecter les conditions de mises en oeuvre
exposées ci-dessus. La consécration explicite d'un instrument
juridique fortement plébiscité a donc permis l'exposition d'un
régime efficace et contraignant que ne pouvaient contenir des
mécanismes inadaptés au but recherché.
Section 2: L'admissibilité de la
résolution par anticipation
Bien que la résolution anticipée ne soit pas
explicitement consacrée par le législateur (§1), la lettre
actuelle des textes de loi (§2), tout comme la lecture de certaines
décisions jurisprudentielles plus ou moins explicites (§3), ne
semblent nullement fermer la porte à l'introduction d'un tel
mécanisme d'anticipation.
§1: L'absence de consécration de la
résolution anticipée
Malgré les réticences du législateur (A),
une partie de la doctrine manifeste une volonté d'accueillir le concept
de résolution anticipée en droit positif. Tel est le cas du
projet Terré (B).
A\ Une réticence législative
La résolution anticipée n'est pas
mentionnée dans le projet de la Chancellerie. Il semblerait alors que
l'anticipation du risque d'inexécution devrait, aux yeux du
législateur, se résumer à la seule exception pour risque
d'inexécution. Celle-ci constituerait le compromis idéal entre la
protection de l'intangibilité du contrat et l'anticipation du risque des
inexécutions contractuelles.
Une telle réticence à l'admission de ce mode
d'anticipation peut notamment s'expliquer par l'insécurité
contractuelle qui découlerait du pouvoir attribué au
créancier de décider unilatéralement d'une sanction aussi
forte que la "destruction pure et simple du contrat"94.
94. S. PERUS-BICHOT, « La résolution
unilatérale anticipée », in « La réforme du
droit des contrats », RDA n° 1, janv. 2010, p. 85 s.
36
Nous pourrions, en réponse à cette
frilosité, émettre la remarque suivante: le principe de
résolution unilatérale est malgré tout consacré par
le projet de réforme du droit des contrats. L'article 1226 dudit projet,
influencé par la jurisprudence antérieure, indique que "le
créancier peut, à ses risques et périls, résoudre
le contrat par voie de notification. Il doit préalablement mettre en
demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son
engagement dans un délai raisonnable." Le texte répond
manifestement à l'impératif de célérité que
commande la vie des affaires. Les partenaires commerciaux doivent pouvoir
à cet effet éviter un assistanat judiciaire systématique.
Les termes "à ses risques et périls" dénotent
également une certaine responsabilisation du créancier qui devra
prendre la décision de résoudre ou non le contrat
conformément aux conditions posées par le législateur. Si
le créancier peut prendre le "risque" de résoudre lui même
un contrat pour inexécution, pourquoi n'en serait-il pas de même
en cas d'inexécution anticipée? On pourrait objecter qu'un tel
risque ne serait pas autorisé dans ce dernier cas pour la simple raison
que s'il n'est pas très ardû d'apprécier les conditions
d'une résolution pour inexécution d'obligations échues, il
en irait tout autrement pour une inexécution n'ayant pas encore eu lieu.
La frilosité du législateur s'expliquerait donc avant tout par le
risque d'erreur d'appréciation qui découlerait d'une telle
prérogative95. On peut toutefois arguer que la faculté
de résolution unilatérale offerte au créancier ne trouve
pas justification dans la facilité d'apprécier soi-même les
conditions de mise en oeuvre de la résolution pour inexécution
mais dans une volonté de conférer à ce dernier la
responsabilité de maîtriser lui-même le sort d'un contrat
tenu en échec. Nous pourrions alors concevoir qu'une telle
responsabilisation pourrait s'étendre à la possibilité de
résoudre le contrat par anticipation. Dans le cas où la mise en
oeuvre d'une résolution anticipée serait, en raison des
circonstances, délicate et "risquée", le créancier sera
alors libre de s'abstenir, procéder à une exception pour risque
d'inexécution, ou encore se tourner vers la résolution
judiciaire, bien que l'anticipation sera dans ce dernier cas extrêmement
limitée en raison de la lenteur inhérente à tout recours
judiciaire. À ce sujet, l'article 1227 du projet de réforme
dispose clairement que "la résolution peut toujours être
demandée en justice."
Il est malgré tout légitime de se questionner
sur l'efficacité de la responsabilisation du créancier: bien que
le débiteur puisse contester la résolution pour
inexécution anticipée en justice, cela reste un
procédé onéreux et dissuasif. On pourrait alors se
demander si les intérêts
95. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat
pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous
la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273: "Le risque
essentiel qui a nourri les hésitations tient dans le fait qu'il revient
au seul créancier d'apprécier une inexécution qui, par
hypothèse, n'est pas encore avérée".
37
du créanciers ne prédomineraient pas ceux du
débiteur.96Le projet Terré propose en réponse
qu'une chance soit donnée au débiteur en apportant les
"justifications nécessaires attestant de son exécution
future"97.
B\ Un souhait doctrinal
Hormis la doctrine européenne qui déploie une
influence certaine sur le droit interne, certains auteurs français ont
également entrepris de proposer l'admission de la résolution
anticipée du contrat en droit positif. Ce mode d'anticipation ne fait
toutefois l'objet d'un consensus au sein de la doctrine française.
L'atteinte à la force obligatoire du contrat, ou devrait-on plutôt
dire son assouplissement98, inhérente à l'admission
d'un tel mécanisme, se heurte à la résistance d'un certain
nombre de juristes fortement attachés à ce fondement
traditionnel.
La réforme du droit des contrats a été
l'objet de deux groupes de travaux doctrinaux majeurs au cours de cette
dernière décennie: l'avant projet Catala ainsi que le plus
récent projet Terré. Bien que la résolution
anticipée ait été écartée du premier, elle a
en revanche été admise par le second99. L'article 111
du projet Terré indique en effet que "si dès avant
l'échéance, il est certain que les conditions de la
résolution sont acquises, le créancier peut demander au
débiteur de l'assurer qu'il sera en mesure d'exécuter dans le
temps prévu en précisant que, à défaut, il sera en
droit de résoudre le contrat par simple notification". L'on peut
d'emblée constater une certaine prudence dans la rédaction de cet
article controversé. Si l'on effectue une comparaison avec les
différents systèmes juridiques admettant la résolution
anticipée, on constate que ces derniers indiquent expressément,
pour la plupart d'entre eux, que le créancier pourra résoudre le
contrat par anticipation si il est manifeste que le débiteur
n'exécutera ses obligations. Or le projet Terré propose au
législateur de subordonner cette possibilité à la demande
préalable par le créancier de justifications attestant de
l'inexécution future du débiteur. Ce n'est qu'"à
défaut" qu'il pourra procéder à la résolution du
contrat par anticipation. Le texte conditionne par ailleurs la
résolution anticipée à un critère de certitude
absolu quant à l'inexécution future, à l'inverse des
dispositions étrangères qui ne requièrent
96. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du
contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des
contrats, sous la direction de François Terré, Dalloz, 2008,
p.273
97. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du
contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des
contrats, sous la direction de François Terré, Dalloz, 2008,
p.273
98. Voir infra, p.61
99. S. PERUS-BICHOT, « La résolution
unilatérale anticipée », in « La réforme du
droit des contrats », RDA n° 1, janv. 2010, p. 85 et s.
38
généralement qu'un "critère
d'évidence"100. Bien que la mise en oeuvre d'un tel
mécanisme d'anticipation suppose un encadrement rigoureux, l'exigence de
cette condition drastique peut toutefois être discutée. L'emploi
d'un terme plus modéré telle que le "risque manifeste" semblerait
plus adapté dans le sens où il serait difficilement concevable de
demander au créancier de prédire le futur101. En
revanche, la subordination de la résolution anticipée à un
risque d'inexécution manifeste obligerait le créancier à
prendre sa décision en fonction de la situation actuelle. Si cette
dernière laisse raisonnablement penser qu'il y aura
inévitablement une inexécution de la part du débiteur, le
créancier pourra procéder à une résolution par
anticipation.
Les partisans de la résolution anticipée
exposent, à l'appui de son admission, des arguments qu'il serait
difficile d'ignorer: celle-ci permettrait de limiter le préjudice du
créancier résultant des conséquences de
l'inexécution à venir. Elle aurait également pour effet de
libérer le créancier, et par conséquent, de permettre
à ce dernier de trouver rapidement un autre cocontractant qui serait,
quant à lui, susceptible de répondre à ses attentes.
Enfin, elle permettrait au débiteur de limiter, en raison de la
diminution du préjudice du créancier, le montant des
dommages-intérêts dû au créancier102.
On constate ainsi que les principaux arguments tenant à
l'admission d'un mode d'anticipation tiennent à une recherche
d'efficacité économique103.
§2: L'applicabilité de la résolution
anticipée
Que ce soit au sein de l'article 1184 du code civil fixant le
régime de l'exception pour risque d'inexécution (B) ou à
travers la lecture de l'article 1186 du code civil concernant
l'impossibilité d'exiger l'exécution d'une obligation
contractuelle avant l'arrivée de son terme (B), le législateur ne
semble pas avoir souhaité catégoriquement exclure la
résolution anticipée. Toutefois, l'absence de consécration
explicite impose une certaine prudence quant à
100. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de
conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie
BRES, La résolution du contrat par dénonciation
unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est
pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible
à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation
actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement
inexécution de la part du débiteur.
101. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du contrat
pour inexécution, in Pour une réforme du droit des contrats, sous
la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273: "on peut se
demander si une certitude avant sa réalisation est encore une
certitude".
102. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du
contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des
contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273
103. Carole AUBERT DE VINCELLES, La résolution du
contrat pour inexécution, in Pour une réforme du droit des
contrats, sous la direction de François TERRE, Dalloz, 2008, p.273
39
l'interprétation de sa volonté.
A\ L'article 1186 du code civil
Les dispositions de l'article 1186 du code civil pourraient
susciter une certaine confusion et permettre de penser que la résolution
anticipée ne saurait trouver place en droit positif. Ce texte dispose en
effet que "ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être
exigé avant l'échéance du terme". C. Malecki met toutefois
en évidence une distinction entre la réclamation d'une
exécution et la résolution du contrat. En effet, l'article 1186
du code civil interdit seulement au créancier de réclamer
l'exécution du débiteur avant l'échéance du terme.
Ce texte ne s'oppose donc aucunement à ce que le créancier prenne
certaines mesures avant terme et par conséquent, prenne l'initiative de
mettre fin au contrat.104
Cette remarque permet en outre de prendre conscience de
l'évidence selon laquelle la résolution anticipée n'a
aucunement pour objet de satisfaire les exigences d'un créancier
impatient avant l'heure mais de permettre à ce dernier de
protéger ses intérêts économiques lorsque le contrat
est voué à l'échec.
Il convient par ailleurs d'indiquer que si l'article 1186 du
code civil interdit au créancier d'exiger l'exécution du
débiteur avant terme, il ne saurait s'opposer à ce que celui-ci
réclame une garantie d'exécution future. Cette pratique est
couramment admise dans les systèmes juridiques autorisant l'exception
pour risque d'inexécution: la reprise de l'exécution du contrat,
suite à une suspension, est généralement
conditionnée à la fourniture par le débiteur au
créancier de garanties suffisantes d'exécution. Tel est par
exemple le cas en droit allemand105.
B\ L'article 1184 du code civil
Les rédacteurs du code civil ont consacré la
possibilité de demander en justice la
104. C. MALECKI, L'exception d'inexécution, préf
J. Ghestin, LGDJ 1999, n°125: "L'article 1186 du code civil signifie
seulement que le créancier ne peut réclamer l'exécution du
débiteur avant terme. Il n'exclut nullement que le créancier
puisse avant terme prendre des dispositions et surtout, si certaines conditions
sont réunies, puisse y mettre fin sur son initiative. Deux choses sont
différentes: réclamer une exécution et résoudre le
contrat".
105. §321 BGB: "Celui qui dans un contrat synallagmatique
s'est obligé à prester le premier, peut, si depuis il s'est
produit une diminution notable dans le patrimoine de l'autre partie, de nature
à mettre en péril la contre-prestation à recevoir, se
refuser à faire la prestation qui lui incombe, jusqu'à ce qu'il
ait reçu la contrepartie ou qu'il lui ait donné caution".
40
résolution du contrat dans le cas "où l'une des
deux parties ne satisfera point à son engagement" tout en prenant soin
de préciser que le contrat ne pourrait aucunement être
résolu de plein droit. Il convient de mettre en évidence l'emploi
du futur par les rédacteurs. La syntaxe de cet article permet en effet
de constater que si la résolution anticipée n'est pas
expressément consacrée, elle ne semble être exclue pour
autant106. Il convient toutefois de noter que le 2e alinéa
s'exprime dans les termes suivants: "la partie envers laquelle l'engagement n'a
point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre
à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en
demander la résolution avec dommages et intérêts". L'emploi
du verbe "exécuter" étant employé au passé, deux
déductions alternatives peuvent être formulées. Soit les
rédacteurs n'avaient aucunement l'intention de laisser place à
une quelconque résolution par anticipation et l'emploi du futur au
premier alinéa ne devrait alors se résumer qu'à une
maladresse de style. Soit l'emploi simultané du passé et du futur
permet d'émettre l'hypothèse selon laquelle une
inexécution future est assimilable à une inexécution
actuelle: certains auteurs pensent en effet qu'il n'y aurait "rien de plus
normal que de considérer un contrat comme inexécuté
lorsqu'il est certain que le débiteur n'exécutera pas sa
prestation le moment venu"107. Dans ce deuxième cas, il
serait donc permis de penser que l'hypothèse d'une résolution
anticipée n'aurait pas été exclue de l'esprit des
rédacteurs du code civil.
Il faut toutefois se garder d'induire l'existence d'un
mécanisme juridique aussi lourd de conséquences que la
résolution anticipée à partir d'une analyse
littérale aussi poussée de l'article 1184 du code civil. Bien au
contraire, il nous paraît que si la faculté de résoudre le
contrat offerte par ce texte avait vocation à être
appliquée avant que les obligations faisant l'objet d'une
exécution potentielle deviennent exigibles, les rédacteurs
n'auraient pris soin de mentionner que la résolution devait être
effectuée en justice; le juge ayant la possibilité d'autoriser
ladite résolution ou bien d'accorder "au défendeur un
délai selon les circonstances". En effet, la résolution par
anticipation ne pourrait être exercée efficacement que de
manière unilatérale: le recours au juge, "source de lenteur et de
frais"108, priverait dans
106. Marie Peig-heng CHANG, La résolution du contrat pour
inexécution: Etude comparative du droit français et du droit
chinois, PUAM 2005: "l'analyse des termes de cet article montre que la
résolution du contrat pour inexécution anticipée est
possible." Par ailleurs, selon C. Malecki, "l'analyse littérale stricte
de l'article 1184 du code civil n'évoque pas la donnée
temporelle, plus précisément il ne dit pas que la
résolution ne pourra être demandée qu'à
l'arrivée du terme (...). Il n'implique pas qu'il faille attendre un tel
manquement, même si le futur est employé. Si l'exécution de
l'une des parties est selon toute vraisemblance improbable, ne s'agira-t-il pas
d'une inexécution? Il y a donc une place pour une résolution
anticipée".
107. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, RTD civ 2003 p.31 et s.
108. François TERRE, Philippe SIMLER, Yves LEQUETTE, Les
obligations, Dalloz, 11e édition, 2013, p.693
41
la majorité des cas, cette mesure d'anticipation de
l'objectif de célérité poursuivi. Bien que pour pallier
aux insuffisances de la loi, une possibilité de résolution
unilatérale ait été prévue par la jurisprudence, il
n'en demeure pas moins que, d'après la rédaction de l'article
1184 du code civil, le législateur ne semble pas avoir souhaité
laisser place à une mesure telle que celle de la résolution
anticipée.
Le code civil étant âgé de plus de 200
ans, nous pourrions toutefois penser que, sous l'influence de la mondialisation
et de l'accroissement exponentiel des contrats commerciaux, les idées du
législateur n'ont pu qu'évoluer quant au régime des
sanctions des inexécutions contractuelles. L'absence d'une
consécration explicite de la résolution anticipée à
l'occasion du projet de réforme de droit des contrats vient
malgré tout démentir ce qui aurait pu paraître comme une
évidence.
§3: Une ouverture jurisprudentielle
L'absence de volonté explicite du législateur
d'admettre la résolution anticipée n'a pas empêché
la jurisprudence de prendre acte de la complexification des échanges
commerciaux pour valider, quoique de manière ponctuelle et
isolée, des mesures s'apparentant nettement à une
résolution pour inexécution anticipée. Nous pouvons
à cet égard citer un jugement ancien du 28 novembre 1934 rendu
par le tribunal de commerce du Havre, qualifié d'"arrêt fondateur
oublié" par Thomas Genicon109. Les juges de première
instance avaient en effet répondu favorablement à une demande en
résolution et en dommages-intérêts opérées
avant que les obligations du débiteur ne furent échues au motif
que ce dernier avait déclaré qu'il n'exécuterait pas ses
obligations contractuelles110. Selon les observations de René
Demogue, le fait pour le débiteur de manifester expressément sa
volonté de ne pas exécuter ses obligations contractuelles
constitue d'ores et déjà une violation du contrat111,
ce qui légitimerait alors l'application de l'article 1184 du code
civil.112 De ce point de vue, une telle déclaration ne
constituerait pas un risque d'inexécution, fut-il évident ou
certain, mais une inexécution d'ores et déjà
consommée. Il n'est donc pas ici clairement question de
"résolution pour inexécution
109. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
110. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une
demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant
terme quand le débiteur a déclaré qu'il
n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René
Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)
111. René DEMOGUE, Obs sous TGI Le Havre 24 nov 1934, Rtd
civ 1935, p.647
112. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007: "Lorsque le débiteur adopte un
comportement par lequel il fait obstacle à l'exécution future du
contrat, il y a lieu de considérer qu'il peut commettre un manquement au
sens de l'article 1184 du code civil".
42
anticipée" mais les effets demeurent malgré tout
identiques. D'autant plus que les juges affichent clairement leur
volonté de libérer le créancier d'un contrat voué
à l'échec, ce qui revient alors à protéger ce
dernier du risque d'inexécution future: "l'acheteur a suffisamment fait
connaître ses intentions pour que le vendeur n'ait pas été
dans l'obligation d'attendre le délai de livraison extrême
fixé au marché pour faire valoir ses droits à une
indemnité de résiliation"113. Il n'en demeure pas
moins que ce que l'on pourrait qualifier de mesure d'anticipation
déguisée possède un champ d'application trop restreint en
droit français, étant donné que sa mise en oeuvre suppose
une déclaration explicite de ne pas exécuter ses obligations de
la part du débiteur114.
Un élargissement semble malgré tout avoir
été timidement opéré par un arrêt rendu le 5
février 1969 par la chambre commerciale de la cour de cassation. La
haute juridiction a pu en effet s'exprimer dans les termes suivant: "en
statuant ainsi, par une appréciation hypothétique de l'attitude
future des intéressés, déduite de l'allégation de
Rolland déclarée non justifiée, la cour d'appel n'a pas
donné sur ce point une base légale à sa décision".
La résolution anticipée qui avait été admise par
les juges du fond, a certes, été refusée par la cour de
cassation mais pour des motifs tenant à la "pertinence des
éléments futurs invoqués" et non sur le simple fait qu'il
s'agisse d'"éléments futurs"115. On pourrait alors
légitimement imaginer que si les arguments du créancier avaient
été pertinents, la résolution admise par les juges du fond
n'aurait finalement pas été refusée par la cour de
cassation.
Cette décision revête malgré tout le
caractère d'une jurisprudence ponctuelle et isolée et ne saurait
avoir pour effet de consacrer pleinement la résolution anticipée
en droit français. Certains auteurs sont par conséquent
favorables, à l'instar de l'anticipatory breach des droits de common
law, "à une généralisation du mécanisme" de la
résolution anticipée et "entendent lui donner un fondement
autonome116 permettant en quelque sorte de l'arracher à la
résolution pour inexécution du droit français qui
présuppose - classiquement en tout cas - une inexécution
présente"117.
Cette carence nous conduit donc à proposer un
régime juridique concevable des deux mécanismes principaux
d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution.
113. Tcom Le Havre 28 novembre 1934
114. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
115. Marie Peig-Heng CHANG, La résolution du contrat
pour inexécution: Etude comparative du droit français et du droit
chinois, PUAM 2005
116. Article 111 Projet Terré
117. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.231
43
Titre 2: Le régime suggéré des
mécanismes
d'anticipation
Les diverses analyses textuelles, doctrinales et
jurisprudentielles ressortant du traitement de l'anticipation du risque
d'inexécution en droit interne tout comme en droit comparé
évoquées ci-dessus, nous invitent à proposer un
régime des mécanismes d'anticipation que sont la
résolution anticipée (Chapitre 1) et l'exception pour risque
d'inexécution (Chapitre 2), admissible en droit positif.
44
Chapitre 1: La résolution anticipée
L'établissement d'un régime juridique de la
résolution anticipée en droit positif nous conduit à
exposer ses conditions de mise en oeuvre (§1) avant d'en aborder les
effets (§2).
Section 1: Les conditions de la résolution
anticipée
La mise en oeuvre de la résolution anticipée
répond à la fois à d'exigeantes conditions de fond
(§1), ainsi que des conditions de forme (§2).
§1: conditions de fond
Pour être applicable, l'inexécution contractuelle du
débiteur doit être ultérieure, sans quoi il ne s'agirait
que d'une simple résolution pour inexécution (A), suffisamment
grave (B) alors que le risque de sa survenance doit être manifeste
(C).
A\ Une inexécution future
La résolution anticipée répond au
problème suivant: l'anticipation d'un risque manifeste
d'inexécution. Elle implique donc que l'inexécution n'ait pas
encore eu lieu au moment de sa mise en oeuvre, auquel cas le régime de
la résolution pour inexécution aurait vocation à
être appliqué. Le créancier doit être face à
une inexécution susceptible de se produire ultérieurement.
Il convient de préciser que la charge de la preuve
tenant à la détermination de l'existence d'une inexécution
future revient au créancier118. Nous proposons en revanche,
à l'instar de l'anticipatory breach du droit anglais et contrairement au
droit américain, que le créancier n'ait pas à
démontrer qu'il aurait été capable d'exécuter ses
obligations à l'échéance en l'absence de
défaillance du débiteur. Cette règle est justifié
par le fait qu'à la suite d'une résolution pour
inexécution anticipée, le créancier "peut être
amené à prendre des mesures incompatibles avec l'exécution
du contrat initial."119 Ce qui par ailleurs "est logique puisque si
le contrat est résilié
118. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 574
119. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575
45
ou résolu, le créancier est immédiatement
libéré et n'est donc pas censé
s'exécuter"120.
B\ Une inexécution suffisamment grave
L'appréciation de la gravité de
l'inexécution (1) doit être effectuée au regard de
certaines situations de faits objectives (2).
1. L'exigence de gravité
Dans les systèmes juridiques de common law, la mise en
oeuvre de la résolution anticipée obéit à des
règles similaires à celles de la simple résolution pour
inexécution. Parmi ces règles, l'on retrouve l'exigence de
gravité de l'inexécution. Il en serait de même en droit
français dans le cas où la résolution anticipée
serait accueillie. Comme a pu le remarquer Yves-Marie Laithier, "ce que la Cour
de cassation exige des juges du fond dans le cadre d'une action en
résolution judiciaire, c'est-à-dire constater l'importance
suffisante du manquement, doit a fortiori s'imposer au créancier qui
prétend résoudre ou résilier le contrat
unilatéralement et par anticipation"121. Il serait en effet
inopportun d'admettre qu'un manquement soit plus sévèrement
sanctionné lorsque ce dernier est anticipé122.
L'apport de la preuve de la gravité suffisante de
l'inexécution reviendrait au créancier en cas de contrôle a
posteriori de la résolution anticipée.
2. Les caractères de la gravité
L'appréciation de la gravité revient
actuellement aux seuls juges du fond étant donné que la
résolution ne peut être, pour l'heure, que judiciaire. Il
conviendrait, dans le cas où la résolution pourrait être
anticipée, et partant, mise en oeuvre unilatéralement par le
créancier, de préciser dans le marbre de la loi quels seraient
les critères de gravité à prendre en compte. Nous pouvons
noter que la jurisprudence considère comme grave, un manquement portant
sur une obligation déterminante de la conclusion du
contrat123. Plus globalement, le juge français prononce
généralement la résolution "lorsqu'il estime que
l'altération du lien contractuel est telle que le demandeur n'aurait pas
contracté s'il l'avait prévu"124. Ces critères
peuvent être
120. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575
121. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575
122. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 575
123. Com 2 juillet 1996, bull civ IV n°198
124. F.TERRE, P.SIMLER, Y.LEQUETTE, Les obligations, Dalloz, 11e
edition, p.702
46
aisément rapprochés de ceux de la
résolution anticipée du droit anglais qui implique que "le
manquement annoncé soit d'une importance telle qu'il prive
substantiellement le créancier de ce pour quoi il s'était
engagé, ou à défaut, qu'il s'agisse de
l'inexécution d'une obligation fondamentale, quelle que soit la
gravité réelle de ses conséquences"125.
Au regard de ces constatations, il y aurait lieu d'admettre
que la mise en oeuvre d'une résolution anticipée en droit
français soit subordonnée à un manquement portant sur une
obligation essentielle du contrat ou encore sur une ou plusieurs obligations
contractuelles, furent-elles accessoires, "dont l'inexécution auraient
pour conséquence de priver le créancier de ce pour quoi il
s'était engagé".
C\ Un risque d'inexécution manifeste
Le caractère manifeste de l'inexécution future ne
dénote pas une exigence de certitude absolue (1). Il doit toutefois
s'apprécier au regard de situations de faits objectives et restreintes
(2).
1. L'absence de certitude absolue
L'analyse des termes de l'article 111 du projet Terré
dénote une extrême prudence quant à la mise en oeuvre de la
résolution anticipée: cette dernière est en effet
subordonnée à une inexécution future certaine. Il nous
semble qu'il n'est pas opportun de suivre cette proposition et d'effectuer un
rapprochement avec le régime de la résolution anticipée
issue des droits de common law. Autrement dit, il conviendrait d'exiger que
l'inexécution soit "certaine ou apparemment certaine"126.
Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend du créancier
qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une modification hautement probable
de la situation ou des intentions du débiteurs"127. Il
convient toutefois de ne pas tomber dans l'écueil inverse: s'il n'est
nul besoin que le créancier soit contraint de prédire l'avenir,
il ne suffit pas pour autant "que le créancier éprouve quelques
craintes au sujet de l'exécution à venir"128.
L'anxiété du créancier ne saurait en aucun cas justifier
la mise en oeuvre d'une résolution
125. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566
126. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
127. Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d
911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does
not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain
that the other party is not going to meet its obligations under the contract in
timely fashion"; Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568
128. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
47
anticipée. Il conviendrait donc que celle-ci soit
subordonnée à un risque d'inexécution "manifeste" à
l'instar du régime proposé par les Principes de Droit
Européen des Contrats (PDEC)129. Cette solution obligerait
donc le créancier craintif à prendre la décision de
résoudre ou non le contrat en fonction des circonstances actuelles.
L'inexécution devra alors paraître évidente au regard de
ces dernières. Autrement dit, le créancier ne pourra
procéder à la résolution anticipée que si les
circonstances actuelles laissent raisonnablement penser que le débiteur
n'exécutera pas ses obligations contractuelles.
En cas de contrôle a posteriori par le juge, la charge
de la preuve du "caractère certain ou apparemment certain" de
l'inexécution pèserait sur le créancier.
2. Les formes du risque d'inexécution manifeste
L'évidence de l'inexécution ultérieure
peut provenir d'un refus univoque clairement notifié par le
débiteur d'exécuter ses futures obligations (a), de la situation
du débiteur rendant impossible l'exécution de ses obligations
à l'échéance (b), ou encore d'un comportement
exécutoire déloyal de la part de ce dernier (c).
a) Le refus univoque d'exécuter à
l'échéance
Le refus manifesté par le débiteur doit
être univoque, c'est-à-dire qu'il doit "être suffisamment
clair et absolu au point que l'on puisse raisonnablement penser au moment
où le créancier décide de résilier le contrat, que
l'obligation ne sera pas exécutée à
l'échéance initialement fixée"130. Il peut
être explicite ou implicite sous réserve de respecter cette
condition d'univocité. Un refus ambigu ne saurait autoriser aucune
anticipation131. Il convient toutefois de noter que le régime
français actuel de l'inexécution confère à ce type
de comportement le caractère d'une inexécution consommée,
les tribunaux estimant que les cocontractants doivent s'abstenir de tout
comportement incompatible avec la relation contractuelle132. Il ne
s'agit toutefois que d'un subterfuge permettant d'admettre une
résolution par anticipation en l'absence de textes législatifs
l'autorisant. Il y a donc lieu de considérer
129. PDEC Art 9:304: "Si avant la date à laquelle une
partie doit exécuter, il est manifeste qu'il y aura inexécution
essentielle de sa part, le cocontractant est fondé à
résoudre le contrat".
130. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571
131. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 571
132. Tcom Le Havre 28 novembre 1934 à propos d'"une
demande en résolution et en dommages-intérêts faite avant
terme quand le débiteur a déclaré qu'il
n'exécuterait pas ses obligations contractuelles" (Obs René
Demogue, Rtd civ 1935, p.647-648)
48
qu'un refus explicite d'exécuter ses obligations
futures caractérise une inexécution anticipée et non une
inexécution présente.
b) L'impossibilité avérée
d'exécution à l'échéance
L'inexécution anticipée peut également
être caractérisée lorsque la situation actuelle du
débiteur démontre que ce dernier ne pourra exécuter ses
obligations à l'échéance. Il est, en outre, sans
importance que le débiteur confirme cette impossibilité ou qu'au
contraire, il affirme au créancier son intention d'exécuter ses
obligations malgré tout133. Il est également sans
importance que l'impossibilité d'exécution soit imputable
à un cas de force majeure ou bien au fait, fautif ou non, du
débiteur.
Cette vision élargie de l'inexécution
anticipée se justifie par l'objectif d'efficacité
économique à laquelle répond la résolution
anticipée et résulte de l'arrêt Universal Cargo Carriers
Corporation v. Citati où la bonne volonté du débiteur ne
pouvait en l'espèce faire obstacle à une action en
responsabilité pour inexécution anticipée. L'objectif de
la résolution anticipée étant de réduire le
préjudice du créancier et de procéder à sa
libération, il n'y a pas lieu de distinguer selon que
l'inexécution soit fautive ou non134. Comme a pu l'indiquer
Yves-Marie Laithier au sujet de cet arrêt, "l'impossibilité
l'emporte sur l'intention contraire".
Il convient toutefois d'ajouter que l'absence d'exigence de
certitude absolue implique que, tout comme le refus, l'impossibilité ne
puisse être anticipée "que si elle est claire ou raisonnablement
certaine"135.
c) Le comportement exécutoire déloyal
La détection d'un comportement exécutoire
déloyal du débiteur constitue également une forme de
risque manifeste d'inexécution du débiteur. Un tel comportement
pourrait alors notamment se manifester par une organisation volontaire
d'insolvabilité. L'attitude déloyal du débiteur fonderait
alors la mise en oeuvre d'une résolution anticipée fondée
sur l'atteinte à la confiance légitime du
créancier136.
133. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
134. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
135. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 573
136. Voir infra, p.68
49
§2: conditions de forme
La résolution du contrat par anticipation doit au
préalable faire l'objet d'une mesure de notification (A) ainsi que d'une
demande d'attestation d'exécution future au débiteur (B).
A\ Une notification au débiteur
Le créancier devra notifier au débiteur son
intention de résoudre le contrat de manière anticipée dans
un délai raisonnable. Ce délai permettra alors d'offrir une
chance au débiteur de démentir les apparences en donnant au
créancier une garantie suffisante de l'exécution des obligations
à échoir.
B\ Une demande d'attestation d'exécution
future
Le délai séparant la notification de l'intention
de résoudre le contrat et l'application de la résolution doit
permettre au débiteur de donner des assurances d'exécution de ses
futures obligations. Cette faculté est inscrite dans l'article 72 de la
convention de Vienne mais également préconisée par le
projet Terré. L'article 111 dudit projet dispose en effet que "si
dès avant l'échéance, il est certain que les conditions de
la résolution sont acquises, le créancier peut demander au
débiteur de l'assurer qu'il sera en mesure d'exécuter dans le
temps prévu en précisant que, à défaut, il sera en
droit de résoudre le contrat par simple notification". Si nous avons pu
démontrer que l'exigence de certitude relative à
l'inexécution ultérieure ne paraît pas
pertinente137, il nous semble en revanche que la subordination de la
résolution à une demande d'attestation concernant
l'inexécution future devrait trouver place au sein du régime de
la résolution anticipée. Cette exigence a le mérite d'une
part, d'offrir au débiteur une chance de démentir des apparences
anxiogènes, et d'autre part, de permettre au créancier de se
constituer un "moyen de preuve de l'inexécution
anticipée"138.
Il conviendrait alors d'obliger le créancier
envisageant de mettre en oeuvre la résolution anticipée
d'indiquer expressément au débiteur, lors de la notification de
son intention de résoudre le contrat, la possibilité de fournir
une garantie suffisante de ses obligations ultérieures. La durée
du délai devra raisonnablement permettre au débiteur de fournir
lesdites justifications.
137. Voir supra, p.46
138. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 577
50
Section 2: Les effets de la résolution
anticipée
Les effets de la résolution anticipée
entraînent l'anéantissement rétroactif du contrat (§1)
et s'accompagnent en principe d'une allocation de
dommages-intérêts destinée à réparer le
préjudice subi par le créancier. Leur montant dépendra de
la date à laquelle le préjudice sera évalué
(§2).
1. L'anéantissement rétroactif du contrat
A l'instar de la résolution pour inexécution, la
résolution anticipée donnera en principe lieu à
l'anéantissement rétroactif du contrat139et à
la "libération immédiate des parties"140. Il convient
toutefois de noter que celle-ci pourra avoir l'effet d'une résiliation
dans le cadre d'un contrat à exécution successive.
En outre, il conviendra évidemment de maintenir la
règle selon laquelle la résolution pourra s'accompagner d'une
action en dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait
de la résolution. La résolution étant intervenue en raison
d'une défaillance annoncée ou estimée, la
responsabilité du débiteur doit pouvoir être
engagée.
La responsabilité du créancier pourra en
revanche être engagée lorsque la mesure d'anticipation
s'avérera avoir été mise en oeuvre de manière
abusive141.
2. La date d'évaluation du préjudice
En droit anglais, lorsque le créancier résout le
contrat pour inexécution anticipée, les
dommages-intérêts sont évalués à
l'échéance des obligations dues, peu important les fluctuations
du marché entre le moment de l'inexécution et celui où le
créancier détecte le risque d'inexécution. Cette solution
serait justifiée par la règle de la prévisibilité
du dommage, également présente en droit français, et par
le "souci d'éviter que le créancier ne s'enrichisse en obtenant
des dommages-intérêts alors qu'il apparaît que le contrat ne
lui aurait pas été profitable à l'échéance".
Yves-Marie Laithier critique cette méthode d'évaluation du
préjudice et considère qu'en raison du devoir de minimisation du
dommage qui pèse sur le créancier en
139. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.704
140. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 582
141. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004
51
droit anglais, il serait préférable
d'évaluer le préjudice au moment où ce dernier aurait
raisonnablement pu le réduire, et ce, "en raison des rapports
étroits qu'entretiennent ce devoir et la date d'évaluation du
préjudice"142. Comme le fait remarquer l'auteur, l'on
pourrait imaginer que, dans le cadre d'une vente, la valeur vénale du
bien vendue au moment où l'acheteur signifiera de manière claire
et non équivoque qu'il ne paiera pas à l'échéance
soit supérieure à celle correspondant au moment où le
créancier procédera à la résolution du contrat, qui
elle-même serait supérieure à la valeur correspondant
à l'échéance de l'obligation. La date à laquelle le
créancier peut évaluer son préjudice correspond au moment
où la décision de ne pas exécuter le contrat lui est
notifiée. C'est donc à partir de cet instant qu'il pourra
raisonnablement le réduire.143
Nous pouvons noter que si la date d'évaluation du
préjudice correspond à l'échéance de l'obligation
et que la valeur vénale du bien aura baissé entre la notification
de l'intention du débiteur de ne pas s'exécuter et la date
d'exigibilité de l'obligation, le créancier risque un
appauvrissement alors que si celle-ci aura augmentée, il risque de
s'enrichir. En revanche, fixer la date d'évaluation du préjudice
à l'instant où le risque d'inexécution se manifeste par
l'intention du débiteur de ne pas s'exécuter et imposer au
créancier le devoir de minimiser son dommage permettrait d'éviter
ces deux écueils.
Il y aurait alors lieu, en droit positif, de suivre
l'affirmation de Yves-Marie Laithier selon laquelle il conviendrait
d'évaluer le préjudice au moment où le créancier
aurait pu raisonnablement le réduire et d'imposer à ce dernier
une obligation de minimiser son dommage. Cette date d'évaluation devra
alors, en cas d'insolvabilité apparente du débiteur, correspondre
au jour d'obtention d'une réponse négative de la part de ce
dernier à la demande d'attestation d'exécution future que le
créancier devra avoir préalablement faite ou à une absence
de réponse à l'issue du délai mentionné dans la
notification. En cas de refus univoque manifesté par le débiteur
d'exécuter ses obligations à l'échéance, le devoir
de minimisation du dommage devra débuter à la date de
réception dudit refus.
Il convient en revanche de préciser que le cas particulier
de la résolution pour perte de
142. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004 p.585
143. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004 p.585. L'auteur expose l'exemple
suivant: " l'acheteur indique avant l'échéance de façon
claire et absolue qu'il renonce au contrat parce qu'il constate que la valeur
du bien est à la baisse; le prix stipulé est de 10; la valeur du
bien était de 9 au moment du refus exprimé par l'acheteur, de 8
au moment où le vendeur décide de résilier le contrat et
de 7 à l'échéance convenue. S'il était raisonnable
de revendre le bien à un tiers à partir du moment où la
révocation a été "acceptée", condition qu'il
appartient au débiteur de démontrer, le montant des
dommages-intérêts compensant le dommage intrinsèque sera
égal à 2 (10-8) et non pas 3 (10-7), que la revente
confiance ne saurait impliquer la soumission du
créancier à un devoir de minimisation du dommage144.
La date d'évaluation du préjudice devra donc être
évaluée à l'échéance des obligations dues
quand bien même la résolution aurait été
prononcée par anticipation.
52
144. Voir infra, p.67
53
Chapitre 2: L'exception pour risque
d'inexécution
L'établissement en droit positif d'un régime
juridique concernant l'exception pour risque d'inexécution nous conduit
à exposer ses conditions de mise en oeuvre (§1) avant d'en aborder
les effets (§2).
Section 1: Les conditions de l'exception pour risque
d'inexécution
La mise en oeuvre de l'exception pour risque d'inexécution
doit répondre à des conditions de fond (§1) ainsi que des
conditions de forme (§2).
§1: conditions de fond
A l'instar de la résolution anticipée,
l'inexécution contractuelle doit être ultérieure (A) et
suffisamment grave (B). Il ne saurait en revanche être exigé que
le risque de sa survenance soit manifeste. Il devra simplement revêtir un
certain degré de probabilité (C).
A\ Une inexécution future
La mise en oeuvre de ce mécanisme nécessite que
l'inexécution redoutée soit ultérieure, sans quoi il ne
s'agirait que d'une simple exception pour risque d'inexécution. Nous
pouvons par ailleurs noter que Fall Paraiso remet en cause l'existence de cette
dernière au motif qu'elle n'aurait que pour seul objectif de suspendre
l'exécution des obligations du créancier dans l'attente que la
résolution ou l'exécution forcée du contrat ne prenne
effet. L'auteur qualifie alors l'exception d'inexécution d'"abstention
contentieuse" ou de "mise en demeure qui ne dit pas son nom"145.
B\ Une inexécution suffisamment grave
Le projet de réforme indique que l'exception
d'inexécution ne peut être mise en oeuvre
145. Fall Paraiso, Le risque d'inexécution de l'obligation
contractuelle, PUAM 2011, p.226; Voir supra, p.29
54
que si les conséquences de l'inexécution
à venir sont suffisamment graves pour le créancier146.
Il nous semble opportun de suivre cette proposition. L'application de
l'exception pour risque d'inexécution pouvant avoir des
conséquences irréversibles, il conviendrait qu'un certain
degré de gravité soit exigé. Le seuil de gravité
serait alors identique à celui exigé pour la résolution
anticipée: à savoir, l'inexécution d'une obligation
essentielle, ou encore d'une ou plusieurs obligations contractuelles,
furent-elles accessoires, "dont l'inexécution auraient pour
conséquence de priver le créancier de ce pour quoi il
s'était engagé"147
C\ Une inexécution probable
Il convient de noter que l'exception pour risque
d'inexécution, telle que conçue par le projet de la chancellerie,
exige que l'inexécution à venir soit
"évidente"148 au regard des circonstances actuelles. Tel est
la condition que l'on peut déduire au regard de l'emploi du terme
"manifeste" au sein de l'article 1220 du projet de
réforme149.
Nous pouvons toutefois émettre l'observation suivante:
dans le cas où la résolution anticipée serait admise en
droit français, le degré de certitude de l'inexécution
future conditionnant la mise en oeuvre de l'exception pour risque
d'inexécution devrait nécessairement descendre d'un
échelon et revêtir le caractère d'une sérieuse
probabilité. Pour être mise en oeuvre, le créancier devrait
alors simplement avoir de sérieuse raison de douter de
l'exécution par le débiteur des obligations à
échoir. Alors que si l'exécution future paraît
évidente, il n'y aurait aucune raison de suspendre le contrat en
présence de l'existence d'un mécanisme tel que la
résolution anticipée; il conviendrait au contraire de mettre en
oeuvre cette dernière. Si le projet de la Chancellerie prévoit
que l'évidence de l'inexécution à venir justifie la
suspension du contrat, ce n'est qu'à défaut de présence de
mécanisme de résolution anticipée en droit positif. Si
notre système juridique concevait son existence, il paraîtrait
illogique d'admettre qu'une inexécution "certaine ou apparemment
certaine" puisse justifier la simple suspension du contrat alors
146. Art. 1220 du projet de réforme du droit des
contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais".
147. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 566
148. Terme employé par Aurélie BRES, Maitre de
conférence à l'Université Montpellier I: Aurélie
BRES, La résolution du contrat par dénonciation
unilatérale, Litec 2009. L'emploi de ce mot dénote qu'il n'est
pas obligatoire de détenir une "certitude absolue", quasiment impossible
à obtenir, sur l'inexécution future mais que la situation
actuelle laisse raisonnablement penser qu'il y aura inévitablement
inexécution de la part du débiteur.
149. Art. 1220 du projet de réforme du droit des
contrats: "Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais".
55
qu'une résolution de ce dernier serait possible.
L'exception pour risque d'inexécution deviendrait alors
un mécanisme complémentaire de la résolution
anticipée. Dans le cas où l'inexécution ultérieure
ne revêtirait pas un caractère "certain ou apparemment certain"
mais serait malgré tout sérieusement probable, le
créancier pourra alors opter pour l'application d'une exception pour
risque d'inexécution150. Bien que certains auteurs estiment
que cette mesure pourrait être prise chaque fois que l'inexécution
serait "simplement probable"151, il nous semble toutefois qu'il
conviendrait d'opter pour un champ d'application plus restrictif et exiger la
présence d'un degré de probabilité suffisant, à
savoir un doute sérieux quant à l'exécution future. Il est
en effet important de rappeler que l'exception pour risque
d'inexécution, bien que plus souple que la résolution
anticipée reste une mesure contraignante dont les conséquences ne
sont pas systématiquement réversibles. Certains auteurs ont
effectivement pu remarquer que la mise en oeuvre de l'exception
d'inexécution, et donc également l'exception pour risque
d'inexécution, pouvait déployer les mêmes effet qu'une
résolution partielle du contrat. Tel peut être le cas en
matière de contrat de travail152.
§2: conditions de forme
Il nous semble opportun de suivre les préconisations du
projet de la Chancellerie: à savoir que l'intention de suspendre le
contrat soit notifiée au débiteur dans les meilleurs
délais153.
Section 2: Les effets de l'exception pour risque
d'inexécution
La mise en oeuvre de l'exception pour risque
d'inexécution entraîne une suspension des obligations
contractuelles du créancier (§1). Il conviendrait toutefois
d'admettre la faculté de
150. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.238
151. Andréa PINNA, L'exception pour risque
d'inexécution, Rtd civ 2003 p.33
152. Denis TALLON et Donald HARRIS, Le contrat aujourd'hui:
comparaisons Franco-Anglaises (sous la direction de Jacques GHESTIN):
"L'exception d'inexécution suspend le contrat, ce qui peut conduire,
selon la remarque de J. Ghestin, à une situation irréversible,
équivalent à une résolution partielle (par exemple, en
matière de contrat de travail)"
153. Art. 1220 du projet de réforme du droit des
contrats, du régime général et de la preuve des
obligations: Une partie peut suspendre l'exécution de sa prestation
dès lors qu'il est manifeste que son cocontractant ne s'exécutera
pas à l'échéance et que les conséquences de cette
inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit
être notifiée dans les meilleurs délais.
56
basculer vers une résolution anticipée afin
d'éviter que la suspension ne perdure inutilement (§2).
1. La suspension de l'obligation
L'exception pour risque d'inexécution offre au
créancier la faculté de suspendre l'exécution de ses
propres obligations lorsqu'il est le manifeste que le débiteur
n'exécutera pas les siennes à échéance. Il convient
toutefois de rappeler, et c'est ce qui fait tout l'intérêt de ce
mécanisme, qu'à l'instar de l'exception d'inexécution
classique154, le contrat survit. Seul la résolution
entraîne la libération des parties155.
Notons toutefois que l'article 1188 du code civil qui dispose
que "ce qui n'est dû qu'à terme, ne peut être exigé
avant l'échéance du terme" s'oppose à ce que le
créancier puisse conditionner la levée de la suspension à
l'exécution immédiate des obligations par le débiteur. Ce
dernier pourra en revanche fournir une garantie suffisante de la bonne
exécution de ses obligations aux fins d'ordonner la levée de la
suspension.
2. L'éventuelle conversion en résolution
anticipée
Une fois l'exception pour risque d'inexécution mise en
oeuvre, le créancier pourrait délibérément
provoquer une résolution anticipée à la suite d'une
demande d'"assurance adéquate d'exécution" demeurée
infructueuse (A). Bien que cette faculté doive être maniée
avec précaution, elle permettrait malgré tout de
considérer que l'exception pour risque d'inexécution pourrait
revêtir dans de nombreux cas le caractère de simple
préalable à la résolution anticipée (B).
A\ La possibilité de provoquer la
résolution anticipée
Il est inopportun de laisser la suspension perdurer lorsque le
contrat est voué à l'échec. Telle est la raison pour
laquelle nous pourrions, en nous inspirant des dispositions de l'article 71 et
72 de la convention de Vienne156, concevoir que le créancier
puisse, à la suite d'une
154. Com 15 janvier 1973, bull. civ IV, n°24, p.18,
D.1973.473
155. Com 1er décembre 1992, rtd civ 1993. 578 obs.
J.Mestre
156. Comme le fait remarquer Andréa Pinna, la combinaison
de ces deux articles démontre que la Convention de Vienne relative
à la vente internationale de marchandise ne poursuit pas le but de
l'exception pour risque
57
demande d'"assurance adéquate d'exécution" au
débiteur, mettre fin au contrat. La probabilité de
l'inexécution ultérieure devenant une certitude apparente, la
résolution anticipée serait justifiée. Si le
débiteur fournit les justifications demandées, le
créancier ne pourra en revanche mettre en oeuvre ladite
résolution mais devra également lever la suspension de ses
obligations. Il faut également ajouter qu'une telle demande ne pourra
être formulée qu'en présence d'un risque sérieux
d'inexécution de la part du débiteur et que toute demande
intempestive sera sanctionnée157. Autrement dit, les
conditions relatives à l'exception pour risque d'inexécution
doivent avoir été dûment remplies afin de pouvoir demander
une telle attestation. Il est donc de l'intérêt du
créancier de manier cette faculté avec précaution car si
la mise en oeuvre abusive d'une exception pour risque d'inexécution
résultant d'une mauvaise appréciation du risque
d'inexécution, engagerait la responsabilité du créancier
fautif, l'application abusive d'une résolution anticipée
découlant d'une demande d'assurance d'exécution intempestive
à laquelle le débiteur n'aura pu répondre malgré
l'absence de risque sérieux d'inexécution, entraînera a
fortiori un dommage bien plus élevé qu'il conviendra de
réparer.
Celle-ci ne saurait constituer un subterfuge pour
échapper à l'exécution de ses propres obligations
contractuelles.
B\ L'exception pour risque d'inexécution comme
préalable à la résolution anticipée
Cette faculté de demander une "assurance
adéquate d'exécution" aux fins de résoudre le contrat,
à la suite d'une exception pour risque d'inexécution,
démontre l'évidente complémentarité entre ces deux
outils juridiques. L'exception pour risque d'inexécution ne devrait en
réalité constituer qu'un préalable à la
résolution anticipée158. Lorsque le risque
d'inexécution est manifeste, le créancier peut directement
procéder à la résolution du contrat. Mais lorsqu'un tel
risque n'est que sérieusement probable, le créancier pourra
suspendre l'exécution de sa propre prestation. Toutefois, afin
d'éviter que la situation ne perdure inutilement, le créancier
aura la faculté de demander une "assurance adéquate
d'exécution" aux fins de procéder à la résolution
du contrat en cas de défaut d'obtention. L'exception pour risque
d'inexécution aurait donc principalement pour objet de permettre au
créancier de suspendre l'exécution de ses obligations dans
l'attente que la simple probabilité d'inexécution devienne un
risque manifeste en raison de l'absence d'assurance suffisante
d'exécution. L'on
d'inexécution, à savoir la survie du contrat. Elle
ne serait, selon ce texte, qu'une mesure préalable à la
résolution du contrat.
157. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p.578
158. Andréa Pinna a pu démontrer qu'au regard
de la convention de la vienne relative à la vente internationale de
marchandise, l'exception pour risque d'inexécution constituait une
mesure préalable à la résolution anticipée.
58
peut toutefois noter que le créancier pourra
malgré tout s'abstenir de formuler une telle demande, lourde de
conséquences, et opter pour la suspension de sa prestation
jusqu'à l'échéance des obligations du débiteur.
59
Partie 2: La portée des mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution
L'introduction en droit positif des mécanismes
d'anticipation que sont la résolution anticipée et l'exception
pour risque d'inexécution apporterait nombre d'innovations et
bouleversements au sein de notre système juridique. Une voie serait
ainsi ouverte vers la consécration de concepts contractuels largement
étudiés par la doctrine mais malgré tout appliqué
de manière marginale à ce jour (Titre 1). L'admission de tels
mécanismes entraînerait par ailleurs un inévitable
bouleversement de notre vision actuelle du régime de la
responsabilité contractuelle (Titre 2).
60
Titre 1: La consécration de principes
novateurs
L'admission des mécanismes d'anticipation inviterait le
juriste français à reconnaître explicitement deux principes
novateurs: le principe de confiance légitime (Chapitre 1) et celui
d'efficacité économique du contrat (Chapitre 2).
61
Chapitre 1: Le principe de confiance
légitime
Une analyse historique, doctrinale et jurisprudentielle permet
d'établir le constat, trop souvent oublié, selon lequel le
contrat serait un "acte de foi". Or l'idée selon laquelle le
créancier pourrait résoudre le contrat par anticipation en raison
de la rupture du lien de confiance inhérent à toute relation
contractuelle renforcerait ce constat (Section 1). Le législateur
français se montre malgré tout réticent à
l'idée de fonder la force obligatoire du contrat sur le principe de
confiance légitime (Section 2).
Section 1: Le contrat comme "acte de foi"
La consécration du principe de confiance légitime
en droit positif inviterait nécessairement le juriste français
à adopter une vision assouplie de la force obligatoire du contrat
(§1). Un tel assouplissement permettrait de concevoir que la "trahison" du
créancier avant même que l'inexécution ait eue lieu
pourrait justifier l'anéantissement du lien contractuel (§2).
§1: l'assouplissement de la force obligatoire du
contrat
La force obligatoire du contrat se fonde traditionnellement sur
la théorie de
l'autonomie de la volonté ainsi que sur le dogme du
respect de la parole donnée (A). Nous nous efforcerons malgré
tout de proposer un nouveau fondement viable de la force obligatoire du
contrat, à savoir le principe de confiance légitime (B), avant
d'en étudier les conséquences sur notre système juridique
(C).
A\ Rappel sur la conception traditionnelle de la force
obligatoire du contrat
L'incontournable principe de force obligatoire du contrat a
été cristallisé par les rédacteurs du code civil au
sein du célèbre article 1134 de leur oeuvre. Son premier
alinéa précise en effet solennellement que "les conventions
légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont
faites". Il ressort de ce texte une volonté marquée des
rédacteurs de conférer
62
au lien contractuel une très grande vigueur: le contrat
s'impose aux parties de la même manière que la loi s'impose
à l'ensemble des citoyens159. On retrouve ainsi à
travers ce texte les traces de la théorie de l'autonomie de la
volonté issue de la philosophie des lumières. "De même que
la loi, expression de la volonté générale, serait le
contrat que passent tous les hommes vivants en société, de
même le contrat serait la loi que des volontés
particulières se donnent à elles-mêmes"160.
Selon les philosophes des lumières, l'homme est "fondamentalement libre"
et c'est en raison de cette liberté qu'il ne pourrait être
assujetti à d'autres individus que dans les cas où il l'aura
voulu161.
Les rédacteurs du code civil ont malgré tout
pris soin d'instaurer une limite au pouvoir de la volonté en exigeant
que les conventions aient été formées "légalement".
Comme l'ont affirmé François Terré, Philippe Simler et
Yves Lequette, "contracter c'est employer un instrument forgé par le
droit". L'adhésion à la théorie de l'autonomie de la
volonté n'est donc que partielle162.
Cette théorie n'est par ailleurs l'unique fondement de
la force obligatoire du contrat. Celle-ci puise également ses racines
dans le droit canonique. Le code civil a effectivement été
fortement influencé par les principes moraux de l'église
catholique dont le célèbre dogme du "respect de la parole
donnée"163. Si les stipulations contractuelles disposent
d'une force contraignante, c'est donc, certes, parce qu'elles sont issues de la
volonté de leur auteur, mais aussi et surtout, en raison du fait que
tout un chacun se doit de tenir ses promesses. Il ressort alors des
dispositions du code civil une vision profondément moraliste et
ancestrale du contrat.
Cette approche du droit des contrats, face à
l'influence des systèmes juridiques étrangers et aux exigences
pratiques de la vie des affaires, tend à être de plus en plus
remise en cause par une partie de la doctrine. La question de l'anticipation du
risque d'inexécution, suscitée par les impératifs de
célérité et d'efficacité de la vie des affaires,
peut également jouer un rôle majeur dans cette remise en question
et inviter le législateur à s'interroger sur un éventuelle
remodelage de sa conception de la force obligatoire du contrat.
159. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
160. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
161. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013, p.485
162. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013
163. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013
63
B\ Proposition d'un nouveau fondement de la force
obligatoire du contrat
Si le lien de confiance est inhérent à la formation
et au maintien de toute relation contractuelle (1), celle-ci devrait pouvoir
être qualifiée de "légitime" sans quoi elle ne permettrait
aucunement de protéger la sécurité contractuelle des
parties (2).
1. La confiance en droit des contrats
La difficile mise en pratique de la théorie de l'autonomie
de la volonté (a) ne pourrait qu'inviter le juriste français
à procéder à la redécouverte de l'ancestrale notion
de confiance (b).
a) L'insuffisance du pouvoir de la volonté
De nombreux auteurs estiment que le fait de fonder
l'obligation sur le simple pouvoir de la volonté constitue une approche
dépassée. Être obligé en raison du simple fait que
l'on doit tenir ses promesses correspond à un dogme, un principe moral
qui ne répond qu'imparfaitement au pragmatisme juridique que suscite la
vie des affaires. Si la création et le maintien de liens contractuels
viables nécessitent que les cocontractants soient fidèles
à leur parole, ils exigent plus globalement une certaine
fiabilité de la part de ces derniers. Or qu'est ce que la
fiabilité d'un contractant si ce n'est le sentiment de confiance que sa
parole, ou encore son comportement, aura fait naître chez l'autre
partie?164 La parole donnée ne peut avoir de sens qu'en
fonction de la manière dont elle aura été
réceptionnée. Elle ne saurait alors, selon les fidéistes,
fonder à elle seule la force obligatoire du contrat. Selon Emmanuel
Lévy, auteur considéré comme le "père fondateur" du
fidéisme contractuel, "ce qui fait le lien contractuel, c'est la
confiance qu'inspire au créancier la promesse du débiteur". Il
ressort de ce courant doctrinal, l'observation selon laquelle le contrat serait
un "acte de foi". Il ne s'agit pas de "nier la puissance de la volonté"
mais de "souligner son insuffisance". En effet, "même dans une
perspective exclusivement fondée sur la volonté, le contrat exige
d'abord que l'on
164. V. Edel a pu ainsi affirmer que "la volonté du
débiteur n'est plus la mesure de son engagement. Il lui est
préféré son comportement pris dans la phase de formation
du contrat. La question que doit se poser le juge est de savoir si ce
comportement a pu donner naissance chez le créancier à une
confiance légitime dans l'exécution du contrat" (V.EDEL, La
confiance en droit des contrats, thèse Montpellier I, 2006, p.212).
64
croit à la volonté de celui qui
s'engage"165.
b) La redécouverte de la notion de confiance
La confiance sous-tend l'harmonisation des relations humaines.
Toute société nécessite la création de liens de
confiance entre les individus qui la composent. Les travaux en commun, la vie
en entreprise, et plus globalement, tout ce qui procède d'une certaine
coopération entre les individus, nécessite le tissage de nombreux
liens de confiance. C'est encore plus vrai dans le domaine du droit des
contrats qui constitue le socle des échanges commerciaux. Certes,
l'encadrement juridique de tout échange traduit une certaine part de
défiance: le contrat est avant tout un instrument ayant pour objet de
protéger les intérêts de chacune des parties en cas de
litige. Toutefois, nul ne pourrait nier que la conclusion d'un contrat
constitue la manifestation d'une "confiance donnée et
reçue"166.
Cette omniprésence de la notion de confiance au sein de
la vie des affaires, et par conséquent, dans les relations
contractuelles, dénote à la fois une évidence
psychologique et une existence historique. La notion de confiance en
matière contractuelle n'est pas nouvelle et l'idée d'en faire un
nouveau fondement de la force obligatoire du contrat procéderait moins
d'une innovation que d'une simple redécouverte.
On retrouve d'anciennes traces de cette idée de
confiance à travers la notion de bona fides en droit romain.
Avant l'ouverture de l'empire romain aux étrangers, les cocontractants
donnaient leur engagement envers la déesse fides qui
représentait la fidélité et constituait "la
personnification divine de la bonne foi, de la confiance qui doit
présider aux conventions publiques des peuples et aux transactions
privées entre individus"167. Suite à l'expansion de
l'empire, la notion religieuse de fides a évolué vers
celle de bona fides qui était assimilé à un "code
supranational de bonne conduite"168. Il s'agissait alors d'un
concept laïque résultant d'une approche pragmatique: on ne pouvait
aisément développer des relations d'affaires avec les
pérégrins en soumettant ces derniers au jus civile romain.
Celui-ci étant basé sur la religion, les étrangers
demeuraient insensibles à ses nombreux rites. La bona fides
constituait
165. A. CHIREZ, De la confiance en droit contractuel,
Thèse Nice 1977, p.489, n°362
166. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.153
167. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE,
Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
168. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE,
Introduction historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
65
le "substrat nécessaire à toute relation et
(impliquait) la réciprocité et la confiance"169. Il
s'agissait en quelque sorte de purger la notion de bonne foi et de confiance de
son aspect religieux. L'ouverture de la cité romaine au monde
extérieur induisait alors un recul du formalisme pour laisser place
à une approche à la fois moraliste et pragmatique du droit des
contrats. La force obligatoire du contrat en droit romain reposait donc
indéniablement sur la notion de confiance.
2. La légitimité de la confiance accordée
Si certaines paroles ou actions du débiteur peuvent
inévitablement faire naître une certaine croyance chez le
créancier, encore faudrait-il que ce dernier n'en ait pas
déformé la portée170. Autrement dit,
faudrait-il s'assurer que le créancier n'eut pas simplement "entendu ce
qu'il eut envie d'entendre". Telle est la raison pour laquelle, les
fidéistes ajoutent le terme "légitime" à la notion de
confiance. Celle-ci ne doit pas simplement naître de ce que le
créancier aura pu croire, mais de ce qu'il aura "raisonnablement" pu
croire. L'obligation du débiteur doit alors se fonder sur la confiance
légitime que ses paroles, ou encore son attitude, auront fait
naître chez le créancier. La légitimité de la
confiance ne peut donc s'apprécier qu'en fonction d'un
"élément extérieur et observable"171 et non du
for intérieur du créancier. En effet, le juge ne saurait avoir
pour fonction de sonder les consciences et doit être en mesure de
s'appuyer sur des éléments concrets. Alexis Albarian
évoque ainsi l'"idée d'une confiance objective voire
normative"172. Il s'agit par ailleurs de la conception que
retiennent les systèmes juridiques de common law qui considèrent
la "reliance", comme l'un des fondements de la force obligatoire du
contrat173 et prennent soin de distinguer celle-ci de la notion de
"confidence" qui désigne un "état intérieur,
largement fondé sur l'intuition", renvoyant ainsi à la confiance
subjective174.
169. Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction
historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65
170. P. LOKIEC, "Le droit des contrats et la protection des
attentes", D.2007.321
171. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance
légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité
(droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990,
p.25, n°8
172. Alexis ALBARIAN, Le fidéisme contractuel, Revue
de droit international et de droit comparé, p.601 et s.
173. René DAVID et David PUGSLEY avec la collaboration
de Françoise Grivart de Kerstrat, Les contrats en droit anglais, LGDJ,
1985
174. O. MORETEAU, L'estoppel et la protection de la confiance
légitime. Elements d'un renouveau du droit de la responsabilité
(droit anglais et droit français), Thèse dact., Lyon III, 1990,
p.25, n°8
66
C\ Conséquences de la confiance légitime
comme fondement de la force obligatoire du contrat
La reconnaissance du principe de confiance légitime
comme fondement de la force obligatoire du contrat aurait pour
conséquence d'assouplir cette dernière. Le respect de la parole
donnée signe un engagement envers Dieu alors que le respect de la
croyance suscitée marque un engagement envers l'autre. Cette
deuxième vision de la force obligatoire du contrat ouvre la voie vers
une conception assouplie du lien contractuel. La rupture du contrat pourrait
émaner non plus du seul consentement mutuel des parties, mais de la
perte légitime de confiance de l'un des cocontractants. Le
créancier dont la confiance aura été trahie ne serait plus
aliéné par ses propres obligations contractuelles et pourrait
mettre fin au contrat. Admettre ce nouveau fondement revient donc à
reconnaître que la solidité du lien contractuel ne peut reposer
que sur une relation de confiance. Il y aurait donc lieu d'en déduire
à première vue, que lorsque le créancier a des raisons
légitimes d'estimer que son débiteur n'exécutera pas ses
obligations ultérieures, il pourrait, sous certaines conditions,
procéder à la suspension ou encore, à la résolution
du contrat. Bien que l'idée de confiance légitime puisse ouvrir
une brèche vers l'admission de mécanismes d'anticipation tels que
l'exception pour risque d'inexécution ou la résolution
anticipée, la portée d'un tel fondement resterait malgré
tout cantonnée à certaines hypothèses
particulières.
§2: La confiance du créancier trahie
Si nous pourrions concevoir que le principe de confiance
légitime puisse constituer un fondement de la force obligatoire du
contrat, force serait alors d'admettre que la rupture du lien de confiance
légitime devrait offrir au créancier "trahi" la faculté de
résoudre le contrat par anticipation (A). Corollairement, l'admission de
la résolution anticipée fondée sur la perte de confiance
inviterait le législateur à reconnaître le principe de
confiance légitime en droit positif (B).
A\ Rupture du lien de confiance et anticipation de
l'inexécution
La jurisprudence a d'ores et déjà pu
considérer que le débiteur était tenu d'une obligation
implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier
(1). Bien que l'inexécution d'une telle obligation possède un
caractère actuel ne justifiant la mise en oeuvre
67
que d'une résolution pour inexécution, il est
malgré tout opportun de constater qu'elle constitue en
réalité un fondement indirect de la résolution
anticipée (2). Toutefois, l'obligation de ne pas porter atteinte
à la confiance du créancier ne saurait recouvrir toute les
situations de fait objectives traduisant un risque manifeste
d'inexécution: elle ne constitue alors qu'un fondement partiel de la
résolution anticipée. En effet, seul le comportement
exécutoire déloyal pourrait être assimilée à
l'inexécution d'une telle obligation (3).
1. L'atteinte à la confiance du créancier comme
inexécution d'une obligation implicite
En vertu du principe de confiance légitime, les
obligations du débiteur naissent de la croyance raisonnable que son
attitude aura fait naître chez le créancier. Cette règle a
pour corollaire l'évidence selon laquelle le lien de confiance serait
rompu dans le cas où l'attitude du débiteur laisserait
légitimement penser qu'il n'exécutera pas ses obligations
futures. Telle est du moins la portée de l'une des solutions rendues par
la cour de cassation en 1927175. Mme Vanwijck-Alexandre traduit
cette affirmation par l'existence d'"une obligation de ne pas porter atteinte
à la confiance du créancier"176. L'inexécution
d'une telle obligation constituerait ainsi un manquement au sens de l'article
1184 du code civil. Le comportement tendant à faire obstacle à
l'exécution des obligations contractuelles à échoir ne
constituent donc pas, à proprement parler, une inexécution
anticipée. Il s'agit théoriquement d'une inexécution au
sens strict, donnant alors lieu à l'application de la résolution
judiciaire pour inexécution.
2. L'atteinte à la confiance du créancier comme
fondement indirect de l'anticipation
Si le caractère actuel de l'inexécution de
l'obligation implicite justifie la mise en oeuvre de la résolution pour
inexécution, il convient malgré tout de s'intéresser aux
effets recherchés. Son application n'a pas pour finalité de
sanctionner le comportement exécutoire du débiteur en lui
même mais de prévenir le résultat de ce comportement:
à savoir, l'inexécution future potentielle. La résolution
pour inexécution en tant que sanction de l'attitude du débiteur
faisant obstacle à l'exécution de ses obligations futures,
constitue principalement une manière détournée d'anticiper
le risque d'inexécution engendré par un tel comportement. La mise
à nu de ce détour trahit l'absence regrettable de
mécanisme d'anticipation en droit positif, et permet
175. Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65
176. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection
du créancier à terme. Les droits belges et français face
à l'"anticipatory breach" de la Common law, préf. David-Contant
(S.). Liège, 1982, n°235, p.498. De façon
générale, v. N°234 ets., pp. 493 et s
68
d'affirmer que l'atteinte à la confiance du
créancier constitue un fondement indirect de la résolution
anticipée. La résolution mise en oeuvre possède en effet
le caractère d'un mécanisme d'anticipation: le montant des
dommages-intérêts accompagnant la résolution177
correspondrait nécessairement à la perte et au gain manqué
résultant de l'inexécution future. Autrement dit,
l'évaluation du montant des dommages-intérêts sanctionnant
l'inexécution de l'obligation implicite de ne pas porter atteinte
à la confiance du créancier tiendrait compte de l'existence d'une
autre obligation: l'obligation à échoir stipulée dans le
contrat178. Ce non sens révèle que la perte de
confiance du créancier résultant du comportement du
débiteur entraîne en réalité la mise en oeuvre d'un
mécanisme d'anticipation qui ne dit pas son nom, à savoir une
résolution anticipée.
3. L'atteinte à la confiance du créancier comme
fondement partiel de l'anticipation
Mme Vanwijck-Alexandre effectue un lien entre l'obligation
implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du cocontractant et
l'obligation d'exécuter le contrat de bonne foi179 en
s'appuyant notamment sur l'article 1135 du code civil180181.
L'idée de confiance légitime serait donc, selon cet auteur, une
émanation du concept de bonne foi contractuelle. La rupture du lien de
confiance découlerait d'un comportement exécutoire de mauvaise
foi. Ce rattachement à la notion de loyauté contractuelle
s'explique par l'idée selon laquelle la confiance est avant
177. Il convient de rappeler qu'aux termes de l'article 1184
du code civil, la résolution judiciaire pour inexécution peut
s'accompagner de dommages-intérêts.
178. Certains auteurs démentent l'existence d'une
obligation implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du
créancier en se fondant sur l'"absence d'autonomie" de celle-ci par
rapport à l'obligation à échoir. Tel est le cas de
Yves-Marie Laithier qui évoque la difficulté de distinguer le
préjudice résultant de l'inexécution de porter atteinte
à la confiance du cocontractant dans l'exécution future et le
préjudice résultant de l'obligation à terme. Thomas
Genicon qualifiera cette argumentation de "faux-procès" et
répondra notamment que le fait que "l'exécution forcée ou
les dommages-intérêts soient mal adaptés ou même
impuissants pour sanctionner une obligation ne suffit pas d'une part à
nier son existence, d'autre part, à lui refuser la qualité
d'obligation contractuelle". Il explique ensuite que "c'est parce qu'il trahit
la foi du contrat et mérite pour cela d'être sanctionné que
le contrat sera détruit". Pour notre part, il nous semble effectivement
que l'atteinte à la confiance du créancier appelle une sanction
spécifique. N'en reste t-il pas moins que l'objectif principal
recherché est de se prémunir contre le risque
d'inexécution de l'obligation stipulée dans le contrat. Il y
aurait toutefois lieu de concevoir que l'atteinte à la confiance du
créancier appellerait une mise à l'écart du principe de
réparation du dommage prévisible, lequel n'a pas vocation
à s'appliquer en cas de dol du débiteur, et donc entraîner
une allocation de dommages-intérêts d'un montant correspondant au
gain manqué et à la perte résultant de
l'inexécution de l'obligation stipulée, que l'étendue du
dommage eut été prévisible ou non.
179. Article 1134 alinéa 3 du code civil: Les conventions
légalement formées "doivent être exécutées de
bonne foi".
180. Article 1135 du code civil: "Les conventions obligent non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les
suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à
l'obligation d'après sa nature."
181. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection
du créancier à terme. Les droits belges et français face
à l'"anticipatory breach" de la Common law, préf. David-Contant
(S.). Liège, 1982, n°235, p.498. De façon
générale, v. N°234 ets., pp. 493 et s. ; Thomas Genicon, La
résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.231
69
tout un concept psychologique. Celle-ci se définit en
effet comme le "sentiment de quelqu'un qui se fie entièrement à
quelqu'un d'autre, à quelque chose"182. Appliquée dans
le cadre du contrat, elle traduit nécessairement l'existence d'une
relation unissant les deux cocontractants qui serait fondée sur un
sentiment de bienveillance et de sécurité. La rupture d'une telle
relation ne saurait alors résulter de circonstances indépendantes
de la volonté des cocontractants. Le créancier situé face
à un risque d'inexécution, ne pourrait évoquer une "perte
de confiance" lorsque ledit risque proviendrait de circonstances
indépendantes de la volonté du débiteur. Il ne pourrait
l'évoquer qu'en présence d'une action positive ou négative
du débiteur tendant à mettre volontairement en danger le lien
contractuel. Autrement dit, l'atteinte à la confiance du
créancier serait caractérisé par une manoeuvre
déloyale du débiteur. Force est donc d'admettre que si la
présence d'un risque sérieux d'inexécution pourrait
générer un sentiment d'anxiété chez le
créancier, l'atteinte à la confiance de ce dernier ne pourrait
provenir que de la mauvaise foi du débiteur.
On observe dès lors les limites de l'obligation
implicite de ne pas porter atteinte à la confiance du créancier.
Celle-ci recouvre seulement les hypothèses où le débiteur
aura eu un comportement exécutoire déloyal tendant à faire
obstacle à l'exécution de ses obligations futures. Ce
comportement pourrait par exemple se traduire par la préparation
volontaire de son insolvabilité avant l'échéance de ses
obligations contractuelles, ou encore la manifestation d'un refus
injustifié d'exécuter ses obligations ultérieures.
Cette obligation implicite ne pourrait en revanche recouvrir
l'ensemble des cas où le risque d'inexécution découlerait
de circonstances indépendantes de la volonté du débiteur
telles que la force majeure ou le cas fortuit. De même, elle ne pourrait
recouvrir le cas où le débiteur de bonne foi signalerait
"honnêtement à son créancier que sa situation
financière s'est effondrée et qu'il ne sera vraisemblablement pas
en mesure d'honorer ses engagements", quand bien même une telle situation
lui serait imputable183.
Ces dernières représentent toutefois de
nombreuses hypothèses alors que les intérêts
économiques du créancier doivent malgré tout être
protégés184. Telle est la raison pour laquelle il
existe un autre fondement permettant de justifier la résolution
anticipée: le principe d'efficacité
économique185, issu des systèmes juridiques
anglo-saxon, qui justifie notamment l'évidence selon laquelle le
créancier doit pouvoir être libéré d'un contrat
voué à l'échec.
182.
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/confiance
183. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.232
184. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.232
185. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007
70
Il ressort de ces constatations que l'obligation de ne pas
porter atteinte à la confiance du créancier constitue un
fondement partiel et utile de la résolution anticipée. Partiel
car elle ne saurait recouvrir l'ensemble des hypothèses
génératrices de risques manifestes d'inexécution. Et utile
car l'application de ce fondement aux hypothèses adéquates
permet, outre l'anticipation du risque d'inexécution, d'éviter
d'une part la mise en oeuvre du devoir de minimisation du dommage pesant sur le
créancier dans le cadre de la résolution anticipée
fondée sur l'efficacité économique du
contrat186, et d'autre part, d'écarter l'application du
principe de réparation du seul dommage prévisible, le dol du
débiteur s'y opposant187. La déloyauté du
débiteur s'opposerait en effet à l'existence d'une telle
obligation de minimisation du dommage à la charge du créancier et
impliquerait un durcissement de la sanction du débiteur. L'obligation de
ne pas porter atteinte à la confiance du créancier aurait
également pour intérêt d'autoriser la résolution du
contrat par anticipation sans avoir à démontrer la
présence d'un risque "manifeste" d'inexécution: l'unique preuve
d'un comportement exécutoire déloyal tendant à
échapper à ses obligations futures suffirait. De toute
évidence, la déloyauté postulerait en elle-même un
risque sérieux d'inexécution.
L'application du principe de confiance légitime
permettrait donc de sanctionner spécifiquement le débiteur qui
tenterait volontairement d'échapper à ses obligations
ultérieures alors que les autres hypothèses présentant un
risque d'inexécution seraient régies sur le fondement du principe
d'efficacité économique du contrat.
B\ Admission des modes d'anticipation et reconnaissance
du principe de confiance légitime
L'admission de ces deux mécanismes donnerait un
argument de poids pour inviter le législateur a reconnaître le
principe de confiance légitime en droit positif. L'exemple de la
résolution anticipée dévoile en effet l'importance de
l'une des nombreuses composantes de la bonne foi contractuelle188:
la confiance légitime. Cette dernière, pourrait, à partir
de cette
186. Voir infra, p.82
187. Article 1150 du code civil: "Le débiteur n'est
tenu que des dommages et intérêts qui ont été
prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est
point par son dol que l'obligation n'est point exécutée."
188. La doctrine est cependant divisée sur ce point.
À l'inverse de M Vanwijck-Alexandre, Alexis Albarian estime que si il
existe certains points de convergence entre la doctrine solidarisme et le
fidéisme contractuel, ce dernier ne s'appuie aucunement sur la notion de
bonne foi. Pour cet auteur, la confiance légitime est une notion
autonome. Pour notre part, il nous semble pour les raisons
précédemment évoquées (voir supra, p.68) que la
notion de confiance légitime devrait être rattachée
à celle de bonne foi. On peut également noter pour appuyer notre
argumentation que le droit romain ne dissociait pas les concepts de bonne foi
et de confiance: E. Chevreau, Y. Mausen et C. Bouglé affirment en effet
que la déesse fides constituait "la personnification divine de la
bonne
71
application exemplaire en matière de résolution
anticipée, devenir l'un des piliers du droit des contrats et constituer
une alternative de taille au principe de l'autonomie de la volonté que
certains auteurs n'hésitent pas à qualifier de
"pseudo-philosophie impraticable"189.
Admettre que la confiance du créancier puisse
être trahie et fonder la mise en oeuvre d'une résolution
anticipée reviendrait à reconnaître que le contrat repose
sur un lien de confiance. La vision traditionnelle du contrat reposant sur la
puissance de la volonté pourrait alors être remise en cause.
Partant, admettre que le créancier puisse résoudre le contrat en
raison d'une perte de confiance revient à fonder la résolution
anticipée sur une apparence extérieure190: le
comportement exécutoire du débiteur. Cette vision s'écarte
radicalement du principe d'autonomie de la volonté qui commanderait que
seul la volonté puisse défaire ce qu'elle a créé.
On peut donc raisonner a contrario et affirmer que si des obligations
contractuelles peuvent disparaître en raison d'une perte de confiance,
elles peuvent également naître d'un gain de confiance et non d'une
simple volonté de s'engager. On retrouve ainsi la thèse des
fidéistes selon laquelle "l'attitude, le comportement d'une personne,
ses qualités particulières, ainsi que la nature des relations qui
l'unissent à son partenaire, peuvent être le fondement d'une
confiance qui oblige de façon autonome celui qui l'inspire". Ce qui
compte, ce n'est pas le fait qu'un contractant ait voulu s'engager mais la
croyance légitime que son comportement aura suscité chez l'autre
partie. De cette croyance légitime naît alors un lien de confiance
qui engage le débiteur.
L'application de la résolution anticipée du
contrat pour perte de confiance met ainsi en évidence la
fragilité de la théorie de l'autonomie de la volonté. Si
la rupture du lien de confiance peut justifier la résolution du contrat,
la création d'un tel lien peut a contrario donner naissance au contrat.
L'importance du principe de confiance légitime met en évidence
l'idée selon laquelle la volonté en elle même n'a aucun
pouvoir. C'est la confiance qu'elle aura légitimement suscité
chez le cocontractant qui engendrerait des effets juridiques.
foi, de la confiance qui doit présider aux conventions
publiques des peuples et aux transactions privées entre individus". Les
auteurs mettent ainsi en avant l'idée de "réciprocité"
bienveillante devant régner entre les cocontractants, à savoir,
un lien de confiance impliquant un comportement de bonne foi de part et
d'autre. (Emmanuel CHEVREAU, Yves MAUSEN, Claire BOUGLE, Introduction
historique au droit des obligations, Litec, Paris, 2007, p.65)
189. G. ROUHETTE, Contribution à l'étude critique
de la notion de contrat, Thèse Paris 1965, p.411
190. Ce qui n'est pas le cas de la résolution pour
inexécution classique où cette dernière est
avérée et judiciairement validée.
72
Section 2: Les réticences du droit
français
La réticence à l'idée d'admettre le concept
de confiance légitime pourrait s'expliquer par l'idée de
méfiance et de contrôle absolu irriguant le droit français.
Un tel principe, sur lequel se fonderait les mécanismes d'anticipation,
nécessiterait effectivement une certaine souplesse juridique accrue
(§1). Il conviendra malgré tout de démontrer que la
reconnaissance du principe de confiance légitime ne saurait bouleverser
la conception traditionnelle du droit des contrats fondée sur une
approche à la fois morale et libérale (§2).
§1: La méfiance de principe en droit
français
Le professeur Laurent Aynès dresse le constat selon
lequel la mentalité française serait imprégnée d'un
grand scepticisme191 qui tranche radicalement avec "l'optimisme
anglo-américain". Il n'est alors pas étonnant de constater que
la reliance constitue dans les pays de common law, le socle du droit
des contrats.
Nous pouvons aisément ressentir ce scepticisme à
travers notre système juridique complexe et rigide. La doctrine
évoque fréquemment la célèbre comparaison entre les
jardins à la française, géométriques,
ordonnés et soigneusement cultivés et les jardins à
l'anglaise, d'apparence plus naturelles et forestières pour expliquer
les différences juridiques entre le droit français et les droits
de common law. Le législateur français prévoit de
nombreuses règles contraignantes pour régir l'économie de
marché alors que les juristes anglo-saxon sont davantage
imprégnés de l'idée selon laquelle l'économie
serait régulée par une "main invisible"192. Il
découle de cette idéologie française un ensemble de
règles contraignantes auxquelles doit se soumettre le contrat,
instrument incontournable des relations commerciales. Cela se traduit par
l'existence de nombreuses règles formalistes193 (A) ainsi
qu'une méfiance prononcée du législateur pour la
résolution du contrat sans intervention du juge194 (B), et a
fortiori pour toute possibilité d'anticipation du futur contractuel par
les cocontractants (C).
191. L. AYNES écrit, non sans un brin d'ironie: "Le
français se méfie de tout, il se méfie de l'Etat, il se
méfie de son voisin, il se méfie du fisc, le fisc se méfie
du citoyen, le citoyen se méfie de l'Administration, etc." (Laurent
AYNES, La confiance en droit privé des contrats, in La confiance en
droit privé des contrats (sous la direction de Valérie-Laure
BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.154)
192. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776
193. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155
194. Laurent AYNES, La confiance en droit privé des
contrats, in La confiance en droit privé des contrats (sous la direction
de Valérie-Laure BENABOU et Muriel CHAGNY), Dalloz, 2008, p.155
73
A\ Méfiance et formalisme
Le droit français des contrats est dominé par de
nombreuses règles formalistes. Cet ensemble d'obligations contraignantes
traduit une méfiance généralisée: méfiance
à l'égard de l'autre partie, méfiance à
l'égard de l'interprète. Si les parties n'ont pris soin de
stipuler une clause résolutoire claire et précise, la
résolution pour inexécution doit en principe être
demandée en justice.
B\ Méfiance et unilatéralisme
On dénote une certaine frilosité du
législateur quant à l'idée de donner au créancier
victime d'une inexécution, actuelle ou future, le pouvoir de
résoudre lui-même le contrat. La méfiance est de mise
à son égard. Par conséquent, il existe en droit
français un principe de résolution judiciaire du contrat à
l'inverse de nombreux systèmes juridiques tels que le droit anglo-saxon
où le principe est celui de la résolution unilatérale. Or
nous pouvons affirmer, non sans ironie, que l'application du principe de
confiance légitime nécessite tout d'abord que l'on "fasse
confiance" au créancier. Il ne s'agirait évidemment pas
d'octroyer un pouvoir de résolution illimité au créancier
mais d'éviter qu'une situation urgente ne soit bloquée par une
procédure judiciaire lente et coûteuse. Il s'agirait donc
notamment d'éviter que le créancier "trahi" par son
débiteur soit prisonnier d'un lien contractuel voué à
l'échec. Le comportement exécutoire déloyal du
débiteur tendant à entraîner un risque d'inexécution
appelle une prise de mesure rapide et efficace. Telle est la raison pour
laquelle, il serait opportun de conférer au créancier une
certaine autonomie. Le risque de résolution abusive serait alors
limité par un contrôle a posteriori, le débiteur pouvant en
effet contester la résolution en justice. Une dérogation au
principe de résolution judiciaire195 est toutefois
prévu depuis plus d'un siècle en jurisprudence. Le
créancier peut résoudre le contrat à ses "risques et
périls" lorsque les "relations contractuelles impliquent une dose
particulière d'entente, voire de confiance" et qu'"une faute
particulièrement grave" est commise par l'un des
contractants196. L'évolution de la vie des affaires a
rapidement incité la haute juridiction à pallier cette
"méfiance" des rédacteurs du code civil. On peut donc affirmer
que l'idée de résolution unilatérale existe
déjà en droit positif, "même si l'article 1184 n'en rend
pas compte"197. N'en reste t-il pas moins
195. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE affirment que la haute
juridiction a "posé une dérogation à l'article 1184 du
code civil".
196. Fr. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e
édition, dalloz, 2013, p.711; civ 26 févr 1896, S.97.1.187 ; 25
avril 1936, DH 1936.331; Soc 22 oct 1991, D. 19923.189, note Karaquillo
197. F. TERRE, P. SIMLER et Y. LEQUETTE, Les obligations, 11e
édition, dalloz, 2013, p.714
74
qu'une meilleure sécurité juridique commanderait
que cette faculté soit expressément inscrite dans le marbre de la
loi à l'instar de certaines législations étrangères
ou traités internationaux198. Partant, le projet de la
chancellerie semble avoir pris acte de cette nécessité. Bien
qu'il ne mentionne aucunement l'idée de résolution
anticipée ou de principe de confiance légitime, il consacre la
possibilité de résoudre unilatéralement le contrat pour
inexécution199.
C\ Méfiance de l'avenir
Le comportement exécutoire déloyal du
débiteur peut, à juste titre, provoquer chez le créancier
un sentiment d'anxiété, une "méfiance légitime";
d'où son désir potentiel de "prendre les devants" et "faire comme
si" l'inexécution avait déjà eu lieu pour résoudre
le contrat200. L'application du principe de confiance
légitime implique que le créancier puisse résoudre le
contrat lorsque le lien de confiance est rompu et non lorsque
l'inexécution a d'ores et déjà eu lieu. Or, perte de
confiance légitime et inexécution contractuelle ne se confondent
pas nécessairement. Il est fréquent, en raison de la
présence d'un comportement exécutoire déloyal, que la
perte de confiance du créancier précède
l'inexécution par le débiteur. Cependant, si le créancier
se méfie du débiteur, le législateur se méfie
également du créancier. Alors que le législateur
n'adhère pas à l'idée de laisser à ce dernier la
faculté de résoudre unilatéralement le contrat, il est a
fortiori encore plus réfractaire à l'idée de lui laisser
la possibilité d'exercer ce même pouvoir par anticipation. Il
convient par ailleurs de rappeler que la résolution anticipée,
tout comme l'exception pour risque d'inexécution, ne peuvent être
efficaces que si elles sont appliquées de manière
unilatérale201. La saisine des tribunaux priverait en effet
inévitablement ces mécanismes de leur objet principal: à
savoir, le gain de temps et la réduction du préjudice qui en
découlerait.
Nous l'avons vu, l'admission de la résolution
anticipée participerait indirectement à
198. Art 324, 325 BGB; Art 7.3.1 des Principes Unidroit; Article
49 et 64 de la Convention de Vienne
199. Art. 1224 du projet d'ordonnance portant réforme
du droit des contrats, du régime général et de la preuve
des obligations: "La résolution résulte soit de l'application
d'une clause résolutoire, soit, en cas d'inexécution suffisamment
grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une
décision de justice."
Art. 1226 alinéa 1du projet d'ordonnance portant
réforme du droit des contrats, du régime général et
de la preuve des obligations: "Le créancier peut, à ses risques
et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Il doit
préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de
satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable."
200. J.C. HALLOUIN, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, Thèse Poitier 1979; Fall PARAISO,
Le risque d'inexécution de l'obligation contractuelle, PUAM, 2011;
Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions de
l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007
201. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007
75
l'élaboration d'un véritable principe de
confiance légitime en droit positif. Inversement, la notion de confiance
légitime constitue un fondement viable de la résolution
anticipée, bien qu'elle soit actuellement utilisée par les juges
pour fonder la résolution pour inexécution
classique202. Nous avons toutefois démontré qu'il ne
s'agissait que d'un subterfuge pour prémunir le créancier d'un
risque d'inexécution manifesté par un comportement
exécutoire déloyal. Autrement dit, la confiance légitime
fonderait indirectement une résolution anticipée qui ne dirait
pas son nom. Ce détournement du mécanisme de la résolution
pour inexécution témoigne ainsi d'une carence législative
en matière d'anticipation. Pour l'heure, seule l'exception pour risque
d'inexécution est prévue au sein du projet de réforme du
droit des contrats.
§2: Le maintien d'une approche traditionnelle
L'admission du principe de confiance légitime, et
subsidiairement, la reconnaissance de la résolution anticipée
pour perte de confiance légitime, ne saurait s'opposer au maintien d'une
approche à la fois libérale (A) et morale (B) du lien
contractuel.
A\ L'approche libérale du lien contractuel
préservée
Le droit français des contrats repose partiellement sur
une conception individualiste et ce faisant, libérale. Le dogme de
l'autonomie de la volonté traduit en effet l'idée selon laquelle
"l'homme est le meilleur législateur de ses intérêts",
participant ainsi à l'idée selon laquelle la "richesse des
nations" proviendrait de la somme des passions individuelles203, la
prospérité de l'économie étant guidé par une
célèbre "main invisible"204. On peut donc
s'évertuer à affirmer que si l'autonomie de la volonté est
avant tout un principe philosophique, elle poursuit un intérêt
pragmatique. Le pouvoir donné à la volonté se justifie
notamment par l'efficacité qui en résulterait sur
l'économie de marché.
Force est toutefois de constater que le principe de confiance
légitime, pour sa part, poursuit un objectif de même envergure. Si
cette dernière constitue le socle du droit anglo-saxon des contrats, qui
nous ne pouvons l'ignorer, est imprégné d'une conception
fortement libérale, c'est en raison du fait que la "reliance"
possède des qualités de flexibilité et
202. Voir supra p.67
203. MANDEVILLE, La fable des abeilles, 1714
204. Adam SMITH, La richesse des nations, 1776
76
d'efficacité économique indéniables. La
confiance légitime procède d'une vision libérale du
contrat et d'une conception assouplie du lien contractuel. Ce dernier peut
résulter de tout "élément extérieur
observable"205 ayant eu pour effet de susciter une croyance
légitime. De même, le lien contractuel peut disparaître en
fonction de toute apparence extérieure ayant entraîné une
perte légitime de confiance. Il en résulte une réduction
drastique du formalisme contraignant actuellement imposé en droit
interne. Enfin, "le juge n'aura plus à sonder les hypothétiques
volontés internes des parties"206. La création, tout
comme la disparition de liens contractuels n'en est que plus aisée.
Cette nouvelle vision nuance la portée du pouvoir de la volonté
mais n'altère en rien le concept même. Comme a effectivement pu le
faire remarquer Pascal Lokiec, "le concept de volonté est suffisamment
riche pour autoriser une conception volontariste du contrat qui ne soit pas la
simple traduction de la théorie de l'autonomie de la
volonté"207. La volonté subjective laisse toutefois
place à la "volonté apparente"208, soit une apparence
de volonté découlant notamment du comportement du
débiteur.
On peut par ailleurs noter que la faculté
laissée au créancier de résoudre unilatéralement un
contrat pour perte de confiance légitime, mais aussi plus globalement,
en présence d'un risque d'inexécution se justifie aisément
par l'affirmation selon laquelle "l'homme est le meilleur législateur de
ses intérêts" qui est une idée libérale
justificatrice de la théorie de l'autonomie de la volonté. Le
créancier est évidemment le mieux placé pour
apprécier avec le plus d'exactitude si un risque manifeste
d'inexécution ou un comportement exécutoire déloyal est
caractérisé.
L'admission de la résolution anticipée pour
"perte de confiance" et plus globalement, du principe de confiance
légitime, n'entraînerait donc pas un bouleversement majeur de la
vision libérale que les rédacteurs du code civil ont porté
sur le droit des contrats. Mieux encore, elle n'altère en rien la
"conception volontariste du contrat"209. Il convient toutefois de
rappeler que ces derniers n'ont pas seulement pris en compte le dogme de
l'autonomie de la volonté. Les préceptes moraux du droit
canonique ont en effet exercé une influence, bien plus importante
encore, sur les rédacteurs du code civil210.
205. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse
Montpellier I, 2006, p.212
206. V. EDEL, La confiance en droit des contrats, Thèse
Montpellier I, 2006, p.212
207. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des
attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321
208. Ph. MALAURIE, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les
obligations, 4e éd, Defrénois, 2009, p.368, n°749
209. Pascal LOKIEC, Le droit des contrats et la protection des
attentes, Recueil Dalloz 2007, p.321
210. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
2013
77
B\ L'approche morale du lien contractuel
préservée
La force obligatoire du contrat ne se fonde pas uniquement sur
l'autonomie de la volonté mais aussi, et surtout, sur le "respect de la
parole donnée"211qui résulte d'une conception
profondément moraliste du droit des contrats.
On peut toutefois aisément remarquer l'évidence
selon laquelle le concept de "confiance légitime" présente
également un aspect moral. Le respect de la croyance légitime
n'efface pas le respect de la parole donnée mais prend en compte une
dimension plus vaste que cette dernière: le comportement du
cocontractant. Ce dernier doit respecter la croyance légitime que ses
paroles ou actes, auront fait naître chez l'autre partie212.
On pourrait objecter que si un comportement devient une source
supplémentaire d'obligation, la parole donnée peut en
conséquence être déformée. L'attitude du
débiteur peut avoir pour effet de modifier la portée des paroles
prononcées. On peut répondre à cette inquiétude que
si la parole donnée est désacralisée, le message
reçu par le destinataire bénéficie d'une importance
accrue213; peu important le caractère explicite ou tacite de
ce dernier. En effet, si tout un chacun doit respecter ses promesses, c'est
seulement en raison des attentes légitimes qu'elles auront fait
naître chez l'autre partie. A travers le principe de confiance
légitime, la parole donnée ne signe plus un engagement envers
Dieu mais uniquement envers l'autre. Le concept reste profondément moral
mais est néanmoins purgé de son aspect religieux.
Cette conception permet alors de concevoir que le
créancier dont la confiance a été trahie, puisse mettre
fin au contrat sans qu'il ne lui soit reproché de ne pas respecter ses
propres engagements. On constatera par ailleurs que, nonobstant l'absence de
religiosité de la notion de confiance légitime, celle-ci ne
marque pas réellement de rupture avec la pensée
chrétienne. Saint Thomas d'Aquin avait effectivement pu exprimer que
"ça n'est pas mentir que de revenir sur sa parole lorsque le contexte a
changé". Or un tel changement pourrait évidemment résulter
de la constatation d'un comportement déloyal du débiteur en phase
d'exécution du contrat.
211. Voir supra, p.61
212. Voir supra, p.65
213. R.DAVID et D.PUGSLEY, Les contrats en droit anglais, 2e
éd, LGDJ, 1985, p.21, n°19: "Le fondement du droit des contrats
(dans les droits de common law) ne se trouvera pas dans l'idée qu'il
faut tenir ses promesses; il sera dans l'idée de la confiance
légitime trompée: vous devez indemniser celui qui subit un
préjudice parce que vous n'avez pas agi comme, sur la foi de vos
promesses, il pouvait légitimement compter que vous agiriez"; D. TALLON,
"L'évolution des idées en matière de contrat: survol
comparatif", Droits, n°12, Le contrat, PUF, 1990, p.86: Le Professeur D.
Tallon fait remarquer que la notion de confiance légitime impose de se
placer "à côté du créancier, plutôt que du
débiteur".
78
On peut donc, à travers ces constats philosophiques,
admettre sans grande difficulté que l'admission du principe de confiance
légitime n'entraînerait aucune altération des
préceptes moraux irriguant le droit français des contrats.
79
Chapitre 2: L'efficacité économique du
contrat
Provenant des systèmes juridiques de common law, la
notion d'efficacité économique du contrat tend malgré tout
à influencer les droits de tradition civiliste. L'introduction des
mécanismes d'anticipation en droit positif entraînerait
inévitablement un renforcement de la prise en compte de cette notion
(Section 1). Corollairement, l'importance accrue du principe
d'efficacité économique du contrat aurait un rejaillissement
certain sur notre conception traditionnelle de l'intangibilité du
contrat et subséquemment, sur le fondement de la résolution
classique pour inexécution (Section 2).
Section 1: l'influence de l'anticipation sur
l'efficacité économique du contrat
L'admission des mécanismes d'anticipation
entraînerait inéluctablement un renforcement de la protection des
intérêts économiques des cocontractants qui trancherait
avec la situation actuelle où le créancier est en principe
contraint d'attendre que l'inexécution ait eue lieue pour
procéder à la résolution pour inexécution
(§1). Le principe d'efficacité économique pourrait alors
constituer un fondement viable et exhaustif de la résolution
anticipée, à l'inverse de la résolution pour perte de
confiance qui, nous l'avons vu, ne pourrait être évoquée
qu'en cas de comportement exécutoire déloyal du débiteur
(§2).
§1: La protection améliorée des
cocontractants
La mise en oeuvre de mécanismes d'anticipation aurait
à la fois pour effet de protéger les intérêts
économiques du créancier mais également ceux du
débiteur (A). En effet, si le préjudice du créancier est
réduit, le montant des dommages-intérêts ne pourra
corollairement qu'être diminué (B).
A\ la réduction du préjudice
Le préjudice du créancier pourrait à la fois
être réduit par la mise en oeuvre de la résolution
anticipée (1) et de l'exception pour risque d'inexécution, bien
que la réduction serait
80
moindre dans ce deuxième cas (2).
1. Par la résolution anticipée
La résolution anticipée a pour
intérêt principal de libérer le créancier.
L'idée est d'éviter, à l'instar de l'exception pour risque
d'inexécution, que le créancier ne soit dans l'obligation
d'exécuter ses propres obligations. Toutefois, contrairement à ce
deuxième mécanisme, sa libération lui permet
également de ne pas avoir à être prêt à les
exécuter214et de trouver rapidement un autre cocontractant
susceptible de répondre aux attentes que le débiteur ne pourra
manifestement satisfaire à l'échéance215. Ces
trois conséquences constituent un gage d'efficacité
économique certain dans le sens où elles tendraient à
réduire le préjudice subi par le
créancier216.
Contrairement à l'exception pour risque
d'inexécution, la libération du créancier est
définitive; ce qui lui permet, outre l'arrêt de l'exécution
de ses obligations, de prendre immédiatement des mesures ayant pour
objet de pallier aux conséquences de l'inexécution
anticipée.
2. Par l'exception pour risque d'inexécution
L'exception pour risque d'inexécution ne libère
pas le créancier du lien contractuel. Elle a pour simple effet de
suspendre temporairement l'exécution de ses obligations contractuelles.
Force est donc de constater que dans le cas où l'inexécution
redoutée aurait finalement eu lieue, la réduction du
préjudice du créancier serait moindre qu'en application d'une
résolution anticipée.
Cette différence d'efficacité économique
notable a pu amener certains auteurs à affirmer que l'exception pour
risque d'inexécution ne constitue pas une mesure
d'anticipation217. On peut, en faveur de cette opinion, argumenter
que cette dernière n'autorise pas réellement le créancier
à "faire comme si" l'inexécution avait déjà eu
lieue en prenant
214. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La
résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584
215. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution; LGDJ 2004; Thomas GENICON, La
résolution pour inexécution, LGDJ, 2007, p.584
216.Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.229; O. MORETEAU, Droit anglais des affaires,
op. Cit, n°670, p.389; Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des
sanctions de l'inexécution, LGDJ, 2004, n°465, p.554
217. Selon Fall PARAISO, l'exception pour risque
d'inexécution "parvient seulement à geler les effets de la
convention au moment où apparaît le risque. Mais elle n'est ni une
mesure de sauvegarde du paiement, ni un mode d'anticipation de celui-ci. La
suspension de l'obligation n'évince pas la présence du risque
d'inexécution".
81
nombre de mesures salvatrices telles que la recherche d'un
nouveau cocontractant, puisqu'il n'est en aucun cas libéré du
contrat et pourrait à tout moment, être contraint de reprendre
à nouveau l'exécution de ses obligations. Il nous semble
malgré tout que son caractère temporaire ne saurait lui enlever
son pouvoir d'anticipation. Si elle ne saurait, à elle seule,
neutraliser le risque d'inexécution, elle a pour effet de
protéger, du moins partiellement, le créancier des
conséquences de ce risque. De plus, elle constitue un complément,
mais aussi, et surtout, un prélude indispensable à la
résolution anticipée.218.
Il n'empêche toutefois que si l'on ne saurait lui
enlever son effet anticipatoire, sa moindre efficacité économique
doit conduire le législateur à s'interroger sur
l'éventuelle introduction de la résolution anticipée en
droit positif. Si l'exception pour risque d'inexécution peut anticiper
certaines conséquences du risque d'inexécution, elle n'anticipe
pas le risque en lui-même. L'absence de libération du
créancier entraînant l'impossibilité pour ce dernier de
trouver un autre cocontractant et le contraignant par ailleurs à se
tenir prêt à reprendre l'exécution de ses obligations
dénote que la simple suspension des obligations ne protège que
partiellement les intérêts économiques du créancier.
Or, il serait indéniablement frustrant de s'en tenir à une simple
protection partielle dans le cas où il serait manifeste que le
débiteur n'exécutera pas ses obligations à
l'échéance. Thomas Genicon l'affirme ainsi: "à quoi bon,
(...) attendre le jour de l'échéance du terme lorsque l'on est
certain que le débiteur ne s'exécutera pas? L'attente sera
certainement la source d'une perte de temps et d'argent."219
B\ La réduction des
dommages-intérêts
La perspective pour le débiteur de voir diminuer le
montant des dommages-intérêts aurait pour effet
bénéfique d'inciter ce dernier à coopérer avec le
créancier pour anticiper le risque d'inexécution (1). Par
ailleurs, l'application envisageable d'un devoir de minimisation du dommage
participerait à la réduction du montant des
dommages-intérêts (2).
218. Alors que cette dernière peut être
invoquée en cas de risque d'inexécution manifeste, l'exception
pour risque d'inexécution pourra être soulevée par le
créancier craintif dans le cas où l'inexécution serait
simplement probable. Ce dernier aura toutefois la possibilité de
demander une assurance adéquate d'exécution pour pouvoir
prononcer la résolution anticipée en cas d'absence de
réponse ou de réponse négative. De plus, la
résolution anticipée étant conditionnée, si l'on
s'en tient aux propositions du projet Terré, à une réponse
négative ou une absence de réponse à une demande
d'assurance adéquate d'exécution préalablement
notifiée par le créancier, l'exception pour risque
d'inexécution pourrait être invoquée parallèlement
au déroulement de la procédure de mise en oeuvre de la
résolution anticipée. Il ressort de ces constats que l'exception
pour risque d'inexécution constitue un complément, mais
également un prélude indispensable à la mise en oeuvre de
la résolution anticipée. L'anticipation du risque
d'inexécution commence donc par une suspension des obligations du
créancier.
219. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.229
1. 82
La coopération contractuelle incitée
La réduction du préjudice du créancier
entraîne corrélativement une diminution du montant des
dommages-intérêts dûs par le débiteur. Anticiper le
risque d'inexécution peut être vu comme une sorte de pari
"gagnant-gagnant". Les intérêts économiques de chacun des
cocontractants, débiteur ou créancier, sont davantage
améliorés que dans le cas où l'on attendrait que
l'inexécution redoutée ait lieue. La perspective d'une
réduction du montant des dommages-intérêt aurait pour effet
d'inciter le débiteur à faire part au créancier de ses
difficultés financières dans le cas où un risque manifeste
d'inexécution émergerait. En effet, si le créancier a
intérêt à réduire son préjudice, le
débiteur a indéniablement intérêt à provoquer
la réduction du montant des dommages-intérêts. Ce faisant,
celui-ci participe également à l'anticipation du risque
d'inexécution. On remarque alors que, nonobstant le fait que tout
contrat-échange puisse être analysé comme un "antagonisme
d'intérêt", la maîtrise du risque d'inexécution
implique une coopération renforcée des cocontractants.
Ainsi, l'on comprend par ailleurs que la participation du
débiteur à l'anticipation du risque d'inexécution serait
encore davantage vigoureuse dans le cas où pèserait sur le
créancier un devoir de minimisation du dommage.
2. Le devoir de minimisation du dommage
Comme ont pu le constater certains auteurs, l'application du
devoir de minimiser le dommage pesant sur le créancier
entraînerait pour ce dernier un devoir de résoudre le contrat par
anticipation en présence d'un risque d'inexécution (a). Bien
qu'une telle obligation pourrait de prime abord permettre de penser que le
risque de résolution abusive serait augmenté, il conviendra de
démontrer qu'il ne s'agit d'une fausse inquiétude (b). Nous
exposerons ensuite la position du droit français par rapport à
une éventuelle reconnaissance d'une telle obligation (c).
a) Le devoir de résolution
anticipée220
La notion de "mitigation of damages" ou devoir de minimisation du
dommage, très
220. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586
83
connue des systèmes juridiques de common law, implique
une obligation pour la victime d'un dommage de ne pas aggraver, ou encore, de
limiter son préjudice. Transposée à la matière
contractuelle, elle impose au créancier victime d'une inexécution
de limiter ou de ne pas aggraver le préjudice résultant de
celle-ci.
On comprend dès lors, qu'au sein des droits de common
law, la résolution anticipée puisse constituer un droit, mais
aussi et surtout, un devoir221. Si le créancier voit peser
sur lui un devoir de minimiser son dommage, encore faut-il lui fournir les
armes permettant d'exercer cette obligation de manière optimale.
L'objectif de ce devoir étant de répondre à un
impératif d'efficacité économique, la prise de mesures
destinées à minimiser le dommage devrait débuter
dès l'instant où un risque manifeste d'inexécution est
constaté. Plus précisément, une telle obligation
débutera, en cas d'insolvabilité apparente du débiteur,
dès la réception d'une réponse négative à
une demande d'attestation d'exécution future préalablement
émise par le créancier ou une absence de réponse à
l'issue du délai mentionné dans la lettre222. Si le
risque d'inexécution se traduit par un refus univoque du débiteur
quant à l'exécution de ses obligations futures, le devoir de
minimisation du dommage pèsera sur le créancier à la date
de réception dudit refus.
Attendre que l'inexécution ait eu lieue pour minimiser
son dommage relèverait d'une incohérence au regard des objectifs
poursuivis par une telle obligation.
b) L'écueil de la résolution anticipée
abusive
L'application du devoir de minimisation du dommage n'est pas
sans danger sur la sécurité du lien contractuel. Cette obligation
contraint le créancier à se demander, lorsqu'une
résolution anticipée est envisagée, si le préjudice
serait plus important en rompant ou en maintenant le contrat223.
Thomas Genicon fait alors part d'une inquiétude légitime: est-ce
que le critère d'aggravation du dommage ne viendrait pas supplanter
celui du caractère manifeste du risque d'inexécution? Il est
permis d'en douter. Le créancier, sur lequel "la mitigation of damages
(...) pèse toujours comme une épée de Damoclès",
pourrait effectivement être tenté de procéder à la
résolution du contrat lorsque l'aggravation du préjudice
paraîtrait inéluctable en cas d'inexécution alors qu'il y
aurait malgré tout de sérieuse raison de douter que celle-ci
se
221. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004, p.586
222. Nous avons en effet proposé que la faculté de
résoudre le contrat par anticipation soit subordonnée à
une demande d'attestation d'exécution par le créancier
conformément aux préconisations du projet Terré. Voir
supra, p.49
223. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
84
réaliserait224. Ce peut être par
exemple le cas où le débiteur, motivé par la perspective
de voir le montant des dommages-intérêts diminuer en cas
d'inexécution, ferait part au créancier de ses difficultés
financières225. Ces aveux n'équivalent pas à un
refus non équivoque d'exécuter ses obligations à
l'échéance, ni même, à une insolvabilité
avérée: l'inexécution future ne demeure qu'au stade d'une
simple éventualité. La résolution du contrat en
présence d'un risque d'inexécution non manifeste et motivé
par le devoir de minimisation du dommage demeure malgré tout
infondée et revête la qualification de résolution abusive.
Il convient en effet de souligner que le créancier ne saurait se voir
reprocher un manquement à son obligation de minimiser son dommage qu'en
cas de risque manifeste d'inexécution. Or nous avons
précédemment démontré que ce critère
revêt trois formes: un refus univoque, une impossibilité
avérée d'exécuter à l'échéance, ou
encore un comportement exécutoire déloyal. La simple transmission
des inquiétudes du débiteur au créancier quant à
l'état de sa situation financière n'entre dans aucune des trois
catégories. Les allégations du débiteur doivent être
dépourvues d'ambiguïté pour constituer un risque manifeste
d'inexécution. Par ailleurs, l'insolvabilité apparente du
débiteur devra être confirmée par une réponse
négative ou une absence de réponse à une demande
d'attestation d'exécution future préalablement notifiée
par le créancier. Nous devons donc nous garder d'exercer toute confusion
entre l'appréciation du risque et celle de l'aggravation du dommage. La
question de la minimisation du dommage ne saurait se poser qu'une fois qu'un
risque manifeste d'inexécution aura été établie.
c) Perspective sur une éventuelle consécration
en droit positif
La notion de anglo-saxone de "mitigation of damages" peut
apparaître comme une étrange curiosité, pour ne pas dire
une aberration, au regard du droit français des contrats. La cour de
cassation avait solennellement refusé son application en droit positif
par deux arrêts rendus le 19 juin 2003. La formule employée
donnait indéniablement à l'interdiction une portée
générale226: "Attendu que l'auteur d'un accident est
tenu d'en réparer toutes les conséquences dommageables; que la
victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans
l'intérêt du responsable". Le principe de réparation
intégrale, auquel paraît s'opposer le devoir de minimisation du
dommage227, est ici clairement exprimé.
224. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
225. Thomas GENICON, La résolution pour
inexécution, LGDJ, 2007, p.235
226. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte
entrouverte ?, D. 2012. 141
227. Certains auteurs estiment toutefois qu'il n'existe pas
d'incompatibilité entre le principe de réparation
intégrale et le devoir de minimisation du dommage: Ainsi, selon J.-P
Chazal, "réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir
compte de son comportement postérieur au fait dommageable ne porte
aucunement atteinte
85
La haute juridiction semble malgré tout avoir par la
suite avoir ouvert une voie vers la reconnaissance de ce principe en
matière contractuelle sur le fondement du devoir d'exécution de
bonne foi228. Cette dernière exigerait des cocontractants une
"loyauté réciproque"229 dans l'exécution du
contrat, et ce faisant, une obligation pour le créancier de minimiser
son dommage en cas de manquement contractuel du débiteur230.
Plusieurs arrêts récents contredisent toutefois la portée
de cette décision en réaffirmant l'interdiction de principe
posée par les arrêts rendus le 19 juin 2003 tant en matière
délictuelle231 qu'en matière
contractuelle232.
Cette réticence du droit français reflète
son fort attachement à une approche morale de la force obligatoire des
conventions. Celui qui n'a pas honoré ses engagements doit en assumer
les conséquences. L'on ne saurait, dès lors, imposer à la
victime d'un manquement contractuel, un comportement ayant pour objet
d'atténuer la responsabilité du cocontractant. Certains auteurs
estiment malgré tout que le principe de force obligatoire du contrat,
tout comme celui de réparation intégrale qui découle de ce
dernier, n'est en rien affecté par le devoir de minimisation du dommage.
Moyennant une conception restrictive du lien de causalité, J.-P Chazal
estime ainsi que les conséquences résultant de l'absence de
minimisation du dommage par la victime ne peuvent avoir de lien causal avec la
faute que l'auteur d'un dommage aurait commise. Le principe de
réparation intégrale commanderait en effet que ce dernier ne
répare que les conséquences directes résultant de son
fait233. Plusieurs auteurs estime par ailleurs qu'outre son
efficacité économique, une telle obligation ne serait aucunement
incompatible avec une approche morale du droit des contrats, bien au
contraire.
au principe de la réparation intégrale, lequel n'a
pas pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences
dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller
au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la
victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou
l'aggravation de ses préjudices."
228. Civ 2e du 24 novembre 2011 (10-25635)
229. Hugues ADIDA-CANAC, "Mitigation of damage": une porte
entrouverte ?, D. 2012. 141
230. LPA 2002, n° 232, p. 3, obs. P. Jourdain, et p. 55,
obs. A. Laude
231. Cass. 1ère Civ., 2 juillet 2014, n°13-17.599:
"Mais attendu qu'en vertu de l'article 1382 du code civil, l'auteur d'un
dommage doit en réparer toutes les conséquences et que la victime
n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du
responsable".
232. Cass 3ème Civ., 10 juillet 2013, n°12-13.851:
"Qu'en statuant ainsi, alors que l'auteur d'un dommage doit en réparer
toutes les conséquences et que la victime n'est pas tenue de limiter son
préjudice dans l'intérêt du responsable, la cour d'appel a
violé le texte susvisé" (visa: article 1147)
233. Jean-Pascal CHAZAL, "L'ultra-indemnisation" : une
réparation au-delà des préjudices directs, D. 2003. 2326:
"réduire l'indemnisation due à la victime afin de tenir compte de
son comportement postérieur au fait dommageable ne porte aucunement
atteinte au principe de la réparation intégrale, lequel n'a pas
pour effet d'imputer à l'auteur d'un dommage des conséquences
dépourvues de lien direct avec le fait causal. C'est aller
au-delà de la réparation intégrale que d'indemniser la
victime des conséquences de sa propre faute dans l'extension ou
l'aggravation de ses préjudices."
86
Stéphan Reifegerste a effectivement pu souligner cette
absence d'incompatibilité en s'appuyant sur le développement de
la loyauté contractuelle et les évolutions du courant
solidariste: "obligation de loyauté et de coopération, obligation
d'information et de conseil, obligation de renégociation et - pourquoi
pas? - obligation de minimiser le dommage?"234.
On peut toutefois aisément affirmer que l'admission de
la résolution anticipée en droit interne risquerait de
débloquer les inhibitions du juge, ou encore du législateur,
quant à la reconnaissance expresse du devoir de minimisation du dommage.
La résolution anticipée ayant pour objet de "parvenir à
une allocation efficace des ressources" et pour effet d'assouplir la vigueur du
lien contractuel, les juristes français seraient naturellement
invités à réviser leur vision traditionnelle de la force
obligatoire du contrat. L'admission d'un tel mécanisme d'anticipation
pourrait alors s'accompagner d'un devoir de minimisation du dommage à la
charge du créancier aux fins de répondre aux véritables
objectifs poursuivi par son introduction en droit interne: l'efficacité
économique du contrat. L'inverse est également
inéluctable: si le devoir de minimisation du dommage venait à
être reconnu en droit interne, la probabilité d'assister à
une admission de la résolution anticipée serait
décuplée en raison du lien inhérent entre l'anticipation
du risque d'inexécution et la minimisation du dommage du
créancier.
§2: l'efficacité économique comme
fondement de la résolution anticipée
L'effet protecteur de la résolution anticipée
sur les intérêts économiques des cocontractants, à
savoir la réduction du préjudice du créancier et la
diminution des dommages-intérêts dus par le débiteur,
permet de conclure que le principe d'efficacité économique
constitue un fondement viable d'un tel mode d'anticipation.
Nous avons précédemment observé que le
principe de confiance légitime constituait un fondement partiel de la
résolution par anticipation. En effet, l'application d'une
résolution anticipée pour perte de confiance ne peut
qu'être subordonnée à l'existence d'un comportement
exécutoire déloyal du débiteur. En revanche, le principe
d'efficacité économique constitue un fondement beaucoup plus
large. Ce qui justifie la résolution anticipée est ici la
volonté de réduire le dommage qu'entraînerait
l'inexécution redoutée et de permettre une meilleure allocation
des ressources. Ainsi, peu important le comportement du
234. Stéphan REIFEGERSTE, Pour une obligation de minimiser
le dommage, PUAM 2002, p.25
87
débiteur, la résolution anticipée peut
être justifiée par la simple présence d'un risque manifeste
d'inexécution. Toute idée de sanction punitive est
écartée au profit de l'efficacité économique du
contrat235.
Section 2: L'influence de l'efficacité
économique sur le droit positif des contrats
La reconnaissance de l'efficacité économique comme
pilier fondateur du droit des contrats entraînerait inévitablement
un assouplissement de la conception traditionnelle de la force obligatoire
(§1). Outre le fait qu'elle pourrait aisément constituer un
fondement de la résolution anticipée du contrat, elle saurait a
fortiori fonder le mécanisme classique de la résolution pour
inexécution. En effet, si la résolution anticipée a pour
objet d'éviter ou limiter une rupture de l'économie du contrat,
la résolution pour inexécution a nécessairement pour objet
de pallier à une telle rupture. (§2).
§1: L'assouplissement de la force obligatoire du
contrat
A l'instar de la résolution anticipée pour perte
de confiance, la reconnaissance de la résolution anticipée
fondée sur l'efficacité économique du contrat
entraînerait un assouplissement de la force obligatoire du contrat.
Lorsque l'économie du contrat est menacée, le créancier
peut prendre les mesures d'anticipation nécessaires à la
neutralisation de ce danger, celles-ci pouvant résulter d'une
résolution du contrat par anticipation. Il n'est donc nullement tenu
d'exécuter ses propres obligations bien qu'une conception rigide de la
force obligatoire du contrat, fondée sur le respect de la parole
donnée, le lui imposerait. Le risque d'inexécution
révèle une menace pour l'économie du contrat qu'il
convient d'écarter.
Par ailleurs, l'assouplissement de la force obligatoire du
contrat se traduirait également par son détachement du principe
de l'exécution en nature qui entraîne actuellement une certaine
méfiance à l'égard de toute idée de
résolution unilatérale du contrat. En effet, le
235. Le champ d'application beaucoup plus vaste de la
résolution anticipée fondée sur l'efficacité
économique ne saurait malgré tout écarter l'utilité
de celle qui se fonde sur la perte de confiance. Celle-ci permet en effet
d'octroyer une sanction plus sévère au débiteur qui aura
tenté d'échapper à ses obligations contractuelles par la
commission de manoeuvres déloyales. La sévérité
accrue de la sanction se traduirait par la mise à l'écart du
principe de réparation du dommage prévisible, le dol du
débiteur s'y opposant ainsi que l'inapplicabilité du devoir de
minimisation du dommage pesant normalement sur le créancier.
88
principe de résolution judiciaire provient notamment de
"l'attachement dogmatique (du droit français) à
l'exécution en nature du contrat". La notion d'exécution
forcée "rejaillit sur la perception de la résolution,
censée être exceptionnelle"236.
Une reconnaissance explicite de la résolution
anticipée, qui ne saurait raisonnablement être mise en oeuvre par
voie judiciaire, pourrait alors entraîner une désolidarisation
entre la force obligatoire du contrat et le principe d'exécution en
nature.
§2: L'efficacité économique comme
fondement de la résolution pour inexécution
L'introduction du principe d'efficacité
économique entraînée par l'admission de la
résolution anticipée, aurait de solides raisons de bouleverser la
vision des juges concernant la résolution pour inexécution qui
fondent actuellement cette dernière sur la notion de cause (A). Par
ailleurs, la notion d'efficacité économique entraînerait un
net recul de l'idée selon laquelle la résolution devrait
être subordonnée au caractère fautif de
l'inexécution (B).
A\ La mise à l'écart de la notion de
cause
Cette assimilation aurait notamment pour conséquence de
mettre à l'écart l'inapproprié fondement de la
cause237, dont le projet de la chancellerie prévoit par
ailleurs sa disparition formelle.
L'on constate en effet que la jurisprudence fonde la
résolution du contrat pour inexécution sur la perte de cause.
L'inexécution contractuelle du débiteur aurait ainsi pour
conséquence de priver l'engagement du créancier de toute cause.
Or, rappelons le, "dans les contrats synallagmatiques, l'obligation de chaque
contractant trouve sa cause dans l'obligation , envisagée par lui comme
devant être effectivement exécutée, de l'autre
contractant"238. Cette utilisation de la cause
méconnaît toutefois, selon Sebastien Pimont, le rôle
attribué par le législateur à ce concept. Ce faisant, il
rappelle que celui-ci constitue un fondement de la nullité du contrat et
non de sa résolution. Il y a effectivement lieu de rappeler que la cause
constitue, aux termes de l'article 1108 du code civil, une condition de
validité du contrat. Son absence revient donc à dire que le
contrat n'a jamais existé. Or il ne serait pas raisonnable de
236. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution; LGDJ 2004, p.596
237. Sébastien PIMONT, L'économie du contrat,
PUAM, 2004
238. Civ 30 décembre 1941: DA 1942. 98
89
tenir une telle affirmation en raison d'une inexécution
contractuelle. Se fonder sur l'absence de cause pour résoudre le contrat
relève d'un non sens. Il serait alors beaucoup plus judicieux, selon
Sebastien Pimont, de fonder la résolution sur le bouleversement de
l'économie du contrat. Le terme "bouleversement" n'indique pas que le
contrat n'a jamais existé mais que les circonstances ont
changé239. Quant à la référence à
l'économie du contrat, elle possède l'avantage indéniable
de rendre compte de "l'impact de l'inexécution non seulement sur une
obligation mais sur l'ensemble du contrat". L'absence de cause, quand bien
même on admettrait qu'elle puisse fonder la résolution, ne
découle en principe, que de l'inexécution d'une obligation
essentielle. Ce fondement conduit alors à ignorer l'évidence
selon laquelle peut exister des situations où un manquement contractuel
pourrait entraîner de graves conséquences, quand bien même
l'obligation inexécutée n'aurait qu'un caractère
accessoire. L'économie du contrat permettrait en revanche de prendre une
hauteur de vue supplémentaire sur ce dernier. Ce ne serait donc plus le
caractère essentiel ou accessoire de l'inexécution qui
justifierait la résolution du contrat mais les conséquences de
ladite inexécution.
Il convient toutefois de rappeler que la complexité de
la notion de "cause", tantôt objective, tantôt subjective, mais par
dessus tout, difficilement manipulable, a suscité de nombreux
débats doctrinaux quant à l'opportunité de conserver son
existence. Le projet de la chancellerie semble, de prime abord, avoir
tranché pour sa disparition. On constatera malgré tout que si le
terme de "cause" a bel et bien disparu des conditions de validité du
contrat, il en va différemment pour le concept même. Nous pouvons
à cet égard, mentionner l'article 1167 dudit projet de
réforme240 qui prévoit qu'"un contrat à titre
onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie
convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire".
Nous pouvons alors observer que, nonobstant la persistance du concept de cause
objective, la nouvelle rédaction des articles du projet de la
chancellerie ne saurait permettre aux juges de continuer de fonder la
résolution pour inexécution sur le fondement de celle-ci.
L'article 1167 prend effectivement soin de préciser explicitement que
c'est au "moment de la formation" que le caractère dérisoire ou
illusoire de la contrepartie convenue doit être apprécié.
L'inexécution contractuelle provenant d'un événement
postérieur à la formation du contrat, cet article ne pourrait
raisonnablement servir de visa aux juges souhaitant prononcer, ou valider, une
résolution pour inexécution.
239. Sébastien PIMONT, L'économie du contrat,
PUAM, 2004
240. Cyril GRIMALDI, Les maux de la cause ne sont pas qu'une
affaire de mots, D. Avril 2015 p.814
90
B\ L'indifférence du caractère fautif de
l'inexécution
La doctrine estime, pour sa grande majorité, que la
résolution est conditionnée par le caractère fautif de
l'inexécution. Il s'agit d'une fausse analyse selon Malaurie et
Aynès qui estiment, quant à eux, que la résolution se
justifie par le fait que "le contrat ne parvienne plus à assurer
l'utilité économique qu'il recherchait".
L'admission de la résolution anticipée ne
pourrait qu'une fois de plus, encourager cette vision. Ce mécanisme
étant avant tout conditionnée par le caractère "manifeste"
du risque d'inexécution, l'idée de faute ne saurait influer sur
sa mise en oeuvre; exception faite du cas particulier de la résolution
anticipée pour perte de confiance et qui, malgré tout, a pour
finalité la maîtrise du risque d'inexécution. La
faculté de résoudre le contrat par anticipation, ayant pour objet
de maîtriser un risque d'inexécution, n'aurait en effet aucune
raison d'être si celle-ci était subordonnée à la
commission d'une faute. Or, si la mise en oeuvre de la résolution
anticipée ne saurait exiger le caractère fautif de
l'inexécution future du débiteur, la résolution pour
inexécution ne pourrait, a fortiori, être conditionnée
à une inexécution fautive.
91
Titre 2: Le bouleversement du régime de la
responsabilité contractuelle
L'étude du droit de la responsabilité civile
délictuelle a permis à certains auteurs tels que Cyril Sintez
d'établir l'existence en droit positif de nombreux cas où la
responsabilité civile pouvait être engagée en vue de
prévenir un dommage redouté. De ce constat, ce dernier auteur
déduit l'existence de la notion de "sanction préventive" en droit
positif. Cette mise en lumière se justifie notamment par une
volonté pragmatique d'offrir la faculté pour toute victime
potentielle d'un dommage ultérieur d'anticiper ce dernier; or une telle
ouverture passerait inévitablement par une remise en cause de notre
conception traditionnelle de la responsabilité civile délictuelle
qui semblerait, en pratique, correspondre à un déni de
réalité juridique. Un tel raisonnement pourrait-il être
transposé en matière de responsabilité contractuelle? La
question mérite largement d'être débattue: si l'idée
d'anticiper le fait dommageable en matière délictuelle peut avoir
des conséquences sur le régime de la responsabilité
délictuelle, il serait difficile de refuser d'admettre que la
responsabilité contractuelle, dont le régime est largement
inspiré de son homologue, pourrait, de même, être
bouleversée par l'introduction de mécanismes d'anticipation du
risque d'inexécution tels que la résolution anticipée et
l'exception pour risque d'inexécution. Force est donc d'observer qu'une
telle immixtion aurait pour effet de modifier les conditions d'engagement de la
responsabilité contractuelle (chapitre 1) ainsi que les effets de sa
mise en oeuvre (chapitre 2).
92
Chapitre 1: Les conditions modifiées de la
responsabilité contractuelle
Bien que le rapprochement du régime de la
responsabilité contractuelle avec celui de la responsabilité
délictuelle ait pu être critiqué par certains
auteurs241, sa mise en oeuvre repose, à l'instar de son
homologue délictuel, sur le triptyque: fait générateur
(section 1); préjudice (section 2); lien de causalité (section
3). Autrement dit, "il faut un fait du débiteur contractuel qui cause un
préjudice à son créancier"242.
Section 1: Le fait générateur
Le fait générateur de responsabilité
contractuelle correspond traditionnellement à une inexécution
contractuelle imputable au débiteur (§1). L'incidence des
mécanismes d'anticipation dénoterait que la responsabilité
du débiteur pourrait également être
générée à partir d'un concept plus large: le risque
d'inexécution contractuelle (§2).
§1: Une inexécution contractuelle
Deux types d'obligations contractuelles sont mises à la
charges du débiteur: les obligations expresses, à savoir celles
qui sont stipulées dans le contrat (A), ainsi que les obligations
implicites découlant de principes généraux issus de la loi
ou encore dégagés par la jurisprudence (B). L'inexécution
de ces obligations, expresses ou implicites, peut alors entraîner la
responsabilité du débiteur. Bien que l'introduction des
mécanismes d'anticipation n'aurait pour effet de modifier cette
architecture, il conviendra de rappeler que la résolution
anticipée pour perte de confiance se fondera sur l'obligation implicite,
d'ores et déjà dégagée par la jurisprudence, de ne
pas porter atteinte à la confiance du créancier.
241. Tel est le cas de Philippe Rémy pour qui,
l'allocation de dommages-intérêts en matière contractuelle
ne remplit aucunement une fonction de réparation mais seulement une
fonction "d'exécution par équivalent". L'objectif ne serait pas
de réparer le préjudice causé par l'inexécution
contractuelle mais de fournir au créancier un simple équivalent
de l'obligation contractuelle inexécutée. Il n'y aurait donc lieu
d'effectuer une quelconque assimilation avec la responsabilité
délictuelle. La responsabilité contractuelle serait alors, selon
Philippe Rémy, un "faux concept". (P. REMY, La "responsabilité
contractuelle": histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997)
242. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013
93
A\ L'inexécution des obligations
stipulées
Le débiteur qui ne respecte pas la force obligatoire du
contrat engage sa responsabilité, "les conventions légalement
formées (tenant) lieu de loi à ceux qui les ont
faites."243 Il découle effectivement de ce principe, que les
obligations stipulées dans le contrat, traduction de la volonté
des parties, doivent être exécutées.
La responsabilité du débiteur du fait de
l'inexécution contractuelle, totale ou partielle apparaît plus
clairement à l'article 1147 du code civil qui prévoit que ce
dernier "est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et
intérêts, soit à raison de l'inexécution de
l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes
les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause
étrangère qui ne peut lui être imputée". Il
apparaît, à la lecture de cet article, que les rédacteurs
du code civil, ont souhaité procédé à une
assimilation de toute inexécution contractuelle à l'idée
de faute. L'exclusion de la cause étrangère ne pouvant être
imputée au débiteur traduit effectivement une volonté
d'identifier l'inexécution commise par le seul fait du débiteur
à un comportement fautif. Il convient toutefois de noter que la
distinction entre obligation de résultat et obligation de moyen mise en
lumière par Demogue a eu une influence sur l'appréciation de ce
caractère fautif. Ainsi, lorsqu'une obligation de résultat est
exigée, la faute pourra être caractérisée à
partir du constat d'une simple inexécution. En revanche, lorsqu'une
simple obligation de moyen est exigée, la faute sera assimilée
à une négligence ou une imprudence ayant pour effet de
démontrer que le débiteur n'a pas mis tous les moyens en oeuvre
pour remplir ses engagements244. L'existence de cette distinction
tempère ainsi les dispositions de l'article 1147 ayant pour objet
d'assimiler toute inexécution à une faute contractuelle
susceptible d'engager la responsabilité du débiteur. Nous
verrons, en outre, que l'introduction de la résolution anticipée
en droit positif pourrait avoir plus largement pour effet d'écarter la
faute du cadre contractuel, celle-ci faisant par ailleurs l'objet de nombre de
critiques doctrinales245. La responsabilité contractuelle
revêtirait alors un caractère objectif246.
B\ L'inexécution des obligations implicites
J. Flour, J.-L Aubert et E. Savaux ont pu souligner
l'évidence selon laquelle "la référence à la
convention des parties est globale. Cela signifie qu'il convient de prendre
en
243. Article 1134 alinéa 1
244. Rémy CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 11e
édition, 2014, p.136
245. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in
Mélanges Cornu, 1995, p.429
246. Voir infra, p.98
94
considération non seulement les obligations qui ont
été spécialement établies par les contractants mais
encore toutes celles que la loi attache à la convention
considérée"247. La responsabilité contractuelle
du débiteur ne saurait donc dépendre uniquement des obligations
cristallisées au sein du contrat. Le bon déroulement de
l'exécution contractuelle implique également l'existence
d'obligations implicites mises à sa charge en vertu de divers principes,
telles que l'exigence de bonne foi.
Nous l'avons précédemment évoqué,
l'idée de contrer le risque d'inexécution contractuelle en
l'absence de mécanisme d'anticipation consacré par le
législateur, a parfois motivé la jurisprudence à
autoriser, sur le fondement de l'article 1184 du code civil, la
résolution pour inexécution dans le cas où le
débiteur aurait adopté un comportement faisant obstacle à
l'exécution ultérieure du contrat248. Mme
Vanwijck-Alexandre a alors pu soutenir, en se fondant sur le principe de bonne
foi contractuelle, qu'il existait à la charge du débiteur "une
obligation de ne pas porter atteinte à la confiance du
créancier"249. Comme nous l'avons toutefois
précédemment démontré, il nous semble que si une
telle obligation peut effectivement tirer sa raison d'être de l'exigence
d'exécution de bonne foi, son champ d'application ne devrait se limiter
qu'aux seules manoeuvres déloyales du débiteur ayant pour objet
de faire obstacle à son exécution future250. Il
convient par ailleurs de rappeler que l'obligation implicite de ne pas porter
atteinte à la confiance du créancier constitue en
réalité un fondement indirect de la résolution
anticipée251; l'objectif étant, outre la sanction du
comportement déloyal du débiteur, de faire face à un
risque d'inexécution. L'inexécution de l'obligation implicite de
ne pas porter atteinte à la confiance du créancier constitue
alors un manquement à une obligation actuelle tandis que sa sanction a
pour finalité de faire face aux conséquences d'une telle
inexécution: à savoir, le risque d'inexécution de
l'obligation stipulée. Le comportement exécutoire déloyal
du débiteur tendant à faire échec à
l'exécution d'obligations à échoir, présume, en
effet, de manière irréfragable un risque d'inexécution et
constitue alors un fait générateur de responsabilité dont
la mise en oeuvre répond à un double objectif: sanctionner
l'attitude du débiteur par une mise à l'écart du devoir de
minimisation du dommage et du principe de réparation du dommage
prévisible, mais également, anticiper
247. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013
248. Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65; S. 1927, 1,
p.188
249. VANWIJCK-ALEXANDRE (M.), Aspects nouveaux de la protection
du créancier à terme. Les droits belges et français face
à l'"anticipatory breach" de la common law, préf. David-Contant
(S.). Liège. 1982, n°235, p.498
250. Voir supra, p.68
251. Voir supra, p.67
95
l'apparition de l'inexécution redoutée.
§2: Un risque d'inexécution contractuelle
L'admission des mécanismes d'anticipation aurait pour
effet d'établir l'idée selon laquelle la responsabilité du
débiteur pourrait être engagée à partir de la
manifestation d'une inexécution anticipée (A). Le risque
d'inexécution devra toutefois répondre à certain
degré de certitude pour que celle-ci puisse être mise en oeuvre
(B).
A\ La responsabilité pour inexécution
anticipée
Il conviendra de déterminer successivement quels sont les
fondements (1) puis les éléments permettant de justifier (2) la
mise en oeuvre de la responsabilité du débiteur pour
inexécution anticipée. Nous démontrerons enfin que la
reconnaissance d'un tel type de responsabilité pourrait entraîner
une mise à l'écart de la notion de faute (3).
1. Fondement
L'inexécution anticipée ne peut se manifester
qu'à travers un risque. Nul ne saurait prédire l'avenir et
l'idée de "transformer le futur en présent", de faire "comme
si"252 l'inexécution avait déjà eu lieue tire
sa légitimité du caractère "manifeste" de
l'inexécution future. C'est en raison de ce degré suffisamment
élevé de probabilité que nous pouvons employer le terme
d'"inexécution anticipée".
Une question mérite cependant d'être
soulevée: en quoi l'inexécution anticipée, et partant, le
risque "manifeste" d'inexécution, pourrait engager la
responsabilité du débiteur? Si l'inexécution
anticipée autorise le créancier à résoudre le
contrat par anticipation, rien ne permet d'affirmer, à première
vue, que la responsabilité du débiteur est engagée. La
résolution du contrat, qu'elle soit anticipée ou non, constitue
un remède à l'inexécution d'un contrat
synallagmatique253, destiné à protéger le
créancier des conséquences de cette dernière, et non
252. Fall PARAISO, Le risque d'inexécution de
l'obligation contractuelle, PUAM, 2011, p.245; J.-C. HALLOUIN, L'anticipation:
contribution à la formation des situations juridiques, thèse
Poitiers, 1979
253. D. TALLON et D. HARRIS (sous dir.), Le contrat aujourd'hui
: comparaisons franco-anglaises, Coll Bibliothèque de droit
privé, 1987
96
un moyen de sanctionner le débiteur pour cause
d'inexécution.
L'idée d'inexécution anticipée pourrait
bien mettre à mal le concept de responsabilité contractuelle et
donner un argument de poids à ses détracteurs: comment
pourrait-on, en effet, concevoir que la responsabilité d'un contractant
puisse être engagée alors que le manquement contractuel
redouté n'a pas encore eu lieu? Il convient, pour répondre
à cette interrogation, de s'attarder sur les écrits de Genevieve
Viney, partisane du concept de responsabilité contractuelle. Selon cet
auteur, cette dernière se justifie à travers un certain nombre
d'articles du code civil laissant entrevoir l'idée selon laquelle
l'allocation de dommages-intérêts ne constituent pas un mode
d'exécution par équivalent de l'obligation
inexécutée mais a pour objectif de réparer le
préjudice causé du fait de l'inexécution. Elle s'appuie
notamment sur l'article 1184 alinéa 2 du code civil qui prévoit
qu'en cas d'inexécution du cocontractant, le créancier pourra
demander en justice la "résolution avec dommages-intérêts".
Le Professeur Viney a alors pu tirer argument de cette disposition pour
réfuter l'idée selon laquelle les dommages-intérêts
auraient une unique fonction d'exécution par
équivalent254. On ne peut effectivement ici constater une
fonction d'exécution "puisque le créancier a lui-même
renoncé à l'exécution, préférant la
disparition du contrat"255. Il ressort alors de cette idée de
réparation que le débiteur est responsable de
l'inexécution contractuelle ayant contraint le créancier à
demander la résolution du contrat.
Ce raisonnement traduit l'existence d'un lien
indéfectible entre la résolution du contrat et l'allocation de
dommages-intérêts. Si le créancier demande en justice
ladite résolution, c'est parce qu'il y aura été contraint
en raison d'une défaillance du débiteur. Nous pouvons alors
transposer ce raisonnement en matière de résolution
anticipée et affirmer que de la même manière que le
créancier puisse accompagner la résolution judiciaire du contrat,
d'une demande d'allocation de dommages-intérêts aux fins de
réparer les conséquences de la défaillance du
débiteur, il peut également adjoindre à la
résolution anticipée du contrat, une demande d'allocation de
dommages-intérêts aux fins de réparer les
conséquences de la défaillance future du débiteur. Force
est d'en déduire que l'inexécution anticipée, et partant,
le risque "manifeste" d'inexécution, peut engager la
responsabilité du débiteur. Nous pouvons en effet concevoir que
si il est possible de demander la réparation des conséquences
d'une inexécution ayant contraint le créancier à
résoudre le contrat, ce dernier peut également demander la
réparation des conséquences d'un risque manifeste
d'inexécution l'ayant contraint
254. Ph. REMY, La "responsabilité contractuelle":
histoire d'un faux concept, RTD civ, 1997, p.323
255. Geneviève VINEY, La responsabilité
contractuelle en question, in Le contrat au début du XXIe siècle,
Etudes offertes à Jacques Ghestin, p.928
97
à résoudre ledit contrat. Ce raisonnement par
analogie nous permet d'admettre que la responsabilité d'un contractant
puisse être engagée avant que ses obligations ne soient
échues, et partant, qu'aucun manquement contractuel n'ait encore
été consommé. Cette idée nous permet de conclure
que la notion de "sanction préventive" possède une place en droit
de la responsabilité contractuelle256.
2. Justification
Malgré le fait que la résolution
anticipée soit principalement justifiée par des impératifs
d'ordre économique, l'idée selon laquelle il serait possible
d'engager la responsabilité d'un cocontractant avant même que ses
obligations ne soient échues pourrait heurter les partisans d'une
approche morale de la responsabilité contractuelle. Il pourrait en effet
paraître incongru de sanctionner un contractant avant même qu'une
inexécution contractuelle n'ait été constatée.
L'on pourrait toutefois objecter que la détection d'un
risque manifeste d'inexécution masque en réalité, hormis
le cas particulier de la force majeur qui constitue une cause
d'exonération de la responsabilité civile, une défaillance
actuelle, fautive ou non257. Un tel risque traduit en effet
l'inaptitude du débiteur à maîtriser l'évolution de
sa situation financière. Ce pourrait être par exemple, en raison
de l'incidence causée par des dettes exigibles ou à échoir
dont il n'aura su prévoir les conséquences, la contraction
inopportune de nouvelles dettes en cours d'exécution du contrat, ou
encore le fait d'avoir contracté avec son créancier sans que
l'évolution prévisible de sa situation financière ne le
lui permette. La manifestation d'un risque d'inexécution démontre
alors que le débiteur aura créé, de manière fautive
ou non, les conditions de l'inexécution des obligations à
échoir.
Ainsi, l' impératif d'efficacité
économique, à savoir la réduction du dommage, que poursuit
la résolution anticipée, a pour conséquence indirecte de
bouleverser notre vision de la responsabilité contractuelle. Bien que ce
mécanisme d'anticipation soit avant tout justifiée par des
raisons économiques, son introduction pourrait inviter la doctrine
à concevoir que la responsabilité du débiteur puisse
être engagée avant l'échéance de ses obligations
lorsque le risque d'inexécution reflète un degré suffisant
de certitude, sans pour autant heurter une
256. Nous pouvons ainsi opérer un rapprochement avec les
travaux réalisés par Cyril Sintez pour qui, la notion de
"sanction préventive" existe bel et bien en droit de la
responsabilité civile délictuelle. (Cyril SINTEZ, La sanction
préventive en droit de la responsabilité civile, Dalloz, 2011)
257. Nous verrons ci-après que certains auteurs
estiment opportun de détacher la faute de la notion, plus large, de
défaillance contractuelle.
98
approche morale de la notion de responsabilité. C'est
parce que l'on "sait" qu'il y aura inexécution contractuelle en raison
de circonstances que le débiteur n'aura su maîtriser que la
responsabilité de ce dernier peut d'ores et déjà
être engagée. À partir du moment où
l'inexécution future paraît évidente, il serait inutile
d'attendre l'échéance des obligations avant d'appliquer un
régime de responsabilité contractuelle dont la
précocité de mise en oeuvre pourrait s'avérer salvatrice
pour les deux parties au contrat.
Il convient en revanche de rappeler qu'à l'instar de
l'inexécution classique, la responsabilité du débiteur ne
saurait être engagée dans le cas où le risque manifeste
d'inexécution émanerait d'un événement
imprévisible, irrésistible et extérieur, à savoir
lorsque les conditions de la force majeur, cause d'exonération de
responsabilité, seraient réunies. L'émergence d'une
approche économique du droit des contrats ne saurait en effet
dénaturer la notion de "responsabilité" qui ne pourrait
être engagée à partir de la constatation
d'événements sur lesquels le débiteur n'a aucune
maîtrise.
3. Mise à l'écart de la faute
La majorité des auteurs semblent assimiler
l'inexécution contractuelle, totale ou partielle, à l'idée
de faute contractuelle. Manquer à ses engagements serait constitutif
d'une faute susceptible d'engager la responsabilité du cocontractant. En
effet, la responsabilité civile, qu'elle soit de nature contractuelle ou
délictuelle, se fonde en principe sur la faute. Certains auteurs
critiquent malgré tout l'emploi de ce terme en matière
contractuelle. Si la responsabilité du débiteur est
engagée, ce ne serait pas réellement en raison de la commission
d'une quelconque faute mais plus précisément en raison d'une
"défaillance"258. Le débiteur est tenu d'indemniser
son créancier en raison du seul fait qu'il aura failli à ses
engagements et qu'un tel manquement aura causé un préjudice
à ce dernier. Il s'agirait alors d'une responsabilité objective.
Or l'idée de faute renvoie à une "analyse du comportement de
l'auteur du dommage" et donc, à l'application d'une
responsabilité subjective259. Par ailleurs, force est de
constater qu'en matière contractuelle, l'analyse du comportement du
débiteur aux fins d'engager sa responsabilité ne pourrait
aucunement concerner la totalité des contrats mais seulement ceux au
sein desquels est stipulée une obligation de moyens260. Les
contrats
258. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in
Mélanges Cornu, 1995
259. Rémy CABRILLAC, Droit des obligations, Dalloz, 11e
édition, 2014, p. 195
260. Comme a pu le faire remarquer Genevieve Viney, "une
terminologie rigoureuse devrait (...) réserver le terme de "faute
contractuelle" à l'inexécution des seules obligations qui
n'engagent qu'à un comportement de "bon père de famille"",
"c'est-à-dire les obligations de moyens". La responsabilité
contractuelle en question, in
99
stipulant à la charge du débiteur une obligation
de résultat ne sauraient en revanche, imposer au créancier la
nécessité d'établir l'existence d'une faute: le constat
d'une inexécution contractuelle peut donc, à lui seul,
entraîner la responsabilité du débiteur. Nous pouvons donc,
à travers cette analyse, admettre l'existence d'un détachement
entre la notion de faute contractuelle et celle d'inexécution
contractuelle. Cependant, bien que le terme de "faute contractuelle" soit
effectivement contesté par une partie de la doctrine261, la
majorité des auteurs adhèrent cependant à l'idée
selon laquelle une inexécution revêtirait automatiquement la
qualification de faute contractuelle262. On peut citer à cet
égard, la définition de la faute contractuelle issue du
Vocabulaire juridique de Henri Capitant. Ce dernier la définit en effet
comme "l'inobservation, par le débiteur, d'une obligation née du
contrat (par inexécution totale, exécution défectueuse ou
tardive) qui engage sa responsabilité contractuelle".
Il est toutefois opportun de s'interroger sur la place
qu'occuperait la faute dans le cas où l'on concevrait que la
responsabilité contractuelle du débiteur puisse être
engagée en raison d'un simple risque manifeste d'inexécution. Si
la plupart des auteurs assimilent l'inexécution à la notion de
faute contractuelle, pourrait-on admettre que le risque manifeste
d'inexécution contractuelle légitimant la résolution
anticipée du contrat ainsi qu'une allocation de
dommages-intérêts, puisse revêtir une qualification
identique? Nous avons précédemment évoqué
l'idée selon laquelle la responsabilisation du débiteur en raison
d'un risque d'inexécution pouvait se justifier par la présence
masquée d'une défaillance actuelle: si un risque
d'inexécution se présente, ce serait parce que le débiteur
n'aura su maîtriser l'évolution de sa situation financière.
Un tel risque pourrait également être révélé
par la manifestation d'un comportement exécutoire déloyal
constituant ainsi l'inexécution d'une obligation implicite de ne pas
porter atteinte à la confiance du créancier. Si le
caractère fautif de ce deuxième aspect ne fait aucun doute, il en
est tout autre pour le premier. La situation irrémédiablement
compromise du débiteur peut, certes, révéler un manque de
diligence de la part de ce dernier quant à la gestion de sa situation
financière mais l'on ne pourra toutefois systématiquement
assimiler une telle défaillance à un comportement fautif alors
même que les
Le contrat au début du XXIe siècle, Etudes offertes
à Jacques Ghestin, p. 941.
261. D.TALLON, "Pourquoi parler de faute contractuelle?", in
Mélanges Cornu, 1995, p.429. Selon D. Tallon, il ne faudrait pas parler
de faute contractuelle mais d'inexécution, l'emploi du terme "faute"
constituant un emprunt inopportun et abusif au droit des délits et
quasi-délits.
262. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.176: "Le fait de
l'inexécution est (...) constitutif d'une faute, dès lors que
l'essence de l'obligation est d'être exécutée et que
l'inexécution considérée ne trouve pas son origine dans
une cause étrangère". On constate malgré tout que les
auteurs ne manquent pas de préciser par la suite qu'il y aurait lieu
d'accorder statistiquement "une préférence aux mots manquements
et défaillance qui sont mieux adaptés au cadre contractuel".
100
conditions de la force majeure, très difficiles
à réunir, ne seraient pas établies. Il sera d'autant plus
ardu d'évoquer un quelconque comportement contractuel fautif lorsque le
débiteur en difficulté aura pris soin de signaler par avance au
créancier son risque d'insolvabilité dans un objectif de
coopération et partant, d'anticipation des conséquences
néfastes d'une inexécution potentielle.
Nous pouvons par conséquent affirmer que si le risque
d'inexécution justifie l'engagement de la responsabilité du
débiteur, ce serait en raison d'une défaillance qui n'aurait
aucune raison d'être systématiquement assimilée à
une faute contractuelle. Nous pouvons donc émettre l'hypothèse
selon laquelle le risque d'inexécution contractuelle constituerait un
fait générateur de responsabilité objective susceptible
d'être sanctionné par la résolution anticipée du
contrat ainsi qu'une demande d'allocation de dommages-intérêts
correspondant au préjudice futur résultant de
l'inexécution ultérieure. Cette conception est conforme aux
objectifs de la résolution anticipée qui a pour finalité
principale de répondre à un impératif d'efficacité
économique, écartant ainsi toute approche moraliste à
laquelle renverrait l'idée de faute.
Nous pouvons admettre que la remise en cause du principe de la
responsabilité contractuelle fondée sur la faute dans le cadre du
risque d'inexécution, pourrait s'étendre à toute
inexécution contractuelle. L'exemple de la résolution
anticipée fondée sur des considérations
d'efficacité économique pourrait porter une forte atteinte
à une approche traditionnellement moraliste de la responsabilité
contractuelle. L'impératif d'efficacité économique
pourrait en effet inviter la doctrine française à concevoir que
si la responsabilité du débiteur est engagée, ce ne
serait, par principe, non en raison de la commission d'une faute mais sur le
fondement d'une simple défaillance. La responsabilité
contractuelle du débiteur serait donc objective.
B\ Le degré de certitude du risque
L'engagement de la responsabilité du débiteur
serait conditionnée à un certain degré de certitude du
risque d'inexécution. Celle-ci pourra être engagée chaque
fois que le risque sera certain (1) ou découlera de l'évidence
(2). Il conviendra toutefois de noter que la simple probabilité
sérieuse de risque d'inexécution appelant la mise en oeuvre du
mécanisme de l'exception pour risque d'inexécution pourrait avoir
pour effet indirect d'engager, du moins partiellement, la responsabilité
du débiteur. Telle est la raison pour laquelle il reviendra au
101
créancier d'indemniser le débiteur chaque fois
qu'une exception pour risque d'inexécution dommageable aura
été mise en oeuvre à tort (3).
1. Certitude de l'inexécution future
Il ne fait aucun doute que la responsabilité du
débiteur pourra être engagée chaque fois que
l'inexécution future sera certaine. Anticiper, et partant, "faire comme
si" le futur était d'ores et déjà présent est
effectivement relativement aisé lorsque l'on est sûr que
l'événement redouté aura lieu. Le créancier pourra
donc procéder à une résolution anticipée
accompagnée d'une demande d'allocation de
dommages-intérêts. Le caractère certain de
l'inexécution future reste toutefois une hypothèse relativement
rare et ce faisant, quasi-impossible à démontrer. La
faculté de déterminer avec certitude un tel
événement relèverait de l'utopie. Partant de l'idée
selon laquelle il serait inconcevable d'exiger du créancier un certain
pouvoir de prédiction263, les systèmes juridiques
admettant en leur sein le mécanisme de la résolution
anticipée exigent que l'inexécution future soit "certaine ou
apparemment certaine"264. En d'autres termes, elle doit
découler de l'"évidence"265.
2. Évidence de l'inexécution future
L'"évidence"266 de l'inexécution
future, traduit dans la plupart des textes législatifs
énonçant la résolution anticipée par les termes
"risque manifeste d'inexécution", est purgé de toute exigence de
prédiction de la part du créancier. Affirmer que
l'inexécution ultérieure doit paraître évidente
revient à exiger du créancier une simple analyse de la situation
actuelle. Cette dernière doit en effet laisser raisonnablement penser
que le débiteur n'exécutera ses obligations contractuelles
lorsque ces dernières arriveront à échéance. Par
conséquent, la responsabilité du débiteur pourra
être engagée toutes les fois que les circonstances actuelles
permettront légitimement de penser qu'il n'exécutera pas ses
obligations. Comme les termes "légitime" ou "raisonnable" que nous
venons d'évoquer, l'indique, l'évidence ne saurait aucunement
procéder d'un subjectif sentiment d'anxiété du
créancier: elle doit se fonder sur
263. Comme a pu l'affirmer M. Le juge Posner, "personne n'attend
du créancier qu'il lise l'avenir ou qu'il prédise une
modification hautement probable de la situation ou des intentions du
débiteurs" (Central States, SE & SW Pen v. Basic Am. Ind., 252 F.3d
911, spéc., p.919: "(...) the doctrine of anticipatory repudiation does
not traffic in the miraculous. A breach occurs when it is reasonably certain
that the other party is not going to meet its obligations under the contract in
timely fashion");
264. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
265. Aurélie BRES, La résolution du contrat par
dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.
266. Aurélie BRES, La résolution du contrat par
dénonciation unilatérale, Litec, 2009, p.306 et s.
102
des éléments objectifs tels qu'une situation
financière irrémédiablement compromise confirmée
par une réponse négative ou une absence de réponse
à une demande d'attestation d'exécution, une déclaration
non équivoque par le débiteur d'exécuter ses obligations
futures, ou encore un comportement exécutoire déloyal de la part
de ce dernier.
3. Probabilité de l'inexécution future
Seule l'exception pour risque d'inexécution peut
être justifiée par une simple éventualité
d'inexécution, quoique le degré de probabilité se doit
malgré tout de revêtir un caractère
sérieux267. Il convient par ailleurs de noter que seul
l'inexécution et le risque manifeste d'inexécution peuvent avoir
pour effet d'engager la responsabilité du débiteur. On ne
pourrait assurément concevoir qu'un simple risque d'inexécution
puisse constituer un fait générateur de responsabilité.
Toutefois, lorsque celui-ci revête un caractère de
probabilité sérieux, le créancier craintif pourra adopter
une mesure visant à protéger ses intérêts
économiques: à savoir, la mise en oeuvre d'une exception pour
risque d'inexécution. Certains auteurs ont malgré tout pu faire
observer que l'application d'une telle mesure pouvait, en pratique,
déployer des effets similaires à une résolution partielle
du contrat. Tel serait notamment le cas de la suspension d'un contrat de
travail268. Cette observation permet alors d'affirmer qu'un simple
risque d'inexécution pourrait indirectement avoir pour effet de
responsabiliser le débiteur; ce qui peut nous sembler regrettable. Il
serait donc opportun d'exiger que, nonobstant le caractère
sérieux de la probabilité d'inexécution, le
créancier soit contraint d'indemniser le débiteur des
conséquences dommageables de la mise en oeuvre d'une exception pour
risque d'inexécution lorsque cette dernière aura
été appliquée inutilement.
Section 2: Le préjudice
"Point de dommage, point de réparation"269.
L'idée d'anticipation conduit malgré tout à
réfléchir sur une éventuelle interprétation
extensive de cette affirmation. Si la présence d'un dommage est
nécessaire à l'octroie d'une réparation, serait-il
exclusivement nécessaire que celui-ci ait été
effectivement subi? (§1) Bien que la doctrine y apporte d'ores et
déjà une
267. Voir supra, p.54
268. Denis TALLON et Donald HARRIS, Le contrat aujourd'hui:
comparaisons Franco-Anglaises (sous la direction de Jacques Ghestin):
"L'exception d'inexécution suspend le contrat, ce qui peut conduire,
selon la remarque de J. Ghestin, à une situation irréversible,
équivalent à une résolution partielle (par exemple, en
matière de contrat de travail)"
269. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, dalloz,
11e edition, 2013
103
réponse négative, l'introduction des
mécanismes d'anticipation aura pour effet de renforcer la prise en
considération du dommage futur (§2).
1. Un dommage actuel et certain
A l'instar du régime de la responsabilité civile
délictuelle, le dommage ne peut, en principe, être
réparé que s'il est "actuel, direct270 et
certain"271. Du moins, telle est la vision dominante des auteurs en
l'absence de toute idée d'anticipation, pour l'heure,
étrangère au droit français.
Le caractère certain implique, selon Flour, Aubert et
Savaux, que le dommage ait été définitivement subi par la
victime. Tout dommage éventuel doit alors être exclu de la
réparation.
Quant au caractère actuel, il signifie que ne pourrait
être pris en considération que le "préjudice que le juge a
la possibilité d'apprécier au jour où il statue". Les
auteurs font toutefois remarquer que l'exigence d'actualité n'exclue pas
le dommage futur lorsque celui-ci "constitue la prolongation certaine de la
situation actuellement constatée par le juge et qui peut être
d'ores et déjà appréciée par lui"272.
2. Un dommage futur et certain
L'inexécution contractuelle peut, certes, provoquer un
dommage immédiat mais également un préjudice futur. Les
conséquences néfastes d'une inexécution peuvent
effectivement être différées dans le temps. Il est
notoirement admis que le juge puisse prendre en considération le dommage
futur lorsque ce dernier est directement relié à
l'inexécution constatée et qu'il peut d'ores et
déjà être apprécié par le juge, autrement
dit, lorsque le dommage futur est certain273.
Quid du dommage futur qui résulterait non d'une
inexécution actuelle et constatée par le juge mais d'un simple
risque manifeste d'inexécution? Nous pouvons constater que le
caractère de certitude exigé est ici mis à mal par le
caractère incertain de l'inexécution elle-même. Cette
270. Voir infra, p.105
271. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209
272. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209
273. J. FLOUR, J.-L. AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.209
104
dernière, nous l'avons vu, devant être "certaine
ou apparemment certaine"274. Si l'inexécution future n'est
qu"apparemment certaine", il pourrait, à première vue,
paraître incongru d'affirmer que le dommage que le créancier
s'apprête à subir serait quant à lui certain. Cet
écueil reviendrait toutefois à méconnaître le
réel sens de la notion d'anticipation. Rappelons en effet que cette
dernière consiste à "faire comme si" l'événement
redouté avait d'ores et déjà eu lieu afin d'en tirer les
conséquences nécessaires. Autrement dit, il s'agit de
"transformer le futur en présent" et partant, de "faire comme si"
l'inexécution contractuelle avait eue lieu dès lors que la
situation actuelle laisse raisonnablement imaginer un tel
événement. Ainsi, à partir du moment, où l'on
considérera l'inexécution comme juridiquement acquise, il
incombera seulement de vérifier que cette dernière causerait un
dommage. Le caractère certain du dommage ne saurait donc être
démenti par l'incertitude de l'inexécution ultérieure.
Dès lors qu'il est certain qu'une telle inexécution causerait un
dommage et que la survenance de ladite inexécution serait certaine ou ne
serait qu'"apparemment certaine", il y aura lieu d'engager la
responsabilité du débiteur; les trois conditions de mise en
oeuvre de la responsabilité contractuelle étant remplies.
Nous pouvons alors constater que le principe selon lequel le
dommage réparable devrait nécessairement revêtir un
caractère actuel et certain se heurte au phénomène
d'anticipation. Si le dommage demeure certain, ce n'est que par le biais de
l'utilisation d'une "fiction juridique" consistant à "faire comme si" le
fait générateur avait déjà eu lieu. En
réalité, le dommage redouté n'est pas plus certain que
l'inexécution ultérieure. Si cette dernière n'est
qu'"apparemment certaine", il ne peut qu'en être de même pour le
dommage.
Quant au caractère actuel du dommage, bien que la
doctrine admette que celui-ci puisse faire l'objet d'exception, l'introduction
de mécanismes d'anticipation en droit positif pourrait bien le destituer
de son rang de principe. Le rôle de l'anticipation étant
d'éviter l'événement redouté afin d'en diminuer au
maximum les conséquences dommageables, l'idée de dommage actuel
par principe n'aurait plus lieu d'être proclamée. L'introduction
de mécanismes d'anticipation aura en effet pour objectif d'offrir au
créancier une faculté de faire face à un risque
d'inexécution et ce faisant, contrer ou diminuer les conséquences
d'un dommage futur.
274. Yves-Marie LAITHIER, Etude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ 2004, p. 568.
105
Section 3: Le lien de causalité
Bien que les rédacteurs du code civil aient
adhéré à la théorie de la causalité
adéquate (§1), la prise en compte du risque d'inexécution
comme fait générateur aurait pour effet d'entraîner une
distension du lien de causalité (§2).
§1: La causalité adéquate
La responsabilité d'un contractant ne saurait
être engagée sans qu'un lien de causalité ne soit
démontré entre le manquement contractuel du débiteur et le
dommage subi par le créancier. Cette exigence est prévue à
l'article 1151 du code civil qui dispose que "dans le cas même où
l'inexécution de la convention résulte du dol du débiteur,
les dommages et intérêts ne doivent comprendre à
l'égard de la perte éprouvée par le créancier et du
gain dont il a été privé, que ce qui est une suite
immédiate et directe de l'inexécution de la convention." L'emploi
des termes "suite immédiate et directe de l'inexécution"
dénote une volonté des rédacteurs du code civil
d'écarter tout ce qui n'aurait qu'un lien lointain et indirect avec le
dommage. Autrement dit, si le débiteur se doit de réparer le
dommage qui ne se serait pas produit sans sa faute, il ne doit aucunement
réparation des conséquences indirectes, qui auraient normalement
pu se produire sans celle-ci275. De nombreux auteurs se sont donc
appuyé sur cette rédaction pour concevoir la théorie de la
"cause adéquate" ou "cause générique" et rejeté le
"système de l'équivalence des conditions" consacré par une
partie de la doctrine. Cette dernière "consiste à dire que toutes
les causes doivent être considérées comme
équivalentes en ce qui concerne la production de l'effet. Il suffit donc
que le dommage puisse être rattaché par un lien quelconque
à la faute du débiteur pour que celui-ci en soit
déclaré responsable"276. Le système de la
causalité adéquate implique quant à lui, de distinguer,
"parmi les causes qui ont produit l'événement", celles qui sont
prépondérantes et partant, "dont il est certain, évident,
que l'effet ne se serait pas produit" sans elles, de celles qui sont
secondaires; c'est à dire que sans leur réalisation,
l'événement aurait également pu se produire. Selon cette
théorie, à laquelle les rédacteurs du code civil semblent
avoir adhéré, le débiteur ne peut être tenu
responsable que si l'inexécution de l'obligation est réellement
la
275. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.645; Civ 9 nov 1953, D.1954.5; 5 mars 1963, JCP
1965.II.13148
276. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.645
106
cause générique du dommage277.
§2: L'élargissement de la causalité
L'anticipation du risque d'inexécution pose un
problème délicat quant à la détermination du lien
direct de cause à effet. Il est en effet ardu de détecter un tel
lien entre un dommage futur et un événement qui ne s'est non pas
produit mais qui risque seulement de se produire. Autrement dit, il pourrait
paraître utopique de pouvoir démontrer qu'un simple risque
manifeste d'inexécution constituerait la cause directe d'un dommage
ultérieur. Afin d'illustrer cette difficulté, prenons l'exemple
d'une obligation de donner une somme d'argent pesant sur un débiteur
dont la situation financière laisserait légitimement penser que
ladite obligation ne sera pas satisfaite. Si le créancier souhaite
procéder à la résolution anticipée du contrat avec
une demande d'allocation de dommages-intérêts, et ce faisant,
engager la responsabilité contractuelle de son débiteur, le fait
générateur ne sera pas l'inexécution elle-même,
à savoir le non paiement de la somme d'argent puisque la dette n'est pas
encore échue, mais le risque d'inexécution qui pourrait par
exemple se traduire par l'insolvabilité durable et la situation
irrémédiablement compromise du débiteur. Or
l'insolvabilité de ce dernier ne saurait constituer la cause directe du
dommage affectant le créancier, à savoir la perte de gain subie
et le gain manqué. En effet, si le créancier subirait une perte
et serait privé d'un gain à l'échéance, la cause
directe d'un tel préjudice serait le non paiement par le débiteur
et non l'insolvabilité de ce dernier. Si celle-ci serait une cause
directe de l'inexécution par le débiteur, elle ne constitue
qu'une cause indirecte du préjudice subi par le créancier. Le
risque d'inexécution ne cause donc pas directement de dommage mais
laisse entrevoir, avec plus ou moins de certitude, la survenance d'un
préjudice. La reconnaissance de la responsabilité du
débiteur sur le fondement du risque manifeste d'inexécution
impliquerait alors une certaine distension du lien de causalité,
tranchant ainsi avec le système de la "cause générique" ou
"causalité adéquate" actuellement soutenu par la majeure partie
de la doctrine. Il n'en demeure pas moins que toutes les fois où le
risque d'inexécution sera manifeste, c'est à dire, dès
lors que la présence d'une inexécution future sera "certaine ou
apparemment certaine", la vigueur du lien de causalité ne saura,
malgré son caractère indirect sur le plan matériel,
être nié. Si le dommage subi ne pourrait être
qualifié de "suite immédiate et directe" du risque manifeste
d'inexécution, il n'en demeurera pas moins une conséquence
directe de l'inexécution, qui elle-même, aura été
une conséquence directe du risque manifeste d'inexécution.
L'assouplissement
277. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.645
107
du lien de causalité ne saurait remettre en cause sa
pertinence.
108
Chapitre 2: Les effets modifiés de la
responsabilité contractuelle
Nous ne présenterons pas les sanctions de
l'inexécution consommée dont le régime resterait
inchangé. Il conviendra en revanche de s'intéresser aux sanctions
de l'inexécution anticipée (§1) avant de conclure que
l'introduction de la résolution anticipée aura certainement pour
effet d'entraîner une reconnaissance explicite du principe de
résolution unilatérale du contrat (§2).
Section 1: La sanction de l'inexécution
anticipée
A la survenue du risque d'inexécution, un choix s'offre
au créancier: une demande d'exécution forcée lorsqu'elle
est possible (§1) ou bien encore, une résolution anticipée
accompagnée d'une demande de dommages-intérêts
(§2).
1. L'exécution forcée
Bien que la réparation en nature constitue le principe
en droit français, elle est en pratique rarement réalisable. Par
ailleurs l'article 1142 du code civil dispose que "toute obligation de faire ou
de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas
d'inexécution de la part du débiteur", bien que certaines
exceptions soient prévues, notamment aux articles 1143 et 1144 du code
civil.278
Par conséquent, le créancier peut
théoriquement opter pour l'exécution forcée à
l'échéance lorsque le risque d'inexécution se
présente mais celle-ci étant rarement praticable, un tel risque
amènera beaucoup plus fréquemment le créancier à
résoudre le contrat par anticipation avec une demande de
dommages-intérêts.
2. Les dommages-intérêts
L'allocation de dommages-intérêts demandée
dans le cadre d'une inexécution
278. J. FLOUR, J.-L AUBERT, E. SAVAUX, Les obligations, Le
rapport d'obligation, Sirey, 8e édition, 2013, p.221
109
anticipée est théoriquement indissociable de la
mise en oeuvre de la résolution anticipée (A). Il s'ensuivrait
par ailleurs une atténuation du principe de réparation
intégrale (B).
A\ l'indissociabilité de la résolution
anticipée
L'allocation de dommages-intérêts demandée
dans le cadre d'une inexécution anticipée est
théoriquement indissociable du mécanisme de la résolution
anticipée. En effet, si l'inexécution future est manifeste et que
le créancier ne choisit pas la voie de l'exécution forcée
ou que cette dernière est impossible ou inopportune, il ne pourra
légitimement attendre l'échéance de l'obligation du
débiteur en vertu du devoir de minimisation du dommage qui pèse
sur lui. Si il le fait, son préjudice sera diminué du montant
correspondant au dommage qu'il aurait pu éviter. Il incombe en effet au
créancier, dès lors que le risque d'inexécution se
manifeste, de prendre toutes les mesures nécessaires à la
réduction de son préjudice. Autrement dit, il devra, dans le cas
où l'exécution forcée serait impossible ou ne remplirait
pas cet objectif, procéder à la résolution
anticipée dès lors que le risque d'inexécution sera
manifeste. Par conséquent, la responsabilité du débiteur
fondée sur le risque manifeste d'inexécution se traduira soit par
une exécution forcée, soit par une résolution
anticipée accompagnée d'une allocation de
dommages-intérêts au bénéfice du
créancier.
B\ L'atténuation du principe de
réparation intégrale
Le principe de réparation intégrale suppose que
la totalité du préjudice soit réparé mais que le
montant des dommages-intérêts ne saurait dépasser ce
dernier. Ce montant recouvre aussi bien le préjudice matériel que
le préjudice moral mais exclue toutefois le dommage que l'on n'aura pu
prévoir au moment de la conclusion du contrat279 ainsi que
toutes conséquences dommageables qui ne seraient pas une "suite
immédiate et directe de l'inexécution de la
convention"280. Le préjudice matériel comprend, aux
termes de l'article 1149 du code civil, la perte subie et le gain manqué
par le créancier, résultant de l'inexécution
contractuelle.
L'application de la résolution anticipée
entraînerait inévitablement une forte atténuation du
principe de réparation intégrale; l'objectif de l'anticipation
étant de réduire le préjudice subi par le
créancier, et partant, le montant des dommages-intérêts dus
par le débiteur. En réalité, si
279. Article 1150 du code civil
280. Article 1151 du code civil
110
le préjudice du créancier serait
réparé intégralement, ce ne serait qu'à condition
que ce dernier ait pris soin de minimiser son dommage par application de la
résolution anticipée au moment opportun. Autrement dit, le
préjudice n'est réparé intégralement qu'en
présence d'un comportement contractuel diligent tendant à la
minimisation du dommage par le créancier. Le dommage consécutif
à l'inexécution du débiteur, ne pourra donc être
réparé intégralement si il s'avère que le
créancier n'a pas exécuté son devoir de minimiser son
dommage. Seul le dommage minimisé est intégralement
réparable. Ce bouleversement implique donc un nouveau mode
d'évaluation du préjudice: celui-ci sera évalué
à la date où le risque d'inexécution sera manifeste,
c'est-à-dire, au moment où les circonstances visibles par le
créancier laisseront raisonnablement penser que l'exécution du
débiteur n'aura lieu. De telles circonstances peuvent provenir d'une
déclaration non équivoque du débiteur quant à
l'inexécution de ses obligations futures ou encore d'une
insolvabilité durable et une situation irrémédiablement
compromise du débiteur confirmée par une demande d'attestation
d'exécution émise par le créancier demeurée
infructueuse. C'est en effet, à partir de ce moment, que le
créancier pourra prendre les mesures propres à l'anticipation du
risque d'inexécution. Il en résulte ainsi que le montant des
dommages-intérêts dus par le débiteur correspondra à
la valeur de la perte que le créancier aurait subi et au gain qu'il
aurait manqué dans le cas où l'obligation arrivée à
échéance n'aurait été exécutée,
diminuée de la "valeur économique du temps"281
séparant la manifestation du risque d'inexécution et
l'échéance de l'obligation pesant sur le débiteur. La
"valeur économique du temps" inclura divers paramètres tels que
les fluctuations du marché, ou encore, l'opportunité pour le
créancier de se remplacer.
Ce mode d'évaluation diffère fortement de notre
conception actuelle tendant à évaluer le préjudice au jour
du jugement définitif rendu à la suite de l'inexécution de
l'obligation et ayant pour objet de prononcer l'indemnité282.
On ne se place plus à la date du jugement rendu à la suite de
l'échéance d'une obligation inexécutée mais au
moment où le créancier aura raisonnablement pu réduire son
préjudice283 aux fins de répondre à un
impératif d'efficacité économique. Or, si la date
d'évaluation du préjudice correspondait au jour du jugement rendu
à la suite de l'échéance de l'obligation
inexécutée, il y aurait notamment un risque d'enrichissement du
créancier dû aux potentielles fluctuations du marché
séparant la manifestation du risque d'inexécution et
l'échéance de l'obligation.
281. A. ETIENNEY-DE SAINTE MARIE, Le temps et le
contrat, in Le temps et le droit, journée nationale tome XVIII,
Dalloz 2014
282. F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations, Dalloz,
11e edition, 2013, p.651
283. Y.-M. LAITHIER, Étude comparative des sanctions de
l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.585
111
Il convient toutefois de rappeler qu'en cas de comportement
exécutoire déloyal du débiteur tendant à faire
échec à l'exécution des obligations à
échoir, le devoir de minimisation du dommage n'aura pas lieu de
s'appliquer. Le préjudice devra donc être évalué
à l'échéance de l'obligation inexécutée
quand bien même la résolution aurait été
appliquée de manière anticipée et "y compris si
l'échéance est postérieure à la date à
laquelle le jugement est rendu"284.
Section 2: La reconnaissance du principe de
résolution unilatérale
Le projet de réforme du droit des contrats consacre
expressément la possibilité de résoudre
unilatéralement le contrat, à côté du jeu de la
clause résolutoire ainsi que de la demande en justice. En effet,
l'article 1224 dudit projet dispose que "la résolution résulte
soit de l'application d'une clause résolutoire, soit, en cas
d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier
au débiteur ou d'une décision de justice." Nous pouvons ainsi
observer une disparition du principe de la résolution judiciaire
actuellement exposé à l'article 1184 du code civil aux termes
duquel la résolution du contrat doit être demandée en
justice. Un tel bouleversement était largement prévisible dans le
sens où la jurisprudence accorde depuis de nombreuses décennies
la faculté au créancier de résoudre "à ses risques
et périls" en présence d'un comportement grave du
débiteur285.
L'admission de la résolution anticipée devrait
malgré tout entraîner un agrandissement de la "place" offerte
à "l'unilatéralisme"286 en droit positif. Alors
qu'aucune hiérarchie ne semble instaurée entre les modes de
rupture du contrat octroyés au créancier à l'article 1224
du projet de la Chancellerie, la reconnaissance de la résolution
anticipée pourrait bien inviter le législateur à
reléguer la résolution judiciaire au rang d'exception alors que
la résolution unilatérale du contrat deviendrait le principe. Il
convient en effet de rappeler que la résolution
284. Yves-Marie LAITHIER, Étude comparative des sanctions
de l'inexécution du contrat, LGDJ, 2004, p.584585: Y.-M Laithier
critique à juste titre la règle selon laquelle le
préjudice doit être évalué à
l'échéance de l'obligation inexécutée. En effet, le
devoir de minimisation du dommage pesant sur le créancier devrait
impliquer que le préjudice soit évalué à partir du
moment où celui-ci aura raisonnablement pu le réduire, à
savoir à partir de l'instant où apparaît un risque
manifeste d'exécution. Toutefois, cette obligation n'a pas lieu de
s'appliquer en présence d'un comportement exécutoire
déloyal du débiteur, appelant ainsi l'application de la
résolution anticipée pour perte de confiance. La date
d'évaluation du préjudice doit donc dans ce cas, être
évaluée à l'échéance de l'obligation
inexécutée.
285. Voir supra, p.73
286. S.Bros, Le projet de droit commun européen de la
vente: menace ou opportunité pur la modèle contractuel
français - la place de l'unilatéralisme: progrès ou
danger? S. Bros, RDC Octobre 2012 p.1452
112
anticipée ne peut être efficacement mise en
oeuvre que de manière unilatérale287: imposer au
créancier menacé d'inexécution une demande en justice
priverait de toute utilité ce mécanisme d'anticipation qui est de
répondre à un impératif de
célérité288. L'obligation de recourir à
un juge serait par ailleurs d'autant plus mal venue si l'on impose au
créancier de satisfaire à un devoir de minimisation du dommage
qui nécessite de prendre les mesures nécessaires dès lors
que le risque d'inexécution est manifeste et non au moment où le
juge aura statué.
Nous pouvons alors aisément conclure que si l'on admet
que le créancier puisse s'extraire unilatéralement du contrat en
raison d'un risque manifeste d'inexécution, il serait incohérent
d'obliger ce dernier à saisir le juge dans le cas où
l'inexécution aurait eu lieue. La résolution judiciaire
deviendrait alors une mesure d'exception. Il conviendra toutefois de ne pas
négliger l'existence, bien que résiduelle, de cette
dernière. Si la résolution unilatérale, anticipée
ou non, aurait vocation à devenir un principe du droit commun des
contrats, cette dernière ne saurait aisément s'appliquer au sein
des rapports contractuels naturellement déséquilibrés tels
que les relations entre professionnels et consommateurs289290. Il
conviendrait alors que certains régimes spéciaux ne manquent pas
de subordonner la résolution du contrat à un recours judiciaire
aux fins de protéger la partie faible au contrat.
287. Thomas GENICON, La résolution du contrat pour
inexécution, LGDJ, 2007
288. Voir supra, p.22
289. Thomas Piazzon, La place de l'unilatéralisme:
progrès ou danger?, RDC Octobre 2009 in (Le projet de droit commun
européen de la vente: menace ou opportunité pour le modèle
contractuel français): S'agissant de la protection des consommateurs,
"certaines prérogatives unilatérales qui peuvent être
reconnues au vendeur ou à l'acquéreur risquent de constituer,
pour ce dernier, autant de pièges disséminés ça et
là dans le (projet de droit commun européen de la vente). Notre
avis est que ces différentes prérogatives, adaptées aux
contrats entre professionnels, peuvent difficilement faire l'objet d'une
transposition en droit de la consommation. Il en va ainsi de la
résolution pour risque d'inexécution."
290. Voir supra, p.22
113
114
Conclusion générale
L'idée de "considérer comme juridiquement
acquise" une inexécution future, et donc de "faire présent ce qui
est futur"291 pouvait de prime abord, paraître
déroutante au regard des fondements traditionnels de la force
obligatoire du contrat. Le succès rencontré par les
mécanismes d'anticipation que sont la résolution anticipée
et l'exception pour risque d'inexécution sur le plan international, tant
dans les pays de common law qu'au sein des systèmes de droit
romano-germanique, ont pu inspiré l'élaboration de nombreux
travaux doctrinaux sur le sujet alors que la jurisprudence semble avoir ouvert
la porte à l'admission de tels mécanismes. Les barrières
législatives semblent par ailleurs sur le point d'être
partiellement franchies avec la reconnaissance explicite de l'exception pour
risque d'inexécution au sein du projet de réforme du droit des
contrats.
L'objet de notre étude s'attachait malgré tout
à démontrer que tant la résolution anticipée que
l'exception pour risque d'inexécution devraient trouver place en droit
positif. L'anticipation du risque d'inexécution contractuelle ne
pourrait efficacement s'opérer qu'à travers la
complémentarité de ces mécanismes juridiques: alors que la
résolution anticipée permettrait au créancier de
procéder à l'anéantissement du lien contractuel en
présence d'un risque manifeste d'inexécution, l'exception pour
risque d'inexécution pourrait subsidiairement être mise en oeuvre
lorsque le risque n'est que sérieusement probable avec une
faculté de demander une "assurance suffisante d'exécution" dont
la demande infructueuse permettrait de basculer vers la résolution
anticipée.
En ce qui concerne la résolution anticipée qui
constitue le mécanisme d'anticipation le plus efficace, mais
également le plus radical et controversé, deux formes pourraient
coexister: la résolution anticipée fondée sur l'atteinte
à la confiance légitime du créancier ainsi que la
résolution anticipée fondée sur l'efficacité
économique du contrat.
La première ne pourrait être mise en oeuvre qu'en
présence d'un comportement exécutoire déloyal du
débiteur. Elle ne saurait évidemment recouvrir à elle
seule l'ensemble des situations de fait objective dénotant un risque
d'inexécution mais possède néanmoins
291. J.-C Hallouin, L'anticipation: contribution à la
formation des situations juridiques, thèse Poitiers, 1979, p.VIII
115
l'avantage de ne pas soumettre le créancier à
l'obligation de démontrer le caractère manifeste de
l'inexécution future. L'apport de la preuve du comportement
exécutoire déloyal du débiteur postulerait l'existence
d'un risque manifeste d'inexécution. Elle permettrait en outre
d'éviter l'application du devoir de minimisation du dommage qui devrait
peser sur le créancier dans le cadre de la résolution
anticipée fondée sur l'efficacité économique du
contrat, et par ailleurs écarter la réparation du seul dommage
prévisible.
La deuxième pourrait en revanche être
appliquée dès lors que le créancier se situerait face
à un risque manifeste d'inexécution; ce dernier pouvant se
traduire par un refus univoque du débiteur d'exécuter ses
obligations à l'échéance, ou encore par la situation
financière irrémédiablement compromise de ce dernier. Il
appartiendrait alors au créancier d'apporter la preuve du
caractère manifeste de l'inexécution future dans le cadre d'un
éventuel contrôle a posteriori.
Plus globalement, l'admission de ces mécanismes
d'anticipation pourrait avoir non seulement pour effet de bouleverser notre
conception traditionnelle de la responsabilité contractuelle mais
également d'entraîner la consécration de nouveaux
fondements: à savoir, le principe de confiance légitime et celui
d'efficacité économique du contrat. La reconnaissance explicite
de ces principes permettrait ainsi de répondre à l'un des
objectifs les plus cruciaux du droit des contrats: concilier la
sécurité du lien contractuel avec l'impératif de
célérité que commande la vie des affaires.
116
Bibliographie
Ouvrages
- F. TERRE, P. SIMLER, Y. LEQUETTE, Les obligations,
Dalloz,11e edition, 2013
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Thèses
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- Civ 30 décembre 1941
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- Article 2-610 du code commerce uniforme des Etats-Unis (UCC
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- Loi du 15 mars 1999 (Droit chinois)
- §323 (4) du BGB (Droit allemand)
- §321 (1) du BGB (Droit allemand)
- Loi du 26 novembre 2001 relative à la modernisation du
droit des obligation (Gesetz zur
119
Modernisierung des Schuldrechts) (Droit allemand)
- Articolo 1461 del codice civile italiano (Droit italien)
- Article 1134 du code civil
- Article 72 convention de Vienne relative à la vente
internationale de marchandise
- Article 111 du projet Terré
- Article 9:201 des PDEC
- Article 9:304 des PDEC
- Restatement of Contracts §250 et s.
- Principes d'UNIDROIT: Art 7.3.3
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du conseil relatif relatif à un droit commun européen de la vente
du 11/10/2011 COM(2011) 635 final
- Loi n° 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement
et à la liquidation judiciaires des entreprises
- Article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen
- Article 1186 du code civil
- Art. 1220 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations
- Article L621-40 du ccom - Article 1135 du code civil - Article
1150 du code civil
- Art. 1224 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
obligations
- Art. 1226 du projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats, du régime général et de la preuve des
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- Article 1151 du code civil
Notes de jurisprudence
- Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65 - Civ 1er, 23 octobre
1963, bull n°452
120
- Com. 2 févr. 1993
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- Com 15 janvier 1973, bull. civ IV, n°24, p.18,
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- Com 1er décembre 1992, rtd civ 1993. 578 obs.
J.Mestre
- civ 26 févr 1896, S.97.1.187
- Civ 2e du 24 novembre 2011 (10-25635)
- Cass. 1ère Civ., 2 juillet 2014, n°13-17.599
- Cass 3ème Civ., 10 juillet 2013, n°12-13.851
- civ 25 avril 1936, DH 1936.331
- Soc 22 oct 1991, D. 19923.189, note Karaquillo
- Civ 30 décembre 1941: DA 1942. 98
- Cass req 4 janvier 1927, DH 1927, p.65; S. 1927, 1, p.188
- Civ 9 nov 1953, D.1954.5
- Civ 5 mars 1963, JCP 1965.II.13148
Sites internet
-
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0635:FIN:fr:PDF
-
http://www.uncitral.org/pdf/french/texts/sales/cisg/V1056998-CISG-f.pdf
-
http://www.larousse.fr
121
Table des matières
Remerciements 3
Sommaire 4
Introduction 5
Partie 1: L'admissibilité des mécanismes
d'anticipation du risque d'inexécution 11
Titre 1: L'existence avérée des mécanismes
d'anticipation 12
Chapitre 1: L'expansion internationale des mécanismes
d'anticipation 13
Section 1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de
common law 13
§1: L'"anticipatory breach of contract" 13
A\ L'émergence de l'inexécution anticipée
13
B\ Le fondement de l'inexécution anticipée 15
§2: l'exception pour risque d'inexécution 17
A\ En droit américain 17
B\ En droit anglais 18
Section 2: Des mécanismes d'anticipation en droit
continental et international 18
§1: Des mécanismes d'anticipation dans les pays de
tradition civiliste 18
A. L'anticipation du risque d'inexécution en droit chinois
18
1. L'exception pour risque d'inexécution 18
2. La résolution anticipée 19
B. L'anticipation du risque d'inexécution en droit
européen 20
1. Droit de l'ue 20
a) Les PDEC 20
b) La proposition de règlement du parlement
européen et du conseil
relatif à un droit commun européen de la vente
22
2. droit des pays voisins 24
§2: Droit du commerce international et mécanismes
d'anticipation 25
A\ Convention de Vienne du 11 avril 1980 25
B\ Principes Unidroit 26
Chapitre 2: L'ouverture du droit interne aux mécanismes
d'anticipation 27
Section 1: La reconnaissance de l'exception pour risque
d'inexécution 27
§1: La dissimulation de l'exception pour risque
d'inexécution 27
A\ Les dispositions relatives au contrat de vente 27
B\ L'application détournée de la
déchéance du terme 29
C\ L'application détournée des
référés spéciaux 32
§2: La consécration de l'exception pour risque
d'inexécution 33
A\ L'opportunité d'un principe général 33
B\ Le projet de la chancellerie 34
Section 2: L'admissibilité de la résolution par
anticipation 35
§1: L'absence de consécration de la
résolution anticipée 35
A\ Une réticence législative 35
B\ Un souhait doctrinal 37
§2: L'applicabilité de la résolution
anticipée 38
A\ L'article 1186 du code civil 39
B\ L'article 1184 du code civil 39
§3: Une ouverture jurisprudentielle 41
Titre 2: Le régime suggéré des
mécanismes d'anticipation 43
Chapitre 1: La résolution anticipée 44
Section 1: Les conditions de la résolution
anticipée 44
§1: conditions de fond 44
122
A\ Une inexécution future 44
B\ Une inexécution suffisamment grave 45
1. L'exigence de gravité 45
2. Les caractères de la gravité 45
C\ Un risque d'inexécution manifeste 46
1. L'absence de certitude absolue 46
2. Les formes du risque d'inexécution manifeste 47
a) Le refus univoque d'exécuter à
l'échéance 47
b) L'impossibilité avérée
d'exécution à l'échéance 48
c) Le comportement exécutoire déloyal 48
§2: conditions de forme 49
A\ Une notification au débiteur 49
B\ Une demande d'attestation d'exécution future 49
Section 2: Les effets de la résolution anticipée
50
§1: L'anéantissement rétroactif du contrat
50
§2: La date d'évaluation du préjudice 50
Chapitre 2: L'exception pour risque d'inexécution 53
Section 1: Les conditions de l'exception pour risque
d'inexécution 53
§1: conditions de fond 53
A\ Une inexécution future 53
B\ Une inexécution suffisamment grave 53
C\ Une inexécution probable 54
§2: conditions de forme 55
Section 2: Les effets de l'exception pour risque
d'inexécution 55
§1: La suspension de l'obligation 56
§2: L'éventuelle conversion en résolution
anticipée 56
A\ La possibilité de provoquer la résolution
anticipée 56
B\ L'exception pour risque d'inexécution comme
préalable à la résolution
anticipée 57
Partie 2: La portée des mécanismes d'anticipation
du risque d'inexécution 59
Titre 1: La consécration de principes novateurs 60
Chapitre 1: Le principe de confiance légitime 61
Section 1: Le contrat comme "acte de foi" 61
§1: l'assouplissement de la force obligatoire du contrat
61
A\ Rappel sur la conception traditionnelle de la force
obligatoire du contrat 61
B\ Proposition d'un nouveau fondement de la force obligatoire du
contrat 63
1. La confiance en droit des contrats 63
a) L'insuffisance du pouvoir de la volonté 63
b) La redécouverte de la notion de confiance 64
2. La légitimité de la confiance accordée
65
C\ Conséquences de la confiance légitime comme
fondement de la force
obligatoire du contrat 66
§2: La confiance du créancier trahie 66
A\ Rupture du lien de confiance et anticipation de
l'inexécution 66
1. L'atteinte à la confiance du créancier comme
inexécution d'une obligation
implicite 67
2. L'atteinte à la confiance du créancier comme
fondement indirect de
l'anticipation 67
3. L'atteinte à la confiance du créancier comme
fondement partiel de
l'anticipation 68
123
B\ Admission des modes d'anticipation et reconnaissance du
principe de
confiance légitime 70
Section 2: Les réticences du droit français 72
§1: La méfiance de principe en droit français
72
A\ Méfiance et formalisme 73
B\ Méfiance et unilatéralisme 73
C\ Méfiance de l'avenir 74
§2: Le maintien d'une approche traditionnelle 75
A\ L'approche libérale du lien contractuel
préservée 75
B\ L'approche morale du lien contractuel préservée
77
Chapitre 2: L'efficacité économique du contrat
79
Section 1: l'influence de l'anticipation sur l'efficacité
économique du contrat 79
§1: La protection améliorée des cocontractants
79
A\ la réduction du préjudice 79
1. Par la résolution anticipée 80
2. Par l'exception pour risque d'inexécution 80
B\ La réduction des dommages-intérêts 81
1. La coopération contractuelle incitée 82
2. Le devoir de minimisation du dommage 82
a) Le devoir de résolution anticipée 82
b) L'écueil de la résolution anticipée
abusive 83
c) Perspective sur une éventuelle consécration en
droit positif 84
§2: l'efficacité économique comme fondement de
la résolution anticipée 86
Section 2: L'influence de l'efficacité économique
sur le droit positif des contrats 87
§1: L'assouplissement de la force obligatoire du contrat
87
§2: L'efficacité économique comme fondement
de la résolution pour inexécution
88
A\ La mise à l'écart de la notion de cause 88
B\ L'indifférence du caractère fautif de
l'inexécution 90
Titre 2: Le bouleversement du régime de la
responsabilité contractuelle 91
Chapitre 1: Les conditions modifiées de la
responsabilité 92
contractuelle 92
Section 1: Le fait générateur 92
§1: Une inexécution contractuelle 92
A\ L'inexécution des obligations stipulées 93
B\ L'inexécution des obligations implicites 93
§2: Un risque d'inexécution contractuelle 95
A\ La responsabilité pour inexécution
anticipée 95
1. Fondement 95
2. Justification 97
3. Mise à l'écart de la faute 98
B\ Le degré de certitude du risque 100
1. Certitude de l'inexécution future 101
2. Évidence de l'inexécution future 101
3. Probabilité de l'inexécution future 102
Section 2: Le préjudice 102
§1: Un dommage actuel et certain 103
§2: Un dommage futur et certain 103
Section 3: Le lien de causalité 105
§1: La causalité adéquate 105
124
§2: L'élargissement de la causalité 106
Chapitre 2: Les effets modifiés de la
responsabilité contractuelle 108
Section 1: La sanction de l'inexécution anticipée
108
§1: L'exécution forcée 108
§2: Les dommages-intérêts 108
A\ l'indissociabilité de la résolution
anticipée 109
B\ L'atténuation du principe de réparation
intégrale 109
Section 2: La reconnaissance du principe de résolution
unilatérale 111
Conclusion générale 114
Bibliographie 116
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