Université de Picardie Jules Verne Amiens
Département de sociologie
Mémoire de Master 1
Entre conversion et ruptures
Etude des populations végétariennes de
France
par Kévin Aubert
sous la direction de Rémy Caveng Juin 2016
1
Table des matières
Remerciements 3
Introduction 4
Actualité socio-politique et sociologique
4
Qu'est-ce que le végétarisme ?
7
Objet sociologique 9
Mise en perspective des termes 10
Méthodologies et contexte d'enquête
11
Phase préliminaire et entretiens 11
Questionnaire 12
Problèmes rencontrés lors de
l'enquête quantitative 13
Chapitre 1 - Genèse et controverses du
végétarisme 15
1.1. Evolution du végétarisme
15
1.1.1. Le cas de l'Angleterre et 15
1.1.2. ... de la France 18
1.2. Les controverses autour du régime anti-viande
21
Chapitre 2 - Entrée dans une carrière et
justifications 28
2.1. Analyse des justifications 29
2.2. Choc moral et dispositifs de sensibilisation
33
2.3. Carrière et sociabilités virtuelles
37
2.4. Des carrières différentes : du
végétarisme au véganisme 39
2.5. Végétariens, végétaliens
et végans : entrepreneurs de morale ? 40
2.6. Conclusion 42
2
Chapitre 3 - Rupture avec la socialisation
antérieure 45
3.1. Entre normes alimentaires parentales, origines
sociales et éducation 45
3.2. Une pratique nouvelle critiquée
50
3.2.1. Conversion, parents et famille 51
3.2.3. Conversion et amis 53
3.3. Ruptures et conséquences 55
3.3.1. Cercle familial 55
3.3.2. Politique 60
3.3.3. Religion 64
3.4. Conclusion 67
Chapitre 4 - Effets sur les autres pratiques
68
4.1. Evolution des systèmes de disposition
68
4.2. Des pratiques informelles en tant que modes
alternatives 68
4.2.1 Les pratiques alimentaires 69
4.2.2 Des pratiques informelles comme actions
rationnelles 73
Conclusion 76
Bilan des résultats 76
Ouvertures 77
Annexes 79
Bibliographie 91
Table des figures 93
Résumé 95
3
Remerciements
J'adresse mes remerciements aux personnes qui m'ont
aidé dans la réalisation de ce mémoire.
En premier lieu, je tiens à remercier Rémy
Caveng, Maître de conférences en sociologie. En tant que Directeur
de ce mémoire, il a pu diriger au cours de l'année universitaire
cette recherche. Ses précisions, son apport bibliographique, son soutien
et ses conseils m'ont été précieux tout au long de ce
travail.
Je tenais également à remercier tous les
participants sans qui ce mémoire n'aurait pu être
élaboré. Je les remercie d'avoir donné de leur temps que
ce soit pour les entretiens, les interactions spontanées lors de
manifestations ou le questionnaire. Leur sympathie pour avoir diffusé
à plus grande échelle le questionnaire m'a permis d'obtenir une
base de données conséquente. Bien que cette recherche se
concentre sur les populations végétariennes,
végétaliennes et véganes de France, le questionnaire a
été diffusé dans de nombreux pays.
Je porte une intention particulière à mes
camarades de sociologie, notre groupe de travail a permis de nombreux
échanges aussi studieux qu'amicaux.
Ensuite, mes remerciements vont à mes colocataires,
notamment Amilda et Camille qui sont déjà passées par
là. Leur aide, leur relecture ainsi que leur correction ont
été d'une grande aide.
Enfin, une pensée pour mes proches et amis qui m'ont
soutenu tout au long de ce travail.
4
Introduction
Actualité socio-politique et
sociologique
Depuis ces dernières années en France, il n'est
pas rare que nous soyons confrontés à des sujets en lien de
près ou de loin avec le végétarisme et ses revendications.
Ils sont de natures diverses : débats télévisuels
philosophiques, médicaux ou autres sur la condition animale, sur les
droits des animaux ou sur les impacts d'une alimentation carnée ou
végétale sur la santé ; médiatisation et
consultation de personnages publics en lien avec l'actualité
médiatique ou par promotion (notamment Matthieu Richard ou Aymeric
Caron, des associations comme Elodie Vieille Blanchard, présidente de
l'Association Végétarienne de France, Paul Watson en tant que
fondateur de Sea Sheperd et auteur de Urgence ! Si l'océan
meurt nous mourrons dans l'émission On n'est pas couché
de Laurent Ruquier, ou bien encore Pamela Anderson qui a récemment
prononcé un discours le 19 janvier 2016 à l'Assemblée
nationale en soutien à la proposition de loi de Laurence Abeille
(députée Europe Ecologie Les Verts) pour interdire le gavage des
palmipèdes) ; discussions autour de rapports scientifiques mettant en
cause la consommation de produits carnés comme facteur de maladies et de
cancers potentiels... Dernièrement, la question animale est même
présente dans les discours des politiciens français, notamment
chez Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen qui l'ont
intégrée dans leur programme présidentiel. Cependant la
prise de position de la présidente du Front national est
décriée par les associations de protection animale. En
réponse notamment à la création du « collectif
Belaud-Argos pour la protection animale en France », les associations
qualifient Marine Le Pen de « fausse amie des animaux »1.
Le candidat du Front de gauche lui place cette question dans la
redéfinition des modes de production et de consommation :
« Troisièmement, créer une nouvelle
attitude de consommation. Les protéines carnées, ça a une
limite. [...] Les protéines végétales seraient les
bienvenues. C'est une affaire de mode, de goût. Il faut changer nos
moeurs. Nous savons que le changement climatique a commencé. Mais le
changement pour la santé aussi: nous sommes en pleine
épidémie de cancers, de l'obésité. Il faut dire aux
gens que ce modèle ne pourra pas durer »2.
La « reprise » de la question de l'alimentation
végétale par la politique souligne le contexte dans lequel
l'alimentation carnée s'inscrit, à savoir la
non-durabilité des modes de production et de consommation carnée
où les débats s'accroissent depuis ces dernières
années. Sur le plan environnemental, le rapport de 2014 du Groupe
d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)
préconisait une réduction de la consommation de viande en
raison
1 Il est présenté sur le site du
collectif les objectifs en termes de bien-être animal et de place de
l'animal dans la société. Ces objectifs ne sont pas du goût
des défenseurs de la cause animale puisque les buts recherchés
tendent toujours à l'exploitation et à la consommation des
animaux de rente. Source :
http://belaud-argos.fr/le-collectif/.
2 Propos recueillis par le journaliste politique
Michel Urvoy pour Ouest France le 2 mars 2016. La question des
protéines végétales dans la planification
écologique du politicien s'inscrit dans le contexte des
conséquences que la production et la consommation de viande ont sur
l'environnement, sur la santé et sur les conditions de vie des
animaux.
5
de sa part conséquente dans les émissions de gaz
à effet de serre qui seraient de 14,5% des émissions mondiales.
Plus récemment en tant qu'enjeu sanitaire, le rapport de l'Organisation
mondiale de la santé concluait que les viandes rouges et les viandes
transformées seraient potentiellement cancérogènes, bien
que ce rapport ne préconise aucunement de réduire ou
d'arrêter la consommation de ces viandes. Quoiqu'il en soit les enjeux
sanitaires liés à la viande sont plus généralement
des enjeux alimentaires et qui font débats : vache folle3,
présence de viande chevaline dans certaines lasagnes, présence de
viande ou d'arômes dans des légumes en conserves, scandales dans
certains abattoirs...
La médiatisation du végétarisme est donc
assez conséquente depuis ces dernières années.
L'alimentation non-carnée tend ainsi à être reconnue, elle
bénéficie d'une journée mondiale depuis 1977, d'une
journée dédiée à l'alimentation
végétale (Jeudi Veggie) depuis 2013 en France, les
différentes manifestations annuelles organisées par des
associations (Veggie Pride, Vegan Place...), d'un label
Label V pour la commercialisation de certains produits en Europe par
l'Union végétarienne européenne4, etc.
D'un point de vue sociologique, cet ensemble mène
directement à un changement de goût et tend à
redéfinir les normes de perceptions que nous pouvons avoir de
l'alimentation. Les scandales alimentaires, les rapports scientifiques,
l'intérêt pour l'alimentation biologique etc. induisent par
exemple une meilleure traçabilité de la viande, une meilleure
viande, de meilleures conditions de vie pour les animaux de rente, une
alimentation moins grasse et moins calorique, une préférence pour
les aliments biologiques, frais et locaux que cela soit dans
l'intérêt de la santé ou de la planète...
La médiatisation plus accrue de cette branche de
l'actualité renvoie également à des controverses entre des
groupes sociaux induites par la perception de normes propres à chaque
groupe. Grossièrement, il s'agirait de l'ensemble de
végétariens contre le corps médical, les industriels de la
viande, etc. Cette médiatisation tend à individualiser les
problèmes liés aux végétarismes puisque les acteurs
du monde « végétal » légitimeraient des normes
comportementales. Manger de la viande responsabiliserait le comportement des
groupes sociaux, notamment à l'échelle de l'individu : manger de
la viande (excessivement) aurait des conséquences néfastes sur la
planète, sur la santé... Mais ces « normes de
prévoyances » constitueraient un motif de distinction sociale
(Comby & Grossetête, 2013) puisque les individus ne possèdent
pas tous les mêmes modes de vie et les mêmes niveaux de vie. A
partir de cela, une norme alimentaire non-carnée « universellement
» valable pour tous ne pourrait être appliquée en raison de
ces distinctions sociales (économiques, sociales et culturelles).
Les apports de la sociologie à l'analyse des
goûts et des dégoûts montrent que ce sont des constructions
sociales liées aux groupes sociaux et de leurs positions dans la
société et non un caractère inné allant « de
soi ». Cela revient à dire que les différentes
variétés de viandes ne sont pas socialement connotées de
la même manière. Pierre Bourdieu écrit que les groupes
sociaux ont des pratiques alimentaires compénétrées dans
ce qu'il appelle la légitimité culturelle. Laconiquement,
l'alimentation a pour but avant tout de nourrir le corps chez les
3 Le cas de la vache folle en France refait surface
depuis fin mai avec la découverte de ce cas chez une cinquantaine de
bovins dans les Ardennes.
4 Ce label devrait arriver en France cette
année, il sera distribué officiellement par l'Association
végétarienne de France. Le label se décline en deux
étiquettes : l'une pour les produits végétariens et
l'autre pour les produits végans.
6
classes populaires, féculents et viandes rouges sont
alors traditionnellement envisagés comme indispensables. Pour les
classes sociales économiquement et culturellement élevées,
l'alimentation est considérée avant tout comme un garant de la
minceur, du raffinage et de la luxure. La qualité et une plus faible
quantité de nourriture dans les repas se distinguent d'une alimentation
prônant en premier lieu la quantité et la force qu'elle procure
dans les milieux populaires. L'individu attribuant alors à son
alimentation des valeurs rattachés à ses origines sociales
(Bourdieu, 1979).
Le végétarisme et les végétariens
font l'objet de peu d'études en sociologie, les contributions
scientifiques restent assez marginales face à la philosophie. Cette
discipline a le mérite depuis les années 1970 d'intéresser
des philosophes partisans ou militants de la cause animale. Ils se
préoccupent plus de la question animale et des rapports que l'homme
entretient avec elle. Les parutions en 1975 de la Libération animale
de Peter Singer et Les Droits des animaux en 1983 de Tom Regan
ont été des facteurs incontournables dans la création de
mouvements - antispécistes - des droits des animaux.
L'apport sociologique découle principalement de la
discipline philosophique en raison de la constitution de nouveaux groupes de
militants pour la cause animale (mais aussi de militants environnementalistes
à partir des années 1970) et de revendications sociales et
politiques dans l'espace public (sous la forme d'actions collectives). Cet
ensemble ouvre au champ sociologique un nouvel objet d'étude. Christophe
Traïni et Isacco Turina sont deux des sociologues qui se sont
penchés sur la question du militantisme au sein de la cause animale.
Cependant une limite peut être apportée puisqu'il s'agit
d'études axées sur des militants qui ne sont pas forcément
végétariens, végétaliens ou végans (Faucher,
1998 ; Turina, 2010 ; Traïni, 2010, 2011). Ce sont donc des recherches sur
un objet donné qui mettent en évidence l'existence des
populations végétariennes. Dans un autre contexte, les
études du végétarisme sont essentiellement portées
sur son histoire et ses doctrines, et ne rendent pas compte de son objet social
actuel (par exemple : Whorton, 1994). Il existe toutefois des études
sociologiques sur ces populations et ces pratiques bien qu'elles datent
maintenant de plusieurs années (Ossipow, 1989, 1994, 1997).
7
Qu'est-ce que le végétarisme ?
Il arrive que le végétarisme soit source de
discordances, il n'est pas rare en effet d'entendre dans le sens commun que le
poisson rentre tout à fait dans cette pratique alimentaire. La viande
blanche peut également faire état d'un désaccord entre le
refus d'ingérer de la chair animale et la « place » qu'occupe
ce type de produit carné dans les représentations des
non-concernés. A cela, la différence entre la viande blanche et
rouge tiendrait comme justification la conscience collective qui rattacherait
la viande de boucherie directement à l'animal, au sang, et donc plus
symboliquement, à la mort.
Les conceptions de l'alimentation anti-viande sont
hétérogènes ; dans les sociétés
occidentales, les instances communément officielles du
végétarisme tendent à peu près à
définir cette pratique de manière également
officielle5. Pratique définie selon la Vegetarian Society
comme :
« Someone who lives on a diet of grains, pulses, nuts,
seeds, vegetables and fruits with, or without, the use of dairy products and
eggs. A vegetarian does not eat any meat, poultry, game, fish, shellfish or
by-products of slaughter. ».
L'association anglaise précise toutefois sur son site
que cette définition est la leur. Bien qu'elle prescrive uniquement les
types d'aliments qui ne doivent pas être consommés, elle a une
influence forte sur la conception du végétarisme dans les pays
occidentaux en raison de son existence depuis 1843 et de son poids dans la
société anglaise, américaine et française (cela
sera traité au cours du premier chapitre).
La définition que l'ancien président de
l'Association végétarienne de France (André Méry)
donne du végétarisme permet de rendre compte de sa
malléabilité et de son caractère non-officiel :
« Nous appellerons végétarien toute
personne qui, de sa propre volonté librement réfléchie,
sans que ce comportement soit une contrainte, et sans que ce soit pour un motif
de bénéfice égoïste, s'abstient, lorsque cela est
humainement évitable dans les conditions où elle se trouve, de
supprimer directement ou indirectement la vie des animaux pour quelque raison
que ce soit, et, si cela arrive néanmoins, d'en tirer un quelconque
profit. »6.
Le positionnement de Méry dépasse celui de la
Vegetarian Society en y intégrant une dimension plus personnelle et
responsabilisée, où l'individu a les « moyens » de ne
plus participer directement ou indirectement à la mort des animaux.
5 Comme nous allons le voir le
végétarisme connu comme tel correspond à sa
définition occidentalisée où seule la consommation
d'oeufs, de produits laitiers et de miel est autorisée.
Néanmoins, cette définition est donc différente selon les
régions du monde, notamment en Inde où le
végétarisme correspond à l'abstention de produit
carné et d'oeufs. La sacralité de la vache, mais également
d'autres animaux induit de ne pas consommer ces types de viandes. En tant
qu'offrande, le lait est fortement apprécié et donc
autorisé dans la pratique du végétarisme dans la
population hindouiste.
6 Méry, A. (2006). Les
végétariens, raisons et sentiments-éd. La Plage,
p. 27.
8
La difficile conception de la pratique
végétarienne est ainsi induite par la multitude d'instances et
d'acteurs du monde végétarien qui apportent chacun leur
définition. De plus les pratiques d'une alimentation non-carnée
sont nombreuses et participent à la difficulté de les concevoir
et de les délimiter7. Sur son site Internet, l'association
anglaise en dénombre quatre :
? Lacto-ovo végétarien, pour désigner le
végétarisme comme il vient d'être définit ;
consommation d'oeufs et de produits laitiers
? Lacto végétarien ; consommation de produits
laitiers, refus des oeufs
? Ovo végétarien ; consommation d'oeufs, refus des
produits laitiers
? Végan ; refus des oeufs, des produits laitiers et de
toute exploitation animale
Une autre définition permet de rendre compte de la
déclinaison d'une alimentation sans produit animal. Ainsi, la Vegan
Society définit le véganisme comme ceci :
« Veganism is a way of living which seeks to exclude, as
far as is possible and practicable, all forms of exploitation of, and cruelty
to, animals for food, clothing or any other purpose. ».
Si le véganisme exclut toute consommation provenant
d'un animal et de son exploitation, il prône ainsi un « code moral
» qui se veut respectueux des animaux. Par conséquent, les
pratiquants du véganisme sont contre le port de peaux animales
(fourrure, cuir, plumes...), les loisirs (cirques, zoos, corridas,
équitation...), la traction animale, les médicaments et les
cosmétiques testés sur les animaux et/ou contenant des substances
animales, etc.
Entre le végétarisme et le véganisme
existe une autre pratique, le végétalisme. Elle exclut uniquement
les interdits alimentaires du véganisme : viandes, poissons, oeufs,
produits laitiers, miel, gélatine.
7 Notons par exemple la pratique du crudivorisme,
du fléxitarisme, du freeganisme et du pescétarisme. La
présence de ces sous-types d'alimentation est un frein
supplémentaire par rapport à la conceptualisation du
végétarisme. Dans un autre sens, la diversité des
définitions de la pratique végétarienne induit la
profusion de ces sous-types, où la consommation de produits
carnés et de sous-produits est totalement ou partiellement interdite
puisque l'individu est libre d' « adopter » et d'adapter la pratique
alimentaire de son choix. C'est pour cela qu'il arrive que des individus se
réclamant du végétarisme puissent consommer des produits
de la mer.
9
Objet sociologique
Généralement, le végétarisme dans
la vie courante est empreint de réfutations plus ou moins fortes.
Réfutations de la part de celles et ceux qui consomment de la viande, du
poisson, des oeufs, des produits laitiers... La pratique du
végétarisme peut alors être perçu comme une mode
puisque manger de la viande serait l'une des pratiques les plus naturelles. A
vrai dire, les humains auraient « toujours mangé de la viande
», elle serait « indispensable ». La norme dominante de la
consommation de viande dans notre société constitue une place
centrale dans les mets. A la fois, la viande représente un
caractère culturel et nutritionnel : elle fait partie intégrante
de la gastronomie française et constituerait un équilibre
nutritionnel complétant un repas autour de féculents et de
légumes.
Les végétariens, les végétaliens
ou les végans ne sont pas exempts de critiques. Leurs pratiques
alimentaires et leurs revendications sont des sujets dont on parle de plus en
plus. Les scandales alimentaires, les rapports scientifiques qui incriminent la
consommation de viande, une alimentation végétale bonne ou
mauvaise pour la santé, voir une pratique qui permettrait de perdre du
poids... autant de raisons d'entendre parler de cela. Tant sur le plan
éthique, environnemental ou physique, ces pratiques questionnent et
intéressent : philosophes, journalistes, politiciens, sportifs,
écrivains, militants...
Mais quand est-il des principaux concernés ? Il est
vrai que ces populations peuvent être stigmatisées, surtout
lorsque l'on sait qu'elles constituent un faible pourcentage de la population
française. Elles ne sont cependant pas à part, elles
côtoient des parents, des familles, des amis, des collègues, etc.
qui eux ne prescrivent pas les aliments carnés et les sous-produits
(oeufs, produits laitiers, miel, etc.). Ce côtoiement entre les
végétariens, les végétaliens, les végans et
les « omnivores » ne se fait donc pas sans heurt. C'est à
partir de ce constat que le travail ici présent s'articulera. En effet,
la médiatisation de l'ensemble des végétariens illustre
leurs façons de consommer, leurs raisons, etc. Force est de constater la
quasi absence d'analyses scientifiques des points de vue de ces pratiquants. En
ce sens, qu'est-ce que la conversion vers une pratique de consommation sans
produit animal implique ? Quelles en sont les conséquences et comment
s'établissent les relations avec les différentes sphères
familiales, amicales et sociétales ?
Une chose est sûre, ces pratiques impliquent des modes
de consommations différentes. Par conséquent, au-delà
d'une pratique végétarienne commune et fédératrice
autour de l'exclusion de la viande et du poisson, il n'y aurait ainsi non pas
un végétarisme mais des végétarismes. Et cela
serait la pratique la plus aboutie du processus de civilisation selon le
sociologue Norbert Elias en raison du déplacement du seuil
d'émotivité.
Nous avons vu au début que la viande pouvait faire
état de distinctions plus ou moins prononcées selon les groupes
sociaux. Par conséquent, dans L'Homnivore de Claude Fischler,
Bourdieu est cité notamment en ce qui concerne le fait que la famille
est source d'influences fortes sur la construction des goûts alimentaires
des enfants. Par conséquent, si la famille est vectrice de reproduction
des systèmes de dispositions (c'est-à-dire les schèmes de
perceptions, les appétences...) chez l'enfant à travers la
socialisation primaire, une « conversion »
10
alimentaire - donc différente des normes alimentaires
parentales - induit une rupture avec ces instances de socialisations.
Tel est ici le point de départ de cette recherche,
à savoir que lors des interactions dans la phase préliminaire, le
thème des relations entre les parents, la famille, les amis, etc.
était souvent présent à la suite d'une conversion à
l'une des pratiques du végétarisme. Par conséquent,
qu'est-ce qu'induit la pratique des végétarismes sur les
instances de socialisations et les systèmes de dispositions ? La
recherche a pour but, dans une démarche compréhensive, d'analyser
une catégorie spécifique des individus étant dans ces
pratiques, c'est-à-dire ceux dont la pratique s'éloigne des
normes alimentaires parentales, des opinions politiques, religieuses, des
normes et des valeurs incorporées durant l'enfance, etc. En d'autres
termes, celles et ceux dont la socialisation est différentielle. Pour
cela, nous recourrons à une étude empirique, c'est-à-dire
en partant des expériences et des observations produites par les
différentes méthodologies pour valider ou non les
hypothèses que nous avançons. Nous partons donc du fait que les
différentes trajectoires de vie des individus qui rejoignent le
végétarisme, le végétalisme ou le véganisme
conversent vers une certaine homogénéité des pratiques qui
pourraient découler de cette alimentation, cela sera traité
notamment dans le dernier chapitre. Si ces agents sont en rupture avec les
normes alimentaires parentales, ils le sont de manière plus
générale avec d'autres dimensions : politiques, religieuses,
sociales, culturelles, etc. Cela vient donc supporter la première
hypothèse. En partant de l'hypothèse selon laquelle ces individus
proviennent de « toutes origines sociales » - les
végétarismes ne seraient donc pas définit par des
déterminismes sociaux - cela aurait pour conséquences d'affirmer
que la conversion aux végétarismes est signe de perceptions, de
représentations (de schèmes) différentes du milieu
d'origine.
Par conséquent, cette étude s'articule autour de
quatre chapitres majeurs. Après un détour par l'évolution
historique, sociale et occidentale du végétarisme, mais aussi des
controverses actuelles qui viennent porter cette pratique dans l'espace public,
il s'agira d'appréhender les conditions qui permettent aux populations
concernées de s'inscrire dans une nouvelle carrière. En d'autres
termes, comment devient-on végétarien et comment le reste-t-on ?
A partir des méthodes qualitatives et quantitatives, il sera question
par la suite d'identifier et d'analyser les éléments avec
lesquels les individus sont en rupture, et de rendre compte des
conséquences sur ces derniers. Pour finir, nous nous
intéresserons aux effets des végétarismes sur les autres
pratiques.
Mise en perspective des termes
Pour plus de clarté et afin d'éviter les
répétitions au cours de cette étude, les
végétariens, les végétaliens ainsi que les
végans seront occasionnellement regroupés sous les termes «
l'ensemble des végétariens », « les
végétarismes » ou bien « le végétarisme
et ses déclinaisons ». Nous avons également
décidé de traduire vegan selon le dictionnaire Hachette
par végan-e-s.
Le terme de « conversion » demande lui aussi
à être discuté. Il fait ici référence aux
rites ascétiques de croyances religieuses décrits par Emile
Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie
religieuse. Dans un cadre de perfection spirituelle, ces rites
s'apparentent aux privations d'individus dans leurs manières de vivre.
Les abstentions alimentaires rejoignent les pratiques ascétiques car
elles exercent sur ces manières de vivre des conséquences
jugées positives par les pratiquants d'une alimentation
non-carnée. En ce sens, le passage à un régime
11
sans viande s'accompagne de modifications de croyances morales
qui entraînent un meilleur bien-être physique, spirituel et
même social. L'alimentation végétale, le jeûne, une
médication plus naturelle, la pratique d'un sport, etc. illustrent ce
bien-être et tendent à s'éloigner de l'individu profane. De
plus, nous verrons dans le premier chapitre que les différents groupes
se réclamant de l'alimentation végétale et de ces
bien-être sacrés ont pour sources des mouvements de sectateurs
religieux entre le XVIIe et le XIXe siècle,
où les plaisirs de la vie occidentale (jugés profanes par les
prédicateurs et les philanthropes) étaient
considérés comme des obstacles à l'élévation
de l'âme.
Les ruptures s'apparentent ici aux pratiques sociales, aux
croyances, représentations... qui diffèrent d'une part de
l'individu et d'autre part des instances de socialisations. Les pratiques
sociales désignent les systèmes de dispositions,
c'est-à-dire les façons de faire, les actions dans un contexte
social qui sont « façonnées » par l'ensemble des
végétarismes ; loisirs, acquisition de savoirs, pratiques
alimentaires, pratiques de consommation, militantisme...
Pour finir, le terme « omnivore » est quant à
lui utilisé non pas pour qualifier l'état d'une espèce
vivante capable d'ingérer et de digérer les aliments issus du
monde animal et végétal, mais pour qualifier, par opposition
à l'ensemble des végétarismes, celles et ceux qui
consomment des produits carnés ainsi que des sous-produits (miel, oeufs,
produits laitiers).
Méthodologies et contexte
d'enquête
Phase préliminaire et entretiens
L'étude préliminaire avait pour but de collecter
des données relatives à la conversion au
végétarisme, végétalisme et véganisme. Il
était question d'identifier les justifications données par les
individus, ce que pouvait entraîner la conversion par rapport à la
famille et aux amis, les représentations qu'ils pouvaient avoir de
l'animal et de la nature, de l'alimentation ainsi que la santé. A ce
stade, deux aspects ont pu retenir mon attention : la
prépondérance des chocs moraux et la réaction
majoritairement négative par rapport à la conversion. Cette
enquête préliminaire se base sur des interactions
spontanées réalisées au cours de ces deux dernières
années lors de manifestations à Amiens et notamment à
Paris. J'ai donc pu converser tant avec les passants que les gérants de
stands, ce qui m'a permis d'élaborer partiellement la grille
d'entretien.
A la suite de cela, j'ai effectué une série de
huit entretiens semi-directifs à Amiens et à Paris entre novembre
2015 et avril 2016. Il s'agit d'entretiens avec trois personnes
végétariennes, une personne végétalienne ainsi que
quatre végans. Même si j'ai pu rencontrer des
végétariens, des végétaliens et des végans,
je n'ai pas utilisé mon réseau de connaissance personnelle. En
effet, mes connaissances et moi partageons le même profil : nous sommes
de jeunes étudiants (18 à 24 ans). De plus, un problème
récurrent faisait obstacle aux bonnes conditions dans la
réalisation de ce mémoire, à savoir que mes connaissances
sont constituées uniquement de femmes, je souhaitais donc une certaine
hétérogénéité. Ainsi, pour le
12
recrutement d'informateurs, j'ai donc eu recours dans un
premier temps à l'entourage personnel de mon propre réseau et
dans un second temps à Internet via Facebook. Je me suis donc entretenu
avec ces personnes en expliquant brièvement l'objet de ma recherche.
J'ai toutefois indiqué que je recherchais des végétariens,
des végétaliens ou des végans qui se sentaient en rupture
avec leurs parents. Ce fut l'unique information donnée. Je n'ai pas
souhaité passer par des associations pour la cause animale ou autres car
les interactions précédentes chez ces militants soulignaient une
pratique plus politisée que chez les individus non-militants. Soutenant
activement une cause, le militant aurait induit une prise de position en faveur
de l'idéologie qu'il défend ainsi que le point de vue de
l'association à laquelle il milite.
L'enquête quantitative a été un moyen
indirect quant à la recherche des personnes avec qui faire un entretien.
En effet, en diffusant le questionnaire sur ce réseau social
accompagné du nom de l'université et donc de sa localité,
des habitants même d'Amiens ont proposé leur aide pour
réaliser un entretien si je le souhaitais. Sur les vingt-deux individus
qui ont répondu favorablement à ma demande, seuls trois
étaient des hommes. Je n'ai choisi que cinq autres personnes car les
profils se ressemblaient énormément (jeunes étudiantes).
Par curiosité personnelle, j'ai voulu réaliser les entretiens
dans le domicile des informateurs pour observer leur cuisine. Ces observations
étaient intéressantes car elles ont souligné leurs
manières de consommer (conventionnel, biologique, utilisation de bocaux,
vrac, zéro déchet, composteur, déshydrateur, germoir
à graines...). Le fait d'effectuer les entretiens directement au
domicile a également été bénéfique pour que
les informateurs soient à l'aise.
Questionnaire
Le questionnaire a été élaboré par
rapport aux réponses dégagées des entretiens et des
observations. Pour être dans la continuité de l'enquête
qualitative, le questionnaire permet de vérifier ces réponses
à plus grande échelle, notamment par rapport aux réactions
de la famille et de l'entourage, aux opinions politiques, à la religion,
à la consommation de produits d'origine animale durant l'enfance et aux
ruptures avec les instances de socialisation.
Plusieurs raisons ont participé au choix d'un
questionnaire majoritairement tourné vers des questions fermées
:
- Ce type de questionnaire permet à la fois
d'être rapide à remplir et de confirmer les réponses de
l'enquête qualitative
- Il permet un gain de temps et de faciliter sa diffusion sur
Internet. Cette diffusion dans des groupes végétariens,
végétaliens et végans sur les réseaux sociaux
permet de toucher plus d'individus par rapport à une passation
physique.
- Les questions fermées permettent également de
faciliter la saisie, le recodage et l'analyse
Le questionnaire a été réalisé via
Internet sur Google Forms8. La passation a été
effectuée du 27 février au 30 mars 2016 à travers Facebook
sur de nombreux groupes en lien avec les pratiques alimentaires et le
véganisme. Le site permet de disposer d'une base de données sous
le fichier Excel et donne la garantie d'effectuer un questionnaire par
personne. Au cours de
8
https://www.google.com/intl/fr_fr/forms/about/
13
cette première année de master, nous avons
appris à maîtriser le logiciel SPAD, c'est pourquoi j'ai
jugé utile de le choisir afin d'effectuer une analyse correcte des
résultats. Pour éviter de dissuader les individus de
répondre au questionnaire, et puisqu'il s'agissait d'une dernière
enquête de validation, j'ai décidé d'effectuer un
questionnaire court (33 questions). Pour faciliter l'enquête, j'ai
également fait le choix de comprendre dans ce questionnaire en plus des
végétariens, les végétaliens et les végans
afin de toucher le plus d'individus possible.
En plus de mes propres diffusions du questionnaire sur
Internet, ce dernier a pu être partagé plus d'une soixantaine de
fois. Ainsi, l'objectif initial d'obtenir une base de 500 personnes pour
traiter les données dans de bonnes conditions a été
largement dépassé puisque 1 081 individus ont pu y
répondre. Jugé suffisant, le questionnaire a été
désactivé fin mars pour débuter l'analyse des
données recueillies.
Problèmes rencontrés lors de l'enquête
quantitative
Pendant la passation du questionnaire, j'ai pu être
à de nombreuses fois repris par celles et ceux ayant répondu
à l'enquête quantitative quant aux réponses «
manquantes ». Il s'agissait notamment des réponses liées
à la question sur le genre, considérée comme inclusive.
Plusieurs individus ont effectivement émis l'idée
d'intégrer en plus des réponses « un homme » et «
une femme » celle du transgenrisme.
Une erreur de ma part m'a valu également à
plusieurs reprises des remontées. A la question sur le régime
alimentaire y était intégré « végan », ce
que les personnes m'ont reproché puisque pour eux le véganisme
correspond à une éthique de vie. Par conséquent j'ai
changé la question par : « Êtes-vous... ? » puisqu'en
effet le véganisme va au-delà d'un régime alimentaire,
où tout recours à l'exploitation animale est
réfuté.
A un degré différent, une autre remarque m'a
été faite quant à la durée de la pratique
alimentaire, ne voulant pas faire un trop grand questionnaire, je n'ai pas
posé de question pour savoir si certains étaient
précédemment dans une autre pratique et depuis quand. Je n'ai pas
voulu intégrer cette autre question pour la raison que sur la base de
mes entretiens et de mes différentes observations, une conversion
à une autre des pratiques est quasiment indéniable. Par
conséquent, une personne végétalienne pouvait être
avant ça végétarienne et une personne végane
pouvait passer par ces deux « étapes ». Bien que cela peut
poser problème quant à la temporalité, c'est-à-dire
qu'une personne végane depuis quelques temps pouvait ne plus consommer
de produits d'origine animale depuis plusieurs années en étant
végétarienne ou végétalienne, un point important
pouvait limiter ces réponses : le recours à une «
reconversion » où certains végans ont adopté de
nouveau leur ancien régime alimentaire sous le couvert d'une pratique
trop « restrictive », voir trop « extrême » pour
certains.
Egalement, des remarques ont pu être faites sur la
catégorie socioprofessionnelle des parents, en me précisant que
cela n'était pas approprié pour les individus dont un ou les
parents seraient décédés, il y aurait aussi pour certaines
personnes d'autres alternatives possibles à la famille. Il est certain
que je ne pouvais répondre à toutes ces attentes et ainsi
modifier constamment le questionnaire.
Cependant, lors des débuts de la passation, j'ai
dû à maintes reprises appliquer quelques modifications mineures
qui ont induit des erreurs sur quelques questionnaires (ils ne sont pas
14
compris dans l'analyse quantitative) notamment sur la question
de l'âge. En effet, la question initiale était d'indiquer son
âge, chose que j'ai changé en proposant des tranches
d'âge.
J'ai également essuyé plusieurs refus notamment
de groupes végans se définissant comme « abolitionnistes
», le questionnaire ne leur convenait pas tant sur les populations
ciblées que sur le sujet de la recherche. Plusieurs membres m'ont alors
expliqué leur refus : la conversion au végétarisme et au
végétalisme n'entrainerait pas selon eux un changement de
pratiques et de consommations, seul le véganisme le ferait.
S'intéresser au véganisme pour mettre en avant leurs luttes
politiques et non pour étudier les ruptures dans les instances de
socialisation aurait été selon certains plus judicieux.
15
Chapitre 1 - Genèse et controverses du
végétarisme
1.1. Evolution du végétarisme
Quel que soit son appellation au cours du temps, la pratique
du végétarisme existe depuis bien longtemps. On rencontre des
végétariens lors de l'antiquité avec les Pythagoriciens
(régime de Pythagore pour désigner la pratique du
végétarisme jusque dans les années 1850), des groupes
ascétiques moyenâgeux comme le catharisme, ainsi qu'un
végétarisme philosophique et scientifique à partir de la
Renaissance. A travers l'ahimsâ, la pratique du végétarisme
se trouve également chez les hindous, les jaïns, les bouddhistes et
les sikhs. Cependant, l'intérêt de son évolution se porte
ici à la fin du XVIIIe siècle puisque c'est dans cette
période que la pratique s'inscrit dans des contextes particuliers en
plein essor de la proto-industrialisation et de la révolution
industrielle par la suite. C'est pourquoi la mise en introduction de cette
pratique s'articule autour d'une genèse à la fois occidentale et
sociale.
Différents courants de pensée ont
traversé le végétarisme occidental. L'étude de sa
genèse prend racine en Grande-Bretagne et se diffuse dans un second
temps aux Etats-Unis et en France dans la première moitié du
XXe siècle.
La mise en contexte présentée ici n'est pas
exhaustive ; il s'agit de proposer quelques repères historiques afin
d'insérer la pratique du végétarisme dans son
environnement social, occidental et temporel.
Ces repères du mouvement du végétarisme
s'articulent donc autour des textes d'Arouna Ouédraogo (Assainir la
société, De la secte religieuse à l'utopie
philanthropique. Genèse sociale du végétarisme
occidental), d'Arnaud Baubérot (Histoire du naturisme : le
mythe du retour à la nature), et de quelques textes anglais comme
James C. Whorton (Historical development of vegetarianism. The American
journal of clinical nutrition), ainsi que Julia Twigg (The vegetarian
movement in England, 1847-1981: A study in the structure of its
ideology).
1.1.1. Le cas de l'Angleterre et...
La diffusion du végétarisme à la fin du
XVIIIe siècle en Angleterre a été rendu
possible par divers mouvements issus de prosélytes. L'un des premiers
courants de pensée végétarienne de ce pays du Vieux
Continent peut être relié à une dimension sectaire
évangéliste où le but était d'élever
l'âme via la doctrine du behménisme (Jacob Böhme). Se basant
sur l'idée que tuer « c'est rompre l'union mystique, et abattre les
animaux pour se nourrir, c'est ériger des barrières entre
l'âme et Dieu »9, la diffusion d'une alimentation
végétale va pouvoir porter écho chez les lecteurs anglais.
En effet, l'anticléricalisme de Böhme prône une certaine
liberté que la religion dominante ne pouvait offrir aux pratiquants en
raison des péchés.
9 Ouédraogo, A. P. (2000). De La Secte
Religieuse À L'utopie Philanthropique: Genèse sociale du
végétarisme occidental. Annales, p. 827.
16
L'apport de la médecine porta également un
élan à la diffusion du végétarisme anglais. Le
médecin George Cheyne10, empreint du behménisme,
proposait une éducation des corps due notamment à l'alcoolisme,
à l'obésité et à la dépression qui
conduiraient à l'instabilité de la société. Une
consommation de produits végétaux restait donc pour lui le seul
moyen d'éviter cette dégénérescence, notamment pour
conserver la santé des individus issus de couches sociales les plus
favorisées. Cependant, sa rencontre avec le révérend John
Wesley a permis la diffusion du végétarisme dans les couches
sociales les plus pauvres11 où Wesley argumenta les
bénéfices moraux et scientifiques du régime
végétarien.
Un nouveau courant de pensée du
végétarisme s'est déployé notamment en 1800
à travers la création de l'Eglise biblique chrétienne
à Salford par le révérend William Cowherd12.
Les conditions pour adhérer à cette Eglise étaient
fondées sur la pratique d'un régime à la fois d'abstinence
et de tempérance, il fallait donc ne pas consommer de viande et
d'alcool. La volonté de déployer une consommation sans viande
s'est trouvée consolidée par l'instabilité
économique du pays en raison des mauvaises récoltes et de la
guerre contre la France à ce moment-là. Face à l'inflation
du prix des denrées, le retour à une alimentation «
naturelle » était préconisé par le
révérend, mais aussi par les sociétés
philanthropiques qui se développaient au fur et à mesure que le
régime anti-viande prenait de l'importance. Les périodes de
crises ont pu accroître l'emprise des discours des réformistes de
l'alimentation exclusivement végétale. En plus des Poors
Laws, les paroisses et l'Eglise biblique chrétienne étaient
un support pour les plus pauvres13 face aux pressions
économiques et alimentaires qui pesaient sur eux.
En multipliant les actions en faveur des plus pauvres, les
prosélytes religieux ont converti les fractions les plus démunies
de Salford et de ses environs. Ainsi, les pauvres se sont retrouvés
chargé d'apprendre la lecture aux analphabètes et de propager par
la même occasion la moralisation des corps et la doctrine
végétarienne cowherdienne. A partir de là, l'expansion du
régime anti-viande devint plus importante et s'exporta même aux
Etats-Unis quelques années plus tard.
L'église de Cowherd a rendu possible la diffusion du
végétarisme aux Etats-Unis par l'envoi d'une
délégation dirigée par le révérend William
Metcalfe (devenu végétarien sous l'influence d'un des pasteurs de
l'Eglise biblique chrétienne, il devient lui-même pasteur en
1811). Basé à Philadelphie, Metcalfe y rencontre de nouveaux
sectateurs réformateurs et
10 George Cheyne (1671-1743) était un
physicien, philosophe et mathématicien. Il publia de nombreux ouvrages
médicaux sur la fièvre, la nervosité, l'hygiène et
la nutrition. Il préconisait la consommation de lait et un régime
alimentaire à base de légumes en raison de son état de
santé. Devenu obèse et malade à cause de ses excès,
ce végétarisme lui permit de regagner sa santé d'antan et
de perdre du poids. Seulement, il retourna à son ancien mode de vie et
retomba dans l'obésité et dans une santé fragile. Il
adopta de nouveau son régime alimentaire et ce, jusqu'à la fin de
sa vie.
11 John Wesley (1703-1791) était un
révérend anglican, prédicateur du
méthodisme, il participa à la création
d'écoles et d'organismes dans le but de lutter contre la pauvreté
et l'esclavage. Il parcourra pendant de nombreuses années la
Grande-Bretagne et diffusa par la même occasion la pratique du
végétarisme à travers la moralisation des corps. Les
pauvres étaient réceptifs en raison du chômage, des
maladies et de la sous-alimentation.
12 Après des études de philosophie,
William Cowherd (1763-1816) devint le vicaire du révérend John
Clowes dans l'église Saint-John basée à Manchester. Il
était un disciple d'Emmanuel Swedenborg (1688-1772) qui pensait que
toutes choses physiques sur terre avaient une valeur spirituelle, Cowherd
traduisit plusieurs de ses ouvrages. A ses propres frais, Cowherd créa
l'Eglise biblique en 1800 à Salford où sa doctrine se
résumait à l'abstinence d'alcool et de viande jusqu'à la
« fin des temps ».
13 Dans sa volonté de diffuser le
végétarisme et sa prédisposition pour aider les pauvres,
William Cowherd leur proposait à la fois une aide médicale et des
repas. Pour rappel, la condition principale pour entrer dans l'Eglise biblique
chrétienne était l'abstinence de toutes les viandes.
17
précurseurs du mouvement végétarien, dont
le pasteur presbytérien et diététicien Sylvester Graham.
Ce dernier porta le régime anti-viande vers une approche
hygiéniste14 et marqua une scission dans l'idéologie
initiale d'un végétarisme religieux. Les réformateurs
américains et anglais, ainsi que Metcalfe et Graham ont alors
participé à la création de la Société
végétarienne américaine en 1850, trois ans après la
Société végétarienne anglaise, en s'emparant des
thèmes sociaux de l'époque liés à
l'industrialisation et l'urbanisation. Les relations qu'entretenaient les
réformateurs américains et anglais depuis la première
délégation finirent par amener rapidement l'hygiénisme
végétarien en Angleterre, notamment à la suite du
décès de William Cowherd en 1816 et à une nouvelle
direction de l'Eglise biblique chrétienne par le patronat. Terre fertile
de l'hygiénisme, les Etats-Unis ont façonné sa
valorisation à travers le XIXe siècle. Sur la base
d'une incompatibilité du corps humain pour telle consommation ou telle
pratique, Graham professait lors de conférences les bienfaits d'une
alimentation végétarienne, du jeûne, de l'abstinence
à la viande et l'alcool, du repos, de l'activité physique, des
bains... L'essor de l'hygiénisme a alors pu être porté par
de nombreux acteurs : Isaac Jennings (1788-1874), Sylvester Graham (1794-1851),
Russel T. Trall (1812-1877), Nichols, Thomas Low (1815- 1901), John H. Tilden
(1851-1940), Herbert M. Shelton (1895-1995), etc.
La récupération bourgeoise de l'Eglise permit
à ces réformateurs de propager le végétarisme chez
une population pauvre empreinte d'alcoolisme et d'une mauvaise alimentation. A
cela, les nouveaux chrétiens bibliques reprirent de plus en plus
à leur compte les conceptions hygiénistes (Ouédraogo,
2000). C'est donc avec ces chrétiens réformistes et à
partir d'une population paupérisée que la Société
végétarienne anglaise est née en 184715. C'est
la « coalition clérico-industrielle - écrit Ouédraogo
- qui dirige la Société végétarienne à ses
débuts ». Son président, James Simpson, « veut en faire
l'instrument de promotion du végétarisme, considéré
comme le meilleur moyen de freiner la détresse des ouvriers dans les
cités industrielles anglaises des années 1845 [...] celle-ci
anime à travers le pays des dîners conférences pour
propager le végétarisme ».
Pour les nouveaux dirigeants anglais, la pratique du
végétarisme avait pour but d'améliorer les conditions
physiques des personnes. Ces personnes étant principalement celles des
classes défavorisées, les discours de la direction patronale
sous-entendaient de produire à travers le végétarisme des
travailleurs sains. La pratique non-carnée trouvant écho dans
l'hygiénisme, le travailleur en bonne santé était un
végétarien qui s'abstenait de toutes pratiques jugées
non-naturelles, à tel point que le travailleur
non-végétarien était taxé négativement dans
les discours des prosélytes, empreint d'alcoolisme et de mauvaises
conduites qui induisaient un affaiblissement des corps. Mais il peut
également être noté que la valorisation du
végétarisme s'inscrivait dans un contexte de crises,
l'adéquation semblait parfaite, tel un désir d'ordre social :
produire des travailleurs sains excluant la consommation et donc l'achat de
produits carnés16 tout en maintenant des salaires bas.
Acteurs à la fois sur le plan économique et
politique, les dirigeants de la Société
végétarienne anglaise ont façonné le
végétarisme pour en faire un instrument de propagande.
14 Cette nouvelle idéologie
végétarienne de Graham avait pour but d'améliorer les
conditions physiques des individus.
15 Le terme vegetarian voit également
le jour à ce moment-là.
16 La conversion au végétarisme
trouvait écho chez les classes populaires en raison, dès le
début, d'une faible consommation de viande. Les concernés
étaient ainsi prédisposés à le devenir.
18
Prônant l'abstinence et la tempérance, les
ouvriers ont pu intérioriser les idées des dirigeants et
promouvoir par la même occasion le végétarisme : alcool,
sexualité, loisirs, nourriture, soins, critique du modèle
alimentaire dominant... « [Le végétarisme] contribue, au
moins théoriquement, à mettre des travailleurs efficaces à
la disposition de l'industrie. Ses propagateurs peuvent s'afficher et sont
reconnus comme acteurs d'un progrès social et économique
pacifique et vertueux »17.
L'arrivée en 1873 à la direction de la
Société végétarienne de Henry Newman permet de
diffuser plus grandement le végétarisme, Newman souhaitait
rattacher les différents groupes de réforme alimentaire. Pour
cela, il a participé à la restructuration du mouvement
végétarien en intégrant des membres consommant du poisson
dans le but de se détacher de l'aspect sectaire de la
Société. Ouédraogo souligne que le nombre
d'adhérents est passé de 125 à 2 070 entre 1870 et 1880 et
que le nombre de restaurants végétariens est passé de
seulement 1 à 52 entre 1878 et 1889. Newman a également
participé à développer de nouvelles formes d'actions :
visites des abattoirs pour argumenter de l'immoralité de tuer et manger
de la viande, promotion des exploits sportifs de végétariens,
diffusion de recettes végétariennes...
Grâce à la grande notoriété de la
Société et de l'alimentation « naturelle », le
successeur de Newman, le professeur J.E.B. Mayor, a souhaité diffuser
plus largement le végétarisme dans les pays européens. La
Société végétarienne anglaise envoya donc plusieurs
de ses membres, dont Annie Kingsford18 qui contribua à
diffuser le courant végétarien hygiéniste en France
à la fin du XIXe siècle.
1.1.2. ... de la France
L'impulsion du végétarisme issue des
réformateurs et des philanthropes depuis le XVIIIe
siècle en Angleterre se déploya en France à la fin du
XIXe siècle. Plus précisément, c'est en 1899
que la toute première Société végétarienne
en France est créée à Paris, accompagnée de sa
revue La réforme alimentaire. On peut rapporter l'impulsion et
l'évolution du végétarisme français au docteur Paul
Carton qui participa à développer un courant de pensée
appelé « végétarisme naturiste » jusqu'à
l'entre-deux guerres, en prolongement du végétarisme
hygiéniste anglais et s'articulant autour d'une alimentation à la
fois naturelle, simple et vertueuse19. Tout d'abord,
l'imprégnation du courant naturiste à celui du
végétarisme tient pour causes les pensées selon lesquelles
les effets de l'industrialisation et de l'urbanisation20
participeraient à la dégénérescence de la
civilisation, mais aussi du corps « physique » et « moral
». Nous pouvons également ajouter les considérations
scientifiques sur le système
17 Ouédraogo, A. P. op. cit., p.
840.
18 Annie Kingsford (1846-1888) était entre
autre une militante féministe, écrivaine mais aussi
médecin. Elle était végétarienne (depuis 1870, son
mari était un pasteur anglican) et parti en croisade contre la
vivisection, qu'elle considérait comme non-utile pour la science. Par
conséquent, elle décida d'étudier la médecine pour
le prouver en 1874. Puisque ces études étaient interdites aux
femmes au Royaume-Uni, elle s'installa à Paris pour passer son doctorat
durant deux ans. Effectuant plusieurs allers-retours entre la France et le
Royaume-Uni, elle le passa en français lors de l'année 1880, et
qui s'intitulait « De l'alimentation végétale chez l'homme
».
19 Ouédraogo, A. P. (1998). Assainir la
société. Les enjeux du végétarisme (No. 31,
pp. 59-76). Ministère de la culture/Maison des sciences de l'homme.
20 Obésité, insalubrité,
alcoolisme, maladies, pollution de l'air, etc.
19
digestif de l'Homme qui serait celui d'un frugivore et non
celui d'un omnivore. La viande serait sources d'affaiblissement et responsable
de maladies en raison des toxines qu'elle contiendrait.
Ce « nouveau » végétarisme a pu ainsi
se développer à travers les publications de médecins et de
scientifiques, membres de la Société végétarienne
de France, dans la revue de La réforme alimentaire dès
le début du XXe siècle (Fernand Sandoz, Albert
Monteuuis, le docteur Danjou, Paul Carton...). En 1907 sera créée
une nouvelle revue, l'Hygie, par Jean Morand, alors secrétaire
général de la Société21. La profusion
des écrits médicaux sur les bienfaits d'un mode de vie naturiste
depuis les années 1890, alliée au courant du
végétarisme permis la diffusion de réformes alimentaires
et sanitaires autour de l'abstinence de l'alcool, de viandes, la pratique de
bains, de promenades au soleil, à l'air frais, activité physique,
etc. C'est donc cela qui définit la pratique du
végétarisme naturiste, à savoir vivre une vie saine et
pure où la diététique et l'hygiène sont
liées. Les membres de la Société se voient
consolidés dans ce nouveau mode de vie hygiéniste par les actions
qu'ils entretiennent (revues, ouvrages, conférences et banquets). A
cela, « le discours médical se consacre à la production de
normes sociales et morales [...] à mesure que décline l'influence
normative des Eglises en général et, en France, de l'Eglise
catholique en particulier. Médecins sociaux et hygiénistes de la
Belle Epoque, confortés dans l'idée de la justesse et de
l'urgence de leurs positions par la menace des fléaux sociaux et
l'angoisse de la dégénérescence, s'engagent ainsi dans la
promotion d'une morale sociale propre à assurer la santé des
populations et la salubrité publique »22.
Promoteur de l'hygiénisme, c'est en 1912 que le docteur
Carton publia son livre Les trois Aliments Meurtriers. La viande, le sucre,
l'alcool et qui le fera connaitre dans le milieu scientifique. Il devint
membre de la Société végétarienne de France en 1911
et y participa dans les débuts de son adhésion : ouvrages,
conférences et articles dans La réforme alimentaire. En
1925, il publia un autre livre, La Cuisine simple. C'est à
cette période que Carton commença à pointer du doigt les
difficultés de la Société car pour lui la volonté
des dirigeants était de « convertir » brutalement et
massivement la population sans prendre en compte leur individualité. En
ce sens, dans son livre de 1925, il préconisa au-delà d'une
alimentation saine, naturelle, simple et vertueuse de prendre en compte
l'individu en tant que tel pour le faire progressivement passer d'une
alimentation carnée à une alimentation végétale.
Cette critique rejoint son souhait d'établir une structure capable de
diffuser le végétarisme naturiste qu'il préconise de
façon lente et progressive en s'affranchissant du sectarisme de la
Société. De surcroît, il fonda en 1929 la
Société naturiste française et il lui intégra sa
propre revue, La Revue naturiste. Par conséquent, Carton «
[travailla] plus efficacement pour la cause végétarienne :
assuré d'éviter les troubles désagréables
d'inadaptation au régime, les avis qu'il est amené à
émettre, les classifications qu'il en fait, deviennent crédibles.
En outre, en raison de son autorité scientifique, le groupe d'aliments
dont le médecin permet la consommation tend à acquérir un
prestige accru, si bien que les individus sont conduits à valoriser ce
dernier groupe, puis à s'efforcer d'y accéder pleinement et
définitivement »23.
21 Baubérot, A. (2015). Histoire du
naturisme: le mythe du retour à la nature. Presses universitaires
de Rennes, p. 98.
22 Ibid, p. 106.
23 Ouédraogo, A. P., op. cit., p.
63.
20
Les convictions de Carton étaient même par la
suite des références à certains anarchistes24
après la révolution de 1917 et jusqu'à la fin des
années 1920, qui devinrent les adhérents et les diffuseurs de la
pratique du végétarisme bien que le docteur fût contre le
naturisme anarchiste25 : une vie simple, une alimentation saine,
rejet de la médecine moderne, du matérialisme, de la vivisection,
etc. La Revue naturiste sera remplacée dans les années
1950 par celle des Cahiers de la méthode naturelle en
médecine, et est le principal diffuseur aujourd'hui de ce type de
végétarisme avec les rééditions des livres de
Carton jusqu'à la fin des années 1980 (Ouédraogo,
1998).
Cependant les années 1960-1970 ont été un
tournant dans le mouvement végétarien. Période de fortes
contestations, le mouvement hippie et la prise de conscience des impacts de
l'activité humaine sur l'environnement ne sont donc pas en reste. Le
mode de vie des baby-boomers pouvait se centrer autour d'un « retour
à la nature » et d'une quête spirituelle proche du bouddhisme
ou de l'hindouisme (purification, réincarnation, karma). A cela, les
hippies pouvaient donc se convertir aux pratiques du végétarisme
issues de l'Inde, connotées principalement par un rapport à la
nature et à l'animal différent des cultures occidentales et un
certain refus de la société de consommation.
Mais la diffusion du végétarisme en France et
principalement dans les pays occidentaux a également été
rendue possible par la constitution de nouveaux mouvement sociaux lors de cette
même période. Mouvement sociaux provoqués notamment par la
prise de conscience à la fois des problèmes liés à
l'environnement et de la prise en considération de la cause animale par
rapport à la mondialisation et à l'industrialisation du secteur
bovin (conditions d'élevages, de transport et des abattoirs par
exemple26). Le thème du rapport entre l'Homme et l'animal a
été à ce moment-là l'objet de la philosophie
utilitariste de Peter Singer en 1975 et de Tom Regan en 1983 pour les droits
des animaux. En effet il n'y avait peu de distinction entre la souffrance
humaine et la souffrance animale. Philosophes, militants et même hippies
« adoptent » donc le régime végétarien ou
végétalien pour être en accord avec leurs convictions. Le
végétarisme s'inscrit ainsi dans un plus grand ensemble à
la contre-culture des années 1960-1970. Il est à noter que
l'expansion de la cause animale a marqué une certaine scission dans
l'adoption du régime végétarien, notamment par rapport aux
associations de protection envers les animaux domestiques.
L'hétérogénéité de la cause animale
fractionne donc un peu plus la pratique du végétarisme :
associations contre l'abandon des animaux, abolitionnistes, antivivisection,
braconnage, corrida, etc. C'est pour cela qu'un militant d'une de ces causes
peut tout à fait militer contre ces actions et manger des produits
carnés ainsi que des sous-produits (welfarism). La profusion
des associations végétariennes s'est même retrouvée
consolidée par la création de l'Union végétarienne
européenne en 1985 où ces dernières s'y sont
regroupées.
24 Pour plus d'informations, le lecteur pourra
notamment lire :
Baubérot, A. (2014). Aux sources de l'écologisme
anarchiste: Louis Rimbault et les communautés
végétaliennes en France dans la première moitié du
XXe siècle. Le mouvement social, (1), 63-74.
25 Ces anarchistes étaient athées et
pouvaient pratiquer non pas le végétarisme mais le
végétalisme à la suite d'une conversion brutale selon
Carton, processus dont il était contre.
26 Dès 1964 la considération du
bien-être animal était un thème étudié
notamment par l'activiste anglaise et auteure Ruth Harrison : Animal
machines. Elle exposa dans son livre les conditions de l'agriculture
intensive sur les animaux de rente.
21
1.2. Les controverses autour du régime
anti-viande
La mise en place et le développement d'un régime
excluant la consommation de viande et de poisson sont alors construits au
travers de contextes liés à des dimensions politiques,
religieuses, économiques, sociales et sanitaires. Bien que les
différentes pratiques alimentaires excluant la consommation de viande
soient peu pratiquées en France27, elles tendent à
être connues du grand public en raison de sa forte et récente
médiatisation. Ainsi, différents événements peuvent
être soulignés : récemment les scandales alimentaires avec
l'affaire de la présence de viande de cheval dans certaines lasagnes,
les reportages menés par l'association L214 pour dénoncer la
maltraitance animale dans les abattoirs d'Alès, de Vigan et de
Mauléon (entre fin 2015 et avril 2016) - par des membres
infiltrés de cette association ou bien encore des employés de ces
mêmes infrastructures - et enfin les débats autour de
l'instauration d'un repas végétarien dans les cantines scolaires.
Du côté inverse, la lente diffusion du végétarisme
n'est pas perçue comme une pratique à soutenir. Ainsi, cette
partie ici présente est effectuée pour établir quels
acteurs et quelles raisons participent au « contre mouvement » du
végétarisme.
L'apport du sociologue Cyril Lemieux quant aux controverses
permet d'appréhender les rapports existant entre deux parties. Il
définit les controverses comme suit : « les conflits qui nous sont
présentés comme étant des « controverses » ont
toujours une structure triadique : ils renvoient à des situations
où un différend entre deux parties est mis en scène devant
un public, tiers placé dès lors en position de juge [...] dans ce
genre de conflit, tend à être investie par les participants la
clause selon laquelle les deux adversaires doivent se voir reconnaître un
droit égal à faire valoir leurs arguments auprès du public
et à lui montrer des preuves ». Lemieux termine en ajoutant que les
controverses « constituent ouvertement des moments de
renversement potentiel des rapports et des croyances jusqu'alors
institués »28.
A l'instar de ces pratiquants, différents acteurs
entrent en jeu pour lutter contre ces pratiques. Par conséquent, le
rejet d'une pratique anti-viande peut être analysé à
travers divers contextes et acteurs dominants qui ne demandent alors
qu'à être présentés.
En France, plusieurs faits récents ont fait
débat sur la scène politique et, plus largement, dans l'espace
public. L'un des débats les plus houleux de l'année 2015 a
été celui de l'instauration d'un repas végétarien
dans les cantines scolaires. En raison d'un contexte de laïcité et
sous couvert d'une pratique discriminante, Gilles Platret, maire de
Chalon-sur-Saône, a supprimé le repas de substitution à la
viande de porc le 16 mars 2015 pour la prochaine rentrée scolaire. Selon
le maire, les aliments de substitution ne peuvent être proposés
aux enfants car ils participeraient à souligner les différentes
pratiques alimentaires des élèves liées à la
religion musulmane et juive notamment ; en raison d'une interdiction
d'ingérer de la viande de porc et d'une consommation halal ou casher.
Cette suppression intervient alors selon Gilles Platret sous
27 Pour la France, en 2007, le chiffre de 2% est le
plus répandu, soit moins de 2 millions de français. En raison de
l'absence d'étude sur cette pratique, les données sont
diffusées principalement par différentes associations, telles que
l'Union végétarienne européenne. Il ne s'agit alors que
d'estimations ne possédant pas de caractères officiels.
28 Lemieux Cyril, « À quoi sert
l'analyse des controverses ? », Mil neuf cent. Revue d'histoire
intellectuelle 1/2007 (n° 25), p. 191-212
22
un « principe de laïcité » où
« les cantines scolaires de Chalon doivent redevenir des espaces de
neutralité »29.
A la suite de ce débat intervenu au début de
l'année 2015, une nouvelle controverse est venue alimenter, au cours de
cette même année, les discussions autour des repas au sein des
cantines scolaires. Le sujet de l'instauration d'un repas
végétarien dans ces lieux de restaurations a été
porté par le député UDI Yves Jégo (qui propose
déjà un repas végétarien dans sa ville de
Montereau-Fault-Yonne en Seine-et-Marne) en lançant par le biais
d'Internet une pétition le 14 août. L'idée de ce repas
découle alors du précédant problème en souhaitant
parer au débat sur la laïcité et tout en proposant à
ceux ne voulant pas manger de viande ce plat sans produit carné.
Malgré une bonne réception de cette proposition par certaines
personnalités publiques et politiques, plusieurs communes
françaises n'ont pas attendu ce débat naissant pour instaurer des
repas végétariens30, bien que son
institutionnalisation à l'échelle nationale fasse débat.
Par conséquent, et au plus haut niveau de l'Etat, les controverses sur
cette proposition d'Yves Jégo persistent notamment au travers de
Stéphane Le Foll et Najat Vallaud-Belkacem, alors respectivement
Ministre de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt et
Ministre de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la
Recherche. Les arguments proposés par Stéphane Le Foll
s'inscrivent dans un contexte de crise laitière, porcine et bovine
où les éleveurs français font face depuis juillet 2015
à des difficultés financières dues notamment aux achats de
leurs productions jugées trop bas et des marges conséquentes des
différents intermédiaires (industries et grandes distributions).
A cela un potentiel développement du végétarisme via les
cantines scolaires et la fragilité économique des éleveurs
en pleine crise seraient alors incompatibles puisque toujours selon le Ministre
de l'Agriculture, la proposition du député UDI porterait atteinte
aux intérêts des éleveurs français. Le 19 août
2015 était alors titré dans un article de L'Express : « Le
menu végétarien à la cantine, un bâton dans les
roues des éleveurs ? »31, soulignant ainsi la prise de
position de Stéphane Le Foll où il serait alors souhaitable de
soutenir les éleveurs français dans cette crise. Cependant le
discours même du Ministre est sujet aux critiques et à certaines
incohérences. Selon la Fédération nationale des syndicats
d'exploitants agricoles (FNSEA), « Malgré un fort potentiel, les
importations restent majoritaires dans la restauration collective (cantines
scolaires, restaurants d'entreprises, hôpitaux, prisons...). A titre
d'exemple, 87% de la volaille est importée de même que près
de 80% de la viande rouge »32. Le même article de
L'Express reprend également le fait que la viande présente dans
les assiettes des élèves français ne provienne pas
toujours de
29
http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/03/17/le-maire-de-chalon-sur-saone-supprime-le-menu-de-substitution-a-la-cantine_4595188_823448.html
30 Certaines cantines scolaires proposent d'ores et
déjà un repas végétarien, que cela soit depuis
plusieurs années ou récemment, c'est le cas par exemple pour
certaines cantines parisiennes (IIe, XIIe et XIVe arrondissement), lyonnaises,
toulousaines, bordelaises, perpignanaises, strasbourgeoises, paloises et
amiénoises. Les raisons sont nombreuses : facteur de cohésion
sociale, développement durable, prix des aliments carnés,
éviter le gaspillage alimentaire, etc.
L'instauration d'un repas végétarien de
substitution dans toutes les écoles parisiennes tarde à se
démocratiser : progressivement, un repas végétarien par
semaine sera proposé aux alentours de 2020 dans le cadre du Plan
Alimentation Durable 2015-2020.
31
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-menu-vegetarien-a-la-cantine-un-baton-dans-les-roues-des-eleveurs_1707858.html
32 Etude effectuée par la FNSEA et le
syndicat agricole « Jeunes Agriculteurs » dans le cadre de la
promotion des produits français répondant à la crise
agricole dont font face les producteurs et les éleveurs :
http://www.fnsea.fr/toutes-les-thematiques/l-agriculture-acteur-economique/filieres-agricoles/articles/etude-rhf/
23
France. Il souligne par la même occasion que mettre
« un bâton dans les roues des éleveurs » n'est pas
possible car « il faudrait donc que les élèves
décident en grande majorité de ne plus manger de viande. Ce qui
semble assez improbable. ».
A l'instar de Stéphane Le Foll soutenant les
éleveurs français, l'industrie de la viande est passée
à l'offensive contre l'alternative végétarienne. En
octobre 2015, alors que Yves Jégo se félicitait de la bonne
réception de sa proposition quant aux 140 000 signatures de la
pétition, Dominique Langlois, président d'Interbev (Association
nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes), a
adressé une lettre aux Maires, aux Conseils Généraux et
Régionaux ainsi qu'aux parlementaires. Dans cette lettre, le
président y explique que le « lobbying végétarien
»33 est une atteinte à l'ensemble des professionnels de la
filière viande française. Alors que l'alternative
végétarienne dans les cantines scolaires obligerait les enfants
concernés à devenir végétariens, Dominique Langlois
sous-entend que ce repas ne peut être plus laïque que « le
repas gastronomique des français classé par l'UNESCO comme
patrimoine culturel immatériel de l'humanité ».
L'année 2015 a également été
marquée par une controverse issue de l'industrie de la viande en
réponse au rapport du Centre international de Recherche sur le Cancer
(CICR) dont les conclusions ont fait la une des journaux. Ainsi selon le
rapport scientifique, la consommation de viandes rouges et de viandes
transformées34 seraient pour l'une probablement
cancérogène et pour l'autre cancérogène (le cancer
colorectal, du pancréas et de la prostate en seraient les
conséquences). Selon l'OMS, ce rapport résulte d'études
épidémiologiques « laissant entendre que les
légères augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient
être associées à une forte consommation de viande rouge ou
de viande transformée »35. Différents acteurs -
français et étrangers - ont alors tenté de reprendre ce
rapport pour en critiquer les conclusions. Les réponses apportées
peuvent être regroupées en deux parties : les principaux
concernés tentent soit de minimiser ces conclusions, soit d'affirmer de
la non-dangerosité de la consommation de ces viandes.
Sur le plan international, les professionnels de la viande
américains n'ont pas tardé à répondre aux
conclusions du CIRC. L'Institut nord-américain de la viande (NAMI) a
minimisé ces conclusions en soulignant le fait que la viande fait partie
d'un large ensemble de produits qui eux-mêmes sont dangereux pour la
santé, allant même à dénigrer le rapport en
affirmant que les données ont été falsifiées pour
décrédibiliser les viandes rouges et transformées. A cela,
pour l'institut, il n'y aurait pas de corrélation entre le cancer et la
viande. A chaque pays sa réponse, le ministre de l'agriculture
australien, Barnaby Joyce, minimise également les conclusions en
précisant que l'on ne peut pas mourir d'un cancer du côlon
simplement en consommant de la viande transformée. De plus, selon
l'Institut national de la viande d'Uruguay et la Fédération
wallonne de l'Agriculture (FWA), les viandes transformées et rouges
ne
33
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/31/le-restaurant-scolaire-est-il-le-lieu-du-marketing-ideologique_4606419_3232.html
34 Le CICR définit la viande
transformée dans son rapport du 25 octobre 2015 comme « viande qui
a été transformée par salaison, maturation, fermentation,
fumaison ou d'autres processus mis en oeuvre pour rehausser sa saveur ou
améliorer sa conservation. La plupart des viandes transformées
contiennent du porc ou du boeuf, mais elles peuvent également contenir
d'autres viandes rouges, de la volaille, des abats ou des sous-produits
carnés comme le sang ».
Source : L'Organisation mondiale de la santé,
http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2015/cancer-red-meat/fr/
35
http://www.who.int/features/qa/cancer-red-meat/fr/
24
constituent pas le réel problème, il s'agirait
uniquement des additifs incorporés dans ces dernières. De
surcroît, la publication d'un fait scientifique illustre une
adaptabilité des « partis dominants » en produisant d'autres
données scientifiques ou en faisant dévier la raison initiale du
rapport au public.
En France, les réactions sont aussi nombreuses et
tendent à une certaine uniformité. Pour le ministre de
l'agriculture, bien que le risque d'avoir un cancer peut être lié
à une consommation excessive de viandes, il appel à
l'instauration de recommandations quant à la fréquence de
consommation de ces viandes. Le président de la FNSEA, Xavier Beulin,
sur la même longueur d'onde que Le Foll quant à la consommation
irraisonnée de viande, préconise également une limitation
pour tendre à un équilibre nutritionnel. Les quantités de
consommation excessives de viandes et les recommandations sont identiques pour
Interbev et la fédération française des industriels
charcutiers-traiteurs.
Bien que l'on puisse s'éloigner du rapport au
végétarisme, la relation viande-environnement constitue un point
important dans les revendications d'une alimentation végétale
en-dehors de la question de l'éthique animale. Le rapport de
l'organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) de
2013 soulignait ainsi qu'environ 15% des émissions annuelles de gaz
à effet de serre (GES) dans le monde était imputable à
l'élevage d'animaux dans le but de sa consommation. Il en est de
même pour le Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat
(GIEC) qui en 2014 préconisait une limitation de la consommation moyenne
de viande (ruminants et autres, poissons et oeufs) pour diminuer les GES.
Malgré cela, le manque de prise de position des principaux
concernés peut s'expliquer par la très faible
médiatisation de ces rapports. Nous pouvons également transposer
ce fait par rapport à la COP 21 qui s'est déroulée au mois
de décembre 2015 à Paris où, force est de constater que la
thématique de la dégradation de l'environnement en lien avec la
consommation de viande a été l'une des plus oubliées dans
les négociations36. Cependant, l'industrie de la viande,
à travers le site
la-viande.fr, peut
s'appuyer sur une donnée montrant que les GES sont stockés
grâce aux animaux et aux prairies à hauteur de 30% dans les sols
destinés à l'élevage. En ajoutant que le
végétalisme « fait courir des risques de santé
», c'est également ce même site qui minimise indirectement
les conclusions du CIRC en soulignant que la consommation de viande en France
est en constante diminution et est en-dessous des recommandations du
CREDOC373839 (Centre de recherche pour l'étude et
l'observation des conditions de vie).
Sous le couvert de carences que pourrait induire un
régime végétarien ou végétalien, le
nutritionniste Jean-Michel Cohen a pendant de nombreuses années
discrédité ces régimes alimentaires, notamment pour les
enfants, personnes âgées, malades et femmes enceintes. Sa forte
médiatisation n'est donc pas en reste face aux représentations
que peuvent avoir le public sur les pratiques du végétarisme
(« tiers placé dès lors en position de juge »).
Décrié pour son concept de « religion alimentaire », le
point de vue de ces différentes populations sur la prise de position de
Cohen est compréhensible dans le sens où il serait en
collaboration avec
36 A travers l'accord de limitation du
réchauffement climatique à moins de 2°C, la transition
énergétique se caractérise par une diminution de la
production de carbone (gaz, pétrole et charbon).
37 Le CREDOC préconise une limitation de la
consommation hebdomadaire de viande à 500 grammes alors que le site lui
indique que la consommation de viande rouge n'est que de 370 grammes
hebdomadaires.
38
http://www.la-viande.fr/nutrition-sante/consommation-viande-france
39
http://www.la-viande.fr/environnement-ethique/viande-rechauffement-climatique
25
l'industrie agroalimentaire (Nestlé et Danone).
Cependant, c'est en 2013 que le nutritionniste le plus connu de France a
changé de position sur l'alimentation végétarienne et
végétalienne. Avec l'intervention du journaliste et
écrivain Aymeric Caron dans le cadre d'un débat intitulé
« Les végétariens peuvent-ils sauver l'humanité
» le 14 juin 201340, Cohen affirme que l'alimentation
exclusivement végétale permet d'équilibrer les apports
nutritionnels et qu'une consommation de protéines animales est mauvaise
pour la santé. Mais en novembre 2013, et sans réelle explication,
son approche anti-végétalisme refait surface. Sur la chaîne
CANAL+, il réaffirme que le végétalisme n'est pas
adapté pour les malades, les personnes âgées, les femmes
enceintes mais également pour les enfants car ce régime
entraînerait des carences et donc selon lui, des enfants « petits et
bêtes ». L'association L214 et les pratiquants des
végétarismes ont vivement réagi en soulignant le fait que
l'émission, sur la base de contrevérités, nuisait au
régime anti-viande et qu'il aurait été plus judicieux de
faire intervenir des experts de ce régime. Dans la dimension
nutritionnelle et face aux attaques de leur régime, les pratiquants
reprennent certaines conclusions de rapports scientifiques montrant les
bienfaits d'une alimentation végétale. Il en est de même
quant aux conclusions en 2009 de l'Association américaine de
diététique - relayées par l'Association
végétarienne de France - selon lesquelles le
végétarisme et le végétalisme sont «
appropriées à tous les stades de la vie, y compris la grossesse,
l'allaitement, la petite enfance, l'enfance, l'adolescence, et pour les
athlètes. Planifiées de façon adéquate, elles
satisfont les besoins nutritionnels des bébés, des enfants et des
adolescents, et contribuent à une croissance normale
»41.
Face à tous ces acteurs « défendant »
les intérêts d'une consommation de viande, associations,
pratiquants, personnalités publiques et politiques constituent alors le
parti « adverse » dans ces luttes conflictuelles. Le cas du repas
végétarien dans les cantines scolaires française en est un
bon exemple. Les associations L214 et l'AVF (Association
végétarienne de France), ainsi que le parti Europe Ecologie Les
Verts (EELV), Aymeric Caron, le moine bouddhiste Matthieu Ricard et même
certains philosophes comme Florence Burgat et Jean-Baptiste Jeangène
Vilmer y sont favorables. D'autant plus que nombre de ces acteurs42
défendent le repas végétarien depuis 2011 où un
arrêté oblige les collectivités (scolaires, universitaires
et pénitentiaires depuis 2012) de proposer à chaque repas une
protéine animale et un produit laitier43, allant donc selon
eux à l'encontre des libertés individuelles de pouvoir choisir ou
non un repas végétarien. Quant au rapport du CIRC et aux
réactions des syndicats, industriels, scientifiques et des politiques,
les conclusions permettent de revendiquer officiellement pour les
défenseurs des droits des animaux ainsi qu'aux promoteurs d'une
alimentation non-carnée les bienfaits d'une alimentation sans viande sur
la santé ou même l'environnement. Le végétarisme et
surtout le végétalisme s'imposeraient comme une solution face aux
problèmes dont rendent compte les rapports scientifiques (agriculture,
conditions d'élevage, problèmes environnementaux, santé
humaine, etc.). Les groupes de pression « pro-viande » entreraient en
jeu dans ces débats sociétaux pour défendre leurs
intérêts puisque les
40 Le débat est disponible sur le site de
visionnage de vidéos en ligne Dailymotion.
URL:
http://www.dailymotion.com/video/x11grlg_les-vegetariens-peuvent-ils-sauver-l-humanite_news
41
http://www.vegetarisme.fr/comment-devenir-vegetarien/periodes-vie/
42 L'AVF, L214, les ONG Ecologie sans frontière
et One Voice, le groupe EELV ainsi que la Société Végane.
Ces acteurs ont déposé un recours au Conseil d'Etat qui a
été rejeté par ce dernier. 43
https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?numJO=0&dateJO=20111002&numTexte=34&pageDebut=16575&
pageFin=16577
26
controverses sont propices au « renversement potentiel
des rapports et des croyances jusqu'alors institués ». La
défense de ces intérêts est l'une des critiques du
mouvement végétarien, considérant qu'industriels et
institutions sont en étroite collaboration (lobbying). Chose à ne
pas écarter, comme l'écrit Sylvain Laurens dans Les courtiers
du capitalisme, il y a une collaboration entre deux groupes dominants avec
des intérêts différents mais qui ont des profits communs.
Il n'est donc pas étonnant que la médiatisation du régime
anti-viande commence à être - directement ou indirectement - de
plus en plus importante (contextes environnementaux, pollutions, droits,
libération ou protection des animaux, etc.). A titre d'exemple,
l'augmentation du nombre d'écrits et de reportages/débats
télévisés sur la condition animale (souffrance,
éthique, conscience, etc.) peuvent rendre compte d'un changement lent et
progressif du regard de la société sur les animaux à
destination de la consommation humaine. Mais cela ne se fait pas sans heurt :
en 2014, le président de la FNSEA dénonçait un « show
médiatique » autour de la souffrance animale et « des
tentatives législatives pour modifier leur statut de « biens
»44.
Face aux controverses, les groupes de pression tentent de
remettre en doute les résultats ainsi que les procédés des
études sur la pollution et les risques de maladies et de cancers
liés à la consommation de viande. Cela n'est donc pas surprenant
que les groupes de pression tentent de décrédibiliser les
résultats et de protéger leurs intérêts puisqu'ils
sont pour la plupart des groupes occidentaux et les plus grands producteurs de
viande au monde. Via leurs actions, ces groupes peuvent maintenir le doute
quant aux bienfaits d'une alimentation exclusivement végétale. De
plus, en ayant recours à des organismes officielles (INRA, IFRIS, IFN,
etc.) pour produire des connaissances, ces groupes (notamment les industriels
de la viande et les syndicats) partagent au grand public ces connaissances et
savent par la même occasion utiliser des compétences
adéquates face aux controverses. Par exemple, la FAO déclarait en
2006 que l'élevage émettait 18% des gaz à effet de serre,
la controverse impliquait donc de réduire la consommation de viande pour
lutter contre ces gaz. Ainsi, les acteurs environnementalistes, protecteurs des
animaux ou associations végétariennes, etc. pointaient du doigt
les conséquences de l'élevage. A cela, en « s'alliant »
avec des instituts officiels (INRA, CREDOC), industriels et syndicats ont pu
mettre en avant d'autres considérations positives environnementales
(notamment l'argument cité plus haut du stockage de carbone dans les
sols d'élevage, ainsi que l'amélioration des conditions de vie
des animaux, le traitement des eaux, etc.). C'est donc face à des
initiatives en faveur du végétarisme, à une
régulation ou bien à une limitation de la consommation de
certaines viandes pour des raisons de santé, de religion ou
d'environnement que les acteurs forment des groupes de pression qui s'engagent
contre une croisade de réforme des moeurs. Ainsi, la croisade de la
pratique du végétarisme se trouve limitée par ces groupes
de pression, entravant l'établissement de nouveaux dispositifs
d'institutions voire d'agents de contrôle social (chargés de faire
appliquer ces dispositifs). La prise de position des deux partis des
controverses souligne donc un rapport de force qui se joue à la fois
dans la sphère publique et dans la sphère institutionnelle.
Ainsi, en ayant un certain « pouvoir d'imposer ses idées »,
les groupes de pression mettent en évidence l'existence de commissions
bénéficiant d'un statut officiel et dont les connaissances
mobilisées vont avoir
44
http://www.20minutes.fr/planete/1470910-20141029-coup-gueule-fnsea-contre-show-mediatique-bien-etre-animal
27
également une existence officielle. L'analyse des
controverses prouvent aussi qu'elles existent continuellement une fois qu'elles
font débat ; elles peuvent baisser en intensité voire devenir
invisible comme c'est le cas du repas végétarien dans les
cantines scolaires, mais elles peuvent réapparaitre quand il n'y a pas
de consensus entre les acteurs.
En définitif, la controverse résulte d'un fait
(des faits scientifiques dans le cas des végétarismes). En termes
d'acteurs-réseaux, les controverses se construisent par les acteurs
qu'impliquent les faits scientifiques. A cela, ces acteurs engagés dans
une controverse fabriquent d'autres connaissances scientifiques pour
légitimer leurs activités. En ce sens, si la diffusion du
végétarisme, s'insérant même dans les institutions
scolaires, est capable de fragiliser les croyances du sens commun, le parti
adverse est également capable d'innovations technologiques et donc
scientifiques. Sous un angle de « domination gestionnaire »
(Boltanski, L, 2009), la flexibilité dont possèdent les acteurs
en faveur d'une alimentation non-carnée est largement inférieure
face aux techniques préexistantes et à la capacité
d'adaptation des « pro-viandes » (ces derniers possèdent des
ressources et des capacités de productions scientifiques). Ainsi,
l'étude scientifique du CIRC sur la dangerosité de la viande
rouge et transformée s'insère et entraîne des acteurs
extérieurs au cercle auquel cette étude intervient ; elle se
déplace dans l'espace public.
28
Chapitre 2 - Entrée dans une carrière et
justifications
Ce deuxième chapitre a pour but de comprendre pourquoi
et comment l'individu est amené à s'inscrire dans une nouvelle
carrière. Il s'agit donc d'appréhender le comment devient-on
végétarien, végétalien ou végan ? et
comment le reste-t-on ? A travers son approche interactionniste de la
déviance, Howard Becker identifie dans Outsiders trois phases
constituant la carrière déviante :
1. La transgression d'une norme dominante
2. Cette transgression devient déviante quand il y a une
désignation publique
3. L'adhésion dans un groupe déviant
organisé, justifiant l'engagement de l'individu dans la carrière.
Ici l'adhésion dans un groupe déviant peut être
reliée aux sociabilités virtuelles. Nous verrons qu'elles ont une
place importante dans le maintien des individus dans des pratiques
déviantes.
Dans ce courant interactionniste, la pratique des
végétarismes peut être considérée comme une
déviance puisqu'elle est marginalisée dans la
société française. En effet, ces types de populations se
voient étiquetés comme déviants par la
société en raison de ses pratiques extérieures à la
norme dominante qui est celle de la consommation de produits d'origine animale.
En ce sens, ce ne sont pas les pratiquants qui sont déviants mais c'est
par le prisme de la société qu'ils le deviennent. Cette
stigmatisation peut induire chez les pratiquants d'une alimentation
non-carnée une redéfinition de leur statut social et des effets
sur leur identité, c'est-à-dire la façon dont ils se
perçoivent socialement et personnellement, sur leur intégration
dans la société, sur leurs relations... Par conséquent,
les pratiquants sont amenés à s'inscrire dans une nouvelle
carrière. En continuant dans le sens de Becker, il est nécessaire
pour les individus de passer par différentes phases pour s'engager
pleinement dans une carrière des végétarismes : ils
doivent dans un premier temps apprendre la technique qui permettra de produire
différents effets qui vont eux-mêmes produire un changement dans
la perception de la pratique ; à la suite de cela, ils doivent passer
par l'apprentissage de la perception que les effets peuvent avoir sur eux
(bienfaits de l'alimentation végétale...) ; ils doivent
finalement passer par un apprentissage du goût pour les effets,
c'est-à-dire que si certains aliments étaient auparavant
considérés comme mauvais, les individus doivent donc passer par
une redéfinition de leurs sensations pour que la représentation
de ces goûts changent pour y intégrer ces aliments.
Le deuxième chapitre s'articule donc autour de deux
tendances : la justification de la conversion et une sociabilité
virtuelle comme condition d'entrée dans une carrière.
Quant aux justifications, nous parlerons en termes de
dispositions. Il ne s'agit pas de justifications dans le sens « je suis
devenu végétarien parce que... ». Les multiples
expériences au cours de la vie des individus participent à la
formation de ces dispositions et aux conséquences des ruptures
alimentaires par rapport à l'enfance. Cependant, elles ne sont pas
forcément visibles pour les individus. En effet, les « raisons
» avancées par les personnes
29
interrogées proviennent souvent d'un choc
moral45 (qui sera traité au cours de ce chapitre) qui «
débloque » la manifestation des dispositions, c'est pourquoi leurs
trajectoires sont primordiaux dans l'analyse des justifications de la
conversion. En effet, dans L'homme pluriel, Bernard Lahire souligne
comment le chercheur peut être amené à analyser les
dispositions. Pour l'auteur, le chercheur reconstruit les dispositions sociales
à travers la description des pratiques, des situations dans lesquelles
les pratiques sont déployées, mais aussi les
éléments dont il juge important sur la base de la biographie et
de la trajectoire des individus étudiés (Lahire, 1998, p. 63).
Le sens « je suis devenu végétarien parce
que... » fait donc référence à la raison,
c'est-à-dire les arguments que les informateurs donnent
spontanément lors des entretiens quand il était demandé
par exemple « pourquoi êtes-vous végétarien ? »
ou plus indirectement « comment êtes-vous devenu
végétarien ? ». Deux termes s'opposent donc, la
justification pour l'aspect objectivé et la raison en tant qu'aspect
subjectif.
2.1. Analyse des justifications
Il est à noter avant de débuter que les
entretiens réalisés sont anonymes. Par conséquent tous les
prénoms utilisés au cours de cette étude sont fictifs.
Si nous parlons en termes de justifications et non de raisons,
c'est parce subjectivement les raisons sont des éléments
spontanés et ne rendent pas compte des trajectoires de vie. Trajectoires
qui sont décisives dans la compréhension de l'inscription de
l'individu dans une carrière des végétarismes. Nous
commencerons l'analyse dans un premier temps par les raisons données
spontanément ainsi que les éléments de vie des personnes
interrogées.
Selon Marc, sa conversion (à l'âge de 33 ans)
serait due au visionnage d'une vidéo montrant les conditions de vie des
vaches et l'abattage industriel de ces dernières. Cette vidéo
aurait été initialement « partagée » sur le
réseau social Facebook juste avant Pâques. Cependant, sa
conversion peut être amplement justifiée à travers des
dispositions acquises dans sa trajectoire de vie. Ainsi : Marc a 37 ans,
marié depuis dix ans et père de deux enfants. Il a grandi au
Portugal jusqu'à l'âge de 12 ans. Il consommait beaucoup de viande
avec sa famille. Il se dit être nostalgique des paysages de son village,
de voir les animaux en liberté et de cueillir directement sur les arbres
des fruits de bonnes qualités. Il essaie de revenir dans son pays natal
lors de chaque été. C'est quand il a amené son premier
enfant à l'âge de 5 ans en 2010 dans son ancien village qu'il
s'est rendu compte de ce que pouvait « donner » la terre. En rentrant
en France, il décide d'occuper une partie du jardin de sa
belle-mère (il vit en HLM) pour y faire un potager bio,
représentant également selon lui un substitut à son
salaire. Le potager a permis à lui et sa femme d'acheter de la viande
blanche de meilleure qualité, sauf la viande rouge qu'il
considère comme mauvaise pour la santé en plus du fait qu'il en
consommait beaucoup dans son enfance : « je me suis cantonné
à quelques steaks de temps en temps ». Par la suite, il acquiert
des poules et lui fournissent tout au long de l'année des oeufs. En mars
2011, alors âgée de 6 ans, sa fille décide de ne plus
manger « les oeufs du poulailler » et la viande qui «
ressemble
45 Certaines questions lors des entretiens
demandaient d'effectuer une rétrospection dans leur enfance (notamment
par rapport à l'alimentation, milieu d'origine, etc.). Cependant, les
réponses apportées tenaient pour justification un choc moral qui
entraînait par la suite la conversion (de manière rapide ou
étalée sur une période plus ou moins longue).
30
aux poules ». Elle consomme toutefois du poisson en
faible quantité et des produits laitiers. Marc est le seul à
accepter le choix de sa fille, sa femme est réticente à
l'idée de ne plus consommer de viande. Sa fille continue toujours cette
nouvelle alimentation et c'est en avril 2012 que Marc visionne un reportage sur
les conditions de vie des vaches élevées industriellement, et
qu'il décide de proscrire la viande et le poisson de son
alimentation.
Pour le cas de Sophie, elle se dit être devenue
végétarienne pendant six ans et maintenant végane depuis
cinq ans grâce à une amie qui elle-même était
végétarienne. Ainsi, elle aurait montré à Sophie
des images d'animaux ensanglantés. En ayant eu de l'empathie, elle dit
être devenue végétarienne pour ne plus participer à
l'abattage d'animaux. Cependant, Sophie (28 ans) est vétérinaire
dans la région parisienne, elle habite à Paris depuis sa
naissance. Elle allait à de très nombreuses fois chez ses
grands-parents pendant les weekends et les vacances (à la campagne) car
selon elle ses parents étaient pris par leurs métiers (tous les
deux sont médecins). Que cela soit chez ses grands-parents ou chez ses
parents, elle raconte avoir toute sa vie mangée des produits de
qualités, dont la viande. A l'âge de 8 ans, elle commence à
pratiquer l'équitation et finit par arrêter à 22 ans
à cause d'un problème de dos. Même si la consommation de
viande chevaline était rare chez ses parents, elle raconte avoir
très vite eu un sentiment profond de dégoût pour cette
viande. Elle devient donc végétarienne à 17 ans et ce,
jusqu'à ses 23 ans. Après son baccalauréat scientifique et
une classe préparatoire en BCPST (biologie, chimie, physique et sciences
de la Terre), elle intègre l'ENVA (École nationale
vétérinaire d'Alfort) jusqu'à ses 25 ans où elle
est diplômée. C'est au moment de sa formation et du contact avec
les animaux qu'elle décide, après s'être informée,
de devenir végane à 23 ans. Elle raconte que manger de la viande
et soigner les animaux étaient incompatibles.
Une seule personne interviewée est dans la
capacité d'expliquer sa conversion à travers son histoire
sociale. Eléonore a 25 ans, elle a été
végétarienne de 22 à 23 ans. Pour elle, ne plus consommer
de viande est avant tout un gain d'argent qui lui permet de varier son
alimentation. Elle a grandi chez son père à Amiens, il est
mécanicien et sa mère travaille en tant que secrétaire
dans un cabinet dentaire. Elle raconte avoir vécu durant son enfance
plusieurs années difficiles financièrement parlant à la
suite du divorce de ses parents. A cela, les hospitalisations
régulières de son père ont également
été des moments difficiles à vivre. Cet ensemble, ainsi
que l'alcoolisme et les absences répétées au travail de
son père auraient selon elle eu des répercussions
financières et donc, sur l'achat de viande : « On avait pas le
choix, du moins je subissais tout ça. Du coup, soit avec le peu d'argent
que mon père avait on mangeait de la viande dégueulasse, soit on
en mangeait pas parce que y'avait pas d'argent ». Eléonore a
quitté le domicile de son père lorsqu'elle avait 23 ans, cela
fait donc deux ans qu'elle habite seule dans son logement après avoir
obtenu un CDI en tant que secrétaire médicale. Elle aurait selon
ses mots « gardé ce truc qui fait que je regarde toujours les
étiquettes des produits pour le prix au kilo ». Ce souci de
rentabilité est surtout valable pour l'achat de viandes.
Néanmoins, elle a pu expliquer avoir arrêté
définitivement les produits carnés par manque d'argent à
cause de son emménagement. Cela ne la dérangé pas dans le
sens où elle consommait déjà peu de viande lorsqu'elle
habitait chez son père. C'est pourquoi sa conversion au véganisme
intervient seulement quelques mois après son emménagement ; les
restrictions alimentaires et autres (cuir, loisirs, restaurations...) propres
aux pratiques des végétarismes représentant un atout
financier. La conversion au véganisme s'accompagne néanmoins
d'une incorporation d'un ethos végan lui permettant de s'engager dans
cette carrière, en tant que légitimation, ce point est
traité dans
31
la partie suivante sur les chocs moraux. Le contexte familial
et économique a permis d'acquérir pour Eléonore, dans sa
trajectoire de vie, des dispositions qui lui ont permis d'entamer une
conversion au végétarisme (souci de rentabilité, de faire
des économies, dégoût pour la viande, faible attache aux
produits carnés en raison d'une faible consommation durant
l'enfance).
Quant à Laura, le végétarisme est une
suite logique à ses convictions. A l'âge de 14 ans elle part
voyager avec ses parents en Indonésie qui décident de le faire
seuls, c'est-à-dire en utilisant les transports en commun, le
vélo et la marche, et non dans le cadre d'un circuit collectif avec la
présence d'un guide touristique. Dans la province de Riau - dit-elle -
une épaisse fumée couvrait le ciel, elle ne comprenait pas mais
les habitants avaient l'air d'être en colère. Ses parents et elle
sont hébergés par un ami français installé dans la
province depuis quelques années. Elle y apprend que la fumée
était une culture sur brûlis pour la plantation de palmiers. L'ami
de ses parents lui apprend également quels sont les impacts sur
l'environnement, sur les espèces menacées et sur les populations
locales. A la suite de cela, elle se documente et décide de ne plus
consommer d'aliments comportant cette huile
végétale46. En parallèle, Laura mange des
produits issus de l'agriculture biologique depuis sa naissance (fruits,
légumes, produits carnés et sous-produits), ses parents
possèdent un potager de 300m2. L'Indonésie
était son premier voyage hors Europe, c'est à partir de ses 18
ans qu'elle décide de voyager seule lors des vacances
d'été (Amérique Latine et Asie). Elle dit être une
« backpackeuse »47, elle y
découvre les cultures locales mais également les conflits
généralement entre les populations et les compagnies
industrielles (déforestation, pétrolières,
hydrauliques...), ainsi que des conséquences sur l'environnement et les
animaux. Elle consomme toujours à ce moment-là de la viande et du
poisson, mais c'est à 20 ans, lors de son arrivée à Amiens
dans le cadre de ses études qu'elle décide de devenir
végétarienne : « j'étais préoccupée par
l'extinction de certains animaux. Les vaches, les cochons et tout eux ne
l'étaient pas donc j'ai jamais pensé à arrêter la
viande. En Asie j'ai rencontré des végétariens,
c'était des bonnes discussions mais c'est pas pour autant que j'ai
arrêté... j'étais dans la logique du bio, mes parents et
moi on pensait que c'était la meilleure consommation possible [...] J'ai
adhéré à l'AMAP et là j'ai rencontré une
végétalienne qui est devenue mon amie. J'me suis donc
intéressée au végétarisme tout ça et j'ai
regardé un reportage qu'elle m'avait conseillée, c'était
un discours de Gary Yourofsky48. Deux mois après j'mangeais
du tofu (rires) ».
La trajectoire menant au végétarisme est
différente chez Laura, la pratique du bio et son refus de l'huile de
palme, et donc des représentations et des convictions qui
s'accompagnent, ont été le fils conducteur. Nous verrons dans le
dernier chapitre que c'est le contraire pour les autres interviewés : la
pratique du bio découle des végétarismes. Se
déployant dans des situations vécues au cours de son adolescence,
l'arrêt de produits carnés est une suite logique aux valeurs de
Laura. Son départ du domicile parental a également
été un moyen pour elle pour se convertir au
végétarisme, ses parents consomment des produits carnés et
des sous-produits biologiques. Au moment de l'entretien, elle se disait
être en transition au végétalisme.
46 A la suite de cette interaction avec l'ami de
ses parents, Laura voulait voir de ses propres yeux la déforestation et
les conséquences qu'elle a sur les animaux. Néanmoins ses parents
n'ont pas accepté car selon elle ils devaient prendre deux jours plus
tard l'avion pour retourner en France.
47 Une routarde. Elle voyage
généralement seule avec comme unique objet son sac de voyage.
48 Il s'agit d'un discours donné en 2010
à la Georgia Institute of Technology. Gary Yourofsky est végan et
est un activiste américain pour les droits des animaux.
32
Le fait de prendre en compte dans les analyses les
trajectoires personnelles des individus montre un certain déterminisme
du passé des acteurs qui est décisif dans la conversion.
L'individu ne peut être disposé à devenir
végétarien, végétalien ou végan sans ce
passé. Les processus dans lesquels les individus se convertissent au
végétarisme et à ses déclinaisons sont
précisément liés à l'idiosyncrasie des biographies
personnelles. Cependant, à l'instar d'une justification objectivement
traitée sous la forme de dispositions, les justifications
spontanées des individus au moment des entretiens sont toutes aussi
importantes. Puisque les dispositions n'ont pas forcément l'occasion de
se manifester selon une situation particulière dans laquelle l'individu
est confronté, la conversion au végétarisme et ses
déclinaisons est un révélateur de ces multiples
dispositions. Par conséquent, d'un point de vue subjectif, les individus
interrogés relient leur conversion à un moment bien
précis. Leur présence lors d'un abattage, la mort donnée
à un animal de compagnie, la visionnage d'une vidéo, etc. sont
alors considérés comme des éléments clés
dans leur choix de conversion, tels des déclics. L'exemple de Julien
peut l'illustrer. Selon lui, le fait d'être devenu
végétarien est « normal ». De manière
rationnelle, il explique son choix de conversion comme cela :
« J'ai été végétarien
seulement pendant un an, je suis tombé sur un témoignage d'un
végétarien dans un article de l'Obs ou de Rue89
je crois. Je sais pas pourquoi mais j'étais d'accord avec lui, je
trouvais ça con de manger de la viande. Donc j'ai arrêté la
viande d'un coup et naturellement, ça m'a pas dérangé ni
manqué. Je n'avais pas d'attache à la consommation de viande,
c'est juste que j'ai grandi avec comme beaucoup de monde. Là je suis
végétalien mais en transition au véganisme ».
(Julien).
Si pour Julien, sa conversion semble être « logique
», elle dépend cependant de contextes personnels, proches
d'Eléonore. Julien a 27 ans, en couple depuis 4 ans à une
omnivore et sans emploi. Il a grandi à Amiens dans une famille à
faibles revenus, ses parents sont à la retraite (son père
était ouvrier et sa mère alternait entre employée d'usine
et mère au foyer). Il a pu indiquer que ses parents achetaient de la
viande congelée à bas prix dans les grandes enseignes. En
grandissant, Julien a commencé à éprouver du
dégoût quand il voyait le gras, les nerfs, les os et le sang de
ces produits carnés, la qualité gustative fait également
partie de la construction du dégoût. Nous supposons donc qu'il
était prédisposé d'une certaine manière aux
pratiques végétariennes. Ainsi, le témoignage qu'il a pu
lire constitue subjectivement l'élément déclencheur (sa
raison) de sa conversion mais objectivement, ses origines sociales
représentent la justification de son inscription.
L'analyse des trajectoires de vie souligne la pluralité
des dispositions que les individus acquièrent au cours de leurs
expériences, du plus jeune âge à un âge
avancé. Ainsi, l'individu est à la fois un « homme pluriel
» et singulier. En effet, les différents entretiens
réalisés illustrent une multitude de raisons, de conditions
d'entrée dans la carrière et de sensibilités qui sont
propres aux enquêtés
Les dispositions s'inscrivent profondément et
inconsciemment et participent aux représentations sociales, aux
façons d'agir, de penser, etc. des individus. Ces manières
incorporées permettent de « réagir » par
conséquent selon la situation dans laquelle l'individu se trouve, elles
sont activées lors d'un événement social inhabituel. Pour
reprendre le cas de Sophie, ce n'est pas les images d'animaux
ensanglantés qui l'ont amenée à se convertir au
végétarisme dans un premier temps, mais bien les dispositions
acquises au cours de sa
33
trajectoire. Le dégoût prononcé pour la
viande chevaline à la suite de la pratique de l'équitation, son
rapport à la nature et aux animaux de par sa présence à la
campagne, la bonne qualité des aliments consommés depuis son
enfance, ses études vétérinaires... l'ont disposée
à « devenir » végétarienne lorsqu'elle a
été confrontée à cette situation «
inconfortable ». Sans ce type de trajectoire de vie et de l'incorporation
de sensibilités, Sophie n'aurait pu être disposée à
le devenir. Idem pour Julien et Eléonore qui ont eu une socialisation
des pratiques alimentaires quelque peu identique en raison de la mauvaise
qualité nutritionnelle et gustative des produits carnés induite
par un contexte économique. Ils ont incorporé une construction de
dégoût vis-à-vis de la viande au cours de leur trajectoire,
ce qui a provoqué un lien « faible » à sa consommation
(viande mauvaise et fréquence de consommation faible). Nous pouvons
également apporter un élément supplémentaire en
avançant l'idée que la rupture avec le régime alimentaire
familial peut être une rupture plus globale. En effet, certaines
trajectoires rendent compte d'un certain déplacement dans l'espace
social : le cas d'Eléonore obtenant un CDI et déménageant
de chez son père, les voyages et l'installation à Amiens de Laura
dans le cadre de ses études universitaires.
La subjectivité des justifications spontanément
données lors des entretiens permet de faire ressortir le concept de
« choc moral ».
2.2. Choc moral et dispositifs de sensibilisation
Lors des entretiens menés dans le cadre de la
recherche, l'introspection des individus dans leur propre biographie permet de
relier la conversion à un événement difficile à
vivre. Comme il a été dit plus haut, leur présence lors
d'un abattage, la mort donnée à un animal de compagnie, la
consommation d'un animal où l'individu pouvait lui éprouver de
l'affection... sont considérés comme des éléments
clés dans leur choix de conversion. La figure 2.1 permet de donner un
premier aperçu. A la question « Quelle est la principale raison de
votre conversion ? », près de 80% du panel a répondu «
l'éthique (exploitation animale) ». Les modalités «
l'environnement », « la santé », « le
dégoût » et « autre » restent largement
minoritaires. Nous pouvons supposer que l'éthique en tant que principale
justification est liée au contexte d'une médiatisation plus
accrue des « dérives » de l'industrie de la viande de
manière générale (scandales alimentaires, conditions de
vie des animaux, maltraitances dans les abattoirs). L'un des aprioris
était de penser que la santé constituée une justification
importante de la conversion notamment, de manière
générale, du rapport au corps ; l'individu pouvant à sa
propre échelle « agir » sur son corps par rapport à son
alimentation (santé et physique), rapport plus visible que son impact
sur l'environnement et sur la mise à mort d'animaux dans un cadre
normé49. Cette pensée s'appuyait également sur
la multitude d'articles scientifiques présents sur Internet et de
résultats d'organismes officielles comme l'Organisation Mondiale de la
Santé mettant en lien la consommation de certaines viandes et le risque
de maladies et de cancers.
49 Même si la fréquence de diffusion
télévisée des récents scandales alimentaires et des
actes de cruauté est plus importante aujourd'hui - prouvant par la
même occasion que le rapport de l'homme à la mise à mort
des animaux évolue lentement en raison de sa mise à distance -,
je pensais que dans les sociétés occidentales - du moins en
France - l'alimentation anti-viande était signe d'un
intérêt pour la santé.
34
Fréquences
l'éthique (exploitation animale)
846
71
Figure 2. 1 - Conversion et principale raison
Raison
%
78,8
le dégoût
6,6
l'environnement
66
6,1
la santé
64
6
autre
27
2,5
Ensemble
1074
100
La définition avancée de la justification, selon
laquelle un événement déclencheur ne
constitue pas l'élément explicatif de la conversion
peut être appuyée par le concept de choc
moral qui est analysé par le sociologue Christophe
Traïni dans l'étude des militants de la cause
animale50. A partir de ses entretiens, il explique que
subjectivement, du point de vue du militant,
la justification de l'adhésion à la cause animale
dépend d'un événement survenu dans l'enfance,
tel un traumatisme.
Pour expliquer l'adhésion dans la cause animale,
Traïni reprend la décomposition du choc
moral en quatre traits complémentaires définit par
le sociologue James M. Jasper. Selon ce
dernier, le moral shock « désigne un type
d'expérience sociale qui s'inscrit en amont de
l'engagement pour une cause ». Le choc moral se
caractérise donc par ces traits
complémentaires : « elle résulte d'un
événement inattendu ou d'une modification imprévue,
plus ou moins brusque, de l'environnement des individus ; elle
implique une réaction très vive,
viscérale, ressentie physiquement parfois même
jusqu'à l'écoeurement, la nausée, le vertige ;
elle conduit celui qui y est confronté à jauger et
juger la manière dont l'ordre présent du monde
semble s'écarter des valeurs auxquelles il adhère ;
enfin cette expérience sociale suscite un
sentiment d'épouvante, de colère, de
nécessité d'une réaction immédiate, qui commande
un
engagement dans l'action »51.
L'analyse des entretiens permet de rendre compte de ce concept.
De manière générale, le
premier trait correspond à la raison subjective de
l'individu (reportages, abattage, etc.). Le
deuxième trait lui peut s'apparenter aux réactions
face à l'événement inattendu comme le
dégoût ou l'empathie. Ces réactions
entraînent des questionnements sur le fait de consommer
de la viande et conduisent à cette « réaction
immédiate », c'est-à-dire dans notre cas à la
conversion.
Ainsi, les justifications apportées par les individus
interrogés sont décrites par un élément
majeur et entraîne une réaction immédiate. La
figure 2.2 ci-dessous permet d'en rendre compte.
50 Traïni, C. (2010). Des sentiments aux
émotions (et vice-versa) (Vol. 60, No. 2, pp. 335-358). Presses de
Sciences Po (PFNSP).
51 Ibid, p. 343.
35
animale)
Figure 2. 2 - Type de conversion par Raison principale
Conversion et raison
l'éthique
(exploitation
le dégoût
l'environnement
la santé
autre
Ensemble
ma conversion a
été du
"jour au lendemain"
477
46
32
32
18
605
ma conversion a
été
lente
369
25
34
32
9
469
Ensemble
846
71
66
64
27
1074
L'élément majeur désigné par les
interviewés correspondant à l'éthique rejoint donc le
troisième trait : « conduit celui qui y est
confronté à jauger et juger la manière dont l'ordre
présent du monde semble s'écarter des valeurs
auxquelles il adhère ». La réaction immédiate
entraîne donc une conversion du « jour au lendemain
». Les modalités « ma conversion a été
du « jour au lendemain » » et « ma conversion
a été lente » sont sensiblement les mêmes pour
les variables autre que l'éthique. Cette dernière
étant alors majoritairement représentée par une
conversion « rapide » à 56,4%.
Les justifications avancées par les personnes
interviewées sont personnelles et font
généralement suite à ce qui peut être
désigné comme des « dispositifs de sensibilisations ».
Ces
dispositifs font références à un ensemble de
supports généralement médiatiques
d'éléments
dont le but est de susciter l'engagement ou le soutien dans une
cause spécifique à travers des
réactions affectives (Traïni, 2010). Cela rejoint le
cadre virtuel d'une entrée dans une carrière
qui sera traité dans la partie 2.3., c'est-à-dire
que des dispositifs de sensibilisations sont très
présents sur les réseaux sociaux. Voici un extrait
qui permet de rendre compte de ce
phénomène :
« Pouvez-vous me parler de votre parcours dans le
végétarisme ? Pour quelles
raisons vous avez arrêté la viande et le
poisson ? »
« Euh... je suis devenu végétarien y'a quatre
ans ou peut-être cinq je sais plus trop.
Au début j'ai juste arrêté de manger de la
viande... la viande rouge en premier :
steaks, saucissons, tout ça. Après le poisson c'est
arrivé un peu plus tard. Vous
voulez savoir pourquoi, c'est ça ? »
« Oui, voilà. Dans quels contextes ça
s'est passé ? »
« Bah à la base moi je m'ennuyais sur Facebook, je
traînais sur Facebook et je
regardais les nouvelles. On était un peu avant
Pâques j'crois. En fait je joue à des
jeux sur Facebook et j'ai besoin d'avoir des amis pour qu'ils
m'aident à déloquer
des trucs, donc je demande un peu tout le monde en ami sans les
connaître
forcément... C'est juste pour le jeu. Donc je vois tout ce
qu'ils publient et là je vois
une vidéo qu'a partagé quelqu'un que je connais pas
en disant que c'était dur à
regarder. Bon bah moi je regarde quand même (rires). Mais
bon j'aurais pas dû
parce que c'était vraiment dégueulasse. On voyait
des vaches pâtes en l'air en train
de se faire couper la gorge à coup de grand couteau, le
sang giclé de partout...
beurk. On voyait aussi comment elles étaient
traitées, comment elles vivaient, ce
genre de choses. Je m'en rappelle, j'ai éteint mon ordi et
j'suis parti bêcher. ».
« Vous en aviez déjà vu des
vidéos comme ça ? Sur Facebook ou autre part ? »
« Non jamais. Mais j'sais pas après ça... fin
quelques jours plus tard j'ai été sur
36
YouTube et j'ai regardé plusieurs vidéos comme
ça. Finalement j'suis tombé sur le film
Earthlings52, il m'a convaincu d'arrêter. »
(Marc).
Les exemples sont nombreux et sont caractéristiques des
dispositifs. Ils correspondent à des vidéos ou des films,
à des spots mais aussi à des images53. Il se
dégage des individus interrogés un effet d'autosensibilisation
à la suite du visionnage d'un de ces dispositifs. C'est-à-dire
que lorsqu'un individu est témoin d'actes de cruautés ou de mises
à mort d'un animal (que cela soit ou non dans le cadre normé des
abattoirs), l'individu en question peut être amené - par
lui-même - à visionner d'autres vidéos. Il se produit une
certaine responsabilisation en ce qui concerne la consommation de viande et
l'individu peut même culpabiliser en ce qui concerne ses actes d'achats
et de consommation de produits carnés.
Pour rendre compte du point de vue même des
informateurs, ils élaborent un cheminement rationnel en décrivant
leur choc moral comme le facteur explicatif déterminant de leur
engagement. Traïni écrit dans son étude des militants de la
cause animale que « là encore le récit invite à
ériger le traumatisme subi durant l'enfance en facteur explicatif d'un
engagement militant ». Cependant, dans le cadre des entretiens, l'enfance
n'est pas la période où la raison subjective est présente.
La raison, résultant du choc moral, se situe principalement ici dans les
débuts de la vie adulte. Toutefois, deux acteurs interrogés
identifient leur conversion suite à un contexte particulier durant
l'enfance. Néanmoins leur exemple reste assez minoritaire puisqu'ils
racontent pour l'un avoir visité un abattoir l'âge de 12 ans et
pour l'autre cela s'explique par un manque d'argent54. A cela, les
entretiens permettent également de souligner la légitimation des
raisons :
« Quand je vois tous les effets néfastes pour la
santé et la planète, je me dis que c'est pas plus mal si tout le
monde arrêtait de manger de la viande. La consommation de viande a un
effet important sur la destruction de l'environnement, des espèces, de
la sous-nutrition dans les pays pauvres, donc voilà ça montre
bien les conséquences, surtout avec la télé et Internet on
échappe pas aux informations. Et puis finalement avoir une consommation
végétalienne c'est pas cher : plus de produit laitier, plus
d'oeuf, de viande et de poisson. Ça permet de diversifier sa nourriture
et de faire du fait-maison : c'est encore plus économique, c'est
diversifié et gratifiant » (Eléonore).
En ce sens, l'élément explicatif de la
conversion se trouve consolidé de deux manières : (1) la raison
devient rationalisée : à travers l'introspection des individus au
moment des
52 Film documentaire américain sorti en 2005
traitant de l'exploitation animale (en suivant la chronologie : animaux
domestiques, nourriture, habillement, divertissement et science).
53 Le recours aux dispositifs de sensibilisation
constitue un point notable dans la construction du processus de conversion. Ils
sont également et principalement un moyen pour les entrepreneurs de
morale végétariens, végétaliens et végans
d'influencer les individus omnivores. Par exemple, le 25 octobre 2015 à
Amiens (dans le cadre de la première Vegan Place
organisée par l'association L214), les défenseurs de la
cause animale proposaient aux passants des gâteaux et des hots dog
végétaliens contre la diffusion d'une vidéo montrant les
conditions d'élevages des porcs, des canards et des poules. Lors de
cette journée de sensibilisation, 213 individus ont participé au
visionnage de cette vidéo.
Il faut également préciser que dans le cadre du
visionnage de la « première vidéo » des individus
interrogés, les dispositifs ne proviennent pas toujours des
entrepreneurs de morale. En effet, ce genre de vidéos est facilement
accessible pour les internautes et peut donc être vu par tout individu
susceptible de « tomber dessus ».
54 Les raisons économiques dans la pratique
des végétarismes sont quasiment inexistantes : sur les 27
informateurs qui ont répondu à la modalité « autre
» dans le cadre du questionnaire, seules deux personnes ont répondu
comme raison l'intérêt économique, la deuxième
personne étant Eléonore.
37
entretiens, ils considèrent comme « normal »
d'être végétarien, végétalien ou végan
pour la raison qu'ils en donnent. (2) La pratique des
végétarismes est également appuyée par
l'incorporation d'autres raisons, ce qui rejoint le processus de
légitimation. De manière rationnelle de la part des informateurs,
ces deux points viennent justifier à la fois leur inscription et leur
engagement dans l'une des carrières du végétarisme. Pour
illustrer synthétiquement ce fait avec l'exemple d'Eléonore, sa
raison, d'ordre économique, devient logique car en effet le
véganisme la consolide dans cette pratique puisqu'il lui permet de faire
des économies. Par conséquent, la deuxième manière
correspond aux différentes raisons qui viennent supporter la raison
principale, ici, la santé et l'environnement. Ces raisons viennent donc
appuyer son engagement dans la carrière végane, quant à la
raison économique, elle justifie son adhésion à cette
carrière. Cela montre que la raison initiale perdure dans le temps et
reste la plus importante lorsque d'autres raisons viennent s'ajouter. Ces
éléments subjectifs sont donc légitimés car ils
vont dans le sens que les individus donnent à leur pratique.
La partie suivante traite du concept de carrière en
soulignant comment l'individu peut s'inscrire dans cette dernière.
2.3. Carrière et sociabilités
virtuelles
L'entrée dans une carrière se focalise ici
principalement sur la base de sociabilités virtuelles en raison des
réponses apportées à travers le questionnaire. Il s'est
avéré être judicieux de s'intéresser au recours
à Internet car les personnes interrogées n'avaient pas
forcément de connaissances végétariennes,
végétaliennes ou véganes dans leurs cercles privés
avant, pendant ou après la conversion.
Nous entendons par sociabilités virtuelles des espaces
électroniques permettant aux internautes d'interagir, de communiquer
entre eux autour d'un thème commun et de sous-thèmes
considérés comme ayant un lien avec la pratique alimentaire ou le
véganisme.
Sur les réseaux sociaux
Sur internet (articles, forums, etc.)
Associations Vos amis Autres
987
1000
800
636
600
400
277 254
200
84
0
1200
38
Figure 2. 3 - Supports de recherches
L'entrée dans une carrière du
végétarisme, du végétalisme ou du véganisme
peut s'inscrire dans une démarche qui pourrait être
qualifiée de « virtuelle ». Le recours aux réseaux
sociaux, aux forums et plus globalement à Internet est très
répandue. Cette carrière virtuelle est toutefois temporaire.
Utilisée notamment par les plus récents convertis,
l'entrée dans un groupe virtuel d'individus partageant une pratique
commune leurs permet d'accéder aux informations recherchées
(nouveaux produits alimentaires, interdits alimentaires, comportement à
adopter face à la famille et à la société de
manière générale, etc.). Au-delà des raisons
propres aux individus, l'accès aux informations disponibles sur Internet
constitue un élément clé dans la conversion. En raison de
pratiques alimentaires peu répandues et d'une très faible part -
voire nulle - d'individus excluant la consommation de produits d'origine
animale dans les cercles privés de ces personnes interrogées, le
recours à Internet et aux réseaux sociaux caractérise une
étape importante tant dans la conversion que dans le maintien des
individus dans leur inscription à un ethos des
végétarismes. Pour permettre de rendre compte de cette
particularité, voir figure 2.3 ci-dessus.
Ainsi, le nombre de réponses émanant du
questionnaire est principalement centré sur le côté «
virtuel ». La question « Lorsque vous avez besoin d'informations sur
votre pratique alimentaire, où effectuez-vous vos recherches ? »
étant à choix multiples, sur 1 082 répondants, 91,2% et
58,8% ont respectivement répondu « sur internet (articles, forums,
etc.) » et « sur les réseaux sociaux ». Le recours
à la sphère familiale, amicale et associative reste ainsi
largement en deçà. Les entretiens supportent également ces
types de sources, celui d'un des végans interrogés peut en
témoigner :
« Je suis végan depuis maintenant cinq ans. J'ai
commencé à me poser des questions sur la réelle
utilité de manger des animaux alors que je n'avais que 20 ans [...] De
20 à 22 ans j'étais devenu végétarien et même
si j'ai décidé de le devenir du jour au lendemain, ça a
été très difficile en sachant que je n'avais aucun ami
végétarien, ni même dans ma famille. C'est pour cela
ça été dur de vivre mon nouveau régime
39
car à vrai dire personne me soutenait dans ma
démarche. Du coup je me suis beaucoup appuyé sur Facebook, c'est
là où ils sont présents. Quand on a besoin d'informations
on y fait un tour et si on a des questions précises on les pose. Les
forums m'ont aidé au niveau de l'alimentation alors que les groupes
Facebook m'ont aidé à développer mes connaissances sur le
sujet et aussi à savoir comment réagir face aux critiques de la
famille et des amis... En fait, j'étais complétement perdu quand
j'ai arrêté de manger du cadavre » (Christophe).
Les résultats des questionnaires et des observations
rejoignent les dires de Christophe. Cependant, nous pouvons supposer que
l'utilisation des réseaux sociaux et des forums diffèrent
à mesure où un individu mobilise les connaissances
nécessaires au nouveau mode d'alimentation. Le contexte virtuel peut
être appréhendé en deux parties, ce qui permet par la
même occasion de « retracer » partiellement l'évolution
d'un individu dans une de ces
pratiques. Ainsi, comme cela vient d'être
précisé :
? Une sociabilité virtuelle comme entrée dans une
carrière végétarienne, végétalienne ou
végane. Carrière sollicitée à cause
d'un manque d'information et de connaissance familiale et amicale
exerçant une des pratiques du végétarisme
? Après l'acquisition des connaissances nécessaires
à une pratique alimentaire ou au véganisme, l'aspect virtuel
devient complémentaire
Cette complémentarité peut être facilement
identifiée quant à l'analyse des conversations des populations
concernées sur les réseaux sociaux. Ces individus ne
possèdent plus le même « statut » que dans leurs
débuts. Alors que la durée du végétarisme, du
végétalisme ou du véganisme marque une certaine
légitimation, les pratiquants « confirmés » aident les
nouveaux adeptes d'une consommation sans produit carné. Végan
depuis maintenant 5 ans, le cas de
Christophe illustre cette distinction entre l'entrée et
la complémentarité virtuelle. Représentant pour lui plus
une source de débats et d'entraides qu'un lieu d'apprentissage des
connaissances en lien avec sa pratique alimentaire, il participe
dorénavant à alimenter les discussions. Ainsi, lui et les plus
anciens convertis sont présents dans la conversion des individus ; ils
les conseillent et les accompagnent. La spécificité de ce
prosélytisme sera traitée dans la partie 2.5.
2.4. Des carrières différentes : du
végétarisme au véganisme
Les représentations que les végétariens
peuvent avoir d'autres pratiques alimentaires mettent en évidence un
manque de connaissances. L'absence de connaissances supplémentaires pour
adhérer à une nouvelle carrière peut être facteur de
nouveaux aprioris pour les végétariens. L'exemple de
Éléonore peut l'illustrer. Quand il était demandé
aux végétariens interviewés de répondre à la
question « Comment décririez-vous le végétalisme et
le véganisme ? », les réponses apportées tendent
à une même finalité. Ainsi, les termes « extrême
» et « restrictif » sont les plus couramment utilisés par
les trois végétariens interrogés pour définir les
deux autres modes de consommation. Ici le manque de connaissances concerne plus
les substituts possibles et non les connaissances des interdits (alimentaires,
cosmétiques, peaux, fourrures, zoos,
40
cirques, etc.). Seulement, un des végétariens
n'en avait pas connaissances. Par conséquent, le manque de connaissances
et de recherches personnelles influe sur la représentation des pratiques
alimentaires.
En partant de ce résultat, une nouvelle
hypothèse peut être formulée : en fonction des
connaissances acquises pouvant les amener à l'une de ces trois
pratiques, les individus sont plus ou moins disposés à se
convertir notamment en raison de l'incorporation des idées, des
représentations et des visions de la pratique et des facteurs
explicatifs propres aux individus (santé, environnement, protection
animale, antispécisme, etc.), mais également en raison de la
constitution de compétences et d'appétences, autrement dit de
dispositions, à un certain type de consommation. En d'autres termes : si
je suis dans l'optique d'adopter un régime
végétalien, que j'en ai les connaissances et les
informations nécessaires et que je tends à partager une
vision commune de cette pratique avec d'autres individus en particulier en
matière de goûts et de dégoûts, alors toutes les
conditions sont réunies pour que je puisse le devenir.
Un élément semble important dans la conversion
au végétalisme ou au véganisme pour celles et ceux
n'étant pas passés directement par une carrière
végétarienne. La période précédente une
conversion directement au végétalisme ou au véganisme
s'accompagne de relations avec des végétaliens et des
végans que les végétariens n'ont pu avoir. Ainsi, six
individus55 étant devenu directement végétalien
ou végan le seraient devenus grâce à leurs propres
sphères relationnelles. Par conséquent, amis, connaissances et
famille pourraient potentiellement constituer un ensemble d'agents dont leurs
influences joueraient dans l'inscription dans une carrière. Ces six
individus ont ainsi souligné avoir une ouverture d'esprit plus
importante en raison des pratiques alimentaires de leurs cercles privés,
devenant alors plus « perméables » aux arguments de ces
derniers.
2.5. Végétariens,
végétaliens et végans : entrepreneurs de morale ?
A travers ces différentes parties, nous avons pu
constater que l'influence semble être un facteur important dans la
décision d'une conversion à l'une des trois pratiques
d'alimentations et de modes de vie. Par conséquent, si les
expériences des végétariens, des végétaliens
et des végans constituent un support dans la conversion et dans
l'entrée d'une carrière des végétarismes,
peuvent-ils représenter des entrepreneurs de morale ?
C'est-à-dire avoir pour but de faire adopter une nouvelle norme.
« L'influence emprunte des ressorts différents.
C'est ce que le sens commun reconnaît quand il associe par synonymie
influence et manipulation. Influencer quelqu'un, ce n'est pas le
contraindre par la représentation ou l'ostentation de la force qu'on est
en mesure de mobiliser contre lui pour qu'il « amène le pavillon
» ; c'est conduire « en douce » l'influencé à voir
les choses du même oeil que l'influenceur. On peut donc considérer
l'influence
55 En raison de l'inexistence d'individu
n'étant pas « passé » par le végétarisme
dans le cadre des entretiens, ce fait a pu être observé lors des
nombreuses interactions au cours de différentes manifestions sur Paris
et Amiens, de 2014 à 2016.
41
comme une forme très spécifique de pouvoir, dont la
ressource principale est la persuasion »56.
Comme il a pu être précisé, les
connaissances acquises permettant de vivre dans les meilleures conditions
à la fois pour entamer une conversion et y rester peuvent
représenter un facteur important dans une carrière. De plus, la
durée de la pratique peut être également source de
légitimité aux yeux d'un végétarien, d'un
végétalien, d'un végan ou d'un omnivore souhaitant adopter
un nouveau régime alimentaire sans produit carné. La
participation des végétariens, des végétaliens et
des végan dans les débats, les discussions ou les questions ne
peut donc être sans conséquences. En mettant en avant leurs
connaissances, des articles, des images, des vidéos ou des reportages,
ils dirigent les autres individus vers leurs points de vue, leurs
représentations, leurs visions sur les pratiques alimentaires, les
questions environnementales, les questions en lien avec les animaux, etc.
Néanmoins, des convergences peuvent apparaître
notamment chez les végans. En ce sens, certains discours peuvent
être perçus comme trop « extrêmes » chez certains
végétariens ou autres puisque dans ces discours, la pratique du
végétalisme et surtout du végétarisme fait souvent
face aux attaques des végans, étant taxé de pratiques
« incomplètes ». Les arguments misent en avant concernent
l'exploitation des animaux. Ainsi, un végétarien continuerait de
participer à l'exploitation animale en consommant des produits laitiers,
du miel et des oeufs alors qu'un végétalien continuerait cette
exploitation à travers les loisirs et l'achat de cuire, laine, etc.
Cependant cela ne doit pas être perçu comme un aspect
réducteur de ces pratiquants puisque ce n'est pas représentatif
de cette population. Il ne s'agit ici que de souligner l'existence de
discordances chez une même population dans la manière d'informer
les végétariens ou les individus souhaitant arrêter la
viande.
Pour finir, certaines personnalités publiques jouissent
d'une certaine médiatisation et d'une légitimité
auprès du public végétarien, végétalien et
végan, mais aussi d'un public n'étant pas converti à l'une
de ces pratiques. Apportant leurs contributions dans la cause animale, dans
l'éthique ou bien dans l'environnement, voici une liste non-exhaustive
de ces personnalités : le duo Paul Watson et Pamela Anderson, le
journaliste Aymeric Caron, le célèbre moine bouddhiste Matthieu
Ricard, le philosophe Peter Singer et l'activiste Gary Yourofsky. De plus,
l'apport de diverses associations depuis le XIXe siècle quant
à la cruauté envers les animaux de rente57, les
animaux domestiqués et de compagnie ainsi que les espèces
sauvages et leurs milieux naturels n'est pas en vain en ce qui concerne les
représentations des hommes envers les animaux et leurs traitements.
L'ensemble de ces acteurs participe alors en tant
qu'entrepreneurs de morale envers les individus omnivores. Les entrepreneurs de
morale peuvent alors être défini de trois façons :
? Les végétariens, les végétaliens et
les végans participant à la conversion des omnivores
56 Boudon, R., & Bourricaud, F. (1982).
Dictionnaire critique de la sociologie. Presses universitaires de
France, p. 318.
57 Cf. La création de la
Société protectrice des animaux (SPA) en 1845 et loi Grammont de
1850 qui sanctionne les mauvais traitements commis en public sur les animaux
domestiques.
42
? Les végétariens, les végétaliens et
les végans participant à la conversion interne
(végétarisme à végétalisme -
végétalisme à véganisme)
? Les associations et les personnes publiques pouvant
influencer un individu dans sa conversion (même si elles ne constituent
pas à elles seules l'unique moyen de conversion)
2.6. Conclusion
Les sociabilités virtuelles constituent un point
important dans l'inscription des individus dans une carrière du
végétarisme et de ses déclinaisons. Les dispositifs de
sensibilisation ainsi que la présence de végétariens,
végétaliens et végans confirmés sur les
réseaux sociaux et sur les forums (en qualité de
prosélytes) permettent aux débutants et aux non-initiés
d'accéder à la fois aux connaissances indispensables au maintien
et à l'engagement dans ces pratiques. Pouvant être amené
à consommer de la viande notamment dans les débuts de la
conversion au sein d'une société où la consommation de
viande est la norme, les individus peuvent être aidés par les plus
confirmés. Ces personnes « confirmées » agissent
cependant plus en qualité de prosélytes en renforçant
également l'engagement des individus dans une carrière.
L'entrepreneur de moral lui peut être entrevu par les carrières
militantes de la cause animale.
Le processus d'entrée, de l'engagement et du maintien
dans une des carrières du végétarisme est du même
ordre, que cela soit à travers les réseaux virtuels ou les
sociabilités du militantisme, donc dans l'espace public. L'étude
des militants de la cause animale par Traïni permet de rendre compte de
ces similitudes : « Confrontés aux multiples tentations et
difficultés qui découlent du refus de la viande dans une
société qui la valorise, les protecteurs des animaux trouvent
auprès de vegans confirmés des prescripteurs, incitateurs ou
accompagnateurs en mesure de leur apprendre comment persister et progresser
dans la carrière. Discours experts relevant de la
diététique, recettes de cuisine visant à refaçonner
les goûts et les habitudes, mais encore trucs et ficelles visant à
tenir bon dans la durée constituent autant d'apprentissages qui
impliquent une rationalisation croissante du travail permettant le maintien de
l'engagement »58.
La rationalisation des raisons subjectives permet
également de solidifier l'engagement dans la carrière. En ce
sens, l'individu en question peut rationnaliser la raison de sa conversion en y
intégrant d'autres raisons en amont de l'engagement et viennent le
conforter dans sa nouvelle pratique. A la suite d'un choc moral participant
à la conversion, l'individu finit par justifier son engagement en
élargissant les raisons. C'est surtout le cas des individus par raisons
éthiques où les motivations de santé, d'environnement,
etc. viennent s'ajouter à la « palette » de leurs raisons lors
des entretiens. Alan Beardsworth et Teresa Keil sont amenés au
même résultat quant à l'étude de 76
végétariens et végans: « For the majority of
respondents the pattern was similar : a principal motive could be identified
and the subsidiary motives could be cited, motives which usually complemented
of reinforces the dominant one59». La redéfinition du
goût et du dégoût, du mangeable et du non-mangeable est la
principale résultante de la conversion. Si le dégoût de
plus en plus prononcé pour la viande illustre un type spécifique
d'aliments devenant « immangeables », les frontières du
goût et du plaisir gustatif sont
58 Traïni, C. (2012). Entre dégoût
et indignation morale. Revue française de science
politique, 62(4), p. 564.
59 Beardsworth, A., & Keil, T. (1992). The
vegetarian option: varieties, conversions, motives and careers. The
Sociological Review, 40(2), p. 272.
43
reconstruites. La conversion s'accompagne alors d'une
redéfinition de ces frontières pour y intégrer un nouveau
goût pour les végétaux. Les individus « apprennent
» à aimer certains végétaux auparavant inconnus et de
manière différente des aliments qui faisaient déjà
partie de leur alimentation, parfois en les identifiant à des raisons
positives (alimentation naturelle, meilleure pour la santé, plus
écologique...).
Les dispositifs de sensibilisation - qu'ils émanent de
prosélytes ou qu'ils soient disponibles notamment aux internautes -
jouent un rôle notable dans le processus de conversion. Rôle qui
pourrait essentiellement se définir comme « déclencheur
» car les dispositifs peuvent activer des sensibilités
préexistantes. Les dispositifs de sensibilisation jouent donc un
rôle important dans la conversion puisqu'ils activent des dispositions
qui n'auraient pas été activées dans une autre situation
où l'individu est confronté. Cependant, ces dispositifs ne sont
qu'un « révélateur », sans l'acquisition des
dispositions à travers l'histoire sociale des individus
nécessaires à la conversion au végétarisme et ses
déclinaisons, les dispositifs de sensibilisation ne pourraient
être efficaces.
La conversion est donc un enchaînement, une
évolution de situations vécues par l'individu. L'analyse des
carrières et l'engagement dans une pratique dite déviante doivent
ainsi être analysés grâce à ce que Becker appelle un
« modèle séquentiel ». Ce modèle se
caractérise alors par des phases successives qui intensifient
l'acquisition de dispositions pour mener l'individu dans une pratique
déviante. Certaines des situations sont communes entre les personnes
interviewées et si ce qui se dégage le plus des entretiens peut
être schématisé, les situations60 pourraient
être appréhendées comme ceci :
60 Différents éléments peuvent
être également rattachés à ce schéma :
l'indignation, la culpabilisation, l'intérêt pour la nutrition, le
rejet des médias et de certaines normes sociales établies en lien
avec le traitement que l'homme fait sur les animaux, la remise en question de
soi et du monde qui entoure l'individu, etc.
Dispositions préexistantes
Choc moral
Prise de conscience + Acquisition de connaissances
Sentiment d'être décalé par
rapport à la famille et aux amis
Appréhension des repas collectifs
+ Sociabilités virtuelles
Répulsion soudaine de la viande
Arrêt total ou partiel de la viande
Mal être, culpabilité
Conversion
44
Tableau 1 - Modèle séquentiel de la
carrière
A travers l'analyse du processus d'entrée dans une des
carrières du végétarisme et de ses déclinaisons, un
point peut être entrevu. Parce que ce point n'a pas été
traité dans le cadre de cette recherche, c'est via une nouvelle
hypothèse que nous pouvons discuter en conclusion des individus qui
n'adhèreraient pas à l'une de ces carrières à la
suite d'un choc moral. Comme nous avons pu l'observer dans cette partie,
lorsqu'un individu est témoin d'un système de sensibilisation, le
choc moral induit une réflexion, une prise de conscience dans la
manière dont « l'ordre présent du monde semble
s'écarter des valeurs auxquelles il adhère ».
Néanmoins, nous pouvons émettre l'hypothèse selon laquelle
lorsqu'un choc moral ne conduit pas un individu à l'inscrire dans une
des carrières étudiées, sa réflexion à la
suite de ce choc est différente de l'individu qui lui se converti
à une pratique végétarienne. Par conséquent,
puisque les dispositions sont différentes, le choc moral aurait comme
conséquence de repenser de manière différente la
consommation de l'individu. En ce sens, cela pourrait expliquer en partie
l'articulation entre une baisse de la consommation de viande et de ses
dérivées, le choix d'une viande labélisée «
bio » et/ou d'une consommation de viande locale, soit des circuits courts
auprès de producteurs locaux.
Enfin, cela demanderait une analyse plus approfondie mais
l'entrée dans une carrière peut amener les
végétariens et les végétaliens à entamer une
seconde conversion vers le végétalisme ou le véganisme.
Perçu comme un point de départ voire un tremplin vers des
pratiques alimentaires considérées comme plus complètes,
le végétarisme peut constituer pour les végétaliens
et les végans un moyen de transition. Nous supposons donc que ces
conversions internes sont liées à l'incorporation des
schèmes, des connaissances nécessaires, etc. tout comme cela est
le cas lorsqu'un individu consommant des produits carnés vient à
les supprimer.
45
Chapitre 3 - Rupture avec la socialisation
antérieure
Avant de débuter, l'annexe 3 présente les
caractéristiques des individus interrogés dans le cadre de cette
recherche et seront également traités plus spécifiquement.
Pour rappel, les entretiens étant anonymes, tous les prénoms ont
été changés.
La socialisation antérieure fait
référence à la socialisation primaire et secondaire qui se
situent avant la conversion des individus. En termes de cycles de vie, la
socialisation primaire correspond à l'enfance alors que la socialisation
secondaire elle, correspond à la vie adulte. Durant ces périodes,
l'individu incorpore des façons de faire, de penser et d'être qui
sont situées socialement (Darmon, 2006). A travers le processus de
socialisation, l'incorporation de normes, de valeurs, de rôles et de
statuts influe sur le « conditionnement » des individus,
valorisé par les instances de socialisation : la famille,
l'école, les groupes de pairs, les médias, le milieu
professionnel, les associations, la religion... Comme a pu montrer Bourdieu, ce
processus est vecteur de dispositions, d'homogamie et de reproduction sociale.
C'est donc à partir de cela que nous nous différencions avec
l'hypothèse selon laquelle les individus sont en rupture avec ces
instances socialisatrices. Pour démontrer cela, nous recourons à
l'enquête par questionnaire et aux entretiens. L'articulation de ces deux
méthodes permet de soutenir les résultats
dégagés.
3.1. Entre normes alimentaires parentales, origines
sociales et éducation
Tout d'abord, les entretiens permettent de rendre compte des
représentations que les individus ont de leur pratique alimentaire
actuelle et celle durant l'enfance (tableau 2). On remarque alors que sur le
plan de ces représentations les végétarismes sont
considérés comme plus naturelles et variées.
Représentation de l'alimentation
Représentation des pratiques
durant l'enfance actuelles
Végétariens
Basique Naturelle
Beaucoup de viandes blanches Plus écologique
Carnivore Beaucoup de variétés
Céline Laura Marc
Végétalien
|
Mauvaise alimentation (en terme Naturelle
gustative)
|
Julien
|
|
Végans
Christophe
|
Beaucoup de viandes rouges Alimentation sans cruauté
|
|
Faible consommation de produits carnés et de mauvaise
qualité
|
Meilleure pour la santé, plus économique
|
Eléonore
|
|
|
|
|
Carnivore Seule alimentation valable
pourl'espèce humaine
|
Héloïse
|
|
|
|
|
Sophie
|
|
Très bonne et très saine Variétés
bien meilleures
|
46
Tableau 2 - Trajectoires alimentaires en ruptures
L'approche quantitative permet de rendre compte de la scission
constatée entre d'une part les individus interrogées et d'autre
part les parents du panel. Ainsi, un très grand nombre d'individus ont
indiqué être en rupture avec les normes alimentaires parentales.
Cela souligne donc que les parents de ces individus ne partagent pas la
même pratique que leur enfant. Par conséquent, le panel se
constitue de végétariens, de végétaliens et de
végans d'adoption. Cela démontre également que les
déterminants sociaux tels que la catégorie socioprofessionnelle
(PCS) des parents ne peuvent à eux seuls permettre d'identifier un
profil type et homogène des populations des végétarismes.
De surcroît, ces ruptures interviennent ce quel que soit l'origine
sociale des individus. La figure 3.1 ci-dessous permettent de rendre compte de
ce « détachement » :
PCS et
|
Père
|
Mère
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
normes
|
en
|
en rupture
|
Ensemble
|
en
|
en rupture
|
Ensemble
|
alimentaires
|
continuité
|
|
|
continuité
|
|
|
agriculteur
|
2
|
12
|
14
|
1
|
7
|
8
|
ACCE
|
20
|
111
|
131
|
6
40
|
48
305
|
54
345
|
CPIS
ouvrier
|
31
8
|
206
91
|
237
99
|
17
4
|
144
39
|
161
43
|
P.I
retraité
|
10
23
|
78
209
|
88
232
|
22
14
|
106
151
|
128
165
|
employé
APSAP
|
17
7
|
194
31
|
211
38
|
13
|
130
|
143
|
Ensemble
|
118
|
932
|
1050
|
117
|
903
|
1050
|
Figure 3. 1 - PCS des parents par Normes alimentaires
étudiant et
Nota bene : ACCE = Artisan, commerçant et chef
d'entreprise (+10 salariés). CPIS = Cadre et profession intellectuelle
supérieure. P.I = Profession intermédiaires. APSAP = Autre
personne sans activité professionnelle.
47
Les parents occupent principalement les PCS « cadre et
profession intellectuelle supérieure », « employé
» et « retraité ». Ainsi, quel que soit les origines
sociales des individus, les normes alimentaires durant leur enfance ainsi que
leur pratique actuelle sont différentes. Par rapport aux pères et
selon ces trois principales PCS, ils considèrent être en rupture
à 86,9%, 91,9% et 90,1%. Quant aux mères, les résultats
sont sensiblement les mêmes : 89,4%, 88,4% et 91,5%. Néanmoins,
face au nombre important de parents retraités, il n'est pas possible de
savoir quel métier ils pouvaient exercer auparavant.
Il est d'autant plus vrai que les individus soient en rupture
avec les normes alimentaires parentales lorsque nous nous intéressons
à leurs anciennes habitudes alimentaires durant l'enfance, voir figure
3.2.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
OEufs et
|
Consommation
|
Viandes
|
Poissons
|
produits
|
laitiers
faible
199 (18,4%)
373 (34,5%)
60 (5,6%)
321 (29,7%)
693 (64,1%)
7 (0,7%)
1081
Figure 3. 2 - Consommation de produits carnés et de
sous-produits durant l'enfance
moyenne
434 (40,1%)
491 (45,4%)
importante
417 (38,6%)
152 (14,1%)
inexistante
31 (
2,9%)
65 (6%)
Ensemble
1081
1081
En dehors des sous-produits d'origine animale (oeufs et produits
laitiers), la
consommation de chair animale était plus importante pour
la viande à raison de 38,6% du panel
pour une consommation « importante » et 40,1% pour une
fréquence « moyenne ». Quant au
poisson, la consommation était plus faible (34,5%), soit
près de deux fois plus que la viande.
La consommation d'oeufs et de produits laitiers était plus
importante que celle de la viande et
du poisson puisque le taux s'élève à plus de
64%. La présence de ces sous-produits dans
l'alimentation des individus lors de l'enfance était ainsi
très prépondérante, notamment lorsque
l'on constate les faibles parts d'une consommation faible ou
inexistante.
Les individus interrogés étant jeunes,
l'échantillon est surreprésenté par des
étudiants.
L'analyse se retrouve donc limitée puisque nous ne pouvons
connaitre quelle sera la PCS
occupée par ces derniers à la suite de leurs
études. Nous pouvons toutefois nous reposer sur le
plus haut niveau de diplôme obtenu par ces jeunes pour les
situer socialement61. Ainsi, parmi
les 486 individus ayant répondu « étudiant et
autre personne sans activité professionnelle », 159
possèdent un diplôme de second ou troisième
cycle universitaire. L'analyse des PCS doit donc
faire preuve de précautions, c'est-à-dire que
l'échantillon ne peut être ici représentatif des
populations végétariennes,
végétaliennes et véganes dans un plus grand ensemble.
Toutefois,
les données de la figure 3.3 soulignent un niveau scolaire
assez élevé où 85,7% de l'échantillon
possède au minimum un baccalauréat et 39,4% un
diplôme de second ou troisième cycle
universitaire ou de grande école.
61 Les moins de 18 ans sont 40, les 18-24 ans sont
300, les 25-34 ans sont 116, les 35-49 ans sont 18 et les 50 ans et plus sont
5.
48
Fréquences
DESS, doctorat) ou diplômes de grande
école.
Figure 3. 3 - Diplôme
Niveau de diplôme le plus
haut
%
Fréquences
cumulées
%
cumulés
diplômes de second ou troisième cycle
universitaire (licence, maîtrise, master,
DEA,
426
39,4
426
39,4
Baccalauréat général, technologique
ou
professionnel
294
27,2
720
66,6
diplômes de niveau Bac plus 2 (DUT, BTS,
DEUG, écoles des formations sanitaires ou
sociales,...)
206
19,1
926
85,7
sans diplôme ou Brevet des collèges
79
7,3
1005
93
CAP ou BEP
76
7
1081
100
Si nous considérons les étudiants dans un niveau
social favorable par rapport à l'obtention
d'un diplôme de second ou troisième cycle
universitaire, nous constatons sur l'ensemble des
répondants un niveau social élevé (figure
3.4). Sans cette tranche de la population, le résultat
est plus mitigé si nous regroupons sociologiquement les
individus par le capital économique et
le capital social. Nous nommons « pcs+ » et «
pcs- » pour distinguer le niveau social des
individus. Ainsi, nous avons choisi d'intégrer dans la
catégorie pcs+ les cadres, les professions
intellectuelles supérieures et les professions
intermédiaires, soit 261 individus. A contrario, la
catégorie pcs- est constituée des agriculteurs,
des artisans, des commerçants, des chefs
d'entreprise, des employés et des ouvriers, soit 299
individus. Cependant, bien qu'il y ait une
certaine logique du niveau social occupé par rapport au
diplôme obtenu, la PCS « employé »
est source d'hétérogénéité
puisque parmi les 240 employés (dont 86,6% de femmes), 202
individus ont au minimum un baccalauréat et, 60
possèdent un diplôme de second ou troisième
cycle universitaire.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
PCS
agriculteur
|
Fréquences
4
|
%
0,4
|
artisan, commerçant et chef
d'entreprise (+ 10 salariés)
|
42
|
4
|
cadre et profession
|
|
|
intellectuelle supérieure
|
171
|
16,1
|
profession intermédiaire
|
90
|
|
employé
|
240
|
|
ouvrier
retraité
|
13
|
|
étudiant et autre personne
sans activité professionnelle
Figure 3. 4 - PCS
8,5
22,7
1,2
13
1,2
486
45,9
Ensemble
1059
100
Même si les étudiants finissent par occuper le
même niveau social que leurs parents en
raison du diplôme obtenu, la figure ci-dessous permet de
constater une immobilité sociale chez
49
les actifs occupés (les individus ayant un emploi)
entre les individus et leur père (les étudiants et les personnes
sans activité professionnelle ne sont donc pas pris en compte) :
PCS individu et
PCS père
agriculteur
ACCE
CPIS
P.I
employé
ouvrier
Ensemble
agriculteur
0
0
0
3
ACCE
1
10
9
2
5
2
29
136
61
151
8
388
Nota bene : ACCE = Artisan, commerçant et chef
d'entreprise (+10 salariés). CPIS = Cadre et profession
intellectuelle supérieure. P.I = Profession
intermédiaire.
Aide lecture : sur 151 employés (lecture en ligne), 22 ont
un père ouvrier (lecture en colonne).
0
2
1
Figure 3. 5 - PCS individu par PCS du père
CPIS
0
23
51
20
25
17
P.I
2
8
15
22
9
5
employé
7
25
32
9
56
22
ouvrier
0
3
1
0
2
2
Ensemble
10
69
110
54
97
48
Pour chaque PCS des pères, les enfants ont tendance
à suivre le même parcours, c'est ce
qui est représenté par la diagonale grise : les
pères cadres ont tendance à avoir des enfants
cadres, idem pour les pères professions
intermédiaires et les pères employés. Une certaine
mobilité intergénérationnelle ascendante
chez les enfants d'employés et de professions
intermédiaires existe cependant. Par exemple, sur 54
enfants de pères occupant une profession
intermédiaire, 20 d'entre eux sont cadres, sur 97 enfants
de pères employés, 25 sont également
cadres.
L'éducation parentale constitue un autre
élément de l'enfance des individus qui permet
de rendre compte de la scission sur le plan des normes et des
valeurs entre ces derniers et leurs
parents. Ainsi, plus de 60% des informateurs considèrent
être en rupture avec leur éducation.
Education
parentale
|
Fréquences
|
%
|
en rupture
|
670
|
62
|
en continuité
|
411
|
38
|
Ensemble
|
1081
|
100
|
Figure 3. 6 - Education parentale
Nous pouvons proposer à ce stade un idéal-type
de l'échantillon : le végétarien, le
végétalien ou le végan est une jeune étudiante
âgée de 18 à 24 ans ou une jeune femme (annexe 4) active
qui possède un diplôme de second ou troisième cycle
universitaire. Elle est majoritairement étudiante ou employée,
plus faiblement, elle peut occuper une profession intermédiaire ou bien
un poste de cadre et de profession intellectuelle supérieure, ses
parents occupent ces mêmes positions sociales (père cadre et
mère employée). Dans l'axe de cette étude, elle est en
rupture à la fois avec l'éducation parentale et les normes
alimentaires parentales.
50
3.2. Une pratique nouvelle critiquée
Cette première analyse de rupture avec les instances de
socialisation se caractérise notamment par une population
végétarienne, végétalienne et végane jeune
et intrinsèquement par une population de jeunes étudiants et
d'actifs - 77,5% de l'échantillon a moins de 35 ans - (annexe 5) Cette
particularité soulève un point que nombre d'individus ont en
commun : leur conversion intervient au sein du domicile parental (voir annexe
6). En ce sens, nous aurions pu avancer l'idée que cette forme
prépondérante de conversion participe à accentuer le
sentiment de rupture tant dans les normes alimentaires parentales que dans
leurs réactions vis-à-vis du choix de leur enfant. Cependant, la
figure 3.7 permet de contrecarrer cette observation.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Réaction
|
|
|
Fréquences
|
|
famille
|
Fréquences
|
%
|
cumulées
|
|
139
12,9
549
50,8
Figure 3. 7 - Réaction de la famille
%
très bien
139
12,9
plutôt bien
688
63,6
très mal
43
4
731
67,6
plutôt mal
292
27
1023
94,6
sans avis
58
5,4
1081
100
Les réponses peuvent être regroupées en deux
parties : une réaction positive (« très bien »
et « plutôt bien ») et une autre négative
(« très mal » et « plutôt mal »). Ainsi,
l'aspect positif
concentre plus de la moitié des 1 081 réponses
(63,6% contre 31% pour l'aspect négatif).
D'autres catégories de réponses font état
d'un caractère pouvant être défini « d'extrême
» et de
« modéré », à savoir «
très bien » et « très mal » pour l'un et «
plutôt bien » et « plutôt mal »
pour l'autre. En partant de ce constat, la réaction
modérée des parents est la plus significative.
Cependant, au niveau des entretiens ce discours est tout autre
puisqu'ils avaient pour objet
d'interroger des individus chez lesquels le sentiment de rupture
constitue un point essentiel de
leur conversion. Ainsi, les huit personnes interviewées
présentent des caractéristiques
communes en termes de rupture. En tant que
complémentarité, les entretiens permettent de
rendre compte du degré des réactions en fonction du
comportement extrême au sein de la sphère
familiale.
Selon les personnes interviewées, le processus de
conversion étant effectué au sein même
du domicile parental, les réactions suite à une
conversion peuvent être plus imposantes alors
que les principaux concernés prennent leurs repas avec
leurs parents et consomment ce qu'ils
peuvent acheter. Ainsi, ces réactions peuvent être
à degrés différents lorsque les individus
entament une conversion en dehors du domicile familial ; elles
peuvent être modérées en raison
du plus faible nombre de repas familiaux ou bien plus
conséquentes notamment en ce qui
concerne les enfants des personnes interrogées. Cependant,
l'analyse des entretiens montre que
ce n'est pas tant les pratiquants qui subissent directement ces
réactions mais bien la pratique en
elle-même. Les individus ne représenteraient que le
prisme par lequel la sphère familiale aurait
un point de vue négatif sur les pratiques alimentaires.
51
Au-delà des réactions de la famille ou de
l'entourage des individus, l'état d'esprit qui suit la conversion montre
la difficile acceptation de ces derniers à la nouvelle pratique,
provoquant différents états.
400
600
500
300
200
100
0
494
419
259
157
106 104 101 84
51
Figure 3. 8 - Etat d'esprit à la suite de la conversion
La question « Au début de votre conversion, quel
était votre état d'esprit ? » étant à choix
multiples, le type de réponse montre un état d'esprit
majoritairement négatif. Ainsi, 45,7% de l'échantillon ont
répondu « vous vous sentiez seule-e », 38,7% « vous vous
sentiez mal jugée » et 23,9% ont répondu être
discriminés, alors que les aspects positifs (être compris, soutenu
et accompagné) ne vont que de 9,3% à 9,8% du panel.
3.2.1. Conversion, parents et famille
L'adoption de l'une des deux pratiques alimentaires ou du
véganisme peut alors être source de conflits dans le cercle
familial.
Ainsi, l'un des premiers effets de la réception de la
famille d'une conversion concerne des critiques négatives faîtes
sur la nouvelle pratique. Par conséquent, chez les personnes
interrogées, le mépris est une qualification très
présente. Ces réactions familiales émanent à la
fois de la non-adhésion aux pratiques alimentaires et d'un manque de
connaissance de ces dernières. Le manque de connaissance sur ces
pratiques entraîne tout comme les végétariens peuvent avoir
du végétalisme ou du véganisme des préjugés.
C'est pourquoi les parents eux-mêmes sont amenés à
stigmatiser la pratique alimentaire de leur enfant :
52
« Vous avez dit tout à l'heure que vous
étiez devenue végétarienne une fois installée sur
Amiens. Comment vos parents ont réagi quand vous leur avez dit que vous
l'étiez ? »
« Bah mes parents n'ont jamais compris ma
démarche, même à l'heure actuelle. Lorsque je leur ai
annoncé ma volonté de ne plus manger de viande et de poisson, la
maison est devenue un lieu de tensions. Heureusement je mange avec eux que les
weekends quand je rentre... quand on se met à table c'est toujours la
même galère pour moi, c'est engueulade sur engueulade, ils ne
comprennent absolument rien, ne veulent pas m'écouter. C'est limite si
des fois ma mère a pitié de moi vu qu'elle m'achète des
steaks végétariens mais c'est pas tout le temps vu que je mange
que des féculents et les légumes. Ils pensaient que je serai
carencée et bien bingo! je l'ai été vu que je mangeais pas
assez équilibré au début. Ils ne font aucun effort,
critiquent mon alimentation mais ils m'aident même pas ».
« Ils critiquent votre alimentation, de quelles
manières ?
« Bah... des trucs de carnistes quoi. « Tu dois
manger des protéines », « Tu vas être carencée
», « C'est naturel de manger de la viande » ou « Les
humains ont toujours mangé de la viande ». Pour eux c'est dans
l'ordre des choses. Ils ont un discours bien réchauffé et
normé et n'ont aucun recul sur la question. » (Laura).
S'il est question de conflits relatifs à la pratique
alimentaire des individus, la rupture peut avoir un degré plus
important. Ainsi, la conversion peut représenter pour les individus un
moment difficile à vivre qui peut de surcroît se consolider et
entraîner des ruptures dans les relations parentales et familiales.
Les huit enquêtés ont tous un degré
différent en termes de ruptures avec la sphère familiale, et qui
peut perdurer dans le temps. Chez trois des personnes interrogées la
conversion est facteur d'une rupture relationnelle, c'est-à-dire
qu'elles ne sont plus en contact avec leurs parents depuis plusieurs
années. Un des individus interrogés a indiqué que cela est
intervenu lorsqu'il a appris que ses parents faisaient consommer de la viande
à leur petite-fille :
« Je l'ai dit tout de suite à mes parents quand je
suis devenu végétariens quand j'avais 20 ans. C'est pas
passé du tout surtout que je vivais encore chez eux, heureusement que je
suis vite parti pour mes études. C'est pas passé parce que bien
entendu mon père pratique la chasse donc pour lui c'était
inconcevable, et ma mère était d'accord avec lui. A toujours
ramener ces bêtes tuées moi ça me dégoûtait.
On s'est pas mal pris la tête et j'ai décidé de ne plus
leur parler, on faisait bande à part à la maison. Mon père
était toujours sur ses convictions qu'il faut manger de la viande. J'ai
reparlé avec mes parents quand mon père a fait un AVC [accident
vasculaire cérébral]. Entre temps j'ai eu ma fille X donc j'ai
voulu qu'elle connaisse ses grands-parents. Mais finalement ça
été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase : j'ai
déposé ma fille chez mes parents pour le midi, mais j'avais
oublié mon téléphone donc je suis revenu et là je
vois un steak bien saignant dans son assiette, alors que je leur avais bien dit
que je refusais qu'elle en mange. J'étais fou de rage, je l'ai prise
avec moi et je ne suis plus jamais retourné les voir. Depuis ce temps je
n'ai plus de nouvelle et j'en veux plus... »
« C'était quand ? »
« C'était il y a un an, ma fille avait tout juste
un an. » (Christophe) ;
53
« Comment vos parents ont réagi lorsque
vous leur avez dit que vous ne mangeriez plus de viande ? »
« Mal... vraiment très mal. Ça va
j'étais déjà dans mon chez moi donc c'est bien mais
ça n'a pas empêché les prises de tête. Ils me
voyaient comme une énergumène, une illuminée qui voulait
juste se donner un style. Ils m'ont fait beaucoup de mal avec leurs mots. Je
n'ai jamais pardonné ça. Je suis partie vivre chez mon copain qui
est devenu mon mari et depuis sept ans on se parle plus du tout, et tant mieux.
» (Héloïse).
De manière générale pour les
interviewés les repas familiaux sont considérés comme des
événements sensibles où les discussions peuvent être
centrés sur la critique de leur pratique alimentaire. Bon nombre d'entre
eux craignent - voire évitent - ces repas (occasionnels, anniversaires,
Noël...).
3.2.3. Conversion et amis
Dans l'échantillon, les réactions initiales des
amis lors de la conversion se répartissent plus favorablement que celles
des familles en positives. Quant aux réactions négatives, elles
sont moins importantes dans l'entourage des individus.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Réaction
|
Fréquences
|
%
|
Fréquences
|
|
entourage
|
|
|
cumulées
|
|
très bien
|
106
|
9,8
|
106
|
|
658
60,9
21
1,9
215
19,9
Figure 3. 9 - Réaction de l'entourage
%
9,8
plutôt bien
764
70,7
très mal
785
72,6
plutôt mal
1000
92,5
sans avis
81
7,5
1081
100
Cependant, l'analyse des entretiens montre une toute autre
tendance, à savoir que les
relations se compliquent et peuvent se détériorer.
En plus de la famille, la conversion induit une
certaine distanciation entre l'individu concerné et son
réseau primaire amical. Ainsi, l'analyse
fait ressortir une énumération commune des
conséquences quant à l'adoption d'une
consommation sans viande. Si les individus interrogés ont
une certaine réticence quant à
partager un repas où l'hôte se sentirait
obligé de préparer un mets spécial, il en est de
même
dans les lieux de restaurations. La sphère amicale serait
alors contrainte de choisir un restaurant
proposant un menu en lien avec la pratique alimentaire ou un
restaurant où il serait possible de
supprimer la viande de l'assiette. Par conséquent, la
gêne occasionnée entraîne le sentiment de
ne pas vouloir déranger les convives. L'articulation entre
ces pratiques alimentaires et la
consommation de viande les obligent à se retirer de ces
moments conviviaux :
« Euh... (rire), mes amis se foutaient de moi avec mes
salades et mes graines (rire).
Avant de devenir végétarienne on sortait pas mal
dans les restaurants et les
fastfoods. Quand j'ai arrêté la viande
c'était la fin du monde, surtout que j'étais
étudiante donc la malbouffe c'était le quotidien.
J'ai donc stoppé la viande en juillet,
54
pendant les barbecues... Et c'est là que j'ai connu ma
première et plus grosse gêne en ramenant ma propre nourriture :
saucisses végétales et steaks de soja. En plus je voulais les
faire cuire en premier pour éviter le contact avec la graisse animale
sur les grilles donc mes amis se sont donnés à coeur joie,
c'était méchant de leur part. Je me souviens aussi des
kébabs de fin de soirée quand on était bien
éméchés, ils voulaient me faire manger de la viande... Par
contre là où on s'est entendus c'était pour les
restaurants asiatiques vu qu'il y a beaucoup de bouffe sans viande, et aussi
certaines pizzas. J'ai fini par ne plus sortir manger avec eux quand je suis
passée végétalienne, le fromage et les oeufs
c'était le dernier lien qui nous unissait (rire) »
(Héloïse).
En dehors du fait de partager des repas avec la sphère
amicale, les différents entretiens soulignent deux autres
réactions s'articulant autour des critiques. Premièrement, la
détérioration des liens amicaux intervient donc lorsque la
nouvelle pratique alimentaire est critiquée. Il devient alors
désagréable pour l'individu d'être perçu par le
prisme de son alimentation. Même si l'individu peut être sujet aux
railleries et que les remarques de ses amis peuvent être de nature
à la plaisanterie, ce phénomène s'intensifie notamment
quand il est combiné avec les réactions familiales. Cet ensemble
participe à la détérioration des liens et au sentiment
antipathique, notamment sur le long terme où les ruptures «
totales62 » se multiplient. Seconde réaction, si ces
ruptures totales n'interviennent pas dans l'immédiat, les individus
interrogés expliquent cela par une déception de plus en plus
accrue et intermédiaire entre les réactions et les ruptures.
L'argument énoncé par les interviewés quant à leur
déception tient au fait qu'ils font face aux préjugés de
leurs amis. La pratique alimentaire en question étant sujet aux
critiques de toute part - famille, amis et société -, six des
huit individus ont indiqué être lassés de ces objections.
Ce second cas de réaction peut également souligner une
déception plus personnelle. Les ruptures relationnelles et les
réfutations des liens initiées par les individus concernés
ou bien les amis s'expliqueraient par le non-partage de ces derniers quant aux
idéaux et aux représentations nouvellement acquises de l'individu
en question à la suite de sa conversion.
Pour terminer, en entraînant des ruptures, la conversion
favorise aussi une restructuration de la sphère amicale63.
Alors que l'ensemble des populations excluant la consommation de viande soit
très minoritaire en France, le recours aux liens de sociabilités
permet à la fois de rencontrer de potentiels futurs amis et d'entretenir
des relations déjà existantes. Les réseaux
62 A savoir les ruptures des liens entre l'individu
et ses amis. Tout comme la famille des personnes concernées, les
relations amicales peuvent finir par se détériorer et
entraîner des « pertes ». Les interviewés ont pu
expliquer que la conversion était un révélateur des «
vrais » et des « faux » amis, à savoir ceux qui ont
accepté la pratique alimentaire et qui entretiennent toujours les
mêmes liens amicaux et ceux qui ont coupé tout lien car n'ayant
pas accepté.
63 J'ai pu m'entretenir avec différents
individus lors des manifestations en faveur d'une alimentation
végétale et/ou de la protection animale. Certains d'entre eux
m'ont indiqué avoir perdu quelques amis mais à un très
faible niveau, voir aucun. Dans ce cas, il ne s'agissait pas d'une
restructuration mais plutôt d'un « ajout » de
végétariens, de végétaliens et de végan dans
leurs sphères amicales. C'est une nuance à prendre en compte dans
l'analyse des ruptures puisque cela ne tend pas à une même
finalité : d'un côté nous avons une restructuration
à la fois par compensation et par volonté de partager les
mêmes idées et représentations, et de l'autre nous avons
des individus n'ayant pas eu de rupture avec leurs sphères amicales et
où la rencontre de personnes partageant ces mêmes idées et
représentations font suite aux différents lieux de
sociabilités (groupes de rencontres, manifestations, amis d'amis,
associations, etc.). Bien entendu, j'ai pu discuter avec des
végétariens et des végétaliens qui ne
possédaient pas au sein de leurs cercles privés des amis issus
des mêmes pratiques alimentaires.
55
sociaux, les groupes virtuels, les manifestations et le
bénévolat d'associations végétariennes,
végétaliennes, végan et/ou de défense des droits
des animaux forment ainsi un ensemble d'intermédiaires à la
recomposition des relations amicales.
Par conséquent, dans les débuts de la
conversion, les individus tentent d'articuler leurs nouvelles façons de
consommer et leurs fréquentations amicales pour maintenir les liens
relationnels. Néanmoins, la pression qui peut être exercée
sur les individus quant à leurs pratiques alimentaires de la part du
cercle privé peut induire une distanciation. Par la suite, les individus
peuvent être amenés à se retirer progressivement de ces
cercles lorsqu'il y a une certaine incompatibilité. Le cas
d'Héloïse est un bon exemple lorsqu'elle précise que les
oeufs et les produits laitiers constituaient le dernier lien entre elle et ses
amis (les restrictions alimentaires étant plus importantes). La
distanciation tend alors à la formation de nouveaux groupes amicaux qui
partagent donc des idées et des représentations sensiblement
identiques.
Cependant, la conversion occasionne d'autres ruptures qui sont
présentées dans la partie suivante. L'analyse de ces
dernières tend à s'articuler autour d'un triptyque, à
savoir l'aspect social, politique et religieux.
3.3. Ruptures et conséquences
Bien que la conversion puisse être source de conflits
avec les cercles privés, elle entraîne sur d'autres plans des
ruptures. Ainsi, cette partie a pour but d'en souligner ses composantes : sur
le plan social, politique et religieux mais aussi sur les visions du monde.
L'enquête par questionnaire est utilisée notamment pour
étudier les convictions politiques et les croyances religieuses.
3.3.1. Cercle familial
Différents aspects peuvent poser problème
lorsqu'un individu possède une façon de vivre en marge de la
société : les rencontres, la mise en couple, le mariage, les
enfants, etc. Ces aspects de la vie personnelle se retrouvent
conditionnés par l'adoption du végétarisme et de ses
déclinaisons. Dans un premier temps, voici ci-dessous deux figures
présentant la situation des personnes interrogées.
|
|
|
|
|
|
Situation
|
Fréquences
|
%
|
en union libre
|
423
|
39,1
|
célibataire
|
381
|
35,2
|
marié(e)
|
123
|
11,4
|
pacsé(e)
|
79
|
|
autre
|
49
|
|
26
1081
Figure 3. 10 - Situation
56
pratique
non
|
Fréquences
416
|
58,4
|
oui
|
296
|
41,6
|
Ensemble
|
712
|
100
|
|
|
|
%
Figure 3. 11 - Conjoint(e) et pratique alimentaire commune
Tout d'abord, il faut rappeler que le panel est très
jeune. En effet, 46% de l'effectif a moins de 24 ans, et est composé
principalement d'étudiants, ce qui peut expliquer le nombre important de
célibataires. Toutefois, près de 40% de l'échantillon a
répondu être en union libre. La deuxième figure
représente le nombre d'individu ayant un(e) conjoint(e)
végétarien, végétalien ou végan. Ainsi, elle
souligne un taux de réponse plus important pour la modalité
« non ». Nous pouvons supposer à la fois que la
modalité « non » est directement liée à la
faible part d'individus ne consommant pas de viande dans la
société française et au fait que la conversion soit
intervenue après la mise en couple. Il pourrait en être de
même quant à la première supposition par rapport au fait
que l'individu n'ait pas de conjoint(e).
L'approche qualitative permet de rendre compte des
mécanismes de la vie personnelle à travers les
végétarismes. Tout d'abord, sur les huit personnes, trois sont en
couple avec des conjoints omnivores, trois autres le sont avec des personnes
partageant l'une des pratiques du végétarisme, les deux autres
sont célibataires. A l'exception de Laura et de Julien, l'ensemble des
personnes interrogées ont souligné le souhait d'avoir des
partenaires ne consommant pas de produit carné, notamment lorsqu'il
s'agit de relations durables. Le tableau ci-dessous présente la
situation des individus au moment des entretiens.
57
Laura
|
22 ans, célibataire. Les pratiques
du végétarisme ne sont pas un prérequis
|
Julien
|
27 ans, en couple depuis 4 ans. Les pratiques
du végétarisme ne sont pas un prérequis
|
Héloïse
|
32 ans, mariée depuis un an à un omnivore,
2 enfants
|
Céline
|
24 ans, en couple depuis 2 ans avec
un végétarien
|
Christophe
|
27 ans, en couple depuis 2 ans avec une végane, 1
enfant
|
Marc
|
37 ans, marié depuis 10 ans à une omnivore,
2 enfants
|
Sophie
|
28 ans, pacsée depuis 2 ans à un
végétalien, enceinte de son premier enfant
|
Eléonore
|
25 ans, célibataire
|
Tableau 3 - Situation des personnes interviewées
Si sur les huit individus, six désirent être avec
un(e) conjoint(e) ne consommant pas d'animaux, cela s'explique selon eux par le
fait qu'ils ne peuvent entrevoir leur vie amoureuse avec une personne qui ne
partagerait pas les mêmes pratiques alimentaires et les mêmes
idées principalement sur les questions d'éthiques. En ce sens, la
conversion aux pratiques du végétarisme participe à une
recomposition des volontés de la vie personnelle. Seuls Laura et Julien
ne souhaitent pas particulièrement avoir de relations avec des individus
de mêmes pratiques :
« Si je ne veux pas forcément sortir avec une
végétarienne, une végétalienne ou même une
végane, c'est parce que je pense qu'on doit accepter tout type de
personnes. Les végétariennes et tout ne courent pas les rues,
c'est donc essentiel pour moi d'être en accord avec les convictions de
l'autre. Si elle mange de la viande ça ne me pose pas de
problème. Moi je ne veux pas en manger donc je le fais pas, mais par
contre je la forcerai pas. Ça ne sert à rien de la forcer, on
arrive à rien comme ça, ça doit venir d'elle-même.
Ça fait 4 ans que je suis avec X, tout se passe bien même si je
refuse de cuire sa viande ou son poisson. Du coup elle mange ce
58
que je lui prépare et elle rajoute sa viande. Mais
forcément ça déteint car elle a maintenant conscience des
conditions de vie des animaux et du fait que ça ne soit pas naturel.
Grâce à nos discussions elle en mange moins (sourire) ».
Extrait d'un entretien réalisé avec Julien.
Bien que Laura n'ait toujours pas eu de relation durable
depuis sa conversion, elle sait déjà qu'elle ne forcera pas son
futur compagnon. La partie en gras correspond à la prise de parole de
l'interviewer.
« Comment s'articule votre vie de couple et le
végétarisme ? »
« Je suis célibataire et vu que je suis
végétarienne depuis 2 ans je n'ai pas encore eu d'histoire
sérieuse. »
« Et si... hypothétiquement, la personne
avec qui vous êtes en couple mange de la viande, comment
réagiriez-vous ? »
« Ça ne me pose pas de problème. J'ai une
amie végétalienne qui sort avec un omni [omnivore], elle mangeait
de la viande avant leur rencontre. J'ai aussi une autre amie
végétarienne qui est sortie avec un mec qui mangeait aussi de la
viande. Par contre elle, elle l'était quand ils se sont
rencontrés. Du coup moi je sais que j'accepterais qu'il en mange. J'ai
pas à intervenir dans sa façon de consommer, c'est mon corps, ma
bouche, j'ingère ce que je veux tout comme les autres font ce qu'ils
veulent. Je ne cautionne plus la viande mais ça m'empêche pas de
continuer de voir mes amis et de sortir avec des mecs. En plus de ça
c'est pas encore courant des mecs qui mangent plus de viande. Par contre
là où j'ai de l'appréhension c'est pour mes futurs
enfants, ça risque de chauffer entre lui et moi ».
Les enfants sont un autre aspect de la vie personnelle qui est
influencé par le végétarisme, le végétalisme
ou le véganisme. Si la recomposition des volontés de la vie
personnelle n'est pas unanimement valable pour le choix du conjoint, elle en
touche d'autres comme il est souligné dans le cas de Laura. Les
entretiens mettent en avant trois tendances :
1. Les enfants ont la même pratique que les parents
interviewés
2. Le ou les parents acceptent que leur enfant mange de la
viande au sein du domicile et à l'extérieur et le laissera
choisir quand il sera en mesure de le faire
3. Les enfants ont la même pratique que les parents
interviewés au sein du domicile familial et sont autorisés
à consommer de la viande en dehors
Par souci de « préservation », les enfants
végétariens, végétaliens ou végans de
naissances sont considérés comme des êtres purs à
travers les entretiens, Laurence Ossipow le constate également dans
La cuisine du corps et de l'âme : Approche ethnologiques du
végétarisme, du crudivorisme et de la macrobiotique en Suisse
: « En tant qu'êtres à l'aube de leur
développement et parce qu'ils n'ont jamais été «
carnivores » comme leurs parents, les enfants sont
considérés comme porteurs d'une pureté corporelle presque
absolue qu'il faut « préserver » le plus longtemps possible.
» (Ossipow, 1997, p. 288). Cette préservation demande toutefois une
présence peut-être plus importante des parents dans la
transmission des normes alimentaires que chez les parents consommant des
produits carnés. Cependant, si ces individus sont devenus
végétariens, végétaliens ou végans et sont
en rupture avec les normes alimentaires de leurs propres parents, rien ne
prédispose l'ensemble des végétariens de
59
naissance à poursuivre cette même pratique selon
leurs futures expériences. Cela peut dépendre du poids des
parents dans la transmission. Claude Fischler l'illustre à travers
l'apport de la psychologie dans son livre L'Homnivore : « Mais si
l'on en croit les conclusions des psychologues, la transmission des structures
culturelles de l'alimentation ne s'opère pas de manière
explicite. Ce n'est pas l'enseignement direct des parents aux enfants qui la
réalise, mais l'expérience répétée
des enfants, expérience elle-même induite par le fait que les
structures sont consciemment ou inconsciemment appliquées par les
parents », [Birch (1988), cité par Fischler, 1990, pp. 98-99]. Sur
la base des entretiens néanmoins, l'omniprésence des parents dans
l'alimentation de leurs enfants est importante. Ils veillent à assurer
la meilleure alimentation possible en évitant le plus possible les
produits considérés comme néfastes (produits
raffinés et « calories vides64 », sucreries, gras,
produits carnés...). C'est au travers des socialisations
extérieures liées notamment à l'école que
l'éducation alimentaire prend toute son importance.
Le cas du premier fils d'Héloïse est un bon exemple
puisque c'est en dehors du cadre familial qu'il s'est rendu compte - selon le
témoignage de l'informatrice - de la différence entre lui et ses
camarades de classe en matière d'alimentation. Les nombreux
déplacements professionnels d'Héloïse l'ont obligé
à inscrire son fils à la cantine scolaire lors de sa
dernière scolarisation en maternelle. En ce sens, ce sont les
interactions avec les écoliers qui provoquent l'aspect explicite,
l'institution scolaire étant également un facteur. C'est à
partir de là que la transmission des structures alimentaires prend effet
puisque Héloïse a du - dit elle - répondre aux questions que
pouvait se poser son fils. L'enseignement à l'école de l' «
utilité » des animaux de rente (viande, lait, cuir, laine,
plume...) et la visite d'un zoo (bien qu'Héloïse n'était pas
d'accord) ont également été des facteurs
déclencheurs pour que sa mère soit amenée à
argumenter de la bienveillance et de la moralité d'une consommation
non-carnée sur l'environnement et le respect des animaux.
Le deuxième point lui s'apparente plus à un
souci de « précaution ». Les parents concernés ne
veulent pas prendre de risque en leur interdisant de manger de la viande, du
poisson ainsi que des produits laitiers. Puisque les parents sont devenus
végétariens, végétaliens ou végans dans les
débuts de la vie adulte, trois arguments viennent appuyer le choix de
laisser l'enfant consommer des produits carnés. Dans un premier temps,
il s'agit d'une argumentation sur le plan nutritif, les parents pensent que les
enfants devraient consommer ces types de produits alimentaires pour
éviter le risque de maladie, de carence et de problème sur le
long terme. Deuxièmement, les parents pensent qu'ils n'ont pas à
intervenir dans l'alimentation de leurs enfants, préférant qu'ils
se fassent leur propre avis lorsqu'ils seront en âge de comprendre et
donc de choisir. La dernière argumentation concerne la socialisation de
l'enfant, les parents ne souhaitent pas proscrire la consommation de produits
carnés pour que l'enfant ne soit pas considéré comme
« différent » par rapport aux autres.
Le dernier point s'apparente à ce qu'il s'appelle le
flexitarisme65 (ou semi-végétarisme). Cette pratique
consiste à une consommation végétarienne ou
végétalienne généralement à la « maison
», le flexitarien s'autorise à consommer des produits
carnés et des sous-produits lors
64 Les produits alimentaires à «
calories vides » sont le résultat du processus de raffinage qui
supprime des aliments leurs vitamines, leurs minéraux et leurs
fibres.
65 Néologisme anglais flexiarian
apparu en 2003 dans la liste des « mots de l'année » par
la American Dialect Society. La définition tient en quelques
mots : « a vegetarian who occasionally eats meat ». Source :
http://www.americandialect.org/2003_words_of_the_year
60
de diverses occasions (restaurants, repas familiaux, entre
amis ou professionnels, par simple « envie », occasionnellement,
etc.). Il s'agit d'un contexte de socialisation dans le cadre de l'alimentation
des enfants, toujours dans un souci de précaution. En effet, les enfants
ne mangent pas les produits interdits par les parents au sein du domicile
familial mais ils sont autorisés à consommer ces produits
à l'extérieur pour ne pas « entacher » leur
socialisation (cantines et sorties scolaires, fêtes d'anniversaire,
colonies de vacances...).
Pour les parents, ces trois points sont sources de compromis
puisque les conjoint-e-s ne partagent pas toujours les mêmes pratiques.
Il y a une confrontation d'idées sur l'alimentation qui peut mener
à des conflits entre les parents, à partir de la conception
même de l'enfant jusqu'aux bases de l'éducation. Les concessions
faites sont néanmoins relativisées par les parents pratiquant une
des pratiques des végétarismes puisqu'ils leur expliquent ce qui
est « mal ». Par exemple, après la visite du zoo dans le cadre
d'une sortie scolaire, Héloïse (qui est donc végane) a
expliqué à son fils en quoi visiter un zoo pouvait être
« mal » :
« [...] c'était difficile parce qu'en rentrant il
était tout heureux, je lui ai expliqué en lui parlant calmement
que les animaux ne sont pas heureux parce qu'ils sont enfermés, qu'ils
ne sont pas dans leur milieu naturel. Pour ce qui est de la viande je lui dis
sans rentrer dans les détails comment les animaux sont exploités
et que c'est pas naturel : on enlève le bébé vache, le
bébé cochon de sa maman, on leur fait faire des
bébés alors qu'elles n'ont pas envie, on vole le lait, la peau et
tout. ».
Le croissement des entretiens met en évidence l'aspect
d'un enfant « pur » et symbolique. Il serait la «
continuité » du ou des parents puisque la transmission des
structures alimentaires est empreinte de leurs représentations, des
idéaux... L'ensemble des végétarismes constituerait le
meilleur moyen pour changer « l'ordre des choses », notamment en ce
qui concerne l'exploitation, la cruauté, la violence, les
inégalités, le sexisme, le racisme, l'homophobie, etc. Les
bienfaits de l'abstinence de produits carnés seraient également
garantis par l'enfant puisqu'il n'a jamais (ou peu) consommé ces
produits alimentaires. Il serait donc le garant de cette alimentation aux yeux
de la famille, des cercles privés des parents mais également de
la société en défaisant ainsi les inquiétudes et
les critiques de ces derniers :
« Toute la famille ne comprenait pas que ma fille puisse
arrêter la viande. Même si elle n'aime pas beaucoup le poisson elle
en mange quand même de temps en temps, ça les rassure. Ils
trouvaient ça pas naturel mais j'ai supporté ma fille puisque
j'ai arrêté quelque temps après elle. Ma femme aussi elle
était réticente, vu que je savais pas ce que faisait
l'arrêt de viande sur le corps, du coup ce que j'ai fait c'est que je
nous ai emmené faire un test de sang pour vérifier que tout
allait bien, ce qui est le cas. » (Marc, Amiens).
Les parties suivantes concerne l'étude des croyances
religieuses et des convictions politiques des individus mais aussi de leurs
parents.
3.3.2. Politique
Dans le questionnaire était demandé les opinions
politiques des individus interrogés ainsi que celles de leurs parents.
La figure 3.12 présente les résultats. Par conséquent,
nous pouvons
61
poser comme questionnement si ces opinions ont une influence
sur celles de leur enfant et si le végétarisme, le
végétalisme et le véganisme se caractérisent par
une uniformité politique.
Individu
%
Père
%
Mère
142
13,1
220
20,4
202
Figure 3. 12 - Opinion politique des individus et de leurs
parents
Opinion politique
%
Je ne sais pas
18,7
Apolitique
252
23,3
41
3,8
59
5,5
Ecologie
269
24,9
24
2,2
53
4,9
Extrême gauche
145
13,4
55
5,1
40
3,7
Gauche
171
15,8
274
25,3
355
32,8
Centre
43
4
95
8,8
108
10
Droite
41
3,8
275
25,4
212
19,6
Extrême droite
18
1,7
97
9
52
4,8
Ensemble
1081
100
1081
100
1081
100
Pour les personnes interrogées dans cet
échantillon, le parti écologie récolte le plus important
nombre de réponses. Les plus grandes tendances politiques sont au nombre
de trois, l'écologie très largement, suivi de la gauche et de
l'extrême gauche. L'apolitique quant à elle est nettement
au-dessus de ces partis mais légèrement en-dessous de
l'écologie. Nous pouvons avancer l'idée que ces pratiques
alimentaires ont une affinité plus importante avec les idées des
partis de gauche en raison d'une certaine incompatibilité avec les
autres partis où les questions environnementales et les questions sur
les conditions animales sont absentes ou minoritaires.
Quant aux parents, les opinions politiques sont quasiment
identiques mais très différentes de leurs enfants : la gauche et
la droite prédominent largement. Pour les pères, les opinions
sont quasiment identiques aussi (275 pour la droite et 274 pour la gauche)
alors que pour les mères la droite concentre 212 réponses contre
355 pour la gauche. Cependant il faut noter que le taux de « Je ne sais
pas » est très important chez les trois individus et que «
Apolitique » l'est également pour les individus interrogés
(252 réponses).
Le croissement des deux opinions politiques principales des
parents (gauche et droite) ainsi que celles qui sont les plus
représentatives des individus permet de rendre compte des
différences d'opinions politiques :
Opinion
politique père
|
Apolitique
|
Ecologie
|
Extrême
|
Gauche
|
Droite
|
Ensemble
|
et individu
|
|
|
gauche
|
|
|
|
Gauche
|
56
|
63
|
51
|
66
|
6
|
|
Droite
|
63
|
74
|
32
|
42
|
20
|
|
119
137
83
108
Figure 3. 13 - Opinion politique des pères par
Individu
62
Apolitique
Ecologie
gauche
Gauche
Figure 3. 14 - Opinion politique des mères par
Individu
politique mère
et individu
Droite
Ensemble
Gauche
73
92
62
81
8
316
Droite
52
48
22
29
23
174
Ensemble
125
140
84
110
31
490
En termes de ruptures, les opinions politiques illustrent deux
tendances :
1. Les pères et les mères de gauche et de droite
ont des enfants portés vers la gauche, l'extrême gauche,
l'écologie et l'apolitisme.
2. Les ruptures sont plus conséquentes pour les
pères et les mères de droite où sur 231 pères,
seuls 20 enfants sont de droite contre 23 enfants sur 174 mères.
De plus, l'uniformité des opinions politiques des
partis de gauche peut également être analysée en croisant
ces partis ainsi que l'âge et le sexe des individus, figures 3.15,
3.16.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Âge et opinion
|
Apolitique
|
Ecologie
|
Extrême
|
Gauche
|
|
politique
|
|
|
gauche
|
|
|
Moins de 18 ans
|
8
|
8
|
5
|
11
|
|
83
92
57
95
96
59
48
53
14
Figure 3. 15 - Âge par Opinion politique
Ensemble
32
18-24 ans
64
296
25-34 ans
53
303
35-49 ans
31
146
50 ans et plus
14
19
6
10
49
Ensemble
248
268
141
169
826
Bien que les tranches d'âges 18-24 ans et 25-34 ans soient
les plus représentatives,
l'uniformité se constate quel que soit l'âge des
individus. Ainsi, indépendamment de l'âge,
l'ensemble des végétariens possède un lien
avec la politique qui se portent vers l'apolitisme et
les partis de gauche.
Sexe et
opinion
|
Ecologie
|
Apolitique
|
Gauche
|
Extrême
|
Droite
|
Ensemble
|
politique
|
|
|
|
gauche
|
|
|
homme
|
13,9%
|
16,6%
|
14,1%
|
23,9%
|
14,6%
|
16,4%
|
femme
|
86,1%
|
83,4%
|
85,9%
|
76,1%
|
85,4%
|
|
100%
100%
100%
Figure 3. 16 - Sexe par Opinion politique
83,6% 100%
Le croissement en pourcentage des données par sexe et par
opinion politique souligne un point intéressant. Les hommes sont plus
portés vers l'extrême gauche que les femmes. En effet, ils
représentent 23,9% des 142 répondants, contre 13,9% à
16,6% pour les autres orientations politiques. A l'instar d'un
intérêt plus fort des hommes pour l'extrême gauche et quel
que soit
63
le sexe, les opinions politiques prouvent une
uniformité autour de la gauche, de l'extrême-gauche, de
l'écologie et de l'apolitisme.
Alors que l'opinion politique est uniforme chez les
différentes populations interrogées, l'analyse montre une forte
hétérogénéité entre les opinions des parents
et des individus. En ce sens, nous pouvons parler de « rupture ».
Bien que le questionnaire ne possède pas de question type « Avant
votre conversion, quelle était votre opinion politique ? », nous
pouvons affirmer qu'il y ait rupture avec les opinions parentales comme le
montre les différences politiques. A partir de cela, nous affirmons
également que le végétarisme, le végétalisme
et le véganisme s'accompagnent d'un « rééquilibrage
» des opinions politiques post-conversion notamment si elles
étaient plutôt de droite. De plus, l'idée avancée en
début de partie selon laquelle les pratiques alimentaires et le
véganisme ont une affinité plus importante avec les idées
des partis de gauche rejoignent cette affirmation. Par conséquent, la
rupture dans les opinions politiques peut également être
approfondie lorsque la variable « éducation parentale » est
croisée avec les orientations politiques des parents. Ainsi cela donne
la figures 3.17 :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Opinion
|
|
|
|
|
|
|
politique et
éducation
|
|
Père
|
|
|
Mère
|
|
|
en continuité
|
en rupture
|
Ensemble
|
en continuité
|
en rupture
|
|
Je ne sais
|
|
|
|
|
|
|
pas
|
90
|
130
|
220
|
70
|
132
|
|
Apolitique
Ecologie
|
14
14
|
27
10
|
41
24
|
23
30
|
36
23
|
|
Extrême
|
|
|
|
|
|
|
32
23
55
20
20
117
157
274
159
196
Figure 3. 17 - Opinion politique des pères par Education
parentale
parentale
Ensemble
202
59
53
gauche
40
Gauche
355
Centre
36
59
95
42
66
108
Droite
91
184
275
59
153
212
Extrême
droite
17
80
97
8
44
52
Ensemble
411
670
1081
411
670
1081
La figure ci-dessus permet de rendre compte des opinions
politiques des individus qui ne
se considèrent pas en rupture avec l'éducation de
leurs parents. Ainsi, l'écologie et l'extrême
gauche représentent les seules opinions politiques des
parents où les individus se sentent en
continuité avec leur éducation. De plus, la
différence des opinions politiques entre les individus
interrogés et leurs parents est plus importante pour le
parti de droite que celui de gauche. Ainsi,
sur les 275 pères de droite, 66,9% se considèrent
en rupture avec l'éducation de leurs parents
contre 57,3% sur les 274 pères de gauche. Quant aux
mères de droite, le pourcentage
d'individus en rupture est de 72,2% et de 55,2% pour les
mères de gauche.
Nous pouvons proposer les opinions politiques des individus
interrogés qui rejoignent les
tendances au niveau de l'enquête par questionnaire :
Individu
Avant
Après
Père
Mère
Julien
Extrême
gauche
Apolitique
Droite
Gauche
Apolitique
Apolitique
Gauche
Gauche
Marc
Extrême
Ecologie
Droite
Ne sait pas
Droite
Gauche
Centre
Ne sait pas
Apolitique
Tableau 4 - Opinion politique des individus avant et après
conversion, des pères et des mères
Céline
3.3.3. Religion
gauche
Sophie
Ne sait pas
Ecologie
Droite
Christophe
Centre
Ecologie
Droite
Laura
Gauche
Gauche
Extrême
droite
Eléonore
Ne sait pas
Ne sait pas
Apolitique
Héloïse
Droite
Ecologie
Droite
L'analyse des religions des personnes interrogées par
questionnaire mettent en avant de
très fortes inégalités. Tout comme la
politique, nous pouvons nous demander si les opinions se
différencient de celles de leurs parents, et si le
végétarisme, le végétalisme et le véganisme
se
caractérisent par une uniformité des croyances
religieuses.
La figure 3.23 ci-dessous montre que près de 60% de
l'ensemble des végétariens se
déclare sans religion. Le tableau souligne
également un taux de réponses plus important pour
la religion catholique (9,2%) et pour la «
Spiritualité » (21,5%). Ces trois « religions »
décrites
concentrent près de 90% du panel alors que les autres
modalités sont très marginales.
L'ajout de la modalité « Spiritualité »
- n'ayant pas de lien avec la religion - a été
introduite à la suite du travail préliminaire lors
des manifestations. Cette modalité a été à de
nombreuse fois évoquée par ces manifestants. De
plus, l'apport de la sociologue Laurence
Ossipow dans l'étude du
végétarisme66 mettant en avant « un nouvel art de
vivre et de liens
spirituels » justifie ce recours. Pour finir, le taux de
réponses conséquent de cette proposition
permet d'appuyer ce choix.
64
66 L. Ossipow, (1989). Le
végétarisme : vers un autre art de vivre ? Cerf ;
[Montréal] : Fides.
65
Fréquences
%
Figure 3. 18 - Religion
Religion
Fréquences
cumulées
%
cumulés
Pas de religion
624
57,7
624
57,7
Spiritualité
232
21,5
856
79,2
Catholique
99
9,2
955
88,3
Autre religion
50
4,6
1005
93
Bouddhiste
47
4,3
1052
97,3
Protestante
15
1,4
1067
98,7
Juive
7
0,6
1074
99,4
Musulmane
6
0,6
1080
99,9
Orthodoxe
1
0,1
1081
100
Par conséquent, l'analyse des religions se concentre
autour de ces trois réponses, à savoir
« Pas de religion », « Spiritualité »
et « Catholique », les autres étant peu représentatives
de
l'échantillon pour être étudiées. Les
figures 3.19 et 3.20 présentent la répartition des trois
principales réponses selon les variables sexe et PCS des
individus. Elles sont illustrées par des
données en pourcentages pour rendre compte des
différences notables.
Au niveau de la variable « sexe », aucune
donnée ne permet de dégager des tendances
particulières, mis à part le fait que les femmes
soient plus catholiques que les hommes (elles
représentent 88,9% des catholiques) alors que les hommes
eux, ont une légère tendance à ne
pas avoir de religion (17% contre 16% pour la spiritualité
et 11,1% pour la religion catholique).
Plusieurs différences sont notables en ce qui concerne la
religion en fonction des
catégories socioprofessionnelles. Le pourcentage en ligne
de la figure 3.20 (entre parenthèses)
montre que les étudiants et les personnes sans
activité professionnelle n'ont essentiellement pas
de religion comparée aux autres PCS. En dehors des
employés, l'ensemble des PCS déclare une
spiritualité plus importante que les étudiants.
Sexe par
religion
|
Pas de
religion
|
Spiritualité
|
Catholique
|
Ensemble
|
femme
|
83%
|
84%
|
88,9%
|
83,9%
|
homme
|
17%
|
16%
|
11,1%
|
16,1%
|
Ensemble
|
100%
|
100%
|
100%
|
100%
|
Figure 3. 19 - Sexe par Religion
66
PCS par
Religion
Pas de
religion
Spiritualité
Catholique
Ensemble
agriculteur
1 (50%)
1 (50%)
0 (0%)
2
ACCE
24 (66,7%)
10 (27,8%)
2 (5,6%)
36
CPIS
92 (61,7%)
43 (28,9%)
14 (9,4%)
149
77
213
12
9
441
939
Nota bene : ACCE = Artisan, commerçant et chef
d'entreprise (+10 salariés). CPIS = Cadre et profession
intellectuelle supérieure. P.I = Profession
intermédiaire. APSAP = Autre personne sans activité
professionnelle
Figure 3. 20 - PCS par Religion
P.I
47 (61%)
21 (27,3%)
9 (11,7%)
employé
127 (59,6%)
45 (21,1%)
41 (19,2%)
Nous pouvons voir sur la figure ci-dessous que les parents des
individus sont plus
nombreux à avoir une religion, notamment les
mères.
ouvrier
retraité
|
7 (58,3%)
2 (22,2%)
|
4 (33,3%)
3 (33,3%)
|
1 (8,3%)
4 (44,4%)
|
|
étudiant et
|
316 (71,7%)
|
99 (22,4%)
|
26 (5,9%)
|
|
APSAP
Ensemble
|
|
|
|
|
|
616 (65,6%)
|
226 (24,1%)
|
97 (10,3%)
|
|
|
|
|
|
|
Religion
|
|
|
|
|
parents
|
Père
|
%
|
Mère
|
|
Pas de religion
|
563
|
52,1
|
464
|
|
Catholique
|
379
|
35,1
|
451
|
|
Spiritualité
|
39
|
3,6
|
63
|
|
Autre religion
|
31
|
2,9
|
31
|
|
27
2,5
20
1,9
9
0,8
Figure 3. 21 - Religion des parents
%
42,9
41,7
5,8
2,9
Protestante
31
2,9
Musulmane
17
1,6
Juive
14
1,3
Bouddhiste
8
0,7
9
0,8
Orthodoxe
5
0,5
1
0,1
Ensemble
1081
100
1081
100
Les parents sont légèrement moins nombreux
à avoir « Pas de religion » alors que la
religion « Spiritualité » est
sous-représentée par rapport à leurs enfants. Cependant,
la figure
souligne une part très importante de la religion
catholique chez les pères et les mères (35,1% et
41,7%) alors que les individus concernés sont peu à
l'être (seulement 9,2% de l'échantillon).
Cette forte disparité illustre une fois de plus que les
populations végétariennes, végétaliennes
et véganes se démarquent dans les opinions par
rapport à leurs parents, se concentrant autour
de la non-adhésion à une religion ou à une
conviction spirituelle. De plus, les religions
protestante, musulmane, juive et orthodoxe sont
sous-représentées par rapport aux parents où
la part de ces religions est plus importante.
67
3.4. Conclusion
La conversion aux pratiques alimentaires et au
véganisme illustre donc comme il a été
précisé ci-dessus une rupture dans les normes alimentaires
parentales. Ainsi, chez ces individus, la socialisation primaire ne se retrouve
pas prolongée vers la secondaire, faisant alors concurrences. Le
processus d'apprentissage des normes, des valeurs et plus
généralement des statuts et rôles inconsciemment
incorporés par les membres d'une société est
diamétralement opposé à la finalité d'un tel
processus. Nous avons dans notre étude différentes populations
qui se sentent et sont (par rapport aux données quantitatives) en
rupture avec cet ensemble.
Les dispositions qui ont permis la conversion au
végétarisme et ses déclinaisons entraîne une rupture
sur les pratiques alimentaires. Combinée à l'étude
quantitative, l'acquisition de nouvelles dispositions à la suite de la
conversion tend à montrer une homogénéité entre ces
différentes populations, et notamment dans les croyances religieuses et
les convictions politiques. Le degré de « réussite » de
la transmission entre parents et enfants des normes, des valeurs, des attitudes
et des pratiques tient au type d'éducation des parents qui dispense ces
attitudes, ces valeurs, etc. Cependant, dans ce cas d'étude, la
transmission n'est pas pleinement assurée en raison de l'incorporation
de systèmes de représentations et de pratiques liés au
végétarisme et ses déclinaisons.
Ainsi ce chapitre permet d'ouvrir une seconde étude
puisque ces ruptures sont le signe d'une évolution de l'habitus plus
importante.
68
Chapitre 4 - Effets sur les autres pratiques
4.1. Evolution des systèmes de disposition
Le choix d'une conversion aux pratiques
végétariennes, végétaliennes ou véganes
induit chez l'individu une rupture sur les plans politiques, religieux et
sociaux. La rupture par rapport aux instances de socialisation se trouve
également en rupture avec les pratiques. Comme nous l'avons vu, pour
s'inscrire dans une carrière et notamment pour maintenir l'engagement,
les systèmes de dispositions jouent un rôle primordial. Ainsi, les
représentations, les manières de penser, d'agir... changent pour
s'adapter à la nouvelle carrière, elles sont plus
prononcées lorsque l'individu perdure dans cette dernière. C'est
ce qui le conforte dans sa nouvelle position sociale et dans sa nouvelle
identité (la manière dont il se perçoit), cet ensemble lui
permet de ne pas s'écarter de la carrière « déviante
» (en l'occurrence, manger à nouveau des produits carnés).
Ces systèmes sont donc également en rupture avec les dispositions
acquises au cours de l'enfance. Elles ne sont évidemment pas totales,
l'individu ne se reconstruit pas totalement à travers le
végétarisme et ses déclinaisons, des
éléments du passé sont toujours présents.
Bien que ces pratiques puissent tendre vers une
homogénéisation chez les populations étudiées,
elles peuvent être également différentes en fonction de
l'engagement d'un individu dans sa pratique alimentaire. De manière
générale, le végétarisme et ses déclinaisons
tendent vers une homogénéité de par ses pratiques
alimentaires s'articulant autour du refus de l'exploitation et de consommation
de produits carnés. Néanmoins, l'étude de ces populations
montre l'existence d'interstices quant à l'identification des pratiques
de consommations. En effet, les manières de consommer de l'ensemble des
végétariens sont multiples. Par conséquent, n'est
qu'homogène le groupement d'individus issus de toutes origines sociales
dans une pratique alimentaire qui elle-même se décompose de
manière de plus en plus restrictive au niveau des interdits
alimentaires. A ce stade, l'hypothèse selon laquelle le
végétarisme est une pratique homogène est rejetée.
Il en est de même pour les autres populations entre elles : les
végétaliens n'ont pas les mêmes pratiques, idem pour les
végans.
4.2. Des pratiques informelles en tant que modes
alternatives
Dans ce cadre de recherche, nous définissons le terme
« informel » pour toutes les pratiques périphériques
adoptées à la suite d'une conversion et bien après, ayant
alors un certain lien avec une nouvelle alimentation. Ces pratiques informelles
peuvent ici se caractériser par une succession d'adoptions modelant les
modes de vie et s'accordant ainsi entre d'une part une pratique alimentaire et
d'autres parts ce qu'elle peut engendrer comme nouvelles représentations
(environnement, alimentaires...). Nous verrons toutefois qu'elles ne sont pas
spontanées. Pour tenter d'appuyer cette qualification d'informelle, les
définitions accordées par les associations et
sociétés végétariennes et véganes par
exemple (cf. Qu'est-ce que le
69
végétarisme, le végétalisme et le
véganisme ?) ne tiennent en compte uniquement que l'aspect alimentaire
(interdits alimentaires). Par conséquent, aucune définition
n'indique quelles pratiques extérieures peuvent s'accorder avec la
pratique alimentaire adoptée.
Par conséquent, et comme nous avons pu constater, la
conversion est signe de rupture avec les instances de socialisation. Nous
pourrions penser que la conversion peut être aussi signe de rupture avec
les systèmes de disposition, c'est-à-dire l'habitus. Cependant ce
concept peut être entrevu plutôt comme une évolution.
L'habitus peut être définit comme la façon
dont les structures sociales s'incorporent à la fois dans notre
façon de penser, d'agir, de ressentir, de percevoir ou bien de
s'habiller par exemple. Ces structures se modélisent inconsciemment et
durablement par l'incorporation d'influences extérieures (origine
sociale, famille, groupe d'appartenance, école, amis, travail, normes,
expériences, trajectoire sociale, etc.). Cette théorisation de
Bourdieu peut être complétée dans le sujet des pratiques
alimentaires à travers son ouvrage La distinction, critique sociale
du jugement, faisant une étude sociologique des goûts, de
l'esthétique et des styles de vies. Dans cette perspective, les
goûts (dont les goûts alimentaires) sont une construction sociale
et produits par les rapports de domination, par l'éducation, et
influencés par la position sociale occupée par un individu dans
une société. Les habitus sont donc propres à chaque
individu en raison de ses expériences et ses influences personnelles.
Mais si la conversion au végétarisme et ses
déclinaisons entraînent des ruptures sur différents plans,
l'une des premières et plus importantes conséquences concerne la
transformation des pratiques alimentaires. En ce sens, qu'est-ce que
l'adhésion à l'une des carrières du
végétarisme entraîne sur les façons d'acheter, de
cuisiner, etc. ? Puisque que chaque individu possède des dispositions
propres à sa trajectoire de vie, l'incorporation des
représentations de la pratique végétarienne,
végétalienne et végane n'est pas la même, ce qui
induit une différenciation dans les actes de la vie quotidienne. C'est
pourquoi la réalisation des entretiens a été
effectuée au sein même de leur domicile, pour permettre avec leur
accord de mieux comprendre leurs manières d'acheter, de cuisiner...
4.2.1 Les pratiques alimentaires
Dans cette partie, les transformations des pratiques
alimentaires s'intéressent dans le contexte du domicile des personnes
interviewées et non des manières de consommer à
l'extérieur.
Si les individus suppriment de leur alimentation les produits
carnés, voir les sous-produits, la pratique des
végétarismes leur permettent néanmoins de diversifier les
aliments consommés. Ils découvrent et intègrent dans leur
alimentation de nouveaux produits. Dans un sens, ces nouveaux aliments sont un
moyen de compenser les interdits alimentaires et de former des
appétences qui peuvent permettre de retrouver d'anciennes
propriétés textuelles, olfactives ou bien gustatives. Par
exemple, l'achat de simili-carnés comme du tofu fumé, des steaks,
des hachés végétaux, saucisses, chorizos, jambons, et
d'autres produits comme les laits végétaux, yaourts,
crèmes... Ces aliments peuvent donc « recréer » des
goûts oubliés : des substituts notamment aux sous-produits (oeufs,
épaississants, gélifiants, blancs en neige, beurre, lait...) qui
permettent de confectionner des repas, des gâteaux, etc. comme
auparavant.
70
L'autre choix d'alimentation concerne la consommation de
produits biologiques. Sophie effectue ses courses dans un Biocoop ou
dans Un Monde Vegan67, depuis son enfance elle ne
consomme que des fruits et des légumes bios, d'autres
produits viennent compléter ses achats issus de l'agriculture biologique
(simili-carnés, laits végétaux, farines, pommes de terre,
produits esthétiques), elle achète uniquement des
légumineuses « brutes » et non sous forme de conserves
déjà préparées. En dehors du quinoa, elle consomme
des féculents produits de manières industrielles. Il en est de
même pour les autres qui consomment toutes et tous des produits
biologiques plus ou moins fréquemment, mais pas forcément les
mêmes produits :
« Il m'arrive d'acheter des fruits et des légumes
qui ne sont pas bios mais je fais toujours attention d'en acheter surtout pour
les aliments qui sont les plus pollués : les pommes de terre, les
poireaux, les tomates, etc. (...) ça va bientôt être la
période des fraises mais je compte pas en prendre des conventionnelles,
pleines de pesticides et qui viennent de très loin », (Sophie) ;
« En général ce que je mange le plus je
l'achète en bio au Biocoop d'Amiens... donc c'est tomates,
salades, aubergines, courgettes, bananes et pommes. Je profite aussi des
paniers hebdomadaires de l'AMAP, c'est pas très cher. Le reste je vais
à Auchan ou à La Vie Claire68 si je ne trouve pas
» (Héloïse)
Pour Marc et sa famille, lorsque le potager bio n'est pas
assez suffisant pour se nourrir en fruits et en légumes, ils
privilégient les magasins bio, les marchés et petits producteurs.
Ce n'est pas le cas de Céline puisqu'elle fait ses courses dans les
grandes enseignes et achète des produits industriels car les produits
biologiques sont selon elle trop chers69.
Pour théoriser l'adoption de la pratique informelle de
la consommation de produits biologiques, nous pouvons reprendre les concepts
utilisés par Claire Lamine dans « Les
intermittents du bio : pour une sociologie pragmatique des
choix alimentaires émergents ». Dans un premier temps, le
processus d'adoption des produits bios peut être entrevu par une «
extension catégorielle », c'est-à-dire lorsque de nouveaux
produits sont choisis en bio. Secondement, l' « augmentation de
fréquence » lorsqu'un produit est de plus en plus
fréquemment acheté en bio70.
Les populations végétariennes entament une
seconde conversion dans leur trajectoire de vie. Trajectoires également
en ruptures par rapport à la structure alimentaire durant l'enfance, les
figures ci-dessous permettent de rendre compte de l'alimentation biologique et
locale après la conversion au végétarisme, au
végétalisme ou au véganisme, et la fréquence de
consommation :
67 Magasin situé à Paris proposant
des produits végans (alimentation, dessert, simili-carné,
fromages végétaux, sauces, compléments alimentaires,
maquillages, cosmétiques...)
68 Magasin situé à Amiens proposant des
produits alimentaires biologiques, de bien-être et de beauté
également.
69 Elle vit en colocation, étudiante mais ne
bénéficie pas de bourse, elle a à sa charge les
dépenses de nourritures, de loyers, d'assurances et d'essences pour se
rendre tous les jours sur son lieu de stage depuis le début de
l'année.
70 Lamine, C. (2008), p. 98.
71
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Bio et local
|
Fréquences
|
|
oui
|
564
|
|
%
52,2
non
339
31,4
uniquement bio
150
13,9 2,6 100 Figure 4. 1 -
Consommation bio et locale depuis la conversion
uniquement local
Ensemble
Fréquence
de
|
28
1081
|
|
|
|
|
|
Fréquences
|
|
consommation
|
|
|
plusieurs fois
|
693
|
|
%
quelques fois
331
pas du tout
47
Figure 4. 2 - Fréquence de consommation par semaine
64,7
30,9
4,4
Ensemble
1071
100
Ainsi, bien que près d'un tiers de l'échantillon
n'a pas forcément changé cette structure alimentaire, on remarque
que la moitié du panel lui consomme à la fois des produits
biologiques et locaux. L'alimentation uniquement bio est la plus souvent
adoptée puisque 13,9% consomment ainsi contre seulement 2,6% ne
consommant que des produits locaux. Finalement, les modes de consommation
alimentaires de l'ensemble des végétariens sont marqués
par des changements globaux qui eux-mêmes prononcent un peu plus le
sentiment de rupture lorsque l'on constate que près de 65% des
informateurs consomment fréquemment ces types de produits. L'exemple
d'Eléonore permet lui aussi d'appuyer ce fait car le manque d'argent et
donc son souci de faire des économies ne l'empêche pas d'acheter
des produits biologiques71. La question en gras correspond à
la prise de parole de l'interviewer :
« J'aimerais revenir à votre « souci
d'économie ». Est-ce que votre situation financière est un
obstacle au type de produits que vous consommez ? Lorsque nous nous sommes
installés, vous m'avez proposé un café qui portait sur le
paquet le label « AB » [pour Agriculture Biologique]. Ce café
n'est-il pas plus cher qu'un café lambda ? »
« Oui je trouve que c'est très cher (rires)... Il
était bon j'espère ? (rires). Non plus sérieusement, en
fait, le fait de faire attention aux produits que j'achète...
alimentaires ou autres, ça me permet de faire des économies mais
je suis pas si pauvre au point d'acheter que du bas de gamme, j'ai suffisamment
mangé ce genre de bouffe quand j'étais chez mon père. J'en
achète encore mais maintenant je peux me permettre d'acheter des fruits,
des légumes et d'autres aliments bios... surtout que je suis
célibataire, j'ai pas d'enfant et je mange comme un moineau [petit
appétit] donc ça va ».
71 Un élément supplémentaire
et tout aussi décisif permet de comprendre la trajectoire
d'Eléonore dans le bio. Le médecin pour lequel elle travaille
consomme lui-même des produits biologiques. Les discussions qu'ils ont pu
avoir sur ce sujet et l'influence que le point de vue de son employeur a pu
avoir sur Eléonore ne sont donc pas à écarter.
72
La conversion au bio chez les végétariens, les
végétaliens et les végans fait directement suite à
l'apprentissage des effets de l'alimentation sur le « corps » et de
la légitimation de la pratique. La considération d'une
alimentation plus « naturelle », plus « diversifiée
» et sans « cruauté » est la conséquence de
nouvelles représentations de l'alimentation non-carnée qui
viennent elles-mêmes transformer les types de pratiques alimentaires (en
l'occurrence, le bio ici). Mais lorsque des événements viennent
obliger les individus à l'inflexion alors qu'ils sont pleinement
engagés dans leurs pratiques, ils se retrouvent dans une situation
« inconfortable ». Il ne peut s'agir ici de la consommation de
produits carnés et/ou de sous-produits car cela demanderait soit que la
personne accepte d'en consommer ou soit de le faire mais sans le savoir. Il
s'agit plutôt lorsque la personne est réticente et n'a pas d'autre
choix que de faire « autrement » :
« Depuis que je travaille j'ai les moyens de manger bio
le plus possible mais ça fait un an maintenant que je suis au
chômage. Je sais pas trop si je vais trouver du taffe [du travail] tout
de suite donc je fais attention à mes achats. De toute façon avec
ce que je touche après avoir tout payé il me reste pas grand
chose. Ma copine est étudiante donc elle fait des petits boulots de
temps en temps, elle m'aide à payer le loyer aussi avec la bourse [ils
vivent ensemble] donc voilà... »
« Donc tu ne consommes plus de produits
biologiques ? »
« Bah... des fois j'en mange quand même. De temps
en temps ça va être les tomates, après les courgettes vu
que j'en mange pas mal. Mais sinon oui ça me fait chier j'en
achète plus, retour à la case départ comme quand
j'étais chez mes parents et qu'on avait pas beaucoup d'argent.
Maintenant je vais à Auchan ou à Lidl, je
prends en gros et des conserves... des fruits et des légumes pleins de
pesticides. Quand je les prépare je les nettoie bien, je les lave et les
frotte. Ou sinon je retire la peau même si y'a beaucoup de fibres
»
Dans un autre contexte, l'exemple de Julien est similaire
à celui de Laura où la présence d'huile de palme dans
l'alimentation est sa première préoccupation72. Par
conséquent, elle essaie de ne pas consommer les produits qui en
contiendrait. Elle proteste contre les compagnies industrielles qui
participeraient à la dégradation de l'environnement et à
la destruction des habitats naturels des animaux. C'est assez
énervé qu'elle raconte lors de l'entretien :
« Je ne mange pas de viande et de poisson parce que j'ai
pas envie de participer au meurtre d'un être sensible uniquement pour me
faire plaisir pendant cinq minutes, donc c'est impensable pour moi de me faire
plaisir avec un pot de Nutella en engrossant ces industriels qui se
foutent bien de l'environnement, de la question animale et des
conséquences sur les peuples locaux où les palmiers sont
plantés ! ».
Elle critique fortement le greenwashing73
qui est pour elle un moyen des industries agroalimentaires de surfer sur la
vague « verte », en précisant même que certains produits
alimentaires issus de l'agriculture biologique comporteraient de l'huile de
palme sous l'étiquetage « huile végétale ». Dans
la continuité de l'extrait ci-dessus, elle prend également
72 Laura essaie de manger le plus possible bio en
favorisant l'AMAP d'Amiens.
73 Ou « écoblanchiment » en
français. Les industries agroalimentaires joueraient sur l'aspect
environnemental et écologique pour faire vendre leurs produits, cela
serait pour celles et ceux décriant cette pratique uniquement un «
coup marketing ».
73
les exemples de grandes entreprises qui bafoueraient les
Droits de l'homme et qui détruiraient l'environnement :
« Faut que les gens prennent conscience de l'impact
qu'ils ont. Alors je sais, c'est quelque chose de compliqué, mais
au-delà d'être des consommateurs on est des « consomacteurs
» [mot-valise pour désigner « consommateur » et «
acteur »]. Quand tu regardes bien, le logo de McDonalds est vert
alors qu'il était rouge y'a quelques années. Pareil pour le coca,
maintenant ils font des étiquettes vertes à l'effigie de
l'écologisme. Tu as même des lessives qui te vendent du naturel
alors qu'il n'y a rien de naturel dedans. Si ça c'est pas un moyen de se
faire une belle image pour faire vendre ! Et ça me saoule parce que de
l'huile de palme y'en a partout et ça m'arrive encore d'en consommer
quand j'fais pas attention ».
A l'exception de Laura et de Marc, l'entrée dans le
« milieu » des végétarismes est le facteur
déclencheur dans la pratique du bio puisque cette dernière
s'inscrit dans la rupture structurelle des modes d'alimentations74.
En d'autres terme, il s'agit d'un « effet de propagation
»75, à savoir que la légitimation et
l'incorporation d'autres raisons pour soutenir l'engagement dans la
carrière impliquent des représentations de la pratique initiale
(donc le végétarisme, le végétalisme ou le
véganisme) qui viennent favoriser l'adoption d'autres modes de
consommations. C'est notamment le cas de Sophie qui consomme d'une façon
à réduire le plus possible ses déchets76.
4.2.2 Des pratiques informelles comme actions
rationnelles
L'approche wébérienne permet de rendre compte
des mécanismes d'achat, de cuisine, des pratiques informelles, etc. A
travers le végétarisme et ses déclinaisons, les individus
agissent en fonction des valeurs, des représentations, etc. qu'ils
acquièrent pour maintenir leur inscription dans la carrière. Il
s'agit d'actions rationnelles en valeur, c'est-à-dire que les
pratiquants donnent un sens à l'alimentation non-carnée.
A l'opposé, la rationalité en finalité
peut être reliée aux pratiquants qui sont engagés plus
intensément dans les différentes carrières. Nous pouvons
noter les activistes ou les militants de la cause animale qui peuvent
être amenés à adapter un ensemble de moyens
(répertoire d'actions collectives) afin d'atteindre un résultat
précis (antispécisme, abolition des abattoirs, droits et
libération des animaux...). Ou bien pratiquer le
végétarisme dans le but d'une quête spirituelle, pour
obtenir un corps « sain », pour se soigner, etc.
Donner un sens au végétarisme et ses
déclinaisons s'inscrit alors dans une logique propre aux individus dans
les pratiques informelles. La pratique non-carnée permet
d'adhérer à de nouvelles pratiques qui vont avoir un effet
bénéfique sur les végétarismes. C'est pourquoi,
pour les personnes interviewées, le bio et l'alimentation
non-carnée possèdent un lien fort. Les individus donnent donc un
sens aux pratiques qui découlent du végétarisme et de ses
déclinaisons puisqu'ils agissent en fonction de convictions. Reprenons
le cas de Sophie, sous
74 Dans l'étude de Lamine, parmi les douze
individus en rupture dans leur trajectoire vers l'alimentation biologique, cinq
rattachent le déclenchement à la rencontre de
végétariens (p. 86).
75 Lamine, C. op. cit., p. 85.
76 Notre entretien s'est déroulé chez
elle à Paris. Je lui ai demandé à la fin si je vous
pouvais éventuellement visiter sa cuisine pour me rendre compte de ses
manières de consommer, chose qu'elle a acceptée.
74
forme de description, pour rendre compte de cela. Ainsi, agir
en fonction de ses convictions entraîne l'adoption de nouvelles
pratiques. La cuisine de Sophie est l'un des exemples les plus complets. En
effet, elle ne possède aucune poubelle, seul un composteur situé
à côté de son potager fait guise de récipient
à ordures. Elle se dit être dans une démarche «
minimaliste ». De nombreux placards recèlent de produits
biologiques initialement achetés en vrac et compartimentés dans
de grands récipients en verre : épices, herbes aromatiques,
café, thé, sucre, féculents, fruits, légumes, sirop
d'agave, farines, cacao, compléments alimentaires, oléagineux et
légumineuses. Les bocaux en verre occupent une place importante dans la
cuisine, ils sont également présents dans le
réfrigérateur, remplis de divers fruits et légumes
découpés. La cuisine est spacieuse, et pour cause, Sophie n'a pas
de lave-vaisselle, ni même un congélateur. Elle possède
toutefois un déshydrateur77 à tiroirs. Les placards,
l'évier et le plan de travail, le réfrigérateur, le
déshydrateur et une table comportant quatre chaises sont les seuls
« meubles » présents. Deux ustensiles sont posés sur le
plan de travail : un extracteur de jus ainsi qu'un germoir à
graines78. Dans un de ses tiroirs sont rangés une vingtaine
de sacs de courses en tissus de lin. Les petits - dit-elle - servent à y
mettre tout ce qu'elle achète en vrac, les plus gros quant à eux
sont utilisés pour y déposer les plus petits. Dans les autres
tiroirs se trouvent quelques ustensiles de cuisine, du vinaigre blanc, du
bicarbonate et des huiles essentielles. Aucun produits ménagers lambda
s'y trouvent. Sophie a également fréquenté pendant
quelques mois le Biocoop21 avant sa fermeture (le concept était
d'implanter un magasin éphémère), premier magasin
français à proposer des aliments bios, en vrac et sans aucun
emballage.
Cette « présentation » de la cuisine, des
types de produits et de consommations permet de rendre compte de la multitude
de pratiques qui découlent de la rupture alimentaire familiale de
Sophie. Mais quels sens donne-t-elle à tout cela ? L'analyse de sa
trajectoire permet d'y répondre. L'incorporation des nouvelles
représentations du véganisme s'est vue légitimée
par l'intériorisation des conséquences d'une alimentation
carnée sur l'environnement. Par conséquent, l'individu agit en
fonction des convictions induites par le véganisme. La
considération d'une pratique alimentaire plus respectueuse de
l'environnement conduit Sophie à adopter de nouvelles pratiques par
cette rationalité en valeur. Cela revient donc à dire que si pour
Sophie le véganisme est bénéfique pour l'environnement,
les animaux, etc., alors elle agira en fonction de cette représentation
dans la vie quotidienne et des changements de pratiques « surviendront
». Mais si ce genre de pratiques découlent de la conversion aux
végétarismes, elles constituent un facteur supplémentaire
dans l'intensité de la rupture avec le milieu familial (au niveau des
pratiques de la famille, des normes et valeurs, de l'alimentation et de ses
modes d'achats et de consommations...). Cette approche vient directement
limiter le concept bourdieusien de l'habitus, Lamine l'explique parfaitement et
cela vient conclure le lien entre pratiques et systèmes de dispositions
à travers ce passage :
« [...] le concept d'habitus pose un troisième
problème : il oblige à mettre plus souvent l'accent sur la notion
de reproduction et de permanence que sur celle de changement. Pourtant,
l'habitus est un système de dispositions, c'est-à-dire de
prédispositions mais aussi de virtualités qui devraient permettre
certaines formes de
77 Le déshydrateur permet de faire
sécher les fruits et les légumes pour les conserver pendant une
longue durée. Aucune énergie supplémentaire n'est
demandée pour maintenir le séchage. Sophie les entrepose
également dans des bocaux.
78 Récipient où sont
déposées des graines afin de les faire germer et de les consommer
comme telles.
changement même si elles sont limitées. [...]
Dans plusieurs passages de ses ouvrages (1979 : 194 ; 1992 : 110-115), il
expose aussi comment les agents sociaux peuvent prendre leur distance par
rapport à leurs systèmes de dispositions. Pour ce faire, les
agents doivent réaliser un grand travail d'explication de leur
façon de penser et d'agir. [...] Pour Bourdieu (1979 : 85) ce processus
de maîtrise des dispositions semble cependant relativement inconcevable
dans le domaine des goûts alimentaires et des attitudes corporelles qui
sont assimilés à la partie la plus durable et fermée de
l'habitus, chaque expérience nouvelle ayant tendance à être
perçue à travers le filtre d'expériences
antérieures. Or, les pratiques et les énoncés des
informateurs s'imposent comme une force de rupture et de changement
»79.
Ces pratiques sont donc la résultante de nouvelles
appétences que cela soit au niveau des aliments (olfactifs, textuels et
gustatifs) ou de dispositions développées par la
légitimation de la pratique des végétarismes. Finalement,
et par opposition aux écrits ultérieurs de La Distinction
de Bourdieu, les pratiques ne peuvent s'expliquer directement par les
dispositions antérieures à la conversion aux
végétarismes. Dans notre étude, seule cette conversion
permet de faire le lien entre ces pratiques si elles sont perçues par la
rationalité des actions en valeur.
75
79 Lamine, C. op. cit., pp. 28-29.
76
Conclusion
Bilan des résultats
A partir des résultats obtenus via les observations et
les entretiens, l'enquête quantitative a été
élaborée dans le but de présenter dans un plus large
ensemble la structure sociale des populations végétariennes,
végétaliennes et véganes, ainsi que de valider ou non les
résultats. Le choix de cette articulation méthodologique a
été bénéfique également puisque certains
éléments étaient difficilement étudiables. Notons
par exemple la prépondérance dans le questionnaire du recours
à Internet comme condition d'entrée dans une carrière des
végétarismes qui a pu être approfondie lors des entretiens,
et de l'analyse des trajectoires sociales des individus comme justification
à la conversion. L'enquête par questionnaire portait alors sur les
données et les déterminants sociodémographiques, sur la
fréquence de consommation de produits carnés et de sous-produits
durant l'enfance, sur les normes alimentaires et parentales ainsi que sur le
sentiment de rupture ou de continuité selon ces déterminants.
Avec près de 1 100 informateurs, cette recherche permet de
prétendre à une certaine représentativité des
différentes populations végétariennes au sein du
territoire français.
L'analyse des résultats quantitatifs permet d'apporter
la confirmation de la tendance démographique des individus lors de
l'étude préliminaire. Les individus sont essentiellement des
jeunes femmes étudiantes (près de 83% de l'échantillon,
18-34 ans). Ces caractéristiques se retrouvent également chez les
individus interrogés. Hypothétiquement, si nous prenons le statut
étudiant et le haut niveau de diplôme obtenu, cela confère
à cette tendance démographique un niveau de vie favorable. Les
trois principales variables « PCS », « religion » et «
politique » mettent en évidence de fortes discontinuités
entre les individus et leurs parents. Les croyances religieuses et les
convictions politiques sont homogènes entre les populations
végétariennes mais elles sont différentes de celles de
leurs parents.
A partir des entretiens et des réponses du
questionnaire, l'hypothèse de la provenance sociale
hétérogène de l'ensemble des végétariens est
validée. Cela démontre aussi qu'on ne peut étudier
uniquement ces populations à travers des théories et des
variables socio-déterministes, cet axe de recherche réduirait les
pratiques végétariennes simplement à des facteurs sociaux.
Il y a toutefois bien des caractères similaires comme la
prépondérance des femmes, le jeune âge, des convictions
politiques situées dans les partis de gauche, etc., mais ils proviennent
de milieux différents. De plus les points de vue, les valeurs, les
trajectoires, ce qui revient à l'incorporation de dispositions, de
compétences et d'appétences sont primordiaux et doivent
être pris en compte. L'approche scientifique doit être
compréhensible, mêlant l'ethos végétarien, les
facteurs sociaux ainsi que les justifications.
La pratique des végétarismes semble être
un marqueur d'une ascension sociale dans les classes moyennes et
supérieures. Elle semble l'être puisque puisqu'au niveau des
entretiens il persiste une certaine reproduction sociale en ce qui concerne le
niveau de vie (salaire, position sociale...), alors que l'enquête par
questionnaire souligne un niveau de vie favorable au travers des professions et
catégories socioprofessionnelles et du plus haut niveau de diplôme
obtenu.
77
De plus les pratiques informelles font état de
distinctions : ces pratiques sont plus importantes chez Sophie, fille de
médecins ; Marc possède un potager bio ; Eléonore consomme
des produits biologiques malgré son « souci » de faire des
économies alors que Céline consomme rarement ce genre de
produits, préférant acheter des produits alimentaires
industriels. Les pratiques iraient de « soi » pour certains alors
qu'elles seraient le synonyme d'une ascension sociale mais aussi morale pour
d'autres. La pratique des végétarismes peut être alors
reliée à ce marqueur d'autant que les trajectoires de vie sont
influencées par des éléments divers occasionnant des
ruptures : voyages, l'éloignement du domicile parental, père
boucher, etc.
Par conséquent, l'hypothèse d'une rupture plus
« profonde » est validée puisqu'en dehors d'une rupture dans
les transmissions des structures alimentaires, les individus le sont
également sur d'autre plans. Cependant elle ne vient pas supporter la
première hypothèse qui était d'affirmer que des pratiques
homogènes découleraient des végétarismes. Ces
pratiques tendent, comme nous venons de le voir, à une distinction
à la fois économique, sociale et culturelle.
Ouvertures
Plusieurs éléments dégagés au
cours de cette étude pourraient faire l'objet d'une recherche
approfondie. Premièrement, il serait intéressant de se pencher
sur les enfants végétariens, végétaliens et
végans de naissances. Suivre l'évolution des pratiques, leur
socialisation, l'incorporation de ces normes alimentaires, etc. sous forme de
cohorte permettrait d'effectuer une comparaison de ces éléments
entre ces derniers et leurs parents.
Une étude comparative entre l'ensemble des
végétarismes d'adoption sur le plan européen et même
international permettrait d'étudier les mécanismes propres
à chaque pays dans l'inscription dans l'une de ces carrières ou
du véganisme. Les estimations révèlent qu'en Angleterre,
10% de la population serait végétarienne, il semblerait que le
contexte soit différent que celui des français. Arouna
Ouédraogo explique ce fait : « Chez les Britanniques, s'afficher
végétarien, c'est s'afficher comme appartenant à une
classe intellectuelle, affranchie des traditions de consommation de viande
bovine [...] C'est comme cela qu'on peut comprendre pourquoi on peut s'y
afficher plus facilement végétarien qu'en France, où cela
reste marginal »80.
Dans la continuité des dispositifs de sensibilisation
facilement visibles sur les réseaux sociaux, effectuer une étude
ethnologique des interactions sur des groupes végétariens,
végétaliens et végans, mais aussi des trajectoires de vie
de certains individus permettrait d'identifier les différentes sources
de socialisation qui les disposent en tant que prosélytes. Cette
étude prolongerait celles que Traïni a effectué chez les
militants de la cause animale au sein d'associations.
Etudier les pratiques informelles plus profondément
serait également intéressant puisqu'elles sont très
hétérogènes chez les populations
végétariennes. Plus personnellement, et puisqu'il y a une
augmentation de consommation et de terres dédiées à la
production biologique en France, l'étude de consommation et de ces
pratiques informelles permettrait de mettre en lien ces populations mais aussi
les « non-végétariens » avec les producteurs locaux. Le
but
80 Entretien réalisé le 29 avril 2016
par le journaliste Mathieu Robert et publié sur le site de l'Agra
Presse. Source :
http://www.agrapresse.fr/arouna-ouedraogo-le-v-g-tarisme-est-ancien-m-me-en-france-art419015-2519.html
78
serait « d'amener » les populations à
s'investir dans la sensibilisation de la culture biologique et de la
réduction de déchet, et de les faire participer directement en
tant qu'acteurs à des potagers participatifs, à la pratique
permaculturienne... Valoriser la production locale, les associations
pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) et les associations
locavores et biologiques81 serait le but final. Cette idée
s'inscrit notamment dans un contexte marchand puisque les produits biologiques
et les produits végétaux sont de plus en plus présents
dans les rayons des grandes enseignes alimentaires, alors que l'achat de ces
produits à l'échelle locale reste encore minoritaire. Une visite
dans ce type d'enseigne permet de constater la profusion de
simili-carnés (viandes végétales) : tofu fumé,
émincés de soja, steaks, escalopes, boulettes et nuggets de
soja... Ces produits sont bien accueillis par les populations
végétariennes mais ils sont également critiqués par
certaines d'entre elles : produits qui proviennent de loin, plastifiés
et cartonnés, donc non-écologiques, production faite par les
industriels de la viande, etc. Elles préfèrent ainsi favoriser
les petits producteurs locaux. Une peur émane de la part de certaines
populations du végétarisme : les « nouveaux »
végétariens favoriseraient la production industrielle et
mettraient ainsi les producteurs locaux « sur le côté »,
ce qui serait un contresens sur le plan environnemental.
D'autres pratiques « en valeur » méritent d'y
porter une attention particulière pour rendre compte de toutes celles
que le végétarisme et ses déclinaisons « provoquent
». Bien que cette recherche empirique ait pu collecter de nombreuses
informations, le choix a été fait de « garder »
l'étude des actions rationnelles en valeur dans un travail
ultérieur. Nous pouvons énumérer toutefois quelques
pratiques se dégageant des entretiens et qui pourraient être
reliées à l'ensemble des végétarismes : la
fréquentation de restaurants, de marchés et de producteurs
locaux, le recyclage, l'entrée dans des carrières du
militantisme, la pratique de sports, les régimes alimentaires crudivores
et sans gluten, la pratique de la permaculture, les nouveaux lieux de
sociabilités, la pratique du jeûne, l'intérêt pour la
lecture, le yoga...
81 A Amiens et en Picardie par exemple : Les
jardins de Saint-Leu, Aliment'ton local, l'Agriculture
Biologique en Picardie (ABP)...
79
Annexes
Annexe 1 : le guide d'entretien
Dans le cadre du mémoire, nous avons
réalisé des entretiens à Amiens et à Paris à
partir d'une grille de thèmes, de questions et de points à
traiter afin de structurer la réalisation des entrevues. Les entretiens
sont donc semi-directifs, le suivi de ce guide ici présent n'a pas
toujours été respecté selon les discours tenus par les
enquêtés et lorsque la réponse à l'une des questions
avait déjà été dictée avant de pouvoir la
poser.
Thème 1 : instances de socialisation
· Descriptif du régime
· Parcours du régime/ Comment l'êtes-vous
devenu-e ?
· Aborder l'enfance, les normes alimentaires parentales,
les conflits de normes. Ruptures sur d'autres plans (social, politique...)
· Positionnement par rapport aux autres consommateurs
ainsi que les omnivores. Par exemple, si végétalien : pourquoi ne
mangent-ils pas d'oeufs... ?
· « Supports » de la conversion :
données sociodémographiques
Thème 2 : principes moraux guidés par...
· Emotions : empathie par exemple
· Principes rationnels : externalités
négatives par la consommation de viande, actes de la vie quotidienne,
prise de conscience...
· Préoccupations environnementales, des animaux
?
Thème 3 : rapport au « soi »
· Pratiques sportives. Quelles activités, liens avec
le nouveau mode de vie ?
· Consommation de gras (sauces, huiles,
oléagineux...), de produits nocifs (substances illicites, cigarettes,
alcool...). Si ne fume ou ne boit plus : arrêt survenu après la
conversion ? De quelle manière s'est déroulé l'arrêt
? Ou consommation alternative : alcool bio, tabac sans OGM, cigarette
électronique... ?
· Rapports avec les produits alimentaires biologiques,
place du bio dans le régime, quels liens ? Est-ce que cela va de soi
?
Thème 4 : Achats
· Lieux des achats et pourquoi
· Quels types ? (prix, qualité du produit, bio,
congelé...)
· Lien entre achats et environnement : moins d'emballages
plastiques et/ou cartonnés, production locale...
80
Thème 5 : religion
· Pratiquant ?
· Liens entre les végétarismes et la religion
: au niveau des interdits alimentaires ? Croyances induites par les
végétarismes ?
· Place que l'on donne de ce régime alimentaire dans
la religion
· Notion de spiritualité (croire à quelque
chose mais qui sort des religions abrahamiques, bouddhistes...)
Thème 6 : politique
· Politique institutionnelle : adhérant ? Pour quel
parti l'individu vote...
· Visions du monde et revendications en ce qui concerne
l'environnement : la question environnementale pouvant décrire ce que
pense l'individu
Annexe 2 : questionnaire
81
6/21/2016 Conversion au végétarisme,
végétalisme et véganisme
5. 5. Comment décririez-vous votre conversion ? Une
seule réponse possibie.
ma conversion a été lente
ma conversion a été du "jour au lendemain"
6. 6. Depuis votre conversion, mangez-vous bio et local ?
Plusieurs réponses possibles.
oui
uniquement bio uniquement local non
7. 7. Par semaine, diriez-vous que vous consommez bio et/ou
local...? Une seule réponse possible.
plusieures fois
quelques fois pas du tout
8. 8. Enfant, quelle était votre consommation de...
· Une seule réponse possible par ligne.
importante moyenne faible inexistante
9. 9. Votre conjoint(e) fait-il/elle partie de l'une de ces
trois pratiques alimentaires ? Plusieurs réponses possibles_
oui
non
je n'ai pas de conjoint
Elements liés à votre
conversion
10. 10. Comment votre famille a-t-elle réagi à
votre conversion ?
Une seule réponse possible.
très bien plutôt bien plutôt mal très
mal sans avis
11. 11, Comment votre entourage a-t-il réagi à
votre conversion ? Une seule réponse possible.
très bien plutôt bien plutôt mal très
mal sans avis
6121/2016 Conversion au végétarisme,
végétalisme et véganisme
12. 12. Pensez-vous être en continuité ou en
rupture avec l'éducation de vos parents ?
Une seule réponse possible.
en continuité en rupture
13. 13. Si vous êtes en rupture, sur quoi a-t-elle eu lieu
?
Plusieurs réponses possibles.
sur le plan politique
sur le plan social
sur le plan religieux
sur le plan des pratiques culturelles et de consommations
Autre
14. 14. Diriez-vous que vous êtes en continuité ou
en rupture avec les nonnes alimentaires de votre enfance
Une seule réponse possible.
en continuité en rupture
15: 15. Depuis votre conversion, y a t-ii eu des changements
quant ê...?
swIt
Plusieurs réponses possibles.
vos goûts et dégoûts
votre perception du beau et du laid
vos goûts musicaux
vos goûts vestimentaires
vos lieux de fréquentations
vos fréquentations (sphère amicale)
vos lieux de consommations
il n'y a pas eu de changement
Autre :
16. 16. Pouvez-vous préciser de quels types ils sont ?
83
6/2112016 Conversion au végétarisme,
végétalisme etvéganisme
17.17. Au début de votre conversion, quel était
votre état d'esprit?
sleu s réponses p,oss 'b es Plusieurs
réponses possibles.
vous vous sentiez seul(e) vous vous sentiez accompagné(e)
vous vous sentiez mal jugé(e) vous vous sentiez discriminé(e)
vous vous sentiez soutenu(e) vous vous sentiez compris(e) aucune de ces
réponses cela n'a rien changé
Autre :
18. 18. Lorsque vous avez besoin d'informations sur votre
régime alimentaire, où effectuez-vous vos recherches ?
Plusieurs réponses possibles.
vos amis
associations
sur intemet (articles, forums, etc.)
sur les réseaux sociaux
Autre :
19. 19. Pensez-vous faire partie d'une communauté
végétarienne, végétalienne ou végane ?
Une seule réponse possible.
oui non
20. 20. Faites-vous partie d'une association...?
P!c,..eurr, .ose
,c,ss:b3es Plusieurs réponses
possibles.
végéta
riennelvégétaliennelvéga ne écologiste
pour la défense des animaux autre
non
Opinions
21. 21. Où situez-vous vos opinions politiques ainsi que
celles de vos parents ?
5'ë :tes pa,E3' lai e unri.
Line seule réponse possible par ligne.
Extrême gauche
|
Gauche Centre Droite
|
Extrême droite
|
Je
Ecologie Apolitique ne
sais
pas
|
85
6/2112016 Conversion au végétarisme,
végétalisme et véganisme
22.22. Avez-vous ainsi que vos parents une religion
?'`
La spiritualité', est i;l une. cr: yare son .'e , a.ec une
religion dessous ~ u tatdcau cour déca.lcr ie curseur à
d,ràre
Une seule réponse possible par ligne.
Pas de
Bouddhiste Catholique Juive Musulmane Orthodoxe Protestante
religion Spiritualité religion
23. 23. Pensez-vous que votre religion a eu un impact sur
votre conversion, notamment sur les interdits alimentaires, le respect de la
vie ?
avez iCr. c- ras r Plusieurs réponses
possibles
oui
non
24. 24. Ou au contraire, votre conversion a t-elle eu un
impact sur votre croyance?
S, ·,,,,L ,LIS
\fe7 re, anc. < 'a5 rie religpur'répondez;~a~ r .........
.... Plusieurs réponses possibles.
oui non
25. 25. Vos opinions politiques ont-elles un lien avec
votre regard sur l'éthique, l'environnement et ce qui concerne la
question animale ?
Une seule reponse possible.
oui non
Données socio-démographiques
26. 26. Vous étes... ? Une seule
réponse possible.
un homme une femme Autre :
27. 27. Quel est votre âge ? Une
sertie réponse possible.
moins de 18 ans
18-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50 ans et plus
28. 28. Dans quel département habitez-vous
?
Inscrivez que lea chffres. 7 poiy PaOs far enrm,^,Ig,
29.
86
29. Si vous n'habitez pas en France, veuillez indiquer votre
pays
30. 30. Êtes-vous... ? "
isoirie pose üt e
célibataire en union libre
mariée) pa es 5(e) divorcé(e) autre
hi!ps //
does.goagle.com/forrns/d/183oS239UbbJvl5cbPmY8sOLhoV9HY48dQtgjyFwGP-4/edit
516
87
88
Annexe 3 : Présentation des personnes
interviewées
Prénom
|
Présentation
|
Leur raison
|
Ruptures avec instances
de socialisation
|
Christophe
|
27 ans. Médecin
du travail. Amiens. Végan depuis 5
ans, végétarien durant 2 ans.
|
Père chasseur,
bêtes dépecées devant lui.
|
Plus de relation avec ses parents, sa famille
et certains amis.
|
Eléonore
|
25
ans. Secrétaire médicale. Amiens. Végane depuis
3 ans, végétarienne durant 1 an 1/2.
|
Alimentation moins chère.
|
La conversion lui a fait perdre plusieurs amis.
Conflits lors de repas familiaux.
|
Céline
|
24
ans. Etudiante. Amiens. Végétarienne depuis 12
ans. Pas de végétalisme pour
cause d'anémie.
|
Visite d'un abattoir.
|
Ne s'entend plus avec sa famille. Ses parents ont
accepté.
|
Héloïse
|
32 ans. Designeuse.
Amiens.
Végane depuis 8 ans, végétarienne durant 3
ans.
|
Discussion avec des militants
de l'association Peta.
|
Ne parle plus à ses parents depuis 7 ans. Elle a perdu des
amis dont sa meilleure
amie.
|
89
Julien
|
27 ans.
Sans emploi. Amiens. Végétalien depuis 2
ans, végétarien durant 1 an.
|
A lu un article d'un végétarien.
|
Ses parents ne comprennent pas son
« choix », critiqué par sa
famille. Sa compagne l'a quittée après sa
conversion.
|
Marc
|
37 ans. Ouvrier dans le
BTP. Moreuil. Végétarien depuis 4 ans.
|
Vidéo montrant l'abattage d'animaux.
|
Moqueries de la part de ses
amis.
Membres de
sa famille
réticents.
|
Sophie
|
28 ans. Vétérinaire. Paris. Végane depuis 5
ans, végétarienne durant 6 ans.
|
Images d'animaux ensanglantés.
|
Tensions avec ses parents qui
sont médecins. Pour eux la viande est indispensable.
|
Laura
|
22
ans. Etudiante. Amiens. Végétarienne depuis 2 ans.
|
Rencontre d'une végétalienne et
discours d'un végan.
|
Tensions avec ses parents qui ne comprend pas sa
pratique. Distanciation avec quelques amis.
|
90
Annexe 4 : Répartition par sexe
Sexe
|
Fréquences
|
%
|
femme
|
897
|
83,1
|
homme
|
170
|
15,8
|
autre (agenre, non-binaire...)
|
12
|
1,1
|
Ensemble
|
1079
|
|
Annexe 5 : Âge
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Âge
|
Fréquences
|
%
|
Fréquences
|
%
|
|
|
|
cumulées
|
|
moins de 18 ans
46
18-24 ans
398
25-34 ans
381
35-49 ans
173
50 ans et plus
Annexe 6 : Domicile et conversion
conversion
|
67
Fréquences
|
6,3
%
|
Oui
|
865
|
80
|
Non
|
216
|
20
|
Total
|
1081
|
100
|
91
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93
Table des figures
Figure 2. 1 - Conversion et principale raison 34
Figure 2. 2 - Type de conversion par Raison principale 35
Figure 2. 3 - Supports de recherches 38
Figure 3. 1 - PCS des parents par Normes alimentaires 46
Figure 3. 2 - Consommation de produits carnés et de
sous-produits durant l'enfance 47
Figure 3. 3 - Diplôme 48
Figure 3. 4 - PCS 48
Figure 3. 5 - PCS individu par PCS du père 49
Figure 3. 6 - Education parentale 49
Figure 3. 7 - Réaction de la famille 50
Figure 3. 8 - Etat d'esprit à la suite de la conversion
51
Figure 3. 9 - Réaction de l'entourage 53
Figure 3. 10 - Situation 55
Figure 3. 11 - Conjoint(e) et pratique alimentaire commune
56
Figure 3. 12 - Opinion politique des individus et de leurs
parents 61
Figure 3. 13 - Opinion politique des pères par Individu
61
Figure 3. 14 - Opinion politique des mères par Individu
62
Figure 3. 15 - Âge par Opinion politique 62
Figure 3. 16 - Sexe par Opinion politique 62
Figure 3. 17 - Opinion politique des pères par
Education parentale 63
Figure 3. 18 - Religion 65
Figure 3. 19 - Sexe par Religion 65
Figure 3. 21 - PCS par Religion 66
Figure 3. 22 - Religion des parents 66
Figure 4. 1 - Consommation bio et locale depuis la conversion
71
Figure 4. 2 - Fréquence de consommation par semaine
71
94
Table des tableaux
Tableau 1 - Modèle séquentiel de la
carrière 44
Tableau 2 - Trajectoires alimentaires en ruptures 46
Tableau 3 - Situation des personnes interviewées 57
Tableau 4 - Opinion politique des individus avant et
après conversion, des pères et des mères 64
Résumé
Ce travail de recherche en sociologie traite de la population
végétarienne, végétalienne et végane en
rupture avec les instances de socialisation en France en 2016. Celles et ceux
pour lesquels il s'agit d'une rupture, le but de cette recherche est
d'identifier et d'analyser les ruptures qui peuvent intervenir à la
suite d'une « conversion » à l'une de ces pratiques. De ce
point de vue, le monde du régime végétal résulte
d'un processus de « détachement social » vis-à-vis de
la sphère familiale soulignant alors des scissions notamment sur les
plans sociaux, politiques, religieux mais aussi du rapport entre l'homme,
l'animal et la nature. La rupture est double, concurrençant la
socialisation primaire, la socialisation secondaire entraîne une
évolution différente des systèmes de disposition entre
l'individu et ses parents. En ce sens, la pratique des
végétarismes a une incidence sur les aspects de la vie
personnelle : groupes d'amis, sorties, mise en couple, enfants... Ces
systèmes participent à l'incorporation chez les individus
convertis de pratiques « informelles » gravitant autour de ces
idéaux alimentaires (activité physique, magasins et aliments
bios, marchés, réduction des déchets, recours aux bocaux,
germoirs à graine...). Les pratiques et le refus de la consommation de
produits carnés soulignent un certain refus de l'ordre social ; entre
antispécisme, consommation « éthique », biologique,
locale ou rejet d'une alimentation industrialisée, c'est toute une
manière de vivre et une vision du monde qui est repensée au
travers de ces pratiques. Cette recherche ici présente s'appuie
également sur l'étude des biographies des personnes
interrogées pour rendre compte des trajectoires, des
sensibilités, des justifications et des légitimations qui
mène aux carrières du végétarisme. La
prépondérance des sociabilités virtuelles se pose comme
l'une des conditions d'entrée dans la carrière spécifique
à la pratique, mêlant pratiquants « confirmés »
et jeunes initiés. Les méthodologies recourues sont au nombre de
trois : une phase qualitative constituée d'une base de huit entretiens
ainsi que de quelques interactions effectuées au cours de ces 2
dernières années, et une seconde phase quantitative
composée de 1081 questionnaires.
95
Mots-clés : végétarisme -
conversion - pratique - rupture - alimentation
- consommation
|