2.3 Une stratégie d'investissement
interplanétaire
La stratégie d'investissement des chinois ne se limite
pas aux seules frontières de la Chine. « L'empire du milieu »
tel que l'on surnomme ce pays aux ambitions effrénées, s'est
attaqué au marché européen et sud-américain. En
effet, avoir un pied à terre sur deux continents du football permet
d'une part, d'opérer un transfert de compétence en Chine qui
rapatrie le savoir-faire à l'européenne et sud-américaine,
puis d'autre part, de lui donner de la crédibilité quant à
son « nouveau » penchant pour le football. Pour ce faire, nombreuses
sont les entreprises chinoises qui investissent dans les clubs de football
professionnels.
Aujourd'hui, on dénombre deux équipes
appartenant à 100% à un groupe chinois. Il s'agit du FC Sochaux
détenu par le groupe Ledus et du Salvia Prague en République
Tchèque.
73 GODON PIERRE, « Le plan de la Chine pour devenir une
superpuissance du football », Francetvinfo, 17/02/2016
74 « Quand le football chinois s'éveillera »,
Le Monde, 29 janvier 2016
75
De plus, la revue Ecofoot75 soutient dans son
édition du 22 Décembre 2015 que le groupe chinoise CMC/Citic
Capital a récemment acquis 13% de la maison mère de Manchester
City, un des cadors du football anglais. On note également que le
célèbre fabricant de jouet Rasta Group, détenu par le
richissime Chen Yansheng, à pris une part importante dans l'actionnariat
du club de l'Espanyol Barcelone. Enfin, il semble nécessaire de
mentionner l'acquisition en partie du groupe chinois Wanda Group à
hauteur de 20% du prestigieux club de l'Atlético Madrid, finaliste de la
Champions League lors de la saison 2015-2016.
Hormis les investissements au sein des plus grandes
écuries européennes, les clubs chinois investissent
également massivement dans le recrutement de joueurs issues des cinq
championnats majeurs du vieux continent. Alex Teixeira et Ramires ont
été transféré respectivement du Shakhtar Donetsk et
de Chelsea à Jiangsu pour la somme exorbitante de 50 millions d'euros et
28 millions d'euros selon le site Footmercato76. On note
également le transfert de l'attaquant Lavezzi en provenance du PSG pour
le club de Heibei China Fortune ou encore Martinez, transféré de
l'Atlético Madrid au Guangzhou Evergrande. Les transferts de ces joueurs
aux talents incontestables sont à l'image des prétentions de la
Chine à concurrencer les autres acteurs majeurs du football mondial. On
constate par ailleurs que la pratique s'est étendue jusqu'à
l'autre bout de la planète puisqu'au dernier Mercato hivernal, le
championnat brésilien s'est vu dépossédé des plus
grandes stars brésiliennes, à l'image du club des Coranthians,
où quatre titulaires de l'équipe ont fait leurs valises pour la
Chine.
Le bilan prête à donner des sueurs froides quant
à l'espoir des clubs européens et sud-américains de garder
leurs plus grandes stars. En effet, au cours du dernier Mercato, la China Super
League (CSL) a dépensé près de 360 millions de dollars,
soit 100 millions de plus que la Premier League anglaise, pourtant acteur
essentiel du Mercato.
Il en va donc de soi que la stratégie
géopolitique de la Chine s'étend aux quatre coins de la
planète. Il ne s'agit plus d'un enjeux purement national mais bien
interplanétaire.
75 ALYCE ANTHONY, « Pourquoi les entreprises chinoises
investissent-elles massivement dans le football ? », Ecofoot, 22
décembre 2015.
76 KAROURI KHALED, « Officiel : Le Jiangsu Suning explose
les compteurs pour Alex Teixeira, », Footmercato, 2016
76
En réunissant de nombreux articles et études
s'intéressant aux motivations chinoises qui les poussent à
investir dans le football, il en ressort l'idée principale que la Chine
cherche avant tout à assouvir une forme de domination mondiale.
Les propos de Simon Chadwick77 et relayés
par la revue Ecofoot78 vont en ce sens. Le recours aux
investissements dans le football chinois ne se justifierait que par une
volonté d'être reconnu comme une nation gagnante dans tout ce
qu'elle entreprend. Le football serait donc un moyen d'affirmer ou de
réaffirmer sa suprématie à travers le monde. La
célèbre citation « le football n'est que la
poursuite de la guerre par d'autres moyens » prend ici tout
son sens.
Conformément à l'interview donné par
Pascal Boniface, directeur de l'Instituts des Relations Internationale et
Stratégiques (IRIS), au quotidien sportif de l'Equipe :
« c'est humiliant pour la Chine de ne pas être
compétitive dans le football »
Il y a donc fort à parier qu'aujourd'hui nos plus
grands dirigeants utilisent le football comme un outil diplomatique.
La Chine semble avoir compris le caractère politique du
football et des enjeux qui s'ensuivent. Néanmoins, force est d'admettre
que le football asiatique est encore assez peu développé dans la
région. Seulement deux pays peuvent se vanter de posséder une
équipe compétitive. Il s'agit de la Corée du Sud,
organisatrice de la Coupe du Monde 2002 ainsi que du frère ennemi
numéro un de la Chine : le Japon. Alors que le baseball est le sport de
référence au pays du soleil levant, le football japonais ne cesse
de progresser. Il n'est plus rare de voir évoluer quelques joueurs
japonais au sein des plus grandes équipes européennes. En prenant
en compte les nombreuses tensions historiques entre la Chine et le japon,
notamment par le combat que mène ces derniers dans la reconnaissance des
îles Kouriles et Senkakus (îles japonaises que la Chine cherche
à conquérir depuis plusieurs années). On peut donc
supposer que le football chinois est un moyen efficace concurrencer son ennemi
japonais.
De surcroît, l'enjeu géopolitique n'est pas
restreint à la seule région asiatique. La Chine investit
massivement dans le championnat chinois et cherche à constituer une
équipe nationale compétitive en vue de jouir un jour d'un
rayonnement planétaire. La médiatisation et
77 Enseignant-chercheur en sport business à la Coventry
University Business School.
78 ALYCE ANTHONY, « Pourquoi les entreprises chinoises
investissent-elles massivement dans le football ? », Ecofoot, 22
décembre 2015.
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l'engouement que génère le football semble
être un bon moyen de diffuser le modèle chinois à travers
ce sport. Le rêve du président Xi-Jiping d'organiser un jour la
coupe du monde dans son propre pays n'est pas anodin. L'euphorie d'une telle
compétition à échelle mondiale aurait des retombées
positives non négligeables, tant sur le plan économique que
politique. Le modèle chinois faisant actuellement l'objet de nombreux
débats (dumping social ou l'entrave des droits de l'homme pour ne citer
qu'eux), la médiatisation d'un tel évènement serait, sans
nul doute, le moyen de pallier cette image négative dont la Chine peine
à se défaire.
En tout état de cause, la Chine cherche à
s'immiscer durablement dans le football professionnel quoi qu'en pense
l'opinion publique. Cependant, il serait intéressant de se demander si
cette bulle spéculative liée aux investissements soudains des
chinois ne risque-t-elle pas un jour d'éclater ? Le football chinois
est-il soutenable à long terme ?
Dans ce pays où le football est loin d'être
culturel, les stades chinois peinent à faire venir des spectateurs. Les
recettes de billetterie sont très maigres et ne permettent pas aux clubs
de rééquilibrer leurs dépenses avec les achats de joueurs
européens et sud-américains, souvent transférés
à prix d'or.
Le risque serait de voir les investisseurs chinois se retirer
du marché pour cause de désintéressement face à un
sport qui est encore peu populaire en Chine. Ce scénario, fortement
probable, serait un second échec de la Chine. Rappelons que la Chine a
connu un premier échec en investissant une première fois dans le
football. Or à l'époque, les effets escomptés
n'étaient pas à la hauteur des espérances du gouvernement
chinois.
Nous avons tenté de démontrer que le football
est devenu une forme d'enjeu géopolitique pour les dirigeants des
grandes nations. Analyser succinctement le cas du Qatar et de la Chine nous a
permis de comprendre pourquoi le football est considéré comme un
moyen d'exister sur la scène internationale.
Pour autant, le football est aussi le reflet d'un enjeu plus
criant puisqu'il a la faculté de mettre en lumière certaines
misères du monde et notamment de l'Afrique. Cela constitue l'objet de
notre dernière étude.
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