Chapitre II : Les nouveaux enjeux du football
mondial
Partie I - Nouvelles stratégies d'influences du
Qatar où le football n'est pas roi.
Le Qatar est devenu, en l'espace de cinq années, un
pôle incontournable du football mondial. Ce petit pays d'une superficie
à peine plus grande que l'Ile-de-France fait couler beaucoup d'encre,
tant pour sa richesse pétrolière que ses investissements soudains
dans le football. De surcroît, les débats se sont largement
intensifiés depuis que le pays ait été choisi pour
organiser la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Injustice, pots-de-vin ou pouvoir
d'influence ? Quoi qu'il en soit, force est d'admettre que ce pays touche du
doigt son nouvel objectif : devenir une nouvelle terre du football.
Pour comprendre comment opère le Qatar dans sa nouvelle
stratégie, il est important d'appréhender notre étude en
trois parties. Dans un premier temps, nous analyserons l'entretien
réalisé par Jérôme Champagne, grand
spécialiste des relations internationales dans le domaine du football.
Son expérience sur le terrain et sa connaissance du sujet nous
permettront d'introduire notre seconde sous-partie, qui vise à cibler
les stratégies offensives du Qatar. Pour finir, nous nous attarderons
sur la puissance du Qatar via son média de diffusion : Al-Jazeera.
1.1 Entretien de Jérôme Champagne sur les
stratégies du Qatar.
Conseiller diplomatique et chef du comité
français d'organisation de la Coupe du Monde 1998, conseiller
international du président de la FIFA en 1999, secrétaire
général adjoint (2002-2005) puis délégué de
l'ancien président de la FIFA Sepp Blatter (2005-2007) et directeur des
relations internationales (2007-2010), Jérôme Champagne quitte la
haute instance de régulation du football international pour se consacrer
aux enjeux géopolitiques en relation avec le football. En 2010, il est
alors nommé commissaire football du festival mondial des arts
nègres à Dakar pour ensuite devenir le conseiller de la
Fédération
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Palestinienne de Football (PFA), celle du Kosovo et enfin
conseiller de la fédération Chypre-Turc.
L'entretien de Monsieur Jérôme Champagne
intitulé « la diplomatie sportive du Qatar : instrument
d'une nouvelle notoriété internationale »
relayé par la revue géoéconomique
« Qatar, l'offensive stratégique »54,
nous donnes ses impressions quant aux investissements soudain de
ce petit pays dans le sport et plus particulièrement dans le
football.
L'entretien débute par un discours clair : le Qatar est
« une diplomatie par le sport »55.
L'ancien directeur de la FIFA affirme que cette forme de
diplomatie n'est pas nouvelle et est basée sur trois types d'objectifs
:
- Premièrement, « il s'agit de
défendre la justesse de choix politiques et /ou de modèles
sociétaux ». le sport est un moyen pour les nations
de montrer leur supériorité.
- Le sport est un moyen permettant de défendre une
cause. C'est également une forme de reconnaissance nationale à
laquelle chacun s'identifie. L'exemple donné lors de cette interview fut
celui du Front de Libération National (FLN) de 1958 à 1962 durant
la guerre d'Algérie ou encore celui des USA dans l'organisation des Jeux
Olympiques de 1904 en marquant le centenaire du « Louisiana Purchase
», ville française et laissée aux américains par
Napoléon en 1804.
- Enfin « la diplomatie par le sport »
est un élément de pouvoir d'influence dans un
objectif suprême d'étendre celle-ci dans le monde.
Le Qatar répond aujourd'hui à tous ces
objectifs, grâce à son dynamisme dans la région du Golfe.
Le sport et plus particulièrement le football, est aujourd'hui le nouvel
«or noir » du Qatar, conscient des opportunités de faire de
nouveaux profits.
Sa puissance financière lui permet d'être un
acteur important dans le monde du sport comme par exemple le tennis,
l'athlétisme, le cyclisme ou encore les courses de moto GP. En raison de
sa forte renommée dans la région de la péninsule arabique,
le Qatar organise fréquemment des évènements sportifs,
à la seule exception du football... On ne retient que l'organisation
d'une Coupe du Monde de la FIFA des moins de 20 ans en 1995, dû à
l'abandon de
54 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive
stratégique, Géoéconomie, revue
trimestrielle - été 2012 n°62. P. 69 - 80
55 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive
stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle -
été 2012 n°62. P. 69
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l'organisation de cette dernière par le Nigeria pour
cause d'une épidémie d'Ebola. Aujourd'hui la tendance tend
à s'inverser. Le Qatar tient sa revanche puisqu'en l'espace de cinq ans,
le football occupe une place privilégiée dans sa nouvelle
stratégie.
L'organisation de la Coupe du Monde en 2022, des championnats
du monde de Handball en 2015, l'espoir de pouvoir organiser un jour les jeux
Olympiques, le lancement de la chaîne de retransmission
d'évènements sportifs Al-Jazeera Sports, démontrent les
aspirations de cet Etat à devenir durablement une nation du sport.
Le Qatar mise sur une seule stratégie globale :
Développer toutes les activités liées au sport pour
répandre son influence à l'échelle internationale. L'achat
de chaînes télévisuelles, le rachat des clubs de football
professionnels, la création de l'équipementier sportif Burda ou
l'élection d'un qatari au sein de l'instance FIFA (M. Mohamed bin Hammam
en 2011) ne sont plus de simples rêves, ils sont devenus
réalité. De plus, le Qatar peut se vanter d'un avantage en
matière de décision. En effet, il est beaucoup plus simple
d'entreprendre de nouvelles stratégies lorsque le pouvoir est
concentré dans les mains de quelques dirigeants.
Les mots employés par Jérôme CHAMPAGNE
sont à l'image des motivations réelles du Qatar. Selon lui,
« la méthode globale peut apparaître comme une
forme de domination. Et surtout la possibilité de repousser les
contraintes de la rentabilité économique en raison de la richesse
qatarie, peut de son côté fausser la concurrence avec les autres
acteurs sportifs ou industriels »56
Le sport est un moyen pour le Qatar d'ouvrir ses
frontières et de dynamiser l'attractivité de son territoire.
Trois objectifs sont à énumérer :
- Premièrement, l'investissement massif dans le sport
permet au pays d'exposer son « modèle politique et
social qui combinerait la tradition et la modernité, un paternalisme
généreux mais sans démocratie, une ouverture sur le monde
».
- Le second objectif est d'affirmer sa puissance dans la
région du Golfe et pour cause, la région est sujette à de
nombreux conflits territoriaux, tant sur le plan politique que
56 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive
stratégique, Géoéconomie, revue
trimestrielle - été 2012 n°62. P. 73
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religieux. Bien entendu, le sport et plus
particulièrement le football est un moyen de concurrencer efficacement
le rival de toujours : l'Arabie-Saoudite.
- Enfin, le dernier objectif mais non des moindres : Investir
dans le football c'est investir dans l'un des sport les plus populaires au
monde permettant au pays de jouer dans la cours des grands. Le football est
donc un moyen de donner de la crédibilité à
l'échelle internationale. Alors que l'origine du football n'était
qu'un divertissement consistant à marquer des buts pour gagner un match,
on n'était loin d'imaginer que le football puisse être un jour
utilisé à des fins géostratégiques...
Pour autant, dans le pays où les rêves deviennent
réalités, il existe quelques limites qu'il semble pertinent
d'énumérer :
La première des limites est la taille du pays (1,8
millions d'habitants recensés en 2010) avec seulement 20% de nationaux
et beaucoup d'expatriés. Cela constitue donc une barrière non
négligeable, empêchant très certainement le Qatar
d'être considéré comme une réelle nation du
football. En dépit d'investissements conséquents, la «
culture football » n'est pas encore ancrée dans ce pays où
règne oisiveté et démesure en tout genre. Le
désintérêt commun de la population qatarie pour le football
engendre des stades quasiment vides et une équipe nationale peut
attrayante, oscillant dans le classement FIFA entre la 80ème
et la 100ème place.
Ce désintérêt pour le jeu du ballon rond
peut trouver son explication dans le fait que le climat ne prête pas
à jouer, sous des chaleurs pouvant atteindre 50 degrés Celsius
contrairement au handball ou au basketball par exemple, qui se joue en
intérieur.
D'autre part, le manque de compétitivité
à l'échelle nationale pousse le Qatar à user de
stratégies à la limite de la légalité. L'argent
étant l'argument le plus péremptoire, les acteurs qataris
n'hésitent pas à inciter de plus en plus de jeunes joueurs
talentueux d'un autre Etat, à acquérir la nationalité
qatarie en contrepartie d'une rémunération. Par ce processus, ces
jeunes talents intégreront l'équipe nationale afin que celle-ci
réalise de meilleurs résultats, aptes à l'élever au
sein de la hiérarchie du football.
De plus, la création en 2004 de l'académie
sportive Aspire à Doha, recrutant les nouveaux talents qataris de
demain, est sujette à de nombreux débats et contestations. En
effet, l'infrastructure digne des plus grands clubs, attire des jeunes de toute
la planète et plus
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particulièrement de l'Afrique, avec la mise en place de
recruteurs dépêchés sur l'ensemble du continent, pour
trouver les perles rares et les attirer au Qatar. Ces agissements se font aux
dépens des clubs africains qui peinent à conserver leurs jeunes
talents en raison de leur manque d'investissement en infrastructures. (cf.
chapitre II, partie III).
En définitive, les investissements qataris dans le
football comportent bon nombre de mauvaises pratiques et de limites. A l'heure
actuelle, beaucoup d'entre elles restent impunies ou de facto.
A la question : « pensez-vous que le Qatar
puisse incarner l'avenir du sport international ? Ou au contraire que son
activisme dans ce domaine peut contribuer à modifier l'équilibre
géopolitique du sport de façon négative ?
»57, La réponse de Jérôme
Champagne semble sans équivoque. La durabilité des
stratégies offensives du Qatar dans le sport semble instable. Bien que
le pays ait été récemment choisi pour organiser de la
coupe du monde 2022, de nombreuses limites nous amènent à penser
que les ambitions sportives de cette « micro-monarchie » ne soient,
à long terme, plus soutenables.
Comme en atteste l'interviewé, si son influence dans le
monde ne fait pas l'ombre d'un doute, le Qatar fait néanmoins face
à de nombreux échecs. On peut citer l'exemple des championnats du
monde d'athlétisme 2017, attribués finalement à Londres ou
les jeux Olympiques de 2020 où le Qatar n'a pas fait l'objet d'une
retenue de candidature en présélection.
A cela s'ajoute l'échec quant à l'appel d'offres
dans le rachat de l'entreprise internationale de marketing sportif :
Infront.
En dépit d'une détermination sans faille, le
Qatar n'est certainement pas encore devenu une nation du football. Les propos
de Jérôme Champagne vont en ce sens puisque selon lui il est
encore trop tôt pour tirer quelque conclusion que ce soit, même si
beaucoup de signes laissent à penser qu'il est difficile d'acheter la
passion du sport...
Notre première sous-partie fut réalisée
grâce aux apports de l'ex-directeur des relations internationales de la
FIFA, ce qui nous a permis d'appréhender une première
réflexion quant
57 LOROT P. ET DAGUZAN J-F. Qatar, l'offensive
stratégique, Géoéconomie, revue trimestrielle -
été 2012 n°62. P. 76
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aux nouvelles ambitions sportives d'un pays à taille
minime mais à la puissance financière colossale.
L'enjeu de cette seconde sous-partie vise à mettre en
lumière tous les champs d'actions des investisseurs qataris. L'objectif
est de comprendre dans quelle mesure le Qatar cherche à assouvir son
pouvoir de domination.
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