Chapitre 2 : Les effets de l'adoption du
référentiel de marché (paradigme marchand)
Source :
www.paperblog.fr/.../s1600/microcredit.jpg
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 130
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 131
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
INTRODUCTION
Ce chapitre aborde la nature de l'adoption de l'approche
commerciale par le secteur du MC et ses effets sur la vie des pauvres. Il passe
en revue les éléments de cette approche et examine la relation
entre la promotion du dispositif de MC et le système
néolibéral afin d'éclairer sa position à
l'égard des instances internationales (BM et FM).Pour traiter ensuite,
les dérives relevées dans la pratique du MC qui peuvent
constituer un début de convergence au niveau du secteur.
Chapitre 2 : Les effets de l'adoption du
référentiel de marché
Le terme microcrédit renvoie à l'offre de
prestations financières, comme il désigne aussi par extension un
secteur d'activité, c'est-à-dire l'ensemble des prestataires
dispensant ces services. Il a été conçue comme un «
outil au service du développement tout en restant ancrée dans le
secteur marchand, marquant une ambivalence qui brouille les distinctions
traditionnellement établies entre le politique et l'économique,
le public et le privé, le commercial et le
social»236.
Dans les années 1980, l'application des
PAS237 ordonnée par le FMI et traduite par une
réduction des budgets destinés aux secteurs sociaux, a eu des
effets négatifs sur le plan social, en particulier à
l'égard des pauvres qui ont été les premières
victimes à en payer le coût fort. Cependant, afin de lutter contre
la pauvreté, les politiques publiques des PED ont favorisé le
développement du MC destiné, essentiellement, aux femmes. En
effet, le secteur a connu une promotion aussi importante au point de voir les
banques commerciales jouer le rôle d'animateurs de la démarche
parrainée par les pouvoirs publics.
Certes, les banques ne sont pas des organismes de
bienfaisance, mais les riches ont la possibilité d'emprunter des
montants importants quoiqu'ils restent une minorité devant le nombre
important des pauvres. Il paraît donc plus rentable de consentir de
petits prêts à de nombreux pauvres. En plus, les études
réalisées sur les systèmes informels de financement
236 BEDECARRATS, Florent. « Evaluer la microfinance,
entre utilité sociale et performances financières », La
Découverte | Revue Française de Socio-Économie
2010/2 - n° 6 pp. 87-107, Url
http://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie
237 Le FMI et la Banque mondiale ont prescrit les PAS afin
d'imposer leur vision de développement (production, commerce et
consommation).
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 132
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
ont démontré l'existence d'énormes sommes
d'argent circulant dans l'informel et qui échappent au contrôle du
système financier. Par conséquent, les banques ont observé
autrement ce filon avant de se lancer dans une politique de microendettement
taillée sur mesure pour les pauvres. Ainsi, comme l'explique Serge
Latouche : «les banques (...) cachent derrière leur bonne
volonté des intérêts peu avouables. En Afrique du Sud par
exemple, elles ont jeté un oeil avide sur les énormes masses
d'argent épargné sous forme de tontine. C'est pour elles un
potentiel appréciable de chiffre d'affaires qui (...) leur passe sous le
nez»238.
En fait, le nombre important des pauvres forme aussi un
marché potentiellement rentable, chose qui ouvre l'appétit des
banques. Et selon Med Yunus « en août 1996, il y avait au seul
Bangladesh, (...) 2.059.510 personnes (...) endettées auprès de
la Grameen Bank » pourvu que son ambition vise plus loin, en
déclarant : «nous nous sommes fixés un but pour l'an 2005 :
Si on peut aider cent millions de familles en leur prêtant de l'argent
par l'intermédiaire des femmes, (...) c'est la moitié des pauvres
(...). (...) si on réussit (...), il suffit de multiplier notre action
par deux pour toucher les autres»239, et ce dans le cadre du
système capital que défend Med Yunus puisqu'il considère
que « la mondialisation peut apporter plus de bénéfices aux
pauvres que n'importe quel système alternatif »240.
Toutefois, la vision excessive des vertus du
microcrédit repose sur le «mythe»241 du
«pauvre entrepreneur». Ce «mythe» s'est forgé
grâce à la difficulté d'évaluer l'apport réel
du microcrédit pour les populations concernées. Or, selon ce
mythe, il suffirait de doter les pauvres en capital pour développer leur
potentiel entrepreneurial. Mais, le challenge réside dans la grande
difficulté à se transformer en vrais entrepreneurs.
Partout dans le monde, la commercialisation du
microcrédit a connu une progression rapide, au point de décrire
cette évolution, pour certains, comme signe de maturité du
secteur caractérisée par une survente massive aux pauvres par des
entreprises commerciales. On peut constater que certaines AMC ont adopté
une approche commerciale plus rentable que
238 BISILLIAT, Jeanne et VERSCHUUR, Christine. « Genre et
économie: un premier éclairage », p.353
239 PEEMANS-POULLET. Hedwige, « La miniaturisation de
l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », Revue
Féminismes et Développement, (Bruxelles), n°71-72,
février-mai 2000, p. 60-66 (extraits. Cahiers Genre et
Développement)
240 YUNUS Muhammad & WEBER Karl. (2008). Vers un nouveau
capitalisme, Editions JC Lattès 2008, p. 28
241 FOUILLET Cyril et al. , op. cit.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 133
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
les banques commerciales traditionnelles. Alors, une fois que
ces institutions de microcrédit ont commencé à
gérer leur activité sur une base commerciale, leur environnement
a été progressivement marqué par la concurrence.
M. Yunus pense que l'Etat , sous sa forme actuelle, «
devrait se désengager presque intégralement (à l'exception
de la défense nationale et de la politique étrangère) pour
laisser le secteur privé (...) - animé par un souci de bien
être social- jouer son rôle242 » et défend
l'idée que « les pauvres ont tout intérêt à
voir s'ouvrir d'important marchés243 » tout en assurant
que la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes
engendrera des bénéfices à tous et pas seulement aux
pauvres.
Depuis plusieurs années, le microcrédit fait
l'objet d'une attention particulière de la part de la communauté
internationale, puisque dès 1997 le Sommet mondial de Washington sur le
MC a fixé comme objectif de permettre à 100 millions de personnes
d'y accéder. Par contre, le marché tourne parfois à
l'envers notamment en temps de crise, dans ce cas « les investissements
étrangers se font rares et que le niveau des échanges commerciaux
est au plus bas, que le microcrédit s'avère décisif pour
libérer des moyens favorisant l'entreprenariat
local244». Or, si on croit Hedwige Peemans-Poullet « le
projet de lutte contre la «paupérisation» en endettant tous
les pauvres (...) (en leur donnant accès au crédit) fait l'objet
d'une promotion sans précédent » 245 de la sorte que «
l'endettement se diffuse progressivement aux classes moyennes et aux couches
populaires dans les années 19501960, en particulier par le biais du
crédit revolving (crédit renouvelable)246 ».
C'est donc cette présumée «révolution
financière», qui a « placé la dette au coeur du
capitalisme américain,... »247 dont la principale
barrière quant à sa diffusion n'était pas d'ordre
institutionnel à ces temps-là puisque l'action d'emprunter
suscitait une forme de « désapprobation morale », et la
personne endettée était regardée comme « un
être irresponsable, incapable de réprimer ses besoins et de bien
gérer ses finances248», bien que l'esprit
d'épargne n'avait pas encore été écarté dans
l'échelle des valeurs du capitalisme. Et ce dans le cadre d'un
système financier considérant la petite somme prêtée
assez
242 YUNUS Mohammed, « Vers un monde sans pauvreté
». op. cit. p.321.
243 Idem.
244 ABANDA, Ambroise. op. cit.
245 PEEMANS-POULLET, Hedwige. « La miniaturisation de
l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op.
cit.
246 DELALANDE. Nicolas, op. cit.
247 Idem.
248 Ibid.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 134
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
rentable devant la présence d'une demande importante ;
et comme « il y a beaucoup plus de pauvres que de riches, on peut aussi
bien faire fortune avec les petits pauvres qu'avec les gros
riches249».
Section 1 : Le MC et les nouveaux paradigmes de
développement
Beaucoup de chercheurs estiment que le MC ne doit pas
être conçu comme un phénomène purement local, mais
il doit « s'inscrire dans le processus général de
mondialisation », reconnu comme un « levier de développement
», cependant, il ne représente « qu'un élément
important qui doit rentrer en synergie avec d'autres facteurs pour obtenir des
changements durables et significatifs250 ».
§ 1 : dilution de la mission sociale du MC dans le
référentiel du marché
Depuis son apparition dans les années 1970, le MC a
évolué pour devenir une véritable industrie au niveau
mondiale, composée d'une grande ramification d'organisations fournissant
des services financiers aux pauvres entrepreneurs. Cette industrie a
donné naissance au terme de « commercialisation », un nouveau
paradigme251 par lequel les institutions de microfinance (IMF) se
doivent d'assurer la pérennité de leurs activités de
façon indépendante des subventions et de gérer leur
fonctionnement selon une approche commerciale, de façon à ce que
les services délivrés puissent être assurés sur le
long terme. Par ailleurs, la commercialisation s'est accompagnée d'une
évolution du financement du MC à deux niveaux252 et
par : le niveau de la dynamique de l'investissement international et celui des
institutions avec l'évolution de leurs structures de financement vers le
modèle des banques traditionnelles.
En 1997, à Washington et au moment de son premier
sommet médiatisant l'efficacité de son action contre la
pauvreté, le MC était assimilée à un tournant
historique pour l'humanité. Toutefois, les célébrations
faites au MC sont aussi fastes au point qu'il peut paraître
249 Hedwige Peemans-Pollet_Défis du Sud. op.
cit.
250 SERVET J.M., DOLIGEZ François, GUERIN Isabelle &
GENTIL Dominique (Sciences au Sud- le journal
de l'IRD - mars/avril 2004).
251 URGEGHE, Ludovic. «Commercialisation et financement de
la microfinance : quels enjeux de gouvernance ?
», Reflets et perspectives de la vie
économique, 2009/3 Tome XLVIII, pp. 39-50. Url
http://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique
252 Idem.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 135
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
intolérable sinon « interdit » d'interroger
les limites de ce mouvement qualifié d'une sorte de «
révolution de la finance ».
Pour J.M. Servet, « trop de mythes continuent de circuler
autour de la nature, l'impact et les effets du microcrédit
»253, et pour lui ceux qui diffusent les prêts qui
mènent « régulièrement à un surendettement des
emprunteurs » 254 doivent être dénoncés. Aussi, le
microcrédit est fortement accusé de servir le
néo-libéralisme et de renforcer les inégalités et
les hiérarchies sociales.
Tant ses défenseurs que ses opposants se trompent de
cible, bien qu'il ne doit pas être considéré comme
instrument unique de lutte contre la pauvreté et les
inégalités à partir du moment où il ne peut
qu'être un simple « service » auquel les pauvres devraient
avoir droit.
Parmi les limites255 de cette forme d'intervention
financière on trouve la faible implantation dans le rural, pendant que
le milieu urbain fait l'objet d'une intense concurrence entre AMC.
Actuellement, le microcrédit tend vers la domination de
l'approche commerciale, et dans de nombreux pays s'est d'ailleurs
développé un véritable marché dédié
à ce genre de prestation. Kamala Marius Gnanou parle de l'inexistence
d'une réponse claire et définitive quant au rôle
joué par cet outil dans le processus de mondialisation, tout en
révélant que ses effets sont multiples et peuvent renforcer des
évolutions allant dans le sens de la mondialisation avec des
répercussions parfois tragiques256, comme c'est le cas
d'incitation de personnes vulnérables économiquement à
l'endettement.
Bien que le microcrédit soit promu d'une manière
faisant croire que les plus pauvres et les plus vulnérables peuvent
devenir entrepreneures et créateurs de leur emploi, favorisant ainsi le
processus de mondialisation. Celui-ci peut devenir un filet de
sécurité retardant « l'explosion » sociale mais sans
être une réelle issue de secours durable à l'égard
de la
253 FOUILLET, Cyril et al. , op. cit.
254 Idem.
255 SERVET, Jean Michel. (2006). Banquiers aux pieds
nus, La Microfinance. Editions Odile Jacob, Paris
256 MARIUS-GNANOU, Kamala. « Mondialisation,
activités économiques et nouveaux rapports de genre »,
UMR Ades-CNRS, Université de Bordeaux, version auteure, Acte du Colloque
« Genre en mouvement, Conflits, Négociations, Recompositions
», 30 sept-2 oct. 2009
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 136
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
pauvreté. Ainsi, le microcrédit participe au
mouvement de mondialisation en devenant une «forme de
subsidiarité» de l'action publique dont l'efficacité est
à revoir en profondeur.
Point 1 : Le MC, une facette du « micro
» capitalisme
1. Le microcrédit comme instrument
néolibéral
Selon les travaux de Georg Simmel et de Karl Polanyi la
monnaie est bien plus qu'une marchandise permettant simplement de faciliter la
réalisation de l'échange marchand257. Son rôle
sociétal est souvent considéré comme une survivance des
sociétés traditionnelles bien qu'il soit, en fait, un
élément fort des sociétés modernes. En effet,
parallèlement au développement de la concurrence marchande, il
s'étend aux différentes sphères de la vie sociale. C'est
dans cette perspective que s'est investi le courant du MC pour lequel une
simple vue du processus de son mouvement l'incarne plus comme « une
nouvelle extension de l'esprit capitaliste. Celui-ci s'incarne dans les
objectifs de lutte contre la pauvreté du fait de leur logique
néolibéral258 ». Or, le microcrédit a pris
son essor dans les années 1980 comme il a connu une diffusion rapide et
une reconnaissance internationale comme il a suscité de grands espoirs
en tant que voie permettant aux pauvres de se prendre en charge. Il constitue
un élément concurrentiel essentiel et traduit, selon l'expression
d'un des plus hauts responsables de la Banque mondiale, la «vibration du
marché259» dans les aires les plus pauvres.
L'une « des multiples manifestations de la
financiarisation » qui s'est étendue et intensifiée au cours
du dernier quart du 20ème siècle sous la pression des
idéologies néolibérales qui « faisaient de la finance
et de la monnaie un vecteur essentiel parce qu'en apparence
neutre»260 et ce afin d'assurer la dominance et le
contrôle du marché mondial.
Sa pratique s'accompagne parfois de règles très
strictes, d'un protocole minutieux et apparait comme l'un des aspects d'une
nouvelle « fabrique de l'habitus économique» (selon Bourdieu),
le MC participe à ce processus et on observe d'ailleurs la mise en place
et
257 GLOUKOVIEZOFF, Georges. op. cit.
258 SERVET, Jean Michel. (2006). Banquiers aux pieds
nus. Editions Odile Jacob _ Paris, 511 pages.
259 GENTIL Dominique & SERVET Jean-Michel. « Entre
« localisme» et mondialisation : la microfinance
comme révélateur et comme levier de changements
socio-économiques ». Tiers-Monde. 2002, tome 43
n°172. pp. 737-760. Url_
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers
260 Idem.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 137
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
l'application d'une véritable doctrine de la discipline
financière qui vise la maîtrise de l'argent qui circule entre les
mains des pauvres.
L'orientation commerciale des organisations de
microcrédit provoque des divisions entre réseaux de
microcrédit et ceux de l'économie solidaire. Or il semble que peu
de gens se soucient réellement du sort des destinataires du MC puisque
le système néolibéral est le seul qui donne à
penser que l'imputation des coûts aux bénéficiaires de
certains services présente la meilleure solution. Et pourtant, les
subventions restent une nécessité, notamment dans les domaines
sociaux et sont indispensables dans un contexte marqué par une
financiarisation croissante. Le soutien public permettrait uniquement au MC de
se développer auprès de clientèles peu ou non rentables et
d'assurer la coordination des différents acteurs, en vue d'une offre
équilibrée et adaptée.
Le succès du MC repose sur la discipline aussi bien au
sein de la clientèle que des institutions du MC. D'un autre
côté Brigg Morgan261 montre, dans ses études sur
la Grameen Bank, comment une telle discipline se transforme en véritable
rituel lorsqu'en particulier l'agent de crédit arrive hebdomadairement
devant le groupe rassemblé pour lui remettre le remboursement du
prêt en cours, les membres du groupe se lèvent, le saluent et
récitent le slogan de la Grameen : « Discipline, Unité,
Courage, Travail dur ».
Contrairement au système bancaire qui impose certains
pratiques formelles permettant aux banquiers d'évaluer la
solvabilité des clients tout en leur exigeant des garanties, Mohammed
Yunus évoque que les clients du MC doivent uniquement « faire
preuve de leur pauvreté262», pour pouvoir en
bénéficier et être, ainsi, exonérés de
justificatifs et de garanties.
Malgré les critiques qu'on a pu retenir à propos
du MC, il est clair que bon nombre de ses bénéficiaires, qui
enclenchent le cercle de l'investissement, est relativement significatif. Les
autres, qui l'utilisent comme moyen de lissage des besoins de
trésorerie, demeurent dépendants d'un service financier
permanent. Ce constat peut cependant être interprété de
deux manières. La première, selon le point de de vue «
capitaliste » véhiculé par les AMC et l'aide internationale
dont la vision est aussi libérale et individualiste, en ce qui touche au
développement économique. En outre, la main invisible du
marché régule l'ensemble des
261 MORGAN Brigg 2006: 79-80
262 YUNUS, Mohammed. Vers un monde sans pauvreté. op.
cit.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 138
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
activités de production d'individus pour lesquels le
sens de l'évolution de cette production est caractérisé
par une diminution des coûts assortie d'une amélioration des
performances matérielles de la société. La deuxième
analyse d'un point de vue plus anthropologique, vise à permettre aux
gens de se soulager de la souffrance, de jouir des biens de consommation
voulus, de progresser socialement et d'être indépendant,
l'activité productive devient incontournable. Ici, les coups durs de la
vie sont absorbés «matériellement», soit par des
assurances individuelles ou par des systèmes de protection sociale
collective mis en place. Quoique la dynamique d'ensemble des modèles de
développement est basée sur l'accumulation individuelle où
le crédit, dans sa conception occidentale, est considéré
comme accélérateur d'évolution.
Le MC conçu comme modèle économique est
devenu credo pour des notables comme Hillary Clinton, qui est touchée
par " la capacité de ces prêts à permettre aux femmes les
plus pauvres de débuter une activité et de sortir ainsi leurs
familles et leurs villages de la pauvreté" ou Paul Wolfowitz,
ex-président de la BM, qui évoque l'ingénieux "pouvoir de
transformation" dont dispose le MC. Alors que Mohammed Yunus le
considère en tant que mobilisateur du «social business» qui
est décrit comme « une entreprise qui ne réalise pas de
perte et ne distribue pas de dividendes» 263. Or cette vision
ressemble bien à celle d'une association ou ONG à but lucratif du
fait qu'il reste « (...) différent, fonctionnant
conformément aux principes de gestion qui concourt dans une entreprise
classique » 264 et ajoute que ce genre de business « vise à
couvrir au moins l'ensemble de ses coûts, même s'il crée des
biens et des services procurant des avantages sociaux »265 au
point de « (...) porter le combat pour l'élimination de la
pauvreté à un niveau supérieur » 266.
Point 2 : Le MC, n'est -il pas un «
piège » pour les pauvres (face à l'épargne) ?
Pour Hedwige Peemans-Pollet l'idée de départ du
capitalisme a toujours été de « convertir l'argent qui
circule sans intérêt en argent qui circule avec des
intérêts et de ramener tout ça dans le secteur de la
banque267 ». Toutefois, le microcrédit met en
évidence l'imbrication du social et de l'économique et plusieurs
fois se trouve en situation de puiser dans le référentiel social
comme le remarque Michel Lelart, surtout en Afrique, « l'acte
d'épargne n'est pas
263 YUNUS, Mohamed. Vers un Nouveau Capitalisme. op. cit.
p.55
264 Idem.
265 Ibid.
266 Ibid.
267 PEEMANS-POLLET, Hedwige. op. cit.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 139
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
posé dans le temps mais dans
l'espace»268. Ceci, alors que l'individu ne cherche pas la
garantie de son avenir tout seul en plaçant discrètement son
argent pour en disposer demain. II « privilégie ses relations
sociales, il s'enracine dans un groupe »269, en trouvant
auprès des autres membres de la société la
sécurité dont il a besoin. C'est l'investissement social qui fait
la différence, puisque «l'épargne n'est pas une attitude
face au temps qui passe »270, mais plutôt, une position
au sein du milieu social. Solidarité, assistance, aide, appui,... ce
sont là des valeurs sociales où sont puisées et
satisfaites diverses carences sociales.
En fait, les associations informelles de types
tontinières agissent par des regroupements volontaires d'individus
proches qui s'élisent et se donnent comme obligation de livrer, à
échéance régulière, une somme fixe, au collectif
qu'ils forment. A tour de rôle, les membres utilisent le total des
dépôts et doivent le restituer à l'issue de la
période. Ces sommes constituent simultanément une épargne
collective disponible et un prêt, dont chacun peut profiter à son
tour. Le fait de déposer régulièrement une faible somme
d'argent constitue une incitation à économiser, donc une
manière de se forcer à ne pas vivre au jour le jour, et de se
constituer une réserve. Ces pratiques soutiennent l'apprentissage
collectif, les membres se connaissant, se font confiance, s'entraident mais
simultanément n'hésitent pas à faire pression sur ceux qui
seraient tentés de manquer à leurs engagements.
1. Les tontines africaines, expérience regroupant
épargne et crédit
On peut constater que le problème ne concerne pas la
formation de l'épargne puisqu'il existe déjà dans la
plupart des pays en voie de développement et certains parlent même
«des gisements d'épargne»271 mobilisés par
les tontines. Ainsi la difficulté serait de mobiliser cette
épargne et de la faire servir au financement de l'économie et de
l'investissement productif. Il y a non seulement ces sommes
considérables qui échappent au système bancaire formel
mais aussi le défi des systèmes traditionnels d'entraide
économique qui se basent sur des règles de mutualisation en
dehors de la question d'intérêts. En fait, ces
268 LELART, Michel. (1990). Les circuits parallèles de
financement : état de la question », L'Entrepreneuriat en
Afrique francophone. Paris, Aupelf-Uref, 1990, p. 52.
269 Idem.
270 Ibid.
271 PEEMANS-POLLET, Hedwige. « La miniaturisation de
l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op.
cit.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 140
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
tontines présentent une forme originelle
d'épargne et de crédit où chaque membre « accepte de
prêter et d'emprunter à la fois »272.
Eric Toussain273 dévoile une autre facette
du microcrédit en la soumettant à un examen minutieux, tout en
révélant qu'au-delà du droit des femmes à
s'endetter, le microcrédit représente une façon de
«récupération (par les circuits du Nord) de l'épargne
des femmes», et «dévoile» la mainmise exercée par
la Banque mondiale et des banques privées sur les envois des migrants
vers leurs familles.
Toutefois, Hedwige Peemans-Poullet a fait le rapprochement
entre systèmes traditionnels du Sud (tontines, etc.) et ceux de
protection sociale européens construits sur des modèles
mutualistes274. En réalité, ces systèmes
traditionnels présentent l'avantage d'être conduits par leurs
bénéficiaires dans la mesure où « l'effort
d'épargne se situe davantage au coeur d'une relation de chacun avec les
autres que d'une relation isolée de chacun dans le temps. (...) Il
s'agit d'un mode de développement (...) contrôlé par les
intéressés et concernant les intéressés
»275.
Source : L'image dans son contexte sur la
page www.dossierde-surendettement.blogspot.com/
272 LELART Michel et LESPES. J.L. Revue de l'Economie Sociale
n°5, juillet-septembre 1985, pp. 157-159
273 TOUSSAIN, Eric.. La Finance contre les peuples.
pp.239-240
274 PEEMANS-POULLET Hedwige « La miniaturisation de
l'endettement des pays pauvres passe par les femmes », op.
cit.
275 LELART Michel et LESPES J.L. cité par Elisabeth
Hoffmann et Kamala Marius -Gnanou
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 141
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
|