Le microcrédit au Maroc. Tensions entre performance commerciale et finalité sociale.( Télécharger le fichier original )par Brahim NAHI Université Mohamed 5 _Faculté de droit Agdal Rabat - Master spécialisé en Management de développement social 2012 |
§ 2 : Présentation du secteur au MarocLe Maroc se dote d'un secteur de microcrédit fort et dynamique, et rare sont les pays qui en disposent. Reconnu comme un champion du microcrédit, servant 40 %181 des clients dans le monde arabe, il compte également certaines des organisations les plus performantes en la matière, au niveau international. Entre 2003 et 2008, le nombre des clients actifs a été multiplié par quatre, passant de 300.000 à 1.200.000182. 179 DUVAL, Ann. Op. cit. 180 Membres du CCMC : Selon l'article 19 de la loi N° 18-97 relative au microcrédit : Il est institué un conseil consultatif du microcrédit composé : de représentants de l'administration ; de représentants des associations des chambres professionnelles ; de représentants de la Fédération Nationale des Associations de Microcrédit ; d'un représentant de Bank Al Maghreb ; d'un représentant du Groupement Professionnel des Banques du Maroc ; d'un représentant de l'Association Professionnelle des Sociétés de Financement. 181« Le secteur marocain du microcrédit en 2010 : Eléments d'éclairage et d'analyse », Etude du Centre M6MS, 2011. 182 Idem. Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 84 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) Au cours de 2010, 12 AMC ont été en activité, totalisant un portefeuille d'encours d'environ 4,7183 milliards de dirhams et plus de 880.000 clients actifs. Et à fin 2011, le nombre de clients a subi une légère variation en baisse en enregistrant 997.700184 clients pour 4,6185 milliards de dirhams. Or, la finance informelle demeure une pratique courante au Maroc, qui a existé, depuis toujours, sous différentes formes186 (thésaurisation, usuriers, «Dart» ou «Jamaiat»). Le recours continu à ces pratiques informelles s'explique largement par l'absence d'une offre financière adaptée aux besoins des populations démunies et des microentrepreneurs, chose qui trouve son explication partiellement dans le taux faible de bancarisation187 de la population qui tourne aux alentours de 20%. Toutefois, l'apparition du MC au Maroc, dans les années 1990, a bouleversé réellement la donne de la finance informelle sans l'abattre totalement du fait qu'il continue toujours d'exister dans certaines couches sociales. D'année en année, l'expérience marocaine s'est considérablement enrichie, et les capacités des AMC se sont réellement renforcées. Aujourd'hui, le secteur recèle un immense potentiel de développement. Point 1 : Fondements et référentiels du secteur Au Maroc les activités de microcrédit ont débuté au milieu des années 1990, malgré cela le microcrédit reste relativement jeune au pays. La première mention de cette notion, a été faite en 1992, lors d'une conférence organisée par l'Ecole Nationale pour l'Agriculture de Mekhnès sur la désertification au Maroc. Afin de répondre aux besoins des populations démunies et des microentrepreneurs, et à la lumière de l'émergence du microcrédit de par le monde, les premières opérations de MC débutèrent effectivement au Maroc en 1993, avec l'appui de l'ONG « AMSED188 », ainsi le premier prêt a été accordé en 1993 à une femme. Par la suite, à la fin des années 1990, plusieurs actions ont été entamées soit par les autorités 183 « Le secteur marocain du microcrédit en 2010 : Eléments d'éclairage et d'analyse », op. cit. 184 Chiffres du Centre Med 6 pour le soutien de la microfinance solidaire 185 Idem. 186 ABDAIMI M, (ed.). (1991). La finance informelle au Maroc. in Salahdine Mohamed, L'emploi invisible au Maghreb, SMER, Rabat, p.83. 187 Cela ne s'explique pas par une volonté d'exclusion, mais probablement par la non rentabilité financière des produits offerts (dispersion géographique de la population, absence de garanties réelles...) pour des banques soumises à des contraintes de rentabilité. 188 Association Marocaine pour la Solidarité et le Développement Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 85 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) publiques, soit par les bailleurs de fonds ou par des ONG. Et ce dans le but de consolider le secteur et de renforcer les capacités institutionnelles et financières des AMC. C'est à partir de 1998 que le programme Microstart du PNUD189 a fourni une assistance financière et technique aux associations de MC marocaines avec un budget 1,7 millions US$. Cet appui au secteur a été suivi par celui de l'USAID190 pour plus de 16 millions US$ en faveur surtout de l'association Al Amana. L'octroi de microcrédit a longtemps été une composante des activités d'ONG généralistes qui ont dû diviser leur structure en 1999 avec la mise en vigueur de la loi sur le microcrédit qui exigeait la séparation des programmes de microcrédit de leurs ONG mères. A ces efforts de soutien du secteur s'ajoute une subvention de 100 millions de DH du fonds Hassan II pour le développement économique et social en 2000. Cette contribution financière a permis d'accroître le nombre et le montant des prêts accordés, en particulier pour les deux principales associations de l'époque (Al Amana et Zakoura191). Face au développement des activités de microcrédit, les pouvoirs publics ont adopté, en 1999, un cadre réglementaire (la loi n°18-97) et confié la supervision du secteur au ministère des Finances et à la banque centrale (Bank Al Maghreb). En fait, le MC au Maroc représente une expérience assez riche et un exemple à suivre pour les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Le secteur a, effectivement, connu un développement remarquable puisqu'aujourd'hui 12 Associations de Microcrédit (AMC) de tailles différentes exerçant tout en servant plus de 800 000 clients actifs et employant plus de 4700 personnes permanentes. Le marché est très concentré avec deux associations (Al Amana et la Fondation BPMC) qui détiennent, à ce jour, plus de 60% du marché local. Le microcrédit reste relativement adapté aux besoins du pays en raison de l'importance de la pauvreté dans le pays, la domination de la microentreprise et de l'activité informelle. 189 Programme lancé en février 1998 par le PNUD pour apporter un appui technique et financier au secteur de microcrédit. 190 Agence des USA pour le développement international (USAID). 191 Zakoura Microcrédit est absorbée par la FBPMC courant l'année 2009. Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 86 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) Les Associations de microcrédit opérationnelles
En principe, divers critères peuvent être mobilisés pour rendre compte de la performance des AMC. Comme le montant des crédits est plafonné en vertu de la loi, le nombre des clients servis peut donner une idée sur le poids de chaque AMC. En adoptant ce critère les AMC peuvent être classées comme suit (voir tableau n°1 ci-dessous) : 192 Tous les acteurs du secteur au Maroc sont des ONG, et même les deux banques qui ont décidé de poursuivre le microcrédit ont décidé de le faire à travers une association séparée de la banque. 193 Site web de la fédération nationale des associations de microcrédit (FNAM) : www.fnam.ma (30/09/2010). Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 87 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) Tableau n°1 : La liste des AMC opérationnelles selon le nombre de leurs clients actifs au 30/09/2010.
Source194 : Données tirées à partir du site web de la FNAM. Ces données montrent que le secteur est caractérisé essentiellement par son hétérogénéité. Par conséquent, trois grandes entités de tailles différentes peuvent être distinguées : ? Les grandes AMC : cette catégorie se compose de quatre grandes associations (ALAMANA, FBPMC, FONDEP, ARDI) disposant chacune de plus de 100.000 clients actifs. Ces quatre AMC sont toutes de vocation nationale. Elles arrivent à réaliser leur viabilité opérationnelle et financière comme en témoignent les ratings195 réalisés, aussi elles arrivent à drainer des financements de sources nationales et internationales; ? Les AMC de taille moyenne : il s'agit de deux associations
moyennes ayant plus de 194 Site web: www.fnam.ma Op. cit. 195 Les rapports de rating représentent une opinion objective et indépendante sur la solvabilité des institutions. Pour plus de détails sur le déroulement du rating, voir le document publié par Patrick Kerr et Gregory Thys in Micro Rate Africa : www.microrate.com Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 88 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) ? Les petites AMC : il s'agit des AMC à vocation régionale ou locale (INMAA, ISMAILIA, AMOS, ATIL, FONDATION MICROCREDIT DU NORD), à l'exception d'INMAA qui a un rayon d'action nationale. Elles servent chacune moins de 10.000 clients actifs. Ces institutions gagneraient à renforcer leur attractivité vis-à-vis des sources de financement. Au total, le secteur de microcrédit au Maroc est un secteur hétérogène, caractérisé par un développement inégal des AMC qui le forment. Point 2 : Un secteur en mutation Le secteur de microcrédit au Maroc a connu de profonds changements durant ses vingt ans d'existence : une vulgarisation de taille et une croissance impressionnante sur le plan mondial. En effet, les principaux événements qu'a vus le secteur sont récapitulés ci-après : - 1993 : Octroi du 1er prêt microcrédit a la région de Khénifra ; - 1995 : Création de la Fondation ZAKOURA196 ; - 1995 : Création de AMSSEF ; - 1996 : Création de FONDEP ; - 1997 : Création de AL AMANA ; - 1998 : Création de FBP MC ; - 1998 : Lancement du Programme Micro Start du PNUD ; - 1999 : Promulgation de la loi 18-97 relative au microcrédit ; - 1999 : Création de AL Karama ; - 1999 : Création de INMAA ; - 2000 : Création de AMOS ; - 2000 : Appui financier du Fonds Hassan II ; - 2001 : Création de la fondation ARDI (CNCA) ; - 2001 : Création de la FNAM ; - 2003 : Amendement de la loi 18-97 (Loi 58-03 : Amélioration des conditions de vie); - 2005 : Forum National de la Microfinance ; - 2006 : Fixation du plafond de microcrédit à 50.000 DH ; - 2007 : Création du Fond de refinancement de microcrédit «Jaida » au Maroc ; - 2007 : Création du Centre Mohamed VI pour le soutien de la Microfinance solidaire. 196 AMC qui ne fait plus partie du maillage du MC au Maroc, elle a été fusionnée à la FBPMC en 2009 Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master Spécialisé Management du Développement Social 89 Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance) - 2007-2009 : Crise des remboursements au sein du secteur ; - 2009 : Restructuration du secteur de MC par l'intervention de l'Etat ; - 2009 : Fusion-absorption de la Fondation Zakoura MC par la FBPMC ; - 2010 : Regroupement en réseau de 8 petites et moyennes associations, elles se sont agrégées à Crédit Agricole du Maroc au sein du «Réseau Microfinance Solidaire (RMS)»; - 2011 : Retrait de la licence à la Fondation Zakoura MC ; - 2011 : Amendement de la loi 18-97 par la loi n° 53-10 ; |
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