Partie I : Le Microcrédit au Maroc, un outil
émergent de la politique publique sociale
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 28
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 29
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
INTRODUCTION
La première partie du rapport se compose de deux
chapitres, le 1er chapitre est une présentation succincte de
la politique publique sociale au Maroc y compris certains projets phares
dédiés à l'amélioration des infrastructures de
base. Le second chapitre examine la promotion du MC comme un levier de
développement socio-économique permettant création de la
richesse, amélioration des conditions de vie, émancipation
sociale, réduction des pauvretés, ...etc. Il tente, aussi, de
nuancer les deux acceptions du MC : est-il un dispositif de
développement social ou juste un instrument financier plus ajusté
à l'échelle micro pour répondre aux besoins d'une
clientèle particulière.
Dans cette partie on examine l'importance de la valeur
qu'accordent les pauvres au MC dont l'utilité se démarque
notamment en tant que filet de sécurité permettant de
«transiter» la zone de vulnérabilité. Elle conclut en
outre que le MC diffère de l'assistanat et admet le financement de
l'investissement productif à l'instar des AGR participant à la
création de la richesse.
Chapitre I : Présentation et analyse de la politique
publique sociale au Maroc
La dimension sociale a toujours fait partie des
préoccupations du pouvoir public au Maroc. Ceci est affirmé par
l'affectation d'une part significative du budget de l'Etat aux secteurs
sociaux. Les dernières années ont été
marquées par la forte émergence de la société
civile et le renforcement de la solidarité nationale. De nombreux
acteurs participent activement à l'effort développementaliste
sociétal en partenariat avec l'Etat.
Certes, le bilan social du PAS (Programme d'Ajustement
Structurel appliqué au Maroc durant les années 1980) était
lourdement déficitaire chose qui a exigé une expansion des
programmes publics ou « privés » (société
civile) à caractère social. Etant donné le déficit
important enregistré au niveau des indicateurs sociaux, l'Etat a ouvert
divers chantiers sociaux en appelant d'importants investissements afin
d'atténuer les carences et y remédier aux manques
constatés.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 30
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
Le 1er chapitre se propose de présenter
sommairement la politique publique sociale au Maroc (section 1), de faire son
analyse avant d'aborder dans la 2ème section le cadre
réglementaire et institutionnel de ladite politique (PPSM) pour en
terminer avec le cas de l'INDH (Initiative Nationale pour le
Développement Humain) et la place qu'elle a réservé au
microcrédit dans ce projet décrit comme chantier de
règne.
Section 1 : Le référentiel social de la
politique publique
§ 1 : Présentation de la politique publique
sociale au Maroc
Dans le domaine social, le Maroc a mis en place, depuis les
années cinquante, une stratégie de développement social
basée sur l'élargissement de l'accès des populations
défavorisées aux services sociaux de base, l'accroissement des
opportunités d'emploi et de revenu et le renforcement de
l'intégration sociale des précaires. Cette stratégie a
été mise en oeuvre à travers un certain nombre de
programmes tels que le programme d'équipement rural, de lutte contre la
pauvreté et l'exclusion, de logement social et de lutte contre l'habitat
insalubre, programme national pour l'emploi, programme ville sans bidonville
... et aussi par l'initiation d'un certain nombre de réformes :
réforme du secteur de l'Education, de la Santé, de l'emploi, de
la protection sociale, ...etc.
Point 1 : Conception d'une vision du développement
social
Dans les années 80 du dernier siècle, la crise
économique des PVD a été marquée par le poids de la
dette extérieure. Les instances de Brettons Woods sont entrées en
ligne en proposant à ces pays des plans de relève. A l'instar des
pays touchés par cette crise, le Maroc s'est lancé en 1983 sous
l'impulsion du FMI et de la BM dans un programme d'ajustement structurel (PAS),
« pour faire face aux faiblesses de l'économie marocaine au niveau
interne et externe ainsi que pour rétablir ses grandeurs
macro-économiques au niveau de la balance des paiements et de la dette
extérieure »33.
Depuis 1995, la lutte contre la pauvreté a
été retenue au Maroc comme une priorité nationale et est
devenue l'une des préoccupations majeures de l'État. Ainsi et en
général, en matière de lutte contre la pauvreté,
deux axes d'intervention ont été identifiés. Le premier
33 BENJELLOUN, Mohammed Amine. (2006). Impact du
microcrédit sur l'activité économique : cas de
l'ASMSSF/MC. Université Sidi Mohammed Ben Abdellah - FES -
Mémoire de Licence fondamentale.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 31
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
axe couvre des programmes de court terme avec des actions
à caractère concret et parfois urgent tandis que le second
constitué des actions de long terme qui forment ce que l'on peut appeler
de façon large la politique de développement économique et
social.
En effet, le développement social au Maroc a pris une
nouvelle ampleur par l'appui de l'Etat et la mobilisation des ONG. La part du
budget de l'Etat accordée au social est passée de
3934% à plus de 47% entre 1993 et 2002 pour atteindre plus de
50% en 2010. Les secteurs sociaux font ainsi l'objet de programmes d'envergure,
particulièrement l'éducation, la formation et les infrastructures
de base.
En parallèle, le Maroc s'est lancé dans
l'amélioration de son système de prévoyance sociale et la
modernisation de ses filets de sécurité. De plus de nombreuses
institutions gouvernementales (Fonds Hassan II pour le développement
économique et social, l'Agence Nationale de Promotion de l'Emploi et des
Compétences, l'Agence de Développement Social,...) ont
été créées pour mettre en oeuvre une
stratégie dans le domaine social.
Ainsi, une réorientation de la politique de
développement économique et sociale35 s'est
opérée. Déjà au niveau du discours, les mots
pauvreté et exclusion sociale ont remplacé ce qui était
dit dimension sociale de l'ajustement. Plus concrètement, des politiques
spécifiques de lutte contre la pauvreté ont vu le jour. Les
pressions intérieures et le contexte international ont favorisé
l'émergence et l'usage de nouveaux concepts.
L'axe développement du capital humain met de l'avant le
fait que la vraie lutte contre la pauvreté dépend de la mise en
valeur de ce dernier à travers l'accès des populations aux
différents services sociaux de base et à toutes les
infrastructures. L'objectif de long terme vise à renforcer les
capacités des populations à générer des revenus
durables qui les aident à sortir du cap de la pauvreté.
Certains des programmes de cet axe ont été mis
en place depuis l'indépendance et ont été toujours
reconduits et parfois ajustés. Ils ont en fait constitué le noyau
de ce qui est devenu
34 Rapport du Ministère d'Economie et des
Finances. Année 2002.
35 ABDELKHALEK, Touhami. (2009). Cadre
stratégique national de réduction de la pauvreté au Maroc
: à propos du concept de pauvreté et analyse de la situation.
Septembre 2009.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 32
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
par la suite des filets de sécurité (l'Entraide
Nationale, la Promotion Nationale, la Caisse de Compensation, les Cantines
scolaires, ..., etc.). Au fil des années, ces programmes ont plus ou
moins réussi à toucher une partie assez importante de la
population défavorisée. Au niveau de leur financement, plusieurs
de ces programmes ont été soutenus par des apports
d'organisations internationales.
L'axe assistance sociale des pauvres, au niveau de cette
stratégie, est peut-être le plus visible pour la population. Pour
éviter que cette assistance n'incite à la dépendance,
source d'une plus grande vulnérabilité dans le futur, la
stratégie de lutte contre la pauvreté n'adopte ce type
d'interventions que pour des strates spéciales de la population
défavorisée : les enfants abandonnés ou sans familles, les
personnes âgées sans assistance, les mères de familles sans
ressources régulières, les sans abri, les personnes
handicapées inactives, les femmes célibataires sans revenu ...,
etc.
Les différents axes de cette stratégie ont
été déclinés en plusieurs mesures et actions.
Certaines, d'ordre structurel, visaient principalement l'amélioration de
l'accès des populations pauvres actives à des emplois et à
des ressources productives. Un deuxième groupe de mesures cherche
à renforcer et à améliorer le niveau de ciblage des
différents filets de sécurité mis en place pour venir en
aide aux pauvres. D'autres, plus macroéconomiques, cherchaient à
rationaliser les dépenses publiques sociales en essayant de les
infléchir en faveur des secteurs sociaux.
Sur le plan pratique, un premier programme de priorités
sociales a été rapidement conçu et mis en place
baptisé BAJ1. Dans celui-ci, les provinces36 les plus pauvres
ont été retenues pour bénéficier de trois projets
intégrés : l'éducation de base, la santé de base et
les actions de la promotion nationale.
« En 20 ans, des progrès notables ont
été accomplis, attestés par l'évolution positive de
la plupart des indicateurs sociaux et socioéconomiques. Mais les
progrès enregistrés sont constamment meilleurs en milieu urbain
qu'en milieu rural où les déficits sociaux persistent
36 Au nombre de 14 provinces à l'époque
(Année 1997)
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 33
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
s'accompagnant d'une recrudescence de la pauvreté
rurale observée dans la décennie 90. Pourtant depuis le milieu de
cette décennie, les dépenses publiques dans les secteurs sociaux
ont connu une forte progression, particulièrement dans le milieu rural
et les provinces défavorisées. D'ambitieux programmes
d'infrastructure à orientation rurale comme le PERG, le PAGER, le PNCRR
sont venus compléter les dépenses publiques sociales sectorielles
et les autres programmes de développement rural (...) 37»
Dans le domaine de la santé, l'action publique a permis
d'améliorer sensiblement la situation, ce qui est démontré
par l'évolution de l'offre publique de soins de santé et des
indicateurs sanitaires.
L'extension de la couverture médicale de base pour
toucher l'ensemble de la population doit en partie être résolue
par l'allocation de ressources nécessaires pour relever ce dilemme
d'accès aux soins. Une Loi cadre38 a été
adoptée par le Parlement pour la création de deux systèmes
d'assurance maladie : un régime d'assurance maladie obligatoire (AMO)
destiné à couvrir les salariés des secteurs public et
privé et des titulaires de pension ainsi que leurs ayants droit, et un
régime d'assistance médicale couvrant les populations
défavorisées (RAMED).
Outre l'éducation et la santé, le bien
être de la population nécessite la garantie de conditions de vie
décentes. Malgré les efforts publics dans les domaines sociaux,
la problématique de pauvreté présente un réel souci
pour l'Etat, passé de 13% à 19% entre 1990 et 1999 pour
régresser à 9,2% en 2010 selon le Haut Commissariat au Plan.
En plus de ces actions d'autres mesures visent à
améliorer les infrastructures de base et faciliter l'insertion
économique des personnes défavorisées telles que le
renforcement des programmes d'alphabétisation ou l'institution du
microcrédit.
Concernant les infrastructures sociales, le Maroc a
lancé, au cours des dernières années, d'importants
programmes d'amélioration des conditions de vie, tant en milieu rural
qu'en milieu urbain. En milieu rural, ces programmes ont visé
l'amélioration du taux d'accès à
37 GREFFT-ALAMI Abdeljalil, JAIDI Laârabi et
BENALI Driss. Pour une Politique de Développement Social
Intégré. Mission d'appui du PNUD au Ministère du
Développement Social de la Famille et de la Solidarité Travail.
p.10.
38 Loi 65-00 promulguée par Dahir 1-02-296 du
21/11/02relative à l'AMO et du RAMED.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 34
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
l'eau potable et le taux d'électrification rurale. Le
rythme des réalisations est accéléré grâce
à l'adoption d'une approche participative permettant l'adhésion
des populations à ces projets. Alors qu'en milieu urbain, la lutte
contre l'habitat insalubre est activée par l'élaboration d'une
nouvelle stratégie pour faire face aux déficits dans ce domaine
au profit des ménages nécessiteux.
Toutefois, la garantie de sources de revenus reste
indispensable pour améliorer les conditions de vie et réduire les
inégalités. L'emploi constitue la source la plus répandue
de revenu et un des facteurs importants de redistribution des richesses.
L'action des pouvoirs publics pour la lutte contre le
chômage s'inscrit dans la création d'un environnement favorable
à la croissance et aux investissements générateurs
d'emplois. D'autres mesures de promotion de l'emploi direct ont
été mises en oeuvre et ont concerné la formation des
ressources humaines ou l'encouragement à l'auto-emploi.
Point 2 : Elaboration d'une stratégie de
développement social (SDS)
Pour concrétiser cette tendance, les pouvoirs publics
marocains ont élaboré et mis en place une première
stratégie de développement social. Elle a comme objectif
explicite la réduction de la pauvreté, notamment en milieu rural.
Cette stratégie a vu le jour en janvier 2002, a fait appel à un
partenariat renforcé entre l'Etat, les Collectivités Locales et
les bénéficiaires. Ce programme devrait s'étaler sur dix
ans et nécessite un investissement global de près de 29 milliards
de dirhams.
Les infrastructures et services sociaux de base ont fait ainsi
l'objet de programmes d'envergure qui visent l'amélioration des
indicateurs de développement humain.
Cette stratégie est fondée sur
l'évaluation du bilan social du pays, les nouveaux concepts et
paradigmes animant les politiques modernes de développement
(développement durable, développement humain, inclusion et
cohésion sociale), les nouvelles règles régissant l'action
publique (coresponsabilité sociale, implication, partenariat,
transparence, efficacité et responsabilité de l'action publique)
et la dimension territoriale du développement pour des interventions
groupées dans l'espace et le temps.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 35
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
Présentée comme étant une
stratégie intégrée, elle s'articule autour de plusieurs
axes. En effet trois principaux angles d'attaque ont été
identifiés ; un angle de nature économique, un autre de
développement du capital humain et un troisième d'assistance
sociale directe aux populations dépourvues.
L'axe économique de cette SDS considère que la
véritable lutte contre la pauvreté à long terme passe par
une croissance économique forte et soutenue, couplée avec une
répartition plus correcte de ses effets. Cette croissance était
supposée aider directement, au moins en partie, les pauvres à
travers les nouvelles opportunités d'emplois et des revenus
générés, mais aussi indirectement puisqu'elle permet
à l'État de mettre en oeuvre et financer des programmes de lutte
contre la pauvreté.
Depuis la mise en place de cette stratégie nationale,
la tendance s'est accentuée et s'est traduite par un renforcement des
actions de lutte contre la pauvreté. Les secteurs sociaux ont
été placés au centre des priorités, même sur
le plan budgétaire. Sont présentées ci-après
certaines actions entreprises en la matière :
- la création de l'Agence de Développement
Social (ADS) (1999/2000) qui a pour mission la contribution à
l'amélioration durable des conditions de vie des populations les plus
vulnérables ;
- la mise en place du Fonds Hassan II qui se charge
d'améliorer l'habitat social, les infrastructures routières, les
projets d'irrigation, le secteur touristique, le sport et la culture, les
projets de microcrédit, ... ;
- l'adoption et la mise en place de la réforme de
l'enseignement (année 2000);
- l'adoption en 1998 de la loi sur le mode de fonctionnement
des structures financières impliquées dans le
microcrédit;
- la promotion de l'emploi à travers la mise en place
de nouveaux dispositifs et instruments susceptibles de dynamiser la
création d'emplois (l'insertion directe, la formation-insertion,
l'insertion par la promotion de l'entreprise et la réforme de
l'intermédiation au niveau du marché du travail
«ANAPEC») et d'autres mesures plus stratégiques visant les
petites entreprises ou l'emploi des jeunes.
Etudiant Chercheur : Brahim NAIII PFE _Master
Spécialisé Management du Développement Social 36
Le Microcrédit au Maroc : Tensions entre Performance
Commerciale et Finalité Sociale (Cas : Al Amana Microfinance)
- Lancement de l'INDH en 2005 en tant que chantier de
règne pour le pays dont l'objectif principal est de résorber les
déficits sociaux que connaît le Maroc d'aujourd'hui ; à
court et moyen terme par la réduction de la pauvreté, la
vulnérabilité, la précarité et l'exclusion sociale
alors qu'à long terme par l'instauration d'une dynamique pérenne
en faveur du développement humain et du bien-être de la
population.
Après avoir présenté dans la section
précédente le référentiel de la PPSM, on va
analyser par la suite cette politique à la lumière de son contenu
ainsi que ses effets en relation avec les aspects du développement du
pays.
|