III. L'Union européenne et l'Afrique : les
défis de la cohérence
La cohérence des instruments de l'UE exige un effort
politique et administratif de longue haleine. Sans les ressources humaines et
financières appropriées, la cohérence ne prendra pas
corps. La voie est donc ouverte aux dynamiques de réseaux et de partage
d'expérience, aux phases d'expérimentation et aux tests de
motivation politique. Comme dans d'autres domaines de l'action
extérieure, la cohérence, si elle gagne en épaisseur, le
fera au moyen des géométries variable. La clarification de la
représentation politique de l'Union, si elle a bien lieu, devrait jouer
un rôle clé d'impulsion à cet égard.
Les discussions de la gouvernance multipolaire et
l'interdépendance financière économique et commerciale
concernent aussi l'Afrique qui devient de plus en plus imbriquée dans la
mondialisation. Les enthousiasmes suscités par le continent ne doivent
pourtant pas faire oublier sa diversité. Les transformations en cours
doivent inspirer une réorientation de la cohérence des politiques
globales de l'UE en coordination avec d'autres niveaux d'action au plan
régional et national.
L'Afrique depuis une décennie, est sur la voie d'une
«structuration stratégique» dans tous les domaines des
affaires internationales. Face à ces changements, l'UE a fait preuve de
cohérence : elle a accompagné les institutions panafricaines et
sous -régionales dans leurs projets tout en cherchant négocier
des relations thématiques qui répondaient aux principes de ses
traités. Des déficits de cohérence perdurent cependant :
ambivalences des accord de partenariat économique, externalisation et
durcissement-au moins rhétorique- sur les politiques migratoires, et
surtout besoin de stratégies régionales plus concertées
avec les autres organisations.
L'Afrique change vite, mais les institutions changent lentement,
et les défis régionaux que l'UE se dit prête à
relever avec cohérence concernent le long terme. Les innovations et les
transformations, pour être cohérentes, devront s'inscrire et
être évaluées dans la durée. Le remplacement des
cadres de coopération Cotonou n'est donc qu'une étape
intermédiaire vers la formulation de nouvelles cohérences
à inventer en partenariat avec l'ensemble des acteurs africains qui
comptent. Chez les puissances régionales qui représentent des
marchés potentiels pour les produits européens, l'UE est
partagée entre ses intérêts économiques et ses
exigences politiques. Ceci dit, les investisseurs européens n'attendent
pas l'Union européenne pour s'engager et tenter de gagner des parts de
marché.
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Le profil bas de la diplomatie de l'Union et des Etats membres
leur permet d'avancer dans un climat qui n'est, à quelques exceptions
près pour certains Etats membres, marqué par aucune tension
politique majeure.
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Dans la gestion de crise, que l'Union ait affaire à une
anarchie sécuritaire généralisée ou à des
leadeurs manipulateurs et autoritaires, l'une des conditions essentielles de la
cohérence européenne dépend de la qualité des
analyses de terrain produites par le personnel européen, indispensables
pour un suivi exigeant des dossiers politico-militaires par une diplomatie
collective. De plus, sans appropriation africaine, les efforts de gestion de
crise de l'Union demeureront vains et se solderont par un échec.
Face aux crises politiques, la tendance est au
multilatéralisme : l'UE n'agit plus seul mais en coordination avec
d'autres. Elle participe à des groupes de contact internationaux plus ou
moins efficaces, elle soutient des médiations régionales et des
initiatives bilatérales africaines.
Les transformations des pays africains appellent donc à
une approche à la fois normalisée et différenciée.
Une approche qui s'émancipe des cadres cohérents existants pour
se concentrer au cas par cas sur ceux qui comptent : les puissances
régionales et les pays tiers qui assurent la responsabilité de
leur gouvernance, présentant ainsi un double potentiel de
stabilité et force de changement. En l'absence de tels interlocuteurs
africains porteurs de stabilité et de changement, l'UE pourra oeuvrer
à sa cohérence interne (par les instruments) mais sous garantie
immédiate ou à court terre d'efficacité ou d'influence.
L'action extérieure européenne en Afrique
subsaharienne reste dominée par les anciennes puissances coloniales dont
les approches bilatérales atteignent leurs limites aussitôt que
l'agenda implique d'autres acteurs géographiques. Face à
l'africanisation des gestions de crise (CER, Union africaine), elles doivent
marquer le pas et respecter les logiques d'appropriation. Dans ce cas, elles
ont intérêt à s'allier aux autres européens pour
faire valoir leur stratégie et s'appuyer sur les ressources
financières, normatives et humaines de l'Union.
Au niveau global et régional, elles ne sont que parties
aux processus d'harmonisation des normes et de régulation de l'aide
publique au développement, des échanges commerciaux ou du
maintien de la paix.
Là encore, leur expertise et leur expérience est
incommensurablement appréciable, mais leur agenda bilatéral, s'il
demeure ambigu ou contradictoire (critiques politiques ouvertes mais maintien
de l'aide, européanisation de façade mais maintien d'une logique
de sphère d'influence par exemple, risquera de les desservir tôt
ou tard).
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De la même manière, les institutions communautaires,
malgré leurs atouts irremplaçables, sont pinsonnières de
leurs propres procédures et incohérences administratives dont
seuls les Etats, grâce à leur autorité politique, peuvent
exiger la
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rectification. Les solutions sont sans doute à trouver
dans des initiatives de réseaux mêlant autorités et
politiques, experts nationaux et des institutions de Bruxelles ou en
délégation et experts extérieures. La nature hybride du
SEAE, à cet égard, représente grande opportunité,
pour autant que les efforts de diffusion de l'expertise et de
professionnalisation du personnel soient accrus.
En définitive, les rapports de force à l'oeuvre
autour des enjeux de cohérence favorisent ceux qui maîtrisent le
plus précisément -généralement grâce à
leur connaissance et leur expérience du terrain-les sujets
euro-africains et qui sont les seuls à même de justifier la valeur
ajoutée d'une approche sincèrement collective.(2)
1. Politique de développement
subordonnée?
Dans ses déclarations de politique extérieure ,
l'UE ne cesse d'insister sur l'importance et la nécessité d'une
plus grande cohérence et d'une articulation plus étroite entre
les différentes politiques (commerce ,pêche , agriculture,
politique migratoire, etc..) et stratégies communes , objectif qui est
également clairement énoncé dans le consensus
européen : « Nous réaffirmons notre engagement à
promouvoir la cohérence des politiques pour le développement ,en
garantissant à cette fin que l'UE tient compte des objectifs pour la
coopération ou développement dans toutes les politiques qu'elle
met oeuvre et qui sont susceptibles d'affecter les pays en développement
, et que ces politiques soutiennent des objectifs en matière de
développement» (2006,art . 9).
En principe donc, la recherche de la cohérence devrait
aussi guider les autres valets de la politique extérieure de l'UE,
dialogue politique et surtout politique commerciale.
En témoignent les nouveaux accords de partenariat
économique (APE) que l'Union cherche à conclure avec les pays ACP
et qui visent à faire aboutir le volet commercial des accords de Cotonou
(2000) officiellement motivés par la lutte contre la pauvreté,
les accords de Cotonou (3) ont marqué la fin d'une relation historique
privilégiée avec les ACP, fondée depuis plusieurs
décennies sur un régime commercial préférentiel
(4), en programmant la suppression progressive des préférences ,
l'instauration d'une régime de réciprocité commerciale et
la création de zones de libre-échange via un soutien a
l'intégration régionale.
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