1.3 L'intuition en psychologie
1.3.1 L'intuition selon la psychanalyse
Pour la psychanalyse, l'intuition est un outil à double
tranchant. En effet, Freud ne portait pas l'intuition haut dans son coeur, il
la comparait à la divination, ou à la voyance, termes qu'on
aurait pu employer pour caractériser la psychanalyse au début du
XXème siècle et dont il n'aura de cesse de se défendre. Il
insistera : la vision du monde scientifique assure qu'il n'y a d'autre
source de connaissance de l'univers que le travail intellectuel sur des
observations soigneusement scrutées, en d'autres mots, ce que nous
appelons recherche - et à cotéde cela, nulle connaissance qui
soit dérivée de la révélation, l'intuition ou la
divination. (Freud, 1933, p. 4758). La psychanalyse ne devait pas
être assimilée à de la parapsychologie, discipline
très en vogue au début du XXème siècle. D'autre
part, même si Freud admet que de nombreux philosophes tels que Leibniz,
Schopenhauer, ou Nietzsche aient eu des intuitions similaires aux siennes, il
se défend par sa position de scientifique, Etant moins soucieux des
questions d'antérioritéque de garder mon esprit libre et sans
embarras, j'ai longtemps évitéde fréquenter la
pensée de
26 1 L'intuition
Nietzsche, cet autre philosophe, dont les conjectures et
les intuitions sont d'une si étonnante convergence avec les recherches
laborieuses de la psychanalyse. (Ibid, p. 4234).
Pourtant Freud s'est toujours
intéresséaux formes vacillantes de l'esprit en étudiant
les rêves, mais en s'intéressant aussi aux
pressentiments et même à la télépathie. Il
possède à la fois une fascination et une aversion pour ces
sciences de l'occulte. Dans son article Rêve et
télépathie, il voit le phénomène
télépathique comme une simple information qui
viendrait étayer le rêve, sans toutefois être l'essence
du rêve: Le message télépathique est traitécomme un
morceau du matériel destinéà la formation du rêve,
comme tout autre stimulus qu'il vienne de l'extérieur ou de
l'intérieur, comme un bruit gênant venant de la rue, comme une
sensation insistante venant d'un organe du dormeur. (Rêve et
Télépathie de Freud, citépar Turnheim, 2008,
p. 5).
Denis (2009) relie l'intuition à la
sensibilité, qui serait un contact sensible avec un objet
mental, avec la psyché. Tout comme la pensée
incidente (lapsus, actes manqués, erreurs de lecture,
méprise), l'intuition serait un aperçu conscient de
l'inconscient, un surgissement de l'inconscient dans la conscience. L'intuition
proviendrait aussi d'une
représentation primaire, archaïque, infinie
même, celle oùla pensée, l'imagerie mentale
n'existait pas encore, mais oùle
vécu s'exerçait seulement à travers la sensation. Il
existerait en l'homme une infinitéde représentations
possibles,
ce qui lui permettrait de ne jamais vraiment
s'étonner, comme si tout l'existant était contenu
potentiellement : ~ Les gens qui disent que l'homme apprend tout par
l'éducation sont des imbéciles, y compris les grands philosophes
qui ont soutenu cette thèse. Quelque singuliers et inattendus que soient
les spectacles qui s'offrent à nos yeux, ils ne nous surprennent jamais
complètement; il y a en nous un écho qui répond à
toutes les impressions : ou nous avons vu cela ailleurs, ou bien toutes les
combinaisons possibles des choses sont à l'avance dans notre cerveau. En
les retrouvant dans ce monde passager, nous ne faisons qu'ouvrir une case de
notre cerveau ou de notre âme. Comment expliquer autrement la puissance
incroyable de l'imagination? (Eugène Delacroix, citépar
Denis, 2009, p. 76). C'est ainsi que l'analyste peut ressentir ce
qui se trame chez l'analysant, peut-être est-ce aussi par
cela que l'empathie existe, qu'il est possible de ressentir
totalement ce qui se joue en l'autre, tout comme il est
possible de ressentir le vol d'un oiseau ou du moins de le deviner,
alors même que nous n'avons pas d'ailes. C'est d'ailleurs cette
qualitéde ressentir l'invisible dévoilédans la
manifestation, qui fait le poète.
Lorsque Delacroix parle d'écho il fait
référence à cette capacitéde vivre en soi ce
qui est perçu à l'extérieur, de placer sa
conscience dans ce qui est perçu. Cela rejoint la
définition de l'intuition proposée par Bergson (1934) comme
la sympathie par laquelle on se transporte à l'intérieur d'un
objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquent
d'inexprimable (Bergson, 1924, p.61). Ce qui est étrange, comme
nous le souligne Delacroix, c'est la possibilitéde coïncider
avec cet objet alors même qu'il est un étranger, et
que de prime abord, rien ne nous aurait permis de croire à cette
sympathie. C'est ce que peut éprouver de temps à autre l'analyste
face à l'analysant, il y a une totale compréhension du
symptôme et un accès au symbolique de l'analysant est
possible.
Comment discriminer l'intuition de la
conviction délirante, quand toutes deux viennent d'un Einfall ? Selon la
théorie de l'intuition proposée par Einstein, la
vérifiabilitéde l'intuition serait nécessaire, il faudrait
être capable d'exprimer dans un langage partagécette
sensation de l'ordre du sensible, en dehors du langage.
1.3 L'intuition en psychologie 27
Dans le cas de la paranoïa il y aurait unification
des fantasmes' dans le but de les systématiser, de construire une
unique réalitéenglobant l'ensemble des intuitions. Ainsi ces
systèmes délirants ne reposent pas sur la réalité,
mais sur la réalitépsychique de la personne qui ne s'est pas
confrontée à l'épreuve de réalité(Bernat,
2002), et qui coûte que coûte souhaite mettre en sens cette
insondable souffrance.
La conviction délirante se définit toujours
comme une sensation de savoir sans savoir comment ', mais
contrairement à l'intuition, elle serait basée sur un socle
délirant. Pour autant qu'une démonstration peut se baser sur un
postulat faux, un raisonnement peut tout aussi bien se construire à
partir d'un incipit délirant. Comme le mentionnait Jaspers, dans les
idées délirantes véritables, l'erreur réside
dans le contenu, mais la pensée formelle reste tout à fait
intacte ' (Jaspers, 1933,p.86). L'intuition délirante ne
peut se communiquer, se partager, elle est close dans son monde, au contraire
d'une intuition partageable grâce à un langage, à une
logique. Notons toutefois, que la limite qui sépare l'intuition saine de
celle pathologique est difficile à déceler.
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