8.2 L'instinct de connaissance
La résolution d'un problème, quelle que soit sa
nature, passe par la mise au point de stratégies de résolution
qui peuvent être, soit de nature analytique, soit de nature intuitive
(Kahneman, 2003). Dans les deux cas pourtant, l'individu utilise un ensemble
d'informations pertinent associéau problème posé. Dans le
cas d'un raisonnement analytique, l'individu se baserait sur un ensemble de
lois apprises (par exemple celles de la physique ou des mathématiques)
qu'il agencera entre elles afin de résoudre le problème. Dans le
cas d'un raisonnement intuitif, l'individu se baserait de la même
façon sur un ensemble de lois apprises de façon consciente et/ou
implicite, qui vont s'agencer, se synthétiser dans le sujet pour le
mener à la réponse. Même si le processus est
différent par le degréde conscience impliqué, les
informations dans les deux cas sont de même nature : une information
inscrite en mémoire (les lois apprises, les expériences) et une
information contextuelle (l'environnement). Il y aurait un constant
aller-retour entre les traces mnésiques et la perception
immédiate du problème.
Plus l'individu disposerait d'un ensemble d'informations
étendu et protéiforme et plus il serait à même de
créer des associations, des liens lui permettant d'enrichir son
élaboration du problème afin d'atteindre la solution. Dans le cas
d'un modèle bayésien basésur l'anticipation, ceci pourrait
se comprendre de la façon suivante:
Plus le système dispose d'informations contextuelles et
subjectives, plus il serait efficace pour anticiper les réactions de son
environnement ou d'un autre système. Or, l'Homme est un être qui
possèderait un besoin de contrôle (Kanfer, 1990; Weiner, 1974),
afin de maintenir un environnement sécurisant et prédictible. Le
besoin de contrôle permettrait de minimiser la surprise liée au
hasard et aléas, et maximiser la prédictibilitéde
l'environnement; ce besoin s'accomplirait dans ce que les psychanalystes
appellent la pulsion épistémique ou encore ce que Jeangirard
(2007, 2014) nomme »pulsion dromique». Ce besoin impérieux
chez l'enfant d'aller explorer un ailleurs, de lâcher la main de la
mère afin de satisfaire son besoin de curiosité. D'un point de
vue évolutionniste, cette volontéde minimiser la surprise et de
maximiser la prédictibilitéd'un environnement, pourrait permettre
de protéger l'individu et le groupe, des prédateurs opportunistes
ou encore des grandes catastrophes naturelles, industrielles,
économiques (Festinger, 1957). Le comportement exploratoire d'un animal
viendrait d'une pulsion, d'une motivation interne (Harlow et al, 1950; Berlyne,
1960). Selon Perlovsky (2006), il existerait un instinct de connaissance au
même titre qu'il existerait un instinct sexuel; cet instinct viendrait du
fait que l'espèce vivante aurait besoin de s'adapter en permanence
à un environnement constamment changeant. Nous ne voyons jamais deux
fois le même objet de la même façon (angles,
luminosité, contexte etc.), c'est pourquoi nos représentations
internes auraient continuellement besoin de s'adapter et de se modifier. Les
connaissances ne seraient pas statiques, mais sans cesse gouvernées par
un processus d'adap-tation et d'apprentissage, et sans cette adaptation entre
nos modèles internes et le monde, il se pourrait que notre
compréhension du monde ne soit possible, et nous ne pourrions survivre.
Par conséquent, il se pourrait que l'instinct qui nous motive, et nous
pousse à augmenter nos connaissances soit innéet soit à la
base de nos capacités cognitives de haut niveau. Aristote pensait que
nous comprenons le monde à travers des Formes (représentations,
modèles) de
8.3 Prise de décision, réactions physiologiques et
émotions 93
notre esprit. La Cognition serait un processus d'apprentissage
par lequel, des Formes potentielles (modèle initial) rencontreraient le
monde phénoménal (signales sensoriels) et deviendraient une Forme
actuelle (un concept). Alors que les Formes actuelles découlent de la
logique, les Formes potentielles n'obéissent pas à la logique.
Ainsi, la logique apparaîtrait d'états et de processus illogiques
(Perlovsky, 2007).
Mathématiquement, cet instinct pourrait être
traduit par une maximisation de la similaritéentre les concepts, les
représentations internes (top-down) et le monde externe (bottom-up)
(Grossberg, 1983; Perlovsky, 2006). Dans le but d'accroitre cette
similarité, l'individu serait investit d'un besoin de connaître
son environnement et d'accumu-ler de l'information. Nous pourrions supposer
à partir de ces postulats, que l'absence d'informations face à
une problématique ciblée pourrait entraîner une tension
psychique, réalisée sous forme de peur ou
d'anxiété.
Lorsque les participants non-amorcés se sont
confrontés au problème posé, il leur manquait les indices
nécessaires au processus de résolution. Alors que l'environnement
virtuel présentéaux individus du groupe non-amorcén'avait
aucun point familier avec l'environnement naturel du début de
l'expérience, les individus du groupe amorcédispo-saient, eux,
d'une certaine familiaritéentre les deux environnements dont le point
d'ancrage était représentépar la thématique du
»café». En liant la théorie de l'amorçage avec
celle de la connaissance (knowledge instinct), il se pourrait que le
participant confrontéau nouvel environnement (l'environnement virtuel)
fut dans une position cognitive d'observation et d'anticipation. Or, dans ce
cas, le participant amorcéétait dans une position avantageuse,
comparéau participant non-amorcé, pour maximiser la
similaritéentre ses représentations internes et l'environne-ment
virtuel, et pour satisfaire son désir de connaissance.
L'effet d'amorçage aurait activéun ensemble de
traces mnésiques liéau »café», qui est
retrouvépar la suite dans la scène virtuelle. Cette
familiaritéentre les traces et la perception pendant l'immersion
faciliterait la reconnaissance de la solution, et favoriserait de la même
façon, l'anticipation de la solution correcte (Bechara et Damasio,
2005). L'activitéélectrodermale serait un marqueur de
l'anticipation et des réactions émotionnelles (Andreassi, 2007;
Boucsein, 1992; Lang, Greenwald, Bradley, et Hamm, 1993). En effet, la
conductance mesurée correspond aux propriétés de
variabilitéélectrique de la peau en réponse à la
sudation sécrétée par les glandes sudoripares. Il
existerait trois types de glandes : eccrine, apocrine et apoeccrine. Seule, les
glandes eccrines, innervées par le système nerveux sympathique,
réagiraient aux réponses émotionnelles. Une de nos
hypothèses suppose que les variations physiologiques des participants
amorcés seraient plus nombreuses que ceux des participants
non-amorcés.
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