Introduction
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L'intuition est un concept large, populaire et finalement peu
étudié, à défaut d'être
poétisé. Les poètes d'abord, puis les philosophes, les
inventeurs et les scientifiques remarquables décrivent l'intuition comme
l'Envoyée invisible, inconnue, imperceptible qui illuminera de sa
clairvoyance les sentiers sombres de la connaissance (Bergson, 1912).
L'intuition est mystérieuse, presque sacrée, elle ne
dépend pas de la volontépremière de l'individu mais par
grand bruit, s'immisce à un moment oùrien ne prédisait son
arrivée, comme un coup d'éclair, un coup de génie. Elle
révèlera parfois au chercheur laborieux, quel que soit son
domaine, une réponse, un sens jusque làdissimulé,
voilé. Alors que l'individu pensait toutes les portes fermées,
alors qu'il avait déjàabandonnél'idée de trouver le
saint Graal, l'intuition lui donne la cléde ses problèmes au
détour d'une promenade, en montant à cheval, en
rêvassant... Une mise en sens spontanée, surgissant de l'inconnu,
ébranle l'individu dans l'ensemble de sa personne.
Soudain, tout devient clair.
Nous avons tous plus ou moins vécu ces moments
oùles portes grinçantes, se huilaient d'elles-mêmes. A
posteriori, nous retrouvons une série de circonstances apparemment
fortuites, nous guider vers la solution, comme si l'idée même de
la solution nous appelait à elle, nous faisait lentement glisser vers le
réconfort de la compréhension. Elle paraît donc être
un élément indissociable de l'acquisition de connaissances et de
la création. Pourtant à bien chercher et même s'il existe
une importante littérature scientifique incluant le terme
»intuition», elle a, à notre connaissance, souvent
étéle parent pauvre de la psychologie (Petitmangin, 2002). En
effet, les théories dominantes la relèguerait à un acte
réflexe qui égare celui qui se veut logique, analytique et
précis (Kahneman, 2003; Tversky et Kahneman, 1974). Pourtant à
bien y voir et à entendre la sage parole des Anciens, il apparaît
que l'intuition serait une des plus hautes formes menant à la
compréhension d'un objet, d'un sujet. C'est précisément
dans le but de resituer l'intuition dans la psychologie actuelle que nous nous
sommes intéressés dans ce mémoire, à ses
mécanismes, à ses corrélats neuroscientifiques, et avons
tentéde comprendre ses intrications avec le non-conscient et le
phénomène d'amorçage. Une plus grande compréhension
de ce processus, qui nous le verrons, est à la jonction des processus
cognitifs et émotionnels, pourrait s'appliquer à mieux rendre
compte de la genèse de la pensée, des croyances, des jugements et
des prises de décision(Zemack-Rugar, Bettman et Fitzsimons, 2007
;Wetherill et al, 2014). Or, l'ensemble de ces mécanismes auraient un
rôle majeur dans le maintien de nombreuses maladies psychiques mais aussi
dans la pratique même du psychologue.
La plupart des études scientifiques portant sur
l'intuition se sont intéressées à la résolution de
problèmes algébriques plus ou moins complexes (Kahneman, 2003;
Tversky et Kahneman, 1974), ou à l'intuition sociale qui a lieu dans la
communication (Albrechtsen, Meissner et Susa, 2009), mais à notre
connaissance, il n'existe pas ou peu d'études qui tentent de comprendre
l'intrication entre l'environnement, l'intuition et la prise de
décision. Pourtant, les inventeurs, les scientifiques et
thérapeutes confrontés à une problématique,
rapportent que l'intuition émerge souvent en rapport à des
indices de l'environnement qui vont les guider dans leur prise de
décision (Petit-mangin, 2002). Afin de mieux comprendre les liens entre
l'environnement et l'intuition, nous faisons l'hypothèse que des indices
présents dans l'environnement activeraient des représentations
qui feraient émerger l'intuition, aboutissant alors à la prise de
décision verbale. L'intuition serait observable à travers une
augmentation de l'activité
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électrodermale et thermale (Bechara, Damasio, Tranel,
et Damasio, 1997; Crone, Somsen, Van Beek et Van Der Mo-len, 2004). Afin
d'investiguer cette problématique, nous avons utilisécomme outils
méthodologiques le phénomène d'amorçage afin
d'activer des représentations liées à la thématique
du »café» et la réalitévirtuelle, dans laquelle
les participants devaient résoudre un problème intuitif. Les
solutions de ce problème étaient liées à la
thématique du »café». La réalitévirtuelle
fut utilisée dans le but de créer une immersion en rupture avec
l'environnement naturel, et permettre ainsi de créer un sentiment de
familiaritéentre les amorces visuelles et olfactives de l'environnement
naturel stockées en mémoire, et les éléments
visuels de l'environnement virtuel.
Dans le but de mesurer le phénomène d'intuition,
nous avons enregistrél'activitéélectrodermale et la
température des participants pendant toute la durée de
l'expérience. Afin de mettre en perspective le rôle de
l'amorçage dans l'émergence de l'intuition, nous avions deux
groupes de participants, un groupe amorcéet un groupe non-amorcé.
L'hypothèse générale de cette recherche, est que les
indices visuels et olfactifs de l'environnement naturel préactiveraient
de manière non-consciente des représentations internes qui
feraient émerger l'intuition, qui s'exprimerait dans la prise de
décision verbale.
Secondairement, nous avons fait l'hypothèse que les
participants amorcés, auraient une augmentation des activités
thermales et électrodermales comparéaux participants
non-amorcés, et qu'une différence de l'activitédu
système nerveux autonome serait observable entre les participants ayant
eu une prise de conscience de la solution (insight) et ceux n'en ayant pas
eu.
Les analyses statistiques inférentielles montreraient
que le nombre de réponses intuitives correctes est significativement
plus élevéchez les participants amorcés comparativement
aux participants non-amorcés. Ces analyses montreraient aussi que le
nombre de variations atypiques de l'activitéélectrodermale, de la
température ainsi que la moyenne des températures sont
significativement plus élevés chez les participants
amorcés comparativement aux participants non-amorcés. De plus,
les résultats montrèrent une augmentation de
l'activitéélectrodermale chez les participants amorcés
avec »insight» comparativement aux participants amorcés sans
»insight». Il semblerait que les indices présents dans
l'environnement naturel auraient influencéla prise de décision
intuitive dans l'environne-ment virtuel. La similaritéentre les indices
de l'environnement naturel et la solution proposée dans l'environnement
virtuel, ferait émerger l'intuition, qui influencerait de façon
non-consciente, la prise de décision verbale.
Deuxième partie
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