4.3. Afrique
Concernant l'Afrique du Nord, une étude en 3 phases a
été menée chez les personnes de 60 ans et plus
résidant dans la province d'Assiut (zones rurales et urbaines) en Egypte
(26). Deux mille personnes âgées ont été
dépistées avec le MMSEmodifié. La prévalence brute
des démences de tous types était de 6,0% et celle de la MA
étaitde 2,9% chez les plus de 65 ans. La prévalence des
démences et de la MA augmentait avec l'âge, cependant, le
doublement de la prévalence des démences par tranche de 5 ans n'a
été observé qu'après 75 ans. Aucune
différence significative entre les hommes et les femmes n'a
été observée pour les prévalences des
démences et de la MA. Les estimations de la prévalence des
démences en milieu rural n'étaient pas différentes de
celles faites dans les zones urbaines.
Une seconde étude transversale, menée dans la
région d'Al-Kharga, a montré une prévalence proche : 4,4%
chez les habitants de plus de 60 ans (47). La prévalence augmentait
également avec l'âge et était affectée par le milieu
de résidence et le niveau d'éducation des sujets.
A l'autre extrémité du continent, les travaux
menés en Afrique du Sud n'ont pas établi de prévalence de
ces troubles en population générale (34). Des cas familiaux ont
été rapportés et les démences liées au VIH
font l'objet de la plupart des publications.
En Afrique de l'Est, seule une étude a recherché
les facteurs de risque de la MA (48). L'examen histologique de cerveau de
personnes âgées vivant en Afrique de l'Est a été
effectué à la recherche de lésions typiques de la MA ou de
dépôts de protéines Aâ. La distribution des
dépôts de protéine Aâ et les changements
neurofibrillaires au cours du vieillissement des africains de l'Est semblaient
similaires à ceux observés chez des sujets âgés
américains. Les fréquences de l'allèle å4 du
gène de l'APOE étaient relativement élevées chez
les Kenyans, en comparaison avec les sujets occidentaux. Cette étude
supportait le fait que la possession de l'allèle å4 de
l'Apolipoprotéine E n'était pas nécessairement un facteur
de risque de la MA dans certaines populations africaines.
Les études menées en Afrique de l'Ouest sont
plus nombreuses, mais peu concernent la population générale. Au
Mali, la prévalence de la MA a été estimée à
1,2% dans une population de plus de 65 ans (49) vivant dans le district de
Bamako et elle était de 1,8% pour la MA possible et 6,6% pour la MA
probable dans une zone rurale de la région de Koulikoro (50). Cependant,
ces deux études ont été réalisées avec
l'ECAQ, instrument de dépistage peu utilisé, et n'assurent pas la
représentativité de la population âgée malienne.
Au Sénégal, des travaux récents ont
été effectués afin d'estimer la prévalence des
démences (51) et de rechercher les facteurs de risque (52). Le test du
Sénégal (53) a été utilisé auprès de
872 sujets âgés de plus de 55 ans venus en consultation dans un
centre médico-social de Dakar. La prévalence de démences
dans cette population était de 6,6%, elle augmentait avec l'âge et
n'était pasinfluencée par le sexe ni le statut matrimonial. Les
facteurs de risque identifiés étaient l'âge, le peu de
contacts hebdomadaires avec les proches, les AVC, l'épilepsie et
l'histoire familiale de démence, alors que la maladie de Parkinson et
les troubles digestifs avaient un effet protecteur. Ces résultats sont
les seuls dont on dispose sur la population sénégalaise, mais ne
reflètent probablement pas la situation réelle pour ce pays.
L'échantillon étudié a été recruté
dans une consultation médicale concernant les personnes
bénéficiant d'une protection sociale, donc appartenant à
un milieu favorisé, et n'était pas représentatif de la
population âgée sénégalaise.
Le seul pays d'Afrique de l'Ouest où sont disponibles
des études robustes concernant les démences est le
Nigéria. Lors du projet multicentrique Ibadan-Indianapolis Dementia
Project, une étude comparative a été conduite chez 2494
Yorubas de plus de 65 ans vivant à Ibadan (Nigeria) et 2212
Afro-américains vivant à Indianapolis (Etats-Unis), dont 106 en
institution.
Elle comportait 2 phases : un dépistage avec le
Community Screening Interview for Dementia, puis une confirmation clinique par
un neurologue suivant les critères du DSM-III-R, du NINCDS-ADRDA et de
la CIM-10. La prévalence des démences ajustée à
l'âge a été estimée pour chaque ville (tableau 3)
(10).
Tableau III : Prévalence des démences et
de la maladie d'Alzheimer, Ibadan-Indianapolis Dementia Project,
1995
Ces prévalences augmentaient avec l'âge dans les
deux villes, elles étaient significativement plus faibles à
Ibadan qu'à Indianapolis.
Un suivi de ces patients a été effectué 2
et 5 ans après l'inclusion (13). L'incidence annuelle
standardisée à l'âge des démences et de la MA a
été estimée pour chaque population (tableau 4).
Tableau IV : Incidence annuelle des démences et
de la maladie d'Alzheimer, Ibadan-Indianapolis Dementia Project,
2001
L'incidence des démences comme de la MA était
significativement plus faible à Ibadan. L'association entre l'âge
et l'incidence était similaire dans les deux populations.
Durant ce suivi, la mortalité des Yorubas était
plus élevée que chez les Afro-américains, pour toutes les
classes d'âge, même chez les sujets non déments à
l'inclusion. Dans les deux populations, la mortalité était
significativement plus élevée chez les sujets déments que
chez les sujets non-déments (p=0,05 pour les Yorubas et p=0,001 chez les
Afro-américains).
A Ibadan, les facteurs de risque significatifs de
démences étaient l'âge et le sexe féminin alors que
vivre avec d'autres personnes semblait protecteur, mais la force de
l'association était faible (54 ; 17). A Indianapolis, les facteurs de
risque étaient différents : l'âge, la vie en milieu rural
avant 19 ans, les antécédents familiaux de démence et un
faible niveau d'éducation. Les Afro-américains étaient
plus exposés aux facteurs de risque cardio-vasculaires et l'existence de
2 copies de l'allèle å4 de l'APOE était significativement
associée à la MA dans cette population. Tandis que la
fréquence de cet allèle n'était pas significativement
différente chez les sujets déments, Alzheimer et
non-déments d'Ibadan, l'allèle å4 n'était pas
associé avec la MA ni avec les démences dans un petit
échantillon (n=56) de cette population Yoruba (55). L'analyse conduite
sur un échantillon plus important de sujets inclus dans cette
étude (n=599) confirma ces premiers résultats chez les Yorubas
d'Ibadan : aucun des allèles de l'APOE n'augmentait significativement le
risque de MA ou de démence (56). De plus, l'allèle å2 ne
conférait aucune protection contre le risque de démence ou de
MA.
Les facteurs de risque de MA incidente ont également pu
être déterminés grâce au suivi deces deux populations
âgées (17). Chez les Yorubas, les facteurs de risque pour la MA
incidente étaient l'âge et le sexe féminin, alors que le
fait de rapporter des antécédents médicaux d'hypertension
semblait protecteur. L'âge était également un facteur de
risque de MA incidente chez les Afro-américains ainsi que la vie en
milieu rural avant 19 ans mais la consommation régulière d'alcool
semblait protectrice. L'éducation, le statut marital, la vie seule, les
antécédents de traumatisme crânien, la dépression,
les maladies cardiaques, les AVC, les fractures et antécédents
familiaux de démence n'étaient pas associés avec la MA
incidente dans ces deux populations.
A Ibadan, les déments probables avaient une
qualité de vie moindre que les autres sujets, dans tous les domaines de
la vie quotidienne. Cependant, les personnes âgées
affectéesconservaient un bon fonctionnement, malgré quelques
difficultés, principalement pour la toilette, la marche et les achats
(56).
Les facteurs de risque de démences ont également
été étudiés dans une autre population
nigériane, à Jos, au centre du pays (57), où 280 personnes
de plus de 65 ans ont été dépistées avec le CSI-D.
La prévalence des démences dans cette population était de
6,4% (IC 95% [3,8-9,9]) et les facteurs de risque indépendants de
démences étaient : le sexe féminin, un indice de masse
corporelle inférieur à 18,5 kg/m², et l'âge.
L'utilisation d'antiinflammatoires non stéroïdiens était
associée à un risque réduit de démence lors de
l'analyse multivariée.
Le taux de mortalité des déments a
été estimé chez les Yorubas lors de la cohorte IIDP (58).
Les Yorubas déments avaient un taux de mortalité 5 fois plus
élevé que les non-déments. Des performances
décroissantes au CSI-D étaient significativement associées
à une augmentation de la mortalité pour les Yorubas. De plus,
l'âge croissant, le sexe masculin, le tabagisme, vivre seul et les AVC
étaient associés avec une augmentation de la mortalité
alors que la consommation d'alcool diminuait la mortalité en comparaison
avec les non-consommateurs d'alcool.
En comparaison, les sujets non-déments d'Ibadan et
d'Indianapolis avaient des courbes de survie assez similaires, et
significativement meilleures que les sujets déments. Pour les sujets
déments, les Afro-américains semblaient avoir une meilleure
survie (durée de survie médiane = 60 mois) que les Yorubas
(durée de survie médiane = 42 mois), mais la différence
n'était pas significative (p=0,7).
Après ajustement sur d'autres variables, les
démences étaient significativement associées àune
mortalité élevée chez les Yorubas comme chez les
Afro-américains. Ces résultatssuggèrent que l'impact des
démences sur la mortalité n'est probablement pas différent
dans lespays développés et en développement.
Tableau V : Etudes sur la prévalence des
démences en population générale en Afrique.
|