Annexe n°3 : Les grands modèles
pédagogiques de l'ETP
Sur quels courants théoriques reposent les diverses
pratiques pédagogiques de l'ETP ? Tous les écrits que nous avons
consultés, affirment que la notion de l'éducation
thérapeutique s'est fondée en combinant les modèles des
sciences de la psychologie, de la sociologie, de la psychologie sociale, de
l'anthropologie et les modèles de science de l'éducation avec
ceux de la médecine (modèle biomédical).
Nous nous basons sur le travail de C. Eymard (2003, 2010) et
sur l'étude de A. Giordan (2010), pour présenter une
synthèse des grands modèles pédagogiques, que ces auteurs
estiment en lien avec la pratique de l'ETP.
Comme nous l'avons déjà précisé
dans la première partie de ce travail, l'ETP ne peut se réduire
qu'à la simple information de savoirs ou de savoir-faire, celle-ci vise
l'appropriation de ces savoirs et savoirs faire par les malades. Elle exige un
modèle d'apprentissage spécifique. D'après Eymard (2003),
malgré la tentation de nombreuses disciplines à faire sortir
l'ETP de la seule logique de l'information « Toutefois, les notions et
concepts ne sont pas toujours explicités et
référés, ce qui rend difficile leur appropriation par les
professionnels » (p. 42). En effet, l'ETP se décline suivant
les lieux d'enseignement, selon quatre grands modèles
pédagogiques (classique, behavioriste et constructiviste), que nous
tentons de présenter.
a) Le modèle de la pédagogie
classique
Nommé aussi « pédagogie traditionnelle,
frontale ou transmissive ». La pédagogie classique présente
deux caractéristiques à savoir : le guidage par l'enseignant et
la mémorisation par l'apprenant. Cette forme classique d'enseignement,
nous l'avons tous connue à un moment donné de notre cursus
scolaire. L'enseignant transmet des connaissances (fait le cours, expose et
explique). L'apprenant écoute, prend des notes et mémorise. Sans
l'intervention de l'enseignant par le guidage, ce modèle ne peut
être en pratique. Il sollicite la mémoire de l'apprenant par
l'assimilation du message transmis par l'enseignant. D'après Giordan
(2010, p. 2), la transmission des connaissances de ce modèle serait donc
à sens unique, l'enseignant détient le savoir, l'apprenant se
contente de le recevoir. Il s'agit d'un rapport unilatéral
selon Giordan. Pour lui, si on applique ce modèle
pédagogique pour ETP, le soignant serait considéré comme
le détenteur du savoir, il a le rôle « d'émetteur
», et le patient serait le « récepteur », il enregistre
et mémorise les messages transmis par le soignant. En plus du rôle
de transmetteur, le soignant peut éduquer en s'appuyant sur des
illustrations (photos, schémas...). Giordan rajoute que ce modèle
pédagogique n'apparaît pas totalement dépassé. Il
peut se révéler très efficaces pour ETP : « si le
soignant et le patient se posent le même type de question ; s'ils
possèdent le même cadre de référence à
commencer par le même vocabulaire ; s'ils ont une façon identique
de raisonner ; s'ils produisent du sens de la même façon »
(p. 3). Par contre, les limites de ce modèle pour Giordan, peuvent
s'identifier dans : le décalage entre le patient et le savoir
médical ; la grande distance entre le soignant et le soigné ; le
mode de raisonnement et la culture de chacun ; leur préoccupation et
attentes qui peuvent être très diverses (p. 3).
b) Le modèle de la pédagogie
behavioriste
D'après C. Eymard (2010, p. 42), les fondements
théoriques du behavioriste remontent jusqu'à Aristote. Le terme
béhavioriste a été introduit aux sciences de la
psychologie par le psychologue américain John Watson au XXe
siècle, qui avait repris les travaux du physiologiste russe Pavlov, en
élaborant la théorie psychologique du stimulus-réponse
par rapport au comportement humain. Selon Eymard, Watson suppose que les
humains naissent avec des réflexes et des réactions
émotionnelles (l'amour, la rage...) et tout autre comportement est le
résultat des associations stimulus-réponse crées
par le conditionnement.
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Donc, l'apprentissage est expliqué par une modification
du comportement et cette modification est la conséquence d'une
réponse à des stimuli externes d'après Giordan (2010, p.
2). Pour lui, en ce qui concerne l'ETP, cette approche a été
appliqué dans des exercices « autoprogrammés »
sur papier ou sur ordinateur comme : les enseignements assistés par
ordinateur (EAO) et les exercices de pratiques thérapeutiques
(Gestalt the-rapy, thérapie familiale) qui sont surtout
développé dans les pays anglo-saxons. L'auteur rajoute que le
seul avantage de cette pédagogie béhavioriste par rapport
à la pratique de l'ETP, repose sur l'apprentissage de gestes techniques
(dosage de glycémie), et sur l'apprentissage de réflexe de
santé (savoir renoncer à un aliment). Mais, cette approche
demeure très limitée pour Giordan, le fait qu'elle intervient peu
sur la motivation du patient, étant les désirs et les intentions
du patient peu pris en compte. Pour l'auteur, ce modèle
pédagogique renonce à comprendre le moral du patient.
Pour Chantal Eymard (2010), l'ETP s'inscrit dans cette
approche behavioriste lorsqu'elle privilégie la transmission des savoirs
pour éviter les complications de la maladie d'un patient, étant
ce dernier considéré comme ignorant des savoirs en lien avec la
santé. Cette méthode apporte des réponses types à
mettre en oeuvre par le soignant. Dans ce cadre, l'éducation
thérapeutique s'inscrit dans un rapport expert/novice, ne prenant pas en
compte l'apprenant dans ses dimensions cognitives, émotionnelles. Pour
l'auteur, les compétences de l'éducateur s'évaluent sur
son niveau de maîtrise des savoirs à enseigner et sur sa
capacité à les transmettre (p. 45).
c) Le modèle de la pédagogie
constructiviste
Pour C. Eymard (2010, p. 42), le modèle de la
pédagogie constructiviste est fondé de la théorie de
Piaget qui explique que : « tout est l'affaire d'assimilation et
d'accommodation dans l'apprentissage ». L'auteur explique que la
théorie de Piaget consiste à rattacher la nouvelle information
à ce qui est déjà connu, de la greffer sur des notions en
prenant en considération les « schèmes » dont
dispose au préalable le sujet. Ces derniers sont
réorganisés par les nouvelles données. Donc, l'apprenant
fait entrer dans sa propre organisation cognitive les données du monde
extérieur, les informations nouvelles sont traitées en fonction
des acquis antérieurs, le sujet les « assimile ». En
retour, il y a « accommodation », c'est-à-dire
modification des pensées en place en fonction des circonstances
nouvelles. Dans ce cas, Eymard explique que l'ETP devient « un
processus personnel » centré sur l'apprenant. Par contre pour
Giordan (p. 2), l'apprenant en ETP construit progressivement son savoir en
travaillant avec d'autres personnes (le groupe) par le biais d'expressions et
d'activités. Il s'agit de faire exprimer le patient, de le confronter en
s'appuyant sur un conflit cognitif. L'auteur exprime qu'il est possible aussi
de confronter le patient à la réalité par des exercices
qui le conduisent à reformuler les idées ou les questions. Pour
Giordan, cette méthode pédagogique constructiviste aborde le
vécu du patient, son avantage porte sur le pouvoir de l'apprentissage
à enrichir ou à modifier légèrement une croyance en
lien avec la santé. D'après Giordan, l'ETP s'inscrit dans cette
approche constructiviste lorsqu'elle vise la connaissance de soi du patient
dans un environnement social. L'intérêt de cette approche, c'est
les expériences d'entraînement en groupe, en valorisant un
apprentissage coopératif des réunions entre patients. Le soignant
éducateur a le rôle de l'organisateur. Pour l'auteur, ce
modèle pédagogique employé en ETP favorise le
développement des compétences psychosociales en tant qu'aptitude
d'une personne à maintenir un état de bien-être mental, par
rapport à sa propre culture, à son environnement et grâce
aux relations entretenues avec le groupe.
d) Le modèle de la pédagogie
allostérique
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Ce modèle pédagogique est présenté
par A. Giordan (2010, p. 5). Il s'agit d'un nouveau modèle
pédagogique proposé pour l'ETP. D'après l'auteur, les
limites des trois approches pédagogiques, que nous avons
synthétisé ci-dessus, ont conduit les experts de l'ETP à
réfléchir sur un nouveau modèle connu sous le nom de
« pédagogie allostérique », sans exclure les autres
pratiques pédagogiques dans les limites de leurs possibilités.
Cette nouvelle méthode, dirigée par le Professeur Alain Golay,
est en cours de test et de développement au niveau du service
d'Enseignement Thérapeutique pour Maladies Chroniques, auprès des
Hôpitaux Universitaires de Genève.
L'approche de cette « pédagogie
allostérique » repose sur trois hypothèses
complémentaires, à savoir : (1) l'importance des
différentes interactions entre le patient, son corps, sa pathologie, son
traitement, son environnement, son entourage, les soignants et le
système de soins ; (2) la prise en charge de la personne dans ses cinq
dimensions (émotionnelle, cognitif, sensoriel, méta cognitif et
inter cognitif) ; (3) l'introduction d'une « pédagogie
systémique » basée sur la transformation des conceptions,
par le biais d'un « environnement didactique ». D'après
Giordan, le but de l'introduction de la pédagogie systémique est
d'emmener le patient à décoder un message, à comprendre sa
situation et à changer de comportement. Le fait que le patient apprend
à partir de ses conceptions (de ce qu'il est et de ce qu'il
sait), il va transformer son savoir dans un processus de
construction/déconstruction. Le soignant l'accompagne, le sensibilise et
met en place l'environnement didactique nécessaire pour l'apprentissage
en mobilisant les outils et les ressources éducatives.
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