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Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales.

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par Lorena Cortissoz
Paris Dauphine  - Master 2 Droit approfondi de là¢â‚¬â„¢entreprise 2014
  

Disponible en mode multipage

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Institut de Droit Dauphine

Master 122 - Droit approfondi de l'entreprise

Mémoire de recherche sous le thème

« Le déséquilibre significatif dans les relations

commerciales »

Sous la direction de Monsieur Guy GRAS

Lorena CORTISSOZ

Année universitaire 2014-2015

3

REMERCIEMENTS
J'adresse mes sincères remerciements à

Monsieur Guy GRAS

Mon Directeur de mémoire.
Pour son écoute et ses conseils avisés.

Monsieur le Professeur François PASQUALINI
Pour ses conseils pertinents qui m'ont permis d'avancer.

Messieurs Gaëtan MARAIN, Pierre LEQUET et Benjamin GOURVEZ

Pour leurs avis sur l'orientation de mon sujet et pour leurs conseils méthodologiques.

À tous les professionnels qui ont pris le temps de répondre à mes questions et plus particulièrement à

Madame Aurélie CHARRIER, Juriste à la FDSEA de l'Oise. Madame Géraldine ODOUL, Producteur associé du GAEC ODOUL.

Monsieur Jacques DAVY, Directeur juridique Commercial de Monoprix. Madame Anne COUILLARD, Juriste à Monoprix.

Monsieur Vincent MUNKENI, Vice-Président de la Tchadienne des

eaux.

Madame Marion DENEUVILLE, Co-fondatrice d'Appro-Fusion.

4

À Matthieu.

AVERTISSEMENT

5

« L'Université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans les mémoires; ces opinions doivent être considérées comme propres
à leurs auteurs »

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

a priori : par une raison qui précède ADLC : Autorité de la concurrence

AJCA : Actualité juridique Contrats d'affaires, concurrence, distribution

AMAP : Association pour le maintien d'une agriculture paysanne

anc. : ancien

AOC : Appellation d'origine contrôlée

AOP : Appellation d'origine protégée

art. : article

avr. : avril

C. civ. : Code civil

C. com. : Code de commerce

C. conso. : Code de la consommation

CA : cour d'appel

Cass. 1re civ. : Cour de cassation, première Chambre civile

Cass. Com. : Cour de cassation, Chambre commerciale

CCC : Contrats, Concurrence, Consommation

CE : Commission Européenne

6

CEDH : Cour Européenne des Droits de l'Homme

CEMAC : Communauté économique monétaire de l'Afrique centrale

CEPC : Commission d'Examen de

Pratiques Commerciales cf. : confer (se rapporter à)

CGA : conditions générales d'achat CGV : conditions générales de vente chron. : chronique

CJCE : Cour de Justice des Communautés européennes

CJUE : Cour de justice de l'Union européenne

clausula generalis : Disposition générale

coll. : collection

Cons. const. : Conseil constitutionnel D. : Recueil Dalloz

DC : Décision du conseil constitutionnel

DDHC : Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen

déc. : décembre

DGCCRF : Direction Générale de la Consommation et de la Répression des Fraudes

dir. : direction doctr. : doctrine

DPI : Document précontractuel d'information

éd. : édition ex. : exemple

FDSEA : Fédération Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles

févr. : février

G. Pal. : La Gazette du Palais

GAEC : Groupement agricole d'exploitation en commun

GIE : Groupement d'intérêt économique Ibid. : ibidem (même endroit)

IFOP : Institut français d'opinion publique

IGP : Indication d'origine protégée in globo : globalement

in : dans

7

infra : au-dessous janv. : janvier

JCP G. : Semaine Juridique, édition Générale

JCP E. : Semaine Juridique, édition Entreprise

JO : Journal officiel

JORF : Journal officiel de la République Française

JOUE : Journal officiel de l'Union européenne

JSS : Journal spécial des sociétés juill. : juillet

L. : Loi

LME : Loi de modernisation de l'économie

LPA : Les Petites Affiches MDD : marques de distributeurs : numéro

nov. : novembre

NRE : Nouvelles Régulations Économiques

obs. : observations

oct. : octobre RTD civ. : Revue trimestrielle de droit

8

OHADA : Organisation pour l'harmon-isation en Afrique du droit des affaires.

op. cit. : opere citato (dans l'oeuvre citée)

ord. : ordonnance p. : page

Pacta sunt servanda : Les conventions doivent être respectées

PME : petite et moyenne entreprise préc. : précité

préf. : préface

QPC : Question prioritaire de constitutionnalité

Ratione materiae : Compétence matérielle

Ratione personae : Compétence personnelle

RDC : Revue des contrats

RIDE : Revue internationale de droit économique

RLC : Revue Lamy de la concurrence RLDA : Revue Lamy droit des affaires

civil

RTD com. : Revue trimestrielle de droit commercial

s. : suivants sept. : septembre

Specialia generalibus derogant : Les règles spéciales dérogent aux règles générales.

supra : ci-dessus

t. : tome

TGI : tribunal de grande instance TPE : très petite entreprise

trib. com. : tribunal de commerce V. : voir

9

SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE :

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF INTERDIT

TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE DE LA RELATION COMMERCIALE

Chapitre I : La nécessité de protéger l'équilibre de la relation commerciale

Chapitre II : La consécration de l'interdiction du déséquilibre significatif à l'article L. 442-6,

I, 2° du Code de commerce

TITRE II : LA MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION

Chapitre I : La délicate évaluation du déséquilibre significatif

Chapitre II : L'aspect dissuasif de l'interdiction

DEUXIÈME PARTIE :

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU

TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES COMMERCIAUX AU MAINTIEN

DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

Chapitre I : Le rôle du consentement des partenaires commerciaux

Chapitre II : Le rôle de la préservation des intérêts légitimes des partenaires commerciaux

TITRE II : DÉFIANCE À L'ÉGARD DU DISPOSITIF

Chapitre I : Rejet du dispositif interdisant le déséquilibre significatif

Chapitre II : Utilité du dispositif interdisant le déséquilibre significatif

« La démocratie devrait assurer au plus faible les mêmes opportunités qu'au

plus fort ».

Ghandi, Tous les hommes sont frères, 1969.

« Quoi que l'on fasse, les aiguilles tournent, l'univers se dilate, les choses se

brouillent, le déséquilibre augmente ».

10

Serge Bramly, Le Premier Principe-Le Second Principe, 2008.

11

INTRODUCTION

1. Le système économique d'inspiration libérale est présumé être le meilleur modèle possible, c'est en tout cas le choix fait par la plus grande partie des pays du monde. En revanche, il subsiste une suspicion sur le fonctionnement de ce système. Un acteur économique puissant sur le marché pourrait être tenté d'abuser de sa position dominante. L'homme n'est-il pas un loup pour l'homme1 ? Des restrictions au système libéral sont-elles nécessaires ? « Entre le fort et le faible [...] c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit2. » Ce constat pourrait motiver une éventuelle intervention législative pour limiter les possibles abus qu'une personne en position de force pourrait infliger à une autre en situation de faiblesse.

2. La tendance interventionniste du législateur a été grandissante depuis le début du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle, notamment sous l'influence de la théorie du solidarisme préconisant cette intervention pour assurer une cohésion sociale dans les relations entre individus. Cette théorie s'est répandue et a donné naissance à un mouvement juridique appelé « solidarisme contractuel », défendu depuis plusieurs années par une partie de la doctrine3, qui prône un devoir de bonne foi et de loyauté contractuelle indispensable à la régulation des rapports de force commerciaux.

3. La pensée solidariste pourrait bien avoir incité le législateur à introduire une série de règles au titre IV du quatrième livre du Code de commerce intitulé « de la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d'autres pratiques prohibées » et interdisant les pratiques restrictives de concurrence. Ce droit est appelé par un auteur le « petit droit de la concurrence4 ». L'objectif du législateur était de protéger les intérêts catégoriels,

1 Traduction de la locution latine Homo homini lupus est. Première occurrence de cette locution faite par Plaute dans sa comédie Asinaria vers 195 av. J.-C.

2 H. LACORDAIRE, Conférences de Notre Dame de Paris, années 1846-1848, Frères Prêcheurs, Paris 1872, t. 3, p. 494.

3 Sur ce point V. Chr. JAMIN, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN, LGDJ, 2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? » Mélanges Fr. TERRÉ, 1999, p. 603.

4 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Mutations du droit des pratiques restrictives de concurrence », RLDA, févr. 2010, p. 66.

12

ceux des professionnels, de divers abus commis par leurs partenaires commerciaux dans la mesure où le droit commun s'était révélé insuffisant pour mener à bien cette tâche5. À l'opposé se trouve le « grand droit de la concurrence » qui concerne principalement les pratiques anticoncurrentielles ainsi que les concentrations, et dont le but est de protéger le marché de façon globale.

4. L'interdiction de ces pratiques a débuté dès 1945 avec la création de lois spéciales6. Tout en les reprenant, l'ordonnance du 1er décembre 19867 les a dépénalisées. Alors que certaines de ces pratiques sont devenues des fautes civiles, d'autres demeurent des infractions pénales. La tendance législative actuelle se caractériserait par le renforcement du droit pénal économique8. Notons que ces pratiques ont récemment fait l'objet de réformes, notamment avec la loi du 3 janvier 2008 dite Châtel9, celle du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME)10 puis la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation11

5. Parmi ces règles, l'alinéa 2 de l'article L. 442-6, I du Code de commerce interdit le déséquilibre significatif en ces termes :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. »

Cette disposition a été introduite par la loi de modernisation de l'économie (LME) en 2008 dont un des objectifs était de relancer la libre concurrence tout en introduisant une certaine l'éthique dans les relations entre professionnels et assouplissant la règlementation

5 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 6e éd., Sirey, janv. 2014, p. 121.

6 Par exemple : ord. n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix JORF 8 juill.1945 rectificatif JORF 21 juill. et 8 sept. 1945.

7 Ord. n° 86-1243 du 1 er déc. 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, JORF 9 déc. 1986

8 M. MALAURIE-VIGNAL, op. cit., p. 122.

9 L. n° 2008-3 du 3 janv. 2008 pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, JORF n° 0003 du 4 janv. 2008.

10 L. n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, JORF n°0181du 5 août 2008.

11 L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF n°0065 du 18 mars 2014.

13

en vigueur12. L'interdiction du principe de non-discrimination dans les relations commerciales, jusqu'alors disposée à l'article L. 442-6, I, 1° du Code, fut alors supprimée. Ce dispositif fortement contraignant était critiqué pour sa rigidité. On lui préférera la libre négociabilité. En supprimant ce principe, le législateur allégea les mécanismes de la relation commerciale tout en introduisant un garde-fou à la libre négociabilité : l'interdiction du déséquilibre significatif.

6. L'interdiction du déséquilibre significatif remplace l'abus de dépendance ainsi que l'abus de puissance d'achat ou de vente soumettant son partenaire des obligations injustifiées, le tout anciennement disposé à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Cet ancien dispositif d'application délicate puisque les parties supposées lésées devaient démontrer et apporter la preuve de leur situation d'infériorité. Le dispositif interdisant le déséquilibre significatif répondait donc à « un souci de simplification et d'effectivité13. »

7. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce prévoyant l'interdiction du déséquilibre significatif se distingue de l'interdiction du déséquilibre significatif de l'article L. 132-1 du Code de la consommation visant uniquement le déséquilibre significatif dans les relations entre professionnels et consommateurs. Seules les relations entre professionnels nous intéresseront dans le cadre de cette étude.

8. L'interdiction du déséquilibre significatif peut s'expliquer par le fait que « les rapports de force, les dépendances économiques et les positions dominantes sont intrinsèques à la concurrence14 ». Or, le législateur refuse que cette situation permette à l'un des partenaires commerciaux d'imposer à l'autre des dispositions unilatérales déséquilibrées. Dans le souci de maintenir la libre concurrence, il est nécessaire d'éviter tout abus de position de force d'un des partenaires commerciaux.

12 J.-P. CHARIÉ, Rapport no 908 fait au nom de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi de modernisation de l'économie, Paris, Assemblée Nationale, mai 2008, p. 13.

13 P. ARHEL, « Volet «concurrence» du projet de loi de modernisation de l'économie », LPA, 27 mai 2008, p. 4.

14 J.-P. CHARIÉ, rapport préc., p. 119.

14

9. Les rapports parlementaires sur la LME15 laissent clairement apparaitre que l'interdiction du déséquilibre significatif visait à protéger en particulier les fournisseurs de la grande distribution. Cela résulte du fait que dans ce secteur les fournisseurs et les distributeurs se trouvent dans une configuration d'oligopsone16, où les distributeurs sont concentrés et les fournisseurs fragmentés. Ce contexte étant susceptible de créer une situation de dépendance, il facilite le développement d'un déséquilibre significatif au sein de la relation commerciale.

Les pratiques de la grande distribution sont couramment dénoncées, que ce soit dans la presse, dans les reportages télévisés ou bien encore dans les rapports parlementaires. Cette dénonciation s'explique notamment par le fait que le déséquilibre dans les relations commerciales a des répercussions sur les prix proposés au consommateur, car « si l'on maltraite le fournisseur ou le distributeur, le consommateur est également victime17. »

L'interdiction du déséquilibre significatif s'inscrit dans ce mouvement de protection de la relation fournisseur-grande distribution qui dure depuis 30 ans18 et elle vise à protéger l'ensemble de la chaine, du producteur au distributeur. C'est pour cette raison qu'une grande partie des exemples illustrant les propos de notre développement concerneront le secteur de la grande distribution. C'est n'est d'ailleurs par un hasard si la majorité des décisions prises en application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce concernent ce secteur. C'est notamment le cas des décisions prononcées à la suite des assignations faites par l'ancien Secrétaire d'État aux PME, Hervé Novelli, qui ont fait couler beaucoup d'encre, non seulement chez les juristes, mais aussi dans les médias.

15 V. sur ce point par ex : J.-P. CHARIÉ, Rapport préc ; P. OLLIER et J. GAUBERT, Rapport d'information présenté par la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, no 2312.

16 Oligopsone : marché caractérisé par un petit nombre d'acheteurs face à un grand nombre de vendeurs, par opposition à oligopole. Source :

http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/oligopsone/55882?q=oligopsone#55522

17 M. MALAURIE-VIGNAL, « Le nouvel article L. 442-6 du Code de commerce apporte-t-il de nouvelles limites à la négociation contractuelle ? », CCC, nov. 2008, dossier 5, p.12.

18 L. BENZONI et P.-Y. DEBOUDE, « Du déséquilibre significatif dans les relations entre partenaires commerciaux à la puissance d'achat : une perspective économique » teraconsultants.fr, 13 janv. 2015, p. 2.

10.

15

Le législateur a cependant décidé de ne pas restreindre le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce aux seules relations entre fournisseurs et distributeurs. Selon certains auteurs, cet élargissement peut être expliqué par le fait que depuis des années, des critiques sont formulées à l'encontre du législateur qui ne s'intéresserait qu'à la grande distribution19. Le dispositif est donc applicable à l'ensemble des relations entre professionnels dès lors que l'auteur du déséquilibre incriminé est un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers. Des précisions sur le champ d'application ratione personae et ratione materiae sont progressivement apportées par la jurisprudence et par les avis de certaines instances administratives telles que la Commission d'examen de pratiques commerciales (CEPC).

11. Le législateur n'a pas pris soin de définir la notion de « déséquilibre significatif », ce qui a été à l'origine d'une grande confusion lors de son application. À partir de quel moment le déséquilibre, dans une relation commerciale, devient-il significatif ? Les dispositions considérées comme créatrices de déséquilibre significatif sont diverses, et c'est au juge qu'a été confié le pouvoir de les désigner. Ainsi, est génératrice d'un déséquilibre significatif une clause non réciproque imposant un paiement par virement20 ou encore une clause de reprise des invendus faisant peser la charge ou le risque à un seul des partenaires commerciaux21. Mais sur quels critères le juge s'appuie-t-il pour déterminer si une disposition créée un déséquilibre significatif ou non ?

La cour d'appel de Paris22 a défini le déséquilibre comme le « fait pour un opérateur économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne. » Mais il n'est pas encore certain que la jurisprudence maintienne cette définition ou qu'elle décide d'en donner une autre.

En attendant que le législateur veuille bien définir la notion, nous allons successivement analyser les termes « déséquilibre » et « significatif ».

19 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Le déséquilibre significatif à deux vitesses » JCP G. 2015, doctr. 603.

20 trib. com. Lille, 6 janv. 2010, no 2009/05184.

21 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12-07651.

22 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

16

Le mot « équilibre », issu du latin aequilibrium aequus, signifie « égal » et libra « balance, poids. » Ces deux mots englobent le concept décrivant les situations où les « forces » en présence - les parties - sont égales, ou telles qu'aucune ne surpasse les autres23. Le législateur souhaiterait voir l'établissement de relations commerciales où les forces des parties seraient les mêmes.

Quant à l'adjectif « significatif », il qualifie quelque chose de nette et sans ambiguïté24. Il en ressort que l'absence d'équilibre dans les relations commerciales doit être flagrante pour être pris en compte. Le déséquilibre significatif pourrait être l'absence flagrante d'une situation d'égalité des forces entre les parties.

12. L'absence de définition du déséquilibre significatif et le pouvoir donné au juge pour décider quelles situations sont constitutives d'un déséquilibre significatif ont été fortement critiqués, et ce, à plus forte raison que la méthode d'évaluation du déséquilibre n'a pas encore été fixée par le juge. Les décisions de justice se contredisent sur la prise en compte de l'équilibre économique global ou encore sur le choix d'apprécier chaque clause indépendamment du contrat in globo. Les contours mal définis de l'interdiction du déséquilibre significatif sont une source d'insécurité juridique et la constitutionnalité même du dispositif a été contestée. Le Conseil constitutionnel a cependant déclaré le dispositif comme étant valide25.

13. L'article L. 442-6, III du Code de commerce donne à certaines autorités administratives le pouvoir d'agir en justice en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Ce mode de fonctionnement est également remis en cause, car il permet à l'autorité d'agir sans même avoir à solliciter l'accord de la partie concernée. Ces critiques sont d'autant plus accentuées que l'amende civile infligée en cas de confirmation de déséquilibre significatif dans la relation commerciale peut atteindre des sommes considérables pour ce chef d'accusation. À titre d'exemple, dans un des derniers arrêts26 en date, la société Eurauchan s'est vue condamne à verser 1 000 000 d'euros d'amende civile.

23 http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quilibre

24 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/significatif/72708?q=SIGNIFICATIF#71899

25 DC, 13 janv. 2011, no 2010-85.

26 Cass. com., 3 mars 2015, no 13-27-52.

14.

17

La réforme des pratiques restrictives de concurrence de la loi LME a été critiquée par la doctrine dans la mesure où « cette frénésie législative n'est pas de bon augure, car elle ne fait que démontrer que la loi précédente était mal faite, pour que l'on ait besoin d'y remédier si vite27. » Les anciennes pratiques restrictives n'étaient pas assez performantes et le législateur a pensé qu'il était nécessaire d'en créer de nouvelles. Cette réforme est-elle une réussite ? Quel est le bilan de l'interdiction du déséquilibre significatif ?

15. Les difficultés rencontrées dans la mise en place de l'interdiction du déséquilibre significatif et les nombreuses critiques adressées au dispositif ouvrent la question de sa pertinence et de son maintien. Si le dispositif a du mal à être appliqué, c'est peut-être que le déséquilibre significatif est inévitable et qu'il pourrait finalement être vu autrement que comme un désavantage. Si cet outil paraissait indispensable à la régulation des relations commerciales, un auteur pense que l'intervention du législateur visant à interdire le déséquilibre significatif ouvre en fait « la voie à un contrôle sans limites des contrats entre professionnels28 ».

16. Si l'on s'en tient à la formule de Fouillée, « qui dit contractuel, dit juste29 », le législateur n'aurait pas de raison d'intervenir pour remettre en cause les dispositions acceptées par des professionnels. Avec l'interdiction du déséquilibre significatif, le législateur remet en cause les dispositions acceptées par les partenaires commerciaux et cela, sans nécessairement tenir compte de leur volonté puisque l'action peut être entreprise par les seules autorités administratives sans l'accord de la victime. Dans certains cas, l'existence d'un déséquilibre significatif est justifiée et parfaitement en phase avec la volonté des partenaires commerciaux. Finalement, l'équilibre de la relation commerciale pourrait être atteint alors même que l'une des parties soumet son partenaire commercial à une obligation créant un déséquilibre significatif. Le maintien de ce dernier pourrait même parfois être le fondement d'une relation commerciale normale.

27 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Mutations du droit des pratiques restrictives de concurrence », RLDA, févr. 2010, p. 66.

28 M. CHAGNY, « Une (r)évolution du droit français de la concurrence ? À propos de la loi LME du 4 août 2008 », JCP G., 2008, I, 196.

29 A. FOUILLÉ, La science sociale contemporaine, 2e éd., Paris, Librairie Hachette et Cie, 1885, p. 410.

17.

18

Au moment de l'introduction de l'interdiction du déséquilibre significatif, un auteur se demandait si ce dispositif allait être « un ferment de dissolutions des contrats ou un «sabre de bois»30. » Pour l'heure, le bilan des décisions de justice reconnaissant l'existence d'un déséquilibre significatif en dehors de la grande distribution est nuancé et le juge semble refuser la majorité des demandes en dehors de ce secteur.

18. Plus généralement, la remise en cause de l'intervention du législateur nous amène à nous demander si le déséquilibre significatif est réellement une « pathologie au contrat »31. Est-il possible de penser une relation commerciale sans l'interdiction du déséquilibre significatif ? Comment les partenaires commerciaux faisaient-ils avant son apparition ? Les partenaires commerciaux ont-ils les moyens d'éviter par eux-mêmes le déséquilibre significatif ?

19. Il serait donc intéressant de s'interroger sur les raisons de l'intervention du législateur avec la création de l'interdiction du déséquilibre significatif ainsi que les difficultés de son application. On pourra alors se demander si le maintien de ce déséquilibre significatif dans les relations commerciales est justifié. Pour répondre à ces questions, il convient d'analyser dans un premier temps l'interdiction du déséquilibre significatif (Partie 1). Les problématiques liées à ce dispositif nous pousseront à étudier dans un deuxième temps la pertinence du maintien de ce dispositif (Partie 2).

30 M. CHAGNY, art. préc., I, 196.

31 E. GICQUIAUD, « Le contrat à l'épreuve du déséquilibre significatif », RTD com., 2014, p. 267.

PREMIÈRE PARTIE :

19

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF INTERDIT

20

20. L'idée de protéger la partie faible du déséquilibre significatif dans ses relations commerciales trouve son origine au XIXe siècle avec la théorie du solidarisme contractuel. Ce déséquilibre entrave le fonctionnement concurrentiel du marché et affecte indirectement les consommateurs. L'intervention du législateur en 2008, créant l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales avec la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'Économie (LME), peut s'interpréter comme une illustration de l'imprégnation de la théorie doctrinale du solidarisme contractuel (Titre 1). Pourtant, outre l'absence de définition précise, la mise en oeuvre de cette notion s'est avérée complexe. En effet, des doutes subsistent quant à la mise en pratique de l'interdiction (Titre 2). Les décisions de justice et les avis de certaines instances administratives permettent de fournir quelques précisions. Mais un manque de clarté sur des aspects indispensables pour la mise en place du dispositif remet parfois en cause l'efficacité de l'interdiction.

21

TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE

DE LA RELATION COMMERCIALE

21. L'interdiction du déséquilibre significatif de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce résulte de la nécessité de protéger l'équilibre de la relation commerciale (Chapitre 1). Le dispositif d'interdiction, inspiré du droit de la consommation, a été consacré (Chapitre 2) comme garde-fou pour éviter les dérives suite à la suppression du principe de non-discrimination tarifaire. Mais l'absence de définition de la notion de « déséquilibre significatif » reste cependant source d'insécurité juridique.

22

CHAPITRE I. LA NÉCÉSSITÉ DE PROTÉGER L'ÉQUILIBRE

DE LA RELATION COMMERCIALE

22. L'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales est l'une des traductions législatives du solidarisme contractuel (Section 1). Selon les tenants de cette approche, la prohibition est une solution adaptée à la protection de l'ensemble des acteurs économiques (Section 2).

23

Section 1. L'influence du solidarisme contractuel

23. La théorie du solidarisme contractuel considère le contrat comme un instrument permettant la protection de l'équilibre dans les relations commerciales (§1). Cette théorie, trouvant ses origines au 19e siècle, aurait inspiré la prohibition du déséquilibre significatif dans les relations commerciales. L'équilibre du contrat serait atteint dès lors que les parties en tirent l'intérêt qu'elles recherchaient au moment de contracter. Pour atteindre cet équilibre, des moyens (§2) peuvent être utilisés, tel que l'intervention du juge.

§1. Le contrat comme élément de régulation du déséquilibre entre les parties

24. La nécessité de l'équilibre contractuel pourrait trouver son origine dans la théorie du solidarisme contractuel (A), théorie ancienne mais toujours d'actualité qui prône les impératifs de bonne foi et de loyauté indispensables dans une relation contractuelle selon ses défenseurs. Cette théorie pourrait avoir influencé le législateur dans l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales (B).

A. La quête d'un équilibre contractuel

25. Le solidarisme contractuel serait la résurgence récente d'une doctrine ancienne, née entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle sous la plume de Léon Bourgeois32 et Célestin Bouglé33. Ces auteurs souhaitaient donner une base « scientifique »34 au programme radical35. Il s'agissait de repenser l'organisation sociale et politique à partir de ce qu'ils établissaient au rang de loi morale indépassable : la solidarité. Le but était

32 dans un livre Solidarité publié en 1896, Paris, Armand Collin.

33 dans un livre Le solidarisme publié en 1907, Paris, V. Giard et E. Brière.

34 P. REMY, « La genèse du solidarisme », in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum et M. Nicod, éd. Économica, 2004, p. 5.

35 Selon le dictionnaire Larousse, le radicalisme en France est un corps de doctrines d'un état d'esprit propre à ceux qui proposent une politique de réformes qui réaliseraient pleinement la laïcité, la liberté et l'égalité.

24

donc de proposer une alternative au socialisme, sans toutefois verser dans le conservatisme. Les auteurs proposaient en somme de redéfinir le rôle et l'action de l'État au sein d'une organisation sociale fondée sur un idéal de justice et dans laquelle la solidarité devait occuper une place centrale.

Léon Bourgeois et Célestin Bouglé cherchaient à démontrer la nécessité d'une cohésion sociale dans les relations entre les individus. Le premier affirmait ainsi : « nous sommes engagés dans des rapports de « droit et devoir », de dette et de créance, où nos volontés individuelles [...] nous lient en fait et que nous n'avons pas le droit de méconnaitre ou d'oublier ». Il existerait donc une sorte d'obligation à l'égard de la société qui naitrait lors de chaque rencontre de volontés.

26. Émile Durkheim s'est également fait le promoteur de la doctrine solidariste en affirmant que le « contrat est par excellence, l'expression juridique de la coopération36 ». Selon lui, le contrat entretient un rapport avec la division du travail puisque « coopérer [...] c'est se partager une tâche commune37 ». La relation contractuelle exigerait des parties une coopération nécessaire à l'atteinte de leur intérêt commun. La doctrine solidariste a fait des émules et a donné lieu à de nombreux courants de « solidarisme juridique » qui perdurent encore aujourd'hui. Au XXIe siècle, des auteurs comme Denis Mazeaud ou Christophe Jamin continuent de soutenir la théorie du solidarisme contractuel38. Cette doctrine se distingue par « l'affirmation selon laquelle il est nécessaire d'ériger en principe du droit des contrats les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne foi qui doivent conduire les contractants à collaborer entre eux39 ». Les travaux contemporains font la promotion d'une approche sociale du droit encore renforcée par la crise économique consécutive au premier choc pétrolier et les autres qui s'ensuivirent.

36 É. DURKHEIM, De la division du travail social, étude sur l'organisation des sociétés supérieures. Paris, éd. Felix Alcan, 1893, p. 132.

37 Ibid.

38 Sur ce point, V. Ch. JAMIN, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN, LGDJ, 2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? », Mélanges Fr. TERRÉ, 1999, p. 603.

39 L. GRYNBAUM, « La notion de solidarisme contractuel », in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum et M. Nicod,. Économica, 2004, p. 25.

25

Pour les auteurs solidaristes, il existe au coeur du solidarisme contractuel une obligation contractuelle de loyauté, de coopération et de bonne foi.

B. L'influence du solidarisme contractuel dans l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales

27. Le solidarisme contractuel aurait inspiré l'idée de prohibition du déséquilibre significatif dans les relations commerciales, notamment à travers l'idée d'exécution de bonne foi du contrat. Pour Denis Mazeaud, le contrat serait « sociable »40. La bonne foi et son corollaire la loyauté s'imposent comme une ligne de conduite pour les parties contractantes. A priori, le contrat est davantage un lieu où s'expriment des rapports de force plutôt qu'un lieu de sociabilité et de solidarité. Dans cet état de violence règne la « loi du plus fort mais cette loi ne fait pas le droit41. » C'est pourquoi les exigences de bonne foi et de loyauté doivent intervenir afin de rééquilibrer le rapport de force contractuel. Les devoirs de bonne foi et de loyauté obligeraient les parties à un civisme contractuel exigeant un équilibre contractuel minimum. Que l'on ne s'y trompe pas, « il ne s'agit pas d'assurer une stricte égalité, mais simplement de dire qu'une clause [...] qui n'a d'autre justification qu'un rapport de force inégalitaire est en droit inadmissible42. » L'impératif de bonne foi et de loyauté va corriger l'inégalité et la dépendance qui président parfois à la conception du contrat. Il contribue ainsi à instaurer une certaine justice contractuelle.

28. Émile Durkheim explique que c'est l'insuffisance du contrat qui justifie l'intervention du législateur : « le contrat ne se suffit pas à soi-même, mais il n'est possible que grâce à une réglementation du contrat qui est d'origine sociale »43. C'est l'origine sociale du contrat qui impose une réglementation afin de protéger son équilibre. Bien que l'article 1134 du Code civil exige la bonne foi dans l'exécution des conventions, le législateur va étendre cette exigence de droit commun dans des droits spéciaux. Le droit du travail est évidemment concerné ainsi que le droit de la concurrence qui, avec

40 D. MAZEAUD, art. préc., p. 610.

41 J.-P. CHARIÉ, Rapport préc., p. 13.

42 Fr.-X. TESSU, « Le juge et le contrat d'adhésion », JCP G, 1993, I, 3673.

43 É. DURKHEIM, op. cit., p. 434.

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l'interdiction du déséquilibre significatif, impose une certaine loyauté dans les contrats commerciaux. Dans le premier cas, c'est le lien de subordination économique qui justifie l'intervention du législateur et dans le second, le lien de dépendance économique.

§2. Les moyens utilisés pour rétablir l'équilibre entre les partenaires commerciaux

29. Quelle est la nature du déséquilibre contractuel ? (A) Lorsque les intérêts des parties ne sont pas atteints, la relation peut être considérée comme déséquilibrée. Pour faire disparaitre le déséquilibre (B), l'intervention du législateur puis celle du juge est nécessaire.

A. Nature du « déséquilibre contractuel »

30. La solidarité contractuelle exigerait un équilibre dans la relation contractuelle que l'on peut définir comme « [...] la juste répartition des éléments d'un tout44. » Le concept d'équilibre est celui de justice. Un contrat équilibré est un contrat juste dans la répartition des charges et profits. On considère que cette juste répartition est atteinte lorsque les parties retirent du contrat l'intérêt qu'elles recherchaient au moment de son établissement. Lorsque cette juste répartition est absente, un déséquilibre contractuel se crée.

31. Pour les auteurs solidaristes, « dans un contexte d'inégalité chacune des parties, et non pas seulement la plus puissante [devrait] tirer un bénéfice du contrat45. » Par conséquent, un contrat équilibré n'est pas forcément celui où il y a un rapport de forces égales, mais dans lequel chaque partie trouve son intérêt. Dans le cadre des relations commerciales, lorsque chaque professionnel ressort un profit de la relation commerciale. L'équilibre est censé d'être établit.

44 L. FIN-LANGER, L'équilibre contractuel, cité in A.-S. COURDIER-CUISINIER, Le solidarisme contractuel, préf. É. Loquin, éd. LexisNexis, 2006., p. 135.

45 Chr. JAMIN, cité in Y. LEQUETTE, « Bilan des solidarismes contractuels », Mélanges P. Didier, Économica, 2008, p. 258.

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B. Disparition du déséquilibre

32. Les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne foi, nécessaires à l'atteinte de l'équilibre contractuel, résultent d'une intervention législative. Puisqu'il est entendu qu'« entre le fort et le faible [...], c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchi46 », le législateur doit endosser le rôle du « sauveur » de l'équilibre contractuel. Une intervention du législateur au nom de la solidarité contractuelle peut être le dispositif de l'article 12441 du Code civil laissant au juge la possibilité d'octroyer des délais de grâce. L'intervention du législateur dans les relations commerciales est justifiée d'autant plus dans la mesure où le droit des affaires est un « droit sentimental »47 où la loyauté est nécessaire.

33. Finalement, c'est au juge qu'il revient de prendre les mesures propres à réintégrer de la solidarité dans le contrat.

La quête du solidarisme d'un équilibre contractuel restauré passe en premier lieu par la suppression des clauses abusives. Il s'agit d'influer sur le choix de l'aiguille de la balance et c'est au juge qu'il incombe d'intervenir quand cette aiguille n'est pas au point de stabilité. Cette intervention se fait souvent par la suppression de la clause à l'origine du déséquilibre. Ainsi, dans l'arrêt « Chronopost »48, le juge agit au nom de la solidarité contractuelle en réputant non écrite la clause limitative de responsabilité qui vide de sa substance le contrat.

34. En somme, c'est cet objectif de solidarisme contractuel qui serait à l'origine de l'interdiction du déséquilibre contractuel entre partenaires commerciaux, cette interdiction venant corriger une inégalité contractuelle naturelle.

46 H. LACORDAIRE, op. cit., p. 494.

47 M. MALAURIE-VIGNAL, « Éthique des pratiques restrictives », LPA, 24 nov. 2011, p. 14.

48 Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632, D. 1997. 121, obs. A. Sériaux ; RTD civ., 1997, 418, obs. J. Mestre.

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Section 2. Un nécessaire équilibre

35. Les raisons ayant poussé le législateur à interdire le déséquilibre significatif dans les relations commerciales sont plurielles. Néanmoins, les plus saillantes tiennent au souci de maintenir la concurrence (§1) et la protection du consommateur (§2).

§1. Un équilibre nécessaire au maintien de la concurrence

36. La doctrine néoclassique considère que la concurrence sera pure et parfaite lorsque l'équilibre concurrentiel est atteint. Il s'agit du point d'intersection de la courbe de la demande avec celle de l'offre49. Les situations de monopole empêchent l'avènement de cet objectif et l'obligation d'un équilibre dans les relations commerciales s'interprète ainsi comme un moyen d'atteindre cette fin en contrôlant le comportement des entreprises dominantes.

37. En France, l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce visent à protéger certains intérêts des acteurs économiques engagés dans une relation commerciale. Ces interdictions qualifiées de « petit droit de la concurrence » ayant comme objectif de protéger les intérêts catégoriels, ceux des professionnels, sont volontiers opposées au « grand » droit de la concurrence qui protégerait le marché dans son ensemble. D'une façon générale, le droit des pratiques restrictives protège le cocontractant de son partenaire en exerçant un contrôle de la formation, du contenu ainsi que de la rupture du contrat50. L'équilibre contractuel entre partenaires commerciaux s'inscrit dans le cadre de cette protection.

38. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce prévoit l'interdiction d'un déséquilibre significatif dans les relations entre partenaires commerciaux. Cette règlementation est principalement une réponse du législateur aux abus de certains

49 J. DREXL, « Déséquilibres économiques et droit de la concurrence », in Les déséquilibres économiques et le droit de la concurrence, (dir.) L. BOY, Larcier, 2015, p. 34.

50 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence interne et européen, 6e éd., Sirey, 2014, p. 122.

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fournisseurs et distributeurs à l'égard de leurs partenaires51. Ces abus portaient atteinte à la libre concurrence dans le secteur de la distribution. En effet, la France compte quelques grands groupes de fournisseurs de taille internationale dans ce domaine ayant un pouvoir important à l'égard de leurs distributeurs. En contrepoint, en matière de grande distribution, les dix premières entreprises françaises occupent 73% des parts de marché du secteur des biens de consommation à rotation rapide52. Mais la plupart des fournisseurs sont des PME (environ 7900 entreprises)53 soumises généralement aux conditions posées par les grands distributeurs. Nous avons une distribution assez concentrée et un grand nombre de fournisseur qui ne créent pas les conditions d'un rapport de force équitable.

Alors que du côté des producteurs, l'offre est éclatée, du côté des distributeurs, la demande est concentrée dans quelques grandes centrales d'achat. Le déséquilibre contractuel est le résultat de la puissance d'achat des distributeurs dont le montant des commandes représente un marché incontournable pour le fournisseur. Les fournisseurs consentent à ce déséquilibre significatif dans la mesure où les centrales d'achat s'imposent comme un « point de passage quasi obligatoire pour les industriels qui veulent faire connaitre leurs produits au consommateur54 ». C'est pour remédier à cette situation et permettre une libre concurrence que le législateur est intervenu. L'enjeu dans le maintien de la libre concurrence est de protéger les opérateurs des abus commis par leurs partenaires commerciaux. Considérant qu'il n'y a « pas de croissance, pas de modernisation, sans retour à la loyauté55 », le législateur entend faire respecter un devoir de bonne foi et de loyauté.

39. Bien que l'objectif principal du législateur fût de protéger la relation fournisseur-distributeur, l'extension de l'interdiction du déséquilibre significatif à l'ensemble des relations commerciales illustre sa volonté de combattre toutes les formes de déséquilibre entre partenaires commerciaux. Il est postulé qu'en recouvrant un équilibre contractuel perdu, la concurrence sera plus vive et plus saine. L'interdiction du déséquilibre

51 Cf. supra, nos 9 s.

52 J.-J. ROBERT, Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Sénat, 30 avr. 1996, no 336, p. 5.

53 G. CANIVET, Restaurer la concurrence par les prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie et commerce, La Documentation française, oct. 2004, p. 50.

54 J.-J. ROBERT, rapport préc., p. 11.

55 J.-P. CHARIÉ, rapport préc., p. 41.

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significatif est une manière d'éviter le syndrome du « trou noir56 » éliminant toute idée de contrat de gré à gré. L'objectif est de permettre aux partenaires commerciaux de négocier librement leurs contrats sans se voir imposer de clauses déséquilibrées.

§2. Un équilibre nécessaire pour les consommateurs

40. L'un des principaux souhaits du législateur au moment de la création de la loi dite « LME » était d'augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs. Cet objectif serait d'ailleurs devenu pour lui une véritable « obsession57 ». Le ministre de l'Économie d'alors, madame Christine Lagarde, affirmait que la réforme des pratiques restrictives de concurrence devait permettre aux « fournisseurs et distributeurs de négocier librement les tarifs, et les consommateurs «auraient» accès à plus de supermarchés et donc aux prix les plus bas58. » Les relations entre professionnels affectent nécessairement le consommateur et ce n'est pas pour rien que la récente loi Hamon59 relative à la consommation comporte un volet consacré aux relations fournisseurs-distributeurs. Pour certains auteurs de la doctrine, il s'agirait d'un « mouvement contemporain d'inspiration réciproque » entre droit de la concurrence et droit de la consommation visant « le bénéfice des consommateurs au moyen d'une libre concurrence sur le marché60. »

La baisse des prix passerait par une stabilisation des relations fournisseurs-distributeurs, car si l'« on maltraite le fournisseur ou le distributeur, le consommateur est également victime61. » Quand la relation entre les partenaires commerciaux est équilibrée, les parties n'ont guère besoin d'augmenter leurs tarifs pour compenser les éventuelles pertes nées du déséquilibre.

56 Ibid., p. 16.

57 M. MALAURIE-VIGNAL, « Le nouvel article L. 442-6 du Code de commerce apporte-t-il de nouvelles limites à la négociation contractuelle ? », CCC, nov. 2008, n° 11, dossier 5, p. 12.

58 M. VISOT, « Modernisation de l'économie : doutes sur la baisse des prix », Lefigaro.fr, 29 avr. 2008 rubrique actualité-consommation.

59 L. no 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF n° 0065 du 18 mars 2014.

60 A.-C. MARTIN et D. FÉRRIER « Propos introductifs », JSS, janv. 2014, p. 9.

61 M. MALAURIE-VIGNAL, art. préc, dossier 5.

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CHAPITRE II. LA CONSÉCRATION DE L'INTERDICTION DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF À L'ARTICLE L. 442-6, I, 2° DU CODE DE COMMERCE

41. L'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales résulte de l'introduction de l'article L. 442-6, I, 2° dans le Code de commerce (Section 1). Toutefois, la définition de la notion reste ambiguë (Section 2).

Section 1. L'interdiction formelle du déséquilibre significatif dans les relations commerciales

42. La genèse de l'interdiction du déséquilibre significatif, fruit d'une longue évolution, a été influencée par le droit de la consommation (§1). En effet, le partenaire commercial protégé par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est assimilé à un consommateur (§2).

§1. Genèse de l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales

43. Le point de départ de l'interdiction du déséquilibre significatif est l'abrogation du principe de non-discrimination dans les relations commerciales (A). Ce principe n'entraînant pas l'effet voulu par le législateur lors de sa création, c'est-à-dire la fin des abus dans les relations commerciales, le législateur l'abrogea. Cependant, il prévoit aussitôt un garde-fou : l'interdiction du déséquilibre significatif dont la constitutionnalité fut reconnue par le Conseil Constitutionnel le 13 janvier 2011 (B).

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A. Abrogation du principe de non-discrimination : point de départ de l'interdiction du déséquilibre significatif

44. À la suite de l'Ordonnance du 30 juin 1945 relative aux prix62, le droit français affirmait, à l'article L. 442-6, I, 1° du Code commerce, un principe de non-discrimination dans les relations commerciales. Une partie pouvait voir sa responsabilité engagée si elle obtenait de son partenaire commercial des prix, des délais de paiement, des conditions ou des modalités de vente discriminatoires et non justifiées par de réelles contreparties. Ce texte était considéré comme la « pierre angulaire63 » des pratiques restrictives de concurrence en France. Il fut abrogé par la loi LME.

45. L'abrogation de ce texte résulte de son inefficacité. Alors que l'interdiction du principe de non-discrimination entre partenaires commerciaux avait pour objectif d'éviter des abus dans les relations commerciales, elle engendrait en pratique un effet pervers. En effet, elle dissuadait les parties de faire appel à la négociation personnalisée par crainte de voir leur responsabilité engagée en application de ce dispositif. Ce manque de négociation personnalisée empêchait la différenciation par les prix et obligeait les parties à recourir aux marges arrière pour contourner l'interdiction. Cette manoeuvre entraînait une hausse des prix de revente aux consommateurs. De plus, le principe de nondiscrimination n'interdisait pas la différence entre les partenaires commerciaux du moment où il y avait une contrepartie alors que repartie, alors même que celle-ci pouvait être disproportionnée et créer un déséquilibre. L'inefficacité de ce dispositif s'illustre particulièrement par le faible nombre de litiges s'appuyant sur l'ancien article L. 442-6,

I, 2° du Code de commerce. Entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2007, le juge français n'a rendu que huit décisions sur le fondement de cet article64.

Une fois l'inefficacité du dispositif constatée, le gouvernement a décidé d'intervenir en créant un dispositif efficace contre le déséquilibre dans la relation commerciale. L'idée

62 Ord. n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative aux prix, JORF 8 juill.1945 rectificatif JORF 21 juill. et 8 sept. 1945.

63 N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, sept. 2014, p. 34.

64 M.-D. HAGELSTEEN, La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente, Rapport remis au Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi et au Secrétaire d' État chargé de la Consommation et du Tourisme, 12 févr. 2008, p. 28.

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était de sanctionner les abus commis dans les relations commerciales, notamment en raison du déséquilibre des rapports de force. Certes, l'interdiction de la nondiscrimination ayant été supprimée, les parties devenaient libres de déterminer des « prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat65. » Cependant, cette suppression portait en elle les germes de l'abus. C'est précisément pour éviter ces dérives que le législateur modifia l'article L. 442-6, I, 2° du Code de Commerce qui, depuis la loi NRE66, interdisait l'abus de puissance de vente ou d'achat. À la place, il introduisit l'interdiction du déséquilibre significatif. Ce dernier va venir sanctionner le fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties. Contrairement à son prédécesseur, ce texte n'exige pas de démontrer une situation de dépendance et une puissance d'achat ou de vente. L'article L. 442-6, I, 2° fait uniquement référence au « partenaire commercial », désignation large qui dépasse la relation de dépendance ou de puissance. D'un côté, la loi libère la négociabilité en supprimant l'interdiction de discriminations tarifaires, de l'autre, elle évite l'apparition d'un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties. L'interdiction du déséquilibre significatif va venir sanctionner les abus qui nuisent aux relations commerciales et par conséquent au bon fonctionnement du marché.

B. La constitutionnalité du texte interdisant le déséquilibre significatif

46. Après l'introduction de la notion de « déséquilibre significatif » à l'article L. 442-

6, I, 2° du Code de commerce, s'est posée la question de sa constitutionnalité. C'est à l'occasion des assignations « Novelli67», où neuf distributeurs furent assignés par le Secrétaire d'État aux PME, que la société Darty souleva l'inconstitutionnalité de la notion de déséquilibre significatif. La société alléguait que la disposition ne respectait pas le principe constitutionnel de légalité des délits et de peines que consacre l'article 8 de la

65 C. com., anc. art. L. 442-6, I, 1°, abrogé par la LME.

66 L. n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JORF n° 113 du 16 mai 2001.

67 Assignation faite par Monsieur Hervé Novelli Secrétaire d'Etat aux PME en 2009 au moment de l'assignation à l'encontre de neuf enseignes : Carrefour, Castorama, Casino, Darty, Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché et Système U.

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen68. Par un arrêt du 15 octobre 2010, la Cour de cassation accepta de porter la question devant le Conseil constitutionnel69.

47. Dans une décision du 13 janvier 201170, le Conseil Constitutionnel estime que l'article L. 442-6, I, 2° est énoncé dans des « termes suffisamment clairs et précis. » En outre, la notion n'est pas nouvelle puisqu'elle apparaissait déjà à l'article L. 132-1 du Code de la consommation et que ce texte était fréquemment utilisé par les juridictions judicaires. Pour le Conseil, l'application de l'article L. 442-6, I, 2° ne sera pas arbitraire, même si la notion laisse au juge une certaine marge d'appréciation. Le juge constitutionnel relève également que l'article L. 442-6, III, 6° donne la possibilité à la juridiction saisie de solliciter l'avis de la Commission d'Examen des Pratiques Commerciales (CEPC) qui assure la protection des partenaires commerciaux en rendant des avis sur les clauses qui lui sont soumises. L'éventuelle insécurité juridique générée par cette notion pourrait donc être limitée par l'intervention de la CEPC. L'avis rendu par la commission suffit-il à garantir le principe de légalité des délits et des peines ? Nous verrons plus loin les problématiques que la notion de déséquilibre significatif soulève et le rôle de la CEPC dans l'identification des situations de déséquilibre71.

48. Nous venons de voir que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est le fruit d'une longue évolution. Plusieurs textes se sont succédés afin de sanctionner les abus. Toutes ces modifications nous montrent finalement qu'il y avait un problème dans les versions antérieures. Qu'est-ce qui garantit que cette fois-ci, ce dispositif sera efficace ?

34

69 Cass. QPC, 15 oct. 2010, no 1137.

70 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.

71 Cf. supra nos 59 s., 96 s.

35

§2. Une notion inspirée du droit de la consommation

49. La notion du déséquilibre significatif dans les relations commerciales s'apparente au déséquilibre significatif interdit dans les contrats de consommation (A), néanmoins, une assimilation des deux notions est contestable car le partenaire commercial n'étant pas dans la même situation qu'un consommateur (B).

A. L'assimilation du partenaire commercial au consommateur

50. Le législateur a tendance à assimiler le partenaire commercial à un consommateur. L'objectif est de le protéger comme le consommateur, c'est-à-dire comme la partie faible au contrat.

L'assimilation du partenaire commercial au consommateur est flagrante dans l'interdiction du déséquilibre significatif. Comme nous l'avons vu72, le Conseil Constitutionnel a été questionné sur la validité de l'article L. 442-6, I, 2°. Or, l'un des arguments utilisés pour déclarer la disposition constitutionnelle a été justement de soulever que l'interdiction du déséquilibre significatif dans la relation commerciale était valable puisqu'elle existait déjà dans la règlementation française, à l'article L. 132-1 du Code de la consommation. Le Conseil Constitutionnel compare le déséquilibre significatif du contrat de consommation à celui de l'article L. 442-6, I, 2°. Le législateur a emprunté une notion issue du Code de la consommation qu'il a introduit dans le Code de commerce. Certains auteurs ont même noté qu'il s'agissait d'un « droit de la consommation bis73. »

51. Le juge judiciaire confirme cette volonté d'assimilation. Dans un arrêt du 18 septembre 2013, la cour d'appel de Paris fait référence aux « clauses noires » de l'article R. 132-1 du Code de la consommation74. Ces clauses sont irréfragablement réputées non

72 Cf. supra nos 46 s.

73 L. ROBERVAL et D. FASQUELLE, « Modernisation de l'économie : le législateur semble reprendre la suppression de l'interdiction des discriminations préconisée par le rapport Hagelsteen dans le projet de loi sur la modernisation de l'économie («Négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente») », Concurrences 2008, no 2, p. 125.

74 CA Paris, 18 sept 2013, no 12/03177.

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écrites à raison de « la gravité des atteintes qu'elles portent à l'équilibre des contrats75. » La juridiction du second degré affirme « que ces règles peuvent inspirer l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. » Nous voyons bien que le juge judiciaire confirme la volonté du Conseil Constitutionnel en assimilant le déséquilibre significatif du Code de la consommation à celui du Code du commerce.

52. Nous pouvons observer que l'histoire des deux textes est similaire. Avant que ne soit introduit le déséquilibre significatif dans le Code de la consommation en 2001, seules les clauses abusives conférant un avantage excessif à la partie ayant une puissance économique étaient prohibées76. Le législateur a suivi le même chemin en 2008 lors de l'introduction du déséquilibre significatif dans le Code de commerce par la loi LME. Auparavant, seules étaient proscrites les conditions commerciales ou les obligations non justifiées77. Dans les deux textes, nous sommes passés d'une interdiction des avantages excessifs et injustifiés à celle du déséquilibre significatif. Il appert que le législateur a introduit le concept de déséquilibre significatif du droit de la consommation en droit de la concurrence.

53. Le législateur a tendance à assimiler la partie faible de la relation commerciale à un consommateur. À propos du déséquilibre significatif, le professeur Catala affirmait que « les deux mots clés étant les mêmes, ils ne peuvent pas signifier le contraire à un code de distance78. » L'une des parties à la relation commerciale est considérée comme faible, car le verbe « soumettre » présent à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait ressortir l'état de puissance d'une partie à l'égard de l'autre. C'est également le cas du consommateur dans le contrat de consommation.

54. Peut-on accepter la présomption d'un déséquilibre dans les relations commerciales ? Le législateur a emprunté une règle du droit de la consommation, où l'on sait que le déséquilibre entre les parties est le principe et l'équilibre l'exception, pour régir des relations commerciales. Pour autant, il semble qu'en matière de droit commercial, le principe devrait être l'équilibre et le déséquilibre l'exception dans la

75 C. conso., art. L. 132-1.

76 C. conso., art. L. 132-1, version en vigueur du 2 fév. 1995 au 25 août 2001.

77 C. com., anc. art. L. 442-6, I, 1°, abrogé par la LME.

78 P. CATALA, « Des contrats déséquilibrés », in Mélanges F.-Ch. JEANTET, LexisNexis, 2010, p. 88.

37

mesure où nous sommes en présence de deux professionnels avisés79. Le législateur paraît ainsi avoir créé un régime juridique traitant d'une exception.

B. L'assimilation contestable

55. Le législateur assimile le partenaire commercial considéré comme « faible » à un consommateur. Cependant, si nous prenons le cas du fournisseur, souvent désigné comme la partie faible, il a une connaissance parfaite du produit contrairement au consommateur profane qui est dans une situation d'infériorité justifiant une sorte d'« assistanat juridique80. » De même, alors qu'en matière de droit de la consommation la partie faible est toute désignée, dans le droit de la concurrence au contraire, nous ne savons pas à l'avance laquelle des deux parties à la relation commerciale est faible.

56. Notons par ailleurs que l'article L. 132-1 du Code de la Consommation interdit uniquement les clauses déséquilibrées, c'est-à-dire celles ayant « pour objet ou pour effet de créer [...] un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. » Quant au déséquilibre significatif du droit de la concurrence, il s'apprécie au regard des « droits et obligations des parties » à l'aide d'une appréciation globale du contrat. Nous verrons plus tard que la jurisprudence semble apprécier le déséquilibre significatif de l'article L. 442-6, I, 2° par le truchement d'une analyse globale du contrat et en tenant compte du comportement des parties.

57. Enfin, les termes « tenter » ou « soumettre » utilisés dans l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdisant le déséquilibre significatif dans les relations commerciales, laissent supposer que la disposition sanctionne un comportement. Alors que l'interdiction de l'article L. 132-1 du Code de la consommation dispose clairement que ce sont uniquement les « clauses » qui seront analysées. Nous verrons plus tard que la jurisprudence tend à prendre en compte le comportement des parties dans l'évaluation du déséquilibre significatif dans les relations commerciales81.

79 A.-C. MARTIN et D. FÉRRÉ, « Propos introductifs », JSS, janv. 2014, p. 9.

80 M. BEHAR-TOUCHAIS, « La sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels », RDC, 1er janv. 2009, p. 202.

81 Cf. infra nos 117 s.

38

58. Ces différences expliquent sans doute pourquoi la cour d'appel de Paris a établi que « si le juge peut s'inspirer des solutions dégagées sur le fondement de l'article L. 1321 du Code de la consommation pour interpréter les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, il ne peut se contenter de raisonner par analogie, dès lors que le champ d'application des deux textes est distinct, l'article L. 442-6 précité ayant vocation à s'appliquer dans les rapports entre professionnels où les rapports de force sont différents de ceux existants entre professionnels et consommateurs82. » L'analogie totale ne saurait être de mise. La cour fait ici sûrement allusion aux clauses visées par les articles R. 1321 et suivants du Code de la consommation83. On commettrait donc une erreur en assimilant trop vite les deux types de relations. De manière générale, le consommateur n'est pas un professionnel, tandis que le premier est « profane », le second est un « sachant »84. Le déséquilibre significatif dans les relations commerciales a été formellement interdit, mais sa mise en application semble délicate puisque le législateur n'a pas pris soin de définir cette notion.

82 CA Paris, 29 oct. 2014, no 13/11059.

83 Cf. supra n° 51.

84 V. MARX et A.-C. MARTIN, « Le contrôle du déséquilibre significatif dans les relations entre fournisseurs et distributeurs », Option finance, 12-16 janv. 2012, p. 28-29.

39

Section 2. Le déséquilibre significatif : une notion ambiguë ?

59. Le législateur n'a pas défini le déséquilibre significatif. Ce vide juridique fait place à une confusion quant à la potée de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce (§1), voire à de l'insécurité juridique (§2).

§1. Une notion large

60. Le législateur n'a pas indiqué les personnes concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. La seule chose dont nous sommes certains, c'est que l'auteur du déséquilibre significatif doit être un « producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers » et que la victime doit être un « partenaire commercial ». La détermination de ce dernier pose problème et fait place à un champ d'application ratione personae trop large (A). Si le législateur n'a pas indiqué précisément les personnes concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, il n'a pas davantage défini la notion du déséquilibre significatif. Par conséquent, le champ d'application ratione materiae de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce demeure indéterminé (B).

A. Un champ d'application ratione personae trop large

61. Bien que la volonté initiale du législateur fût de protéger le petit fournisseur contre le grand distributeur, le texte finalement voté vise non seulement l'interdiction du déséquilibre significatif dans la relation fournisseur-distributeur, mais aussi un grand nombre de relations commerciales. Tout opérateur économique est susceptible d'être poursuivi puisque l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce s'adresse à « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers. »

Nombreux sont les arrêts où le juge s'essaye à délimiter le champ d'application ratione personae de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Dans un arrêt de la

cour d'appel de Nancy85, le recours à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est refusé puisque le client n'avait pas été considéré comme le partenaire commercial du cédant, cette qualité étant nécessaire pour que l'article s'applique. En l'espèce, un contrat de licence d'exploitation avait été conclu entre un client et le cessionnaire. Le contrat prévoyait une clause d'exonération de responsabilité du cessionnaire en cas d'anomalies de fonctionnement du site internet. La juridiction du second degré estime que le client ne pouvait pas invoquer l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans la mesure où il n'était pas le partenaire commercial du cédant. Elle donne ici une condition essentielle quant à la qualité du partenaire commercial qui doit être le partenaire économique, c'est-à-dire « le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une action quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d'effectuer des actes ensemble dans les activités de par opposition à la notion plus étroite de cocontractant. ». Le champ d'application ratione personae inclut donc tout partenaire économique, du moment que la relation est durable.

Dans un autre arrêt, la cour d'appel de Lyon86 indique que la qualité de partenaire commercial au sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce « suppose une certaine continuité ». En l'espèce, les parties étaient liées par un des contrats prévoyant le financement des équipements, mais ceux-ci n'étaient conclus que de manière ponctuelle, ce qui interdisait la qualification de partenaire commercial. Pour se prévaloir de l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, le partenaire commercial supposé lésé doit avoir une relation commerciale durable et stable avec l'auteur du déséquilibre significatif.

40

85 CA Nancy, 14 févr. 2013, n° 12/00378.

86 CA Lyon, 10 mai 2012, n° 10/08302.

41

B. Un champ d'application ratione materiae indéterminé

62. Le champ d'application ratione materiae de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, interdisant le déséquilibre significatif, n'a pas été défini par le législateur et ce, dans une quête d'exhaustivité de situations pouvant être concernées par l'interdiction (1). A son tour, la jurisprudence continue à élargir ce champ d'application et l'absence de définition de la notion de déséquilibre significatif contribue à son élargissement (2).

1- Une quête d'exhaustivité

63. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdit le déséquilibre significatif entre partenaires commerciaux, mais il n'indique pas précisément le type de relation commerciale visé. Le législateur a recouru à des termes larges afin d'obtenir un périmètre d'application étendu. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirme cette idée puisque d'après elle « c'est précisément sa généralité qui en fait un instrument que l'on espère efficace, puisqu'il permettra d'appréhender tout nouveau comportement qu'une rédaction trop étroite n'aurait pas permis de qualifier87. » Les pouvoirs publics choisissent des termes vastes afin de faire rentrer le plus grand nombre de pratiques possibles dans son champ d'application.

64. La cour d'appel de Douai signale que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce concerne les partenaires commerciaux « sans instaurer la moindre réserve concernant la nature ou la forme des relations commerciales88 ». Le champ d'application de cet article est donc très vaste et, selon un auteur, l'élargissement du champ d'application de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce pourrait conduire à un contrôle « sans limites » des contrats entre professionnels89. Cet élargissement ne doit cependant pas surprendre dans la mesure où le législateur souhaitait encadrer les relations commerciales au sens large pour éviter les abus.

87 DGCCRF, Questions-réponses sur « Les relations industries/commerce », 28 nov. 2008.

88 CA Douai, 13 sept. 2012, no 12/02832.

89 M. CHAGNY, art. préc., I, 196.

65. 42

Lors de l'analyse du terme « partenaire commercial » apparaissant à l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, la cour d'appel de Versailles confirme que l'existence d'un contrat écrit entre les parties n'est pas nécessaire90. Selon la cour, « le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties doit s'apprécier dans la formation et l'exécution des relations contractuelles entre les parties au contrat [...] peu [importe] qu'il n'y ait pas de contrat écrit. » Cette décision vient confirmer cette volonté de couvrir la plus grande variété de pratiques commerciales, ainsi, tout échange de consentement, transposé par écrit ou non, entrera dans le champ d'application de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Une question reste en revanche en suspens : jusqu'où s'étend le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce? Pour un auteur, cette extension est regrettable, car l'article n'a pas vocation à être « l'exutoire de toutes les souffrances économiques91. »

66. Nous savons que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a été principalement conçu pour protéger les fournisseurs de la grande distribution, cependant les juridictions ont rendu des décisions concernant d'autres types de relations mais dans une moindre mesure.

À titre d'exemple, la cour d'appel de Paris a supprimé du règlement intérieur d'un groupement d'intérêt économique (GIE) formé par des radio, une disposition qui prévoyait qu'en cas de sortie du GTE d'une radio adhérente, elle devait continuer à figurer dans le GIE pendant la période de préavis pour les résultats d'audience. En cas de refus de cette contrainte, la radio sortante devait s'acquitter d'une indemnité égale à 30 % de son chiffre d'affaires annuel de publicité nationale92. Pour la Cour d'appel, le montant de l'indemnité en cas de non-respect du règlement était disproportionné et que, plus qu'une indemnité, « il [s'agissait] d'un coût dissuasif » et qualifie la clause comme créatrice d'un déséquilibre significatif. En l'espèce, le juge accepta le déséquilibre significatif alors que le requérant aurait pu se limiter à demander une révision classique de cette clause pénale, comme le permet l'article 1152 du Code civil. Cette décision montre une volonté

90 CA Versailles, 27 oct. 2011, no 10/05259.

91 G. PARLÉANI, « Le devenir du déséquilibre significatif », AJCA, 2014, p. 104.

92 CA Paris, 30 mai 2014, no 11/23178.

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d'augmenter le nombre de situations pouvant être concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

2- Quel déséquilibre ?

67. Une des plus grandes difficultés de l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est la définition du déséquilibre significatif. Elle ne fait l'objet d'aucune définition légale. L'incertitude quant à ses contours inquiète non seulement la doctrine, mais aussi des élus. C'est le cas de Monsieur le député François Brottes qui a demandé au gouvernement de définir clairement la notion de déséquilibre significatif93. Le ministre délégué de l'Économie sociale et solidaire et de la consommation proposait alors de se référer aux avis de la CEPC et de la DGCCRF, ou encore aux décisions de justice afin de déterminer les situations pouvant être considérées comme déséquilibrées. Il est pourtant essentiel d'avoir une définition précise de cette notion pour déterminer quelles situations elle est appelée à régir.

68. La seule définition du déséquilibre significatif a été donnée par le juge. Cependant, elle n'a pas été reprise par le législateur et rien ne nous garantit qu'elle ne fera pas l'objet d'un revirement de jurisprudence. Selon la cour d'appel de Paris94, il s'agit du « fait pour un opérateur économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne. » Il convient de s'attarder sur cette définition. Tout d'abord, la cour d'appel invoque le « fait d'imposer » alors que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait référence à « soumettre » ou « tenter de soumettre ». La cour d'appel ne tient donc pas compte de l'éventuelle « tentative » d'imposer un déséquilibre significatif. Ensuite, la cour évoque l'interdiction « d'imposer », cette interdiction nous fait penser à certaines clauses « imposées » au salarié, telles que les clauses de confidentialité. Si le salarié souhaite être recruté, il doit accepter certaines clauses impératives dans le contrat. Dans un contrat entre professionnels, cette « imposition » est interdite. Nous ne sommes pas dans le même type de relation. C'est pourquoi, il convient de rappeler les critiques qui ont été faites à propos de l'assimilation du professionnel au consommateur, les deux se trouvant dans une situation différente, c'est aussi le cas du salarié. La cour d'appel fait

93 F. BROTTES, question écrite au ministre délégué de l'Economie sociale et solidaire, no 29378.

94 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

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également référence à l'interdiction de « recevoir une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne. » La cour d'appel ne tient pas compte ici du fait que la contrepartie de l'autre partie n'est pas forcément de même nature95. Comment savoir si une contrepartie est disproportionnée alors que chaque obligation est différente ?

Les doutes quant à cette définition donnée par la cour d'appel de Paris nous indiquent que cette définition n'est pas réellement adaptée au dispositif interdisant le déséquilibre significatif. Une définition claire et précise devrait être donnée par le législateur afin de faciliter l'application de cette disposition.

69. Il serait judicieux de s'interroger sur cette volonté du législateur de ne pas donner de définition exacte du déséquilibre significatif. Comme nous l'avons vu, plusieurs modifications de l'article L. 442-6 du Code de commerce se sont succédées avant d'arriver à son actuelle formulation96. Malgré cela, le législateur ne parvient pas à donner une définition claire du déséquilibre significatif. La mise en oeuvre d'une notion « fourre-tout » ne révèle-t-elle pas l'impuissance des pouvoirs publics à protéger efficacement les professionnels d'éventuels abus ? Comme le souligne Monsieur le Député François Brottes, est-il utile d'avoir une telle marge d'incertitude pour une notion ayant un champ d'application aussi large97 ? Enfin, l'imprécision de ce texte explique sans doute son impopularité auprès des justiciables. Un auteur le considère même comme « un outil fourre-tout, une machine à chasser l'abus, une «bonne à tout faire» du droit des pratiques restrictives98. »

95 M. CHAGNY, « Quel droit français et européen de la distribution ? Approche prospective », RLDA, supplément au n° 83, juin 2013, p. 58.

96 Cf. supra n° 4.

97 F. BROTTES, question préc.

98 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels : l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir «une machine à hacher le droit» ? », RLC, 2010/23, p. 44.

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§2. L'insécurité juridique de la notion

70. L'absence de définition du déséquilibre significatif, les termes employés par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et ceux donnés par les juridictions nous conduisent à nous poser la question de l'insécurité juridique qu'ils entraînent. Par exemple, le simple terme « soumettre » présent dans l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce nous laisse penser que la relation est dès le départ déséquilibrée puisque pour soumettre quelqu'un à quelque chose, il faut qu'un rapport de force existe. N'oublions pas que c'est en partant de l'idée de protéger le petit fournisseur face à la grande distribution que le texte a été créé. Cependant, comme nous l'avons vu, le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dépasse largement cette relation99. L'incertitude est d'autant plus importante que les termes utilisés à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce laissent envisager la possibilité de sanctionner par l'interdiction du déséquilibre significatif des situations prévues d'être sanctionnées par d'autres dispositions législatives (A). De même, l'incertitude du champ d'application de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et de la définition du déséquilibre significatif donnent un pouvoir très important au juge mettant ainsi en péril la sécurité juridique (B).

A. Une notion en englobant d'autres

71. Comme nous l'avons vu, il est difficile d'appréhender avec exactitude les termes de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, d'autant plus que les interprétations qui en sont faites nous laissent envisager un élargissement de sa portée, ce qui peut constituer une insécurité juridique100. En effet, les dispositions de cet article nous laissent supposer qu'il peut être utilisé pour sanctionner des pratiques prévues par d'autres dispositions législatives, tel que l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce (1). De même, si l'Avant-projet de réforme du droit des obligations est adopté, l'interdiction du déséquilibre significatif sera introduite à l'article 1169 du Code civil. L'articulation de cet article et de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdisant le déséquilibre

99 Cf. supra no 61.

100 Cf. supra nos 70 s.

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significatif dans les relations commerciales, devra être faite avec attention afin d'éviter toute confusion (2).

1- La confusion avec l'article L. 442-6, I, 4° du Code de

commerce

72. C'est la CEPC qui, dans l'un de ses avis101, va jeter un doute quant à la portée de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Elle y indique que l'article « a vocation à appréhender toute situation, qu'elle comporte ou non des pratiques décrites par un autre alinéa de l'article L. 442-6 du Code de commerce [et qu'elle] pourra être appréciée au regard des effets de l'application de la convention sur les parties. » Selon cet avis, l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce aurait vocation à déborder son champ d'application naturel. Il viendrait en quelque sorte suppléer l'ensemble des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce en jouant le rôle de clausula generalis. Pourtant, cette affirmation ne laisse pas de surprendre, car si toutes les dispositions de l'article L. 446-2 du Code de commerce avaient vocation à être sanctionnées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, alors pourquoi celui-ci ne figure-t-il pas à la fin de l'article102 ? Par ailleurs, quel serait l'intérêt d'introduire toute une liste de pratiques restrictives de concurrence à l'article L.442-6 du Code de commerce pour dire que finalement elles peuvent se voir sanctionner par un seul de ses alinéas ? L'avis de la CEPC crée la confusion et remet même en cause la volonté du législateur.

73. Il est certain que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ressemblent à celles de l'article L. 442-6, I, 4° du même code. Ce dernier prévoit l'interdiction « d'obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. » Si nous reprenons la définition du déséquilibre significatif donnée par la cour d'appel103, « le fait pour un opérateur économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne », alors celui-ci pourrait parfaitement appréhender

101 CEPC, avis au 22 déc. 2008.

102 E. GICQUIAUD, art. Préc., p. 267.

103 CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166.

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l'interdiction de l'alinéa 4°. « L'obtention d'avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné » peut-être prohibée avec « le fait d'avoir une contrepartie dont la valeur est disproportionnée. » Nous sommes pratiquement face à un doublon. Il y a au moins une cohérence entre les articles, puisque les deux sanctionnent un avantage ou une contrepartie « manifestement disproportionnée. » Chacun des deux articles peut être vu comme une sorte de règle spéciale visée à l'alinéa 2° et une règle spéciale à l'alinéa 4°. Le premier sanctionnant le déséquilibre significatif en général et le second plutôt chaque clause. Toutefois, cette similitude qui revient à sanctionner une même situation juridique est source de confusion ainsi que d'insécurité juridique. Lorsqu'un comportement entre dans le champ d'application de ces articles, une difficulté de qualification sera posée. Un conflit de norme sans solution se présente alors.

Ces « doublons » sont le signe que le législateur doit procéder à un « toilettage » de l'article L. 442-6 du Code de commerce. Pour le Professeur Didier Ferrier104, la loi Hamon105 aurait été l'occasion de prendre en compte les rapports annuels de la CEPC pour éliminer « certaines redondances. »

2- La confusion avec le droit commun

74. L'Avant-projet de réforme du droit des obligations envisage l'introduction d'un article 1169 du Code civil permettant au juge de supprimer une clause « qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. » Nous sommes face à la même interdiction que celle prévue à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Devant ce doublon et dans l'hypothèse où l'Avant-projet serait adopté, comment ces deux articles vont-ils s'articuler ? Comme nous l'avons vu précédemment, la qualité de partenaire commercial visée à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est conditionnée à une catégorie particulière de relations impliquant une « volonté commune et réciproque d'effectuer des actes ensemble106 ». Ainsi, specialia generalibus derogant, l'application de l'éventuel article 1169 du Code civil serait exclue des contrats conclus

104 D. FERRIER, « Le paradoxe de la nouvelle réforme des relations commerciales entre professionnels : ni nécessaire, ni suffisante », JSS, janv. 2014, p. 3.

105 L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF, n°0065 du 18 mars 2014.

106 CA Nancy, 14 fév. 2013, n° 12/00378.

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entre partenaires commerciaux107. Mais la distinction ne sera pourtant pas aisée puisque comme nous l'avons vu108, le champ d'application ratione personae de l'article L. 442-6,

I, 2° du Code de commerce demeure indéfini, et « un examen concret de la relation et de l'objet du contrat »109 en chaque espèce sera nécessaire. L'article à adopter, soit l'éventuel article 1169 du Code civil ou l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce se fera en fonction de la situation. Si le projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats est adopté, la question de l'articulation de ces deux articles devra se poser.

B. Un pouvoir trop important donné au juge

75. En l'absence d'une définition du déséquilibre significatif, le législateur confie implicitement au juge la mission d'interprétation et de clarification l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Pour pouvoir trancher les litiges portés devant lui, le juge devra se livrer à une interprétation qui peut s'avérer subjective. C'est l'article 4 du Code civil qui « justifie » l'interprétation des textes faite par le juge en cas de « silence, obscurité ou insuffisance de la loi. » Le juge refusant de trancher un litige commettrait sinon un déni de justice. Ce large pouvoir du juge risque de porter atteinte à la sécurité juridique. Quoi qu'il en soit, il existera toujours un garde-fou puisque l'article 12 du Code de procédure civile obligeant le juge à « trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ».

76. Une des craintes exprimées est de voir le juge recourir à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce chaque fois qu'il ne trouve pas un texte plus adéquat sur lequel se fonder. Cet article deviendrait alors « une bonne à tout faire110. » Néanmoins, il faut prendre du recul quant à cette possibilité. En effet, les conditions d'application du texte sont indiquées dans les avis rendus par la CEPC et la DGCCRF. Le texte ne peut donc pas

107 SIMON ASSOCIÉS, « Le déséquilibre significatif, entre droit spécial de la concurrence et droit commun », Lettres des réseaux, mars-avr. 2015, p. 8.

108 Cf. supra n° 61.

109 CEPC, avis no 15-01 du 23 févr. 2015.

110 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 44.

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s'appliquer à n'importe quelle situation, quand bien même son champ d'application paraît large.

77. De plus, n'oublions pas que les décisions de justice peuvent faire l'objet de recours et que l'application de la règle de droit sera examinée avec attention par chaque juridiction. Il est donc peu probable que le juge abuse de l'utilisation de cet article. Cette peur d'un pouvoir trop important donné au juge n'est pas une crainte nouvelle. Elle sera dissipée au fil du temps, surtout si une définition plus spécifique du déséquilibre significatif vient à voir le jour.

78. Nous avons vu la naissance et les raisons de la volonté de protection de l'équilibre dans les relations commerciales. En droit français, cette volonté s'est traduite par la mise en place d'un outil d'interdiction du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Mais pour que le dispositif soit efficace, il doit pouvoir être mis en pratique correctement.

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TITRE II. MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION

79. L'interdiction du déséquilibre s'avère d'application délicate du fait de la difficulté de l'évaluer (Chapitre 1). Le législateur n'a pas indiqué la façon de l'évaluer. Une fois le déséquilibre significatif identifié, des sanctions - parfois très lourdes - sont mises en place afin de dissuader les acteurs économiques d'y recourir (Chapitre 2).

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CHAPITRE I. LA DÉLICATE ÉVALUATION DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

80. L'évaluation du déséquilibre significatif est une tâche d'autant plus délicate que le législateur n'a indiqué aucun cadre de référence pour l'apprécier, pas plus que les situations pouvant être considérées comme objectivement déséquilibrées (Section 1). Aussi, aucun consensus n'a été encore trouvé quant à la méthode d'appréciation du déséquilibre (Section 2).

Section 1. Incertitude des référentiels

81. Il existe une incertitude quant au cadre de référence à prendre en compte lors de l'évaluation du déséquilibre significatif (§1). La difficulté consiste à identifier les situations propices à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Elles peuvent être très diverses et la liste ne cesse de s'agrandir (§2).

§1. La référence pour apprécier le déséquilibre significatif

82. À défaut de définition, un cadre de référence permettant d'apprécier le déséquilibre significatif serait la bienvenue. Les conditions générales de vente (CGV) - écrit permettant de démarrer les relations commerciales et considérées depuis la loi Hamon comme le « socle unique de la négociation commerciale » - pourraient constituer un bon élément d'appréciation du déséquilibre (A). Toutefois, le document contractuel concrétisant la relation commerciale semblerait plus adéquat pour être utilisé comme cadre de référence pour déceler le déséquilibre significatif (B).

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A. Le rôle des Conditions générales de vente

83. En tant que« socle unique de la négociation commerciale », les CGV pourraient constituer le cadre de référence d'appréciation du déséquilibre significatif (1). Cependant, les CGV peuvent se révéler insuffisantes dans l'appréciation du déséquilibre significatif dans les relations commerciales puisqu'elles n'illustrent pas forcément la réalité de la situation contractuelle (2).

1- L'appréciation du déséquilibre significatif par les CGV

84. Depuis la loi Hamon, l'article L. 441-6 du Code de commerce dispose que les CGV « constituent le socle unique de la négociation commerciale ». La volonté de donner une place aussi importante aux CGV était déjà en germe dans la loi LME si l'on considère que leur dénonciation ne pouvait pas advenir avant que la négociation fût engagée111. Autrement dit, les CGV formalisent le début des relations commerciales.

85. Ce document doit être élaboré par « tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur » et concerne l'ensemble des relations avec un « acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle. »112 S'il n'est pas le seul élément de négociation commerciale, il en est un élément prépondérant. L'article L. 441-6 du Code de commerce indique que le contenu minimum obligatoire de ces conditions inclut les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les réductions de prix et les conditions de règlement. Ces informations vont permettre d'apprécier les conditions dans lesquelles va se dérouler la relation commerciale. Juridiquement, il s'agit d'une offre précise et ferme adressée à l'ensemble ou à une catégorie particulière des clients du vendeur.

86. Les CGV constituent un document de référence utile pour appréhender les exigences formulées par l'un des cocontractants et susceptibles d'entrer dans le champ

111 CEPC avis no 08-06 du 19 déc. 2008 : « Le fait pour un distributeur de vouloir dénoncer les conditions générales de vente d'un fournisseur avant même que s'engagent les négociations n'est donc pas conforme à l'esprit de la loi. »

112 Art. L. 441-7 du Code de commerce.

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d'application de l'article L. 442-6, I, 2°113. C'est à l'aune de cet instrument de négociation que le juge évalue l'éventuel déséquilibre significatif imposé par l'une des parties à son partenaire commercial. Selon le tribunal de Commerce de Bobigny, l'appréciation du déséquilibre significatif se fait au regard « des circonstances qui ont entouré les négociations les ayant précédés et, le cas échéant, de celles prévalant au moment de leur mise en oeuvre114. » Nous pouvons raisonnablement penser que le juge fait ici référence aux CGV en évoquant la période de négociation.

2- L'insuffisance des CGV dans l'appréciation du déséquilibre significatif

87. L'exclusion des CGV est constitutive d'un déséquilibre significatif. En effet, si ce document constitue le socle unique de la relation commerciale, les acheteurs ne peuvent l'écarter en imposant leurs conditions générales d'achat (CGA). La clause excluant l'application des CGV au profit des CGA constitue un déséquilibre significatif115.

88. Si les CGV sont un élément utile pour déceler le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, elles ne peuvent pas pour autant prétendre endosser exclusivement ce rôle. Le fait qu'elles soient le « socle unique de la relation commerciale » n'interdit pas en effet qu'elles fassent l'objet de négociations. Une note d'information de la DGCCRF indique, d'une part, que les CGA peuvent être prises en compte dans le cadre de la négociation et, d'autre part, que les CGV ne peuvent pas être imposées unilatéralement par le vendeur à son client116. Le déséquilibre significatif peut donc advenir quand les CGA suppléent les CGV ou encore, lorsque ces dernières sont unilatéralement imposées par le vendeur.

89. L'article L. 442-6,I,4° du Code de commerce sanctionne le fait « d'obtenir ou tenter d'obtenir sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et

113 Ibid.

114 trib. com. Bobigny, 13 juill. 2010, no 2010/F00541.

115 CEPC, Rapport annuel d'activité, 2009-2010, p. 159.

116 DGCCRF, note d'information no 2014-149 du 6 août 2014, p. 12.

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de vente. » Ce texte sanctionne indirectement le déséquilibre significatif puisque c'est le caractère disproportionné de la demande qui est interdit. Toutefois, l'application de ce texte pose problème tant la preuve de la menace paraît difficile à rapporter. Les acheteurs peuvent alors prononcer des menaces de rupture de la relation commerciale afin d'imposer leurs CGA sur les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services, sans être sanctionnés. Ces menaces peuvent impunément aboutir au remplacement des CGV par les CGA alors même que cette situation relève d'un déséquilibre significatif. Du fait de la difficulté d'apporter la preuve d'un déséquilibre et de leur dépendance à l'égard de l'acheteur, les vendeurs devront se plier à leurs conditions pour espérer vendre leurs produits. Dans ce cas, les CGV ne forment plus le « socle unique de la négociation » puisque les CGA les remplacent.

Cette situation ne concerne pas uniquement les « petits » vendeurs. À titre d'exemple, citons un conflit entre Carrefour et Danone. Le 5 mars 2014, la direction de Carrefour communique à ses clients que les produits Danone ne seront plus disponibles dans les rayons à cause des conditions de vente injustifiées117. Cette annonce fait changer d'avis Danone en quelques heures, les CGA de Carrefour se sont substituées indirectement aux conditions de vente de Danone avant même de concrétiser un accord écrit. Cette situation entre dans le champ d'application du déséquilibre significatif puisque le vendeur n'arrive pas à faire valoir ses CGV sous la pression de l'acheteur. Carrefour est parvenu à imposer ses CGA parce qu'il s'agissait d'un partenaire important pour Danone. Les enseignes de la grande distribution ont un pouvoir de nature monopolistique en France. Inversement, s'il s'était agi d'un partenaire moins important, Danone aurait sans doute imposé ses CGV. En cas de refus de la part de l'acheteur, le vendeur aurait pu le menacer de rupture de la relation, ce qui aurait pu créer un déséquilibre dont la preuve est difficile à apporter.

90. En conclusion, l'évaluation du déséquilibre significatif demeure délicate à partir des seules CGV. La situation en amont de la création des CGV peut occulter le fait que nous sommes face à une situation de déséquilibre significatif. L'évaluation du déséquilibre significatif se fera principalement dans la concrétisation de la relation commerciale.

117 Le Parisien, « Danone, Ricard et les autres... », leparisien.fr, 9 mai 2014, rubrique : actualité.

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B. L'appréciation du déséquilibre significatif dans la concrétisation de la relation commerciale

91. Le contrat conclu entre les parties va être pris comme référence par les juges afin d'évaluer si nous sommes en présence d'un déséquilibre significatif. Le contrat considéré peut être aussi bien écrit qu'oral118. Il concrétise la volonté des parties et le résultat de leurs négociations.

92. Dans la relation fournisseur-distributeur ou prestataire de services, un document particulier doit être rédigé en vertu de l'article L. 441-7 du Code de commerce. Ce dernier prévoit l'obligation pour ces professionnels d'établir « une convention écrite [...] [indiquant] les obligations auxquelles se sont engagées les parties. » Cette convention récapitulative fixe « les conditions de l'opération de la vente, les services de coopération commerciale et les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale. » On peut donc y retrouver des obligations relevant du champ d'application du déséquilibre significatif.

L'article L. 441-7 du Code de commerce indique que les dispositions de la convention récapitulative ne doivent pas être contraires à l'article L. 441-6 du Code de commerce relatif aux CGV, ni à l'article L. 442-6 du même code comprenant l'interdiction du déséquilibre significatif. La référence explicite à l'article L. 442-6 dans celui relatif à la convention récapitulative souligne la volonté du législateur de rappeler que les obligations auxquelles s'engagent les parties dans la convention récapitulative ne doivent pas créer un déséquilibre significatif119. La convention récapitulative permet donc au juge d'apprécier le déséquilibre dans les droits et obligations des parties120.

93. Le rédacteur de la convention récapitulative devra prendre des précautions pour que ses dispositions n'apparaissent pas comme déséquilibrées. Par conséquent, toute disposition litigieuse doit être justifiée. De plus, la partie forte ne peut échapper au contrôle judiciaire du déséquilibre significatif par la stipulation d'une clause aux termes

118 Cf. supra no 65.

119 Assemblée nationale, Étude d'impact sur le projet de loi relatif à la consommation, 30 avr. 2013.

120 P. OLLIER et J. GAUBERT, Rapport d'information présenté par la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, no 2312, p. 51.

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de laquelle les parties affirmeraient que le contrat n'est pas déséquilibré121. À présent que nous savons quels sont les supports d'appréciation du déséquilibre significatif, il convient de s'intéresser aux situations concrètes constitutives d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

§2. Une liste de situations infinie

94. À défaut de définition du déséquilibre significatif, les avis donnés par certaines institutions administratives (A) et les décisions judiciaires (B) permettent d'établir une liste de situations créatrices d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

A. Les avis d'autorités administratives

95. Les avis rendus par la CEPC vont permettre aux professionnels d'avoir une idée des situations pouvant créer un déséquilibre significatif (1). La DGCCRF y contribue aussi en fournissant des exemples de ce type de situations (2).

1- Les avis de la Commission d'examen de pratiques commerciales (CEPC)

96. Rappelons-nous que dans la décision du Conseil Constitutionnel122, l'un des arguments pour consacrer le caractère constitutionnel de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce était la possibilité de saisir la CEPC pour avis sur les pratiques susceptibles de constituer un déséquilibre significatif. C'est notamment à l'aide des avis de cet organisme qu'une liste de clauses interdites a pu être constituée. Il est toutefois regrettable que le législateur n'ait pas prévu une liste précise des clauses pouvant être considérées comme créatrices d'un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des

121 DGCCRF, « Le Tribunal de commerce sanctionne une clause du contrat type de l'enseigne E. Leclerc », 22 juill. 2014.

122 DC. n° 2010-85 du 13 janv. 2011.

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parties comme il a pu le faire par ailleurs pour le déséquilibre significatif du droit de la consommation aux articles R. 132-1 et suivants du Code de la consommation.

Comme nous avons vu123, la volonté initiale du législateur était d'étendre le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce au plus grand nombre de situations possibles afin de ne laisser passer aucun abus. C'est sans doute cette raison qui l'a conduit à ne pas établir une liste exhaustive répertoriant les situations pouvant être considérées comme déséquilibrées. Ce sont donc les avis de la CEPC qui prennent le relai et permettent aux professionnels d'avoir une idée plus précise des situations déséquilibrées.

97. Avant de se questionner sur les avis donnés par la CEPC, il serait judicieux de connaître son rôle et son fonctionnement. Ils pourraient nous éclairer sur la façon dont elle procède pour donner ses avis. Cette commission a été créée en 2001 par la loi NRE. Il s'agit d'une instance consultative chargée de veiller à l'équilibre des relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la législation en vigueur. Sa mission confirme que la volonté d'origine était bien de protéger les relations fournisseur-distributeur. Bien que la relation fournisseur-distributeur soit au centre du dispositif, la commission a également pour mission de donner des avis ou formuler des recommandations sur un spectre de relations commerciales plus larges, c'est-à-dire sur des documents commerciaux ou publicitaires et les pratiques concernant les relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs qui lui sont soumis ainsi que toutes pratiques susceptibles d'être regardées comme abusives dans la relation commerciale. La CEPC émet aussi des recommandations d'ordre plus général concernant le développement de bonnes pratiques. Enfin, elle établit chaque année un rapport d'activité qu'elle transmet au Gouvernement et aux assemblées parlementaires. Ce rapport est rendu public.

98. La CEPC peut être saisie par l'ensemble des entreprises, des ministres chargés du commerce, de la consommation, le ministre chargé du secteur économique concerné, le président de l'Autorité de la concurrence, n'importe quelle organisation professionnelle ou syndicale, les associations de consommateurs agrées, les chambres de commerce, des

123 Cf. supra nos 63 s.

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métiers ou d'agriculture. Par ailleurs, la commission peut se saisir elle-même et demander la réalisation d'une enquête par les agents de la DGCCRF.

99. La commission se compose d'un nombre égal de représentants de producteurs, de revendeurs, de parlementaires, de magistrats, de fonctionnaires et de personnalités qualifiées. Le président est désigné parmi ses membres par décret. Lorsqu'il n'est pas membre d'une juridiction, un vice-président appartenant à une juridiction administrative ou judiciaire est désigné à ses côtés dans les mêmes conditions.

100. À ce jour, la CEPC a rendu 29 avis traitant le déséquilibre significatif124. À titre d'exemple, nous pouvons citer l'avis du 10 mars 2010 où la CEPC a considéré que le refus catégorique de pénalités à raison d'une inexécution contractuelle pouvait s'analyser comme une tentative de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre dans les droits et obligations des parties125. Pour parvenir à cette décision, la CEPC établit que l'article L. 442-6 du Code de commerce s'inscrit dans le principe de liberté contractuelle prévu par l'article 1134 du Code civil. Toutefois, ce principe connaît une exception lorsque cette liberté conduit à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. La commission explique que les CGV constituent le socle de la négociation commerciale, donc qu'elles peuvent être négociées. L'impossibilité de négociation constitue un déséquilibre significatif et celle-ci doit se faire de bonne foi (principe parmi d'autres à l'origine de l'interdiction du déséquilibre significatif126). Celui qui refuserait de négocier les CGV crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, puisque l'une d'elles impose ses CGV à l'autre alors que l'objectif de ce document est précisément d'offrir une plateforme transparente de négociation devant aboutir à une relation équilibrée.

124 CEPC, avis no 06-01, no 08-06, no 09-05, no 09-06, no 09-07, no 09-09, no 09-12, no 09-13, no 10-04, no 10-06, no 10-09, no 10-13, no 10-15, no 11-06, no 11-07, no 11-06, no 11-10, no 12-01, no 12-02, no 12-07, no 13-10, no 14-01, avis no 14-02, no 14-06, no 14-07, no 15-02, no 15-03, no 15-04.

125 CEPC, avis no 10-06 du 10 mars 2010.

126 Cf. supra no 27.

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2- La position de la DGCCRF

101. La DGCCRF, comme la CEPC, se reconnaît compétente pour identifier les situations susceptibles d'entrer dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Elle indique qu'« en tout état de cause, nous considérons qu'il nous sera possible de mettre en oeuvre cette notion microéconomique et que les juges pourront sanctionner le déséquilibre significatif127. » Dans ses rapports d'information, la DGCCRF fournit de nombreux exemples de situations où elle estime avoir décelé un déséquilibre significatif. On y retrouve des clauses imposant au fournisseur des pénalités excessives, systématiques et unilatérales, des clauses de retour des produits dégradés par la clientèle, d'autres imposant des modalités de règlement abusives et non réciproques, des clauses prévoyant des modalités asymétriques de révisions des tarifs, le tout au bénéfice du distributeur, etc.

Si la DGCCRF peut désigner les situations déséquilibrées, elle n'a pas de pouvoir de sanction en la matière de déséquilibre et le juge n'est pas lié par ses interprétations. Toutefois, ces dernières peuvent être à l'origine d'assignations en justice initiées par le ministre de l'Économie, nous y reviendrons128.

102. La liste des situations visées par la CEPC et la DGCCRF est longue et continuera sans doute à s'agrandir en réduisant chaque fois un peu plus la marge de manoeuvre des partenaires commerciaux. À défaut de définition du déséquilibre significatif, ces institutions cernent les situations concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Ces situations sont très variées et il semble utopique d'arriver à établir une liste exhaustive. Les avis de ces deux autorités administratives indépendantes sont pris en compte par les professionnels pour éviter de rentrer dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Toutefois, une contradiction persiste dans l'attribution des rôles. La DGCCRF donne des avis alors même qu'elle dépend du ministère de l'Économie qui, par le truchement de l'article L. 442-6, III du Code de commerce, peut introduire une action en justice pour violation des dispositions de l'article

L. 442-6 du Code de commerce où figure l'interdiction du déséquilibre significatif. C'est

127 F. AMAND, au nom de la DGCCRF, Compte rendu Commission des affaires économiques, 8 juil. 2009, p. 16.

128 Cf. infra nos 127 s.

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d'ailleurs la DGCCRF qui introduit les actions en justice au nom du ministère de l'Économie. La porosité des frontières révèle une situation de conflit d'intérêts. Les professionnels et le juge vont se référer à des avis donnés par une institution à l'origine des assignations.

B. Les décisions judiciaires

103. La CEPC et la DGCCRF ne sont pas les seules institutions contribuant à la création d'une liste des situations déséquilibrées. Par ses décisions, le juge va également établir indirectement une liste des situations de déséquilibre significatif. Nous ne pourrons pas étudier ici l'ensemble des décisions rendu sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Nous choisirons seulement quelques exemples pour essayer de comprendre le raisonnement des juges lorsqu'ils déclarent qu'une situation est porteuse d'un déséquilibre significatif.

104. Il est indispensable d'évoquer une des plus grandes affaires traitées au nom de l'interdiction du déséquilibre significatif, notamment les assignations « Novelli », nom du Secrétaire d'État aux PME (petites et moyennes entreprises). Neuf enseignes furent assignées : Carrefour, Castorama, Casino, Darty, Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché et Système U. L'ensemble de ces assignations a fait l'objet d'une décision en première instance, dont certaines ont été portées en appel puis en cassation. Le tableau suivant nous indique les clauses litigieuses considérées comme constitutives d'un déséquilibre significatif129. Nous choisirons ensuite quelques-unes de ces clauses afin de comprendre pourquoi elles ont été déclarées comme créant un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties.

129 Mise à jour et modification personnelle des tableaux de N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, 2014, p. 52-53.

61

Enseigne

Décisions de justice

Clauses créant un déséquilibre
significatif dans les droits et
obligations des parties

Eurauchan

-trib. com. Lille, 7 sept. 2011, no 2009/05105. -CA Paris 11 sept. 2013, no 11/17941.

-Cour de cassation, com, 3 mars 2015, no 13-27- 525.

-Clause type prévoyant un taux de service minimum donnant lieu à l'application de pénalités dispropor-tionnées.

-Clause relative à la révision des prix du fournisseur négociés con-tractuellement.

Provera

-trib. com. Meaux, 6 déc. 2011, no 2009/02295. -CA Paris, 20 nov. 2013, no 12/04791.

-Cour de cassation, com. 3 mars 2015, no 14-10- 907.

-Clause prévoyant la possibilité pour le distributeur de résilier le contrat en cas de « contre-perfor-mance » du produit.

-Clause prévoyant un paiement sans contrepartie.

Castorama

-trib. com. Lille, 6 janv. 2010, no 2009/05184.

-Clause sur le paiement d'acomptes mensuels sans pouvoir modifier les montants en fonction du chiffre d'affaire atteint.

Galec

-trib.com. Créteil, 13 déc. 2011, no 2009/F01018. -CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.

-Clause visant à exclure les CGV du fournisseur.

-Clause imposant de payer en

avance les prestations pour le fournisseur alors que le délai est plus long pour le distributeur.

-Clauses pénales, puisqu'aucune pénalité n'était prévue à la charge du distributeur en cas de manquement à ses obligations.

-Clause relative au retour des produits dégradés par la clientèle.

Darty

-trib.com. Bobigny, 29 mai 2012, no 2009/F01541.

-Clause prévoyant, en cas de baisse du tarif d'un produit, l'établisse-ment par le fournisseur d'un avoir au profit du distributeur correspondant à l'écart entre le précédent prix

et le nouveau multiplié par le
nombre de produits en stock chez le distributeur.

-Clause permettant d'établir un

avoir sur des produits devenus obsolètes au bénéfice du distributeur.

Carrefour

-trib. com. d'Evry, 26 juin 2013, no 2009/F00729. -CA Paris 1er oct. 2014, no 13/16336.

-Clause autorisant l'annulation de la commande et le refus de la livraison sans payer si la livraison est effectuée après la date et l'heure convenues entre les parties.

-Clause prévoyant la négociation entre les parties sur les pénalités dues par Carrefour.

62

 
 

-Clause imposant le paiement des services des coopérations commerciales dans un délai plus court pour les fournisseurs par rapport au distributeur.

Casino

-trib. com. Meaux, 24 janv. 2012, n°2009 /02296. -CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.

-Clause prévoyant le retour des invendus.

-Clause relative aux changements de tarifs uniquement au profit du distributeur.

Système U

-trib.com. Créteil, 13 déc. 2011, no 2009/F01017.

Action irrecevable

Intermarché

-trib. com. d'Évry, 6 févr. 2013, no 2009/F00727.

Action rejetée

105. Clause relative au retour des produits dégradés par la clientèle (CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150). La clause incriminée disposait « dans le cas où le fournisseur proposerait des produits contenant par exemple des primes ou des offres promotionnelles détachables ou découpables, il garantit au Galec, aux centrales et aux magasins, qu'il s'est assuré que le mécanisme les assemblant n'entraînera pas la destruction par le consommateur de l'emballage et/ou du produit dans les points de vente. Si tel n'est pas le cas, les frais et coûts liés à la reprise ou à la destruction de ces produits seront à la charge du fournisseur. » Ici, le distributeur transférait sur le fournisseur le risque d'une éventuelle détérioration par les clients des produits faisant l'objet de prime ou d'offres promotionnelles. La cour estime que cette clause conduit à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties puisque pesait sur le fournisseur une obligation de résultat alors qu'il ne maîtrisait pas totalement les moyens pour l'exécuter correctement, notamment le choix de l'emplacement, la mise en rayon du produit ainsi que la surveillance de la clientèle. De plus, dans cet arrêt, la Cour estime que « Galec ne [démontrait] pas que ce déséquilibre aurait été compensé par une obligation ou une contrepartie pécuniaire. » Nous voyons là l'importance de la contrepartie lors de l'appréciation du déséquilibre significatif. Si le défendeur parvient à démontrer que l'exigence de son cocontractant était compensée par d'autres droits, alors le déséquilibre ne sera pas caractérisé.

63

106. Clause de retour d'invendus (CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651). Selon la clause litigieuse, « le fournisseur [s'engageait] expressément à reprendre, dans son intégralité, le stock des produits invendus en fin d'exercice et/ou de période de commercialisation saisonnière. » Cette stipulation crée un déséquilibre significatif puisque l'obligation de reprise était dénuée de contrepartie. De plus, le fournisseur devait payer le coût de la reprise. Comme dans la décision antérieure, la contrepartie joue ici un rôle important de justification. En l'espèce, son absence conduit à la caractérisation du déséquilibre significatif.

Section 2. Incertitude des techniques

107. Faute d'indication législative sur la façon dont le déséquilibre significatif doit être apprécié, un doute persiste quant à sa méthode d'appréciation. Doit-on procéder à une analyse clause par clause ou in globo ? (§1) L'incertitude persiste quant à la prise en compte de l'équilibre économique pour caractériser le déséquilibre significatif (§2).

§1 Appréciation clause par clause ou in globo ?

108. Le rapprochement du déséquilibre significatif du droit de la consommation avec celui du droit de la concurrence laisse envisager une appréciation prenant en compte les clauses individuellement (A). Néanmoins, d'autres éléments induisent une interprétation in globo (B).

A. L'analyse clause par clause à l'image du droit de la consommation

109. L'article L. 132-1 du Code de la consommation relatif à l'interdiction du significatif en droit de la consommation, indique expressément qu'une clause peut créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat. L'alinéa 2 de cet article prévoit qu'un décret détermine la liste des clauses abusives et, en cas de déséquilibre significatif relevé par le juge, c'est uniquement la clause qui sera

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annulée ou réputée non écrite. Sollicité à propos de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, le Conseil Constitutionnel130 a fait une analogie du déséquilibre significatif du droit de la consommation avec celui du droit de la concurrence, ce qui laisse penser que la méthode d'appréciation est identique : la clause doit être analysée indépendamment du contrat qui la contient.

110. L'inventaire fait par la CEPC et la DGCCRF tend à démontrer que c'est cette méthode qui doit être utilisée pour évaluer le déséquilibre significatif. Aucune de ces autorités ne fait mention du contrat considéré dans sa globalité, mais seulement aux situations précises entrant dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.

111. Par ailleurs, les termes employés dans les autres alinéas de l'article L. 442-6 du Code de commerce laissent entendre qu'il s'agit bien d'une clause prise individuellement qui est sanctionnée. Par exemple, l'article L. 442-6, I, 1° sanctionne le fait d'obtenir « un avantage [...] manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu » où ici le mot « avantage » renvoi à l'idée d'une seule situation, donc d'une seule clause.

112. Cependant, la prise en compte individuelle de la clause dans l'analyse du déséquilibre significatif pourrait aller à l'encontre de la lettre de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce qui se réfère aux « droits et obligations des parties » et non aux clauses comme c'est le cas de l'article L. 132-1 du Code de la consommation. Les termes de l'article du Code de commerce font appel à la prise en compte de l'ensemble du contrat.

B. Une prise en compte in globo

113. Lorsque le juge apprécie le déséquilibre significatif in globo pour déterminer son existence, il constate la présence ou l'absence de certaines clauses (1). Nous pouvons aussi noter que plusieurs décisions nous indiquent que le juge procède à une prise en compte des comportements des parties (2).

130 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.

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1- La prise en compte de l'existence ou de l'absence d'autres clauses

114. Il est possible qu'une clause entraîne un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties du fait de l'existence d'une autre clause. L'association de ces stipulations dans un même contrat justifie alors leur condamnation. Prises isolément, ces clauses n'auraient pas été considérées comme déséquilibrées. À titre d'exemple, nous pouvons citer un arrêt rendu par la cour d'appel de Paris131. Il concerne, d'une part, une clause disposant que lorsque le fournisseur souhaite augmenter ses tarifs en cours de contrat, le distributeur peut refuser ou revoir les conditions de référencement des produits du fournisseur. D'autre part, une seconde clause stipulant que le fournisseur s'engage à répercuter immédiatement sur son tarif la baisse de prix d'un des éléments composant son offre tarifaire. C'est parce que les obligations ne sont pas réciproques que le déséquilibre est prononcé. En l'absence d'une seule de ces clauses, l'autre n'aurait pas été considérée comme déséquilibrée. Le juge tient donc compte de l'ensemble des obligations incombant à la partie prétendument lésée. Cette décision nous montre la tendance pour le juge à considérer l'ensemble du contrat dans la recherche d'un déséquilibre significatif.

115. Dans le même ordre d'idée, les juges considèrent que l'absence d'une clause prévoyant une contrepartie en réponse à une clause imposant une obligation est constitutive d'un déséquilibre significatif. Le tribunal de commerce de Lille sanctionne ainsi l'absence de clause constituant une contrepartie sérieuse à une autre clause. En l'espèce, la société Castorama exigeait le paiement d'acomptes mensuels sans que le contrat prévoie de clause de révision de ces acomptes. Selon le tribunal, « les pratiques de Castorama concernant le paiement d'acomptes mensuels [...] ne sont pas réciproques ; qu'elles sont sans contrepartie et nettement défavorables aux fournisseurs ; que leur ampleur est caractérisée [...] que le déséquilibre ainsi provoqué en défaveur des fournisseurs est significatif. » Il estime que les exigences de Castorama plaçaient le fournisseur dans une situation défavorable puisqu'il devait faire une avance de trésorerie à la faveur de Castorama sans contrepartie ni avantage réciproque.

131 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.

116.

66

Dans une décision plus récente132, la Cour de cassation confirme le raisonnement de la cour d'appel qui avait « procédé à une analyse globale et concrète du contrat et apprécié le contexte dans lequel il était conclu ou proposé à la négociation, et qui n'était pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre significatif auquel la société Provera avait soumis ou tenté de soumettre ses partenaires. » Une nouvelle fois, le juge analyse la réciprocité dans les obligations des parties. Était ici en cause l'absence de réciprocité dans les conditions de révision des tarifs.

Le même jour, la Cour de cassation rendait un autre arrêt affirmant que les juges du fond doivent apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu après avoir examiné les relations commerciales des parties au litige133. Cette approche contextuelle correspond à une analyse globale du contrat pour définir le déséquilibre. Non seulement le juge tient compte de l'existence d'une clause venant contrebalancer les effets d'une autre, mais il va également apprécier le comportement des parties.

2- La prise en compte du comportement des parties

117. Certaines décisions de justice laissent supposer que le juge prend en compte le comportement des parties pour déterminer si la clause dénoncée est porteuse ou non d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Saisi à propos d'une clause litigieuse, le tribunal de commerce de Créteil déclarait irrecevable l'action en justice dans la mesure où le demandeur de l'action, le ministre de l'Économie, ne faisait pas référence à des contrats précis ou à des fournisseurs précis, mais à des clauses d'un contrat-type134. Cette nécessité d'individualiser les parties et les relations contractuelles traduit la volonté du tribunal d'évaluer leur comportement dans l'évaluation d'un éventuel déséquilibre significatif.

118. Rappelons que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce condamne le fait de « soumettre ou tenter de soumettre le partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif entre les parties. » Le verbe « soumettre » renvoie à un comportement de la partie fautive. Pour analyser le déséquilibre significatif, il faut donc

132 Cass. com., 3 mars 2015, no 14-10.907.

133 Cass. com., 3 mars 2015, no 13-27.525.

134 trib. com. Créteil, 3. déc. 2011, no 2009/F01018.

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prendre en compte le comportement des cocontractants. Cette hypothèse est confirmée par une décision du tribunal de commerce de Lille dans laquelle le juge estime qu'imposer une modalité de paiement au fournisseur sans possibilité de négociation engendre un déséquilibre significatif. C'est bien à l'aune du comportement de la partie fautive que le déséquilibre significatif est apprécié.

119. L'incertitude quant à la façon d'appréhender le déséquilibre significatif provoque une incertitude quant à la preuve. Le demandeur doit-il prouver le déséquilibre global ou le déséquilibre d'une clause ?

§2. L'appréciation de l'équilibre économique du contrat

120. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ne nous indique pas si l'on doit prendre en compte l'équilibre économique du contrat pour apprécier le déséquilibre significatif. D'aucuns considèrent que l'équilibre économique du contrat est inapproprié puisqu'il remet en cause les dispositions financières acceptées par les parties (A). Pour d'autres, l'appréciation de l'équilibre économique est nécessaire pour atteindre l'objectif d'interdiction du déséquilibre significatif (B).

A. Une appréciation inappropriée

121. Selon les tenants de cette position, le juge ne devrait pas apprécier l'équilibre économique du contrat. Si le législateur a supprimé le principe de non-discrimination135, c'était justement pour permettre aux parties de négocier librement. En contrôlant l'équilibre économique du contrat, le juge ferait preuve d'ingérence contractuelle. L'interdiction du déséquilibre significatif comme garde-fou à la suppression du principe de non-discrimination laisse penser que le législateur souhaitait encadrer d'éventuelles dérives. Toutefois, en contrôlant l'équilibre économique du contrat, le juge encadre les prix et met ainsi un frein à la négociation et - par extension - à l'expression de la volonté des parties. En outre, la variation des prix qu'une partie peut appliquer à ses différents

135 Cf. supra nos 44 s.

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partenaires peut servir des stratégies de partenariat. En effet, les avantages octroyés seulement à certains partenaires peuvent servir, par exemple, à encourager au début d'une relation commerciale ou comme prime de fidélité pour entretenir la relation.

122. Nous avons vu que le Conseil constitutionnel valide l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce en s'appuyant en partie sur l'existence de l'article L. 132-1 du Code de la consommation prévoyant déjà l'interdiction du déséquilibre significatif et dont le contenu avait été précisé par la jurisprudence136. Cet argument est utilisé par les opposants de l'appréciation de l'équilibre économique du contrat137. En effet, l'article L. 132-1, alinéa 7 du Code de la consommation prévoit que « l'appréciation du caractère abusif des clauses [...] ne porte ni sur la définition de l'objet principal ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou service offert. » Si l'article L. 132-1 du Code de la Consommation est pris comme référence d'interprétation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, nous pouvons déduire - par analogie - que le juge ne doit pas vérifier l'équilibre économique. Le tribunal de commerce de Paris confirme cette interprétation en excluant l'adéquation du prix au bien vendu puisque l'article L. 132-1 du Code de la consommation « exclut expressément celle-ci de son domaine138. » Cette décision semble en phase avec l'avis du Conseil Constitutionnel, mais cette théorie peut être remise en cause si l'on tient compte des aspects pratiques de la situation des commerçants. Les enjeux économiques pour un professionnel sont considérables comparés à ceux d'un consommateur. Le déséquilibre en droit de la consommation est juridique alors que dans les relations entre professionnels il s'agit d'un déséquilibre économique139. Cet argument n'exclut en aucun cas la protection du consommateur, mais l'équilibre économique du professionnel peut avoir des répercussions importantes sur les salariés et sur la survie de l'entreprise.

136 Cf. supra no 47.

137 N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, 2014, p. 45.

138 trib.com. Paris, 24 sept. 2013, no 2011/058615.

139 J.-L. FOURGOUX, « Déséquilibre significatif : une validation par le Conseil constitutionnel qui marie droit de la concurrence et droit de la consommation en matière de clauses abusives », CCC, mars 2011, n° 3, p.13

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B. Une appréciation nécessaire

123. Le contrôle du juge de l'équilibre économique du contrat peut être justifié par les termes des autres alinéas de l'article L. 442-6 du Code de commerce relatifs aux pratiques abusives. L'alinéa 4 prévoit ainsi la sanction de l'obtention, sous la menace d'une rupture des relations commerciales, « des conditions manifestement abusives concernant les prix. » La prise en compte, par cet article, de l'obtention de prix abusifs nous laisse envisager la possibilité de cette considération pour l'alinéa 2 relatif au déséquilibre significatif. La cour d'appel de Paris semble confirmer cette position140. Si la juridiction du second degré affirme d'abord la nécessité de laisser les négociations se faire librement - « il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation contractuelle » -, elle indique ensuite que le juge doit « compte tenu des termes [du] texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent [...] un déséquilibre d'une importante suffisante pour être qualifié de significatif. » Cette décision apparaît contradictoire, car le juge affirme, d'un côté, la nécessité de respecter la volonté des parties et, de l'autre, relève la nécessité de contrôler l'équilibre économique. Le juge ne remet-il pas en cause la suppression du principe de non-discrimination qui promettait la libre négociabilité des tarifs141 ? Il serait intéressant de savoir quelles sont les références qui vont être utilisées par le juge pour évaluer le caractère « suffisant » du déséquilibre significatif qu'évoque la cour d'appel. S'agirait-il d'une analyse des comptes sociaux du partenaire lésé ? Un éclaircissement sur ce point serait le bienvenu.

124. Un arrêt récent rendu par la Cour de cassation entrouvre la possibilité d'apprécier l'équilibre économique du contrat. En effet, la Cour de cassation annonce que « l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce invite à apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu et son économie142 ». Cependant, la Cour ne donne pas d'explication sur la façon dont cette appréciation doit se dérouler.

140 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

141 Cf. supra no 44 s.

142 Cass. com., 3 mars 2015, no 13-27.525.

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CHAPITRE II. L'ASPECT DISSUASIF DE L'INTERDICTION

125. Le principal moyen pour faire respecter l'interdiction du déséquilibre significatif est, comme pour la plupart des interdictions, le risque de sanction. L'auteur du déséquilibre s'expose non seulement à une action en justice (Section 1), mais aussi à une sanction administrative (Section 2).

Section 1. La menace d'une action en justice

126. Avec la loi NRE de 2001143, le législateur a doté un certain nombre d'autorités administratives du pouvoir d'agir en justice en cas de manquement constatés aux dispositions de l'article L. 442-6. Cette action s'est révélée difficile à mettre en place (§1). Ainsi, depuis la loi Hamon de 2014, le législateur a donné à ces autorités la possibilité de sanctionner les acteurs économiques en cas de non-respect d'injonction en cessation des activités contraires aux dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce (§2).

§1. Une action en justice des autorités administratives de mise en oeuvre difficile

127. Le pouvoir d'action en justice octroyé à certaines autorités administratives a été instauré par la loi NRE de 2001 dont l'objectif était de contribuer à la régulation de l'ordre public économique (A). Cette interdiction, bien que présumée efficace, n'est pas exemptée de difficultés d'application (B).

143 L. no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, JORF n° 113 du 16 mai 2001.

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A. L'instauration d'un pouvoir d'action en justice administratif

128. La loi NRE fut introduite par le législateur à des fins de régulation de l'ordre public économique de direction, traduisant une volonté de régulation et de normalisation massive des pratiques commerciales. Cette loi a introduit dans l'article L. 446-2, III, 1° du Code de commerce la possibilité pour « toute personne justifiant d'un intérêt, le Ministère public, le ministre chargé de l'Économie ou le président de l'Autorité de la concurrence, d'introduire une action en justice pour toute pratique mentionnée à l'article

L. 442-6 du Code de commerce. » Ces autorités ont la possibilité de demander au juge d'ordonner la cessation des pratiques, de faire constater la nullité des clauses et de demander la répétition de l'indu.

Cette possibilité d'agir offerte à une pluralité de personnes conforte notre thèse de la volonté des pouvoirs publics de faire cesser le plus grand nombre de pratiques restrictives de concurrence. En ce qui concerne l'interdiction du déséquilibre significatif, ce souhait a été clairement confirmé par Monsieur Frédéric Lefebvre, alors secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie, qui - à propos de cet article - annonçait qu'« [il] avait décidé de donner systématiquement suite aux demandes d'assignations qui seraient faites par la DGCCRF sur ce fondement144. » De plus, l'article R. 442 du Code de commerce indique que lorsque l'action est exercée par le ministre de l'Économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence, il est dispensé de la représentation d'un « avocat ». Ceci montre la volonté du législateur de faciliter l'action en justice de ces autorités.

129. Le pouvoir d'agir des autorités administratives serait le « fer de lance de la lutte contre les pratiques commerciales abusives145. » Nous avons affaire à une action semblable à celle de l'article L. 421-1 du Code de la consommation relatif aux actions d'associations de consommateurs. Le pouvoir d'assignation des autorités administratives est « autonome » selon la Cour de cassation146, elles peuvent agir en justice en l'absence de la victime au procès. D'après les travaux parlementaires, ce pouvoir donné aux

144 Fr. LEFÈVRE, « Bilan d'activité 2010 de la DGCCRF et priorités d'action pour 2011 », Dossier de presse, p.3.

145 F. BUY, « Le «déséquilibre significatif» devant la Cour de cassation : enfin des précisions ? », D., 2015, p. 1021.

146 Cass. com., 16 déc. 2008 no 07-15.589.

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autorités administratives permettrait de ne pas laisser impunies les mauvaises pratiques puisque les victimes n'osent pas introduire d'action par crainte de représailles147.

130. Lors d'une question prioritaire de constitutionnalité visant à établir la validité de l'article L. 442-6 III du Code de commerce, le Conseil a souligné que cette action a été créée afin de rétablir un équilibre dans les rapports entre partenaires commerciaux148. L'emploi du terme « équilibre » par le Conseil Constitutionnel nous laisse penser que l'action des autorités administratives vise très particulièrement la sanction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales, bien que cette action soit aussi possible pour la sanction des autres pratiques restrictives de concurrence prévues à l'article L. 442-6 du Code de commerce.

131. Mise à part l'action de la partie supposée lésée, c'est le ministère de l'Économie qui a entamé la plupart des actions civiles sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. À titre d'exemple, en 2013, parmi les décisions rendues en application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, 31 avaient pour origine une action des acteurs économiques et 15 celle du ministère de l'Économie, mais il n'y a pas eu d'actions de la part d'autres autorités ayant la possibilité d'intervenir149.

B. Les difficultés de la mise en place du pouvoir d'action en justice administratif

132. Nous avons vu150 que l'article L. 442-6, III du Code de commerce donnait le pouvoir à certaines autorités administratives d'agir en justice en cas de manquements à ses dispositions. Cette possibilité d'action a été contestée avant même l'adoption de la LME en 2008. La contestation débute en 2007 lorsque la cour d'appel de Versailles151 déclare irrecevable une action du ministre de l'Économie en répétition de l'indu au motif que la victime n'avait pas été informée de cette action. La Cour de cassation censure l'arrêt

147 É. BESSON, Rapport fait au nom au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, Assemblée nationale, XIe législature, no 2327, 6 avr. 2000, p. 120.

148 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.

149 Faculté de Droit de Montpellier, Bilan des décisions judiciaires civiles et pénales, période du 1er janv. au 31 déc. 2013, Actions en justice à l'initiative des acteurs économiques, application du Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p. 40 ; DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale 2013, juin 2014, p. 2.

150 Cf. supra nos 127 s.

151 CA Versailles, 3 mai 2007, n° 05/09223.

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en affirmant que l'action prévue par l'article L. 442-6, III est « autonome » et que le consentement ou la présence de la victime, en l'espèce un fournisseur, n'est pas requise152.

133. Afin de trancher définitivement la question, le 8 mars 2011, la Cour de cassation transmet une question prioritaire de constitutionnalité posée par les sociétés Système U et Carrefour France sur la conformité à la Constitution de l'article L. 442-6, III du Code de commerce. Par une décision du 13 mai 2011153, le Conseil Constitutionnel admet la constitutionnalité de l'article L. 442-6, III et donne des précisions sur l'intervention de la partie supposée lésée. Les parties requérantes considéraient que l'action des autorités administratives portait atteinte au droit de défense et du contradictoire, dans la mesure où l'accord de la partie supposée lésée n'était pas requis pour que l'autorité administrative assigne le professionnel fautif. L'autorité administrative pouvait agir et la partie supposée lésée perdait, d'une certaine façon, sa liberté d'agir. Mais le Conseil indique que « les dispositions contestées n'interdisent ni au partenaire lésé par la pratique restrictive de concurrence d'engager lui-même une action en justice [...] ou encore de se joindre à celle de l'autorité publique par voie d'intervention volontaire, ni à l'entreprise poursuivie d'appeler en cause son cocontractant, de le faire entendre ou d'obtenir de lui la production de documents nécessaires à sa défense ; que, par conséquent, elles ne sont pas contraires au principe du contradictoire. » L'action en justice des autorités administratives n'est donc pas contraire au principe du contradictoire. Cependant, le Conseil Constitutionnel estime dans cette même décision qu'il est nécessaire d'informer les parties au contrat de l'introduction de l'action par l'autorité administrative. L'accord de la partie supposée lésée n'est pas nécessaire mais elle doit en être informée.

134. Peu de temps après la décision du Conseil constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)154 a été saisie de cette question. La partie requérante soulève que « l'action en justice du ministre de l'Économie l'a privé d'un procès équitable garanti par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme. » La cour de Strasbourg estime que l'accès au tribunal pour la partie lésée, ici un fournisseur, n'est pas en jeu, puis elle reprend la même argumentation que celle donnée par le Conseil constitutionnel. Elle assure que « le ministre, par son action, n'exclut pas les

152 Cass. com., 8 juill. 2008, no 07-16.701.

153 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.

154 CEDH, 5ème section, Galec contre France, 17 janv. 2002, requête n°51255/08.

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cocontractants lésés par la relation commerciale puisque ces derniers restent en droit d'engager eux-mêmes une action en justice [...] ou de se joindre à l'instance initiée par le ministre. Ils sont également susceptibles d'être attraits à l'instance par les parties au procès, notamment par la partie défenderesse aux fins d'obtenir la production de pièces essentielles à sa défense. » La Cour rappelle aussi que le devoir d'information des cocontractants est justifié « par un impératif de protection des fournisseurs. » Si la Cour va dans le même sens que le Conseil constitutionnel, elle n'indique pas pour autant si l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est conforme à l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

135. Malgré la décision du Conseil constitutionnel et de la CEDH, le ministère de l'Économie a introduit des actions en justice sous le fondement de l'article L. 442-6, III du Code de commerce sans en informer préalablement les parties. Le tribunal de commerce de Créteil a alors déclaré l'action du ministère irrecevable faute d'avoir informé la partie supposée lésée de l'action en justice155. Inversement, la cour d'appel de Paris a pu considérer que si le ministre de l'Économie demandait uniquement la cessation des pratiques pour l'avenir ainsi qu'une amende civile, l'information de la partie supposée lésée n'était pas nécessaire156. La Cour de cassation confirme la position de la cour d'appel de Paris en indiquant que « c'est seulement lorsque l'action engagée par l'autorité publique tend à la nullité des conventions illicites, à la restitution des sommes indument perçues et à la réparation des préjudices que ces pratiques ont causé que les parties au contrat doivent en être informées »157. Le ministre de l'Economie peut donc demander la cessation des pratiques illicites pour l'avenir ainsi que l'amende civile sans informer les parties supposées victimes, ces actions visant, pour la Cour de Cassation, à poursuivre « au titre de la seule défense de l'intérêt général ».

136. La possibilité de demander uniquement l'amende civile et la cessation des pratiques illicites pourrait encourager les autorités administratives à agir en justice uniquement pour obtenir l'amende civile au détriment des autres demandes possibles prévues à l'article L. 442-6, III au bénéfice de la partie lésée. Parmi ces demandes, on compte la restitution des sommes indument payées ou la réparation du préjudice. On

155 trib. com. Créteil, 13 déc. 2011, no 2009/F01017.

156 CA Paris, 20 nov. 2013, no 12/04791.

157 Cass. com., 3 mars 2015, no 14-10. 907.

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comprend que le dispositif ainsi utilisé ne remplit pas son rôle de protection des parties faibles puisque celles-ci ne sont parfois tout simplement pas informées de l'existence d'une procédure judiciaire. Une solution pourrait consister à modifier l'article L. 442-6, III du Code de commerce afin d'autoriser les autorités administratives à agir seules uniquement lorsqu'elles exigent une amende civile. Les autres actions ne pourraient avoir lieu qu'à l'initiative de la victime. Cette solution allègerait peut-être le texte, mais fermerait la porte à une possibilité d'action importante pour les autorités administratives, action qui permet au moins d'obtenir le prononcement d'une amende civile et la cessation des pratiques illicites pour l'avenir, le tout, au service de l'intérêt général.

§2. Les finalités de l'action en justice

137. Si la principale finalité de l'action en justice est d'obtenir le prononcé d'une amende civile au profit du Trésor public, la nature et les modalités de l'action civile pour violation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce restent controversées (A). Une autre finalité importante de l'action est l'indemnisation du préjudice subi et la restitution des sommes indument versées (B).

A. Une amende civile controversée

138. L'amende civile pouvant être prononcée suite à la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est controversée puisqu'elle possède une connotation pénale. De plus, les principes de cette action pénale ne semblent pas être respectées (1). De même, le montant de l'amende civile peut paraitre dérisoire et des questions se posent sur l'efficacité de cette dernière (2).

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1- Une amende civile à connotation pénale

139. Lors de la validation constitutionnelle de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce158, la société requérante alléguait qu'il portait atteinte à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (DDHC) relatif au principe de légalité des délits et des peines. Le Conseil constitutionnel a indiqué que l'action en demande d'une amende civile devait respecter les exigences de l'article 8 de la DDHC. Cette décision conduit à assimiler l'amende civile à une sorte de « peine » du droit pénal. Or, de l'article 8 de la DDHC découle le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale. Par conséquent, l'action en demande d'amende civile ne devrait pas s'appliquer aux contrats en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi LME. Pourtant, plusieurs décisions ont jugé recevables des actions du ministre de l'Économie visant l'obtention d'une amende civile pour des relations commerciales nées avant la promulgation de la loi159. Certains auteurs de la doctrine espèrent une intervention de la Cour de cassation pour préciser ce point160.

140. Par ailleurs, puisque l'action civile aboutit au prononcé d'une peine, les principes de l'action pénale devraient être respectés, notamment en ce qui concerne le principe d'égalité des armes issu de l'article 6 § 1 de la CEDH. Les autorités administratives disposent d'un important pouvoir d'enquête et peuvent se procurer des preuves très facilement contrairement à la partie assignée.

141. Notons qu'une décision de la cour d'appel d'Orléans semble remettre en cause cette assimilation de l'amende civile aux peines de droit pénal. Selon la cour, l'action du ministre de l'Économie fondée sur l'article L. 442-6, III du Code de commerce est « hors de toute référence au code pénal. 161 »

158 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.

159 CA Paris, 22 mai 2013, no 10/19022; CA Versailles, 25 juin 2013, no 11/07513.

160 J.-L. FOURGOUX et L. DJAVADI, « Les clauses contractuelles à l'épreuve du «déséquilibre significatif»», CCC, nov. 2013, n°11, étude 14.

161 CA Orléans, 12 avr. 2012, no 11/02284.

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2- Un montant élevé mais dérisoire

142. L'article L. 442-6, III du Code de commerce permet aux autorités administratives citées de demander le prononcé d'une amende civile d'un montant maximum de 2 millions d'euros ou correspondant au triple du montant des sommes indument versées par la victime. Comment le juge fait-il pour fixer le montant d'une amende civile visant à « réparer » l'atteinte à l'équilibre du marché ? Quels sont les facteurs qui doivent être pris en compte ? Le juge pourrait tenir compte du degré de gravité du comportement de la partie fautive ou bien fixer proportionnellement le montant en fonction du chiffre d'affaires. Si nous prenons comme exemple le montant des amendes civiles de trois des enseignes assignées lors de la célèbre saga « Novelli », nous voyons dans le tableau ci-dessous162 que le montant de l'amende civile n'est pas proportionné au chiffre d'affaires de chacune des sociétés. Nous pouvons supposer que l'amende sera fixée par rapport à la gravité du comportement du cocontractant accusé.

Enseigne

Amende

Chiffre d'affaires en 2013

Eurauchan

1 000 000 €163

519 999 261 €

Darty

300 000 €164

1 989 857 823 €

Provera

250 000 €165

9 440 337 €

 

143. Même si le montant des amendes peut sembler élevé, il est dérisoire par rapport au chiffre d'affaires de chaque entreprise. Par exemple, l'amende civile prononcée à l'encontre de Darty représente environ 0,01 % de son chiffre d'affaires de l'année 2013. Ce faible montant risque de ne pas être assez dissuasif pour les parties mises en cause et laisse la porte ouverte à de possibles récidives. Toutefois, avec le récent projet Macron166, le législateur souhaite établir une correspondance entre le chiffre d'affaires de l'entreprise

162 Source : Lorena Cortissoz en tenant compte des jugements rendus par les tribunaux.

163 trib. com. Lille, 7 sept. 2011, no 2009/05105. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en cassation.

164 trib.com Bobigny, 29 mai 2012, no 2009/F0154.

165 trib. com. Meaux, 6 déc. 2011, no 2009/02295. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en cassation.

166 Projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques n° 473, texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 févr. 2015.

78

fautive et la sanction. L'article 10 D du projet de loi propose de remplacer le plafond de deux millions d'euros à 5 % du chiffre d'affaires de l'auteur des pratiques incriminées réalisé en France. Si cette modification de l'article L. 442-6, III est votée, les entreprises seront contraintes de verser un montant extrêmement important en cas de prononciation d'amende civile. Ce changement peut s'expliquer soit par la volonté du législateur de dissuader les partenaires commerciaux d'utiliser des pratiques restrictives de concurrence, soit par le souhait de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État.

144. En attendant que le projet soit voté et en attendant l'application qui en sera faite par les juges au moment de fixer le montant de l'amende civile, les sanctions les plus importantes sont prononcées au profit de la victime.

B. Des actions au bénéfice de la victime

145. Bien que l'action fût contestée, le professionnel victime d'un déséquilibre significatif peut se voir restituer les sommes indument versées du fait du déséquilibre significatif (1). Il peut aussi agir en responsabilité (2) afin d'obtenir une indemnisation du fait du préjudice engendré par le déséquilibre significatif.

1- L'action en répétition de l'indu

146. L'article L. 442-6, III permet aux autorités administratives mentionnées d'effectuer une demande en répétition de l'indu pour les avantages indument reçus par une des parties du fait d'une pratique abusive. La possibilité de mener cette action n'est pas accordée explicitement pour la partie supposée lésée dans cet article. Mais elle pourra sans doute agir en répétition de l'indu sur le fondement du droit commun.

Dans le cas du déséquilibre significatif, cette action en répétition de l'indu constitue un très bon moyen de sanctionner la partie fautive et de restituer à la victime les sommes versées en raison des pratiques interdites de l'article L. 442-6 du Code de commerce. L'action peut avoir lieu après « seulement la constatation d'un avantage indu reçu167 »,

167 Cass. com., 18 oct. 2011, no 10-15.296.

79

sans qu'il s'agisse forcément d'un mouvement financier. Il sera donc possible de mettre en place cette action dans un grand nombre de situations.

Dans le cadre d'une action pour déséquilibre significatif, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la restitution d'un montant de 575 000 euros168. Le montant peut atteindre des sommes très élevées puisqu'aucune limite n'a été fixée par la loi. Sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce relatif à l'obtention d'un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, la cour d'appel a ainsi pu exiger la restitution d'un indu d'une valeur de 17 millions d'euros, dans une action sous le fondement.

147. Le Conseil constitutionnel a été interrogé sur l'attribution des montants versés à la suite de ces actions en répétition de l'indu169. Jusqu'alors, les autorités administratives autorisées à effectuer cette action récupéraient ces sommes puis les reversaient aux victimes. Les requérants de l'action devant le Conseil invoquaient que l'action en répétition de l'indu portait atteinte au droit de propriété consacré à l'article 17 de la DDHC puisque cette action ne permettait pas aux partenaires commerciaux d'obtenir de la part de l'autorité publique, la restitution des sommes indument versées. Le juge constitutionnel rejetait pourtant la demande en soulevant que la procédure du droit commun s'appliquait à cette restitution et que les sommes seraient versées au partenaire lésé ou tenues à sa disposition. Le Conseil Constitutionnel170 se justifie en alléguant que dans tous les cas où la répétition de l'indu a été prononcée, les sommes ont été restituées aux bénéficiaires. Par ailleurs, c'est le Trésor public qui est chargé de cette procédure de restitution avec l'aide des agents de la DGCCRF.

2- L'action en responsabilité de la victime

148. Les actions énoncées à l'article L. 442-6, III ne sont pas les seules sanctions auxquelles s'expose l'auteur d'un déséquilibre significatif. En effet, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce évoque « l'engagement de responsabilité » de l'auteur d'un déséquilibre significatif et « l'oblige à réparer le préjudice. » Autrement dit, cet article

168 trib. com. Bobigny, 29 mai 2012, no 2009/F01541.

169 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.

170 Cons. const., Commentaire de la décision no 2011-126 QPC du 13 mai 2011.

autorise la victime à demander une indemnisation du fait du préjudice engendré par le déséquilibre significatif.

149. Pour déterminer de quel type de préjudice il s'agit, il faudrait s'interroger sur la nature de la responsabilité visée à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. S'agit-il d'une responsabilité délictuelle ou contractuelle ? Un raisonnement par analogie peut nous éclairer puisque l'on sait que l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies (article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce) engage sa responsabilité délictuelle171.

La responsabilité délictuelle renvoie à l'article 1382 du Code civil. Elle implique que soient rapportés une faute, un lien de causalité et un dommage. Dans le cas du déséquilibre significatif, la faute serait « le fait de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. » Pour les pratiques restrictives de concurrence, nous n'avons pas besoin de lien de causalité puisque l'existence d'une clause créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties suffit à caractériser le préjudice, quand bien même la clause n'aurait jamais été mise en oeuvre172. En revanche, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ne donne aucune indication sur l'évaluation du préjudice.

80

171 Cass. com., 6 févr. 2007, no 04-13.178.

172 CA Paris, 11 sept. 2013, no 2009/02296.

81

Section 2. La menace d'une sanction administrative

150. La loi Hamon permet à certaines autorités administratives d'enjoindre les acteurs économiques de cesser tout agissement non conforme aux dispositions titre IV du livre IV du Code de commerce (§1). En cas de non-respect de l'injonction, l'administration peut prononcer des sanctions (§2).

§1. Un pouvoir de décision administratif

151. Le pouvoir de décision administratif a été instauré par la loi Hamon en 2014 (A) et sa mise en oeuvre est assujettie à un certain formalisme (B).

A. L'instauration du dispositif

152. La loi Hamon a créé l'article L. 465-1 du Code de commerce. Il habilite certains agents administratifs à rechercher et à constater des infractions ou manquement aux obligations énoncées au titre IV du livre IV du Code de commerce dont relève l'article L. 442-6, I, 2° relatif à l'interdiction du déséquilibre significatif. L'administration pourra dicter à l'encontre de tout professionnel une injonction « de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou de supprimer toute clause illicite. » Dans le cas du déséquilibre significatif on peut raisonnablement penser que l'administration pourra enjoindre un professionnel à supprimer une clause considérée comme constituant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

153. Si le professionnel ne se conforme pas à l'injonction, l'article L. 465-2 du Code de commerce prévoit le prononcé d'une sanction administrative limitée à 3 000 euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. En revanche, l'injonction et son éventuelle sanction n'ont pas pour objet de réparer le préjudice subi par la victime, mais celui infligé à l'ordre public économique.

154.

82

L'article L. 450-1 II du Code de commerce donne à ces autorités administratives un pouvoir d'enquête étendu pour vérifier les agissements des professionnels. En effet, les enquêteurs ont la possibilité d'accéder aux locaux mixtes (professionnels et à usage d'habitation), aux logiciels et données stockées, opérer sur la voie publique et relever la personne contrôlée. Le principal avantage de l'injonction et de son éventuelle sanction est leur rapidité de mise en oeuvre puisqu'il s'agit de procédures extrajudiciaires.

B. Les aspects formels du dispositif

155. La procédure d'injonction et de sanction administrative pour violation les manquements du titre IV du livre IV du Code de commerce est soumise au respect du principe de contradictoire. À ce titre, l'article L. 465-2 du Code de commerce prévoit que l'administration compétente doit communiquer par écrit à la personne mise en cause des informations sur la sanction envisagée, lui faire prendre connaissance des pièces du dossier et l'inviter à présenter des observations écrites et orales.

156. La décision prononcée par l'autorité administrative peut être publiée avant même qu'elle soit devenue définitive. À la sanction pécuniaire s'en ajoute donc une autre d'ordre réputationnel.

§2. Un pouvoir de décision désapprouvé

157. Le pouvoir d'enjoindre les acteurs économiques à se conformer aux obligations de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et de prononcer des sanctions est remis en cause pour plusieurs raisons (A). Il est perçu comme un moyen de marginaliser le rôle du juge civil (B).

83

A. Une action remise en cause

158. Cette mise en place des sanctions en cas de non-respect de l'injonction est le résultat d'une volonté du législateur de garantir la préservation des droits autant que la sanction des manquements173. Il faut que le montant des sanctions cumulées soit plus important que l'espoir du gain si l'on veut dissuader les acteurs économiques de se livrer à des pratiques restrictives de concurrence, notamment le déséquilibre significatif. La validité du montant de la sanction administrative a été contestée devant le Conseil constitutionnel qui, dans une décision du 13 mars 2014174, en a pourtant admis la constitutionnalité. Le Conseil indique que la sanction n'était pas disproportionnée dans la mesure où lorsqu'à « l'occasion d'une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l'encontre du même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent cumulativement, dans la limite du maximum légal le plus élevé175. » Le montant de la sanction ne revêt donc pas un caractère excessif. Quelle est alors la limite de ces sanctions ? Jusqu'à quel point le législateur va permettre l'intervention de l'administration afin de sanctionner les opérateurs économiques ? Il ne faudrait pas négliger le montant de l'amende civile qui pourrait être prononcée en cas d'action en justice, plus les éventuels dommages et intérêts à verser à la victime, sans oublier la répétition de l'indu.

159. Par ailleurs, il semble y avoir doublon puisque l'injonction administrative vise à faire cesser la pratique non conforme et que l'article L. 442-6, III du Code de commerce permet également aux autorités administratives de demander au juge la cessation des pratiques. La seule différence réside dans le fait que dans le premier cas, la demande de cessation de la pratique est directement adressée à l'auteur, ce qui accélère la procédure, alors que dans le second, la demande se fait devant le juge.

173 DGCCRF, Application des dispositions de la loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de concurrence, août 2014, p. 3.

174 DC, 13 mars 2014, no 2014-690.

175 C. com., art. L. 465-2, VII.

84

B. La marginalisation du juge judiciaire

160. La possibilité d'injonction et de sanction octroyée à l'administration entraîne une certaine marginalisation du juge judiciaire. L'action de l'administration bénéficie d'une procédure contradictoire, mais il ne s'agit pas d'une procédure classique entre le prévenu et le Ministère public avec l'arbitrage d'un juge impartial. Pour un auteur, il s'agit d'un « étrange contradictoire176 » puisque l'accusé sera confronté directement au poursuivant, également titulaire du pouvoir décisionnaire. L'administration est alors juge et partie ce qui pose un problème de partialité. L'administration s'octroie le pouvoir du juge et devient ainsi une sorte de police des contrats.

161. La sanction administrative en cas de non-respect de l'injonction s'apparente à une sanction pénale. Elle s'inscrit dans un contexte général de dépénalisation du droit des affaires. À cet égard, un rapport remis au Garde des Sceaux indique que si la dépénalisation était compensée par l'instauration de sanctions administratives, ce mouvement « constituait un recul en matière de garanties procédurales par rapport à la justice pénale ». En outre, elle ferait basculer un contentieux du juge pénal vers le juge administratif, ce qui, hormis un basculement total, produirait un dualisme juridictionnel pour une même branche du droit. Le système manquerait ainsi de cohérence177. » De plus, les recours intentés à l'encontre des sanctions émises par l'administration relèveront désormais du ressort du juge administratif alors que la situation oppose initialement deux personnes privées. Les juristes du Cercle Montesquieu178 s'étonnent de ce pouvoir donné au juge administratif puisque de récentes réglementations sont venues spécialiser les tribunaux de commerce et la cour d'appel de Paris179 notamment en ce qui concerne les contentieux relatifs aux pratiques restrictives de concurrence.

162. Ce pouvoir de sanction de l'administration serait-il un retour en arrière ? L'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence avait

176 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.

177 Groupe de travail présidé par J.-M. COULON, Rapport au garde des sceaux, La dépénalisation de la vie des affaires, éd. La documentation Française, 2008, p. 29.

178 Cercle Montesquieu, « La liberté contractuelle confisquée aux entreprises par l'État régulateur », cercle-montesquieu.fr, janv. 2015, p. 7.

179 C. com., art. D. 442-3.

mis un terme à certains pouvoirs de l'administration par suite de fraudes et d'une corruption généralisée de l'administration de l'époque180 . Le législateur intervient pour redonner ces pouvoirs à l'administration. Il peut s'agir d'un retour indispensable à la suite de dérives des acteurs économiques, ou peut-être que les problèmes de corruption au sein de l'administration ont été réglés. Le pouvoir donné aux autorités administratives est immense et il constitue cependant un risque du retour de la corruption. Il faudrait cependant que la possibilité de sanction du déséquilibre significatif soit mieux encadrée afin qu'elle en devienne pas une « machine à hacher le droit. 181»

163. Le dispositif interdisant le déséquilibre significatif est le fruit d'une évolution des mesures mises en place par le législateur afin de protéger l'équilibre des relations commerciales. Il est utilisé depuis bientôt huit ans par le juge et des instances administratives. Toutefois, des zones d'ombre subsistent, notamment concernant la définition même du « déséquilibre significatif », ce qui rend toujours difficile la mise en application de ce dispositif. Est-ce que le déséquilibre peut se traduire autrement que par un avantage proportionné conduisant au maintien du déséquilibre significatif ?

85

180 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.

181 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 44

SECONDE PARTIE :

86

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU

164.

87

Les partenaires commerciaux jouent un rôle essentiel dans le maintien du déséquilibre significatif (Titre 1). Étant prévenus du déséquilibre significatif auquel ils vont être soumis, les partenaires commerciaux ont la possibilité de refuser les dispositions contractuelles créant ce déséquilibre. Ainsi, un manque de prévention contre le déséquilibre significatif avant leur engagement contractuel peut être un signe de d'un certain consentement. Les partenaires commerciaux étant des professionnels avisés, ils ont les moyens de mettre en place une politique de prévention du déséquilibre significatif, que ce soit au moment de la négociation ou encore au moment de la rédaction du contrat.

Il est de même de la préservation des intérêts légitimes des partenaires qui joue aussi rôle dans le maintien du déséquilibre significatif. La création d'un déséquilibre significatif est parfois nécessaire pour préserver des intérêts indispensables pour assurer la continuité de l'activité du professionnel soumettant son partenaire à un déséquilibre significatif.

165. En outre, la défiance à l'égard du dispositif interdisant le déséquilibre significatif peut être une des causes de son maintien (Titre 2). Cette défiance se traduit par un bilan nuancé de l'utilisation du dispositif. En effet, les professionnels n'utilisent généralement le dispositif que de façon subsidiaire et les juges ont tendance à refuser la majorité des assignations faites par les professionnels.

Face à ce bilan, l'utilité du dispositif est remise en cause. Est-il réellement nécessaire d'interdire un déséquilibre significatif dans les relations commerciales ? L'opportunité de l'intervention du législateur pour interdire le déséquilibre significatif doit être revue ainsi que la réelle efficacité du dispositif l'interdisant.

88

TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
AU MAINTIEN DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

166. Les partenaires commerciaux jouent un rôle dans la justification du déséquilibre significatif à deux moments distincts. D'abord, lors du consentement à la relation contractuelle, quand ils acceptent les stipulations contractuelles (Chapitre 1). Ensuite, pendant le déroulement de leur activité, lorsqu'ils cherchent à la préserver (Chapitre 2).

89

CHAPITRE I. RÔLE DU CONSENTEMENT

DES PARTENAIRES COMMERCIAUX

167. Les parties peuvent choisir de consentir ou non à s'engager dans une relation contractuelle (Section 1). L'acceptation des conditions du contrat sert alors de justificatif à l'éventuel déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. L'interdire reviendrait alors à nier la liberté contractuelle des partenaires commerciaux (Section 2).

90

Section 1. Le pouvoir de décision des partenaires commerciaux

168. Les partenaires commerciaux ont un pouvoir de décision qui leur permet d'accepter ou de refuser des clauses porteuses d'un déséquilibre significatif. Les informations précontractuelles permettent aux partenaires commerciaux de s'engager en pleine connaissance de cause (§1). Au besoin, les parties peuvent toujours recourir à la négociation pour écarter ou amender une stipulation déséquilibrée (§2). Le consentement et la négociation amènent à tolérer le déséquilibre significatif.

§1. La transparence précontractuelle permettant d'éclairer le consentement

169. Ce n'est pas en vain que le législateur a prévu une obligation d'information précontractuelle. En droit commun, cette obligation découle des articles 1134, alinéa 3, relatif à l'exécution de « bonne foi » et 1135 du Code civil évoquant l'équité contractuelle. Cette obligation d'information est nécessaire à l'existence d'un consentement libre et éclairé. Les parties peuvent ainsi s'informer et réfléchir avant de s'engager. Le défaut d'information peut être sanctionné par l'entremise des vices du consentement des articles 1109 et suivants du Code civil. Certains droits spéciaux encadrent précisément ces obligations d'informations dans les domaines qu'ils régissent. C'est le cas des contrats de bail par exemple182.

170. Sitôt l'information donnée, l'obligation de transparence est satisfaite et les contractants avertis veillent à la protection de leurs propres intérêts. En cas de désaccord sur les conditions du contrat et si certaines clauses apparaissent déséquilibrées, les parties demeurent bien évidemment libres de ne pas s'engager. A contrario, en cas d'échange des consentements, on en déduira que les parties ont accepté le déséquilibre significatif en toute connaissance de cause. L'interdiction du déséquilibre significatif reviendrait d'une certaine façon à considérer le professionnel comme victime d'une erreur malgré la présence d'informations précontractuelles.

182 Par exemple l'article 1721 du Code civil sur la garantie des vices cachés s'applique si le bailleur n'a pas donné au locataire toute l'information nécessaire sur le bien loué afin d'éclairer son consentement.

171.

91

La prohibition du déséquilibre significatif apparaît d'autant moins justifiée que l'obligation d'information est renforcée par l'obligation corrélative du cocontractant de s'informer. Cette obligation est appelée de ses voeux par un auteur183 et admise par certains prétoires184. L'Avant-projet de réforme du droit des obligations prévoit de l'introduire à l'article 1110 du Code civil. Les parties bénéficient donc d'importants moyens pour bien connaître les dispositions contractuelles avant de s'engager.

172. Des règles spéciales existent quant à l'obligation d'information. Par exemple, l'obligation d'information de l'article L. 330-3 du Code de commerce concernant les contrats de franchise, introduite par la loi Doubin de 1989185. Avant cette loi, le franchiseur n'était tenu à aucune obligation d'information particulière. Depuis, il doit adresser au futur franchisé un document précontractuel d'information (DPI) contenant des informations précises sur la relation contractuelle dans laquelle il s'apprête à s'engager. Ce document est « une sorte d'assurance tous risques contre les pièges en tous genres qu'il pourra avoir à affronter au cours de l'exécution du contrat186. » Dans le cas des contrats de franchise, en l'absence du dispositif de l'article L. 330-3 du Code de commerce, l'interdiction du déséquilibre significatif aurait été justifiée. Cependant, avec l'avènement d'une obligation d'information spécifique, l'interdiction n'apparaît plus nécessaire.

173. L'information précontractuelle acquise grâce à l'obligation d'information ou par le devoir de s'informer éclaire les parties sur les choix à faire. Dès lors que le professionnel a été correctement informé, il est peu probable que le juge accepte de remettre en cause les dispositions acceptées par les parties. C'est l'enseignement d'un arrêt de la cour d'appel de Paris où le juge indique que la partie alléguant le déséquilibre significatif avait été informée par son cocontractant des « conditions en toute transparence187 », qu'elle ne pouvait donc pas invoquer le déséquilibre significatif. L'information précontractuelle pourrait, à elle seule, justifier la disparition de

183 P. JOURDAIN, « Le devoir de se renseigner », D., 1983, chron. 139.

184 trib. com. Paris, 28 sept. 2005, n° 2002/055929.

185 L. no 89-1008 du 31 déc. 1989 relative au développement des entreprises commerciales et artisanales et à l'amélioration de leur environnement économique, juridique et social, JORF, n°1 du 2 janv. 1990.

186 D. MAZEAUD, « Rapport de synthèse Colloque : La Franchise : questions sensibles », RLDA, 2012, no 73 supplément, p. 58.

187 CA Paris, 1er févr. 2013, no 11/06560.

92

l'interdiction du déséquilibre significatif, dès lors que les professionnels sont renseignés sur les conditions de la relation commerciale.

174. Les défenseurs de l'interdiction du déséquilibre significatif font valoir l'opacité de certaines informations précontractuelles empêchant les contractants de faire un choix éclairé. C'est pour cette raison qu'il est conseillé aux contractants de consulter des experts, avocats ou juristes, avant de s'engager. Dans le cas de la franchise, une étude nous montre que 69%188 des franchisés ont consulté au moins un expert avant de signer le contrat de franchise. Les professionnels prennent donc le soin de s'informer avant de contracter, respectant ainsi leur obligation de se renseigner. Un cocontractant bien informé serait mal avisé d'invoquer ensuite le déséquilibre d'une clause lui paraissant déséquilibrée.

Tous les professionnels ne s'informent pas de la même façon, notamment ceux du secteur agricole. N'oublions pas que les producteurs constituent une des principales cibles que le législateur a voulu protéger avec la loi LME. Pour Madame Aurélie Charrier, juriste-conseil au syndicat agricole FDSEA (Fédération Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles) de l'Oise, « le problème avec les exploitants agricoles, c'est qu'ils font plutôt confiance, et ne sollicitent le conseil juridique offert par les syndicats qu'une fois le litige naissant. Il est donc un peu tard [et c'est] à nous de développer le réflexe de consultation AVANT contrat189. » C'est l'une des raisons qui justifient l'intervention du législateur pour protéger les professionnels moins avisés ou ceux qui font confiance à leur partenaire commercial. Mais est-ce réellement le rôle du législateur que de venir remédier aux omissions ou au refus des professionnels de se renseigner avant de contracter ?

L'absence de consultation d'un expert n'est pas uniquement due à l'omission ou au refus des professionnels d'y recourir, mais aussi à l'impossibilité d'accéder à ce type de services. Certains professionnels ont accès à un service juridique comme c'est le cas au sein de certains syndicats agricoles par exemple. Madame Aurélie Charrier confie que « les adhérents à un syndicat ont accès au service juridique, si celui-ci en dispose. Au sein du réseau FDSEA, par exemple, il y a des juristes, mais aussi dans la plupart des

188 Banque Populaire, Synthèse 2014, Enquête annuelle de la franchise, p. 6.

189 Cf. Annexe n° 2, question 2.

93

associations spécialisées190. » Cependant, tous les agriculteurs n'ont pas un accès aux conseils d'un expert. Madame Géraldine Odoul, producteur associé du GAEC Odoul, indique qu'elle n'a accès à aucun service de ce type au sein de la coopérative dont elle fait partie. Elle ajoute qu'elle ne peut consulter qu'un conseiller du secteur « polyvalent »191. Ce type de conseil suffit-il à éclairer le choix des professionnels ?

175. Les obligations d'information et de s'informer devraient suffire à éclairer le consentement des professionnels qui acceptent alors en connaissance de cause les éventuels déséquilibres significatifs du contrat.

§2. Un déséquilibre prévisible

176. Il est possible de prévenir l'apparition d'un déséquilibre significatif à deux niveaux. Soit au moment de la négociation en amendant les obligations susceptibles de créer un déséquilibre significatif (A). Soit après la négociation, c'est-à-dire lors de la rédaction du contrat (B). La façon dont le contrat est écrit et son contenu jouent un rôle très important pour déceler un éventuel déséquilibre significatif.

A. Au moment de la négociation

177. L'interdiction du déséquilibre significatif n'est pas réellement nécessaire puisque le déséquilibre significatif peut être évité dès l'amont, grâce à une négociation des conditions contractuelles. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce prévoit l'engagement de la responsabilité d'un opérateur économique en cas de « soumission » de son partenaire commercial à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Le terme « soumission » laisse entendre qu'un des partenaires s'est vu contraint d'accepter les conditions contractuelles sans pouvoir négocier. La cour d'appel de Paris estime qu'à défaut de négociation des conditions contractuelles, un déséquilibre significatif est caractérisé constitué192. Inversement, dès lors que la clause a été négociée,

190 Annexe n° 2, question 2.

191 Annexe n° 3, question 7.

192 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.

94

elle ne peut pas être à l'origine d'un déséquilibre significatif193. C'est pour cette raison que la phase de négociation est très importante afin d'éviter une « soumission » et, par extension, l'apparition d'un déséquilibre significatif.

178. La négociation contractuelle peut éviter de se voir soumettre à des obligations constitutives d'un déséquilibre significatif, mais il n'est pas toujours évident de négocier les conditions contractuelles, surtout lorsque les professionnels sont, par exemple, des PME n'ayant pas forcément un service commercial ou juridique pour effectuer ce travail de prévention. Cependant, des solutions existent pour ce type d'entreprises. En effet, certains acteurs se sont spécialisés dans le rôle d'intermédiaire afin de permettre aux professionnels d'obtenir les meilleures conditions contractuelles et éviter tout déséquilibre significatif. C'est le cas par exemple de l'entreprise Appro-Fusion194 dont l'activité consiste dans un premier temps à mettre en contact les restaurateurs avec des fournisseurs vendant des produits correspondant à leurs besoins. Dans un second temps, cette société négocie les conditions d'achat et de vente des deux parties et elle veille à leur respect.

179. Une autre possibilité offerte aux parties pour négocier correctement les conditions contractuelles est de recourir à des organisations professionnelles. Par exemple, les agriculteurs donnent mandat à une organisation professionnelle pour négocier leurs conditions générales de vente et ainsi obtenir les meilleures conditions contractuelles195. La négociation par les organisations professionnelles est d'autant plus importante dans ce secteur, que les contrats signés par les agriculteurs avec les coopératives agricoles, les industriels ou les distributeurs, sont généralement des contrats types. La négociation des clauses de ces contrats types est importante afin non seulement d'éviter à la partie accusée une condamnation pour non-négociation des clauses, mais aussi pour permettre aux agriculteurs de bénéficier de conditions contractuelles équilibrées. Cependant, pour certains agriculteurs, les organisations professionnelles ou les syndicats agricoles n'obtiennent pas toujours de meilleures conditions contractuelles.

193 CA Paris, 29 janv. 2014, no 12/07258.

194 Annexe no 5, question 1.

195 E. FABREGUE, « La «contractualisation» dans la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. - À la lumière de l'exemple du secteur laitier ? », Droit rural, oct. 2011, dossier 23.

95

Pour Madame Géraldine Odoul, producteur, « nous pensons que [ces groupements] jouent un rôle insuffisant dans notre région196. »

À cela s'ajoute une difficulté à négocier l'ensemble des clauses du contrat, notamment par manque de temps. Par exemple dans le cas de conventions récapitulatives197, l'article

L. 441-7 du Code du commerce impose leur signature avant le 1er mars de chaque année. Madame Aurélie Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, nous confie que les négociations sur les prix prennent énormément de temps et, à cause du délai imposé, il reste généralement peu de temps pour négocier le reste des conditions des conventions uniques198. La négociation paraît donc limitée.

B. Au moment de la rédaction du contrat

180. Il est possible d'éviter le déséquilibre significatif au moment de la rédaction des contrats, c'est pourquoi il est indispensable de rédiger des clauses claires et précises pour éviter toute ambiguïté. Il est possible qu'une disposition contractuelle ait pour effet de créer un déséquilibre significatif alors même que la partie bénéficiaire n'avait pas l'intention de soumettre son partenaire à un déséquilibre.

181. Les décisions de justice rendues jusqu'à ce jour nous permettent d'identifier les causes du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et nous éclairent sur les précautions à prendre lors de la rédaction des contrats. Les juges ne se sont pas encore prononcés définitivement sur la méthodologie à suivre au moment de l'appréciation du déséquilibre significatif. Nous avons vu qu'il fait tantôt une appréciation clause par clause et tantôt une appréciation in globo du contrat199. Dans ce dernier cas, le juge condamne « l'absence de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des parties200. » C'est l'absence de réciprocité de l'obligation qui crée un déséquilibre significatif et la seule façon d'éviter la sanction de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce consiste à stipuler une clause créant une contrepartie au déséquilibre. Même si

196 Annexe n° 3, question 6.

197 Pour plus d'informations sur ce point Cf. supra n°92.

198 Annexe n° 2, question 6.

199 Cf. supra nos 108 s.

200 CA Paris, 1er oct. 2014, n° 11/17941.

96

les obligations des contractants sont généralement différentes, il faut réussir à établir une « réciprocité » de ces obligations pour éviter la qualification de déséquilibre significatif.

Pour empêcher de voir sa responsabilité engagée au moment de la rédaction des contrats, il faut éviter de stipuler des clauses créant des obligations à la charge d'une seule des parties ou, sinon, prévoir une contrepartie. Par exemple, la cour d'appel de Paris201 a considéré qu'une clause prévoyant l'obligation pour le fournisseur de reprendre les invendus et dénuée de contrepartie était constitutive d'un déséquilibre significatif. Afin d'éviter la sanction, il aurait été judicieux d'insérer une clause prévoyant, par exemple, le paiement d'une indemnité au fournisseur pour la reprise des invendus ou encore, une clause limitant la quantité de produits à reprendre.

182. Dans un autre arrêt, la cour d'appel de Paris202 a décidé que « [s]'il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre significatif entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifié de significatif. » Pour calculer le prix qui permettrait d'éviter le déséquilibre, il faudrait prendre en compte les méthodes utilisées pour le respect de l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce interdisant « d'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. »

183. Enfin, la cour d'appel de Paris203 a déclaré que, constituait un déséquilibre significatif l'obligation pour le fournisseur de justifier par des éléments objectifs l'augmentation de ses tarifs, alors que le contrat n'indiquait pas quels étaient ces éléments, ce qui rendait difficile la justification de l'augmentation des tarifs. En revanche, la baisse du prix des matières premières entrainait systématiquement une révision de la convention et ce, au bénéfice du distributeur. La Cour d'appel estime qu'un déséquilibre significatif était constitué. Pour éviter ce type de situation, il est indispensable de prévoir dans le

201 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.

202 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

203 CA Paris, 11 sept. 2013, no 11/17941.

97

contrat les éléments objectifs sur lesquels la révision du prix va se baser. L'insertion d'une clause d'indexation par exemple peut être une solution.

184. Par ailleurs, la même cour204 déclare qu'une clause prévoyant le paiement de pénalités en cas de non-respect d'un taux de service205 minimum de 98,5% est créatrice d'un déséquilibre significatif. Selon la juridiction, les méthodes de calcul du taux de service et du calcul des indemnités n'étaient pas indiquées, ainsi que les facteurs pris en compte pour définir le taux de service. Il est donc indispensable de prévoir les méthodes de calcul dans le contrat et de bien définir les facteurs intégrant le calcul d'un taux de service. En somme, il faut être très précis, prévoyant et surtout tenir compte des spécificités de chacun des partenaires commerciaux pour fixer les taux de service. De même il est indispensable de prévoir des taux raisonnables - 98,5% est un taux très élevé - et il est indispensable de tenir compte des contraintes des partenaires commerciaux avant de fixer le taux et d'en prévoir un qui soit possible à atteindre.

204 CA Paris, 11 sept. 2013, n° 11/17941.

205 Taux de service : pourcentage de produits livrés à temps dans les références et quantités requises, par rapport à la demande exprimée par un client. Source : http://www.agrojob.com/dictionnaire/definition-taux-de-service-3838.html

98

Section 2. Le frein au pouvoir de décision des partenaires commerciaux

185. L'interdiction du déséquilibre significatif affecte le pouvoir de décision des parties. En effet, elle empêche les partenaires commerciaux de contracter librement (§1) en acceptant des dispositions déséquilibrées. Mais cette interdiction remet aussi en cause les dispositions contractuelles acceptées par les partenaires commerciaux (§2).

§1. L'interdiction du déséquilibre significatif contre la liberté contractuelle

186. L'interdiction du déséquilibre significatif peut être vue comme une immixtion du législateur dans les relations commerciales. Cette immixtion peut même aller à l'encontre des intérêts des partenaires commerciaux (A). De plus, l'intervention massive du législateur est une particularité française. En effet, les voisins européens de la France optent plutôt pour une intervention plus mesurée du législateur dans les rapports commerciaux (B).

A. L'immixtion législative à l'encontre des intérêts des partenaires commerciaux

187. L'immixtion du législateur portant atteinte à la liberté contractuelle peut être justifiée au nom de l'intérêt général (1). Il faut toutefois interroger la pertinence de cette intervention alors même que les partenaires commerciaux ont parfois intérêt à maintenir le déséquilibre significatif (2).

1- La limite à la liberté contractuelle au nom de l'intérêt général

188. L'interdiction du déséquilibre significatif peut être perçue comme une limite à la liberté contractuelle. Pour les juristes du Cercle Montesquieu, « la liberté contractuelle et la régulation économique sont deux principes du droit français inhérents à la vie des

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affaires, mais a priori inconciliables du moins dans l'esprit du législateur206. » Pour réguler l'économie, ce dernier a choisi de limiter la liberté contractuelle, alors qu'elle est à la base d'une relation commerciale.

189. La limitation législative est intervenue alors même que le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de la liberté contractuelle207. Des restrictions peuvent toutefois lui être imposées pour des motifs d'intérêt général208. Ce dernier passe-t-il par une régulation économique renforcée ou par une sacro-sainte « égalité des armes209 » ? Ne faut-il pas donner aux parties les mêmes moyens de défense et les laisser se débrouiller plutôt que de leur offrir des dispositifs législatifs qui leur permettront finalement de « remédier à [leur] légèreté et à [leur] insouciance210» alors même qu'elles ont librement accepté les dispositions contractuelles déséquilibrées ?

190. L'équilibre dans les relations commerciales est-il un motif d'intérêt général suffisant ? Nous avons vu211 que le législateur a décidé d'interdire le déséquilibre significatif pour sauvegarder la libre concurrence et protéger le consommateur. D'une certaine manière, l'interdiction du déséquilibre significatif porte atteinte à la liberté contractuelle pour des motifs d'intérêt général. Pour certains professionnels de la distribution, l'intervention des pouvoirs publics est allée trop loin. Le président directeur général de Leclerc affirme : « soit les pouvoirs publics décident de s'inviter directement à la table des négociations commerciales, et à ce moment-là établissons alors les contrats à trois! Soit on laisse les acteurs librement commercer, sans jeter la suspicion à priori sur le seul acheteur, et les conditions de la négociation s'en trouveront optimisées212. » Nous pouvons ainsi noter le rejet de ce dispositif par les professionnels de la grande distribution souvent mise en cause dans les cas d'interdiction du déséquilibre significatif.

206 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 1.

207 DC, 10 juin 1998, no 98-401 ; DC, 19 déc. 2000, no 2000-437.

208 DC, 13 janv. 2013, no 2002-465.

209 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 2.

210 Y.LEQUETTE « Bilan des solidarismes contractuels », in Mélanges P. DIDIER, Économica, 2008, p. 267.

211 Cf. supra nos 35 s.

212 M.-E. LECLERC, « Assignations Lefebvre : la justice limite l'interventionnisme de l'exécutif dans les relations industrie-commerce », La tribune de Michel-Edouard Leclerc, 26 sept. 2013.

191.

100

L'intervention du législateur dans l'interdiction du déséquilibre significatif est d'autant plus critiquée qu'elle advient dans le monde des affaires, celui des professionnels habitués aux relations commerciales et qui savent établir des règles adaptées à leurs besoins ou utiliser celles déjà existantes. Ceci est renforcé par le fait que le droit commercial a été longtemps nourri par des usages ainsi que des règles permettant de répondre de manière pertinente à leurs besoins213.

2- La pertinence de l'intervention du législateur

192. Par ailleurs, il serait important d'étudier la pertinence de cette intervention législative interdisant le déséquilibre significatif. Il est possible qu'une partie accepte sciemment des dispositions qu'elle sait déséquilibrées. Comme le souligne un auteur, « tout engagement libre est juste214. » La « victime » pouvait être d'accord uniquement parce qu'elle porte un intérêt particulier à la conclusion de la relation commerciale. Prenons le cas du contrat de franchise qui est « intrinsèquement fondé sur une relation déséquilibrée entre le franchiseur et le franchisé215. » Cet acte illustre bien cette volonté des parties de conclure la relation commerciale nonobstant son déséquilibre. Les réseaux de franchise présentent de nombreux avantages pour les franchisés puisqu'il s'agit d'un concept « clé en main. » La clientèle est existante et la marque bénéficie d'une notoriété. Les futurs franchisés montrent leur intérêt pour le devenir, 54% d'entre eux pensent qu'être franchisé permet de mieux gagner sa vie qu'un salarié216. Le concept de franchise nous laisse supposer qu'une partie serait finalement prête à accepter des dispositions déséquilibrées en échange de l'intégration du réseau de franchise. La remise en cause de l'interdiction du déséquilibre significatif est d'autant plus renforcée que ces pratiques restrictives de concurrence sont une particularité d'un droit français esseulé.

213 D. FERRIER, « L'adéquation de l'offre de lois contractuelles aux besoins de la pratique des affaires » in Droit européen du contrat et droit du contrat en Europe : Quelles perspectives pour quel équilibre ?, (dir.) G. WICKER, LexisNexis, 2008, p. 40-41.

214 E. GOUNOT, Le principe de l'autonomie de la volonté en droit privé : contribution à l'étude critique de l'individualisme juridique, Paris, éd. Arthur Rousseau, 1912, p. 70.

215 G. GRAS, « Propos conclusifs. Colloque : la franchise : questions sensibles », RLDA 2012, no 73 supplément, p. 54.

216 Banque Populaire, Enquête annuelle de la franchise 2014, p. 8.

101

193. Pour juger de l'opportunité de l'intervention du législateur venant bouleverser les relations établies, il faudrait établir la nécessité d'assurer l'équilibre du contrat commercial217. Peut-être serait-il judicieux de restreindre son intervention aux seuls contractants en état de dépendance économique, c'est-à-dire ceux victimes d'un abus de faiblesse ? On peut également préférer se référer à un critère plus objectif en protégeant uniquement les TPE et PME, dont on sait que leur poids dans les négociations est limité. Pour l'instant, l'ensemble des relations entre partenaires commerciaux est concerné par l'interdiction du déséquilibre significatif. Il faudrait que seules les personnes entrant dans une catégorie définie puissent être considérées comme des partenaires commerciaux fragiles dont le consentement a été, d'une certaine manière, vicié par les circonstances dans lesquelles ils ont contracté. Les conditions cumulatives à remplir seraient les suivantes218 :

- importance du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur. - notoriété de la marque du fournisseur.

- importance de la part du fournisseur sur le marché.

- absence, sur le marché pertinent, d'une solution de remplacement.

Ces conditions permettraient de faire un tri des personnes concernées par l'interdiction du déséquilibre significatif, afin de limiter le champ d'application du dispositif d'interdiction uniquement dans les cas où il est réellement nécessaire de juger la pertinence du déséquilibre significatif et ainsi limiter la remise en cause des dispositions acceptées.

Il est vrai que certains professionnels n'ont nullement besoin d'une protection législative. S'ils décident d'accepter des conditions déséquilibrées, c'est parce qu'ils savent pouvoir y faire face. Prenons comme exemple le litige opposant le ministre de l'Économie à Darty219 où les victimes étaient des fournisseurs d'électroménagers (Samsung, LG Electronics, Haier, Toshiba, Miele, Whirlpool, etc.). Le juge, en

217 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'équilibre du contrat en droit commercial », in L'équilibre du contrat, (dir.) G. LARDEUX, éd. PUAM, 2012, p. 29.

218 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 30.

219 trib. com. Bobigny, 29 mai 2012, no 2009/F01541.

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s'immisçant dans les contrats afin d'éliminer le déséquilibre significatif, agit en réalité à l'encontre de l'intérêt des prétendues victimes du déséquilibre. La clause de protection des stocks dénoncée comme déséquilibrée par le ministre avantageait en réalité ces entreprises qui n'avaient pas à assumer le coût de stock très important.

B. L'inflation législative dans le droit de la concurrence : une particularité française

194. Le règlement communautaire du 16 décembre 2002220 prévoit qu'afin de préserver la concurrence sur le marché, les États membres peuvent « mettre en oeuvre sur leur territoire des dispositions législatives nationales destinées à protéger d'autres intérêts légitimes. » La France a décidé de légiférer afin de protéger la concurrence. Les pratiques restrictives de concurrence visées à l'article L. 442-6, I du Code de commerce sont un avatar de l'interventionniste du législateur français. La loi Hamon221 a récemment ajouté une nouvelle pratiques restrictive de concurrence à l'article L. 442-6, I, 12° du Code de commerce. Pourtant, dès 2004, le rapport Canivet préconisait de réduire l'intervention-nisme législatif en droit de la concurrence222. Pour l'auteur du rapport, « il semble que le temps soit venu de rompre avec une histoire marquée par un contrôle des comportements qui trouve ses limites dans son instrumentalisation par les opérateurs économiques au détriment des consommateurs, au profit d'une confiance plus grande dans les mécanismes du marché, dont le bon fonctionnement doit être naturellement vérifié par des autorités de régulation plus efficaces. » La France a fait le choix de l'interventionnisme alors que ses voisins européens ont opté pour des solutions plus flexibles.

195. L'Espagne, la Belgique, l'Angleterre, le Portugal et les Pays-Bas ont privilégié le recours à des codes de conduite223. Cette soft law224 permettrait d'alléger les contraintes des professionnels lors de la rédaction de leur contrat. L'interdiction est présente, mais de

220 Règlement du Conseil n° 1/2003/CE du 16 déc. 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JO, 4 janv. 2003.

221 L. no 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, JORF, n°0065 du 18 mars 2014.

222 G. CANIVET, Restaurer la concurrence par les prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie et commerce, La Documentation française, oct. 2004, p. 15.

223 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p.8.

224 En français : droit mou. Source : http://iate.europa.eu/SearchByQuery.do

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manière plus souple. De plus, les dispositions françaises du titre IV du livre IV du Code de commerce, visant à réglementer les pratiques entre professionnels, seraient plus sévères que celles choisies par nos voisins tels que la Belgique, l'Allemagne ou l'Italie225. Ces situations placent la France dans une position de handicap par rapport à ses propres voisins européens, ce qui peut aboutir à une baisse de compétitivité de la France.

196. Une fois le législateur intervenu, il va s'en suivre l'intervention du juge venant, au nom de l'interdiction du déséquilibre significatif, remettre en cause les conventions formées par les parties.

§2. La remise en cause du juge des dispositions acceptées par les partenaires commerciaux

197. Le juge peut remettre en cause les dispositions acceptées par les parties au nom de l'interdiction du déséquilibre significatif (A). Cette intervention bat en brèche la théorie de l'imprévision. Si l'intervention du juge semble inévitable, encore faut-il qu'elle soit mesurée (B).

A. La remise en cause des dispositions acceptées au nom de l'interdiction du déséquilibre significatif

198. « Nul ne peut modifier les conditions ou les effets d'un contrat valablement formé, sans le consentement unanime de tous ceux qui y ont contribué226. » Au nom de l'interdiction du déséquilibre significatif, le juge va pouvoir venir remettre en cause les dispositions acceptées des parties et cela même sans avoir été sollicité par elles, puisque l'article L. 442-6, III du Code de commerce autorise le ministre de l'Économie et le

225 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p.8.

226 Y. GUYOT, Les préjugés socialistes, conférence faite à Reims le 24 avril 1895 cité in A. MARIER, De l'autonomie de la volonté individuelle quant aux modifications des contrats, imprimerie FIRMAN et MONTANE, 1913, p. 144.

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Ministère public à demander au juge qu'il prononce l'annulation des clauses entachées d'un déséquilibre significatif227.

Si le juge considère qu'une ou plusieurs des dispositions acceptées par les parties créent un déséquilibre significatif, il va déclarer nulles les clauses illicites. Cette nullité remettrait en cause le principe pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées) mis en avant par l'article 1134 du Code civil disposant que « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »

199. Pour certains auteurs, la règle interdisant le déséquilibre significatif serait « une arme de destruction massive des contrats228. » Cette affirmation se renforce par l'idée que ce ne sont pas les partenaires commerciaux qui ont le pouvoir de demander la nullité des clauses constituant un déséquilibre significatif. En effet, l'article L. 442-6, III donne ce pouvoir uniquement aux autorités administratives. Cependant, cette position devrait être nuancée après l'avis de la CEPC229 de 2014. En effet, la CEPC indique que la victime d'un déséquilibre significatif peut « agir en nullité de la clause ou du contrat illicite et d'engager la responsabilité civile de l'auteur de la pratique. » Mais pour l'instant, aucun changement n'a été effectué par la loi jusqu'à ce jour. En tout cas, même si la partie victime peut demander la nullité d'une clause, le pouvoir d'action des autorités administratives sera toujours possible, ce qui remet en cause les dispositions acceptées par les parties.

200. Avec la prohibition du déséquilibre significatif, le juge va déclarer nulles certaines clauses acceptées par les parties afin de retrouver l'équilibre contractuel, alors que celui-ci ne compte pas parmi les conditions de validité du contrat répertoriées à l'article 1108 du Code civil (le consentement, la capacité, l'objet et la cause). Seule la lésion peut sanctionner le déséquilibre contractuel, mais elle n'est permise que dans certains types de contrats230 tels que les contrats relatifs au partage, aux ventes

227 Cf. supra no 128.

228 M. CHAGNY, « Le nouveau droit de la concurrence : quel impact sur les relations contractuelles ? », CCC, déc. 2008, Alerte no 70.

229 CEPC, Avis no 14-02, 13 févr. 2014.

230 C. civ., art 887, 1674, 1118, 1123, 1123, 1305 et 1312.

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immobilières ou encore, ceux visant à protéger un certain type de personnes (mineurs, interdits, etc.).

201. Si l'intervention du juge est inévitable, encore faut-il qu'elle soit limitée. B. Limitation de l'intervention du juge

202. L'intervention du juge pour remettre en cause les dispositions acceptées par les parties semble inévitable. Elle s'apparente à une remise en cause de la théorie de l'impré-vision (1), jusqu'à aujourd'hui en principe rejeté par le juge judiciaire. L'intervention du juge doit toutefois rester limitée afin de ne pas bouleverser excessivement le contrat déjà conclu (2).

1- Une exception à la théorie de l'imprévision ?

203. Accepter l'intervention du juge pour rétablir l'équilibre contractuel équivaut à remettre en cause la théorie de l'imprévision qui prévaut en droit civil depuis l'arrêt Canal de Craponne231. Dans cette décision, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel qui avait accordé une révision du contrat du fait du déséquilibre des prestations. Les parties doivent prévoir les risques qui peuvent survenir dans l'exécution du contrat en insérant par exemple des conditions (C. civ., art. 1168) ou des clauses d'échelle mobile. Si l'imprévi-sion est refusée, pourquoi l'interdiction du déséquilibre significatif ne le serait-elle pas aussi ? Accepter l'intervention du juge pour rétablir l'équilibre contractuel du fait d'un déséquilibre significatif revient à accepter d'une certaine manière une intervention pour imprévision.

204. Un auteur préconise la disparition de la théorie de l'imprévision232. L'interdiction de la révision pour imprévision devrait disparaitre puisqu'il s'agirait « d'une excellente illustration d'un droit français sclérosé et vieilli par rapport à ses homologues étrangers,

231 Cass. civ., 6 mars 1876, D., 1876. 1. 193, note Giboulot.

232 D. MAZEAUD, « Regards positifs et prospectifs sur «Le nouveau monde contractuel» », LPA, 7 mai 2004, n° 92, p. 47.

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lesquels admettent la révision judiciaire pour imprévision233. » En effet, de nombreux systèmes juridiques l'admettent234. La Cour de cassation semble entendre ces auteurs puisque depuis l'arrêt Huard235, où il a été décidé qu'au nom de la bonne foi le contrat devait être renégocié, certains arrêts, relativement isolés il est vrai, acceptent la reconnaissance de la révision pour l'imprévision. C'est le cas par exemple de l'arrêt Novacarb236 où, comme dans l'arrêt Huard, les parties se sont vues contraintes de renégocier leur contrat du fait d'un changement des circonstances. De plus, l'Avant-projet de réforme du droit des obligations, s'il est adopté, prévoit dans son article 104 la reconnaissance de la théorie de l'imprévision. L'intervention du juge pour éliminer le déséquilibre significatif de la relation commerciale pourrait être une conséquence de cette éventuelle future acceptation de la théorie de l'imprévision.

2- Les mises en garde concernant l'intervention du juge

205. Selon un auteur, l'intervention du juge en cas de déséquilibre significatif ne doit pas avoir pour but de remettre en cause le contrat simplement pour une « insatisfaction237 » des parties. Les parties doivent assumer les engagements auxquels elles ont souscrit. Pour éviter des dérives, il est nécessaire que le juge fasse des recherches approfondies avant de déclarer la nullité d'une clause, notamment en recherchant les avantages réciproques238. Le rôle du juge est celui d'une boussole239, il doit guider le procès en tenant compte de la volonté des parties au moment où elles se sont engagées contractuellement et il ne peut pas juger de façon subjective en conformant la relation contractuelle à ses propres conceptions de l'équité et de la justice économique240.

233 Y.LEQUETTE « Bilan des solidarismes contractuels », in Mélanges P. DIDIER, Économica, 2008, p. 272.

234 K. HAERI et M. RAZAVI, « La prévision dans le contrat, la prévision dans le procès », G. Pal. 2930 déc. 2010, p.15.

235 Cass. com., 3 nov. 1992, no 90-18547.

236 CA Nancy, 26 sept. 2007, no 06/02221.

237 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.

238 Ibid.

239 Y. LEQUETTE, ibid., p. 266.

240 Ibid., p. 265.

107

CHAPITRE II. LE RÔLE DE LA PRÉSERVATION DES INTÉRÊTS LÉGITIMES DES PARTENAIRES COMMERCIAUX

206. Nous allons analyser la possibilité de ne pas sanctionner le déséquilibre significatif lorsqu'il est justifié. Des raisons légitimes peuvent en effet conduire un des partenaires commerciaux à soumettre son cocontractant à des obligations engendrant un déséquilibre significatif.

207. Nous avons classé ces justifications en plusieurs thèmes non exhaustifs. Tout d'abord, le maintien du déséquilibre significatif peut être justifié par le besoin de préserver les aspects immatériels qui font la force d'une entreprise, tels que son image ou son savoir-faire (Section 1). Le maintien du déséquilibre peut également se justifier par le besoin des partenaires commerciaux de maintenir une trésorerie indispensable au fonctionnement de leur activité (Section 2).

108

Section 1. La préservation de l'immatériel

208. La protection des aspects immatériels d'une entreprise peut justifier le maintien du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ces aspects immatériels peuvent être : la préservation de l'image des partenaires commerciaux à l'égard des autres acteurs économiques (§1), élément indispensable pour la survie de l'entreprise, ou encore celle de son savoir-faire (§2).

§1. La préservation de l'image des partenaires commerciaux

209. L'impossibilité de négocier le contenu du contrat est considérée comme un déséquilibre significatif.241 Ici, nous allons essayer d'étudier si ce déséquilibre pourrait être justifié. Prenons le cas des contrats de franchise, l'image de la franchise étant essentielle pour la survie de l'enseigne, ce n'est pas en vain que le code de déontologie européen de la franchise prévoit à son article 7 que « le franchiseur entretient et développe l'image de marque. » Ainsi, le franchiseur doit mettre en place tous les moyens nécessaires à la sauvegarde de l'image de la franchise. C'est une des raisons qui peut justifier que les contrats de franchise soient, par nature, des contrats d'adhésion. Ils sont rarement négociés et le franchiseur propose au franchisé une solution « clé en main » comprenant un concept défini. Or, pour que le déséquilibre significatif ne soit pas caractérisé, le contrat doit pouvoir être négocié. La difficulté avec le contrat de franchise est que le respect des conditions du franchiseur est indispensable à la sauvegarde de l'image et de la réputation de l'enseigne. Si le franchisé ne respecte pas à la lettre les conditions imposées dans le contrat de franchise, l'image de l'enseigne s'en trouvera détériorée au détriment de l'ensemble du réseau. Des clauses imposant la décoration du magasin ou encore l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou des fournisseurs sélectionnés par lui sont nécessaires à la protection du réseau. Comme le souligne Monsieur Guy Gras, Président de la Fédération Européenne de la Franchise, « appliquer le déséquilibre significatif sans mesure au contrat de franchise serait [...] totalement

241 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.

109

inapproprié en l'espèce, mais également de nature à remettre en cause l'essence même du monde économique de la franchise242. »

210. Non seulement l'impossibilité de négociation du contrat de franchise peut créer un déséquilibre significatif, mais certaines clauses du contrat même pourraient également être qualifiées de déséquilibrées par le juge. Or, « la franchise est un contrat qui est intrinsèquement fondé sur une relation déséquilibrée entre le franchiseur et le franchisé243 ». Des clauses sont imposées uniquement dans le but de préserver cette image de marque. Par exemple, l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou de fournisseurs sélectionnés par lui. Cette clause peut être considérée comme déséquilibrée puisque le franchisé impose unilatéralement cette condition. Toutefois, la particularité du contrat de franchise autorise ce type de clause puisqu'elle est, selon la CJCE, « considérée comme nécessaire à la protection de la réputation du réseau244. » Ces clauses ne devraient donc pas être considérées comme déséquilibrées.

211. Un autre exemple de clause confirme que le déséquilibre significatif peut être justifié afin de préserver l'image du partenaire commercial. Il s'agit de celle relative au retour des produits dégradés par la clientèle. Ce type de clause a d'abord été déclaré comme constitutif d'un déséquilibre significatif par la cour d'appel de Paris245. En l'espèce, sur les produits contenant des offres promotionnelles sur l'emballage, une clause prévoyait qu'en cas de destruction par le consommateur de l'emballage ou du produit, les frais liés à la reprise ou à sa destruction seraient à la charge du fournisseur. L'insertion dans le contrat d'une clause de ce type pourrait être justifiée par la nécessité de préserver l'image de l'enseigne du distributeur. En effet, il est possible de justifier cette clause puisque le distributeur ne peut laisser un produit dégradé dans le rayon car il doit proposer aux consommateurs des biens « présentables » à la vente. Pour moi, consommateur, « l'image des produits que je consomme est ma propre image246 » ; cette image du produit donnée au consommateur est donc essentielle. Que les frais de destruction ou de retour du

242 G. GRAS, « Propos conclusifs, Colloque : la franchise : questions sensibles », RLDA 2012, n° 73 supplément, p. 55.

243 Ibid., p. 54.

244 CJCE Pronuptia, 28 janv. 1986, no 161/84, pt. 21.

245 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.

246 A. CADET et B. CATHELAT, « À propos de l'image du consommateur », Les Cahiers de la publicité, no16, p. 142.

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produit soient à la charge du fournisseur semble assez logique puisque c'est bien lui qui a décidé de mettre en place les offres promotionnelles sur l'emballage du produit. C'est donc à lui de s'assurer de la solidité globale des emballages.

212. Une autre cause pouvant justifier le déséquilibre significatif et la nécessité de protection du savoir-faire.

§2. La protection du savoir-faire des partenaires commerciaux

213. Le savoir-faire constitue pour certains professionnels une partie très importante de leur patrimoine et, dans certains cas comme la franchise, il est même le pilier de leur activité. La soumission du partenaire commercial à des clauses déséquilibrées peut être justifiée par la conservation du savoir-faire. Nous allons nous concentrer principalement sur la franchise, puisque c'est le contrat par excellence où, en raison de la sauvegarde du savoir-faire, le déséquilibre significatif peut être justifié. Pour l'instant, aucune décision de justice n'a été rendue à ce sujet, mais rien n'empêche que cette situation puisse se présenter.

214. Essayons de comprendre pourquoi le contrat de franchise est déséquilibré. Pour Monsieur Guy Gras, le déséquilibre du contrat de la franchise « trouve son origine dans une relation ancestrale entre d'une part un «sachant», un détenteur d'un savoir et d'autre part une personne qui désire acquérir ce savoir247. » Le franchiseur a travaillé pour arriver à construire un concept efficace. Pour être conservé, il est nécessaire d'imposer des conditions qui peuvent paraître déséquilibrées.

215. La franchise est la réitération d'une réussite commerciale. Pour la pérenniser, il est indispensable de protéger le savoir-faire qui en constitue le coeur. C'est pour cette raison que des clauses de confidentialité sont imposées au franchisé. Si les juges acceptent l'introduction de ce type de clauses, c'est parce que cette contrainte est la contrepartie d'un avantage concurrentiel apporté par le franchiseur au franchisé. La CJCE confirme la nécessité de mettre en place de telles clauses restrictives de concurrence afin de protéger

247 G. GRAS, art. préc., p. 54.

111

le savoir-faire de la franchise. Elles sont « indispensables pour prévenir248 » le risque de transfert du savoir-faire à un concurrent. De plus, une communication de la Commission européenne indique que « plus le transfert de savoir-faire est important, plus il est probable que les restrictions généreront des gains d'efficience et/ou seront indispensables pour le protéger et que les restrictions verticales satisferont aux conditions énoncées à l'article 101, paragraphe 3249. » L'article 101, paragraphe 3, du Traité de fonctionnement de l'Union européenne prévoit une exemption des pratiques restrictives de concurrence pouvant affecter le commerce entre États membres. Pour Monsieur Guy Gras, « le droit européen nous a ouvert une voie raisonnable et raisonnée, espérons que nous sachions la prendre et la conserver250. »

216. Nous voyons que la protection du savoir-faire peut justifier l'introduction d'obligations créant un déséquilibre significatif. Cependant, avec le projet de loi Macron251 prévoyant l'interdiction des clauses post-contractuelles restrictives de la liberté d'exercice de l'activité commerciale, la protection du savoir-faire sera rendue plus difficile. Espérons pour les professionnels que la protection du savoir-faire pourra continuer à être utilisée comme justificatif aux déséquilibres dans les contrats de franchise.

248 CJCE Pronuptia , 28 janv. 1986, no 161/84, pt. 16.

249 Commission européenne, Lignes directrices sur les restrictions verticales n° 2010/C 130/01, § 189, JOUE, 19 mai 2010.

250 G. GRAS, art. préc., p. 55.

251 Projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques n° 473, texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 févr. 2015.

112

Section 2. La préservation du capital

217. La préservation du capital de l'entreprise peut justifier le déséquilibre significatif de certaines clauses. Tout d'abord, des prix considérés comme constituant un déséquilibre significatif peuvent être justifiés par le besoin de rentabilité sur les investissements faits par l'entreprise (§1). En effet, l'entreprise doit financer des dépenses essentielles afin de pouvoir proposer des produits de qualité. Ensuite, l'entreprise doit maintenir une trésorerie stable afin de pouvoir faire face aux dépenses quotidiennes, ce besoin peut dans certains cas justifier l'imposition d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (§2).

§1. Le besoin d'une rentabilité sur les investissements

218. La cour d'appel de Paris a estimé que même « [s]'il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre significatif entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifiés de significatif252. » Cette décision de la cour d'appel de Paris nous renvoie aux clauses léonines dont l'exécution aurait pour résultat de procurer à l'un des cocontractants un avantage exorbitant au détriment des autres253. Le professionnel soumettrait son partenaire commercial à un prix exorbitant conduisant à la création d'un déséquilibre significatif. Toutefois, les clauses léonines ne sont interdites que dans certaines circonstances, par exemple en matière sociétaire, l'article 1844-1 du Code civil dispose que sont réputées non écrites les clauses léonines qui donnent à l'un des associés tous les bénéfices ou l'affranchit de toute contribution aux pertes254. Dans le cas des contrats entre professionnels, la clause léonine n'est pas interdite. Cependant, il semble que l'intervention des juges soit possible pour apprécier si un prix est trop élevé dans les

252 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

253 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8e éd., PUF, 2007, p. 543.

254 Ibid.

113

contrats entre professionnels. En revanche, la cour d'appel de Paris ne nous indique pas quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si les prix fixés créent ou non un déséquilibre significatif. Quoi qu'il en soit, la possibilité de contrôle du prix est ouverte. Ici, nous allons essayer d'expliquer en quoi les prix déséquilibrés imposés par une des parties peuvent être justifiés au regard des investissements effectués par elle.

219. Commençons par les investissements consacrés à la recherche. Les professionnels ayant recours à la recherche doivent y consacrer un budget conséquent. En effet, l'innovation est essentielle pour maintenir leur clientèle puisqu'ils ont besoin de répondre aux demandes chaque fois plus exigeantes du consommateur. Le budget consacré à la recherche peut varier d'une entreprise à l'autre. Par exemple, chez Danone le budget recherche s'élève à 275 millions d'euros en 2013 soit 1,9% du chiffre d'affaires255. Chez L'Oréal, il est de 761 millions en 2013, soit 3,4% du chiffre d'affaires256. Ce n'est pas un hasard si ce sont les entreprises qui consacrent un budget important à la recherche qui imposent des prix à leurs partenaires commerciaux.

220. Afin de sauvegarder leur savoir-faire et de se protéger des concurrents, les entreprises doivent réaliser divers investissements. Par exemple, les franchiseurs doivent faire appel à des experts en stratégie juridique afin de protéger correctement leur projet. Ici nous pensons à des avocats, des juristes travaillant en interne pour l'enseigne, mais aussi à des agences de conseil qui s'occupent de la stratégie juridique ou la protection du concept, telles que LexConcept257 par exemple. De plus, le franchiseur doit faire face aux paiements des redevances du brevet déposé ou encore, au coût du dépôt de tous les éléments constituant la marque de la franchise. Ce type d'investissement justifie des prix parfois déséquilibrés.

221. Le budget consacré en communication par les professionnels peut également être une donnée à prendre en compte pour la justification du prix déséquilibré. En effet, sans communication, une grande partie des entreprises ne survivrait pas. Pour nous rendre compte de l'importance du budget communication d'une entreprise, nous pouvons citer l'exemple de Nestlé qui a consacré 127,4 millions d'euros en communication en France

255 http://finance.danone.fr/phoenix.zhtml?c=131801&p=irol-results (Consulté le 26 mai 2015).

256 http://www.loreal.fr/groupe/nos-activites/chiffres-cles.aspx (Consulté le 26 mai 2015).

257 Pour savoir plus sur l'activité de ce type d'agence : http://www.inlex.com/departements/lexconcept/ (Consulté le 26 mai 2015).

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au cours de l'année 2013258. De plus, la communication menée par une entreprise peut aussi être bénéfique à son partenaire. Nous pensons ici aux relations fournisseur-distributeur. En effet, si les produits vendus par le distributeur sont connus par le consommateur, le distributeur va attirer une plus large clientèle dans son magasin et le fournisseur vendra plus de produits. La contrepartie à cet avantage est souvent le paiement d'un prix a priori déséquilibré. Une autre cause pouvant justifier le maintien du déséquilibre significatif est le besoin de trésorerie.

§2. Le besoin de maintien de la trésorerie

222. Plusieurs clauses concernant les modalités de paiement ont été déclarées constitutives d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Ici nous allons essayer de comprendre si ces clauses peuvent être justifiées par les besoins du partenaire commercial déclaré fautif.

223. Le tribunal de commerce de Lille a déclaré qu'une clause imposant au fournisseur un paiement par virement était déséquilibrée. En l'espèce, le juge reproche au distributeur d'imposer ce moyen de paiement au fournisseur alors que « le choix du moyen de paiement doit rester une liberté économique259. » Le fournisseur se voyait contraint de payer par virement alors que le distributeur n'est pas astreint à la même obligation. Cela dit, d'après les conclusions des avocats de la partie défenderesse, le distributeur payait majoritairement par virement, soit 72,49% de ses achats260, ce qui laisse penser qu'il préférait recevoir les paiements sous cette forme par souci d'organisation. Certes, le coût engendré par un paiement par virement est peut-être plus élevé que d'autres moyens. Cependant, il est possible que le distributeur n'organise la réception des paiements que par virement bancaire et que cette méthode convient aux deux partenaires commerciaux. La vitesse de cette forme de paiement permet peut-être au distributeur de constituer une trésorerie plus rapidement. En assignant le distributeur sans ambages, le ministre de

258 http://www.llllitl.fr/2014/03/investissements-publicitaires-marques-annnonceurs-france-2013/ (consulté le 26 mai 2015).

259 trib. com Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/05184.

260 trib. com Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/05184.

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l'Économie n'a sans doute pas pris soin d'interroger le fournisseur pour savoir si ce moyen de paiement imposé était vécu comme une contrainte ou non. D'après les avocats de la partie défenderesse, le rapport d'enquête effectué par la DGCCRF au nom du ministère de l'Économie ne contenait aucun indice d'opposition ou de réclamation des fournisseurs concernant cette clause261.

224. Nous pouvons nous intéresser aussi à une autre clause relative au paiement et qui fut déclarée constitutive d'un déséquilibre significatif. La clause imposait aux fournisseurs de payer des acomptes mensuels pour des prestations au distributeur alors que celui-ci disposait d'un délai plus long pour payer les produits du fournisseur262. Le tribunal relève une absence de réciprocité. Néanmoins, le déséquilibre peut là encore trouver une justification. Si le distributeur impose au fournisseur cette avance des fonds, c'est peut-être parce qu'il est nécessaire pour lui de constituer une trésorerie pour pouvoir payer les charges relatives à la revente des produits. De plus, le distributeur achète les produits et n'en récupère les bénéfices qu'au moment de la vente. Cela explique le délai plus élevé dont bénéficie le distributeur pour payer les produits au fournisseur. Par ailleurs, d'après les arguments des avocats de la partie défenderesse « le coût supporté par les fournisseurs en raison de l'utilisation de cette méthode de paiement est inexistant ou à tout le moins insignifiant263. »

225. Une dernière clause considérée comme créant un déséquilibre significatif par le tribunal de commerce de Bobigny264 pourrait être justifiée. En l'espèce, les parties ont inséré une clause de protection des stocks et de mévente des produits. Cette clause faisait supporter au fournisseur le risque de la baisse du prix des produits ou de leur mévente. Le tribunal admet qu'en principe la mévente ou la baisse de prix est prise en compte lors de la fixation du prix d'achat qui n'avait d'ailleurs pas été revu à la baisse au profit du fournisseur qui supportait les risques. De plus, la sécurité qu'apportait cette clause au distributeur l'incitait à acheter de gros volumes ce qui, en retour, permettait au fournisseur d'augmenter sa trésorerie et de limiter ses frais de stockage. Dans ce cas, nous voyons que la clause insérée dans le contrat servait sans doute l'intérêt des deux parties. Ces

261 trib. com Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/05184.

262 trib. com Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/05184.

263 trib. com Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/05184.

264 trib. com Bobigny 29 mai 2012, n° 2009/F01541.

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entreprises voient le juge s'immiscer dans leurs contrats pour rétablir un soi-disant équilibre allant à l'encontre de leurs véritables intérêts : « l'enfer est vraiment pavé de bonnes intentions265. »

226. Les partenaires commerciaux ont un rôle à jouer dans la justification du déséquilibre significatif, dont le maintien peut connaître différents motifs qui pourraient expliquer la défiance à l'égard du dispositif.

265 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'équilibre du contrat en droit commercial » in L'équilibre du contrat, (dir.) G. LARDEUX, éd. PUAM, 2012, p. 37.

117

TITRE II. DÉFIANCE À L'ÉGARD DU DISPOSITIF

227. Le rejet du dispositif interdisant le déséquilibre significatif (Chapitre 1) s'illustre par son utilisation subsidiaire de la part des acteurs économiques et par le refus du juge d'accepter les demandes formulées sur ce fondement. Ce rejet par les acteurs économiques est d'autant plus flagrant dans le secteur de la grande distribution où le législateur souhaitait pourtant tout particulièrement intervenir. On s'interroge alors tout naturellement sur l'efficacité de l'interdiction du déséquilibre significatif (Chapitre 2).

118

CHAPITRE I. REJET DU DISPOSITIF INTERDISANT

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

228. Le rejet du dispositif interdisant le déséquilibre significatif s'illustre par le bilan nuancé de son utilisation (Section 1). Certes, le nombre d'assignations en justice de la part des acteurs économiques a augmenté, mais le juge ne semble pas prêt à engager la responsabilité des professionnels sur ce fondement. La situation est particulière dans le secteur de la grande distribution, car l'utilisation du dispositif y est encore plus faible (Section 2). Cette situation s'explique peut-être par la situation de dépendance de certains fournisseurs à l'égard des distributeurs.

119

Section 1. Un bilan nuancé de l'utilisation du dispositif

229. Depuis l'introduction de l'interdiction du déséquilibre significatif en 2008, le bilan de son utilisation reste nuancé. Ce bilan est dû à l'utilisation subsidiaire du dispositif par les partenaires commerciaux (§1) ainsi qu'au refus du juge d'accueillir les demandes des partenaires commerciaux alléguant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (§2).

§1. L'utilisation subsidiaire du dispositif par les partenaires commerciaux

230. Depuis l'introduction de la prohibition du déséquilibre significatif, l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a été davantage utilisé. La pratique restrictive de concurrence demeure le dispositif le plus invoqué après la rupture brutale des relations commerciales établies ( C. com., art. L. 442-6, I, 5°)266. Le nombre de décisions rendues en application de cet article, à l'initiative des partenaires commerciaux, était de quinze en 2011. Il s'est maintenu en 2012 avec quatorze décisions puis a doublé en 2013 avec trente-cinq décisions267. Nous constatons l'intérêt croissant des partenaires commerciaux à utiliser ce dispositif.

231. Cependant, il est à noter que le dispositif n'est utilisé que de manière subsidiaire. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est rarement soulevé comme moyen principal d'une action. Il vient compléter d'autres pratiques restrictives de concurrence telles que la rupture brutale des relations commerciales établies268, ou encore de la

266 Par exemple, en 2013, 213 décisions ont été rendues en application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce sur une assignation des partenaires commerciaux. Source : Faculté de Droit de Montpellier, Bilan des décisions judiciaires civiles et pénales, période du 1er janv. au 31 déc. 2013, Actions en justice à l'initiative des acteurs économiques, application du Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p.59.

267 Rapport préc., période du 1er janv. au 31 déc. 2011, p. 20 ; période du 1er janv. au 31 déc. 2012, p.35. À noter qu'il s'agit d'estimations approximatives.

268 CA Paris, 1er févr. 2013, no 11/06560.

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responsabilité délictuelle à l'appui de l'article 1382 du Code civil269. L'article L. 442-6,

I, 2° du Code de commerce est seulement employé pour contester la compétence d'un juge au profit de celui désigné par l'article D. 442-3 du Code de commerce, spécialisé dans les pratiques restrictives de concurrence270.

232. Il serait intéressant de comprendre pourquoi l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce n'est soulevé par les parties que de façon subsidiaire. Une avocate spécialisée dans le droit de la distribution confie que « le déséquilibre significatif ne nous effraie pas271. » Pourquoi cet article n'a pas eu l'effet escompté par le législateur ? Nous pouvons supposer qu'à la suite de l'introduction de la prohibition du déséquilibre significatif, les parties ont révisé leurs contrats afin d'éliminer les clauses potentiellement constitutives d'un déséquilibre significatif. Toutefois, l'augmentation du nombre d'assignations sur ce fondement laisse entendre que les contrats n'ont pas tous été modifiés. Finalement, l'utilisation subsidiaire de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce résulte peut être de son manque de crédibilité aux yeux des justiciables. Nous allons voir qu'en dehors des assignations faites par le ministre de l'Économie, le juge a tendance à refuser d'admettre le grief du déséquilibre significatif.

§2. Le refus du juge d'accueillir les demandes des partenaires commerciaux

233. L'introduction de l'interdiction du déséquilibre significatif dans le Code de commerce en 2008 a fait couler beaucoup d'encre parmi les juristes. Le dispositif a essuyé de nombreuses critiques et un auteur l'a même assimilé à « une machine à hacher le droit272. »

269 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

270 trib. com. Nanterre, 25 nov. 2014, no 2014/F01229. Le juge rejette l'allégation de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce parce « qu'en décider autrement reviendrait à permettre au défendeur de choisir son juge. »

271 Information obtenue lors du salon de la franchise 2015.

272 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels : l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir «une machine à hacher le droit» ? », RLC, 2010/23, p. 47.

234. 121

Nous avons vu que le champ d'application ratione materiae de l'article L. 442-

6, I, 2° du Code de commerce est très vaste273. L'étude du bilan des décisions de justice rendues sous l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, révèle que le grief de déséquilibre significatif est rarement admis par les juges en dehors des assignations à l'initiative du ministre de l'Économie. En 2013, sur 31 assignations faites par les acteurs économiques, le juge a reconnu l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties que dans une seule décision274. Les choses ne furent pas différentes en 2012 puisque le juge refusa d'appliquer l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans l'ensemble des affaires fondées sur ce dispositif275.

235. Quant aux assignations faites par le ministre de l'Économie, le juge y fut plus réceptif puisqu'en 2013, par exemple, toutes les actions entreprises sur ce fondement, sauf une276, furent reçues par le juge277. Qu'est-ce qui justifie cette différence de traitement ? On peut trouver une explication dans le fait que les litiges soumis directement par les acteurs économiques sont en général de moindre importance (contrats de location, crédit-bail, collaboration) que ceux soulevés par le ministre de l'Économie. L'enjeu économique ou le nombre de victimes est bien inférieur à celui des actions initiées par le ministre qui concernent en général tout un secteur d'activité278. Une autre explication résulte peut être de la volonté du juge de ne pas utiliser l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce à d'autres fins que celles originairement prévues, c'est-à-dire la relation fournisseur-distributeur et plus spécialement la grande distribution. Le dispositif n'a pas été conçu pour être appliqué à l'ensemble des relations commerciales. Le juge souhaite peut-être circonscrire le déséquilibre significatif au domaine de la distribution bien qu'il commence peu à peu à accepter les demandes en dehors de ce secteur, mais seulement dans le cadre des assignations faites par le ministre de l'Economie et qui concernent généralement des contrats à forte importance économique279.

273 Cf. nos 62 s.

274 Faculté de Droit de Montpellier, rapport préc., période du 1er janv. au 31 déc. 2013, Actions en justice à l'initiative des acteurs économiques, application du Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p. 40.

275 Rapport préc., période du 1er janv. au 31 déc. 2012, p. 35.

276 trib. com Paris, 24 sept. 2013, n° 2011/058615.

277 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale 2013, juin 2014.

278 Faculté de Droit de Montpellier, rapport préc., période du 1er janv. au 31 déc. 2012, p. 35.

279 trib. com. Paris 19 mai 2015, n° 2015/000040.

236. En dehors du secteur de la grande distribution, le juge refuse de prononcer le déséquilibre significatif pour des clauses qu'il aurait pourtant sans doute déclarées comme déséquilibrées dans ce même secteur. C'est le cas d'une décision rendue par la cour d'appel de Paris280. Une clause litigieuse permettait à l'un des contractants de mettre unilatéralement fin au contrat et cela, dans le seul objectif d'obtenir une baisse de tarif de la part de son partenaire. D'après la cour, cette clause était justifiée dans la mesure où l'entreprise pouvant résilier unilatéralement cherchait à faire des économies. Appliquée au secteur de la grande distribution, la clause aurait été vraisemblablement annulée par le juge à raison du déséquilibre qu'elle crée.

237. Il est à noter que dans la plupart des décisions rendues sur assignation du ministre de l'Économie, le juge prononce des amendes civiles ou encore la répétition de l'indu, mais rarement la nullité de la clause créant un déséquilibre dans les droits et obligations des parties281. Cela s'explique peut-être par la tendance du ministre de l'Économie à demander systématiquement le versement d'une amende civile, plutôt que des dispositions favorables aux victimes282. La fonction première de l'interdiction du déséquilibre significatif, c'est-à-dire la protection des acteurs économiques, n'est pas vraiment appliquée. En outre, quand l'assignation provient des acteurs économiques, les juges appliquent le plus souvent, en lieu et place du déséquilibre significatif, l'article L. 420-2 du Code de commerce relatif à l'abus de dépendance économique283. Le juge sanctionne les abus sur un autre fondement que le déséquilibre significatif.

122

280 CA Paris, 9 oct. 2014, n° 13/01859.

281 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale 2013, juin 2014.

282 Pour plus d'informations sur ce point, Cf. supra no 136.

283 Faculté de Montpellier, rapport préc., période du 1er janv. au 31 déc. 2013, p. 40.

123

Section 2. Une faible utilisation du dispositif par les partenaires commerciaux dans le domaine de la distribution

238. En 2013, trente et une décisions ont été rendues sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce à la suite d'assignation par les partenaires commerciaux. Si le nombre de demandes est en augmentation, il reste très faible en comparaison de celles rendues sous le visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations commerciales (251 en 2013).

239. Par ailleurs, les assignations initiées par les partenaires commerciaux dans le domaine de la distribution sont quasiment nulles, alors que c'est précisément ce secteur que le législateur visait. Le bilan de l'année 2013 des assignations en justice faites par les partenaires commerciaux nous indique que seulement cinq des décisions284 concernent les relations fournisseur-distributeur et encore, il ne s'agit pas des relations fournisseur- grande distribution.

240. La situation entre les fournisseurs et les distributeurs peut être caractérisée d'oligopsone285 puisque, d'un côté, nous avons une concentration des distributeurs et de l'autre, une fragmentation de l'ensemble des fournisseurs. Cette configuration engendre une situation de dépendance des fournisseurs (§1) qui les dissuade de mener des actions en justice à l'encontre les distributeurs (§2).

§1. Une situation d'oligopsone créant une dépendance

241. La fragmentation des fournisseurs face à la concentration des distributeurs crée une situation d'oligopsone (A) et ce, d'autant plus après les accords de coopération conclus par une grande partie des sociétés de la grande distribution en France. Ce contexte crée une situation de dépendance des fournisseurs à l'égard des distributeurs (B).

284 CA Versailles, 4 juin 2013, no 12/01171 ; CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166 ; CA Paris, 22 mai 2013, no 10/19022 ; CA Bordeaux, 23 sept. 2013, no 12/01231, TGI Paris, 26 nov. 2013, no 12/10665.

285 Oligopsone : Cf. supra note note n° 16.

124

A. La situation d'oligopsone entre distributeurs et fournisseurs

242. Pour comprendre le faible nombre d'actions en justice entreprises sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, il faut connaître précisément les relations commerciales qui lient ces deux acteurs incontournables du monde économique que sont le fournisseur et le distributeur.

243. Les fournisseurs et les distributeurs sont deux acteurs de la vie économique qui dépendent l'un de l'autre pour mener leur activité économique. D'un côté, nous avons les fournisseurs - dont le marché est très fragmenté - et, de l'autre côté, des distributeurs très concentrés. La situation des distributeurs par rapport aux fournisseurs est qualifiée d'un oligopsone puisque les dix premières entreprises françaises de distributeurs occupent 73% des parts de marché dans le secteur des biens de consommation à rotation rapide286. Sept centrales d'achat représentent à elles seules 83% des grandes surfaces alimentaires287. Du côté des fournisseurs, 7 900 PME fournissent la grande distribution, dont 96% de produits de grande consommation288. On compte également 550 000 exploitations agricoles289 qui approvisionnent les industriels ou vendent directement leurs produits aux distributeurs. Ce phénomène n'est pas propre à la France. En Allemagne quatre sociétés contrôlent 85% du marché alimentaire et en Angleterre, quatre sociétés contrôlent 76% de ce marché290.

244. La situation d'oligopsone est d'autant plus accentuée avec les accords de coopération conclus entre les six grands groupes de la grande distribution. Le graphique suivant291 nous indique les sociétés ayant conclu ces accords. Ces derniers prévoient principalement des alliances pour la négociation des achats d'une partie des produits.

286 J.-J. ROBERT, Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Paris, Sénat, 30 avr. 1996, no 336, p. 5.

287 L. ATTUEL-MENDES et J.-F. NOTEBAERT, « Les pratiques de négociation à l'épreuve du droit », Management & Avenir 2011/4, no 44, p. 274.

288 G. CANIVET, Rapport préc., p. 50.

289 J.-J. ROBERT, ibid.

290 P. REIS, « Déséquilibres économiques et relations entre la grande distribution et ses fournisseurs », in Les déséquilibres économiques et le droit de la concurrence, (dir.) L. BOY, éd. Larcier, 2015, p. 49.

291 Source : ADLC, « Rapprochements à l'achat dans le secteur de la grande distribution », communiqué du 1er avr. 2015.

125

Certains de ces accords excluent des fournisseurs tels que les PME ou encore les produits sous marque de distributeur, ceux-ci étant considérés comme les fournisseurs les plus faibles. Mais d'après l'Autorité de la concurrence, cette exclusion ne signifie pas que ces fournisseurs soient à l'abri des conséquences de ces accords. En effet, puisque les fournisseurs concernés par les accords vont devoir revoir à la baisse les conditions contractuelles, notamment celles sur les prix, cette baisse affectera par ricochet les fournisseurs a priori exclus des accords. Ils verront leurs ventes diminuer et seront donc contraints d'accepter les conditions imposées par les distributeurs aux fournisseurs des accords292.

La mise en place de ces accords est justifiée par les distributeurs comme une solution à la guerre des prix entre les sociétés de distribution depuis l'année 2013. Cette guerre obligeait les distributeurs à diminuer leurs marges afin d'être compétitifs. Cependant, comme l'indique l'Autorité de la concurrence, « la multiplication de ces accords a significativement renforcé le degré de concentration et a abouti à la constitution d'une puissance d'achat significative des opérateurs concernés, lesquels disposaient déjà d'un poids significatif au stade de la distribution de détail. Ainsi, à la suite de ces accords, le marché est réparti principalement entre quatre grands acheteurs (ITM/groupe Casino, Carrefour/Cora, Auchan/ Système U et E. Leclerc), qui représentent ensemble plus de 90% du marché293. » Cette situation d'oligopsone est porteuse d'une situation de dépendance.

292 Ibid.

293 ADLC, « Rapprochements à l'achat dans le secteur de la grande distribution », communiqué du 1er avr. 2015.

126

B. La création d'une situation de dépendance

245. Les 96% des fournisseurs de produits de grande consommation ne représentent que 19% du chiffre d'affaires des sociétés de distribution. Les marques de distributeur (MDD) quant à elles représentent 35% du chiffre d'affaires de ces sociétés. De plus, les MDD connaissent une forte croissance. Entre 1999 et 2003, leur volume a augmenté de 30%. En France, 90% des produits MDD sont fabriqués par les PME294. Du fait de l'importance du chiffre d'affaires des MDD chez les distributeurs par rapport aux produits de grande consommation, les PME se retrouvent dépendantes. Elles doivent majoritairement fabriquer les produits MDD et n'ont aucun contrôle sur cette production. De plus, avec la mondialisation, les distributeurs internationaux font de plus en plus fréquemment appel à des entreprises étrangères pour fabriquer les produits MDD. La concurrence est rude, les fournisseurs doivent rester compétitifs.

246. Les professionnels du secteur juridique conseillant les fournisseurs confirment que la situation du marché entraine une certaine dépendance. Pour Madame Aurélie Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, « les producteurs acceptent de signer des contrats comportant des clauses contraires à ses intérêts à cause de la structure du marché. Il y a une atomisation des producteurs (presque tous secteurs confondus) et une hyper concentration des distributeurs295. » De plus, avec la mise en place des accords de coopération établis par les sociétés de la grande distribution, le risque de déséquilibre significatif s'accroit. En effet, plusieurs fournisseurs concernés par les accords ont demandé une renégociation de leur contrat puisqu'ils estiment que certaines obligations sont disproportionnées et dénuées de contrepartie. Les fournisseurs agiront-ils en justice pour dénoncer ces déséquilibres ? En tout cas, il est possible d'envisager une nouvelle série d'actions par le ministre de l'Économie à l'image des assignations « Novelli ».

247. Les fournisseurs doivent vendre leurs produits. Pour cela, ils sont contraints de contracter avec les distributeurs et, par extension, de s'adapter à leurs exigences. La dépendance à l'égard des distributeurs de produits de l'agroalimentaire, par exemple, commence très en aval dans la chaîne de production. C'est le cas des producteurs des

294 G. CANIVET, Rapport préc., p. 50.

295 Annexe n° 2, question 4.

127

matières premières dans leurs relations avec les industriels transformateurs ou avec les coopératives agricoles296. En effet, les producteurs ne vendent pas directement leurs produits aux distributeurs La plupart sont contraints d'adhérer à une coopérative297 s'ils veulent espérer vendre leur production. Madame Géraldine Odoul fait partie de ces producteurs dont l'emplacement géographique de l'exploitation, située en pleine montagne, ne lui permet pas d'orienter sa production298. Elle est donc contrainte de réduire son activité à l'élevage de bovins, ce qui restreint considérablement son choix de partenaires commerciaux. Elle a opté pour l'adhésion à une coopérative agricole, cette dernière se chargeant de vendre les produits transformés ou non aux industriels et aux distributeurs. Mais cette décision d'adhésion n'a pas été un véritable choix puisque dans la région où se trouve son exploitation, l'implantation des acheteurs est territorialisée et le seul choix possible est la coopérative299. C'est le même cas de figure pour les fournisseurs qui doivent passer par les circuits de distribution afin de pouvoir vendre leurs produits. Cette dépendance des fournisseurs vis-à-vis des distributeurs peut expliquer leur hésitation à les assigner en justice en cas de déséquilibre significatif.

296 Coopérative agricole : L'entreprise coopérative agricole est une organisation économique d'agriculteurs qui ont décidé de mutualiser les moyens de production, de transformation et de commercialisation de leurs produits agricoles.

Source : http://www.coopdefrance.coop/fr/2/qu-est-ce-qu-une-coop/

297 La coopérative agricole s'engage à acheter la production de ses adhérents. Le producteur et la coopérative sont liés par un contrat.

298 Annexe n° 3, question 4.

299 Annexe n° 3, question 1.

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§2. Une dépendance dissuadant l'action en justice

248. Les fournisseurs sont-ils réellement dans un état de dépendance (A) ? Cette situation de dépendance ne concerne pas tous les fournisseurs, certaines multinationales échappent à cette situation. De même, l'état de dépendance ne crée pas forcément un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Néanmoins, la situation de dépendance semble dissuader les parties assujetties d'agir en justice (B).

A. Un réel état de dépendance ?

249. Nous avons vu300 que le déséquilibre significatif est venu remplacer un article qui nécessitait de rapporter la preuve qu'un des partenaires commerciaux était en situation de dépendance tandis que l'autre avait une puissance d'achat ou de vente. Bien que la notion de situation de dépendance économique ne figure plus dans le corps du texte, elle y est implicitement présente « dans la mesure où la soumission conduisant à un déséquilibre significatif ne peut en pratique exister que s'il y a état de dépendance économique301. » Déséquilibre significatif implique-t-il nécessairement un état de dépendance ? De même, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait référence à l'interdiction de « soumettre. » En utilisant ce terme, le législateur envisage, d'une certaine manière que la soumission d'un partenaire commercial entraine sa dépendance vis-à-vis de celui qui le soumet à une obligation créant un déséquilibre significatif.

250. La dépendance n'est pas forcément un signe de déséquilibre. Madame Géraldine Odoul, producteur, nous indique que même si elle a été d'une certaine manière contrainte de contracter avec la coopérative agricole - puisque c'était le seul moyen de vendre ses produits - les dispositions du contrat ainsi conclu ne lui ont pas semblé déséquilibrées302, à l'exception d'une clause relative à l'obligation de l'apport total de la production à la coopérative agricole. En effet, les producteurs adhérents à une coopérative ne peuvent généralement pas vendre leur production à un autre partenaire commercial ou vendre leurs

300 Cf. supra no 45.

301 F. MARTY et P. REIS, « Une approche critique du contrôle de l'exercice des pouvoirs privés économiques par l'abus de dépendance économique », RIDE, avr. 2013, p. 587.

302 Annexe n° 3, question 8.

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produits directement au consommateur. Toutefois, pour Madame Géraldine Odoul, cette clause est justifiée par le fait que la coopérative s'engage à acheter toute la production du producteur303. Cette justification nous montre que même si les producteurs ou fournisseurs sont contraints de vendre leurs produits à un nombre réduit de partenaires commerciaux, cela ne signifie pas que cette situation de dépendance engendre automatiquement un déséquilibre significatif. Une exigence peut être compensée par une autre.

251. Le lien de dépendance ne concerne pas tous les fournisseurs. En effet, les grandes et moyennes surfaces réalisent 59% de leur chiffre d'affaires avec 3% de leurs fournisseurs304 qui sont pour la plupart des sociétés multinationales propriétaires de marques à forte notoriété. Les produits vendus par ces fournisseurs sont convoités par les consommateurs. Même si le nombre de produits MDD ne cesse d'augmenter, il ne semble avoir aucun impact négatif sur les ventes des marques de grande notoriété305. Leurs produits jouissant d'un attrait auprès des consommateurs, ces fournisseurs sont plus indépendants des distributeurs que ne le sont les PME. C'est ce type de société qui pourrait éventuellement prendre le risque d'assigner en justice un distributeur.

B. La dissuasion d'action en justice

252. L'éventuelle dépendance ou soumission pourrait-elle empêcher un partenaire commercial victime d'un déséquilibre significatif d'agir en justice ? En tout cas, l'attitude de certains fournisseurs confirme cette contrainte qui peut les empêcher d'agir en justice en cas de déséquilibre significatif. Il semble qu'à la suite d'une condamnation de restitution de sommes prononcée par le juge, certains fournisseurs se soient empressés de reverser ses sommes au distributeur condamné306 !

253. Le faible nombre d'actions en justice résulte peut-être de l'épée de Damoclès qui pèse sur les fournisseurs, à savoir le déréférencement. Les fournisseurs n'ont d'autre choix

303 Annexe n° 3, question 8.

304 P. REIS, « Déséquilibres économiques et relations entre la grande distribution et ses fournisseurs » in Les déséquilibres économiques et le droit de la concurrence, (dir.) L. BOY, Larcier, 2015, p. 50.

305 Ibid.

306 trib. com Paris, 12 nov. 2011, no 2011/058173.

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que de se soumettre au déséquilibre significatif. La cour d'appel de Paris307 reconnaît que « peu de fournisseurs peuvent se permettre d'être déréférencés par un distributeur [...] ou d'engager une action en justice contre lui ; que ce rapport de force asymétrique peut conduire certains fournisseurs à devoir accepter certaines clauses qui leur sont défavorables. » Les juristes conseillant les producteurs/fournisseurs nous confirment cette menace. Madame Aurélie Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, indique que « pour pouvoir exister sur le marché, il faut être prêt à faire des sacrifices sous peine d'être déréférencé308. » Depuis les accords de coopération, les fournisseurs sont encore plus exposés au déréférencement qu'auparavant. D'après l'Autorité de la concurrence, « de nombreux cas de déréférencements ou de menaces de déréférencements ont été signalés309. »

254. Les distributeurs n'hésitent pas à se rabattre sur un autre produit si le fournisseur n'accepte pas les conditions qui lui sont proposées. Nous excluons ici les fournisseurs des grandes marques plébiscitées par les consommateurs, car ceux-ci seraient prêts à changer de magasin pour retrouver leur marque habituelle. Les fournisseurs de ces marques bénéficieront peut-être d'un traitement particulier de la part des distributeurs. Malgré tout, la cour d'appel de Paris310 affirme que si « certains fournisseurs disposent de parts de marché importantes leur donnant un pouvoir de négociation [...] tous sont dépendants des commandes des distributeurs pour vendre leur production. »

255. Le déréférencement reste la sanction ultime. Avant d'en arriver là, le distributeur peut, par sa politique de gestion de ses linéaires, avantager certains fournisseurs311. Un des fournisseurs qui l'assignerait en justice risquerait ainsi de voir ses produits placés de manière moins visible que ceux de ses concurrents.

256. Du côté des producteurs vendant directement à la grande distribution ou aux industriels, Madame Aurélie Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, nous indique que les

307 CA Paris, 1er oct. 2014, no 13/16336.

308 Annexe n° 2, question 4.

309 ADLC, « Rapprochements à l'achat dans le secteur de la grande distribution », communiqué du 1er avr. 2015.

310 CA Paris, 1er oct. 2014, no 13/16336.

311 B. DEFFAIS, « Quelle analyse économique pour le droit de la distribution? », RLDA, supplément au no 83, juin 2013, p. 46.

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producteurs sont « généralement peu enclin à aller au tribunal, et surtout à en subir les conséquences312. » Parmi ses dernières on trouve le déréférencement ou encore le non-renouvellement des contrats. En tout cas, la tendance à refuser l'action en justice est plutôt généralisée chez les fournisseurs.

257. L'interdiction du déséquilibre significatif ne correspond pas forcément à la réalité commerciale puisque les fournisseurs n'ont aucun intérêt à assigner leurs partenaires commerciaux pour déséquilibre significatif pendant la durée de leur relation commerciale. Si le nombre des décisions en justice rendues sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations commerciales est élevé, c'est certainement parce qu'il intervient alors que la relation commerciale est déjà terminée. La victime n'a donc plus rien à perdre. Il en va différemment lorsqu'il s'agit d'assigner son partenaire commercial pour déséquilibre significatif. En effet, les autres partenaires commerciaux ne voudront pas traiter avec un partenaire qui pourrait les assigner en justice et cela concerne non seulement les relations fournisseur-distributeur, mais aussi toutes les relations commerciales en général.

258. Le refus d'agir en justice est d'autant plus justifié que la preuve du déséquilibre est délicate à rapporter. Certaines décisions révèlent que le ministre, comme la DGCCRF, ont parfois des difficultés à réunir tous les éléments probatoires313. Si la DGCCRF peine à rapporter la preuve de la soumission d'un acteur à un autre, imaginons la difficulté pour des partenaires commerciaux d'apporter la preuve du déséquilibre significatif.

259. Le refus d'agir du fait de l'état de dépendance pourrait être « le fruit d'un dérèglement de l'esprit, provoqué par une crainte privant l'individu de sa faculté de libre détermination314. » Est-ce que cet état de contrainte justifie une évolution de l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce afin de permettre aux partenaires commerciaux de négocier librement et d'éviter « la loi de la jungle [et] celle du silence315. » En tout cas, « le cadre synallagmatique classique [étant] inadapté au déséquilibre de rapports de force

312 Annexe n° 3, question 5.

313 trib. com. Paris, 24 sept. 2013, n° 2011/058615.

314 M.-A. PEROT-MOREL, De l'Équilibre des prestations dans la conclusion du contrat, éd. Allier, 1961, p. 173.

315 Ministère de l'Économie, de l'Industrie et de l'Emploi, « Christine Lagarde et Luc Châtel installent la brigade de contrôle de la LME », Communiqué de presse, no 506, 18 juin 2009.

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qui caractérise le secteur [de la distribution] 316 », l'intervention du législateur interdisant le déséquilibre significatif semble être justifiée, mais elle mérite une évolution afin d'être appliquée correctement.

316 J.-P. CHARIÉ, Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi de modernisation de l'économie, Paris, Assemblée Nationale, mai 2008, n° 908, p. 50.

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CHAPITRE II. L'UTILITÉ DU DISPOSITIF INTERDISANT LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF

260. Le dispositif interdisant le déséquilibre significatif est-il utile ? Pour répondre à cette question, nous allons nous interroger sur l'opportunité de l'intervention du législateur en la matière (Section 1). Ensuite, nous étudierons l'efficacité du dispositif (Section 2). Est-il possible de contourner l'interdiction du déséquilibre significatif ? Est-il envisageable d'éviter l'apparition d'un déséquilibre significatif autrement que par son interdiction ?

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Section 1. L'opportunité de l'intervention du législateur pour éviter le déséquilibre significatif

261. Le législateur devait-il intervenir ? Les parties pouvaient-elles éviter le déséquilibre significatif sans aide du législateur ? (§1) Ce n'est pas en vain que le législateur est intervenu pour interdire le déséquilibre significatif, car il appert qu'une autorégulation entraîne des abus (§2).

§1. Le déséquilibre significatif évité par les partenaires commerciaux

262. Si le législateur a interdit le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, c'est parce qu'il estimait que les partenaires commerciaux ne pouvaient pas l'éviter par eux-mêmes dans la mesure où l'un d'eux se trouve en position de faiblesse par rapport à l'autre. C'est principalement la relation fournisseur-distributeur, archétype de l'oligopsone317 où le fournisseur est généralement en situation de faiblesse, que le régulateur a voulu encadrer. Cependant, pour le Professeur Yves Lequette, sont des « bigots [ceux] qui considèrent que la réponse aux difficultés de déséquilibre de puissance doit être recherchée dans une politique d'inspiration dirigiste qui conduit à réglementer impérativement le contenu du contrat318. » En effet, l'équilibre devrait être atteint spontanément par l'action même des partenaires commerciaux.

263. L'équilibre dans les droits et obligations des parties serait atteint lorsque les partenaires commerciaux retirent de cette relation l'intérêt qu'ils cherchaient au moment où ils ont contracté319. L'intervention législative est-elle nécessaire pour atteindre cette situation d'équilibre ? Comme Adam Smith le souligne en parlant de sa théorie de la main invisible, « ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre diner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs

317 Cf. supra note n° 16.

318 Y. LEQUETTE, « Bilan des solidarismes contractuels », Mélanges P. Didier, Économica, 2008, p. 264.

319 Pour plus d'informations sur ce point Cf. supra nos 30 s.

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intérêts320. » L'équilibre dans la relation commerciale, c'est-à-dire le juste milieu dans la balance des droits et obligations, passe par la satisfaction de leur égoïsme propre.

Toute tentative du législateur de réguler les relations contractuelles peut être vue comme une volonté de transformation de la nature humaine profonde. Le législateur souhaite que les partenaires commerciaux soient « solidaires » entre eux afin de préserver l'intérêt général. Pourtant, l'homme est par nature égoïste et c'est précisément ce sentiment qui va permettre d'éviter le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Même si le droit voulait organiser l'économie, c'est elle qui, en dernier ressort commande le droit321. Les parties vont privilégier le recours à des moyens économiques pour atteindre leurs intérêts plutôt que de se reposer sur une intervention providentielle du législateur.

264. Même si pour les juges, une disposition contractuelle engendre un déséquilibre significatif, dès lors qu'elle donne lieu à une forme de rentabilité économique pour chacune des parties, la disposition n'est pas qualifiée de déséquilibrée. En effet, les partenaires ont retiré l'intérêt qu'ils attendaient de la relation commerciale, c'est-à-dire qu'ils sont parvenus à faire du profit.

265. Les partenaires commerciaux n'ont aucun intérêt à imposer à leur partenaire un déséquilibre significatif qui le mettrait en difficulté. Au contraire, un professionnel a intérêt à ce que son cocontractant maintienne son activité commerciale afin d'avoir à sa disposition le plus grand nombre de partenaires commerciaux possible. Il pourra ainsi accroître la concurrence entre eux et obtenir les meilleures conditions commerciales possibles. Le respect du partenaire commercial est donc paradoxalement le meilleur moyen d'atteindre ses intérêts propres.

266. Cet ensemble d'arguments explique sans doute pourquoi l'Union européenne promeut autant le développement de l'autorégulation322. Il s'agit de normes européennes

320 A. SMITH, La richesse des nations, éd. Garnier Flammarion, 1992, t. 1, p. 82.

321 J.-M. LELOUP « Intervention du Bâtonnier, Colloque : la franchise : questions sensibles », RLDA, 2012, no 73 supplément, p. 16.

322 Comité économique et social européen, « L'état actuel de la corégulation et l'autorégulation dans le marché unique », Les cahiers du CESE, mars 2005, p. 11 : l'autorégulation est définie comme « la possibilité, pour les opérateurs économiques, les partenaires sociaux, les organisations non

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communes élaborées par des comités en collaboration avec des professionnels d'un milieu économique et permettant à ceux-ci d'adopter des lignes directrices en phase avec les réalités et leurs besoins. Ces normes peuvent prendre différentes formes telles que des codes de conduite, des accords, des chartes, ou des déclarations, etc. Bien que, pour l'instant, ces accords relèvent de la soft law323, c'est déjà un pas en avant vers une éventuelle régulation plus contraignante. Cette approche remet en question l'intervention législative qui tendrait à produire des normes inadaptées alors que les professionnels seraient plus à même de déterminer un cadre optimum pour leurs relations commerciales.

267. Pour autant, est-il judicieux de laisser aux parties le soin de trouver par elles-mêmes l'équilibre de leur relation commerciale ? Comment être sûr que les partenaires atteindront l'équilibre contractuel recherché sans l'aide d'un tiers ? Jusqu'à quel point la régulation des relations commerciales peut-elle être confiée aux seuls partenaires commerciaux ou aux forces du marché ?

§2. La nécessité de l'intervention du législateur pour éviter le déséquilibre significatif

268. « La main invisible est invisible pour la bonne raison qu'elle n'existe pas324. » Cette citation du prix Nobel de l'économie Monsieur Joseph Stiglitz suggère la nécessité de l'intervention du législateur dans les relations commerciales. La main invisible qui guide les acteurs économiques et qui permet de réguler par elle-même le marché ne serait qu'un mirage. Est-il est possible de laisser les partenaires commerciaux trouver par eux-mêmes l'équilibre de leurs relations contractuelles ?

269. Pour Madame Aurélie Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise et conseillère juridique des producteurs, l'intervention du législateur pour réguler les relations commerciales est nécessaire : « les différents rapports parlementaires et les nombreuses lois successives : la loi Galland de 1996, la loi NRE de 2001, la loi du 2 août 2005 en

gouvernementales ou les associations, d'adopter entre eux et pour eux-mêmes des lignes directrices communes au niveau européen (notamment codes de conduite ou accords sectoriels). »

323 Cf. supra note n° 224.

324 J. STIGLITZ, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, éd. Fayard, 2006, p. 15.

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faveur des PME, la LME 2008, loi Hamon 2014 montrent définitivement qu'il faut légiférer en la matière pour protéger le marché et les acteurs sensibles. »325 Sans l'interdiction du déséquilibre significatif, un partenaire commercial pourra toujours abuser de sa puissance économique pour infliger à son cocontractant des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Dans l'exemple du secteur de la distribution, l'intervention du législateur est nécessaire non seulement pour éviter l'abus de dépendance de l'article L. 420-1 du Code de commerce, mais aussi pour éviter la mise en place des pratiques restrictives de concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce dont fait partie le déséquilibre significatif.

270. En France, les partenaires commerciaux sont d'une certaine manière privilégiés d'avoir des dispositions législatives les protégeant des déséquilibres significatifs auxquels leurs partenaires commerciaux peuvent les soumettre. Une comparaison peut être faite avec le Tchad par exemple. Monsieur Vincent Munkeni, vice-président de la Tchadienne des Eaux (entreprise de traitement en embouteillage d'eau implantée au Tchad), nous confie les difficultés que son entreprise rencontre avec les dispositions contractuelles qu'il considère comme créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties326. Pour comprendre cette situation, il faut revenir un bref instant sur le contexte dans lequel sont conclus ces contrats. En effet, le Tchad est un pays enclavé et purement continental. L'entreprise dans laquelle il travaille, comme l'ensemble de l'économie tchadienne, est donc dépendante des importations, c'est-à-dire des transports de marchandises dont l'activité est gérée par un petit nombre d'entreprises exerçant un véritable monopôle. Ce dernier est renforcé d'une entente sur les prix. De plus, ces entreprises sont soutenues par un puissant lobby - le syndicat de transporteurs du Tchad - qui leur permet de se maintenir dans cette situation de monopole327. La situation est donc similaire à celle existant en France entre les fournisseurs et la grande distribution. Les entreprises tchadiennes devant faire appel aux services des transporteurs sont contraintes d'accepter leurs conditions contractuelles alors même que certaines d'entre elles présentent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Pour Monsieur Vincent Munkeni, le déséquilibre le plus significatif dans les contrats qu'il signe repose sur la question du prix. En effet, l'entreprise doit payer des sommes exorbitantes

325 Annexe n° 2, question 2.

326 Annexe n° 4, question 6.

327 Annexe n° 4, question 5.

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ne correspondant pas au réel coût du service. Par exemple, le prix de transport pour acheminer un conteneur par voie maritime de Dubaï à Douala, la capital du Cameroun, est de 1 200 euros environ et la deuxième partie du transport, par camion cette fois-ci, coûte 7 400 euros environ entre Douala et N'Djamena, la capitale du Tchad328. Nous voyons ici qu'il y a une forte disproportion du prix au kilomètre, puisque le trajet Dubaï-Douala fait 13 000 kilomètres et celui Douala-N'Djamena 1 700 kilomètres.

D'une façon générale, la cour d'appel de Paris329 affirme que « [s]'il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont créé, un déséquilibre significatif entre elles et si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour être qualifiés de significatif. » Nous pouvons supposer que si l'on transposait la situation tchadienne en France, l'article

L. 442-6, I, 2° du Code de commerce trouverait à s'appliquer puisque le caractère excessif du prix crée un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Or, le droit appliqué au Tchad ne prévoit pas de disposition relative à l'interdiction du déséquilibre significatif. En effet, le Tchad ne dispose pas d'une législation en matière de droit de la concurrence330. Cependant, le pays fait partie de la Communauté économique monétaire de l'Afrique centrale (CEMAC), une organisation internationale formée de plusieurs États d'Afrique centrale331. Cette organisation internationale dicte des normes devant être respectées par les pays membres. Le droit de la CEMAC prévoit une législation relative aux opérations de concentration, d'ententes, d'abus de position dominante lorsque les pratiques affectent le commerce entre les États membres332. C'est précisément le cas des contrats de transport puisqu'il s'agit d'un commerce entre États faisant partie de la CEMAC : le Cameroun et le Tchad. Toutefois, aucune réglementation ne semble prévoir l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence telle que l'interdiction du déséquilibre significatif. Les clauses déséquilibrées introduites par les transporteurs nous

328 Annexe n° 4, question 6.

329 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.

330 L. BOY, « Quel droit de la concurrence pour l'Afrique francophone subsaharienne ? », RIDE, mars 2011, p. 269.

331 Les pays faisant partie de la CEMAC sont : le Cameroun, la République centrafricaine, La République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad.

332 L. BOY, ibid.

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le démontrent. Du côté du droit de l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) appliqué au Tchad, aucune disposition n'a été prise concernant le droit de la concurrence333. Une intervention de l'État Tchadien pour interdire le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties empêcherait sans doute cette situation. Pour Monsieur Vincent Munkeni, une intervention des pouvoirs publics est nécessaire pour réglementer ces abus, d'autant plus que de cette intervention dépend la survie de son entreprise. A cela, il s'ajoute le fait que les entreprises tchadiennes répercutent le coût du transport sur les consommateurs.

271. L'exemple de l'État tchadien nous montre que la nécessité d'intervention du législateur pour interdire le déséquilibre significatif est essentielle et que l'intervention du législateur français est peut-être justifiée. Mais le dispositif interdisant le déséquilibre significatif est-il efficace ?

333 Pour plus d'information : http://www.ohada.com/content/presentations/Presentation-OHADA.pdf

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Section 2. L'efficacité du dispositif

272. L'efficacité du dispositif interdisant le déséquilibre significatif peut être remise en cause du fait de la possibilité de son contournement. Des difficultés probatoires ainsi que la possibilité de le contourner par le recours à des droits étrangers mettent en doute son efficacité (§1). Enfin, dans certains domaines, il est possible d'éviter totalement l'application de ce dispositif (§2).

§1. Le contournement du dispositif

273. Le contournement du dispositif interdisant le déséquilibre significatif est facilité par la difficulté d'établir la preuve, notamment écrite, du déséquilibre (A). La méconnaissance par les parties de l'existence de l'interdiction du déséquilibre significatif explique également sa non-application. Un autre moyen de le contourner consiste en l'éviction du droit français (B). Les parties soumettent alors le contrat à des droits étrangers ou insèrent des clauses d'arbitrage afin d'éluder l'application du droit français.

A. Le contournement facilité par la difficulté d'établir le non-respect du dispositif

274. Le contournement du dispositif d'interdiction est facilité par la possibilité de soumettre un partenaire commercial à un déséquilibre significatif sans laisser de preuves écrites (1). La méconnaissance du dispositif explique également son absence d'invocation par les victimes (2).

1- La difficulté de la preuve en absence de contrat écrit

275. L'efficacité du dispositif interdisant le déséquilibre significatif dans les relations commerciales peut se mesurer par la possibilité des partenaires commerciaux de le contourner.

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276. La cour d'appel de Versailles 334 a indiqué que « le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties doit s'apprécier dans la formation et l'exécution des relations contractuelles entre les parties au contrat [...] peu [importe] qu'il n'y ait pas de contrat écrit. » Mais comment le partenaire commercial victime d'un déséquilibre significatif va-t-il pouvoir apporter la preuve de ce déséquilibre sans l'existence d'un contrat écrit ? Prenons l'exemple de la relation commerciale de certains professionnels du secteur de la restauration. Madame Marion Deneuville, cofondatrice de la société Appro-fusion335, nous confie que le contrat écrit est peu utilisé dans la plupart des relations commerciales entre restaurateurs et leurs fournisseurs, car les conditions sont établies principalement de manière orale336. Comment constater un éventuel déséquilibre significatif sans contrat écrit ? Le ministre de l'Économie ne va sûrement pas diligenter une enquête approfondie sur des relations dont l'impact économique est très relatif, sauf peut-être dans le cas où un professionnel soumettrait un nombre important de ses partenaires commerciaux à un déséquilibre significatif, comme ce fut le cas dans les assignations « Novelli. » Cependant, dans les affaires en cause, les contrats étaient écrits.

Certains professionnels vont jusqu'à refuser la conclusion d'un contrat écrit, même si la législation les y oblige, c'est le cas par exemple du secteur laitier337. En effet, Madame Géraldine Odoul, producteur, nous a confié qu'elle s'est vue contrainte de changer de coopérative agricole parce que celle où elle avait adhéré ne proposait aucun contrat écrit338. Il est possible que ce refus de mettre en place un contrat écrit était éventuellement pour imposer des conditions contractuelles abusives, telles que celles créant un déséquilibre significatif. En effet, l'absence de contrat écrit rend très difficile l'apport de preuves en cas d'abus. Au vu de la nécessité des producteurs de lait comme Madame Odoul d'adhérer à une coopérative agricole pour pouvoir vendre sa production, nous pouvons supposer que l'absence d'un contrat écrit cache la volonté de soumettre les producteurs à un déséquilibre significatif.

334 CA Versailles, 27 oct. 2011, no 10/05259.

335 Pour plus d'information sur l'activité de l'entreprise: Annexe n° 5, question 1.

336 Annexe n° 5, question 5.

337 Décret no 2010-1753 du 30 déc. 2010 pris pour l'application de l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime dans le secteur laitier.

338 Annexe n° 3, question 3.

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2- La méconnaissance du dispositif par les partenaires commerciaux

277. Par ailleurs, les professionnels eux-mêmes ne semblent pas forcément être au courant de l'existence d'un dispositif interdisant le déséquilibre significatif. C'est le cas par exemple de Madame Géraldine Odoul, producteur, qui - avant que nous lui parlions de cette disposition législative - n'en connaissait pas l'existence339. Cette situation facilite la soumission d'un partenaire commercial à un déséquilibre.

Cette méconnaissance peut s'expliquer par l'absence de connaissances juridiques des professionnels en la matière. Par exemple, parmi la catégorie des PME-TPE en région parisienne, seulement 55% d'entre elles ayant entre 50 et 249 salariés ont un service juridique. Pour les entreprises de plus petite taille, le pourcentage est encore moins élevé. Par exemple, pour les entreprises ayant entre 1 et 9 salariés, seulement 7% d'entre elles ont un service juridique340. Dans 57% de ce type d'entreprises, c'est leur président qui est responsable des aspects juridiques, alors qu'il n'a pas forcément de formation juridique, ni d'expérience professionnelle dans ce secteur341. Bien que ces entreprises puissent faire appel à un avocat pour vérifier le contenu de leurs contrats, leurs moyens financiers ne leur permettent pas de faire appel à ce type de service pour vérifier le contenu de l'ensemble de leurs contrats et se rendre compte qu'elles sont victimes d'un déséquilibre significatif.

B. Le contournement par l'éviction du droit français

278. Il est envisageable de détourner l'application de l'interdiction du déséquilibre significatif de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce par la soumission des contrats à un droit étranger ne prévoyant pas cette interdiction (1) ou encore par l'introduction d'une clause compromissoire (2).

339 Annexe n° 3, question 2.

340 IFOP, « Étude sur : Les besoins juridiques des TPE -PME parisiennes et leurs relations avec les avocats », 2 oct. 2014, p. 9.

341 Ibid., p.15.

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1- La conclusion d'un contrat de droit étranger

279. L'interdiction du déséquilibre significatif, comme les pratiques restrictives en général, est une particularité française. Les autres États ne connaissant pas ces règles. Les professionnels sont alors tentés de contourner l'interdiction en soumettant le contrat à une autre législation. Dans le secteur de la distribution, c'est souvent le droit suisse qui est sollicité. Par exemple, une société mère peut conclure un contrat d'achat avec sa filiale suisse sur des produits à destination de ses magasins de distribution en Espagne et en France. La filiale suisse du groupe de distribution signe le contrat international et le soumet au droit suisse342. Bien que les produits soient destinés à être vendus sur le marché français, ce droit n'est pas appliqué.

280. Cependant, le contournement du droit français pour éviter le déséquilibre significatif est remis en cause depuis une décision récente rendue par le Tribunal de commerce de Paris343. En effet, pour les contrats internationaux, l'article 3 du Règlement de Rome I344 pose le principe de la liberté du droit applicable aux obligations contractuelles. Mais l'article 9 de ce même règlement dispose que les lois de police345 sont applicables quel que soit le droit imputable au contrat. En l'espèce il s'agissait de savoir si l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce interdisant le déséquilibre significatif pouvait être appliqué à un contrat qui prévoyait l'application du droit anglais. Le tribunal de commerce de Paris déclara que l'interdiction du déséquilibre significatif est une loi de police puisque « cette disposition vise à assurer la protection d'une « partie faible » au contrat ; [...] par cette disposition, le législateur a clairement jugé que les règles

342 J. VOGEL, « Négociations tarifaires fournisseurs / grande distribution : comment aborder les négociations 2012 ? », JCP E., 2012, 1183.

343 trib. com. Paris 19 mai 2015, n° 2015/000040.

344 Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles « Rome I », JOUE, 4 juill. 2008. Règlement d'application universelle du moment où l'action est introduite devant un tribunal d'un Etat membre de l'Union Européenne.

345 Art. 9 alinéa 1 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles « Rome I », JOUE, 4 juill. 2008, p. 8.

« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ».

144

fondamentales de la formation et du consentement s'appliquant aux contrats commerciaux n'étaient pas suffisantes et qu'il est nécessaire de renforcer un équilibre contractuel que le législateur estime menacé par l'évolution des pratiques commerciales ». Du moment où l'exécution du contrat présente un rattachement avec la France, l'interdiction du déséquilibre significatif s'applique, peu importe le droit choisi par les parties. En l'espèce les juridictions françaises avaient été désignées comme compétentes.

Le Tribunal de commerce de Paris interprète de façon stricte la notion de loi de police afin de faire appliquer la disposition prévoyant l'interdiction du déséquilibre significatif, alors que les pratiques restrictives de concurrence sont plutôt une spécificité française rarement applicable dans les contrats internationaux, d'où cette possibilité de contournement. Une preuve de ce constat est le refus par le Tribunal de commerce de Paris dans cette même espèce de considérer l'article L. 442-6, II, d du Code de commerce relatif à la prohibition des clauses d'alignement comme une loi de police alors qu'il s'agit aussi d'une pratique restrictive de concurrence.

Cependant, il n'est pas certain que cette position se concrétise en jurisprudence. En effet, d'une part, ce jugement fera sans doute l'objet d'un appel et d'autre part il est nécessaire d'avoir une position de la Cour de Cassation à ce sujet.

281. En outre, nous ne sommes pas certains de la volonté expresse de contournement. Par exemple, dans le secteur de la distribution les contrats de droit étranger ne sont généralement conclus qu'avec des fournisseurs qui sont des entreprises multinationales fabriquant de produits prisés des consommateurs et qui n'ont pas réellement à craindre du déséquilibre significatif auquel peut le soumettre un distributeur français. L'utilisation du droit étranger n'a pas ici comme objectif de contourner l'application du droit français.

2- L'utilisation d'une clause d'arbitrage

282. Pour sécuriser davantage la transaction, la société française peut inclure dans le contrat une clause d'arbitrage. De plus les frais d'arbitrage sont très élevés, ce qui décourage les parties victimes au contentieux.

145

Nous pouvons nous poser la question de la validité de ce type de clauses d'arbitrage, comme ce fut le cas supra346 pour les clauses désignant le droit applicable. Serait-il possible d'évoquer une loi de police pour éviter l'application d'une clause d'arbitrage ? En effet, il n'y a pas de doute que le droit de la concurrence relève des lois de police, tant au regard du droit français que du droit communautaire347. À propos du contournement de l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations établies, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi arguant l'inapplicabilité d'une clause d'arbitrage aux motifs que cet article était une loi de police : « la société française ne peut faire grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté son contredit et dit le tribunal de commerce incompétent au profit de la juridiction arbitrale pour statuer sur le litige »348. L'application de cette décision à l'ensemble des pratiques restrictives de concurrence laisse envisager la validité d'une clause compromissoire dans un contrat afin d'éviter l'application de l'interdiction du déséquilibre significatif.

L'accès à un arbitre cependant très reste marginal. En effet, les entreprises introduisant ce type de clause dans leur contrat doivent pouvoir faire face aux coûts très élevés d'accès à un tribunal arbitral.

§2. Éviter le déséquilibre significatif

283. Ici nous allons essayer d'envisager la possibilité pour les parties d'éviter d'être confrontées au déséquilibre significatif. Nous allons nous concentrer sur la relation fournisseur-distributeur puisque c'est dans ce secteur que la plupart des déséquilibres significatifs ont été constatés et sanctionnés par les juges et parce que les solutions suivantes ne peuvent être mises en place que dans ce secteur.

284. La menace du déséquilibre significatif est toujours présente. Le bilan nuancé de l'acceptation par les juges du déséquilibre significatif lors des assignations faites par les professionnels ainsi que l'efficacité du dispositif nous amènent à envisager des solutions alternatives de protection contre le déséquilibre significatif différentes de son interdiction.

346 Cf. supra n ° 280.

347 J.-B RACINE, « Droit économique et lois de police », RIDE, janv. 2010, p. 65.

348 Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, no 09-67.013.

146

Des solutions sont possibles dans la relation fournisseur-distributeur. Ces solutions alternatives sont d'autant plus justifiées dans cette relation du fait de la difficulté rencontrée par certains fournisseurs à utiliser le dispositif interdisant le déséquilibre significatif349.

285. La protection contre le déséquilibre significatif pourrait se faire notamment grâce aux produits proposant une plus forte valeur ajoutée (A). En effet, ce type de produit permettrait d'éviter l'état de dépendance des fournisseurs vis-à-vis des distributeurs et ainsi éviter de se voir soumettre des conditions créant un déséquilibre significatif. Un autre moyen pour les fournisseurs de se protéger du déséquilibre significatif est simplement d'éviter toute relation commerciale avec les distributeurs (B). Les fournisseurs pourraient distribuer eux-mêmes leurs propres produits.

A. Éviter le déséquilibre significatif grâce à des produits à valeur ajoutée

286. Une des solutions envisagées pour éviter le déséquilibre significatif est d'équilibrer l'état de dépendance dans lequel se trouvent certains fournisseurs à l'égard des distributeurs. Pour éviter l'état de dépendance, les fournisseurs pourraient développer des produits offrant une plus grande valeur ajoutée. Le distributeur étant contraint de s'approvisionner avec ces produits plébiscités par les consommateurs du fait de leur qualité et de leurs propriétés spécifiques.

La valeur ajoutée peut être donnée à ces produits par le biais de signes distinctifs, comme les Appellations d'origine protégée (AOP), les Appellations d'origine contrôlée (AOC), les Indications d'origine protégée (IGP), le label rouge, etc.350. Ces indications peuvent constituer un atout pour les produits et pourront éventuellement fidéliser une clientèle.

Malheureusement, tous les producteurs ne peuvent pas se soumettre aux cahiers des charges à respecter pour avoir l'autorisation d'apposer ces signes sur les produits. Cela peut être dû à un manque de moyens financiers ou juste à une situation géographique empêchant le respect des cahiers des charges. L'adhésion à une coopérative agricole, par

349 Cf. supra nos 248 s.

350 Pour plus d'information sur ces signes distinctifs consulter : http://www.inao.gouv.fr/

147

exemple, peut être une solution à ces problématiques. En effet, les coopératives agricoles constituent un véritable levier de différenciation des produits alimentaires puisque la mutualisation des moyens permet d'atteindre des objectifs, tels que la création de produits à valeur ajoutée.

Les risques posés par ces solutions sont de créer un effet inverse, c'est-à-dire que des dispositions constituant un déséquilibre significatif soient soumises aux distributeurs par le pouvoir de négociation des producteurs de produits à valeur ajoutée.

B. Éviter le déséquilibre par l'absence de relation commerciale

287. Pour ne pas avoir à être confrontés à une éventuelle situation de déséquilibre significatif, les fournisseurs peuvent tenter de contourner les circuits classiques de distribution, notamment grâce à l'e-commerce.

La vente directe est un phénomène qui se développe en France, notamment à raison du prix au détail dans les grandes et moyennes surfaces. Le graphique suivant351 nous montre que pour un panier de légumes vendu au détail en grandes et moyennes surfaces en 2014, le prix était de 1,60 euro et le prix à l'expédition au distributeur était de 0,75 centimes. En écourtant le circuit de distribution, le producteur peut bénéficier de la part allant normalement au distributeur et ainsi augmenter ses marges. Cette alternative de vente directe peut permettre aux producteurs de contourner d'éventuels déséquilibres significatifs auxquels le distributeur pourrait sinon les soumettre.

351 Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, Rapport au parlement 2015, avr. 2015, p. 43.

288.

148

Le circuit de vente directe se développe de plus en plus grâce à l'e-commerce, les producteurs vendant alors directement leurs produits aux consommateurs sans passer par les circuits de distribution classiques. Les producteurs se regroupent également pour éviter de conclure des contrats les liant à des coopératives agricoles. Des groupements comme l'Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) ou encore les magasins fermiers illustrent cette nouvelle forme de circuits courts. Ce mouvement de vente directe permet également de protéger l'environnement en réduisant les emballages et en raccourcissant la chaîne de transport.

289. Cependant, la mise en place de la vente directe n'est pas possible pour tous les producteurs. En effet, pour certains types de produits, il est nécessaire d'avoir les infrastructures adéquates pour transformer et conditionner la matière première en produits prêts à la vente au consommateur. C'est le cas des producteurs de lait par exemple. De même, lorsque les producteurs vendent leurs produits directement au consommateur, ils sont responsables des éventuels problèmes (sanitaire, sécurité, conformité, etc.) liés à ces produits. Alors que lorsqu'ils livrent toute leur production à la coopérative, c'est cette dernière qui devient propriétaire de la matière première et donc responsable en cas d'incident.

149

Les producteurs vendant directement leurs produits aux consommateurs renoncent à l'adhésion d'une coopérative puisque les contrats entre le producteur et la coopérative prévoient l'interdiction de la vente directe. En vendant leurs produits directement, les producteurs doivent prendre en charge la gestion de la vente directe, c'est à dire, l'ensemble de la supply-chain352. Cela requiert un investissement conséquent difficile à lier avec l'activité de production. Le producteur doit être certain que sa marge nette, en faisant de la vente directe, est plus élevée qu'en vendant ses produits à un distributeur.

L'alternative de vente directe doit faire face à l'accès des consommateurs aux magasins fermiers ou encore à l'attachement des consommateurs à leurs enseignes de distribution où ils pourront parfois trouver une plus grande variété de produits que chez un producteur.

352 La supply-chain ou chaîne logistique peut être assimilée à un modèle séquentiel d'activités organisé autour d'un réseau d'entreprises dont le but est de mettre un produit ou un service à la disposition du client dans des conditions optimales en termes de quantité, de date, de lieu, etc. Ce réseau regroupe des organisations se trouvant à l'amont et à l'aval du processus productif. http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Supply-chain-238906.htm

150

CONCLUSION

290. Depuis son apparition en 2008, l'interdiction du déséquilibre significatif disposée à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a permis de limiter les abus de position de force dans les relations commerciales. En revanche, les sanctions prononcées l'ont été principalement à la suite d'assignations effectuées par le ministre de l'Économie. Les amendes civiles élevées - dont une augmentation à hauteur de 5 % du chiffre d'affaires du professionnel fautif est prévue par le projet de loi Macron - ont un rôle dissuasif.

291. Chaque décision de justice et chacun des avis rendus par les instances administratives ont permis d'affiner un dispositif a priori flou et imprécis. L'interdiction du déséquilibre significatif continue malgré tout d'être critiquée par les juristes qui espèrent, tout en restant sceptiques, que le juge finira par préciser enfin les contours et le régime de cette notion353. Sept ans se sont écoulés depuis l'apparition de l'interdiction du déséquilibre significatif. Le législateur a-t-il atteint l'objectif qu'il s'était assigné ? Les contrats entre professionnels sont-ils désormais dénués de tout déséquilibre significatif ou doit-on, au contraire, considérer que ce dispositif n'est qu'un « sabre de bois »354 ?

292. Si le dispositif a été initialement conçu principalement pour lutter contre les abus de la grande distribution à l'égard des fournisseurs, nous avons vu qu'il n'était pas toujours évident ou intéressant pour les fournisseurs d'assigner en justice leur partenaire commercial au risque de perdre de précieux débouchés de vente pour leurs produits355. La possibilité du ministre de l'Économie d'agir en justice, bien qu'elle ne soit pas toujours opportune, permet de sanctionner les déséquilibres significatifs quand les enjeux économiques sont importants. Tel fut notamment le cas des assignations « Novelli. » Les assignations en dehors du secteur de la grande distribution commencent peu à peu à se développer malgré la réticence des juges à déclarer un déséquilibre significatif dans d'autres secteurs.

353 F. BUY, art. préc., p. 1021.

354 M. CHAGNY, « Une (r)évolution du droit français de la concurrence ? À propos de la loi LME du 4 août 2008 », JCP G,. 2008, I, 196.

355 Cf. supra, nos 248 s.

293. Critiquée pour son immixtion dans les contrats conclus entre professionnels, l'interdiction du déséquilibre significatif est une réalité qui pourrait résister aux réformes fréquentes des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence356. En effet, si l'Avant-projet de réforme du droit des obligations est adopté, il introduira à l'article 1169 du Code civil, l'interdiction du déséquilibre significatif en droit commun, droit généralement immuable. Nous supposons que le déséquilibre significatif du Code de commerce subira le même sort que son homologue du Code civil, et qu'il perdurera dans le Code de commerce. Ceci peut sembler regrettable au vu de la justification dans certains cas du maintien du déséquilibre significatif.

294. Si l'interdiction du déséquilibre significatif devait se maintenir, une réforme du champ d'application du dispositif s'avèrerait nécessaire afin de délimiter les situations dans lesquelles le dispositif trouve à s'appliquer. Cette délimitation pourrait passer par l'établissement d'une liste de cas d'exceptions dans lesquels le déséquilibre significatif serait justifié ou traduit autrement que par un désavantage. Dans l'intervalle et face à une interdiction qui semble s'installer en droit français, les professionnels doivent prévenir les cas de déséquilibre significatif au moment de la négociation par une rédaction minutieuse des termes du contrat.

295. Il est certain que le droit français de la concurrence est un droit dense et la prolifération de ces règles risque d'entraîner une baisse de compétitivité de la France. Elle risque aussi et surtout de pousser les professionnels à chercher des moyens de contourner des dispositifs toujours plus contraignants.

151

356 Cf. supra, n° 4.

152

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Comité économique et social européen, « L'état actuel de la corégulation et l'autorégulation dans le marché unique », Les cahiers du CESE, mars 2005.

Commission Européenne, Lignes directrices sur les restrictions verticales n° 2010/C130/01, § 189, JOUE, 19 mai 2010.

Cons. Const., Commentaire de la décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011.

COULON (J.-M.), (Groupe de travail présidé par), Rapport au garde des sceaux, La dépénalisation de la vie des affaires, La documentation Française, Paris, janv. 2008.

Banque Populaire, Synthèse 2014, Enquête annuelle de la franchise.

DGCCRF, Questions-réponses sur « Les relations industries/commerce », 28 nov. 2008. DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale 2013, juin 2014.

DGCCRF, Le Tribunal de commerce sanctionne une clause du contrat type de l'enseigne E. Leclerc, 22 juil. 2014.

DGCCRF, Application des dispositions de la loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de concurrence, août 2014.

DGCCRF, Note d'information n°2014-149 du 6 août 2014.

Faculté de Droit de Montpellier, Bilan des décisions judiciaires civiles et pénales, période du 1er janv. au 31 déc. 2013, Actions en justice à l'initiative des acteurs économiques, application du Titre IV du Livre IV du Code de commerce.

HAGELSTEEN (M.-D.), La négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente, Rapport remis au Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi et au Secrétaire d'État chargé de la Consommation et du Tourisme 12 févr. 2008.

IFOP, Etude sur : Les besoins juridiques des TPE - PME parisiennes et leurs relations avec les avocats, 2 oct. 2014.

LEFEBVRE (F.), Bilan d'activité 2010 de la DGCCRF et priorités d'action pour 2011, Dossier de presse.

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Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, Rapport au parlement 2015, éd. avr. 2015.

OLLIER (P.) et GAUBERT (J.), Rapport d'information présenté par la commission des affaires économiques sur la mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, n° 2312.

ROBERT (J.-J.), Rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Paris, Sénat, n° 336, 30 avr. 1996.

VI. Jurisprudences

A. Jurisprudences françaises

1. Jurisprudences du Conseil Constitutionnel

DC, 10 juin 1998, n° 98-401.

DC, 19 déc. 2000, n° 2000-437. DC, 13 janv. 2011, n° 2010-85. DC, 13 mai 2011, n° 2011-126. DC, 13 janv. 2013, n° 2002-465. DC, 13 mars 2014, n° 2014-690.

2. Jurisprudences de la Cour de Cassation

Cass. civ., 6 mars 1876.

Cass. com., 3 nov. 1992, n° 90-18547. Cass. com., 22 oct. 1996, n° 93-18632. Cass. com., 6 févr. 2007, n°04-13.178. Cass, com., 8 juil. 2008, n° 07-16.701. Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-15.589. Cass. 1ère civ., 8 juill. 2010, n° 09-67.013. Cass. QPC, 15 oct. 2010, n° 1137.

161

Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-15.296. Cass. com., 3 mars 2015, n° 13-27.525. Cass. com., 3 mars 2015, n° 14-10.907.

3. Jurisprudences des juridictions d'appel

CA Nancy, 26 sept. 2007, n° 06/02221. CA Lyon, 10 mai 2012, n° 10/08302. CA Douai, 13 sept. 2012, n° 12/02832. CA Paris, 1er févr. 2013, n° 11/06560. CA Nancy, 14 févr. 2013, n° 12/00378. CA Paris, 22 mai 2013, n° 10/19022. CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166. CA Bordeaux, 23 sept. 2013, n° 12/01231.

4. Jurisprudences des juridictions du premier degré

Trib. com., Paris, 28 sept. 2005, n° 2002/ 055929. Trib. com., Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/ 05184. Trib. com., Bobigny, 13 juil. 2010, n° 2010/ F00541. Trib. com., Lille, 7 sept. 2011, n° 2009/ 05105. Trib. com., Paris, 12 nov. 2011, n° 2011/ 058173. Trib. com., Créteil, 3. déc. 2011, n° 2009/ F01018. Trib. com., Meaux, 6 déc. 2011, n° 2009/ 02295. Trib. com., Bobigny, 29 mai 2012, n° 2009/ F01541. Trib. com., Paris, 24 sept. 2013, n° 2011/ 058615. Trib. com. Paris, 19 mai 2015, n° 2015/ 000040. Trib. com., Nanterre, 25 nov. 2014, n° 2014/F01229. TGI Paris, 26 nov. 2013, n° 12/10665.

162

B. Jurisprudences européennes

CJCE Pronuptia, 28 janv. 1986, n° 161/84, pt. 21.

CEDH, 5ème section, Galec contre France, 17 janv. 2002, requête n°51255/08.

VII. Sites internet

http://www.agrojob.com/dictionnaire/definition-taux-de-service-3838.html http://www.coopdefrance.coop/fr/2/qu-est-ce-qu-une-coop/ http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Supply-chain-238906.htm http://www.economie.gouv.fr/facileco/adam-smith http://finance.danone.fr/phoenix.zhtml?c=131801&p=irol-results http://www.inao.gouv.fr/

http://www.inlex.com/departements/lexconcept/

http://www.larousse.fr

http://www.llllitl.fr/2014/03/investissements-publicitaires-marques-annnonceurs-france-

2013/

http://www.loreal.fr/groupe/nos-activites/chiffres-cles.aspx http://www.ohada.com/content/presentations/Presentation-OHADA.pdf http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-725.html http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quilibre

INDEX ALPHABÉTIQUE

(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)

A

Accords de coopération, 244, 246. Action en responsabilité victime, 148 s. Amende civile, 138 s., 237.

Assignations en justice des partenaires commerciaux, 234.

Autorégulation, 266. Autorités administratives

- Avant-projet de réforme des droits des obligations, 74, 171, 204.

- Bilan des assignations, 235.

- Information de la victime, 132 s.

- Pouvoir d'action en justice, 127 s.

- Pouvoir d'enquête, 140, 154, 258.

- Pouvoir d'injonction, 152, 159.

- Pouvoir de sanction, 153, 158, 161 s.

C

Clauses

- Arbitrage, 282.

- Nullité, 199.

- Réciprocité, 181.

- Rédaction, 180.

- Révision de prix, 183.

- Taux de service, 184.

Commission d'Examen de Pratiques Commerciales

163

- Composition, 99.

- Exemple des pratiques constitutives d'un déséquilibre significatif, 100.

- Rôle, 97.

- Saisine, 98.

Conditions générales de vente, 84 s. Consommateur, 9, 40, 45. Convention récapitulative, 91 s.

D

Dépendance (état), 249 s., 257. Déréférencement, 253 s. Déséquilibre significatif

- du droit de la consommation, 7, 50 s., 58.

- Champ d'application, 61 s.

- Clausula generalis, 72 s.

- Constitutionnalité, 46 s.

- Définition, 11, 67 s.

- Méconnaissance, 277.

- Méthode d'évaluation, 12, 56,

108 s.

- Pertinence, 192.

- Preuve, 275 s.

- Utilisation subsidiaire, 230 s.

164

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes

- Avis, 101.

- Conflit d'intérêt, 102.

E

Equilibre économique du contrat, 120 s., 182, 270.

I

Information précontractuelle, 169 s. Insécurité juridique, 70 s.

Intervention du juge, 198 s., 205.

Intervention du législateur, 1, 16, 18, 32,

187 s. 193, 268, 269.

G

Grande distribution, 38 s.

L

Lésion, 200.

Liberté contractuelle, - Limite, 188.

- Constitutionnalité, 189. Loi de police, 280.

M

Main invisible, 263.

Marque de distributeur, 245.

N

Négociation, 177 s., 209.

O

Oligopsone, 9, 243, 262.

R

Répétition de l'indu, 146 s., 252.

S

Soft law, 195.

Solidarisme contractuel, 2, 23 s., 33 s.

P

Pratiques restrictives de concurrence, 3, 4, 14, 37, 194.

Préservation

- Image, 209 s.

- Investissements, 218 s.

- Savoir-faire, 213 s.

- Trésorerie, 222.

Principe de non-discrimination, 5, 44 s.

Principe du contradictoire, 155, 133.

T

Théorie de l'imprévision, 203 s.

V

Vente directe, 287 s.

165

ANNEXES

Annexe n° 1 : Article L. 442-6 du Code de commerce.

Annexe n° 2 : Interview de Madame Aurélie CHARRIER, juriste à la Fédération départementale des Syndicats Exploitants Agricoles de l'Oise.

Annexe n° 3 : Interview de Madame Géraldine ODOUL, Producteur associé du

GAEC ODOUL.

Annexe n° 4 : Interview de Monsieur Vincent MUNKENI, Vice-Président de la Tchadienne des eaux.

Annexe n° 5 : Interview de Madame Marion DENEUVILLE, Co-fondratrice de l'entreprise Appro-Fusion.

166

Annexe n° 1 : Article L. 442-6 du Code de commerce.

Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 - art. 122 Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 - art. 123 Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 - art. 125 (V) Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 - art. 127

I. -Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ;

2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;

3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un accord écrit ;

4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ;

167

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;

6° De participer directement ou indirectement à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ;

7° (Abrogé) ;

8° De procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant ;

9° De ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une activité professionnelle ;

10° De refuser de mentionner sur l'étiquetage d'un produit vendu sous marque de distributeur le nom et l'adresse du fabricant si celui-ci en a fait la demande conformément à l'article L. 112-6 du code de la consommation ;

168

11° D'annoncer des prix hors des lieux de vente, pour un fruit ou légume frais, sans respecter les règles définies aux II et III de l'article L. 441-2 du présent code ;

12° De passer, de régler ou de facturer une commande de produits ou de prestations de services à un prix différent du prix convenu résultant de l'application du barème des prix unitaires mentionné dans les conditions générales de vente, lorsque celles-ci ont été acceptées sans négociation par l'acheteur, ou du prix convenu à l'issue de la négociation commerciale faisant l'objet de la convention prévue à l'article L. 441-7, modifiée le cas échéant par avenant, ou de la renégociation prévue à l'article L. 441-8.

II. -Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité :

a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;

b) D'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande ;

c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur lui ;

d) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ;

e) D'obtenir d'un revendeur exploitant une surface de vente au détail inférieure à 300 mètres carrés qu'il approvisionne mais qui n'est pas lié à lui, directement ou indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire, un droit de préférence sur la cession ou le transfert de son activité ou une obligation de non-concurrence postcontractuelle, ou de subordonner l'approvisionnement de ce revendeur à une clause d'exclusivité ou de quasi-exclusivité d'achat de ses produits ou services d'une durée supérieure à deux ans.

L'annulation des clauses relatives au règlement entraîne l'application du délai indiqué au deuxième alinéa de l'article L. 441-6, sauf si la juridiction saisie peut constater un accord sur des conditions différentes qui soient équitables.

III. -L'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de

169

l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée au présent article.

Lors de cette action, le ministre chargé de l'économie et le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut être portée au triple du montant des sommes indûment versées. La réparation des préjudices subis peut également être demandée. Dans tous les cas, il appartient au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire des métiers qui se prétend libéré de justifier du fait qui a produit l'extinction de son obligation.

La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.

Les litiges relatifs à l'application du présent article sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret.

IV. -Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire.

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Annexe n° 2 : Interview de Madame Aurélie CHARRIER, juriste à la Fédération départementale des Syndicats Exploitants Agricoles de l'Oise.

1. En quoi la phase précontractuelle est un élément suffisant permettant d'éclairer le consentement des partenaires commerciaux ?

La phase précontractuelle démarre avec la communication des conditions générales de vente qui servent de base à la négociation contractuelle : sur les conditions d'exécution du contrat et sur les prix. C'est donc au vendeur de déterminer la façon de vendre son produit, et à qui il souhaite le vendre.

Par la suite, la négociation, selon le poids économique du vendeur et celui de l'acheteur, pourra être plus ou moins difficile. Un fabricant de yaourts MDD n'a pas le même poids que Coca Cola. Si l'acheteur représente une part importante des parts de marché des débouchés de l'entreprise, le vendeur sera plus enclin à revenir sur certaines clauses.

2. Pensez-vous que l'intervention du législateur pour interdire le déséquilibre significatif était nécessaire ?

Les différents rapports parlementaires et les nombreuses lois successives (la loi Galland de 1996, la loi NRE de 2001, la loi du 2 août 2005 en faveur des PME, la LME 2008, loi Hamon 2014) montrent définitivement qu'il faut légiférer en la matière pour protéger le marché et les acteurs sensibles. Le juge va permettre ensuite de définir ce qui relève ou non de notions nouvelles : abus de dépendance économique, déséquilibre significatif

3. Comment les juristes peuvent prévenir le déséquilibre significatif dans les contrats?

Le conseil juridique de la partie en négociation sera là pour conseiller à la rédaction des clauses et veiller au respect de la loi d'une part, et des intérêts économiques d'autre part.

4.

171

Pourquoi un professionnel accepte de signer des contrats prévoyant un déséquilibre significatif ?

Un professionnel accepte de signer des contrats comportant des clauses contraires à ses intérêts à cause de la structure du marché. Il y a une atomisation des producteurs (presque tous secteurs confondus) et une hyperconcentration des distributeurs. Pour pouvoir exister sur le marché, il faut être prêt à faire des sacrifices sous peine de ne pas être référencé.

5. Est-ce que les adhérents des syndicats agricoles ont accès à un conseil juridique lors qu'ils ont des questions relatives aux contrats les liant avec d'autres professionnels ?

Les adhérents à un syndicat ont accès au service juridique, si celui-ci en dispose. Au sein du réseau FNSEA par exemple, il y a des juristes, mais aussi dans la plupart des associations spécialisées.

Le problème avec les exploitants agricoles, c'est qu'ils font plutôt confiance, et ne sollicitent leurs conseils qu'une fois le litige naissant. Il est donc un peu tard. De plus, ils sont généralement peu enclins à aller au tribunal, et surtout à en subir les conséquences. C'est donc à nous de développer le réflexe de consultation AVANT contrat.

6. Les producteurs ont la possibilité de négocier réellement les dispositions contractuelles ?

Sur la négociation sur le prix, je vais vous situer ce qu'il se passe actuellement d'un point de vue pratique : le prix fixé dans les contrats n'est pas respecté, cela permet en plus de sous-payer le producteur, de le garder focalisé sur ce point, alors que l'on devrait être en train de négocier le prochain contrat cadre. Cela est plus ou moins la même chose en vente directe au distributeur, où les conventions doivent être signées avant le 1er mars de chaque année. Une fois que l'on a discuté de longues semaines et que l'on s'est mis plus ou moins d'accord sur un prix, il ne reste plus de temps pour négocier le reste.

172

Annexe n° 3 : Interview de Madame Géraldine ODOUL, Producteur associé du

GAEC ODOUL.

1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son activité ?

GAEC ODOUL - 2 associés, une petite exploitation d'élevage de bovins, en zone de montagne, environ 100 hectares avec 95% de production d'herbe et une minorité de terres arables et donc aucune possibilité de conversion en production de céréales ou de cultures de plaine en raison des températures froides. Le cheptel est composé d'un troupeau de vaches laitières (40) pour la production de lait brut (23400l de quota ou base du contrat), et un troupeau de vaches allaitantes (25) pour l'élevage de jeunes bovins destinés à la production de viande.

2. Est-ce que vous avez déjà entendu parler de la notion du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties disposée à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ?

Pas avant que vous m'en parliez.

3. Êtes-vous adhérent à une coopérative agricole ? Si oui, laquelle ?

Oui, SODIAAL Union. Au départ on adhérait à un autre groupe coopératif qu'on a quitté pour des divergences d'opinion et un risque de faillite de certaines branches du groupe. Ensuite, nous avons commercialisé le lait à une branche privée du groupe 3A, et avec la loi de modernisation agricole de 2010, nous avons été contraints d'adhérer à la coopérative 3Acoop, la branche privée ne proposait pas de contrat et était donc dans l'illégalité pour acheter le lait. Ensuite en 2014, 3A coop a fusionné avec SODIAAL.

4. Pourquoi avez-vous choisi de vendre vos produits à une coopérative agricole et non directement aux industriels par exemple ?

Ce n'est pas un choix, comme l'explique l'historique précédent. Nous n'avons même pas le choix entre les coopératives et les privés, parce que l'implantation des acheteurs est très territorialisée, et chez nous, il n'y a pas de choix en dehors de la coopérative. Il y a donc, chez nous, des contraintes géographiques qui s'ajoutent aux

173

limites des choix de contrats. On doit s'adapter à l'organisation des tournées de collecte du lait.

5. Pensez-vous que la coopérative permet aux producteurs de bénéficier de meilleures conditions contractuelles ?

C'est difficilement comparable, dans une coopérative, c'est avant tout un contrat d'adhésion avec apport de parts sociales, participation aux assemblées générales..., et un règlement intérieur qui précise le fonctionnement, et une responsabilité vis-à-vis de dettes. Même si dans un grand groupe comme SODDIAL, à notre niveau, et en tant que nouveaux venus dans le groupe, on se sent un peu loin des décisions.

6. Faites-vous partie d'une organisation professionnelle ? d'un syndicat agricole ? Pensez-vous qu'ils ont un poids de négociation vis-à-vis des coopératives, des industriels ou des distributeurs ?

Oui, des organisations qui assurent un suivi technico économique, et un syndicat représentatif. Nous pensons qu'ils jouent un rôle insuffisant dans notre région.

7. Avez-vous accès au service juridique de votre coopérative afin d'être conseillée sur les dispositions du contrat que vous signez avec eux ?

Non, pas spécifiquement et directement avec un service juridique, mais un conseiller de secteur « polyvalent ».

8. Avez-vous accepté des clauses qui vous semblaient déséquilibrées dans votre contrat ?

Non, par contre ce qui pourrait être discutable c'est l'obligation d'apport total de la production à la coopérative, mais c'est compensé par le fait que la coopérative s'engage à acheter toute la production.

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Annexe n° 4 : Interview de Monsieur Vincent MUNKENI, Vice-Président de la Tchadienne des eaux.

1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son activité ?

Au sein de la Tchadienne des Eaux je suis Vice-Président et Membre du Conseil d'Administration en charge des questions Marketing, Ressources humaines et logistiques.

2. Dans le cadre de l'activité de votre entreprise, concluez-vous des contrats avec des entreprises de transport ?

Oui effectivement j'ai en charge la supervision et le suivi des activités logistiques du groupe, la négociation et la conclusion des contrats avec les entreprises de transports font partie de mes prérogatives.

3. Avez-vous déjà entendu parler de l'interdiction du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties disposé à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce français ?

Oui j'ai pu suivre l'évolution de cet outil juridique.

4. L'activité de votre entreprise dépend du transport des marchandises par ces entreprises ?

Effectivement nous sommes basés au Tchad, un pays enclavé et notre entreprise comme l'ensemble de l'économie Tchadienne est très dépendante des importations.

Notre activité dépend donc du transport des matières premières et d'autres marchandises par les entreprises de transport.

5. Les entreprises de transport possèdent-elles un monopole sur cette activité ? Si oui pourquoi ?

Les entreprises de transports sont représentées par un puissant lobby, qui est le syndicat des transporteurs du Tchad, le sentiment de monopole est renforcé par la surpuissance de ce réseau et par l'entente entre les sociétés de transport sur les prix pratiqués, à titre d'exemple, le cout de transport entre N'Djamena capitale du Tchad et le port de Douala au Cameroun qui représente 90 % des importations vers le Tchad, est

175

quatre à cinq fois plus élevé que le prix du transport d'un conteneur par voie maritime entre le port de Douala et les ports de Dubaï (Émirats Arabes Unis) et ou Shanghai (Chine). Ce qui est une aberration du point de vue des distances et des moyens de transports utilisés

6. Êtes-vous contraint d'accepter des dispositions créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ?

Je pense que le déséquilibre repose entièrement sur la question du prix de la prestation de transport, nous n'avons d'autre choix que d'accepter les prix exorbitants ne correspondants pas aux prestations et qui ne trouvent malheureusement aucune justification, aucune logique rationnelle puisque comme je vous l'ai dit à titre d'exemple plus haut, nous payons environs 1200 euros pour acheminer un conteneur par voie maritime de Dubaï à Douala et sommes contraints de payer jusqu'à 7400 Euros pour le faire venir par la route jusqu'à N'Djamena .

7. Pensez-vous qu'une intervention de l'Etat interdisant ce déséquilibre significatif dans les relations commerciales est nécessaire pour la survie des activités de votre entreprise ?

Nous pensons que l'intervention de la puissance publique est nécessaire premièrement parce qu'il s'agit d'un secteur d'activité peu réglementé, deuxièmement au-delà de la survie de notre entreprise une intervention étatique permettrait de baisser significativement le cout de la vie au Tchad , les entreprises répercutent le cout du transport et les frais de douanes sur le prix des biens et des produits de consommations qu'elles importent sur le marché Tchadiens et proposent aux consommateurs Tchadien.

Nous pensons que la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la cherté de la vie et pour l'accès de tous aux biens de consommations passent par la prise de mesures concrètes dans le secteur du transport routier, pour casser les monopoles et les ententes sur les prix et améliorer les services car il s'agit là d'un secteur très stratégique pour un pays qui importe 90 % de ce qu'il consomme.

176

Annexe n° 5 : Interview de Madame Marion DENEUVILLE, Co-fondratrice de l'entreprise Appro-Fusion.

1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son activité ?

Appro-Fusion est une suite de solutions qui aide les métiers de bouche à optimiser leurs achats (principalement alimentaires). Cela se fait via une plateforme de suivi des commandes en ligne sur laquelle les clients centralisent toutes leurs commandes et l'appel à fournisseurs ou nous recherchons des fournisseurs pour nos clients et les aidons à obtenir les meilleures conditions d'achat et de vente.

2. Quel est votre fonction dans l'entreprise ? Co-fondatrice.

3. Quelles sont les avantages pour les professionnels de faire appel vos services ?

Un suivi plus fin de leurs achats leur permet de mieux optimiser et donc de faire baisser leurs couts. Aussi nous faisons gagner du temps au niveau comptable et trésorerie car l'information est disponible en temps réel. Notre connaissance du marché nous permet aussi de les assister dans leurs négociations.

4. Avez-vous déjà entendu parler de l'interdiction du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties disposé à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce ?

Pas avant cette interview.

5. Pensez-vous que les restaurateurs ou les fournisseurs avec lesquels vous travaillez connaissent la notion de déséquilibre significatif ?

Non. Principalement parce que dans beaucoup de cas, les restaurateurs ne signent pas vraiment de contrat avec leurs fournisseurs alimentaires. Ce sont principalement des conditions établies oralement ou au mieux par email. Le contrat écrit a peu cours.

177

6. Pensez-vous que faire appel à votre entreprise permet aux professionnels d'avoir des conditions contractuelles plus équilibrées ?

Notre vue d'ensemble du marché permet aux professionnels de se positionner: Les conditions sont-elles normales? Pourquoi ont-ils ces conditions-là? Ceci leur permet après de prendre une décision plus informée.

178

TABLE DES MATIÈRES

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS 6

SOMMAIRE 9

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : 19

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF INTERDIT 19

TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE

DE LA RELATION COMMERCIALE 21
CHAPITRE I. LA NÉCÉSSITÉ DE PROTÉGER L'ÉQUILIBRE DE LA RELATION

COMMERCIALE 22

Section 1. L'influence du solidarisme contractuel 23

§1. Le contrat comme élément de régulation du déséquilibre entre les parties 23

A. La quête d'un équilibre contractuel 23

B. L'influence du solidarisme contractuel dans l'interdiction du déséquilibre

significatif dans les relations commerciales 25

§2. Les moyens utilisés pour rétablir l'équilibre entre les partenaires

commerciaux 26

A. Nature du « déséquilibre contractuel » 26

B. Disparition du déséquilibre 27

Section 2. Un nécessaire équilibre 28

§1. Un équilibre nécessaire au maintien de la concurrence 28

§2. Un équilibre nécessaire pour les consommateurs 30
CHAPITRE II. LA CONSÉCRATION DE L'INTERDICTION DU DÉSÉQUILIBRE

SIGNIFICATIF À L'ARTICLE L. 442-6, I, 2° DU CODE DE COMMERCE 31

Section 1. L'interdiction formelle du déséquilibre significatif dans les relations

commerciales 31
§1. Genèse de l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations

commerciales 31

A. 179

Abrogation du principe de non-discrimination : point de départ de

l'interdiction du déséquilibre significatif 32

B. La constitutionnalité du texte interdisant le déséquilibre significatif 33

§2. Une notion inspirée du droit de la consommation 35

A. L'assimilation du partenaire commercial au consommateur 35

B. L'assimilation contestable 37

Section 2. Le déséquilibre significatif : une notion ambiguë ? 39

§1. Une notion large 39

A. Un champ d'application ratione personae trop large 39

B. Un champ d'application ratione materiae indéterminé 41

1-Une quête d'exhaustivité 41

2-Quel déséquilibre ? 43

§2. L'insécurité juridique de la notion 45

A. Une notion en englobant d'autres 45

1-La confusion avec l'article L. 442-6, I, 4° du Code de commerce 46

2-La confusion avec le droit commun 47

B. Un pouvoir trop important donné au juge 48

TITRE II. MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION 50

CHAPITRE I. LA DÉLICATE ÉVALUATION DU DÉSÉQUILIBRE

SIGNIFICATIF 51

Section 1. Incertitude des référentiels 51

§1. La référence pour apprécier le déséquilibre significatif 51

A. Le rôle des Conditions générales de vente 52

1-L'appréciation du déséquilibre significatif par les CGV 52

2-L'insuffisance des CGV dans l'appréciation du déséquilibre

significatif 53

§2. Une liste de situations infinie 56

A. Les avis d'autorités administratives 56

1- Les avis de la Commission d'examen de pratiques commerciales

(CEPC) 56

2- La position de la DGCCRF 59

B. Les décisions judiciaires 60

Section 2. Incertitude des techniques 63

180

§1 Appréciation clause par clause ou in globo ? 63

A. L'analyse clause par clause à l'image du droit de la consommation 63

B. Une prise en compte in globo 64

1- La prise en compte de l'existence ou de l'absence d'autres clauses 65

2- La prise en compte du comportement des parties 66

§2. L'appréciation de l'équilibre économique du contrat 67

A. Une appréciation inappropriée 67

B. Une appréciation nécessaire 69

CHAPITRE II. L'ASPECT DISSUASIF DE L'INTERDICTION 70

Section 1. La menace d'une action en justice 70

§1. Une action en justice des autorités administratives de mise en oeuvre

difficile 70

A. L'instauration d'un pouvoir d'action en justice administratif 71

B. Les difficultés de la mise en place du pouvoir d'action en justice

administratif 72

§2. Les finalités de l'action en justice 75

A. Une amende civile controversée 75

1- Une amende civile à connotation pénale 76

2- Un montant élevé mais dérisoire 77

B. Des actions au bénéfice de la victime 78

1-L'action en répétition de l'indu 78

2-L'action en responsabilité de la victime 79

Section 2. La menace d'une sanction administrative 81

§1. Un pouvoir de décision administratif 81

A. L'instauration du dispositif 81

B. Les aspects formels du dispositif 82

§2. Un pouvoir de décision désapprouvé 82

A. Une action remise en cause 83

B. La marginalisation du juge judiciaire 84

181

SECONDE PARTIE : 86

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU 86

TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES COMMERCIAUX AU

MAINTIEN DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF 88
CHAPITRE I. RÔLE DU CONSENTEMENT

DES PARTENAIRES COMMERCIAUX 89

Section 1. Le pouvoir de décision des partenaires commerciaux 90

§1. La transparence précontractuelle permettant d'éclairer le consentement 90

§2. Un déséquilibre prévisible 93

A. Au moment de la négociation 93

B. Au moment de la rédaction du contrat 95

Section 2. Le frein au pouvoir de décision des partenaires commerciaux 98

§1. L'interdiction du déséquilibre significatif contre la liberté contractuelle 98

A. L'immixtion législative à l'encontre des intérêts des partenaires

commerciaux 98

1-La limite à la liberté contractuelle au nom de l'intérêt général 98

2-La pertinence de l'intervention du législateur 100

B. L'inflation législative dans le droit de la concurrence : une particularité

française 102

§2. La remise en cause du juge des dispositions acceptées par les partenaires

commerciaux 103

A. La remise en cause des dispositions acceptées au nom de l'interdiction du

déséquilibre significatif 103

B. Limitation de l'intervention du juge 105

1-Une exception à la théorie de l'imprévision ? 105

2-Les mises en garde concernant l'intervention du juge 106

CHAPITRE II. LE RÔLE DE LA PRÉSERVATION DES INTÉRÊTS LÉGITIMES

DES PARTENAIRES COMMERCIAUX 107

Section 1. La préservation de l'immatériel 108

§1. La préservation de l'image des partenaires commerciaux 108

§2. La protection du savoir-faire des partenaires commerciaux 110

Section 2. La préservation du capital 112

§1.

182

Le besoin d'une rentabilité sur les investissements 112

§2. Le besoin de maintien de la trésorerie 114

TITRE II. DÉFIANCE À L'ÉGARD DU DISPOSITIF 117

CHAPITRE I. REJET DU DISPOSITIF INTERDISANT

LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF 118

Section 1. Un bilan nuancé de l'utilisation du dispositif 119

§1. L'utilisation subsidiaire du dispositif par les partenaires commerciaux 119

§2. Le refus du juge d'accueillir les demandes des partenaires commerciaux 120
Section 2. Une faible utilisation du dispositif par les partenaires commerciaux dans

le domaine de la distribution 123

§1. Une situation d'oligopsone créant une dépendance 123

A. La situation d'oligopsone entre distributeurs et fournisseurs 124

B. La création d'une situation de dépendance 126

§2. Une dépendance dissuadant l'action en justice 128

A. Un réel état de dépendance ? 128

B. La dissuasion d'action en justice 129
CHAPITRE II. L'UTILITÉ DU DISPOSITIF INTERDISANT LE DÉSÉQUILIBRE

SIGNIFICATIF 133
Section 1. L'opportunité de l'intervention du législateur pour éviter le déséquilibre

significatif 134

§1. Le déséquilibre significatif évité par les partenaires commerciaux 134

§2. La nécessité de l'intervention du législateur pour éviter le déséquilibre

significatif 136

Section 2. L'efficacité du dispositif 140

§1. Le contournement du dispositif 140

A. Le contournement facilité par la difficulté d'établir le non-respect du

dispositif 140

1-La difficulté de la preuve en absence de contrat écrit 140

2-La méconnaissance du dispositif par les partenaires commerciaux 142

B. Le contournement par l'éviction du droit français 142

1-La conclusion d'un contrat de droit étranger 143

2-L'utilisation d'une clause d'arbitrage 144

§2. Éviter le déséquilibre significatif 145

A.

183

Éviter le déséquilibre significatif grâce à des produits à valeur ajoutée 146

B. Éviter le déséquilibre par l'absence de relation commerciale 147

CONCLUSION 150

BIBLIOGRAPHIE 152

INDEX ALPHABÉTIQUE 163

ANNEXES 165






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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote