Institut de Droit Dauphine
Master 122 - Droit approfondi de
l'entreprise
Mémoire de recherche sous le thème
« Le déséquilibre significatif dans
les relations
commerciales »
Sous la direction de Monsieur Guy GRAS
Lorena CORTISSOZ
Année universitaire 2014-2015
3
REMERCIEMENTS J'adresse mes sincères
remerciements à
Monsieur Guy GRAS
Mon Directeur de mémoire. Pour son écoute et
ses conseils avisés.
Monsieur le Professeur François
PASQUALINI Pour ses conseils pertinents qui m'ont permis
d'avancer.
Messieurs Gaëtan MARAIN, Pierre LEQUET et Benjamin
GOURVEZ
Pour leurs avis sur l'orientation de mon sujet et pour leurs
conseils méthodologiques.
À tous les professionnels qui ont pris le temps de
répondre à mes questions et plus particulièrement
à
Madame Aurélie CHARRIER, Juriste à
la FDSEA de l'Oise. Madame Géraldine ODOUL, Producteur
associé du GAEC ODOUL.
Monsieur Jacques DAVY, Directeur juridique
Commercial de Monoprix. Madame Anne COUILLARD, Juriste
à Monoprix.
Monsieur Vincent MUNKENI, Vice-Président
de la Tchadienne des
eaux.
Madame Marion DENEUVILLE, Co-fondatrice
d'Appro-Fusion.
4
À Matthieu.
AVERTISSEMENT
5
« L'Université n'entend donner aucune approbation
ni improbation aux opinions émises dans les mémoires; ces
opinions doivent être considérées comme propres à
leurs auteurs »
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS
a priori : par une raison qui
précède ADLC : Autorité de la
concurrence
AJCA : Actualité juridique Contrats
d'affaires, concurrence, distribution
AMAP : Association pour le maintien d'une
agriculture paysanne
anc. : ancien
AOC : Appellation d'origine
contrôlée
AOP : Appellation d'origine
protégée
art. : article
avr. : avril
C. civ. : Code civil
C. com. : Code de commerce
C. conso. : Code de la consommation
CA : cour d'appel
Cass. 1re civ. : Cour de cassation,
première Chambre civile
Cass. Com.
: Cour de cassation, Chambre commerciale
CCC : Contrats, Concurrence, Consommation
CE : Commission Européenne
6
CEDH : Cour Européenne des Droits de
l'Homme
CEMAC : Communauté économique
monétaire de l'Afrique centrale
CEPC : Commission d'Examen de
Pratiques Commerciales cf. : confer (se
rapporter à)
CGA : conditions générales d'achat
CGV : conditions générales de vente
chron. : chronique
CJCE : Cour de Justice des Communautés
européennes
CJUE : Cour de justice de l'Union
européenne
clausula generalis :
Disposition générale
coll. : collection
Cons. const. : Conseil constitutionnel
D. : Recueil Dalloz
DC : Décision du conseil
constitutionnel
DDHC : Déclaration des Droits de l'Homme
et du Citoyen
déc. : décembre
DGCCRF : Direction Générale de la
Consommation et de la Répression des Fraudes
dir. : direction doctr. :
doctrine
DPI : Document précontractuel
d'information
éd. : édition ex.
: exemple
FDSEA : Fédération
Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles
févr. : février
G. Pal. : La Gazette du Palais
GAEC : Groupement agricole d'exploitation en
commun
GIE : Groupement d'intérêt
économique Ibid. : ibidem (même
endroit)
IFOP : Institut français d'opinion
publique
IGP : Indication d'origine
protégée in globo :
globalement
in : dans
7
infra : au-dessous
janv. : janvier
JCP G. : Semaine Juridique, édition
Générale
JCP E. : Semaine Juridique, édition
Entreprise
JO : Journal officiel
JORF : Journal officiel de la République
Française
JOUE : Journal officiel de l'Union
européenne
JSS : Journal spécial des
sociétés juill. : juillet
L. : Loi
LME : Loi de modernisation de
l'économie
LPA : Les Petites Affiches MDD
: marques de distributeurs n° : numéro
nov. : novembre
NRE : Nouvelles Régulations
Économiques
obs. : observations
oct. : octobre RTD civ. : Revue
trimestrielle de droit
8
OHADA : Organisation pour l'harmon-isation en
Afrique du droit des affaires.
op. cit. : opere citato (dans
l'oeuvre citée)
ord. : ordonnance p. : page
Pacta sunt servanda : Les
conventions doivent être respectées
PME : petite et moyenne entreprise
préc. : précité
préf. : préface
QPC : Question prioritaire de
constitutionnalité
Ratione materiae :
Compétence matérielle
Ratione personae :
Compétence personnelle
RDC : Revue des contrats
RIDE : Revue internationale de droit
économique
RLC : Revue Lamy de la concurrence RLDA
: Revue Lamy droit des affaires
civil
RTD com. : Revue trimestrielle de droit
commercial
s. : suivants sept. : septembre
Specialia generalibus derogant :
Les règles spéciales dérogent aux règles
générales.
supra : ci-dessus
t. : tome
TGI : tribunal de grande instance TPE
: très petite entreprise
trib. com.
: tribunal de commerce V. : voir
9
SOMMAIRE
PREMIÈRE PARTIE :
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
INTERDIT
TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE DE LA
RELATION COMMERCIALE
Chapitre I : La nécessité de
protéger l'équilibre de la relation commerciale
Chapitre II : La consécration de l'interdiction du
déséquilibre significatif à l'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce
TITRE II : LA MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION
Chapitre I : La délicate évaluation du
déséquilibre significatif
Chapitre II : L'aspect dissuasif de l'interdiction
DEUXIÈME PARTIE :
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
MAINTENU
TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES COMMERCIAUX AU
MAINTIEN
DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
Chapitre I : Le rôle du consentement des
partenaires commerciaux
Chapitre II : Le rôle de la préservation des
intérêts légitimes des partenaires commerciaux
TITRE II : DÉFIANCE À L'ÉGARD DU
DISPOSITIF
Chapitre I : Rejet du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif
Chapitre II : Utilité du dispositif interdisant
le déséquilibre significatif
« La démocratie devrait assurer au plus faible les
mêmes opportunités qu'au
plus fort ».
Ghandi, Tous les hommes sont frères,
1969.
« Quoi que l'on fasse, les aiguilles tournent, l'univers se
dilate, les choses se
brouillent, le déséquilibre augmente ».
10
Serge Bramly, Le Premier Principe-Le Second Principe,
2008.
11
INTRODUCTION
1. Le système économique d'inspiration
libérale est présumé être le meilleur modèle
possible, c'est en tout cas le choix fait par la plus grande partie des pays du
monde. En revanche, il subsiste une suspicion sur le fonctionnement de ce
système. Un acteur économique puissant sur le marché
pourrait être tenté d'abuser de sa position dominante. L'homme
n'est-il pas un loup pour l'homme1 ? Des restrictions au
système libéral sont-elles nécessaires ? « Entre le
fort et le faible [...] c'est la liberté qui opprime et la loi qui
affranchit2. » Ce constat pourrait motiver une
éventuelle intervention législative pour limiter les possibles
abus qu'une personne en position de force pourrait infliger à une autre
en situation de faiblesse.
2. La tendance interventionniste du législateur a
été grandissante depuis le début du XIXe
siècle et tout au long du XXe siècle, notamment sous
l'influence de la théorie du solidarisme préconisant cette
intervention pour assurer une cohésion sociale dans les relations entre
individus. Cette théorie s'est répandue et a donné
naissance à un mouvement juridique appelé « solidarisme
contractuel », défendu depuis plusieurs années par une
partie de la doctrine3, qui prône un devoir de bonne foi et de
loyauté contractuelle indispensable à la régulation des
rapports de force commerciaux.
3. La pensée solidariste pourrait bien avoir
incité le législateur à introduire une série de
règles au titre IV du quatrième livre du Code de commerce
intitulé « de la transparence, des pratiques restrictives de
concurrence et d'autres pratiques prohibées » et interdisant les
pratiques restrictives de concurrence. Ce droit est appelé par un auteur
le « petit droit de la concurrence4 ». L'objectif du
législateur était de protéger les intérêts
catégoriels,
1 Traduction de la locution latine Homo homini
lupus est. Première occurrence de cette locution faite par Plaute
dans sa comédie Asinaria vers 195 av. J.-C.
2 H. LACORDAIRE, Conférences de Notre
Dame de Paris, années 1846-1848, Frères Prêcheurs,
Paris 1872, t. 3, p. 494.
3 Sur ce point V. Chr. JAMIN, « Plaidoyer pour
le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN, LGDJ,
2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité,
fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? »
Mélanges Fr. TERRÉ, 1999, p. 603.
4 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Mutations du droit des
pratiques restrictives de concurrence », RLDA, févr. 2010,
p. 66.
12
ceux des professionnels, de divers abus commis par leurs
partenaires commerciaux dans la mesure où le droit commun s'était
révélé insuffisant pour mener à bien cette
tâche5. À l'opposé se trouve le « grand
droit de la concurrence » qui concerne principalement les pratiques
anticoncurrentielles ainsi que les concentrations, et dont le but est de
protéger le marché de façon globale.
4. L'interdiction de ces pratiques a débuté
dès 1945 avec la création de lois spéciales6.
Tout en les reprenant, l'ordonnance du 1er décembre
19867 les a dépénalisées. Alors que certaines
de ces pratiques sont devenues des fautes civiles, d'autres demeurent des
infractions pénales. La tendance législative actuelle se
caractériserait par le renforcement du droit pénal
économique8. Notons que ces pratiques ont récemment
fait l'objet de réformes, notamment avec la loi du 3 janvier 2008 dite
Châtel9, celle du 4 août 2008 de modernisation de
l'économie (LME)10 puis la loi du 17 mars 2014 relative
à la consommation11
5. Parmi ces règles, l'alinéa 2 de l'article L.
442-6, I du Code de commerce interdit le déséquilibre
significatif en ces termes :
« Engage la responsabilité de son auteur et
l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par
tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée
au répertoire des métiers : [...] 2° De soumettre
ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations
créant un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties. »
Cette disposition a été introduite par la loi de
modernisation de l'économie (LME) en 2008 dont un des objectifs
était de relancer la libre concurrence tout en introduisant une certaine
l'éthique dans les relations entre professionnels et assouplissant la
règlementation
5 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence
interne et européen, 6e éd., Sirey, janv. 2014,
p. 121.
6 Par exemple : ord. n° 45-1483 du
30 juin 1945 relative aux prix JORF 8 juill.1945 rectificatif JORF
21
juill. et 8 sept. 1945.
7 Ord. n° 86-1243 du 1
er déc. 1986 relative à la
liberté des prix et de la concurrence, JORF 9 déc.
1986
8 M. MALAURIE-VIGNAL, op. cit., p. 122.
9 L. n° 2008-3 du 3 janv. 2008 pour
le développement de la concurrence au service des consommateurs,
JORF n° 0003 du 4 janv. 2008.
10 L. n° 2008-776 du 4 août 2008
de modernisation de l'économie, JORF n°0181du 5
août 2008.
11 L. n° 2014-344 du 17 mars 2014
relative à la consommation, JORF n°0065 du 18
mars 2014.
13
en vigueur12. L'interdiction du principe de
non-discrimination dans les relations commerciales, jusqu'alors disposée
à l'article L. 442-6, I, 1° du Code, fut alors
supprimée. Ce dispositif fortement contraignant était
critiqué pour sa rigidité. On lui préférera la
libre négociabilité. En supprimant ce principe, le
législateur allégea les mécanismes de la relation
commerciale tout en introduisant un garde-fou à la libre
négociabilité : l'interdiction du déséquilibre
significatif.
6. L'interdiction du déséquilibre significatif
remplace l'abus de dépendance ainsi que l'abus de puissance d'achat ou
de vente soumettant son partenaire des obligations injustifiées, le tout
anciennement disposé à l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce. Cet ancien dispositif d'application délicate
puisque les parties supposées lésées devaient
démontrer et apporter la preuve de leur situation
d'infériorité. Le dispositif interdisant le
déséquilibre significatif répondait donc à «
un souci de simplification et d'effectivité13. »
7. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce prévoyant l'interdiction du déséquilibre
significatif se distingue de l'interdiction du déséquilibre
significatif de l'article L. 132-1 du Code de la consommation visant uniquement
le déséquilibre significatif dans les relations entre
professionnels et consommateurs. Seules les relations entre professionnels nous
intéresseront dans le cadre de cette étude.
8. L'interdiction du déséquilibre significatif
peut s'expliquer par le fait que « les rapports de force, les
dépendances économiques et les positions dominantes sont
intrinsèques à la concurrence14 ». Or, le
législateur refuse que cette situation permette à l'un des
partenaires commerciaux d'imposer à l'autre des dispositions
unilatérales déséquilibrées. Dans le souci de
maintenir la libre concurrence, il est nécessaire d'éviter tout
abus de position de force d'un des partenaires commerciaux.
12 J.-P. CHARIÉ, Rapport no 908
fait au nom de la commission des Affaires économiques, de
l'environnement et du territoire sur le projet de loi de modernisation de
l'économie, Paris, Assemblée Nationale, mai 2008, p. 13.
13 P. ARHEL, « Volet «concurrence»
du projet de loi de modernisation de l'économie », LPA, 27
mai 2008, p. 4.
14 J.-P. CHARIÉ, rapport préc., p.
119.
14
9. Les rapports parlementaires sur la
LME15 laissent clairement apparaitre que l'interdiction du
déséquilibre significatif visait à protéger en
particulier les fournisseurs de la grande distribution. Cela résulte du
fait que dans ce secteur les fournisseurs et les distributeurs se trouvent dans
une configuration d'oligopsone16, où les distributeurs sont
concentrés et les fournisseurs fragmentés. Ce contexte
étant susceptible de créer une situation de dépendance, il
facilite le développement d'un déséquilibre significatif
au sein de la relation commerciale.
Les pratiques de la grande distribution sont couramment
dénoncées, que ce soit dans la presse, dans les reportages
télévisés ou bien encore dans les rapports parlementaires.
Cette dénonciation s'explique notamment par le fait que le
déséquilibre dans les relations commerciales a des
répercussions sur les prix proposés au consommateur, car «
si l'on maltraite le fournisseur ou le distributeur, le consommateur est
également victime17. »
L'interdiction du déséquilibre significatif
s'inscrit dans ce mouvement de protection de la relation fournisseur-grande
distribution qui dure depuis 30 ans18 et elle vise à
protéger l'ensemble de la chaine, du producteur au distributeur. C'est
pour cette raison qu'une grande partie des exemples illustrant les propos de
notre développement concerneront le secteur de la grande distribution.
C'est n'est d'ailleurs par un hasard si la majorité des décisions
prises en application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce concernent ce secteur. C'est notamment le cas des décisions
prononcées à la suite des assignations faites par l'ancien
Secrétaire d'État aux PME, Hervé Novelli, qui ont fait
couler beaucoup d'encre, non seulement chez les juristes, mais aussi dans les
médias.
15 V. sur ce point par ex : J.-P. CHARIÉ,
Rapport préc ; P. OLLIER et J. GAUBERT, Rapport d'information
présenté par la commission des affaires économiques sur la
mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de
modernisation de l'économie, no 2312.
16 Oligopsone : marché
caractérisé par un petit nombre d'acheteurs face à un
grand nombre de vendeurs, par opposition à oligopole. Source :
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/oligopsone/55882?q=oligopsone#55522
17 M. MALAURIE-VIGNAL, « Le nouvel article L.
442-6 du Code de commerce apporte-t-il de nouvelles limites à la
négociation contractuelle ? », CCC, nov. 2008, dossier 5,
p.12.
18 L. BENZONI et P.-Y. DEBOUDE, « Du
déséquilibre significatif dans les relations entre partenaires
commerciaux à la puissance d'achat : une perspective économique
»
teraconsultants.fr,
13 janv. 2015, p. 2.
10.
15
Le législateur a cependant décidé de ne
pas restreindre le champ d'application de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce aux seules relations entre fournisseurs
et distributeurs. Selon certains auteurs, cet élargissement peut
être expliqué par le fait que depuis des années, des
critiques sont formulées à l'encontre du législateur qui
ne s'intéresserait qu'à la grande distribution19. Le
dispositif est donc applicable à l'ensemble des relations entre
professionnels dès lors que l'auteur du déséquilibre
incriminé est un commerçant, un industriel ou une personne
immatriculée au répertoire des métiers. Des
précisions sur le champ d'application ratione personae et
ratione materiae sont progressivement apportées par la
jurisprudence et par les avis de certaines instances administratives telles que
la Commission d'examen de pratiques commerciales (CEPC).
11. Le législateur n'a pas pris soin de définir
la notion de « déséquilibre significatif », ce qui a
été à l'origine d'une grande confusion lors de son
application. À partir de quel moment le déséquilibre, dans
une relation commerciale, devient-il significatif ? Les dispositions
considérées comme créatrices de déséquilibre
significatif sont diverses, et c'est au juge qu'a été
confié le pouvoir de les désigner. Ainsi, est
génératrice d'un déséquilibre significatif une
clause non réciproque imposant un paiement par virement20 ou
encore une clause de reprise des invendus faisant peser la charge ou le risque
à un seul des partenaires commerciaux21. Mais sur quels
critères le juge s'appuie-t-il pour déterminer si une disposition
créée un déséquilibre significatif ou non ?
La cour d'appel de Paris22 a défini le
déséquilibre comme le « fait pour un opérateur
économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales
telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est
disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne.
» Mais il n'est pas encore certain que la jurisprudence maintienne cette
définition ou qu'elle décide d'en donner une autre.
En attendant que le législateur veuille bien
définir la notion, nous allons successivement analyser les termes «
déséquilibre » et « significatif ».
19 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Le
déséquilibre significatif à deux vitesses » JCP
G. 2015, doctr. 603.
20
trib. com. Lille, 6 janv. 2010,
no 2009/05184.
21 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12-07651.
22 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
16
Le mot « équilibre », issu du latin
aequilibrium où aequus, signifie « égal
» et libra « balance, poids. » Ces deux mots englobent
le concept décrivant les situations où les « forces »
en présence - les parties - sont égales, ou telles qu'aucune ne
surpasse les autres23. Le législateur souhaiterait voir
l'établissement de relations commerciales où les forces des
parties seraient les mêmes.
Quant à l'adjectif « significatif », il
qualifie quelque chose de nette et sans ambiguïté24. Il
en ressort que l'absence d'équilibre dans les relations commerciales
doit être flagrante pour être pris en compte. Le
déséquilibre significatif pourrait être l'absence flagrante
d'une situation d'égalité des forces entre les parties.
12. L'absence de définition du
déséquilibre significatif et le pouvoir donné au juge pour
décider quelles situations sont constitutives d'un
déséquilibre significatif ont été fortement
critiqués, et ce, à plus forte raison que la méthode
d'évaluation du déséquilibre n'a pas encore
été fixée par le juge. Les décisions de justice se
contredisent sur la prise en compte de l'équilibre économique
global ou encore sur le choix d'apprécier chaque clause
indépendamment du contrat in globo. Les contours mal
définis de l'interdiction du déséquilibre significatif
sont une source d'insécurité juridique et la
constitutionnalité même du dispositif a été
contestée. Le Conseil constitutionnel a cependant déclaré
le dispositif comme étant valide25.
13. L'article L. 442-6, III du Code de commerce donne
à certaines autorités administratives le pouvoir d'agir en
justice en cas de manquement aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de
commerce. Ce mode de fonctionnement est également remis en cause, car il
permet à l'autorité d'agir sans même avoir à
solliciter l'accord de la partie concernée. Ces critiques sont d'autant
plus accentuées que l'amende civile infligée en cas de
confirmation de déséquilibre significatif dans la relation
commerciale peut atteindre des sommes considérables pour ce chef
d'accusation. À titre d'exemple, dans un des derniers
arrêts26 en date, la société Eurauchan s'est vue
condamne à verser 1 000 000 d'euros d'amende civile.
23
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quilibre
24
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/significatif/72708?q=SIGNIFICATIF#71899
25 DC, 13 janv. 2011, no 2010-85.
26
Cass. com., 3 mars 2015, no
13-27-52.
14.
17
La réforme des pratiques restrictives de concurrence de
la loi LME a été critiquée par la doctrine dans la mesure
où « cette frénésie législative n'est pas de
bon augure, car elle ne fait que démontrer que la loi
précédente était mal faite, pour que l'on ait besoin d'y
remédier si vite27. » Les anciennes pratiques
restrictives n'étaient pas assez performantes et le législateur a
pensé qu'il était nécessaire d'en créer de
nouvelles. Cette réforme est-elle une réussite ? Quel est le
bilan de l'interdiction du déséquilibre significatif ?
15. Les difficultés rencontrées dans la mise en
place de l'interdiction du déséquilibre significatif et les
nombreuses critiques adressées au dispositif ouvrent la question de sa
pertinence et de son maintien. Si le dispositif a du mal à être
appliqué, c'est peut-être que le déséquilibre
significatif est inévitable et qu'il pourrait finalement être vu
autrement que comme un désavantage. Si cet outil paraissait
indispensable à la régulation des relations commerciales, un
auteur pense que l'intervention du législateur visant à interdire
le déséquilibre significatif ouvre en fait « la voie
à un contrôle sans limites des contrats entre
professionnels28 ».
16. Si l'on s'en tient à la formule de
Fouillée, « qui dit contractuel, dit juste29 », le
législateur n'aurait pas de raison d'intervenir pour remettre en cause
les dispositions acceptées par des professionnels. Avec l'interdiction
du déséquilibre significatif, le législateur remet en
cause les dispositions acceptées par les partenaires commerciaux et
cela, sans nécessairement tenir compte de leur volonté puisque
l'action peut être entreprise par les seules autorités
administratives sans l'accord de la victime. Dans certains cas, l'existence
d'un déséquilibre significatif est justifiée et
parfaitement en phase avec la volonté des partenaires commerciaux.
Finalement, l'équilibre de la relation commerciale pourrait être
atteint alors même que l'une des parties soumet son partenaire commercial
à une obligation créant un déséquilibre
significatif. Le maintien de ce dernier pourrait même parfois être
le fondement d'une relation commerciale normale.
27 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Mutations du droit des
pratiques restrictives de concurrence », RLDA, févr. 2010,
p. 66.
28 M. CHAGNY, « Une (r)évolution du
droit français de la concurrence ? À propos de la loi LME du 4
août 2008 », JCP G., 2008, I, 196.
29 A. FOUILLÉ, La science sociale
contemporaine, 2e éd., Paris, Librairie Hachette et Cie,
1885, p. 410.
17.
18
Au moment de l'introduction de l'interdiction du
déséquilibre significatif, un auteur se demandait si ce
dispositif allait être « un ferment de dissolutions des contrats ou
un «sabre de bois»30. » Pour l'heure, le bilan des
décisions de justice reconnaissant l'existence d'un
déséquilibre significatif en dehors de la grande distribution est
nuancé et le juge semble refuser la majorité des demandes en
dehors de ce secteur.
18. Plus généralement, la remise en cause de
l'intervention du législateur nous amène à nous demander
si le déséquilibre significatif est réellement une «
pathologie au contrat »31. Est-il possible de penser une
relation commerciale sans l'interdiction du déséquilibre
significatif ? Comment les partenaires commerciaux faisaient-ils avant son
apparition ? Les partenaires commerciaux ont-ils les moyens d'éviter par
eux-mêmes le déséquilibre significatif ?
19. Il serait donc intéressant de s'interroger sur les
raisons de l'intervention du législateur avec la création de
l'interdiction du déséquilibre significatif ainsi que les
difficultés de son application. On pourra alors se demander si le
maintien de ce déséquilibre significatif dans les relations
commerciales est justifié. Pour répondre à ces questions,
il convient d'analyser dans un premier temps l'interdiction du
déséquilibre significatif (Partie 1). Les
problématiques liées à ce dispositif nous pousseront
à étudier dans un deuxième temps la pertinence du maintien
de ce dispositif (Partie 2).
30 M. CHAGNY, art. préc., I, 196.
31 E. GICQUIAUD, « Le contrat à
l'épreuve du déséquilibre significatif », RTD
com., 2014, p. 267.
PREMIÈRE PARTIE :
19
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF INTERDIT
20
20. L'idée de protéger la
partie faible du déséquilibre significatif dans ses relations
commerciales trouve son origine au XIXe siècle avec la
théorie du solidarisme contractuel. Ce déséquilibre
entrave le fonctionnement concurrentiel du marché et affecte
indirectement les consommateurs. L'intervention du législateur en 2008,
créant l'interdiction du déséquilibre significatif dans
les relations commerciales avec la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de
modernisation de l'Économie (LME), peut s'interpréter comme une
illustration de l'imprégnation de la théorie doctrinale du
solidarisme contractuel (Titre 1). Pourtant, outre l'absence
de définition précise, la mise en oeuvre de cette notion s'est
avérée complexe. En effet, des doutes subsistent quant à
la mise en pratique de l'interdiction (Titre 2). Les
décisions de justice et les avis de certaines instances administratives
permettent de fournir quelques précisions. Mais un manque de
clarté sur des aspects indispensables pour la mise en place du
dispositif remet parfois en cause l'efficacité de l'interdiction.
21
TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE
DE LA RELATION COMMERCIALE
21. L'interdiction du
déséquilibre significatif de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce résulte de la
nécessité de protéger l'équilibre de la relation
commerciale (Chapitre 1). Le dispositif d'interdiction,
inspiré du droit de la consommation, a été consacré
(Chapitre 2) comme garde-fou pour éviter les
dérives suite à la suppression du principe de non-discrimination
tarifaire. Mais l'absence de définition de la notion de «
déséquilibre significatif » reste cependant source
d'insécurité juridique.
22
CHAPITRE I. LA NÉCÉSSITÉ DE
PROTÉGER L'ÉQUILIBRE
DE LA RELATION COMMERCIALE
22. L'interdiction du
déséquilibre significatif dans les relations commerciales est
l'une des traductions législatives du solidarisme contractuel
(Section 1). Selon les tenants de cette approche, la
prohibition est une solution adaptée à la protection de
l'ensemble des acteurs économiques (Section 2).
23
Section 1. L'influence du solidarisme contractuel
23. La théorie du solidarisme contractuel
considère le contrat comme un instrument permettant la protection de
l'équilibre dans les relations commerciales (§1).
Cette théorie, trouvant ses origines au 19e siècle,
aurait inspiré la prohibition du déséquilibre significatif
dans les relations commerciales. L'équilibre du contrat serait atteint
dès lors que les parties en tirent l'intérêt qu'elles
recherchaient au moment de contracter. Pour atteindre cet équilibre, des
moyens (§2) peuvent être utilisés, tel que
l'intervention du juge.
§1. Le contrat comme élément de
régulation du déséquilibre entre les parties
24. La nécessité de l'équilibre
contractuel pourrait trouver son origine dans la théorie du solidarisme
contractuel (A), théorie ancienne mais toujours
d'actualité qui prône les impératifs de bonne foi et de
loyauté indispensables dans une relation contractuelle selon ses
défenseurs. Cette théorie pourrait avoir influencé le
législateur dans l'interdiction du déséquilibre
significatif dans les relations commerciales (B).
A. La quête d'un équilibre
contractuel
25. Le solidarisme contractuel serait la résurgence
récente d'une doctrine ancienne, née entre la fin du
XIXe et le début du XXe siècle sous la
plume de Léon Bourgeois32 et Célestin
Bouglé33. Ces auteurs souhaitaient donner une base «
scientifique »34 au programme radical35. Il
s'agissait de repenser l'organisation sociale et politique à partir de
ce qu'ils établissaient au rang de loi morale indépassable : la
solidarité. Le but était
32 dans un livre Solidarité
publié en 1896, Paris, Armand Collin.
33 dans un livre Le solidarisme publié
en 1907, Paris, V. Giard et E. Brière.
34 P. REMY, « La genèse du solidarisme
», in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum et M. Nicod,
éd. Économica, 2004, p. 5.
35 Selon le dictionnaire Larousse, le radicalisme
en France est un corps de doctrines d'un état d'esprit propre à
ceux qui proposent une politique de réformes qui réaliseraient
pleinement la laïcité, la liberté et
l'égalité.
24
donc de proposer une alternative au socialisme, sans toutefois
verser dans le conservatisme. Les auteurs proposaient en somme de
redéfinir le rôle et l'action de l'État au sein d'une
organisation sociale fondée sur un idéal de justice et dans
laquelle la solidarité devait occuper une place centrale.
Léon Bourgeois et Célestin Bouglé
cherchaient à démontrer la nécessité d'une
cohésion sociale dans les relations entre les individus. Le premier
affirmait ainsi : « nous sommes engagés dans des rapports de «
droit et devoir », de dette et de créance, où nos
volontés individuelles [...] nous lient en fait et que nous n'avons pas
le droit de méconnaitre ou d'oublier ». Il existerait donc une
sorte d'obligation à l'égard de la société qui
naitrait lors de chaque rencontre de volontés.
26. Émile Durkheim s'est
également fait le promoteur de la doctrine solidariste en affirmant que
le « contrat est par excellence, l'expression juridique de la
coopération36 ». Selon lui, le contrat entretient un
rapport avec la division du travail puisque « coopérer [...] c'est
se partager une tâche commune37 ». La relation
contractuelle exigerait des parties une coopération nécessaire
à l'atteinte de leur intérêt commun. La doctrine
solidariste a fait des émules et a donné lieu à de
nombreux courants de « solidarisme juridique » qui perdurent encore
aujourd'hui. Au XXIe siècle, des auteurs comme Denis Mazeaud
ou Christophe Jamin continuent de soutenir la théorie du solidarisme
contractuel38. Cette doctrine se distingue par « l'affirmation
selon laquelle il est nécessaire d'ériger en principe du droit
des contrats les exigences de loyauté, de solidarité et de bonne
foi qui doivent conduire les contractants à collaborer entre
eux39 ». Les travaux contemporains font la promotion d'une
approche sociale du droit encore renforcée par la crise
économique consécutive au premier choc pétrolier et les
autres qui s'ensuivirent.
36 É. DURKHEIM, De la division du
travail social, étude sur l'organisation des
sociétés supérieures. Paris, éd. Felix Alcan,
1893, p. 132.
37 Ibid.
38 Sur ce point, V. Ch. JAMIN, « Plaidoyer
pour le solidarisme contractuel », Mélanges J. GHESTIN,
LGDJ, 2001, p. 441 ; D. MAZEAUD, « Loyauté, solidarité,
fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? »,
Mélanges Fr. TERRÉ, 1999, p. 603.
39 L. GRYNBAUM, « La notion de solidarisme
contractuel », in Le solidarisme contractuel, (dir.) L. Grynbaum
et M. Nicod,. Économica, 2004, p. 25.
25
Pour les auteurs solidaristes, il existe au coeur du
solidarisme contractuel une obligation contractuelle de loyauté, de
coopération et de bonne foi.
B. L'influence du solidarisme contractuel dans
l'interdiction du déséquilibre significatif dans les relations
commerciales
27. Le solidarisme contractuel aurait inspiré
l'idée de prohibition du déséquilibre significatif dans
les relations commerciales, notamment à travers l'idée
d'exécution de bonne foi du contrat. Pour Denis Mazeaud, le contrat
serait « sociable »40. La bonne foi et son corollaire la
loyauté s'imposent comme une ligne de conduite pour les parties
contractantes. A priori, le contrat est davantage un lieu où
s'expriment des rapports de force plutôt qu'un lieu de sociabilité
et de solidarité. Dans cet état de violence règne la
« loi du plus fort mais cette loi ne fait pas le droit41.
» C'est pourquoi les exigences de bonne foi et de loyauté doivent
intervenir afin de rééquilibrer le rapport de force contractuel.
Les devoirs de bonne foi et de loyauté obligeraient les parties à
un civisme contractuel exigeant un équilibre contractuel minimum. Que
l'on ne s'y trompe pas, « il ne s'agit pas d'assurer une stricte
égalité, mais simplement de dire qu'une clause [...] qui n'a
d'autre justification qu'un rapport de force inégalitaire est en droit
inadmissible42. » L'impératif de bonne foi et de
loyauté va corriger l'inégalité et la dépendance
qui président parfois à la conception du contrat. Il contribue
ainsi à instaurer une certaine justice contractuelle.
28. Émile Durkheim explique que c'est l'insuffisance
du contrat qui justifie l'intervention du législateur : « le
contrat ne se suffit pas à soi-même, mais il n'est possible que
grâce à une réglementation du contrat qui est d'origine
sociale »43. C'est l'origine sociale du contrat qui impose une
réglementation afin de protéger son équilibre. Bien que
l'article 1134 du Code civil exige la bonne foi dans l'exécution des
conventions, le législateur va étendre cette exigence de droit
commun dans des droits spéciaux. Le droit du travail est
évidemment concerné ainsi que le droit de la concurrence qui,
avec
40 D. MAZEAUD, art. préc., p. 610.
41 J.-P. CHARIÉ, Rapport préc., p.
13.
42 Fr.-X. TESSU, « Le juge et le contrat
d'adhésion », JCP G, 1993, I, 3673.
43 É. DURKHEIM, op. cit., p. 434.
26
l'interdiction du déséquilibre significatif,
impose une certaine loyauté dans les contrats commerciaux. Dans le
premier cas, c'est le lien de subordination économique qui justifie
l'intervention du législateur et dans le second, le lien de
dépendance économique.
§2. Les moyens utilisés pour rétablir
l'équilibre entre les partenaires commerciaux
29. Quelle est la nature du déséquilibre
contractuel ? (A) Lorsque les intérêts des
parties ne sont pas atteints, la relation peut être
considérée comme déséquilibrée. Pour faire
disparaitre le déséquilibre (B), l'intervention
du législateur puis celle du juge est nécessaire.
A. Nature du « déséquilibre
contractuel »
30. La solidarité contractuelle exigerait un
équilibre dans la relation contractuelle que l'on peut définir
comme « [...] la juste répartition des éléments d'un
tout44. » Le concept d'équilibre est celui de justice.
Un contrat équilibré est un contrat juste dans la
répartition des charges et profits. On considère que cette juste
répartition est atteinte lorsque les parties retirent du contrat
l'intérêt qu'elles recherchaient au moment de son
établissement. Lorsque cette juste répartition est absente, un
déséquilibre contractuel se crée.
31. Pour les auteurs solidaristes, « dans un contexte
d'inégalité chacune des parties, et non pas seulement la plus
puissante [devrait] tirer un bénéfice du contrat45.
» Par conséquent, un contrat équilibré n'est pas
forcément celui où il y a un rapport de forces égales,
mais dans lequel chaque partie trouve son intérêt. Dans le cadre
des relations commerciales, lorsque chaque professionnel ressort un profit de
la relation commerciale. L'équilibre est censé d'être
établit.
44 L. FIN-LANGER, L'équilibre
contractuel, cité in A.-S. COURDIER-CUISINIER, Le
solidarisme contractuel, préf. É. Loquin, éd.
LexisNexis, 2006., p. 135.
45 Chr. JAMIN, cité in Y. LEQUETTE,
« Bilan des solidarismes contractuels », Mélanges P.
Didier, Économica, 2008, p. 258.
27
B. Disparition du déséquilibre
32. Les exigences de loyauté, de solidarité et
de bonne foi, nécessaires à l'atteinte de l'équilibre
contractuel, résultent d'une intervention législative. Puisqu'il
est entendu qu'« entre le fort et le faible [...], c'est la liberté
qui opprime et la loi qui affranchi46 », le législateur
doit endosser le rôle du « sauveur » de l'équilibre
contractuel. Une intervention du législateur au nom de la
solidarité contractuelle peut être le dispositif de l'article
12441 du Code civil laissant au juge la possibilité d'octroyer des
délais de grâce. L'intervention du législateur dans les
relations commerciales est justifiée d'autant plus dans la mesure
où le droit des affaires est un « droit sentimental
»47 où la loyauté est nécessaire.
33. Finalement, c'est au juge qu'il revient de prendre les
mesures propres à réintégrer de la solidarité dans
le contrat.
La quête du solidarisme d'un équilibre
contractuel restauré passe en premier lieu par la suppression des
clauses abusives. Il s'agit d'influer sur le choix de l'aiguille de la balance
et c'est au juge qu'il incombe d'intervenir quand cette aiguille n'est pas au
point de stabilité. Cette intervention se fait souvent par la
suppression de la clause à l'origine du déséquilibre.
Ainsi, dans l'arrêt « Chronopost »48, le juge agit
au nom de la solidarité contractuelle en réputant non
écrite la clause limitative de responsabilité qui vide de sa
substance le contrat.
34. En somme, c'est cet objectif de solidarisme contractuel
qui serait à l'origine de l'interdiction du déséquilibre
contractuel entre partenaires commerciaux, cette interdiction venant corriger
une inégalité contractuelle naturelle.
46 H. LACORDAIRE, op. cit., p. 494.
47 M. MALAURIE-VIGNAL, « Éthique des
pratiques restrictives », LPA, 24 nov. 2011, p. 14.
48
Cass. com., 22 oct. 1996,
n° 93-18632, D. 1997. 121, obs. A. Sériaux
; RTD civ., 1997, 418, obs. J. Mestre.
28
Section 2. Un nécessaire équilibre
35. Les raisons ayant poussé le législateur
à interdire le déséquilibre significatif dans les
relations commerciales sont plurielles. Néanmoins, les plus saillantes
tiennent au souci de maintenir la concurrence (§1) et la
protection du consommateur (§2).
§1. Un équilibre nécessaire au maintien
de la concurrence
36. La doctrine néoclassique considère que la
concurrence sera pure et parfaite lorsque l'équilibre concurrentiel est
atteint. Il s'agit du point d'intersection de la courbe de la demande avec
celle de l'offre49. Les situations de monopole empêchent
l'avènement de cet objectif et l'obligation d'un équilibre dans
les relations commerciales s'interprète ainsi comme un moyen d'atteindre
cette fin en contrôlant le comportement des entreprises dominantes.
37. En France, l'interdiction des pratiques restrictives de
concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce visent à
protéger certains intérêts des acteurs économiques
engagés dans une relation commerciale. Ces interdictions
qualifiées de « petit droit de la concurrence » ayant comme
objectif de protéger les intérêts catégoriels, ceux
des professionnels, sont volontiers opposées au « grand »
droit de la concurrence qui protégerait le marché dans son
ensemble. D'une façon générale, le droit des pratiques
restrictives protège le cocontractant de son partenaire en
exerçant un contrôle de la formation, du contenu ainsi que de la
rupture du contrat50. L'équilibre contractuel entre
partenaires commerciaux s'inscrit dans le cadre de cette protection.
38. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce prévoit l'interdiction d'un déséquilibre
significatif dans les relations entre partenaires commerciaux. Cette
règlementation est principalement une réponse du
législateur aux abus de certains
49 J. DREXL, « Déséquilibres
économiques et droit de la concurrence », in Les
déséquilibres économiques et le droit de la concurrence,
(dir.) L. BOY, Larcier, 2015, p. 34.
50 M. MALAURIE-VIGNAL, Droit de la concurrence
interne et européen, 6e éd., Sirey, 2014, p.
122.
29
fournisseurs et distributeurs à l'égard de leurs
partenaires51. Ces abus portaient atteinte à la libre
concurrence dans le secteur de la distribution. En effet, la France compte
quelques grands groupes de fournisseurs de taille internationale dans ce
domaine ayant un pouvoir important à l'égard de leurs
distributeurs. En contrepoint, en matière de grande distribution, les
dix premières entreprises françaises occupent 73% des parts de
marché du secteur des biens de consommation à rotation
rapide52. Mais la plupart des fournisseurs sont des PME (environ
7900 entreprises)53 soumises généralement aux
conditions posées par les grands distributeurs. Nous avons une
distribution assez concentrée et un grand nombre de fournisseur qui ne
créent pas les conditions d'un rapport de force équitable.
Alors que du côté des producteurs, l'offre est
éclatée, du côté des distributeurs, la demande est
concentrée dans quelques grandes centrales d'achat. Le
déséquilibre contractuel est le résultat de la puissance
d'achat des distributeurs dont le montant des commandes représente un
marché incontournable pour le fournisseur. Les fournisseurs consentent
à ce déséquilibre significatif dans la mesure où
les centrales d'achat s'imposent comme un « point de passage quasi
obligatoire pour les industriels qui veulent faire connaitre leurs produits au
consommateur54 ». C'est pour remédier à cette
situation et permettre une libre concurrence que le législateur est
intervenu. L'enjeu dans le maintien de la libre concurrence est de
protéger les opérateurs des abus commis par leurs partenaires
commerciaux. Considérant qu'il n'y a « pas de croissance, pas de
modernisation, sans retour à la loyauté55 », le
législateur entend faire respecter un devoir de bonne foi et de
loyauté.
39. Bien que l'objectif principal du
législateur fût de protéger la relation
fournisseur-distributeur, l'extension de l'interdiction du
déséquilibre significatif à l'ensemble des relations
commerciales illustre sa volonté de combattre toutes les formes de
déséquilibre entre partenaires commerciaux. Il est postulé
qu'en recouvrant un équilibre contractuel perdu, la concurrence sera
plus vive et plus saine. L'interdiction du déséquilibre
51 Cf. supra, nos 9 s.
52 J.-J. ROBERT, Rapport fait au nom de la
commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la
loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Sénat,
30 avr. 1996, no 336, p. 5.
53 G. CANIVET, Restaurer la concurrence par les
prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie
et commerce, La Documentation française, oct. 2004, p. 50.
54 J.-J. ROBERT, rapport préc., p. 11.
55 J.-P. CHARIÉ, rapport préc., p.
41.
30
significatif est une manière d'éviter le
syndrome du « trou noir56 » éliminant toute
idée de contrat de gré à gré. L'objectif est de
permettre aux partenaires commerciaux de négocier librement leurs
contrats sans se voir imposer de clauses
déséquilibrées.
§2. Un équilibre nécessaire pour les
consommateurs
40. L'un des principaux souhaits du
législateur au moment de la création de la loi dite « LME
» était d'augmenter le pouvoir d'achat des consommateurs. Cet
objectif serait d'ailleurs devenu pour lui une véritable «
obsession57 ». Le ministre de l'Économie d'alors, madame
Christine Lagarde, affirmait que la réforme des pratiques restrictives
de concurrence devait permettre aux « fournisseurs et distributeurs de
négocier librement les tarifs, et les consommateurs «auraient»
accès à plus de supermarchés et donc aux prix les plus
bas58. » Les relations entre professionnels affectent
nécessairement le consommateur et ce n'est pas pour rien que la
récente loi Hamon59 relative à la consommation
comporte un volet consacré aux relations fournisseurs-distributeurs.
Pour certains auteurs de la doctrine, il s'agirait d'un « mouvement
contemporain d'inspiration réciproque » entre droit de la
concurrence et droit de la consommation visant « le bénéfice
des consommateurs au moyen d'une libre concurrence sur le
marché60. »
La baisse des prix passerait par une stabilisation des
relations fournisseurs-distributeurs, car si l'« on maltraite le
fournisseur ou le distributeur, le consommateur est également
victime61. » Quand la relation entre les partenaires
commerciaux est équilibrée, les parties n'ont guère besoin
d'augmenter leurs tarifs pour compenser les éventuelles pertes
nées du déséquilibre.
56 Ibid., p. 16.
57 M. MALAURIE-VIGNAL, « Le nouvel article L.
442-6 du Code de commerce apporte-t-il de nouvelles limites à la
négociation contractuelle ? », CCC, nov. 2008,
n° 11, dossier 5, p. 12.
58 M. VISOT, « Modernisation de
l'économie : doutes sur la baisse des prix »,
Lefigaro.fr, 29 avr.
2008 rubrique actualité-consommation.
59 L. no 2014-344 du 17 mars 2014 relative
à la consommation, JORF n° 0065 du 18 mars
2014.
60 A.-C. MARTIN et D. FÉRRIER « Propos
introductifs », JSS, janv. 2014, p. 9.
61 M. MALAURIE-VIGNAL, art. préc, dossier 5.
31
CHAPITRE
II. LA CONSÉCRATION DE L'INTERDICTION DU
DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF À L'ARTICLE L. 442-6, I, 2°
DU CODE DE COMMERCE
41. L'interdiction du déséquilibre significatif
dans les relations commerciales résulte de l'introduction de l'article
L. 442-6, I, 2° dans le Code de commerce (Section
1). Toutefois, la définition de la notion reste ambiguë
(Section 2).
Section 1. L'interdiction formelle du
déséquilibre significatif dans les relations commerciales
42. La genèse de l'interdiction du
déséquilibre significatif, fruit d'une longue évolution, a
été influencée par le droit de la consommation
(§1). En effet, le partenaire commercial
protégé par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce est assimilé à un consommateur
(§2).
§1. Genèse de l'interdiction du
déséquilibre significatif dans les relations commerciales
43. Le point de départ de l'interdiction du
déséquilibre significatif est l'abrogation du principe de
non-discrimination dans les relations commerciales (A). Ce
principe n'entraînant pas l'effet voulu par le législateur lors de
sa création, c'est-à-dire la fin des abus dans les relations
commerciales, le législateur l'abrogea. Cependant, il prévoit
aussitôt un garde-fou : l'interdiction du déséquilibre
significatif dont la constitutionnalité fut reconnue par le Conseil
Constitutionnel le 13 janvier 2011 (B).
32
A. Abrogation du principe de non-discrimination : point
de départ de l'interdiction du déséquilibre
significatif
44. À la suite de l'Ordonnance du 30 juin 1945
relative aux prix62, le droit français affirmait, à
l'article L. 442-6, I, 1° du Code commerce, un principe de
non-discrimination dans les relations commerciales. Une partie pouvait voir sa
responsabilité engagée si elle obtenait de son partenaire
commercial des prix, des délais de paiement, des conditions ou des
modalités de vente discriminatoires et non justifiées par de
réelles contreparties. Ce texte était considéré
comme la « pierre angulaire63 » des pratiques restrictives
de concurrence en France. Il fut abrogé par la loi LME.
45. L'abrogation de ce texte résulte de son
inefficacité. Alors que l'interdiction du principe de non-discrimination
entre partenaires commerciaux avait pour objectif d'éviter des abus dans
les relations commerciales, elle engendrait en pratique un effet pervers. En
effet, elle dissuadait les parties de faire appel à la
négociation personnalisée par crainte de voir leur
responsabilité engagée en application de ce dispositif. Ce manque
de négociation personnalisée empêchait la
différenciation par les prix et obligeait les parties à recourir
aux marges arrière pour contourner l'interdiction. Cette manoeuvre
entraînait une hausse des prix de revente aux consommateurs. De plus, le
principe de nondiscrimination n'interdisait pas la différence entre les
partenaires commerciaux du moment où il y avait une contrepartie alors
que repartie, alors même que celle-ci pouvait être
disproportionnée et créer un déséquilibre.
L'inefficacité de ce dispositif s'illustre particulièrement par
le faible nombre de litiges s'appuyant sur l'ancien article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce. Entre le
1er janvier 2004 et le 31 décembre 2007, le juge
français n'a rendu que huit décisions sur le fondement de cet
article64.
Une fois l'inefficacité du dispositif constatée,
le gouvernement a décidé d'intervenir en créant un
dispositif efficace contre le déséquilibre dans la relation
commerciale. L'idée
62 Ord. n° 45-1483 du 30 juin 1945
relative aux prix, JORF 8 juill.1945 rectificatif JORF 21
juill. et 8 sept. 1945.
63 N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations
fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, sept. 2014, p.
34.
64 M.-D. HAGELSTEEN, La négociabilité
des tarifs et des conditions générales de vente, Rapport
remis au Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Emploi et au
Secrétaire d' État chargé de la Consommation et du
Tourisme, 12 févr. 2008, p. 28.
33
était de sanctionner les abus commis dans les relations
commerciales, notamment en raison du déséquilibre des rapports de
force. Certes, l'interdiction de la nondiscrimination ayant été
supprimée, les parties devenaient libres de déterminer des «
prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des
modalités de vente ou d'achat65. » Cependant, cette
suppression portait en elle les germes de l'abus. C'est
précisément pour éviter ces dérives que le
législateur modifia l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
Commerce qui, depuis la loi NRE66, interdisait l'abus de puissance
de vente ou d'achat. À la place, il introduisit l'interdiction du
déséquilibre significatif. Ce dernier va venir sanctionner le
fait de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à
des obligations qui créent un déséquilibre significatif
dans les droits et les obligations des parties. Contrairement à son
prédécesseur, ce texte n'exige pas de démontrer une
situation de dépendance et une puissance d'achat ou de vente. L'article
L. 442-6, I, 2° fait uniquement référence au
« partenaire commercial », désignation large qui
dépasse la relation de dépendance ou de puissance. D'un
côté, la loi libère la négociabilité en
supprimant l'interdiction de discriminations tarifaires, de l'autre, elle
évite l'apparition d'un déséquilibre significatif dans les
droits et les obligations des parties. L'interdiction du
déséquilibre significatif va venir sanctionner les abus qui
nuisent aux relations commerciales et par conséquent au bon
fonctionnement du marché.
B. La constitutionnalité du texte interdisant le
déséquilibre significatif
46. Après l'introduction de la notion de
« déséquilibre significatif » à l'article L.
442-
6, I, 2° du Code de commerce, s'est
posée la question de sa constitutionnalité. C'est à
l'occasion des assignations « Novelli67», où neuf
distributeurs furent assignés par le Secrétaire d'État aux
PME, que la société Darty souleva l'inconstitutionnalité
de la notion de déséquilibre significatif. La
société alléguait que la disposition ne respectait pas le
principe constitutionnel de légalité des délits et de
peines que consacre l'article 8 de la
65
C. com., anc. art. L. 442-6, I,
1°, abrogé par la LME.
66 L. n° 2001-420 du 15 mai 2001
relative aux nouvelles régulations économiques, JORF
n° 113 du 16 mai 2001.
67 Assignation faite par Monsieur Hervé
Novelli Secrétaire d'Etat aux PME en 2009 au moment de l'assignation
à l'encontre de neuf enseignes : Carrefour, Castorama, Casino, Darty,
Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché et Système U.
Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen68. Par un arrêt du 15 octobre 2010, la Cour de
cassation accepta de porter la question devant le Conseil
constitutionnel69.
47. Dans une décision du 13 janvier 201170,
le Conseil Constitutionnel estime que l'article L. 442-6, I, 2°
est énoncé dans des « termes suffisamment clairs et
précis. » En outre, la notion n'est pas nouvelle puisqu'elle
apparaissait déjà à l'article L. 132-1 du Code de la
consommation et que ce texte était fréquemment utilisé par
les juridictions judicaires. Pour le Conseil, l'application de l'article L.
442-6, I, 2° ne sera pas arbitraire, même si la notion
laisse au juge une certaine marge d'appréciation. Le juge
constitutionnel relève également que l'article L. 442-6, III,
6° donne la possibilité à la juridiction saisie
de solliciter l'avis de la Commission d'Examen des Pratiques Commerciales
(CEPC) qui assure la protection des partenaires commerciaux en rendant des avis
sur les clauses qui lui sont soumises. L'éventuelle
insécurité juridique générée par cette
notion pourrait donc être limitée par l'intervention de la CEPC.
L'avis rendu par la commission suffit-il à garantir le principe de
légalité des délits et des peines ? Nous verrons plus loin
les problématiques que la notion de déséquilibre
significatif soulève et le rôle de la CEPC dans l'identification
des situations de déséquilibre71.
48. Nous venons de voir que l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce est le fruit d'une longue
évolution. Plusieurs textes se sont succédés afin de
sanctionner les abus. Toutes ces modifications nous montrent finalement qu'il y
avait un problème dans les versions antérieures. Qu'est-ce qui
garantit que cette fois-ci, ce dispositif sera efficace ?
34
69 Cass. QPC, 15 oct. 2010, no 1137.
70 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.
71 Cf. supra nos 59 s., 96 s.
35
§2. Une notion inspirée du droit de la
consommation
49. La notion du déséquilibre significatif dans
les relations commerciales s'apparente au déséquilibre
significatif interdit dans les contrats de consommation (A),
néanmoins, une assimilation des deux notions est contestable car le
partenaire commercial n'étant pas dans la même situation qu'un
consommateur (B).
A. L'assimilation du partenaire commercial au
consommateur
50. Le législateur a tendance à assimiler le
partenaire commercial à un consommateur. L'objectif est de le
protéger comme le consommateur, c'est-à-dire comme la partie
faible au contrat.
L'assimilation du partenaire commercial au consommateur est
flagrante dans l'interdiction du déséquilibre significatif. Comme
nous l'avons vu72, le Conseil Constitutionnel a été
questionné sur la validité de l'article L. 442-6, I,
2°. Or, l'un des arguments utilisés pour déclarer
la disposition constitutionnelle a été justement de soulever que
l'interdiction du déséquilibre significatif dans la relation
commerciale était valable puisqu'elle existait déjà dans
la règlementation française, à l'article L. 132-1 du Code
de la consommation. Le Conseil Constitutionnel compare le
déséquilibre significatif du contrat de consommation à
celui de l'article L. 442-6, I, 2°. Le législateur a
emprunté une notion issue du Code de la consommation qu'il a introduit
dans le Code de commerce. Certains auteurs ont même noté qu'il
s'agissait d'un « droit de la consommation bis73. »
51. Le juge judiciaire confirme cette volonté
d'assimilation. Dans un arrêt du 18 septembre 2013, la cour d'appel de
Paris fait référence aux « clauses noires » de
l'article R. 132-1 du Code de la consommation74. Ces clauses sont
irréfragablement réputées non
72 Cf. supra nos 46 s.
73 L. ROBERVAL et D. FASQUELLE, «
Modernisation de l'économie : le législateur semble reprendre la
suppression de l'interdiction des discriminations préconisée par
le rapport Hagelsteen dans le projet de loi sur la modernisation de
l'économie («Négociabilité des tarifs et des
conditions générales de vente») », Concurrences
2008, no 2, p. 125.
74 CA Paris, 18 sept 2013, no 12/03177.
36
écrites à raison de « la gravité des
atteintes qu'elles portent à l'équilibre des
contrats75. » La juridiction du second degré affirme
« que ces règles peuvent inspirer l'application de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce. » Nous voyons bien que
le juge judiciaire confirme la volonté du Conseil Constitutionnel en
assimilant le déséquilibre significatif du Code de la
consommation à celui du Code du commerce.
52. Nous pouvons observer que l'histoire des deux textes est
similaire. Avant que ne soit introduit le déséquilibre
significatif dans le Code de la consommation en 2001, seules les clauses
abusives conférant un avantage excessif à la partie ayant une
puissance économique étaient prohibées76. Le
législateur a suivi le même chemin en 2008 lors de l'introduction
du déséquilibre significatif dans le Code de commerce par la loi
LME. Auparavant, seules étaient proscrites les conditions commerciales
ou les obligations non justifiées77. Dans les deux textes,
nous sommes passés d'une interdiction des avantages excessifs et
injustifiés à celle du déséquilibre significatif.
Il appert que le législateur a introduit le concept de
déséquilibre significatif du droit de la consommation en droit de
la concurrence.
53. Le législateur a tendance à assimiler la
partie faible de la relation commerciale à un consommateur. À
propos du déséquilibre significatif, le professeur Catala
affirmait que « les deux mots clés étant les mêmes,
ils ne peuvent pas signifier le contraire à un code de
distance78. » L'une des parties à la relation
commerciale est considérée comme faible, car le verbe «
soumettre » présent à l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce fait ressortir l'état de
puissance d'une partie à l'égard de l'autre. C'est
également le cas du consommateur dans le contrat de consommation.
54. Peut-on accepter la présomption d'un
déséquilibre dans les relations commerciales ? Le
législateur a emprunté une règle du droit de la
consommation, où l'on sait que le déséquilibre entre les
parties est le principe et l'équilibre l'exception, pour régir
des relations commerciales. Pour autant, il semble qu'en matière de
droit commercial, le principe devrait être l'équilibre et le
déséquilibre l'exception dans la
75 C. conso., art. L. 132-1.
76 C. conso., art. L. 132-1, version en vigueur du 2
fév. 1995 au 25 août 2001.
77
C. com., anc. art. L. 442-6, I,
1°, abrogé par la LME.
78 P. CATALA, « Des contrats
déséquilibrés », in Mélanges F.-Ch.
JEANTET, LexisNexis, 2010, p. 88.
37
mesure où nous sommes en présence de deux
professionnels avisés79. Le législateur paraît
ainsi avoir créé un régime juridique traitant d'une
exception.
B. L'assimilation contestable
55. Le législateur assimile le partenaire commercial
considéré comme « faible » à un consommateur.
Cependant, si nous prenons le cas du fournisseur, souvent désigné
comme la partie faible, il a une connaissance parfaite du produit contrairement
au consommateur profane qui est dans une situation d'infériorité
justifiant une sorte d'« assistanat juridique80. » De
même, alors qu'en matière de droit de la consommation la partie
faible est toute désignée, dans le droit de la concurrence au
contraire, nous ne savons pas à l'avance laquelle des deux parties
à la relation commerciale est faible.
56. Notons par ailleurs que l'article L. 132-1 du Code de la
Consommation interdit uniquement les clauses
déséquilibrées, c'est-à-dire celles ayant «
pour objet ou pour effet de créer [...] un déséquilibre
significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
Quant au déséquilibre significatif du droit de la concurrence, il
s'apprécie au regard des « droits et obligations des parties »
à l'aide d'une appréciation globale du contrat. Nous verrons plus
tard que la jurisprudence semble apprécier le déséquilibre
significatif de l'article L. 442-6, I, 2° par le truchement
d'une analyse globale du contrat et en tenant compte du comportement des
parties.
57. Enfin, les termes « tenter » ou «
soumettre » utilisés dans l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce interdisant le déséquilibre significatif dans les
relations commerciales, laissent supposer que la disposition sanctionne un
comportement. Alors que l'interdiction de l'article L. 132-1 du Code de la
consommation dispose clairement que ce sont uniquement les « clauses
» qui seront analysées. Nous verrons plus tard que la jurisprudence
tend à prendre en compte le comportement des parties dans
l'évaluation du déséquilibre significatif dans les
relations commerciales81.
79 A.-C. MARTIN et D. FÉRRÉ, «
Propos introductifs », JSS, janv. 2014, p. 9.
80 M. BEHAR-TOUCHAIS, « La sanction du
déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels
», RDC, 1er janv. 2009, p. 202.
81 Cf. infra nos 117 s.
38
58. Ces différences expliquent sans
doute pourquoi la cour d'appel de Paris a établi que « si le juge
peut s'inspirer des solutions dégagées sur le fondement de
l'article L. 1321 du Code de la consommation pour interpréter les
dispositions de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, il ne peut
se contenter de raisonner par analogie, dès lors que le champ
d'application des deux textes est distinct, l'article L. 442-6
précité ayant vocation à s'appliquer dans les rapports
entre professionnels où les rapports de force sont différents de
ceux existants entre professionnels et consommateurs82. »
L'analogie totale ne saurait être de mise. La cour fait ici
sûrement allusion aux clauses visées par les articles R. 1321 et
suivants du Code de la consommation83. On commettrait donc une
erreur en assimilant trop vite les deux types de relations. De manière
générale, le consommateur n'est pas un professionnel, tandis que
le premier est « profane », le second est un « sachant
»84. Le déséquilibre significatif dans les
relations commerciales a été formellement interdit, mais sa mise
en application semble délicate puisque le législateur n'a pas
pris soin de définir cette notion.
82 CA Paris, 29 oct. 2014, no 13/11059.
83 Cf. supra n° 51.
84 V. MARX et A.-C. MARTIN, « Le
contrôle du déséquilibre significatif dans les relations
entre fournisseurs et distributeurs », Option finance, 12-16
janv. 2012, p. 28-29.
39
Section 2. Le déséquilibre significatif :
une notion ambiguë ?
59. Le législateur n'a pas défini le
déséquilibre significatif. Ce vide juridique fait place à
une confusion quant à la potée de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce (§1), voire
à de l'insécurité juridique (§2).
§1. Une notion large
60. Le législateur n'a pas indiqué les
personnes concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce. La seule chose dont nous sommes certains, c'est que l'auteur du
déséquilibre significatif doit être un « producteur,
commerçant, industriel ou personne immatriculée au
répertoire des métiers » et que la victime doit être
un « partenaire commercial ». La détermination de ce dernier
pose problème et fait place à un champ d'application ratione
personae trop large (A). Si le législateur n'a pas
indiqué précisément les personnes concernées par
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, il n'a pas
davantage défini la notion du déséquilibre significatif.
Par conséquent, le champ d'application ratione materiae de
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce demeure
indéterminé (B).
A. Un champ d'application ratione personae trop
large
61. Bien que la volonté initiale du législateur
fût de protéger le petit fournisseur contre le grand distributeur,
le texte finalement voté vise non seulement l'interdiction du
déséquilibre significatif dans la relation
fournisseur-distributeur, mais aussi un grand nombre de relations commerciales.
Tout opérateur économique est susceptible d'être poursuivi
puisque l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce s'adresse
à « tout producteur, commerçant, industriel ou personne
immatriculée au répertoire des métiers. »
Nombreux sont les arrêts où le juge s'essaye
à délimiter le champ d'application ratione personae de
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Dans un
arrêt de la
cour d'appel de Nancy85, le recours à
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est refusé
puisque le client n'avait pas été considéré comme
le partenaire commercial du cédant, cette qualité étant
nécessaire pour que l'article s'applique. En l'espèce, un contrat
de licence d'exploitation avait été conclu entre un client et le
cessionnaire. Le contrat prévoyait une clause d'exonération de
responsabilité du cessionnaire en cas d'anomalies de fonctionnement du
site internet. La juridiction du second degré estime que le client ne
pouvait pas invoquer l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce dans la mesure où il n'était pas le partenaire
commercial du cédant. Elle donne ici une condition essentielle quant
à la qualité du partenaire commercial qui doit être le
partenaire économique, c'est-à-dire « le professionnel avec
lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour
conduire une action quelconque, ce qui suppose une volonté commune et
réciproque d'effectuer des actes ensemble dans les activités de
par opposition à la notion plus étroite de cocontractant. ».
Le champ d'application ratione personae inclut donc tout partenaire
économique, du moment que la relation est durable.
Dans un autre arrêt, la cour d'appel de
Lyon86 indique que la qualité de partenaire commercial au
sens de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce «
suppose une certaine continuité ». En l'espèce, les parties
étaient liées par un des contrats prévoyant le financement
des équipements, mais ceux-ci n'étaient conclus que de
manière ponctuelle, ce qui interdisait la qualification de partenaire
commercial. Pour se prévaloir de l'application de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce, le partenaire commercial supposé
lésé doit avoir une relation commerciale durable et stable avec
l'auteur du déséquilibre significatif.
40
85 CA Nancy, 14 févr. 2013, n°
12/00378.
86 CA Lyon, 10 mai 2012, n°
10/08302.
41
B. Un champ d'application ratione materiae
indéterminé
62. Le champ d'application ratione materiae de
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, interdisant le
déséquilibre significatif, n'a pas été
défini par le législateur et ce, dans une quête
d'exhaustivité de situations pouvant être concernées par
l'interdiction (1). A son tour, la jurisprudence continue
à élargir ce champ d'application et l'absence de
définition de la notion de déséquilibre significatif
contribue à son élargissement (2).
1- Une quête d'exhaustivité
63. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce interdit le déséquilibre significatif entre partenaires
commerciaux, mais il n'indique pas précisément le type de
relation commerciale visé. Le législateur a recouru à des
termes larges afin d'obtenir un périmètre d'application
étendu. La Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) confirme cette
idée puisque d'après elle « c'est précisément
sa généralité qui en fait un instrument que l'on
espère efficace, puisqu'il permettra d'appréhender tout nouveau
comportement qu'une rédaction trop étroite n'aurait pas permis de
qualifier87. » Les pouvoirs publics choisissent des termes
vastes afin de faire rentrer le plus grand nombre de pratiques possibles dans
son champ d'application.
64. La cour d'appel de Douai signale que l'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce concerne les partenaires commerciaux
« sans instaurer la moindre réserve concernant la nature ou la
forme des relations commerciales88 ». Le champ d'application de
cet article est donc très vaste et, selon un auteur,
l'élargissement du champ d'application de l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce pourrait
conduire à un contrôle « sans limites » des contrats
entre professionnels89. Cet élargissement ne doit cependant
pas surprendre dans la mesure où le législateur souhaitait
encadrer les relations commerciales au sens large pour éviter les
abus.
87 DGCCRF, Questions-réponses sur « Les
relations industries/commerce », 28 nov. 2008.
88 CA Douai, 13 sept. 2012, no 12/02832.
89 M. CHAGNY, art. préc., I, 196.
65. 42
Lors de l'analyse du terme « partenaire commercial »
apparaissant à l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, la cour
d'appel de Versailles confirme que l'existence d'un contrat écrit entre
les parties n'est pas nécessaire90. Selon la cour, « le
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties doit s'apprécier dans la formation et l'exécution des
relations contractuelles entre les parties au contrat [...] peu [importe] qu'il
n'y ait pas de contrat écrit. » Cette décision vient
confirmer cette volonté de couvrir la plus grande variété
de pratiques commerciales, ainsi, tout échange de consentement,
transposé par écrit ou non, entrera dans le champ d'application
de l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Une
question reste en revanche en suspens : jusqu'où s'étend le champ
d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce?
Pour un auteur, cette extension est regrettable, car l'article n'a pas vocation
à être « l'exutoire de toutes les souffrances
économiques91. »
66. Nous savons que l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce a été principalement conçu pour
protéger les fournisseurs de la grande distribution, cependant les
juridictions ont rendu des décisions concernant d'autres types de
relations mais dans une moindre mesure.
À titre d'exemple, la cour d'appel de Paris a
supprimé du règlement intérieur d'un groupement
d'intérêt économique (GIE) formé par des radio, une
disposition qui prévoyait qu'en cas de sortie du GTE d'une radio
adhérente, elle devait continuer à figurer dans le GIE pendant la
période de préavis pour les résultats d'audience. En cas
de refus de cette contrainte, la radio sortante devait s'acquitter d'une
indemnité égale à 30 % de son chiffre d'affaires annuel de
publicité nationale92. Pour la Cour d'appel, le montant de
l'indemnité en cas de non-respect du règlement était
disproportionné et que, plus qu'une indemnité, « il
[s'agissait] d'un coût dissuasif » et qualifie la clause comme
créatrice d'un déséquilibre significatif. En
l'espèce, le juge accepta le déséquilibre significatif
alors que le requérant aurait pu se limiter à demander une
révision classique de cette clause pénale, comme le permet
l'article 1152 du Code civil. Cette décision montre une
volonté
90 CA Versailles, 27 oct. 2011, no
10/05259.
91 G. PARLÉANI, « Le devenir du
déséquilibre significatif », AJCA, 2014, p. 104.
92 CA Paris, 30 mai 2014, no 11/23178.
43
d'augmenter le nombre de situations pouvant être
concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.
2- Quel déséquilibre ?
67. Une des plus grandes difficultés de l'application
de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est la
définition du déséquilibre significatif. Elle ne fait
l'objet d'aucune définition légale. L'incertitude quant à
ses contours inquiète non seulement la doctrine, mais aussi des
élus. C'est le cas de Monsieur le député François
Brottes qui a demandé au gouvernement de définir clairement la
notion de déséquilibre significatif93. Le ministre
délégué de l'Économie sociale et solidaire et de la
consommation proposait alors de se référer aux avis de la CEPC et
de la DGCCRF, ou encore aux décisions de justice afin de
déterminer les situations pouvant être considérées
comme déséquilibrées. Il est pourtant essentiel d'avoir
une définition précise de cette notion pour déterminer
quelles situations elle est appelée à régir.
68. La seule définition du déséquilibre
significatif a été donnée par le juge. Cependant, elle n'a
pas été reprise par le législateur et rien ne nous
garantit qu'elle ne fera pas l'objet d'un revirement de jurisprudence. Selon la
cour d'appel de Paris94, il s'agit du « fait pour un
opérateur économique, d'imposer à un partenaire des
conditions commerciales telles que celui-ci ne reçoit qu'une
contrepartie dont la valeur est disproportionnée de manière
importante à ce qu'il donne. » Il convient de s'attarder sur cette
définition. Tout d'abord, la cour d'appel invoque le « fait
d'imposer » alors que l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce fait référence à « soumettre » ou
« tenter de soumettre ». La cour d'appel ne tient donc pas compte de
l'éventuelle « tentative » d'imposer un
déséquilibre significatif. Ensuite, la cour évoque
l'interdiction « d'imposer », cette interdiction nous fait penser
à certaines clauses « imposées » au salarié,
telles que les clauses de confidentialité. Si le salarié souhaite
être recruté, il doit accepter certaines clauses
impératives dans le contrat. Dans un contrat entre professionnels, cette
« imposition » est interdite. Nous ne sommes pas dans le même
type de relation. C'est pourquoi, il convient de rappeler les critiques qui ont
été faites à propos de l'assimilation du professionnel au
consommateur, les deux se trouvant dans une situation différente, c'est
aussi le cas du salarié. La cour d'appel fait
93 F. BROTTES, question écrite au ministre
délégué de l'Economie sociale et solidaire, no
29378.
94 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
44
également référence à
l'interdiction de « recevoir une contrepartie dont la valeur est
disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne.
» La cour d'appel ne tient pas compte ici du fait que la contrepartie de
l'autre partie n'est pas forcément de même nature95.
Comment savoir si une contrepartie est disproportionnée alors que chaque
obligation est différente ?
Les doutes quant à cette définition
donnée par la cour d'appel de Paris nous indiquent que cette
définition n'est pas réellement adaptée au dispositif
interdisant le déséquilibre significatif. Une définition
claire et précise devrait être donnée par le
législateur afin de faciliter l'application de cette disposition.
69. Il serait judicieux de s'interroger sur
cette volonté du législateur de ne pas donner de
définition exacte du déséquilibre significatif. Comme nous
l'avons vu, plusieurs modifications de l'article L. 442-6 du Code de commerce
se sont succédées avant d'arriver à son actuelle
formulation96. Malgré cela, le législateur ne parvient
pas à donner une définition claire du déséquilibre
significatif. La mise en oeuvre d'une notion « fourre-tout » ne
révèle-t-elle pas l'impuissance des pouvoirs publics à
protéger efficacement les professionnels d'éventuels abus ? Comme
le souligne Monsieur le Député François Brottes, est-il
utile d'avoir une telle marge d'incertitude pour une notion ayant un champ
d'application aussi large97 ? Enfin, l'imprécision de ce
texte explique sans doute son impopularité auprès des
justiciables. Un auteur le considère même comme « un outil
fourre-tout, une machine à chasser l'abus, une «bonne à tout
faire» du droit des pratiques restrictives98. »
95 M. CHAGNY, « Quel droit français et
européen de la distribution ? Approche prospective »,
RLDA, supplément au n° 83, juin 2013, p. 58.
96 Cf. supra n° 4.
97 F. BROTTES, question préc.
98 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première
sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre
professionnels : l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce
va-t-il devenir «une machine à hacher le droit» ? »,
RLC, 2010/23, p. 44.
45
§2. L'insécurité juridique de la
notion
70. L'absence de définition du
déséquilibre significatif, les termes employés par
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et ceux
donnés par les juridictions nous conduisent à nous poser la
question de l'insécurité juridique qu'ils entraînent. Par
exemple, le simple terme « soumettre » présent dans l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce nous laisse penser que la
relation est dès le départ déséquilibrée
puisque pour soumettre quelqu'un à quelque chose, il faut qu'un rapport
de force existe. N'oublions pas que c'est en partant de l'idée de
protéger le petit fournisseur face à la grande distribution que
le texte a été créé. Cependant, comme nous l'avons
vu, le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code
de commerce dépasse largement cette relation99. L'incertitude
est d'autant plus importante que les termes utilisés à l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce laissent envisager la
possibilité de sanctionner par l'interdiction du
déséquilibre significatif des situations prévues
d'être sanctionnées par d'autres dispositions législatives
(A). De même, l'incertitude du champ d'application de
l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce et de la
définition du déséquilibre significatif donnent un pouvoir
très important au juge mettant ainsi en péril la
sécurité juridique (B).
A. Une notion en englobant d'autres
71. Comme nous l'avons vu, il est difficile
d'appréhender avec exactitude les termes de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce, d'autant plus que les
interprétations qui en sont faites nous laissent envisager un
élargissement de sa portée, ce qui peut constituer une
insécurité juridique100. En effet, les dispositions de
cet article nous laissent supposer qu'il peut être utilisé pour
sanctionner des pratiques prévues par d'autres dispositions
législatives, tel que l'article L. 442-6, I, 4° du Code
de commerce (1). De même, si l'Avant-projet de
réforme du droit des obligations est adopté, l'interdiction du
déséquilibre significatif sera introduite à l'article 1169
du Code civil. L'articulation de cet article et de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce interdisant le
déséquilibre
99 Cf. supra no 61.
100 Cf. supra nos 70 s.
46
significatif dans les relations commerciales, devra être
faite avec attention afin d'éviter toute confusion
(2).
1- La confusion avec l'article L. 442-6, I, 4° du Code
de
commerce
72. C'est la CEPC qui, dans l'un de ses avis101,
va jeter un doute quant à la portée de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce. Elle y indique que l'article « a
vocation à appréhender toute situation, qu'elle comporte ou non
des pratiques décrites par un autre alinéa de l'article L. 442-6
du Code de commerce [et qu'elle] pourra être appréciée au
regard des effets de l'application de la convention sur les parties. »
Selon cet avis, l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce aurait
vocation à déborder son champ d'application naturel. Il viendrait
en quelque sorte suppléer l'ensemble des dispositions de l'article L.
442-6 du Code de commerce en jouant le rôle de clausula
generalis. Pourtant, cette affirmation ne laisse pas de surprendre, car si
toutes les dispositions de l'article L. 446-2 du Code de commerce avaient
vocation à être sanctionnées par l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce, alors pourquoi celui-ci ne figure-t-il
pas à la fin de l'article102 ? Par ailleurs, quel serait
l'intérêt d'introduire toute une liste de pratiques restrictives
de concurrence à l'article L.442-6 du Code de commerce pour dire que
finalement elles peuvent se voir sanctionner par un seul de ses alinéas
? L'avis de la CEPC crée la confusion et remet même en cause la
volonté du législateur.
73. Il est certain que les dispositions de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce ressemblent à celles de
l'article L. 442-6, I, 4° du même code. Ce dernier
prévoit l'interdiction « d'obtenir ou tenter d'obtenir d'un
partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun
service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné
au regard de la valeur du service rendu. » Si nous reprenons la
définition du déséquilibre significatif donnée par
la cour d'appel103, « le fait pour un opérateur
économique, d'imposer à un partenaire des conditions commerciales
telles que celui-ci ne reçoit qu'une contrepartie dont la valeur est
disproportionnée de manière importante à ce qu'il donne
», alors celui-ci pourrait parfaitement appréhender
101 CEPC, avis au 22 déc. 2008.
102 E. GICQUIAUD, art. Préc., p. 267.
103 CA Paris, 23 mai 2013, n° 12/01166.
47
l'interdiction de l'alinéa 4°. «
L'obtention d'avantage quelconque ne correspondant à aucun service
commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné »
peut-être prohibée avec « le fait d'avoir une contrepartie
dont la valeur est disproportionnée. » Nous sommes pratiquement
face à un doublon. Il y a au moins une cohérence entre les
articles, puisque les deux sanctionnent un avantage ou une contrepartie «
manifestement disproportionnée. » Chacun des deux articles peut
être vu comme une sorte de règle spéciale visée
à l'alinéa 2° et une règle spéciale
à l'alinéa 4°. Le premier sanctionnant le
déséquilibre significatif en général et le second
plutôt chaque clause. Toutefois, cette similitude qui revient à
sanctionner une même situation juridique est source de confusion ainsi
que d'insécurité juridique. Lorsqu'un comportement entre dans le
champ d'application de ces articles, une difficulté de qualification
sera posée. Un conflit de norme sans solution se présente
alors.
Ces « doublons » sont le signe que le
législateur doit procéder à un « toilettage » de
l'article L. 442-6 du Code de commerce. Pour le Professeur Didier
Ferrier104, la loi Hamon105 aurait été
l'occasion de prendre en compte les rapports annuels de la CEPC pour
éliminer « certaines redondances. »
2- La confusion avec le droit commun
74. L'Avant-projet de réforme du droit
des obligations envisage l'introduction d'un article 1169 du Code civil
permettant au juge de supprimer une clause « qui crée un
déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des
parties. » Nous sommes face à la même interdiction que celle
prévue à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce. Devant ce doublon et dans l'hypothèse où l'Avant-projet
serait adopté, comment ces deux articles vont-ils s'articuler ? Comme
nous l'avons vu précédemment, la qualité de partenaire
commercial visée à l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce est conditionnée à une catégorie
particulière de relations impliquant une « volonté commune
et réciproque d'effectuer des actes ensemble106 ».
Ainsi, specialia generalibus derogant, l'application de
l'éventuel article 1169 du Code civil serait exclue des contrats
conclus
104 D. FERRIER, « Le paradoxe de la nouvelle
réforme des relations commerciales entre professionnels : ni
nécessaire, ni suffisante », JSS, janv. 2014, p. 3.
105 L. n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative
à la consommation, JORF, n°0065 du 18 mars
2014.
106 CA Nancy, 14 fév. 2013, n°
12/00378.
48
entre partenaires commerciaux107. Mais la
distinction ne sera pourtant pas aisée puisque comme nous l'avons
vu108, le champ d'application ratione personae de l'article
L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce demeure
indéfini, et « un examen concret de la relation et de l'objet du
contrat »109 en chaque espèce sera nécessaire.
L'article à adopter, soit l'éventuel article 1169 du Code civil
ou l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce se fera en
fonction de la situation. Si le projet d'ordonnance portant réforme du
droit des contrats est adopté, la question de l'articulation de ces deux
articles devra se poser.
B. Un pouvoir trop important donné au juge
75. En l'absence d'une définition du
déséquilibre significatif, le législateur confie
implicitement au juge la mission d'interprétation et de clarification
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce. Pour pouvoir trancher les
litiges portés devant lui, le juge devra se livrer à une
interprétation qui peut s'avérer subjective. C'est l'article 4 du
Code civil qui « justifie » l'interprétation des textes faite
par le juge en cas de « silence, obscurité ou insuffisance de la
loi. » Le juge refusant de trancher un litige commettrait sinon un
déni de justice. Ce large pouvoir du juge risque de porter atteinte
à la sécurité juridique. Quoi qu'il en soit, il existera
toujours un garde-fou puisque l'article 12 du Code de procédure civile
obligeant le juge à « trancher le litige conformément aux
règles de droit qui lui sont applicables ».
76. Une des craintes exprimées est de voir le juge
recourir à l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce
chaque fois qu'il ne trouve pas un texte plus adéquat sur lequel se
fonder. Cet article deviendrait alors « une bonne à tout
faire110. » Néanmoins, il faut prendre du recul quant
à cette possibilité. En effet, les conditions d'application du
texte sont indiquées dans les avis rendus par la CEPC et la DGCCRF. Le
texte ne peut donc pas
107 SIMON ASSOCIÉS, « Le
déséquilibre significatif, entre droit spécial de la
concurrence et droit commun », Lettres des réseaux,
mars-avr. 2015, p. 8.
108 Cf. supra n° 61.
109 CEPC, avis no 15-01 du 23 févr. 2015.
110 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 44.
49
s'appliquer à n'importe quelle situation, quand bien
même son champ d'application paraît large.
77. De plus, n'oublions pas que les décisions de
justice peuvent faire l'objet de recours et que l'application de la
règle de droit sera examinée avec attention par chaque
juridiction. Il est donc peu probable que le juge abuse de l'utilisation de cet
article. Cette peur d'un pouvoir trop important donné au juge n'est pas
une crainte nouvelle. Elle sera dissipée au fil du temps, surtout si une
définition plus spécifique du déséquilibre
significatif vient à voir le jour.
78. Nous avons vu la naissance et les raisons de la
volonté de protection de l'équilibre dans les relations
commerciales. En droit français, cette volonté s'est traduite par
la mise en place d'un outil d'interdiction du déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Mais pour que le
dispositif soit efficace, il doit pouvoir être mis en pratique
correctement.
50
TITRE II. MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION
79. L'interdiction du
déséquilibre s'avère d'application délicate du fait
de la difficulté de l'évaluer (Chapitre 1). Le
législateur n'a pas indiqué la façon de l'évaluer.
Une fois le déséquilibre significatif identifié, des
sanctions - parfois très lourdes - sont mises en place afin de dissuader
les acteurs économiques d'y recourir (Chapitre 2).
51
CHAPITRE I. LA DÉLICATE ÉVALUATION DU
DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
80. L'évaluation du déséquilibre
significatif est une tâche d'autant plus délicate que le
législateur n'a indiqué aucun cadre de référence
pour l'apprécier, pas plus que les situations pouvant être
considérées comme objectivement
déséquilibrées (Section 1). Aussi, aucun
consensus n'a été encore trouvé quant à la
méthode d'appréciation du déséquilibre
(Section 2).
Section 1. Incertitude des
référentiels
81. Il existe une incertitude quant au cadre de
référence à prendre en compte lors de l'évaluation
du déséquilibre significatif (§1). La
difficulté consiste à identifier les situations propices à
un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Elles peuvent être très diverses et la liste ne cesse de
s'agrandir (§2).
§1. La référence pour apprécier
le déséquilibre significatif
82. À défaut de définition, un cadre de
référence permettant d'apprécier le
déséquilibre significatif serait la bienvenue. Les conditions
générales de vente (CGV) - écrit permettant de
démarrer les relations commerciales et considérées depuis
la loi Hamon comme le « socle unique de la négociation commerciale
» - pourraient constituer un bon élément
d'appréciation du déséquilibre (A).
Toutefois, le document contractuel concrétisant la relation commerciale
semblerait plus adéquat pour être utilisé comme cadre de
référence pour déceler le déséquilibre
significatif (B).
52
A. Le rôle des Conditions générales
de vente
83. En tant que« socle unique de la négociation
commerciale », les CGV pourraient constituer le cadre de
référence d'appréciation du déséquilibre
significatif (1). Cependant, les CGV peuvent se
révéler insuffisantes dans l'appréciation du
déséquilibre significatif dans les relations commerciales
puisqu'elles n'illustrent pas forcément la réalité de la
situation contractuelle (2).
1- L'appréciation du déséquilibre
significatif par les CGV
84. Depuis la loi Hamon, l'article L. 441-6 du Code de
commerce dispose que les CGV « constituent le socle unique de la
négociation commerciale ». La volonté de donner une place
aussi importante aux CGV était déjà en germe dans la loi
LME si l'on considère que leur dénonciation ne pouvait pas
advenir avant que la négociation fût engagée111.
Autrement dit, les CGV formalisent le début des relations
commerciales.
85. Ce document doit être élaboré par
« tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur
» et concerne l'ensemble des relations avec un « acheteur de produits
ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une
activité professionnelle. »112 S'il n'est pas le seul
élément de négociation commerciale, il en est un
élément prépondérant. L'article L. 441-6 du Code de
commerce indique que le contenu minimum obligatoire de ces conditions inclut
les conditions de vente, le barème des prix unitaires, les
réductions de prix et les conditions de règlement. Ces
informations vont permettre d'apprécier les conditions dans lesquelles
va se dérouler la relation commerciale. Juridiquement, il s'agit d'une
offre précise et ferme adressée à l'ensemble ou à
une catégorie particulière des clients du vendeur.
86. Les CGV constituent un document de
référence utile pour appréhender les exigences
formulées par l'un des cocontractants et susceptibles d'entrer dans le
champ
111 CEPC avis no 08-06 du 19 déc. 2008 :
« Le fait pour un distributeur de vouloir dénoncer les conditions
générales de vente d'un fournisseur avant même que
s'engagent les négociations n'est donc pas conforme à l'esprit de
la loi. »
112 Art. L. 441-7 du Code de commerce.
53
d'application de l'article L. 442-6, I, 2°113.
C'est à l'aune de cet instrument de négociation que le juge
évalue l'éventuel déséquilibre significatif
imposé par l'une des parties à son partenaire commercial. Selon
le tribunal de Commerce de Bobigny, l'appréciation du
déséquilibre significatif se fait au regard « des
circonstances qui ont entouré les négociations les ayant
précédés et, le cas échéant, de celles
prévalant au moment de leur mise en oeuvre114. » Nous
pouvons raisonnablement penser que le juge fait ici référence aux
CGV en évoquant la période de négociation.
2- L'insuffisance des CGV dans l'appréciation du
déséquilibre significatif
87. L'exclusion des CGV est constitutive d'un
déséquilibre significatif. En effet, si ce document constitue le
socle unique de la relation commerciale, les acheteurs ne peuvent
l'écarter en imposant leurs conditions générales d'achat
(CGA). La clause excluant l'application des CGV au profit des CGA constitue un
déséquilibre significatif115.
88. Si les CGV sont un élément utile pour
déceler le déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties, elles ne peuvent pas pour autant prétendre
endosser exclusivement ce rôle. Le fait qu'elles soient le « socle
unique de la relation commerciale » n'interdit pas en effet qu'elles
fassent l'objet de négociations. Une note d'information de la DGCCRF
indique, d'une part, que les CGA peuvent être prises en compte dans le
cadre de la négociation et, d'autre part, que les CGV ne peuvent pas
être imposées unilatéralement par le vendeur à son
client116. Le déséquilibre significatif peut donc
advenir quand les CGA suppléent les CGV ou encore, lorsque ces
dernières sont unilatéralement imposées par le vendeur.
89. L'article L. 442-6,I,4° du Code de
commerce sanctionne le fait « d'obtenir ou tenter d'obtenir sous la menace
d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des
conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de
paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des
obligations d'achat et
113 Ibid.
114
trib. com. Bobigny, 13 juill. 2010,
no 2010/F00541.
115 CEPC, Rapport annuel d'activité, 2009-2010, p. 159.
116 DGCCRF, note d'information no 2014-149 du 6
août 2014, p. 12.
54
de vente. » Ce texte sanctionne indirectement le
déséquilibre significatif puisque c'est le caractère
disproportionné de la demande qui est interdit. Toutefois, l'application
de ce texte pose problème tant la preuve de la menace paraît
difficile à rapporter. Les acheteurs peuvent alors prononcer des menaces
de rupture de la relation commerciale afin d'imposer leurs CGA sur les prix,
les délais de paiement, les modalités de vente ou les services,
sans être sanctionnés. Ces menaces peuvent impunément
aboutir au remplacement des CGV par les CGA alors même que cette
situation relève d'un déséquilibre significatif. Du fait
de la difficulté d'apporter la preuve d'un déséquilibre et
de leur dépendance à l'égard de l'acheteur, les vendeurs
devront se plier à leurs conditions pour espérer vendre leurs
produits. Dans ce cas, les CGV ne forment plus le « socle unique de la
négociation » puisque les CGA les remplacent.
Cette situation ne concerne pas uniquement les « petits
» vendeurs. À titre d'exemple, citons un conflit entre Carrefour et
Danone. Le 5 mars 2014, la direction de Carrefour communique à ses
clients que les produits Danone ne seront plus disponibles dans les rayons
à cause des conditions de vente injustifiées117. Cette
annonce fait changer d'avis Danone en quelques heures, les CGA de Carrefour se
sont substituées indirectement aux conditions de vente de Danone avant
même de concrétiser un accord écrit. Cette situation entre
dans le champ d'application du déséquilibre significatif puisque
le vendeur n'arrive pas à faire valoir ses CGV sous la pression de
l'acheteur. Carrefour est parvenu à imposer ses CGA parce qu'il
s'agissait d'un partenaire important pour Danone. Les enseignes de la grande
distribution ont un pouvoir de nature monopolistique en France. Inversement,
s'il s'était agi d'un partenaire moins important, Danone aurait sans
doute imposé ses CGV. En cas de refus de la part de l'acheteur, le
vendeur aurait pu le menacer de rupture de la relation, ce qui aurait pu
créer un déséquilibre dont la preuve est difficile
à apporter.
90. En conclusion, l'évaluation du
déséquilibre significatif demeure délicate à partir
des seules CGV. La situation en amont de la création des CGV peut
occulter le fait que nous sommes face à une situation de
déséquilibre significatif. L'évaluation du
déséquilibre significatif se fera principalement dans la
concrétisation de la relation commerciale.
117 Le Parisien, « Danone, Ricard et les autres... »,
leparisien.fr, 9
mai 2014, rubrique : actualité.
55
B. L'appréciation du déséquilibre
significatif dans la concrétisation de la relation commerciale
91. Le contrat conclu entre les parties va être pris
comme référence par les juges afin d'évaluer si nous
sommes en présence d'un déséquilibre significatif. Le
contrat considéré peut être aussi bien écrit
qu'oral118. Il concrétise la volonté des parties et le
résultat de leurs négociations.
92. Dans la relation fournisseur-distributeur ou prestataire
de services, un document particulier doit être rédigé en
vertu de l'article L. 441-7 du Code de commerce. Ce dernier prévoit
l'obligation pour ces professionnels d'établir « une convention
écrite [...] [indiquant] les obligations auxquelles se sont
engagées les parties. » Cette convention récapitulative fixe
« les conditions de l'opération de la vente, les services de
coopération commerciale et les autres obligations destinées
à favoriser la relation commerciale. » On peut donc y retrouver des
obligations relevant du champ d'application du déséquilibre
significatif.
L'article L. 441-7 du Code de commerce indique que les
dispositions de la convention récapitulative ne doivent pas être
contraires à l'article L. 441-6 du Code de commerce relatif aux CGV, ni
à l'article L. 442-6 du même code comprenant l'interdiction du
déséquilibre significatif. La référence explicite
à l'article L. 442-6 dans celui relatif à la convention
récapitulative souligne la volonté du législateur de
rappeler que les obligations auxquelles s'engagent les parties dans la
convention récapitulative ne doivent pas créer un
déséquilibre significatif119. La convention
récapitulative permet donc au juge d'apprécier le
déséquilibre dans les droits et obligations des
parties120.
93. Le rédacteur de la convention
récapitulative devra prendre des précautions pour que ses
dispositions n'apparaissent pas comme déséquilibrées. Par
conséquent, toute disposition litigieuse doit être
justifiée. De plus, la partie forte ne peut échapper au
contrôle judiciaire du déséquilibre significatif par la
stipulation d'une clause aux termes
118 Cf. supra no 65.
119 Assemblée nationale, Étude d'impact sur le
projet de loi relatif à la consommation, 30 avr. 2013.
120 P. OLLIER et J. GAUBERT, Rapport d'information
présenté par la commission des affaires économiques sur la
mise en application de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008
de modernisation de l'économie, no 2312, p. 51.
56
de laquelle les parties affirmeraient que le contrat n'est pas
déséquilibré121. À présent que
nous savons quels sont les supports d'appréciation du
déséquilibre significatif, il convient de s'intéresser aux
situations concrètes constitutives d'un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties.
§2. Une liste de situations infinie
94. À défaut de définition du
déséquilibre significatif, les avis donnés par certaines
institutions administratives (A) et les décisions
judiciaires (B) permettent d'établir une liste de
situations créatrices d'un déséquilibre significatif dans
les droits et obligations des parties.
A. Les avis d'autorités administratives
95. Les avis rendus par la CEPC vont permettre aux
professionnels d'avoir une idée des situations pouvant créer un
déséquilibre significatif (1). La DGCCRF y
contribue aussi en fournissant des exemples de ce type de situations
(2).
1- Les avis de la Commission d'examen de pratiques
commerciales (CEPC)
96. Rappelons-nous que dans la décision du Conseil
Constitutionnel122, l'un des arguments pour consacrer le
caractère constitutionnel de l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce était la possibilité de saisir la CEPC pour
avis sur les pratiques susceptibles de constituer un déséquilibre
significatif. C'est notamment à l'aide des avis de cet organisme qu'une
liste de clauses interdites a pu être constituée. Il est toutefois
regrettable que le législateur n'ait pas prévu une liste
précise des clauses pouvant être considérées comme
créatrices d'un déséquilibre significatif dans les droits
et les obligations des
121 DGCCRF, « Le Tribunal de commerce sanctionne une
clause du contrat type de l'enseigne E. Leclerc », 22 juill. 2014.
122 DC. n° 2010-85 du 13 janv. 2011.
57
parties comme il a pu le faire par ailleurs pour le
déséquilibre significatif du droit de la consommation aux
articles R. 132-1 et suivants du Code de la consommation.
Comme nous avons vu123, la volonté initiale
du législateur était d'étendre le champ d'application de
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce au plus grand
nombre de situations possibles afin de ne laisser passer aucun abus. C'est sans
doute cette raison qui l'a conduit à ne pas établir une liste
exhaustive répertoriant les situations pouvant être
considérées comme déséquilibrées. Ce sont
donc les avis de la CEPC qui prennent le relai et permettent aux professionnels
d'avoir une idée plus précise des situations
déséquilibrées.
97. Avant de se questionner sur les avis donnés par la
CEPC, il serait judicieux de connaître son rôle et son
fonctionnement. Ils pourraient nous éclairer sur la façon dont
elle procède pour donner ses avis. Cette commission a été
créée en 2001 par la loi NRE. Il s'agit d'une instance
consultative chargée de veiller à l'équilibre des
relations entre producteurs, fournisseurs et revendeurs au regard de la
législation en vigueur. Sa mission confirme que la volonté
d'origine était bien de protéger les relations
fournisseur-distributeur. Bien que la relation fournisseur-distributeur soit au
centre du dispositif, la commission a également pour mission de donner
des avis ou formuler des recommandations sur un spectre de relations
commerciales plus larges, c'est-à-dire sur des documents commerciaux ou
publicitaires et les pratiques concernant les relations entre producteurs,
fournisseurs et revendeurs qui lui sont soumis ainsi que toutes pratiques
susceptibles d'être regardées comme abusives dans la relation
commerciale. La CEPC émet aussi des recommandations d'ordre plus
général concernant le développement de bonnes pratiques.
Enfin, elle établit chaque année un rapport d'activité
qu'elle transmet au Gouvernement et aux assemblées parlementaires. Ce
rapport est rendu public.
98. La CEPC peut être saisie par l'ensemble des
entreprises, des ministres chargés du commerce, de la consommation, le
ministre chargé du secteur économique concerné, le
président de l'Autorité de la concurrence, n'importe quelle
organisation professionnelle ou syndicale, les associations de consommateurs
agrées, les chambres de commerce, des
123 Cf. supra nos 63 s.
58
métiers ou d'agriculture. Par ailleurs, la commission
peut se saisir elle-même et demander la réalisation d'une
enquête par les agents de la DGCCRF.
99. La commission se compose d'un nombre égal de
représentants de producteurs, de revendeurs, de parlementaires, de
magistrats, de fonctionnaires et de personnalités qualifiées. Le
président est désigné parmi ses membres par décret.
Lorsqu'il n'est pas membre d'une juridiction, un vice-président
appartenant à une juridiction administrative ou judiciaire est
désigné à ses côtés dans les mêmes
conditions.
100. À ce jour, la CEPC a rendu 29 avis traitant le
déséquilibre significatif124. À titre
d'exemple, nous pouvons citer l'avis du 10 mars 2010 où la CEPC a
considéré que le refus catégorique de
pénalités à raison d'une inexécution contractuelle
pouvait s'analyser comme une tentative de soumettre un partenaire commercial
à des obligations créant un déséquilibre dans les
droits et obligations des parties125. Pour parvenir à cette
décision, la CEPC établit que l'article L. 442-6 du Code de
commerce s'inscrit dans le principe de liberté contractuelle
prévu par l'article 1134 du Code civil. Toutefois, ce principe
connaît une exception lorsque cette liberté conduit à un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. La commission explique que les CGV constituent le socle de la
négociation commerciale, donc qu'elles peuvent être
négociées. L'impossibilité de négociation constitue
un déséquilibre significatif et celle-ci doit se faire de bonne
foi (principe parmi d'autres à l'origine de l'interdiction du
déséquilibre significatif126). Celui qui refuserait de
négocier les CGV crée un déséquilibre significatif
dans les droits et obligations des parties, puisque l'une d'elles impose ses
CGV à l'autre alors que l'objectif de ce document est
précisément d'offrir une plateforme transparente de
négociation devant aboutir à une relation
équilibrée.
124 CEPC, avis no 06-01, no 08-06,
no 09-05, no 09-06, no 09-07, no
09-09, no 09-12, no 09-13, no 10-04, no
10-06, no 10-09, no 10-13, no
10-15, no 11-06, no 11-07, no 11-06,
no 11-10, no 12-01, no 12-02, no
12-07, no 13-10, no 14-01, avis no 14-02,
no 14-06, no 14-07, no 15-02, no
15-03, no 15-04.
125 CEPC, avis no 10-06 du 10 mars 2010.
126 Cf. supra no 27.
59
2- La position de la DGCCRF
101. La DGCCRF, comme la CEPC, se reconnaît
compétente pour identifier les situations susceptibles d'entrer dans le
champ d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce. Elle indique qu'« en tout état de cause, nous
considérons qu'il nous sera possible de mettre en oeuvre cette notion
microéconomique et que les juges pourront sanctionner le
déséquilibre significatif127. » Dans ses rapports
d'information, la DGCCRF fournit de nombreux exemples de situations où
elle estime avoir décelé un déséquilibre
significatif. On y retrouve des clauses imposant au fournisseur des
pénalités excessives, systématiques et
unilatérales, des clauses de retour des produits dégradés
par la clientèle, d'autres imposant des modalités de
règlement abusives et non réciproques, des clauses
prévoyant des modalités asymétriques de révisions
des tarifs, le tout au bénéfice du distributeur, etc.
Si la DGCCRF peut désigner les situations
déséquilibrées, elle n'a pas de pouvoir de sanction en la
matière de déséquilibre et le juge n'est pas lié
par ses interprétations. Toutefois, ces dernières peuvent
être à l'origine d'assignations en justice initiées par le
ministre de l'Économie, nous y reviendrons128.
102. La liste des situations visées par la CEPC et la
DGCCRF est longue et continuera sans doute à s'agrandir en
réduisant chaque fois un peu plus la marge de manoeuvre des partenaires
commerciaux. À défaut de définition du
déséquilibre significatif, ces institutions cernent les
situations concernées par l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce. Ces situations sont très variées et il semble
utopique d'arriver à établir une liste exhaustive. Les avis de
ces deux autorités administratives indépendantes sont pris en
compte par les professionnels pour éviter de rentrer dans le champ
d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce.
Toutefois, une contradiction persiste dans l'attribution des rôles. La
DGCCRF donne des avis alors même qu'elle dépend du
ministère de l'Économie qui, par le truchement de l'article L.
442-6, III du Code de commerce, peut introduire une action en justice pour
violation des dispositions de l'article
L. 442-6 du Code de commerce où figure l'interdiction du
déséquilibre significatif. C'est
127 F. AMAND, au nom de la DGCCRF, Compte rendu Commission des
affaires économiques, 8 juil. 2009, p. 16.
128 Cf. infra nos 127 s.
60
d'ailleurs la DGCCRF qui introduit les actions en justice au
nom du ministère de l'Économie. La porosité des
frontières révèle une situation de conflit
d'intérêts. Les professionnels et le juge vont se
référer à des avis donnés par une institution
à l'origine des assignations.
B. Les décisions judiciaires
103. La CEPC et la DGCCRF ne sont pas les seules institutions
contribuant à la création d'une liste des situations
déséquilibrées. Par ses décisions, le juge va
également établir indirectement une liste des situations de
déséquilibre significatif. Nous ne pourrons pas étudier
ici l'ensemble des décisions rendu sur le fondement de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce. Nous choisirons seulement quelques
exemples pour essayer de comprendre le raisonnement des juges lorsqu'ils
déclarent qu'une situation est porteuse d'un déséquilibre
significatif.
104. Il est indispensable d'évoquer une des plus
grandes affaires traitées au nom de l'interdiction du
déséquilibre significatif, notamment les assignations «
Novelli », nom du Secrétaire d'État aux PME (petites et
moyennes entreprises). Neuf enseignes furent assignées : Carrefour,
Castorama, Casino, Darty, Provera, Eurauchan, Galec, Intermarché et
Système U. L'ensemble de ces assignations a fait l'objet d'une
décision en première instance, dont certaines ont
été portées en appel puis en cassation. Le tableau suivant
nous indique les clauses litigieuses considérées comme
constitutives d'un déséquilibre significatif129. Nous
choisirons ensuite quelques-unes de ces clauses afin de comprendre pourquoi
elles ont été déclarées comme créant un
déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des
parties.
129 Mise à jour et modification personnelle des
tableaux de N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations
fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, 2014, p.
52-53.
61
Enseigne
|
Décisions de justice
|
Clauses créant un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations
des parties
|
Eurauchan
|
-trib. com. Lille, 7 sept. 2011,
no 2009/05105. -CA Paris 11 sept. 2013, no 11/17941.
-Cour de cassation, com, 3 mars 2015, no 13-27-
525.
|
-Clause type prévoyant un taux de service minimum
donnant lieu à l'application de pénalités
dispropor-tionnées.
-Clause relative à la révision des prix du
fournisseur négociés con-tractuellement.
|
Provera
|
-trib. com. Meaux, 6 déc. 2011,
no 2009/02295. -CA Paris, 20 nov. 2013, no 12/04791.
-Cour de cassation, com. 3 mars 2015, no 14-10-
907.
|
-Clause prévoyant la possibilité pour le
distributeur de résilier le contrat en cas de « contre-perfor-mance
» du produit.
-Clause prévoyant un paiement sans contrepartie.
|
Castorama
|
-trib. com. Lille, 6 janv. 2010,
no 2009/05184.
|
-Clause sur le paiement d'acomptes mensuels sans pouvoir
modifier les montants en fonction du chiffre d'affaire atteint.
|
Galec
|
-trib.com. Créteil, 13 déc.
2011, no 2009/F01018. -CA Paris, 18 déc. 2013, no
12/00150.
|
-Clause visant à exclure les CGV du fournisseur.
-Clause imposant de payer en
avance les prestations pour le fournisseur alors que le
délai est plus long pour le distributeur.
-Clauses pénales, puisqu'aucune pénalité
n'était prévue à la charge du distributeur en cas de
manquement à ses obligations.
-Clause relative au retour des produits dégradés
par la clientèle.
|
Darty
|
-trib.com. Bobigny, 29 mai 2012, no
2009/F01541.
|
-Clause prévoyant, en cas de baisse du tarif d'un
produit, l'établisse-ment par le fournisseur d'un avoir au profit du
distributeur correspondant à l'écart entre le
précédent prix
et le nouveau multiplié par le nombre de produits en
stock chez le distributeur.
-Clause permettant d'établir un
avoir sur des produits devenus obsolètes au
bénéfice du distributeur.
|
Carrefour
|
-trib. com. d'Evry, 26 juin 2013,
no 2009/F00729. -CA Paris 1er oct. 2014, no
13/16336.
|
-Clause autorisant l'annulation de la commande et le refus de
la livraison sans payer si la livraison est effectuée après la
date et l'heure convenues entre les parties.
-Clause prévoyant la négociation entre les
parties sur les pénalités dues par Carrefour.
|
62
|
|
-Clause imposant le paiement des services des
coopérations commerciales dans un délai plus court pour les
fournisseurs par rapport au distributeur.
|
Casino
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-trib. com. Meaux, 24 janv. 2012,
n°2009 /02296. -CA Paris, 4 juill. 2013, no
12/07651.
|
-Clause prévoyant le retour des invendus.
-Clause relative aux changements de tarifs uniquement au profit
du distributeur.
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Système U
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-trib.com. Créteil, 13 déc.
2011, no 2009/F01017.
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Action irrecevable
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Intermarché
|
-trib. com. d'Évry, 6 févr.
2013, no 2009/F00727.
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Action rejetée
|
105. Clause relative au retour des produits
dégradés par la clientèle (CA Paris, 18 déc. 2013,
no 12/00150). La clause incriminée disposait «
dans le cas où le fournisseur proposerait des produits contenant par
exemple des primes ou des offres promotionnelles détachables ou
découpables, il garantit au Galec, aux centrales et aux magasins, qu'il
s'est assuré que le mécanisme les assemblant n'entraînera
pas la destruction par le consommateur de l'emballage et/ou du produit dans les
points de vente. Si tel n'est pas le cas, les frais et coûts liés
à la reprise ou à la destruction de ces produits seront à
la charge du fournisseur. » Ici, le distributeur transférait sur le
fournisseur le risque d'une éventuelle détérioration par
les clients des produits faisant l'objet de prime ou d'offres promotionnelles.
La cour estime que cette clause conduit à un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties puisque pesait sur le
fournisseur une obligation de résultat alors qu'il ne maîtrisait
pas totalement les moyens pour l'exécuter correctement, notamment le
choix de l'emplacement, la mise en rayon du produit ainsi que la surveillance
de la clientèle. De plus, dans cet arrêt, la Cour estime que
« Galec ne [démontrait] pas que ce déséquilibre
aurait été compensé par une obligation ou une contrepartie
pécuniaire. » Nous voyons là l'importance de la contrepartie
lors de l'appréciation du déséquilibre significatif. Si le
défendeur parvient à démontrer que l'exigence de son
cocontractant était compensée par d'autres droits, alors le
déséquilibre ne sera pas caractérisé.
63
106. Clause de retour d'invendus (CA Paris, 4 juill.
2013, no 12/07651). Selon la clause litigieuse, « le
fournisseur [s'engageait] expressément à reprendre, dans son
intégralité, le stock des produits invendus en fin d'exercice
et/ou de période de commercialisation saisonnière. » Cette
stipulation crée un déséquilibre significatif puisque
l'obligation de reprise était dénuée de contrepartie. De
plus, le fournisseur devait payer le coût de la reprise. Comme dans la
décision antérieure, la contrepartie joue ici un rôle
important de justification. En l'espèce, son absence conduit à la
caractérisation du déséquilibre significatif.
Section 2. Incertitude des techniques
107. Faute d'indication législative sur la
façon dont le déséquilibre significatif doit être
apprécié, un doute persiste quant à sa méthode
d'appréciation. Doit-on procéder à une analyse clause par
clause ou in globo ? (§1) L'incertitude persiste
quant à la prise en compte de l'équilibre économique pour
caractériser le déséquilibre significatif
(§2).
§1 Appréciation clause par clause ou in globo
?
108. Le rapprochement du déséquilibre
significatif du droit de la consommation avec celui du droit de la concurrence
laisse envisager une appréciation prenant en compte les clauses
individuellement (A). Néanmoins, d'autres
éléments induisent une interprétation in globo
(B).
A. L'analyse clause par clause à l'image du
droit de la consommation
109. L'article L. 132-1 du Code de la consommation relatif
à l'interdiction du significatif en droit de la consommation, indique
expressément qu'une clause peut créer un
déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des
parties au contrat. L'alinéa 2 de cet article prévoit qu'un
décret détermine la liste des clauses abusives et, en cas de
déséquilibre significatif relevé par le juge, c'est
uniquement la clause qui sera
64
annulée ou réputée non écrite.
Sollicité à propos de l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce, le Conseil Constitutionnel130 a fait une
analogie du déséquilibre significatif du droit de la consommation
avec celui du droit de la concurrence, ce qui laisse penser que la
méthode d'appréciation est identique : la clause doit être
analysée indépendamment du contrat qui la contient.
110. L'inventaire fait par la CEPC et la DGCCRF tend à
démontrer que c'est cette méthode qui doit être
utilisée pour évaluer le déséquilibre significatif.
Aucune de ces autorités ne fait mention du contrat
considéré dans sa globalité, mais seulement aux situations
précises entrant dans le champ d'application de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce.
111. Par ailleurs, les termes employés dans les autres
alinéas de l'article L. 442-6 du Code de commerce laissent entendre
qu'il s'agit bien d'une clause prise individuellement qui est
sanctionnée. Par exemple, l'article L. 442-6, I, 1°
sanctionne le fait d'obtenir « un avantage [...] manifestement
disproportionné au regard de la valeur du service rendu » où
ici le mot « avantage » renvoi à l'idée d'une seule
situation, donc d'une seule clause.
112. Cependant, la prise en compte individuelle de la clause
dans l'analyse du déséquilibre significatif pourrait aller
à l'encontre de la lettre de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce qui se réfère aux « droits et obligations des
parties » et non aux clauses comme c'est le cas de l'article L. 132-1 du
Code de la consommation. Les termes de l'article du Code de commerce font appel
à la prise en compte de l'ensemble du contrat.
B. Une prise en compte in globo
113. Lorsque le juge apprécie le
déséquilibre significatif in globo pour
déterminer son existence, il constate la présence ou l'absence de
certaines clauses (1). Nous pouvons aussi noter que plusieurs
décisions nous indiquent que le juge procède à une prise
en compte des comportements des parties (2).
130 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.
65
1- La prise en compte de l'existence ou de l'absence
d'autres clauses
114. Il est possible qu'une clause entraîne un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties du fait de l'existence d'une autre clause. L'association de ces
stipulations dans un même contrat justifie alors leur condamnation.
Prises isolément, ces clauses n'auraient pas été
considérées comme déséquilibrées. À
titre d'exemple, nous pouvons citer un arrêt rendu par la cour d'appel de
Paris131. Il concerne, d'une part, une clause disposant que lorsque
le fournisseur souhaite augmenter ses tarifs en cours de contrat, le
distributeur peut refuser ou revoir les conditions de
référencement des produits du fournisseur. D'autre part, une
seconde clause stipulant que le fournisseur s'engage à répercuter
immédiatement sur son tarif la baisse de prix d'un des
éléments composant son offre tarifaire. C'est parce que les
obligations ne sont pas réciproques que le déséquilibre
est prononcé. En l'absence d'une seule de ces clauses, l'autre n'aurait
pas été considérée comme
déséquilibrée. Le juge tient donc compte de l'ensemble des
obligations incombant à la partie prétendument
lésée. Cette décision nous montre la tendance pour le juge
à considérer l'ensemble du contrat dans la recherche d'un
déséquilibre significatif.
115. Dans le même ordre d'idée, les juges
considèrent que l'absence d'une clause prévoyant une contrepartie
en réponse à une clause imposant une obligation est constitutive
d'un déséquilibre significatif. Le tribunal de commerce de Lille
sanctionne ainsi l'absence de clause constituant une contrepartie
sérieuse à une autre clause. En l'espèce, la
société Castorama exigeait le paiement d'acomptes mensuels sans
que le contrat prévoie de clause de révision de ces acomptes.
Selon le tribunal, « les pratiques de Castorama concernant le paiement
d'acomptes mensuels [...] ne sont pas réciproques ; qu'elles sont sans
contrepartie et nettement défavorables aux fournisseurs ; que leur
ampleur est caractérisée [...] que le déséquilibre
ainsi provoqué en défaveur des fournisseurs est significatif.
» Il estime que les exigences de Castorama plaçaient le fournisseur
dans une situation défavorable puisqu'il devait faire une avance de
trésorerie à la faveur de Castorama sans contrepartie ni avantage
réciproque.
131 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.
116.
66
Dans une décision plus récente132, la
Cour de cassation confirme le raisonnement de la cour d'appel qui avait «
procédé à une analyse globale et concrète du
contrat et apprécié le contexte dans lequel il était
conclu ou proposé à la négociation, et qui n'était
pas tenue de rechercher les effets précis du déséquilibre
significatif auquel la société Provera avait soumis ou
tenté de soumettre ses partenaires. » Une nouvelle fois, le juge
analyse la réciprocité dans les obligations des parties.
Était ici en cause l'absence de réciprocité dans les
conditions de révision des tarifs.
Le même jour, la Cour de cassation rendait un autre
arrêt affirmant que les juges du fond doivent apprécier le
contexte dans lequel le contrat est conclu après avoir examiné
les relations commerciales des parties au litige133. Cette approche
contextuelle correspond à une analyse globale du contrat pour
définir le déséquilibre. Non seulement le juge tient
compte de l'existence d'une clause venant contrebalancer les effets d'une
autre, mais il va également apprécier le comportement des
parties.
2- La prise en compte du comportement des
parties
117. Certaines décisions de justice laissent supposer
que le juge prend en compte le comportement des parties pour déterminer
si la clause dénoncée est porteuse ou non d'un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Saisi à propos d'une clause litigieuse, le tribunal de commerce
de Créteil déclarait irrecevable l'action en justice dans la
mesure où le demandeur de l'action, le ministre de l'Économie, ne
faisait pas référence à des contrats précis ou
à des fournisseurs précis, mais à des clauses d'un
contrat-type134. Cette nécessité d'individualiser les
parties et les relations contractuelles traduit la volonté du tribunal
d'évaluer leur comportement dans l'évaluation d'un
éventuel déséquilibre significatif.
118. Rappelons que l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce condamne le fait de « soumettre ou tenter de soumettre
le partenaire commercial à des obligations créant un
déséquilibre significatif entre les parties. » Le verbe
« soumettre » renvoie à un comportement de la partie fautive.
Pour analyser le déséquilibre significatif, il faut donc
132
Cass. com., 3 mars 2015, no
14-10.907.
133
Cass. com., 3 mars 2015, no
13-27.525.
134
trib. com. Créteil, 3. déc.
2011, no 2009/F01018.
67
prendre en compte le comportement des cocontractants. Cette
hypothèse est confirmée par une décision du tribunal de
commerce de Lille dans laquelle le juge estime qu'imposer une modalité
de paiement au fournisseur sans possibilité de négociation
engendre un déséquilibre significatif. C'est bien à l'aune
du comportement de la partie fautive que le déséquilibre
significatif est apprécié.
119. L'incertitude quant à la façon
d'appréhender le déséquilibre significatif provoque une
incertitude quant à la preuve. Le demandeur doit-il prouver le
déséquilibre global ou le déséquilibre d'une clause
?
§2. L'appréciation de l'équilibre
économique du contrat
120. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce ne nous indique pas si l'on doit prendre en compte l'équilibre
économique du contrat pour apprécier le
déséquilibre significatif. D'aucuns considèrent que
l'équilibre économique du contrat est inapproprié
puisqu'il remet en cause les dispositions financières acceptées
par les parties (A). Pour d'autres, l'appréciation de
l'équilibre économique est nécessaire pour atteindre
l'objectif d'interdiction du déséquilibre significatif
(B).
A. Une appréciation inappropriée
121. Selon les tenants de cette position, le juge ne devrait
pas apprécier l'équilibre économique du contrat. Si le
législateur a supprimé le principe de
non-discrimination135, c'était justement pour permettre aux
parties de négocier librement. En contrôlant l'équilibre
économique du contrat, le juge ferait preuve d'ingérence
contractuelle. L'interdiction du déséquilibre significatif comme
garde-fou à la suppression du principe de non-discrimination laisse
penser que le législateur souhaitait encadrer d'éventuelles
dérives. Toutefois, en contrôlant l'équilibre
économique du contrat, le juge encadre les prix et met ainsi un frein
à la négociation et - par extension - à l'expression de la
volonté des parties. En outre, la variation des prix qu'une partie peut
appliquer à ses différents
135 Cf. supra nos 44 s.
68
partenaires peut servir des stratégies de partenariat.
En effet, les avantages octroyés seulement à certains partenaires
peuvent servir, par exemple, à encourager au début d'une relation
commerciale ou comme prime de fidélité pour entretenir la
relation.
122. Nous avons vu que le Conseil
constitutionnel valide l'article L. 442-6, I, 2° du Code de
commerce en s'appuyant en partie sur l'existence de l'article L. 132-1 du Code
de la consommation prévoyant déjà l'interdiction du
déséquilibre significatif et dont le contenu avait
été précisé par la jurisprudence136. Cet
argument est utilisé par les opposants de l'appréciation de
l'équilibre économique du contrat137. En effet,
l'article L. 132-1, alinéa 7 du Code de la consommation prévoit
que « l'appréciation du caractère abusif des clauses [...]
ne porte ni sur la définition de l'objet principal ni sur
l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu
ou service offert. » Si l'article L. 132-1 du Code de la Consommation est
pris comme référence d'interprétation de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce, nous pouvons déduire -
par analogie - que le juge ne doit pas vérifier l'équilibre
économique. Le tribunal de commerce de Paris confirme cette
interprétation en excluant l'adéquation du prix au bien vendu
puisque l'article L. 132-1 du Code de la consommation « exclut
expressément celle-ci de son domaine138. » Cette
décision semble en phase avec l'avis du Conseil Constitutionnel, mais
cette théorie peut être remise en cause si l'on tient compte des
aspects pratiques de la situation des commerçants. Les enjeux
économiques pour un professionnel sont considérables
comparés à ceux d'un consommateur. Le déséquilibre
en droit de la consommation est juridique alors que dans les relations entre
professionnels il s'agit d'un déséquilibre
économique139. Cet argument n'exclut en aucun cas la
protection du consommateur, mais l'équilibre économique du
professionnel peut avoir des répercussions importantes sur les
salariés et sur la survie de l'entreprise.
136 Cf. supra no 47.
137 N. GENTY et P. DUVOCELLE, Relations
fournisseur-distributeur, 1re éd., Lamy, 2014, p. 45.
138
trib.com. Paris, 24 sept. 2013,
no 2011/058615.
139 J.-L. FOURGOUX, « Déséquilibre
significatif : une validation par le Conseil constitutionnel qui marie droit de
la concurrence et droit de la consommation en matière de clauses
abusives », CCC, mars 2011, n° 3, p.13
69
B. Une appréciation nécessaire
123. Le contrôle du juge de l'équilibre
économique du contrat peut être justifié par les termes des
autres alinéas de l'article L. 442-6 du Code de commerce relatifs aux
pratiques abusives. L'alinéa 4 prévoit ainsi la sanction de
l'obtention, sous la menace d'une rupture des relations commerciales, «
des conditions manifestement abusives concernant les prix. » La prise en
compte, par cet article, de l'obtention de prix abusifs nous laisse envisager
la possibilité de cette considération pour l'alinéa 2
relatif au déséquilibre significatif. La cour d'appel de Paris
semble confirmer cette position140. Si la juridiction du second
degré affirme d'abord la nécessité de laisser les
négociations se faire librement - « il n'appartient pas aux
juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la
négociation contractuelle » -, elle indique ensuite que le juge
doit « compte tenu des termes [du] texte, examiner si les prix
fixés entre des parties contractantes créent [...] un
déséquilibre d'une importante suffisante pour être
qualifié de significatif. » Cette décision apparaît
contradictoire, car le juge affirme, d'un côté, la
nécessité de respecter la volonté des parties et, de
l'autre, relève la nécessité de contrôler
l'équilibre économique. Le juge ne remet-il pas en cause la
suppression du principe de non-discrimination qui promettait la libre
négociabilité des tarifs141 ? Il serait
intéressant de savoir quelles sont les références qui vont
être utilisées par le juge pour évaluer le caractère
« suffisant » du déséquilibre significatif
qu'évoque la cour d'appel. S'agirait-il d'une analyse des comptes
sociaux du partenaire lésé ? Un éclaircissement sur ce
point serait le bienvenu.
124. Un arrêt récent rendu par la Cour de
cassation entrouvre la possibilité d'apprécier l'équilibre
économique du contrat. En effet, la Cour de cassation annonce que «
l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce invite à
apprécier le contexte dans lequel le contrat est conclu et son
économie142 ». Cependant, la Cour ne donne pas
d'explication sur la façon dont cette appréciation doit se
dérouler.
140 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
141 Cf. supra no 44 s.
142
Cass. com., 3 mars 2015, no
13-27.525.
70
CHAPITRE II. L'ASPECT DISSUASIF DE L'INTERDICTION
125. Le principal moyen pour faire respecter
l'interdiction du déséquilibre significatif est, comme pour la
plupart des interdictions, le risque de sanction. L'auteur du
déséquilibre s'expose non seulement à une action en
justice (Section 1), mais aussi à une sanction
administrative (Section 2).
Section 1. La menace d'une action en justice
126. Avec la loi NRE de 2001143, le
législateur a doté un certain nombre d'autorités
administratives du pouvoir d'agir en justice en cas de manquement
constatés aux dispositions de l'article L. 442-6. Cette action s'est
révélée difficile à mettre en place
(§1). Ainsi, depuis la loi Hamon de 2014, le
législateur a donné à ces autorités la
possibilité de sanctionner les acteurs économiques en cas de
non-respect d'injonction en cessation des activités contraires aux
dispositions du titre IV du livre IV du Code de commerce
(§2).
§1. Une action en justice des autorités
administratives de mise en oeuvre difficile
127. Le pouvoir d'action en justice octroyé à
certaines autorités administratives a été instauré
par la loi NRE de 2001 dont l'objectif était de contribuer à la
régulation de l'ordre public économique (A).
Cette interdiction, bien que présumée efficace, n'est pas
exemptée de difficultés d'application (B).
143 L. no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux
nouvelles régulations économiques, JORF
n° 113 du 16 mai 2001.
71
A. L'instauration d'un pouvoir d'action en justice
administratif
128. La loi NRE fut introduite par le législateur
à des fins de régulation de l'ordre public économique de
direction, traduisant une volonté de régulation et de
normalisation massive des pratiques commerciales. Cette loi a introduit dans
l'article L. 446-2, III, 1° du Code de commerce la possibilité pour
« toute personne justifiant d'un intérêt, le Ministère
public, le ministre chargé de l'Économie ou le président
de l'Autorité de la concurrence, d'introduire une action en justice pour
toute pratique mentionnée à l'article
L. 442-6 du Code de commerce. » Ces autorités ont
la possibilité de demander au juge d'ordonner la cessation des
pratiques, de faire constater la nullité des clauses et de demander la
répétition de l'indu.
Cette possibilité d'agir offerte à une
pluralité de personnes conforte notre thèse de la volonté
des pouvoirs publics de faire cesser le plus grand nombre de pratiques
restrictives de concurrence. En ce qui concerne l'interdiction du
déséquilibre significatif, ce souhait a été
clairement confirmé par Monsieur Frédéric Lefebvre, alors
secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie,
qui - à propos de cet article - annonçait qu'« [il] avait
décidé de donner systématiquement suite aux demandes
d'assignations qui seraient faites par la DGCCRF sur ce
fondement144. » De plus, l'article R. 442 du Code de commerce
indique que lorsque l'action est exercée par le ministre de
l'Économie ou par le président de l'Autorité de la
concurrence, il est dispensé de la représentation d'un «
avocat ». Ceci montre la volonté du législateur de faciliter
l'action en justice de ces autorités.
129. Le pouvoir d'agir des autorités administratives
serait le « fer de lance de la lutte contre les pratiques commerciales
abusives145. » Nous avons affaire à une action semblable
à celle de l'article L. 421-1 du Code de la consommation relatif aux
actions d'associations de consommateurs. Le pouvoir d'assignation des
autorités administratives est « autonome » selon la Cour de
cassation146, elles peuvent agir en justice en l'absence de la
victime au procès. D'après les travaux parlementaires, ce pouvoir
donné aux
144 Fr. LEFÈVRE, « Bilan d'activité 2010 de
la DGCCRF et priorités d'action pour 2011 », Dossier de presse,
p.3.
145 F. BUY, « Le «déséquilibre
significatif» devant la Cour de cassation : enfin des précisions ?
», D., 2015, p. 1021.
146
Cass. com., 16 déc. 2008
no 07-15.589.
72
autorités administratives permettrait de ne pas laisser
impunies les mauvaises pratiques puisque les victimes n'osent pas introduire
d'action par crainte de représailles147.
130. Lors d'une question prioritaire de
constitutionnalité visant à établir la validité de
l'article L. 442-6 III du Code de commerce, le Conseil a souligné que
cette action a été créée afin de rétablir un
équilibre dans les rapports entre partenaires commerciaux148.
L'emploi du terme « équilibre » par le Conseil Constitutionnel
nous laisse penser que l'action des autorités administratives vise
très particulièrement la sanction du déséquilibre
significatif dans les relations commerciales, bien que cette action soit aussi
possible pour la sanction des autres pratiques restrictives de concurrence
prévues à l'article L. 442-6 du Code de commerce.
131. Mise à part l'action de la partie supposée
lésée, c'est le ministère de l'Économie qui a
entamé la plupart des actions civiles sur le fondement de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce. À titre d'exemple, en
2013, parmi les décisions rendues en application de l'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce, 31 avaient pour origine une action
des acteurs économiques et 15 celle du ministère de
l'Économie, mais il n'y a pas eu d'actions de la part d'autres
autorités ayant la possibilité d'intervenir149.
B. Les difficultés de la mise en place du
pouvoir d'action en justice administratif
132. Nous avons vu150 que l'article L. 442-6, III
du Code de commerce donnait le pouvoir à certaines autorités
administratives d'agir en justice en cas de manquements à ses
dispositions. Cette possibilité d'action a été
contestée avant même l'adoption de la LME en 2008. La contestation
débute en 2007 lorsque la cour d'appel de Versailles151
déclare irrecevable une action du ministre de l'Économie en
répétition de l'indu au motif que la victime n'avait pas
été informée de cette action. La Cour de cassation censure
l'arrêt
147 É. BESSON, Rapport fait au nom au nom de la
commission des finances sur le projet de loi relatif aux nouvelles
régulations économiques, Assemblée nationale,
XIe législature, no 2327, 6 avr. 2000, p. 120.
148 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.
149 Faculté de Droit de Montpellier, Bilan des
décisions judiciaires civiles et pénales, période du
1er
janv. au 31 déc. 2013, Actions en
justice à l'initiative des acteurs économiques, application du
Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p. 40 ; DGCCRF, Le bilan de la
jurisprudence civile et pénale 2013, juin 2014, p. 2.
150 Cf. supra nos 127 s.
151 CA Versailles, 3 mai 2007, n° 05/09223.
73
en affirmant que l'action prévue par l'article L.
442-6, III est « autonome » et que le consentement ou la
présence de la victime, en l'espèce un fournisseur, n'est pas
requise152.
133. Afin de trancher définitivement la question, le 8
mars 2011, la Cour de cassation transmet une question prioritaire de
constitutionnalité posée par les sociétés
Système U et Carrefour France sur la conformité à la
Constitution de l'article L. 442-6, III du Code de commerce. Par une
décision du 13 mai 2011153, le Conseil Constitutionnel admet
la constitutionnalité de l'article L. 442-6, III et donne des
précisions sur l'intervention de la partie supposée
lésée. Les parties requérantes considéraient que
l'action des autorités administratives portait atteinte au droit de
défense et du contradictoire, dans la mesure où l'accord de la
partie supposée lésée n'était pas requis pour que
l'autorité administrative assigne le professionnel fautif.
L'autorité administrative pouvait agir et la partie supposée
lésée perdait, d'une certaine façon, sa liberté
d'agir. Mais le Conseil indique que « les dispositions contestées
n'interdisent ni au partenaire lésé par la pratique restrictive
de concurrence d'engager lui-même une action en justice [...] ou encore
de se joindre à celle de l'autorité publique par voie
d'intervention volontaire, ni à l'entreprise poursuivie d'appeler en
cause son cocontractant, de le faire entendre ou d'obtenir de lui la production
de documents nécessaires à sa défense ; que, par
conséquent, elles ne sont pas contraires au principe du contradictoire.
» L'action en justice des autorités administratives n'est donc pas
contraire au principe du contradictoire. Cependant, le Conseil Constitutionnel
estime dans cette même décision qu'il est nécessaire
d'informer les parties au contrat de l'introduction de l'action par
l'autorité administrative. L'accord de la partie supposée
lésée n'est pas nécessaire mais elle doit en être
informée.
134. Peu de temps après la décision du Conseil
constitutionnel, la Cour européenne des droits de l'homme
(CEDH)154 a été saisie de cette question. La partie
requérante soulève que « l'action en justice du ministre de
l'Économie l'a privé d'un procès équitable garanti
par l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de
l'homme. » La cour de Strasbourg estime que l'accès au tribunal
pour la partie lésée, ici un fournisseur, n'est pas en jeu, puis
elle reprend la même argumentation que celle donnée par le Conseil
constitutionnel. Elle assure que « le ministre, par son action, n'exclut
pas les
152
Cass. com., 8 juill. 2008, no
07-16.701.
153 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.
154 CEDH, 5ème section, Galec contre France, 17
janv. 2002, requête n°51255/08.
74
cocontractants lésés par la relation commerciale
puisque ces derniers restent en droit d'engager eux-mêmes une action en
justice [...] ou de se joindre à l'instance initiée par le
ministre. Ils sont également susceptibles d'être attraits à
l'instance par les parties au procès, notamment par la partie
défenderesse aux fins d'obtenir la production de pièces
essentielles à sa défense. » La Cour rappelle aussi que le
devoir d'information des cocontractants est justifié « par un
impératif de protection des fournisseurs. » Si la Cour va dans le
même sens que le Conseil constitutionnel, elle n'indique pas pour autant
si l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce est conforme
à l'article 6§1 de la Convention européenne des droits de
l'homme.
135. Malgré la décision du Conseil
constitutionnel et de la CEDH, le ministère de l'Économie a
introduit des actions en justice sous le fondement de l'article L. 442-6, III
du Code de commerce sans en informer préalablement les parties. Le
tribunal de commerce de Créteil a alors déclaré l'action
du ministère irrecevable faute d'avoir informé la partie
supposée lésée de l'action en justice155.
Inversement, la cour d'appel de Paris a pu considérer que si le ministre
de l'Économie demandait uniquement la cessation des pratiques pour
l'avenir ainsi qu'une amende civile, l'information de la partie supposée
lésée n'était pas nécessaire156. La Cour
de cassation confirme la position de la cour d'appel de Paris en indiquant que
« c'est seulement lorsque l'action engagée par l'autorité
publique tend à la nullité des conventions illicites, à la
restitution des sommes indument perçues et à la réparation
des préjudices que ces pratiques ont causé que les parties au
contrat doivent en être informées »157. Le
ministre de l'Economie peut donc demander la cessation des pratiques illicites
pour l'avenir ainsi que l'amende civile sans informer les parties
supposées victimes, ces actions visant, pour la Cour de Cassation,
à poursuivre « au titre de la seule défense de
l'intérêt général ».
136. La possibilité de demander uniquement l'amende
civile et la cessation des pratiques illicites pourrait encourager les
autorités administratives à agir en justice uniquement pour
obtenir l'amende civile au détriment des autres demandes possibles
prévues à l'article L. 442-6, III au bénéfice de la
partie lésée. Parmi ces demandes, on compte la restitution des
sommes indument payées ou la réparation du préjudice.
On
155
trib. com. Créteil, 13 déc.
2011, no 2009/F01017.
156 CA Paris, 20 nov. 2013, no 12/04791.
157
Cass. com., 3 mars 2015, no
14-10. 907.
75
comprend que le dispositif ainsi utilisé ne remplit pas
son rôle de protection des parties faibles puisque celles-ci ne sont
parfois tout simplement pas informées de l'existence d'une
procédure judiciaire. Une solution pourrait consister à modifier
l'article L. 442-6, III du Code de commerce afin d'autoriser les
autorités administratives à agir seules uniquement lorsqu'elles
exigent une amende civile. Les autres actions ne pourraient avoir lieu
qu'à l'initiative de la victime. Cette solution allègerait
peut-être le texte, mais fermerait la porte à une
possibilité d'action importante pour les autorités
administratives, action qui permet au moins d'obtenir le prononcement d'une
amende civile et la cessation des pratiques illicites pour l'avenir, le tout,
au service de l'intérêt général.
§2. Les finalités de l'action en justice
137. Si la principale finalité de l'action en justice
est d'obtenir le prononcé d'une amende civile au profit du Trésor
public, la nature et les modalités de l'action civile pour violation de
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce restent
controversées (A). Une autre finalité importante
de l'action est l'indemnisation du préjudice subi et la restitution des
sommes indument versées (B).
A. Une amende civile controversée
138. L'amende civile pouvant être prononcée
suite à la violation de l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce est controversée puisqu'elle possède une
connotation pénale. De plus, les principes de cette action pénale
ne semblent pas être respectées (1). De
même, le montant de l'amende civile peut paraitre dérisoire et des
questions se posent sur l'efficacité de cette dernière
(2).
76
1- Une amende civile à connotation pénale
139. Lors de la validation constitutionnelle de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce158, la
société requérante alléguait qu'il portait atteinte
à l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du
Citoyen (DDHC) relatif au principe de légalité des délits
et des peines. Le Conseil constitutionnel a indiqué que l'action en
demande d'une amende civile devait respecter les exigences de l'article 8 de la
DDHC. Cette décision conduit à assimiler l'amende civile à
une sorte de « peine » du droit pénal. Or, de l'article 8 de
la DDHC découle le principe de la non-rétroactivité de la
loi pénale. Par conséquent, l'action en demande d'amende civile
ne devrait pas s'appliquer aux contrats en cours au moment de l'entrée
en vigueur de la loi LME. Pourtant, plusieurs décisions ont jugé
recevables des actions du ministre de l'Économie visant l'obtention
d'une amende civile pour des relations commerciales nées avant la
promulgation de la loi159. Certains auteurs de la doctrine
espèrent une intervention de la Cour de cassation pour préciser
ce point160.
140. Par ailleurs, puisque l'action civile aboutit au
prononcé d'une peine, les principes de l'action pénale devraient
être respectés, notamment en ce qui concerne le principe
d'égalité des armes issu de l'article 6 § 1 de la CEDH. Les
autorités administratives disposent d'un important pouvoir
d'enquête et peuvent se procurer des preuves très facilement
contrairement à la partie assignée.
141. Notons qu'une décision de la cour d'appel
d'Orléans semble remettre en cause cette assimilation de l'amende civile
aux peines de droit pénal. Selon la cour, l'action du ministre de
l'Économie fondée sur l'article L. 442-6, III du Code de commerce
est « hors de toute référence au code pénal. 161
»
158 DC. no 2010-85 du 13 janv. 2011.
159 CA Paris, 22 mai 2013, no 10/19022; CA Versailles,
25 juin 2013, no 11/07513.
160 J.-L. FOURGOUX et L. DJAVADI, « Les clauses
contractuelles à l'épreuve du «déséquilibre
significatif»», CCC, nov. 2013, n°11,
étude 14.
161 CA Orléans, 12 avr. 2012, no 11/02284.
77
2- Un montant élevé mais dérisoire
142. L'article L. 442-6, III du Code de commerce permet aux
autorités administratives citées de demander le prononcé
d'une amende civile d'un montant maximum de 2 millions d'euros ou correspondant
au triple du montant des sommes indument versées par la victime. Comment
le juge fait-il pour fixer le montant d'une amende civile visant à
« réparer » l'atteinte à l'équilibre du
marché ? Quels sont les facteurs qui doivent être pris en compte ?
Le juge pourrait tenir compte du degré de gravité du comportement
de la partie fautive ou bien fixer proportionnellement le montant en fonction
du chiffre d'affaires. Si nous prenons comme exemple le montant des amendes
civiles de trois des enseignes assignées lors de la
célèbre saga « Novelli », nous voyons dans le tableau
ci-dessous162 que le montant de l'amende civile n'est pas
proportionné au chiffre d'affaires de chacune des
sociétés. Nous pouvons supposer que l'amende sera fixée
par rapport à la gravité du comportement du cocontractant
accusé.
Enseigne
|
Amende
|
Chiffre d'affaires en 2013
|
Eurauchan
|
1 000 000 €163
|
519 999 261 €
|
Darty
|
300 000 €164
|
1 989 857 823 €
|
Provera
|
250 000 €165
|
9 440 337 €
|
|
143. Même si le montant des amendes peut sembler
élevé, il est dérisoire par rapport au chiffre d'affaires
de chaque entreprise. Par exemple, l'amende civile prononcée à
l'encontre de Darty représente environ 0,01 % de son chiffre d'affaires
de l'année 2013. Ce faible montant risque de ne pas être assez
dissuasif pour les parties mises en cause et laisse la porte ouverte à
de possibles récidives. Toutefois, avec le récent projet
Macron166, le législateur souhaite établir une
correspondance entre le chiffre d'affaires de l'entreprise
162 Source : Lorena Cortissoz en tenant compte des jugements
rendus par les tribunaux.
163
trib. com. Lille, 7 sept. 2011,
no 2009/05105. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en
cassation.
164
trib.com Bobigny, 29 mai 2012,
no 2009/F0154.
165
trib. com. Meaux, 6 déc. 2011,
no 2009/02295. Confirmé en appel et rejet du pourvoi en
cassation.
166 Projet de loi pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques n° 473,
texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 févr.
2015.
78
fautive et la sanction. L'article 10 D du projet de loi
propose de remplacer le plafond de deux millions d'euros à 5 % du
chiffre d'affaires de l'auteur des pratiques incriminées
réalisé en France. Si cette modification de l'article L. 442-6,
III est votée, les entreprises seront contraintes de verser un montant
extrêmement important en cas de prononciation d'amende civile. Ce
changement peut s'expliquer soit par la volonté du législateur de
dissuader les partenaires commerciaux d'utiliser des pratiques restrictives de
concurrence, soit par le souhait de faire rentrer de l'argent dans les caisses
de l'État.
144. En attendant que le projet soit voté et en
attendant l'application qui en sera faite par les juges au moment de fixer le
montant de l'amende civile, les sanctions les plus importantes sont
prononcées au profit de la victime.
B. Des actions au bénéfice de la
victime
145. Bien que l'action fût contestée, le
professionnel victime d'un déséquilibre significatif peut se voir
restituer les sommes indument versées du fait du
déséquilibre significatif (1). Il peut aussi
agir en responsabilité (2) afin d'obtenir une
indemnisation du fait du préjudice engendré par le
déséquilibre significatif.
1- L'action en répétition de l'indu
146. L'article L. 442-6, III permet aux autorités
administratives mentionnées d'effectuer une demande en
répétition de l'indu pour les avantages indument reçus par
une des parties du fait d'une pratique abusive. La possibilité de mener
cette action n'est pas accordée explicitement pour la partie
supposée lésée dans cet article. Mais elle pourra sans
doute agir en répétition de l'indu sur le fondement du droit
commun.
Dans le cas du déséquilibre significatif, cette
action en répétition de l'indu constitue un très bon moyen
de sanctionner la partie fautive et de restituer à la victime les sommes
versées en raison des pratiques interdites de l'article L. 442-6 du Code
de commerce. L'action peut avoir lieu après « seulement la
constatation d'un avantage indu reçu167 »,
167
Cass. com., 18 oct. 2011, no
10-15.296.
79
sans qu'il s'agisse forcément d'un mouvement financier.
Il sera donc possible de mettre en place cette action dans un grand nombre de
situations.
Dans le cadre d'une action pour déséquilibre
significatif, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la
restitution d'un montant de 575 000 euros168. Le montant peut
atteindre des sommes très élevées puisqu'aucune limite n'a
été fixée par la loi. Sur le fondement de l'article L.
442-6, I, 1° du Code de commerce relatif à l'obtention
d'un avantage sans contrepartie ou manifestement disproportionné, la
cour d'appel a ainsi pu exiger la restitution d'un indu d'une valeur de 17
millions d'euros, dans une action sous le fondement.
147. Le Conseil constitutionnel a été
interrogé sur l'attribution des montants versés à la suite
de ces actions en répétition de l'indu169.
Jusqu'alors, les autorités administratives autorisées à
effectuer cette action récupéraient ces sommes puis les
reversaient aux victimes. Les requérants de l'action devant le Conseil
invoquaient que l'action en répétition de l'indu portait atteinte
au droit de propriété consacré à l'article 17 de la
DDHC puisque cette action ne permettait pas aux partenaires commerciaux
d'obtenir de la part de l'autorité publique, la restitution des sommes
indument versées. Le juge constitutionnel rejetait pourtant la demande
en soulevant que la procédure du droit commun s'appliquait à
cette restitution et que les sommes seraient versées au partenaire
lésé ou tenues à sa disposition. Le Conseil
Constitutionnel170 se justifie en alléguant que dans tous les
cas où la répétition de l'indu a été
prononcée, les sommes ont été restituées aux
bénéficiaires. Par ailleurs, c'est le Trésor public qui
est chargé de cette procédure de restitution avec l'aide des
agents de la DGCCRF.
2- L'action en responsabilité de la victime
148. Les actions énoncées à l'article L.
442-6, III ne sont pas les seules sanctions auxquelles s'expose l'auteur d'un
déséquilibre significatif. En effet, l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce évoque « l'engagement de
responsabilité » de l'auteur d'un déséquilibre
significatif et « l'oblige à réparer le préjudice.
» Autrement dit, cet article
168
trib. com. Bobigny, 29 mai 2012,
no 2009/F01541.
169 DC, 13 mai 2011, no 2011-126.
170 Cons. const., Commentaire de la décision no
2011-126 QPC du 13 mai 2011.
autorise la victime à demander une indemnisation du
fait du préjudice engendré par le déséquilibre
significatif.
149. Pour déterminer de quel type de
préjudice il s'agit, il faudrait s'interroger sur la nature de la
responsabilité visée à l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce. S'agit-il d'une responsabilité
délictuelle ou contractuelle ? Un raisonnement par analogie peut nous
éclairer puisque l'on sait que l'auteur d'une rupture brutale des
relations commerciales établies (article L. 442-6, I, 5°
du Code de commerce) engage sa responsabilité
délictuelle171.
La responsabilité délictuelle renvoie à
l'article 1382 du Code civil. Elle implique que soient rapportés une
faute, un lien de causalité et un dommage. Dans le cas du
déséquilibre significatif, la faute serait « le fait de
soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. » Pour les pratiques restrictives de concurrence, nous n'avons
pas besoin de lien de causalité puisque l'existence d'une clause
créant un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties suffit à caractériser le
préjudice, quand bien même la clause n'aurait jamais
été mise en oeuvre172. En revanche, l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce ne donne aucune indication sur
l'évaluation du préjudice.
80
171
Cass. com., 6 févr. 2007,
no 04-13.178.
172 CA Paris, 11 sept. 2013, no 2009/02296.
81
Section 2. La menace d'une sanction administrative
150. La loi Hamon permet à certaines autorités
administratives d'enjoindre les acteurs économiques de cesser tout
agissement non conforme aux dispositions titre IV du livre IV du Code de
commerce (§1). En cas de non-respect de l'injonction,
l'administration peut prononcer des sanctions (§2).
§1. Un pouvoir de décision administratif
151. Le pouvoir de décision administratif a
été instauré par la loi Hamon en 2014 (A)
et sa mise en oeuvre est assujettie à un certain formalisme
(B).
A. L'instauration du dispositif
152. La loi Hamon a créé l'article L. 465-1 du
Code de commerce. Il habilite certains agents administratifs à
rechercher et à constater des infractions ou manquement aux obligations
énoncées au titre IV du livre IV du Code de commerce dont
relève l'article L. 442-6, I, 2° relatif à
l'interdiction du déséquilibre significatif. L'administration
pourra dicter à l'encontre de tout professionnel une injonction «
de se conformer à ses obligations, de cesser tout agissement illicite ou
de supprimer toute clause illicite. » Dans le cas du
déséquilibre significatif on peut raisonnablement penser que
l'administration pourra enjoindre un professionnel à supprimer une
clause considérée comme constituant un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties.
153. Si le professionnel ne se conforme pas à
l'injonction, l'article L. 465-2 du Code de commerce prévoit le
prononcé d'une sanction administrative limitée à 3 000
euros pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale. En
revanche, l'injonction et son éventuelle sanction n'ont pas pour objet
de réparer le préjudice subi par la victime, mais celui
infligé à l'ordre public économique.
154.
82
L'article L. 450-1 II du Code de commerce donne à ces
autorités administratives un pouvoir d'enquête étendu pour
vérifier les agissements des professionnels. En effet, les
enquêteurs ont la possibilité d'accéder aux locaux mixtes
(professionnels et à usage d'habitation), aux logiciels et
données stockées, opérer sur la voie publique et relever
la personne contrôlée. Le principal avantage de l'injonction et de
son éventuelle sanction est leur rapidité de mise en oeuvre
puisqu'il s'agit de procédures extrajudiciaires.
B. Les aspects formels du dispositif
155. La procédure d'injonction et de sanction
administrative pour violation les manquements du titre IV du livre IV du Code
de commerce est soumise au respect du principe de contradictoire. À ce
titre, l'article L. 465-2 du Code de commerce prévoit que
l'administration compétente doit communiquer par écrit à
la personne mise en cause des informations sur la sanction envisagée,
lui faire prendre connaissance des pièces du dossier et l'inviter
à présenter des observations écrites et orales.
156. La décision prononcée par
l'autorité administrative peut être publiée avant
même qu'elle soit devenue définitive. À la sanction
pécuniaire s'en ajoute donc une autre d'ordre réputationnel.
§2. Un pouvoir de décision
désapprouvé
157. Le pouvoir d'enjoindre les acteurs économiques
à se conformer aux obligations de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce et de prononcer des sanctions est remis
en cause pour plusieurs raisons (A). Il est perçu comme
un moyen de marginaliser le rôle du juge civil (B).
83
A. Une action remise en cause
158. Cette mise en place des sanctions en cas de non-respect
de l'injonction est le résultat d'une volonté du
législateur de garantir la préservation des droits autant que la
sanction des manquements173. Il faut que le montant des sanctions
cumulées soit plus important que l'espoir du gain si l'on veut dissuader
les acteurs économiques de se livrer à des pratiques restrictives
de concurrence, notamment le déséquilibre significatif. La
validité du montant de la sanction administrative a été
contestée devant le Conseil constitutionnel qui, dans une
décision du 13 mars 2014174, en a pourtant admis la
constitutionnalité. Le Conseil indique que la sanction n'était
pas disproportionnée dans la mesure où lorsqu'à «
l'occasion d'une même procédure ou de procédures
séparées, plusieurs sanctions administratives ont
été prononcées à l'encontre du même auteur
pour des manquements en concours, ces sanctions s'exécutent
cumulativement, dans la limite du maximum légal le plus
élevé175. » Le montant de la sanction ne
revêt donc pas un caractère excessif. Quelle est alors la limite
de ces sanctions ? Jusqu'à quel point le législateur va permettre
l'intervention de l'administration afin de sanctionner les opérateurs
économiques ? Il ne faudrait pas négliger le montant de l'amende
civile qui pourrait être prononcée en cas d'action en justice,
plus les éventuels dommages et intérêts à verser
à la victime, sans oublier la répétition de l'indu.
159. Par ailleurs, il semble y avoir doublon puisque
l'injonction administrative vise à faire cesser la pratique non conforme
et que l'article L. 442-6, III du Code de commerce permet également aux
autorités administratives de demander au juge la cessation des
pratiques. La seule différence réside dans le fait que dans le
premier cas, la demande de cessation de la pratique est directement
adressée à l'auteur, ce qui accélère la
procédure, alors que dans le second, la demande se fait devant le
juge.
173 DGCCRF, Application des dispositions de la loi relative
à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les
pratiques commerciales restrictives de concurrence, août 2014, p. 3.
174 DC, 13 mars 2014, no 2014-690.
175
C. com., art. L. 465-2, VII.
84
B. La marginalisation du juge judiciaire
160. La possibilité d'injonction et de sanction
octroyée à l'administration entraîne une certaine
marginalisation du juge judiciaire. L'action de l'administration
bénéficie d'une procédure contradictoire, mais il ne
s'agit pas d'une procédure classique entre le prévenu et le
Ministère public avec l'arbitrage d'un juge impartial. Pour un auteur,
il s'agit d'un « étrange contradictoire176 »
puisque l'accusé sera confronté directement au poursuivant,
également titulaire du pouvoir décisionnaire. L'administration
est alors juge et partie ce qui pose un problème de partialité.
L'administration s'octroie le pouvoir du juge et devient ainsi une sorte de
police des contrats.
161. La sanction administrative en cas de non-respect de
l'injonction s'apparente à une sanction pénale. Elle s'inscrit
dans un contexte général de dépénalisation du droit
des affaires. À cet égard, un rapport remis au Garde des Sceaux
indique que si la dépénalisation était compensée
par l'instauration de sanctions administratives, ce mouvement «
constituait un recul en matière de garanties procédurales par
rapport à la justice pénale ». En outre, elle ferait
basculer un contentieux du juge pénal vers le juge administratif, ce
qui, hormis un basculement total, produirait un dualisme juridictionnel pour
une même branche du droit. Le système manquerait ainsi de
cohérence177. » De plus, les recours intentés
à l'encontre des sanctions émises par l'administration
relèveront désormais du ressort du juge administratif alors que
la situation oppose initialement deux personnes privées. Les juristes du
Cercle Montesquieu178 s'étonnent de ce pouvoir donné
au juge administratif puisque de récentes réglementations sont
venues spécialiser les tribunaux de commerce et la cour d'appel de
Paris179 notamment en ce qui concerne les contentieux relatifs aux
pratiques restrictives de concurrence.
162. Ce pouvoir de sanction de l'administration serait-il un
retour en arrière ? L'ordonnance du 1er décembre 1986
relative à la liberté des prix et de la concurrence avait
176 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.
177 Groupe de travail présidé par J.-M. COULON,
Rapport au garde des sceaux, La dépénalisation de la vie des
affaires, éd. La documentation Française, 2008, p. 29.
178 Cercle Montesquieu, « La liberté contractuelle
confisquée aux entreprises par l'État régulateur »,
cercle-montesquieu.fr,
janv. 2015, p. 7.
179
C. com., art. D. 442-3.
mis un terme à certains pouvoirs de l'administration
par suite de fraudes et d'une corruption généralisée de
l'administration de l'époque180 . Le législateur
intervient pour redonner ces pouvoirs à l'administration. Il peut s'agir
d'un retour indispensable à la suite de dérives des acteurs
économiques, ou peut-être que les problèmes de corruption
au sein de l'administration ont été réglés. Le
pouvoir donné aux autorités administratives est immense et il
constitue cependant un risque du retour de la corruption. Il faudrait cependant
que la possibilité de sanction du déséquilibre
significatif soit mieux encadrée afin qu'elle en devienne pas une «
machine à hacher le droit. 181»
163. Le dispositif interdisant le
déséquilibre significatif est le fruit d'une évolution des
mesures mises en place par le législateur afin de protéger
l'équilibre des relations commerciales. Il est utilisé depuis
bientôt huit ans par le juge et des instances administratives. Toutefois,
des zones d'ombre subsistent, notamment concernant la définition
même du « déséquilibre significatif », ce qui
rend toujours difficile la mise en application de ce dispositif. Est-ce que le
déséquilibre peut se traduire autrement que par un avantage
proportionné conduisant au maintien du déséquilibre
significatif ?
85
180 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.
181 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 44
SECONDE PARTIE :
86
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU
164.
87
Les partenaires commerciaux jouent un rôle essentiel
dans le maintien du déséquilibre significatif (Titre
1). Étant prévenus du déséquilibre
significatif auquel ils vont être soumis, les partenaires commerciaux ont
la possibilité de refuser les dispositions contractuelles créant
ce déséquilibre. Ainsi, un manque de prévention contre le
déséquilibre significatif avant leur engagement contractuel peut
être un signe de d'un certain consentement. Les partenaires commerciaux
étant des professionnels avisés, ils ont les moyens de mettre en
place une politique de prévention du déséquilibre
significatif, que ce soit au moment de la négociation ou encore au
moment de la rédaction du contrat.
Il est de même de la préservation des
intérêts légitimes des partenaires qui joue aussi
rôle dans le maintien du déséquilibre significatif. La
création d'un déséquilibre significatif est parfois
nécessaire pour préserver des intérêts
indispensables pour assurer la continuité de l'activité du
professionnel soumettant son partenaire à un déséquilibre
significatif.
165. En outre, la défiance à l'égard du
dispositif interdisant le déséquilibre significatif peut
être une des causes de son maintien (Titre 2). Cette
défiance se traduit par un bilan nuancé de l'utilisation du
dispositif. En effet, les professionnels n'utilisent généralement
le dispositif que de façon subsidiaire et les juges ont tendance
à refuser la majorité des assignations faites par les
professionnels.
Face à ce bilan, l'utilité du dispositif est
remise en cause. Est-il réellement nécessaire d'interdire un
déséquilibre significatif dans les relations commerciales ?
L'opportunité de l'intervention du législateur pour interdire le
déséquilibre significatif doit être revue ainsi que la
réelle efficacité du dispositif l'interdisant.
88
TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES
COMMERCIAUX AU MAINTIEN DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
166. Les partenaires commerciaux jouent un
rôle dans la justification du déséquilibre significatif
à deux moments distincts. D'abord, lors du consentement à la
relation contractuelle, quand ils acceptent les stipulations contractuelles
(Chapitre 1). Ensuite, pendant le déroulement
de leur activité, lorsqu'ils cherchent à la préserver
(Chapitre 2).
89
CHAPITRE I. RÔLE DU CONSENTEMENT
DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
167. Les parties peuvent choisir de consentir ou non
à s'engager dans une relation contractuelle (Section 1). L'acceptation
des conditions du contrat sert alors de justificatif à l'éventuel
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. L'interdire reviendrait alors à nier la liberté
contractuelle des partenaires commerciaux (Section 2).
90
Section 1. Le pouvoir de décision des
partenaires commerciaux
168. Les partenaires commerciaux ont un pouvoir de
décision qui leur permet d'accepter ou de refuser des clauses porteuses
d'un déséquilibre significatif. Les informations
précontractuelles permettent aux partenaires commerciaux de s'engager en
pleine connaissance de cause (§1). Au besoin, les parties
peuvent toujours recourir à la négociation pour écarter ou
amender une stipulation déséquilibrée
(§2). Le consentement et la négociation
amènent à tolérer le déséquilibre
significatif.
§1. La transparence précontractuelle
permettant d'éclairer le consentement
169. Ce n'est pas en vain que le législateur a
prévu une obligation d'information précontractuelle. En droit
commun, cette obligation découle des articles 1134, alinéa 3,
relatif à l'exécution de « bonne foi » et 1135 du Code
civil évoquant l'équité contractuelle. Cette obligation
d'information est nécessaire à l'existence d'un consentement
libre et éclairé. Les parties peuvent ainsi s'informer et
réfléchir avant de s'engager. Le défaut d'information peut
être sanctionné par l'entremise des vices du consentement des
articles 1109 et suivants du Code civil. Certains droits spéciaux
encadrent précisément ces obligations d'informations dans les
domaines qu'ils régissent. C'est le cas des contrats de bail par
exemple182.
170. Sitôt l'information donnée, l'obligation de
transparence est satisfaite et les contractants avertis veillent à la
protection de leurs propres intérêts. En cas de désaccord
sur les conditions du contrat et si certaines clauses apparaissent
déséquilibrées, les parties demeurent bien
évidemment libres de ne pas s'engager. A contrario, en cas
d'échange des consentements, on en déduira que les parties ont
accepté le déséquilibre significatif en toute connaissance
de cause. L'interdiction du déséquilibre significatif reviendrait
d'une certaine façon à considérer le professionnel comme
victime d'une erreur malgré la présence d'informations
précontractuelles.
182 Par exemple l'article 1721 du Code civil sur la garantie
des vices cachés s'applique si le bailleur n'a pas donné au
locataire toute l'information nécessaire sur le bien loué afin
d'éclairer son consentement.
171.
91
La prohibition du déséquilibre significatif
apparaît d'autant moins justifiée que l'obligation d'information
est renforcée par l'obligation corrélative du cocontractant de
s'informer. Cette obligation est appelée de ses voeux par un
auteur183 et admise par certains prétoires184.
L'Avant-projet de réforme du droit des obligations prévoit de
l'introduire à l'article 1110 du Code civil. Les parties
bénéficient donc d'importants moyens pour bien connaître
les dispositions contractuelles avant de s'engager.
172. Des règles spéciales existent quant
à l'obligation d'information. Par exemple, l'obligation d'information de
l'article L. 330-3 du Code de commerce concernant les contrats de franchise,
introduite par la loi Doubin de 1989185. Avant cette loi, le
franchiseur n'était tenu à aucune obligation d'information
particulière. Depuis, il doit adresser au futur franchisé un
document précontractuel d'information (DPI) contenant des informations
précises sur la relation contractuelle dans laquelle il s'apprête
à s'engager. Ce document est « une sorte d'assurance tous risques
contre les pièges en tous genres qu'il pourra avoir à affronter
au cours de l'exécution du contrat186. » Dans le cas des
contrats de franchise, en l'absence du dispositif de l'article L. 330-3 du Code
de commerce, l'interdiction du déséquilibre significatif aurait
été justifiée. Cependant, avec l'avènement d'une
obligation d'information spécifique, l'interdiction n'apparaît
plus nécessaire.
173. L'information précontractuelle acquise
grâce à l'obligation d'information ou par le devoir de s'informer
éclaire les parties sur les choix à faire. Dès lors que le
professionnel a été correctement informé, il est peu
probable que le juge accepte de remettre en cause les dispositions
acceptées par les parties. C'est l'enseignement d'un arrêt de la
cour d'appel de Paris où le juge indique que la partie alléguant
le déséquilibre significatif avait été
informée par son cocontractant des « conditions en toute
transparence187 », qu'elle ne pouvait donc pas invoquer le
déséquilibre significatif. L'information précontractuelle
pourrait, à elle seule, justifier la disparition de
183 P. JOURDAIN, « Le devoir de se renseigner »,
D., 1983, chron. 139.
184
trib. com. Paris, 28 sept. 2005,
n° 2002/055929.
185 L. no 89-1008 du 31 déc. 1989 relative
au développement des entreprises commerciales et artisanales et à
l'amélioration de leur environnement économique, juridique et
social, JORF, n°1 du 2 janv. 1990.
186 D. MAZEAUD, « Rapport de synthèse Colloque :
La Franchise : questions sensibles », RLDA, 2012, no
73 supplément, p. 58.
187 CA Paris, 1er févr. 2013, no
11/06560.
92
l'interdiction du déséquilibre significatif,
dès lors que les professionnels sont renseignés sur les
conditions de la relation commerciale.
174. Les défenseurs de l'interdiction
du déséquilibre significatif font valoir l'opacité de
certaines informations précontractuelles empêchant les
contractants de faire un choix éclairé. C'est pour cette raison
qu'il est conseillé aux contractants de consulter des experts, avocats
ou juristes, avant de s'engager. Dans le cas de la franchise, une étude
nous montre que 69%188 des franchisés ont consulté au
moins un expert avant de signer le contrat de franchise. Les professionnels
prennent donc le soin de s'informer avant de contracter, respectant ainsi leur
obligation de se renseigner. Un cocontractant bien informé serait mal
avisé d'invoquer ensuite le déséquilibre d'une clause lui
paraissant déséquilibrée.
Tous les professionnels ne s'informent pas de la même
façon, notamment ceux du secteur agricole. N'oublions pas que les
producteurs constituent une des principales cibles que le législateur a
voulu protéger avec la loi LME. Pour Madame Aurélie Charrier,
juriste-conseil au syndicat agricole FDSEA (Fédération
Départementale des Syndicats Exploitants Agricoles) de l'Oise, « le
problème avec les exploitants agricoles, c'est qu'ils font plutôt
confiance, et ne sollicitent le conseil juridique offert par les syndicats
qu'une fois le litige naissant. Il est donc un peu tard [et c'est] à
nous de développer le réflexe de consultation AVANT
contrat189. » C'est l'une des raisons qui justifient
l'intervention du législateur pour protéger les professionnels
moins avisés ou ceux qui font confiance à leur partenaire
commercial. Mais est-ce réellement le rôle du législateur
que de venir remédier aux omissions ou au refus des professionnels de se
renseigner avant de contracter ?
L'absence de consultation d'un expert n'est pas uniquement due
à l'omission ou au refus des professionnels d'y recourir, mais aussi
à l'impossibilité d'accéder à ce type de services.
Certains professionnels ont accès à un service juridique comme
c'est le cas au sein de certains syndicats agricoles par exemple. Madame
Aurélie Charrier confie que « les adhérents à un
syndicat ont accès au service juridique, si celui-ci en dispose. Au sein
du réseau FDSEA, par exemple, il y a des juristes, mais aussi dans la
plupart des
188 Banque Populaire, Synthèse 2014, Enquête
annuelle de la franchise, p. 6.
189 Cf. Annexe n° 2, question 2.
93
associations spécialisées190. »
Cependant, tous les agriculteurs n'ont pas un accès aux conseils d'un
expert. Madame Géraldine Odoul, producteur associé du GAEC Odoul,
indique qu'elle n'a accès à aucun service de ce type au sein de
la coopérative dont elle fait partie. Elle ajoute qu'elle ne peut
consulter qu'un conseiller du secteur « polyvalent »191.
Ce type de conseil suffit-il à éclairer le choix des
professionnels ?
175. Les obligations d'information et de s'informer devraient
suffire à éclairer le consentement des professionnels qui
acceptent alors en connaissance de cause les éventuels
déséquilibres significatifs du contrat.
§2. Un déséquilibre
prévisible
176. Il est possible de prévenir l'apparition d'un
déséquilibre significatif à deux niveaux. Soit au moment
de la négociation en amendant les obligations susceptibles de
créer un déséquilibre significatif (A).
Soit après la négociation, c'est-à-dire lors de la
rédaction du contrat (B). La façon dont le
contrat est écrit et son contenu jouent un rôle très
important pour déceler un éventuel déséquilibre
significatif.
A. Au moment de la négociation
177. L'interdiction du déséquilibre
significatif n'est pas réellement nécessaire puisque le
déséquilibre significatif peut être évité
dès l'amont, grâce à une négociation des conditions
contractuelles. L'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce
prévoit l'engagement de la responsabilité d'un opérateur
économique en cas de « soumission » de son partenaire
commercial à un déséquilibre significatif dans les droits
et obligations des parties. Le terme « soumission » laisse entendre
qu'un des partenaires s'est vu contraint d'accepter les conditions
contractuelles sans pouvoir négocier. La cour d'appel de Paris estime
qu'à défaut de négociation des conditions contractuelles,
un déséquilibre significatif est caractérisé
constitué192. Inversement, dès lors que la clause a
été négociée,
190 Annexe n° 2, question 2.
191 Annexe n° 3, question 7.
192 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.
94
elle ne peut pas être à l'origine d'un
déséquilibre significatif193. C'est pour cette raison
que la phase de négociation est très importante afin
d'éviter une « soumission » et, par extension, l'apparition
d'un déséquilibre significatif.
178. La négociation contractuelle peut éviter
de se voir soumettre à des obligations constitutives d'un
déséquilibre significatif, mais il n'est pas toujours
évident de négocier les conditions contractuelles, surtout
lorsque les professionnels sont, par exemple, des PME n'ayant pas
forcément un service commercial ou juridique pour effectuer ce travail
de prévention. Cependant, des solutions existent pour ce type
d'entreprises. En effet, certains acteurs se sont spécialisés
dans le rôle d'intermédiaire afin de permettre aux professionnels
d'obtenir les meilleures conditions contractuelles et éviter tout
déséquilibre significatif. C'est le cas par exemple de
l'entreprise Appro-Fusion194 dont l'activité consiste dans un
premier temps à mettre en contact les restaurateurs avec des
fournisseurs vendant des produits correspondant à leurs besoins. Dans un
second temps, cette société négocie les conditions d'achat
et de vente des deux parties et elle veille à leur respect.
179. Une autre possibilité offerte aux parties pour
négocier correctement les conditions contractuelles est de recourir
à des organisations professionnelles. Par exemple, les agriculteurs
donnent mandat à une organisation professionnelle pour négocier
leurs conditions générales de vente et ainsi obtenir les
meilleures conditions contractuelles195. La négociation par
les organisations professionnelles est d'autant plus importante dans ce
secteur, que les contrats signés par les agriculteurs avec les
coopératives agricoles, les industriels ou les distributeurs, sont
généralement des contrats types. La négociation des
clauses de ces contrats types est importante afin non seulement d'éviter
à la partie accusée une condamnation pour non-négociation
des clauses, mais aussi pour permettre aux agriculteurs de
bénéficier de conditions contractuelles
équilibrées. Cependant, pour certains agriculteurs, les
organisations professionnelles ou les syndicats agricoles n'obtiennent pas
toujours de meilleures conditions contractuelles.
193 CA Paris, 29 janv. 2014, no 12/07258.
194 Annexe no 5, question 1.
195 E. FABREGUE, « La «contractualisation» dans
la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. - À la
lumière de l'exemple du secteur laitier ? », Droit rural,
oct. 2011, dossier 23.
95
Pour Madame Géraldine Odoul, producteur, « nous
pensons que [ces groupements] jouent un rôle insuffisant dans notre
région196. »
À cela s'ajoute une difficulté à
négocier l'ensemble des clauses du contrat, notamment par manque de
temps. Par exemple dans le cas de conventions
récapitulatives197, l'article
L. 441-7 du Code du commerce impose leur signature avant le
1er mars de chaque année. Madame Aurélie Charrier,
juriste à la FDSEA de l'Oise, nous confie que les négociations
sur les prix prennent énormément de temps et, à cause du
délai imposé, il reste généralement peu de temps
pour négocier le reste des conditions des conventions
uniques198. La négociation paraît donc
limitée.
B. Au moment de la rédaction du contrat
180. Il est possible d'éviter le
déséquilibre significatif au moment de la rédaction des
contrats, c'est pourquoi il est indispensable de rédiger des clauses
claires et précises pour éviter toute ambiguïté. Il
est possible qu'une disposition contractuelle ait pour effet de créer un
déséquilibre significatif alors même que la partie
bénéficiaire n'avait pas l'intention de soumettre son partenaire
à un déséquilibre.
181. Les décisions de justice rendues jusqu'à
ce jour nous permettent d'identifier les causes du déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties et nous
éclairent sur les précautions à prendre lors de la
rédaction des contrats. Les juges ne se sont pas encore prononcés
définitivement sur la méthodologie à suivre au moment de
l'appréciation du déséquilibre significatif. Nous avons vu
qu'il fait tantôt une appréciation clause par clause et
tantôt une appréciation in globo du
contrat199. Dans ce dernier cas, le juge condamne « l'absence
de réciprocité ou la disproportion entre les obligations des
parties200. » C'est l'absence de réciprocité de
l'obligation qui crée un déséquilibre significatif et la
seule façon d'éviter la sanction de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce consiste à stipuler une clause
créant une contrepartie au déséquilibre. Même si
196 Annexe n° 3, question 6.
197 Pour plus d'informations sur ce point Cf. supra
n°92.
198 Annexe n° 2, question 6.
199 Cf. supra nos 108 s.
200 CA Paris, 1er oct. 2014, n°
11/17941.
96
les obligations des contractants sont
généralement différentes, il faut réussir à
établir une « réciprocité » de ces obligations
pour éviter la qualification de déséquilibre
significatif.
Pour empêcher de voir sa responsabilité
engagée au moment de la rédaction des contrats, il faut
éviter de stipuler des clauses créant des obligations à la
charge d'une seule des parties ou, sinon, prévoir une contrepartie. Par
exemple, la cour d'appel de Paris201 a considéré
qu'une clause prévoyant l'obligation pour le fournisseur de reprendre
les invendus et dénuée de contrepartie était constitutive
d'un déséquilibre significatif. Afin d'éviter la sanction,
il aurait été judicieux d'insérer une clause
prévoyant, par exemple, le paiement d'une indemnité au
fournisseur pour la reprise des invendus ou encore, une clause limitant la
quantité de produits à reprendre.
182. Dans un autre arrêt, la cour d'appel de
Paris202 a décidé que « [s]'il n'appartient pas
aux juridictions de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la
négociation contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte
tenu des termes de ce texte, examiner si les prix fixés entre des
parties contractantes créent, ou ont créé, un
déséquilibre significatif entre elles et si ce
déséquilibre est d'une importance suffisante pour être
qualifié de significatif. » Pour calculer le prix qui permettrait
d'éviter le déséquilibre, il faudrait prendre en compte
les méthodes utilisées pour le respect de l'article L. 442-6, I,
1° du Code de commerce interdisant « d'obtenir ou de tenter d'obtenir
d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à
aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement
disproportionné au regard de la valeur du service rendu. »
183. Enfin, la cour d'appel de Paris203 a
déclaré que, constituait un déséquilibre
significatif l'obligation pour le fournisseur de justifier par des
éléments objectifs l'augmentation de ses tarifs, alors que le
contrat n'indiquait pas quels étaient ces éléments, ce qui
rendait difficile la justification de l'augmentation des tarifs. En revanche,
la baisse du prix des matières premières entrainait
systématiquement une révision de la convention et ce, au
bénéfice du distributeur. La Cour d'appel estime qu'un
déséquilibre significatif était constitué. Pour
éviter ce type de situation, il est indispensable de prévoir dans
le
201 CA Paris, 4 juill. 2013, no 12/07651.
202 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
203 CA Paris, 11 sept. 2013, no 11/17941.
97
contrat les éléments objectifs sur lesquels la
révision du prix va se baser. L'insertion d'une clause d'indexation par
exemple peut être une solution.
184. Par ailleurs, la même
cour204 déclare qu'une clause prévoyant le paiement de
pénalités en cas de non-respect d'un taux de
service205 minimum de 98,5% est créatrice d'un
déséquilibre significatif. Selon la juridiction, les
méthodes de calcul du taux de service et du calcul des indemnités
n'étaient pas indiquées, ainsi que les facteurs pris en compte
pour définir le taux de service. Il est donc indispensable de
prévoir les méthodes de calcul dans le contrat et de bien
définir les facteurs intégrant le calcul d'un taux de service. En
somme, il faut être très précis, prévoyant et
surtout tenir compte des spécificités de chacun des partenaires
commerciaux pour fixer les taux de service. De même il est indispensable
de prévoir des taux raisonnables - 98,5% est un taux très
élevé - et il est indispensable de tenir compte des contraintes
des partenaires commerciaux avant de fixer le taux et d'en prévoir un
qui soit possible à atteindre.
204 CA Paris, 11 sept. 2013, n° 11/17941.
205 Taux de service : pourcentage de produits livrés
à temps dans les références et quantités requises,
par rapport à la demande exprimée par un client. Source :
http://www.agrojob.com/dictionnaire/definition-taux-de-service-3838.html
98
Section 2. Le frein au pouvoir de décision des
partenaires commerciaux
185. L'interdiction du déséquilibre
significatif affecte le pouvoir de décision des parties. En effet, elle
empêche les partenaires commerciaux de contracter librement
(§1) en acceptant des dispositions
déséquilibrées. Mais cette interdiction remet aussi en
cause les dispositions contractuelles acceptées par les partenaires
commerciaux (§2).
§1. L'interdiction du déséquilibre
significatif contre la liberté contractuelle
186. L'interdiction du déséquilibre
significatif peut être vue comme une immixtion du législateur dans
les relations commerciales. Cette immixtion peut même aller à
l'encontre des intérêts des partenaires commerciaux
(A). De plus, l'intervention massive du législateur est
une particularité française. En effet, les voisins
européens de la France optent plutôt pour une intervention plus
mesurée du législateur dans les rapports commerciaux
(B).
A. L'immixtion législative à l'encontre
des intérêts des partenaires commerciaux
187. L'immixtion du législateur portant atteinte
à la liberté contractuelle peut être justifiée au
nom de l'intérêt général (1). Il
faut toutefois interroger la pertinence de cette intervention alors même
que les partenaires commerciaux ont parfois intérêt à
maintenir le déséquilibre significatif (2).
1- La limite à la liberté contractuelle au
nom de l'intérêt général
188. L'interdiction du déséquilibre
significatif peut être perçue comme une limite à la
liberté contractuelle. Pour les juristes du Cercle Montesquieu, «
la liberté contractuelle et la régulation économique sont
deux principes du droit français inhérents à la vie des
99
affaires, mais a priori inconciliables du moins dans
l'esprit du législateur206. » Pour réguler
l'économie, ce dernier a choisi de limiter la liberté
contractuelle, alors qu'elle est à la base d'une relation
commerciale.
189. La limitation législative est intervenue alors
même que le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle
de la liberté contractuelle207. Des restrictions peuvent
toutefois lui être imposées pour des motifs d'intérêt
général208. Ce dernier passe-t-il par une
régulation économique renforcée ou par une sacro-sainte
« égalité des armes209 » ? Ne faut-il pas
donner aux parties les mêmes moyens de défense et les laisser se
débrouiller plutôt que de leur offrir des dispositifs
législatifs qui leur permettront finalement de « remédier
à [leur] légèreté et à [leur]
insouciance210» alors même qu'elles ont librement
accepté les dispositions contractuelles
déséquilibrées ?
190. L'équilibre dans les relations commerciales
est-il un motif d'intérêt général suffisant ? Nous
avons vu211 que le législateur a décidé
d'interdire le déséquilibre significatif pour sauvegarder la
libre concurrence et protéger le consommateur. D'une certaine
manière, l'interdiction du déséquilibre significatif porte
atteinte à la liberté contractuelle pour des motifs
d'intérêt général. Pour certains professionnels de
la distribution, l'intervention des pouvoirs publics est allée trop
loin. Le président directeur général de Leclerc affirme :
« soit les pouvoirs publics décident de s'inviter directement
à la table des négociations commerciales, et à ce
moment-là établissons alors les contrats à trois! Soit on
laisse les acteurs librement commercer, sans jeter la suspicion à priori
sur le seul acheteur, et les conditions de la négociation s'en
trouveront optimisées212. » Nous pouvons ainsi noter le
rejet de ce dispositif par les professionnels de la grande distribution souvent
mise en cause dans les cas d'interdiction du déséquilibre
significatif.
206 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 1.
207 DC, 10 juin 1998, no 98-401 ; DC, 19 déc.
2000, no 2000-437.
208 DC, 13 janv. 2013, no 2002-465.
209 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p. 2.
210 Y.LEQUETTE « Bilan des solidarismes contractuels
», in Mélanges P. DIDIER, Économica, 2008, p.
267.
211 Cf. supra nos 35 s.
212 M.-E. LECLERC, « Assignations Lefebvre : la justice
limite l'interventionnisme de l'exécutif dans les relations
industrie-commerce », La tribune de Michel-Edouard Leclerc, 26
sept. 2013.
191.
100
L'intervention du législateur dans l'interdiction du
déséquilibre significatif est d'autant plus critiquée
qu'elle advient dans le monde des affaires, celui des professionnels
habitués aux relations commerciales et qui savent établir des
règles adaptées à leurs besoins ou utiliser celles
déjà existantes. Ceci est renforcé par le fait que le
droit commercial a été longtemps nourri par des usages ainsi que
des règles permettant de répondre de manière pertinente
à leurs besoins213.
2- La pertinence de l'intervention du
législateur
192. Par ailleurs, il serait important d'étudier la
pertinence de cette intervention législative interdisant le
déséquilibre significatif. Il est possible qu'une partie accepte
sciemment des dispositions qu'elle sait déséquilibrées.
Comme le souligne un auteur, « tout engagement libre est
juste214. » La « victime » pouvait être
d'accord uniquement parce qu'elle porte un intérêt particulier
à la conclusion de la relation commerciale. Prenons le cas du contrat de
franchise qui est « intrinsèquement fondé sur une relation
déséquilibrée entre le franchiseur et le
franchisé215. » Cet acte illustre bien cette
volonté des parties de conclure la relation commerciale nonobstant son
déséquilibre. Les réseaux de franchise présentent
de nombreux avantages pour les franchisés puisqu'il s'agit d'un concept
« clé en main. » La clientèle est existante et la
marque bénéficie d'une notoriété. Les futurs
franchisés montrent leur intérêt pour le devenir, 54%
d'entre eux pensent qu'être franchisé permet de mieux gagner sa
vie qu'un salarié216. Le concept de franchise nous laisse
supposer qu'une partie serait finalement prête à accepter des
dispositions déséquilibrées en échange de
l'intégration du réseau de franchise. La remise en cause de
l'interdiction du déséquilibre significatif est d'autant plus
renforcée que ces pratiques restrictives de concurrence sont une
particularité d'un droit français esseulé.
213 D. FERRIER, « L'adéquation de l'offre de lois
contractuelles aux besoins de la pratique des affaires » in Droit
européen du contrat et droit du contrat en Europe : Quelles perspectives
pour quel équilibre ?, (dir.) G. WICKER, LexisNexis, 2008, p.
40-41.
214 E. GOUNOT, Le principe de l'autonomie de la
volonté en droit privé : contribution à l'étude
critique de l'individualisme juridique, Paris, éd. Arthur Rousseau,
1912, p. 70.
215 G. GRAS, « Propos conclusifs. Colloque : la franchise
: questions sensibles », RLDA 2012, no 73
supplément, p. 54.
216 Banque Populaire, Enquête annuelle de la franchise
2014, p. 8.
101
193. Pour juger de l'opportunité de
l'intervention du législateur venant bouleverser les relations
établies, il faudrait établir la nécessité
d'assurer l'équilibre du contrat commercial217.
Peut-être serait-il judicieux de restreindre son intervention aux seuls
contractants en état de dépendance économique,
c'est-à-dire ceux victimes d'un abus de faiblesse ? On peut
également préférer se référer à un
critère plus objectif en protégeant uniquement les TPE et PME,
dont on sait que leur poids dans les négociations est limité.
Pour l'instant, l'ensemble des relations entre partenaires commerciaux est
concerné par l'interdiction du déséquilibre significatif.
Il faudrait que seules les personnes entrant dans une catégorie
définie puissent être considérées comme des
partenaires commerciaux fragiles dont le consentement a été,
d'une certaine manière, vicié par les circonstances dans
lesquelles ils ont contracté. Les conditions cumulatives à
remplir seraient les suivantes218 :
- importance du fournisseur dans le chiffre d'affaires du
revendeur. - notoriété de la marque du fournisseur.
- importance de la part du fournisseur sur le marché.
- absence, sur le marché pertinent, d'une solution de
remplacement.
Ces conditions permettraient de faire un tri des personnes
concernées par l'interdiction du déséquilibre
significatif, afin de limiter le champ d'application du dispositif
d'interdiction uniquement dans les cas où il est réellement
nécessaire de juger la pertinence du déséquilibre
significatif et ainsi limiter la remise en cause des dispositions
acceptées.
Il est vrai que certains professionnels n'ont nullement besoin
d'une protection législative. S'ils décident d'accepter des
conditions déséquilibrées, c'est parce qu'ils savent
pouvoir y faire face. Prenons comme exemple le litige opposant le ministre de
l'Économie à Darty219 où les victimes
étaient des fournisseurs d'électroménagers (Samsung, LG
Electronics, Haier, Toshiba, Miele, Whirlpool, etc.). Le juge, en
217 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'équilibre du contrat en
droit commercial », in L'équilibre du contrat, (dir.) G.
LARDEUX, éd. PUAM, 2012, p. 29.
218 M. BEHAR-TOUCHAIS, art. préc., p. 30.
219
trib. com. Bobigny, 29 mai 2012,
no 2009/F01541.
102
s'immisçant dans les contrats afin d'éliminer le
déséquilibre significatif, agit en réalité à
l'encontre de l'intérêt des prétendues victimes du
déséquilibre. La clause de protection des stocks
dénoncée comme déséquilibrée par le ministre
avantageait en réalité ces entreprises qui n'avaient pas à
assumer le coût de stock très important.
B. L'inflation législative dans le droit de la
concurrence : une particularité française
194. Le règlement communautaire du 16 décembre
2002220 prévoit qu'afin de préserver la concurrence
sur le marché, les États membres peuvent « mettre en oeuvre
sur leur territoire des dispositions législatives nationales
destinées à protéger d'autres intérêts
légitimes. » La France a décidé de
légiférer afin de protéger la concurrence. Les pratiques
restrictives de concurrence visées à l'article L. 442-6, I du
Code de commerce sont un avatar de l'interventionniste du législateur
français. La loi Hamon221 a récemment ajouté
une nouvelle pratiques restrictive de concurrence à l'article L. 442-6,
I, 12° du Code de commerce. Pourtant, dès 2004, le
rapport Canivet préconisait de réduire l'intervention-nisme
législatif en droit de la concurrence222. Pour l'auteur du
rapport, « il semble que le temps soit venu de rompre avec une histoire
marquée par un contrôle des comportements qui trouve ses limites
dans son instrumentalisation par les opérateurs économiques au
détriment des consommateurs, au profit d'une confiance plus grande dans
les mécanismes du marché, dont le bon fonctionnement doit
être naturellement vérifié par des autorités de
régulation plus efficaces. » La France a fait le choix de
l'interventionnisme alors que ses voisins européens ont opté pour
des solutions plus flexibles.
195. L'Espagne, la Belgique, l'Angleterre, le Portugal et les
Pays-Bas ont privilégié le recours à des codes de
conduite223. Cette soft law224 permettrait
d'alléger les contraintes des professionnels lors de la rédaction
de leur contrat. L'interdiction est présente, mais de
220 Règlement du Conseil n° 1/2003/CE
du 16 déc. 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JO,
4 janv. 2003.
221 L. no 2014-344 du 17 mars 2014 relative à
la consommation, JORF, n°0065 du 18 mars 2014.
222 G. CANIVET, Restaurer la concurrence par les prix. Les
produits de grande consommation et les relations entre industrie et
commerce, La Documentation française, oct. 2004, p. 15.
223 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p.8.
224 En français : droit mou. Source :
http://iate.europa.eu/SearchByQuery.do
103
manière plus souple. De plus, les dispositions
françaises du titre IV du livre IV du Code de commerce, visant à
réglementer les pratiques entre professionnels, seraient plus
sévères que celles choisies par nos voisins tels que la Belgique,
l'Allemagne ou l'Italie225. Ces situations placent la France dans
une position de handicap par rapport à ses propres voisins
européens, ce qui peut aboutir à une baisse de
compétitivité de la France.
196. Une fois le législateur intervenu, il va s'en
suivre l'intervention du juge venant, au nom de l'interdiction du
déséquilibre significatif, remettre en cause les conventions
formées par les parties.
§2. La remise en cause du juge des dispositions
acceptées par les partenaires commerciaux
197. Le juge peut remettre en cause les dispositions
acceptées par les parties au nom de l'interdiction du
déséquilibre significatif (A). Cette
intervention bat en brèche la théorie de l'imprévision. Si
l'intervention du juge semble inévitable, encore faut-il qu'elle soit
mesurée (B).
A. La remise en cause des dispositions
acceptées au nom de l'interdiction du déséquilibre
significatif
198. « Nul ne peut modifier les conditions ou les effets
d'un contrat valablement formé, sans le consentement unanime de tous
ceux qui y ont contribué226. » Au nom de l'interdiction
du déséquilibre significatif, le juge va pouvoir venir remettre
en cause les dispositions acceptées des parties et cela même sans
avoir été sollicité par elles, puisque l'article L. 442-6,
III du Code de commerce autorise le ministre de l'Économie et le
225 CERCLE MONTESQUIEU, art. préc., p.8.
226 Y. GUYOT, Les préjugés socialistes,
conférence faite à Reims le 24 avril 1895 cité in
A. MARIER, De l'autonomie de la volonté individuelle quant aux
modifications des contrats, imprimerie FIRMAN et MONTANE, 1913, p. 144.
104
Ministère public à demander au juge qu'il
prononce l'annulation des clauses entachées d'un
déséquilibre significatif227.
Si le juge considère qu'une ou plusieurs des
dispositions acceptées par les parties créent un
déséquilibre significatif, il va déclarer nulles les
clauses illicites. Cette nullité remettrait en cause le principe
pacta sunt servanda (les conventions doivent être
respectées) mis en avant par l'article 1134 du Code civil disposant que
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi
à ceux qui les ont faites. »
199. Pour certains auteurs, la règle interdisant le
déséquilibre significatif serait « une arme de destruction
massive des contrats228. » Cette affirmation se renforce par
l'idée que ce ne sont pas les partenaires commerciaux qui ont le pouvoir
de demander la nullité des clauses constituant un
déséquilibre significatif. En effet, l'article L. 442-6, III
donne ce pouvoir uniquement aux autorités administratives. Cependant,
cette position devrait être nuancée après l'avis de la
CEPC229 de 2014. En effet, la CEPC indique que la victime d'un
déséquilibre significatif peut « agir en nullité de
la clause ou du contrat illicite et d'engager la responsabilité civile
de l'auteur de la pratique. » Mais pour l'instant, aucun changement n'a
été effectué par la loi jusqu'à ce jour. En tout
cas, même si la partie victime peut demander la nullité d'une
clause, le pouvoir d'action des autorités administratives sera toujours
possible, ce qui remet en cause les dispositions acceptées par les
parties.
200. Avec la prohibition du déséquilibre
significatif, le juge va déclarer nulles certaines clauses
acceptées par les parties afin de retrouver l'équilibre
contractuel, alors que celui-ci ne compte pas parmi les conditions de
validité du contrat répertoriées à l'article 1108
du Code civil (le consentement, la capacité, l'objet et la cause). Seule
la lésion peut sanctionner le déséquilibre contractuel,
mais elle n'est permise que dans certains types de contrats230 tels
que les contrats relatifs au partage, aux ventes
227 Cf. supra no 128.
228 M. CHAGNY, « Le nouveau droit de la concurrence :
quel impact sur les relations contractuelles ? », CCC,
déc. 2008, Alerte no 70.
229 CEPC, Avis no 14-02, 13 févr. 2014.
230 C. civ., art 887, 1674, 1118, 1123, 1123, 1305 et 1312.
105
immobilières ou encore, ceux visant à
protéger un certain type de personnes (mineurs, interdits, etc.).
201. Si l'intervention du juge est inévitable, encore
faut-il qu'elle soit limitée. B. Limitation de l'intervention du
juge
202. L'intervention du juge pour remettre en cause les
dispositions acceptées par les parties semble inévitable. Elle
s'apparente à une remise en cause de la théorie de
l'impré-vision (1), jusqu'à aujourd'hui en
principe rejeté par le juge judiciaire. L'intervention du juge doit
toutefois rester limitée afin de ne pas bouleverser excessivement le
contrat déjà conclu (2).
1- Une exception à la théorie de
l'imprévision ?
203. Accepter l'intervention du juge pour rétablir
l'équilibre contractuel équivaut à remettre en cause la
théorie de l'imprévision qui prévaut en droit civil depuis
l'arrêt Canal de Craponne231. Dans cette décision, la
Cour de cassation censure l'arrêt d'appel qui avait accordé une
révision du contrat du fait du déséquilibre des
prestations. Les parties doivent prévoir les risques qui peuvent
survenir dans l'exécution du contrat en insérant par exemple des
conditions (C. civ., art. 1168) ou des clauses d'échelle mobile. Si
l'imprévi-sion est refusée, pourquoi l'interdiction du
déséquilibre significatif ne le serait-elle pas aussi ? Accepter
l'intervention du juge pour rétablir l'équilibre contractuel du
fait d'un déséquilibre significatif revient à accepter
d'une certaine manière une intervention pour imprévision.
204. Un auteur préconise la disparition de la
théorie de l'imprévision232. L'interdiction de la
révision pour imprévision devrait disparaitre puisqu'il s'agirait
« d'une excellente illustration d'un droit français
sclérosé et vieilli par rapport à ses homologues
étrangers,
231 Cass. civ., 6 mars 1876, D., 1876. 1. 193, note
Giboulot.
232 D. MAZEAUD, « Regards positifs et prospectifs sur
«Le nouveau monde contractuel» », LPA, 7 mai 2004,
n° 92, p. 47.
106
lesquels admettent la révision judiciaire pour
imprévision233. » En effet, de nombreux systèmes
juridiques l'admettent234. La Cour de cassation semble entendre ces
auteurs puisque depuis l'arrêt Huard235, où il a
été décidé qu'au nom de la bonne foi le contrat
devait être renégocié, certains arrêts, relativement
isolés il est vrai, acceptent la reconnaissance de la révision
pour l'imprévision. C'est le cas par exemple de l'arrêt
Novacarb236 où, comme dans l'arrêt Huard, les parties
se sont vues contraintes de renégocier leur contrat du fait d'un
changement des circonstances. De plus, l'Avant-projet de réforme du
droit des obligations, s'il est adopté, prévoit dans son article
104 la reconnaissance de la théorie de l'imprévision.
L'intervention du juge pour éliminer le déséquilibre
significatif de la relation commerciale pourrait être une
conséquence de cette éventuelle future acceptation de la
théorie de l'imprévision.
2- Les mises en garde concernant l'intervention du
juge
205. Selon un auteur, l'intervention du juge
en cas de déséquilibre significatif ne doit pas avoir pour but de
remettre en cause le contrat simplement pour une «
insatisfaction237 » des parties. Les parties doivent assumer
les engagements auxquels elles ont souscrit. Pour éviter des
dérives, il est nécessaire que le juge fasse des recherches
approfondies avant de déclarer la nullité d'une clause, notamment
en recherchant les avantages réciproques238. Le rôle du
juge est celui d'une boussole239, il doit guider le procès en
tenant compte de la volonté des parties au moment où elles se
sont engagées contractuellement et il ne peut pas juger de façon
subjective en conformant la relation contractuelle à ses propres
conceptions de l'équité et de la justice
économique240.
233 Y.LEQUETTE « Bilan des solidarismes contractuels
», in Mélanges P. DIDIER, Économica, 2008, p.
272.
234 K. HAERI et M. RAZAVI, « La prévision dans le
contrat, la prévision dans le procès », G. Pal.
2930 déc. 2010, p.15.
235
Cass. com., 3 nov. 1992, no
90-18547.
236 CA Nancy, 26 sept. 2007, no 06/02221.
237 G. PARLÉANI, art. préc., p. 104.
238 Ibid.
239 Y. LEQUETTE, ibid., p. 266.
240 Ibid., p. 265.
107
CHAPITRE II. LE RÔLE DE LA PRÉSERVATION
DES INTÉRÊTS LÉGITIMES DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
206. Nous allons analyser la possibilité de ne pas
sanctionner le déséquilibre significatif lorsqu'il est
justifié. Des raisons légitimes peuvent en effet conduire un des
partenaires commerciaux à soumettre son cocontractant à des
obligations engendrant un déséquilibre significatif.
207. Nous avons classé ces justifications en plusieurs
thèmes non exhaustifs. Tout d'abord, le maintien du
déséquilibre significatif peut être justifié par le
besoin de préserver les aspects immatériels qui font la force
d'une entreprise, tels que son image ou son savoir-faire (Section
1). Le maintien du déséquilibre peut également se
justifier par le besoin des partenaires commerciaux de maintenir une
trésorerie indispensable au fonctionnement de leur activité
(Section 2).
108
Section 1. La préservation de
l'immatériel
208. La protection des aspects immatériels d'une
entreprise peut justifier le maintien du déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Ces aspects
immatériels peuvent être : la préservation de l'image des
partenaires commerciaux à l'égard des autres acteurs
économiques (§1), élément
indispensable pour la survie de l'entreprise, ou encore celle de son
savoir-faire (§2).
§1. La préservation de l'image des
partenaires commerciaux
209. L'impossibilité de négocier le contenu du
contrat est considérée comme un déséquilibre
significatif.241 Ici, nous allons essayer d'étudier si ce
déséquilibre pourrait être justifié. Prenons le cas
des contrats de franchise, l'image de la franchise étant essentielle
pour la survie de l'enseigne, ce n'est pas en vain que le code de
déontologie européen de la franchise prévoit à son
article 7 que « le franchiseur entretient et développe l'image de
marque. » Ainsi, le franchiseur doit mettre en place tous les moyens
nécessaires à la sauvegarde de l'image de la franchise. C'est une
des raisons qui peut justifier que les contrats de franchise soient, par
nature, des contrats d'adhésion. Ils sont rarement
négociés et le franchiseur propose au franchisé une
solution « clé en main » comprenant un concept défini.
Or, pour que le déséquilibre significatif ne soit pas
caractérisé, le contrat doit pouvoir être
négocié. La difficulté avec le contrat de franchise est
que le respect des conditions du franchiseur est indispensable à la
sauvegarde de l'image et de la réputation de l'enseigne. Si le
franchisé ne respecte pas à la lettre les conditions
imposées dans le contrat de franchise, l'image de l'enseigne s'en
trouvera détériorée au détriment de l'ensemble du
réseau. Des clauses imposant la décoration du magasin ou encore
l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou des
fournisseurs sélectionnés par lui sont nécessaires
à la protection du réseau. Comme le souligne Monsieur Guy Gras,
Président de la Fédération Européenne de la
Franchise, « appliquer le déséquilibre significatif sans
mesure au contrat de franchise serait [...] totalement
241 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.
109
inapproprié en l'espèce, mais également
de nature à remettre en cause l'essence même du monde
économique de la franchise242. »
210. Non seulement l'impossibilité de
négociation du contrat de franchise peut créer un
déséquilibre significatif, mais certaines clauses du contrat
même pourraient également être qualifiées de
déséquilibrées par le juge. Or, « la franchise est un
contrat qui est intrinsèquement fondé sur une relation
déséquilibrée entre le franchiseur et le
franchisé243 ». Des clauses sont imposées
uniquement dans le but de préserver cette image de marque. Par exemple,
l'obligation de ne s'approvisionner qu'auprès du franchiseur ou de
fournisseurs sélectionnés par lui. Cette clause peut être
considérée comme déséquilibrée puisque le
franchisé impose unilatéralement cette condition. Toutefois, la
particularité du contrat de franchise autorise ce type de clause
puisqu'elle est, selon la CJCE, « considérée comme
nécessaire à la protection de la réputation du
réseau244. » Ces clauses ne devraient donc pas
être considérées comme
déséquilibrées.
211. Un autre exemple de clause confirme que le
déséquilibre significatif peut être justifié afin de
préserver l'image du partenaire commercial. Il s'agit de celle relative
au retour des produits dégradés par la clientèle. Ce type
de clause a d'abord été déclaré comme constitutif
d'un déséquilibre significatif par la cour d'appel de
Paris245. En l'espèce, sur les produits contenant des offres
promotionnelles sur l'emballage, une clause prévoyait qu'en cas de
destruction par le consommateur de l'emballage ou du produit, les frais
liés à la reprise ou à sa destruction seraient à la
charge du fournisseur. L'insertion dans le contrat d'une clause de ce type
pourrait être justifiée par la nécessité de
préserver l'image de l'enseigne du distributeur. En effet, il est
possible de justifier cette clause puisque le distributeur ne peut laisser un
produit dégradé dans le rayon car il doit proposer aux
consommateurs des biens « présentables » à la vente.
Pour moi, consommateur, « l'image des produits que je consomme est ma
propre image246 » ; cette image du produit donnée au
consommateur est donc essentielle. Que les frais de destruction ou de retour
du
242 G. GRAS, « Propos conclusifs, Colloque : la franchise
: questions sensibles », RLDA 2012, n° 73
supplément, p. 55.
243 Ibid., p. 54.
244 CJCE Pronuptia, 28 janv. 1986, no 161/84, pt.
21.
245 CA Paris, 18 déc. 2013, no 12/00150.
246 A. CADET et B. CATHELAT, « À propos de l'image
du consommateur », Les Cahiers de la publicité,
no16, p. 142.
110
produit soient à la charge du fournisseur semble assez
logique puisque c'est bien lui qui a décidé de mettre en place
les offres promotionnelles sur l'emballage du produit. C'est donc à lui
de s'assurer de la solidité globale des emballages.
212. Une autre cause pouvant justifier le
déséquilibre significatif et la nécessité de
protection du savoir-faire.
§2. La protection du savoir-faire des partenaires
commerciaux
213. Le savoir-faire constitue pour certains professionnels
une partie très importante de leur patrimoine et, dans certains cas
comme la franchise, il est même le pilier de leur activité. La
soumission du partenaire commercial à des clauses
déséquilibrées peut être justifiée par la
conservation du savoir-faire. Nous allons nous concentrer principalement sur la
franchise, puisque c'est le contrat par excellence où, en raison de la
sauvegarde du savoir-faire, le déséquilibre significatif peut
être justifié. Pour l'instant, aucune décision de justice
n'a été rendue à ce sujet, mais rien n'empêche que
cette situation puisse se présenter.
214. Essayons de comprendre pourquoi le contrat de franchise
est déséquilibré. Pour Monsieur Guy Gras, le
déséquilibre du contrat de la franchise « trouve son origine
dans une relation ancestrale entre d'une part un «sachant», un
détenteur d'un savoir et d'autre part une personne qui désire
acquérir ce savoir247. » Le franchiseur a
travaillé pour arriver à construire un concept efficace. Pour
être conservé, il est nécessaire d'imposer des conditions
qui peuvent paraître déséquilibrées.
215. La franchise est la réitération d'une
réussite commerciale. Pour la pérenniser, il est indispensable de
protéger le savoir-faire qui en constitue le coeur. C'est pour cette
raison que des clauses de confidentialité sont imposées au
franchisé. Si les juges acceptent l'introduction de ce type de clauses,
c'est parce que cette contrainte est la contrepartie d'un avantage
concurrentiel apporté par le franchiseur au franchisé. La CJCE
confirme la nécessité de mettre en place de telles clauses
restrictives de concurrence afin de protéger
247 G. GRAS, art. préc., p. 54.
111
le savoir-faire de la franchise. Elles sont «
indispensables pour prévenir248 » le risque de transfert
du savoir-faire à un concurrent. De plus, une communication de la
Commission européenne indique que « plus le transfert de
savoir-faire est important, plus il est probable que les restrictions
généreront des gains d'efficience et/ou seront indispensables
pour le protéger et que les restrictions verticales satisferont aux
conditions énoncées à l'article 101, paragraphe
3249. » L'article 101, paragraphe 3, du Traité de
fonctionnement de l'Union européenne prévoit une exemption des
pratiques restrictives de concurrence pouvant affecter le commerce entre
États membres. Pour Monsieur Guy Gras, « le droit européen
nous a ouvert une voie raisonnable et raisonnée, espérons que
nous sachions la prendre et la conserver250. »
216. Nous voyons que la protection du
savoir-faire peut justifier l'introduction d'obligations créant un
déséquilibre significatif. Cependant, avec le projet de loi
Macron251 prévoyant l'interdiction des clauses
post-contractuelles restrictives de la liberté d'exercice de
l'activité commerciale, la protection du savoir-faire sera rendue plus
difficile. Espérons pour les professionnels que la protection du
savoir-faire pourra continuer à être utilisée comme
justificatif aux déséquilibres dans les contrats de franchise.
248 CJCE Pronuptia , 28 janv. 1986, no 161/84, pt.
16.
249 Commission européenne, Lignes directrices sur les
restrictions verticales n° 2010/C 130/01, § 189,
JOUE, 19 mai 2010.
250 G. GRAS, art. préc., p. 55.
251 Projet de loi pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques n° 473,
texte adopté par l'Assemblée nationale le 19 févr.
2015.
112
Section 2. La préservation du capital
217. La préservation du capital de l'entreprise peut
justifier le déséquilibre significatif de certaines clauses. Tout
d'abord, des prix considérés comme constituant un
déséquilibre significatif peuvent être justifiés par
le besoin de rentabilité sur les investissements faits par l'entreprise
(§1). En effet, l'entreprise doit financer des
dépenses essentielles afin de pouvoir proposer des produits de
qualité. Ensuite, l'entreprise doit maintenir une trésorerie
stable afin de pouvoir faire face aux dépenses quotidiennes, ce besoin
peut dans certains cas justifier l'imposition d'obligations créant un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties (§2).
§1. Le besoin d'une rentabilité sur les
investissements
218. La cour d'appel de Paris a estimé que même
« [s]'il n'appartient pas aux juridictions de fixer les prix qui sont
libres et relèvent de la négociation contractuelle, celles-ci
doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce texte, examiner si les
prix fixés entre des parties contractantes créent, ou ont
créé, un déséquilibre significatif entre elles et
si ce déséquilibre est d'une importance suffisante pour
être qualifiés de significatif252. » Cette
décision de la cour d'appel de Paris nous renvoie aux clauses
léonines dont l'exécution aurait pour résultat de procurer
à l'un des cocontractants un avantage exorbitant au détriment des
autres253. Le professionnel soumettrait son partenaire commercial
à un prix exorbitant conduisant à la création d'un
déséquilibre significatif. Toutefois, les clauses léonines
ne sont interdites que dans certaines circonstances, par exemple en
matière sociétaire, l'article 1844-1 du Code civil dispose que
sont réputées non écrites les clauses léonines qui
donnent à l'un des associés tous les bénéfices ou
l'affranchit de toute contribution aux pertes254. Dans le cas des
contrats entre professionnels, la clause léonine n'est pas interdite.
Cependant, il semble que l'intervention des juges soit possible pour
apprécier si un prix est trop élevé dans les
252 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
253 G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8e
éd., PUF, 2007, p. 543.
254 Ibid.
113
contrats entre professionnels. En revanche, la cour d'appel de
Paris ne nous indique pas quels sont les critères à prendre en
compte pour déterminer si les prix fixés créent ou non un
déséquilibre significatif. Quoi qu'il en soit, la
possibilité de contrôle du prix est ouverte. Ici, nous allons
essayer d'expliquer en quoi les prix déséquilibrés
imposés par une des parties peuvent être justifiés au
regard des investissements effectués par elle.
219. Commençons par les investissements
consacrés à la recherche. Les professionnels ayant recours
à la recherche doivent y consacrer un budget conséquent. En
effet, l'innovation est essentielle pour maintenir leur clientèle
puisqu'ils ont besoin de répondre aux demandes chaque fois plus
exigeantes du consommateur. Le budget consacré à la recherche
peut varier d'une entreprise à l'autre. Par exemple, chez Danone le
budget recherche s'élève à 275 millions d'euros en 2013
soit 1,9% du chiffre d'affaires255. Chez L'Oréal, il est de
761 millions en 2013, soit 3,4% du chiffre d'affaires256. Ce n'est
pas un hasard si ce sont les entreprises qui consacrent un budget important
à la recherche qui imposent des prix à leurs partenaires
commerciaux.
220. Afin de sauvegarder leur savoir-faire et de se
protéger des concurrents, les entreprises doivent réaliser divers
investissements. Par exemple, les franchiseurs doivent faire appel à des
experts en stratégie juridique afin de protéger correctement leur
projet. Ici nous pensons à des avocats, des juristes travaillant en
interne pour l'enseigne, mais aussi à des agences de conseil qui
s'occupent de la stratégie juridique ou la protection du concept, telles
que LexConcept257 par exemple. De plus, le franchiseur doit faire
face aux paiements des redevances du brevet déposé ou encore, au
coût du dépôt de tous les éléments constituant
la marque de la franchise. Ce type d'investissement justifie des prix parfois
déséquilibrés.
221. Le budget consacré en communication par les
professionnels peut également être une donnée à
prendre en compte pour la justification du prix
déséquilibré. En effet, sans communication, une grande
partie des entreprises ne survivrait pas. Pour nous rendre compte de
l'importance du budget communication d'une entreprise, nous pouvons citer
l'exemple de Nestlé qui a consacré 127,4 millions d'euros en
communication en France
255
http://finance.danone.fr/phoenix.zhtml?c=131801&p=irol-results
(Consulté le 26 mai 2015).
256
http://www.loreal.fr/groupe/nos-activites/chiffres-cles.aspx
(Consulté le 26 mai 2015).
257 Pour savoir plus sur l'activité de ce type d'agence
:
http://www.inlex.com/departements/lexconcept/
(Consulté le 26 mai 2015).
114
au cours de l'année 2013258. De plus, la
communication menée par une entreprise peut aussi être
bénéfique à son partenaire. Nous pensons ici aux relations
fournisseur-distributeur. En effet, si les produits vendus par le distributeur
sont connus par le consommateur, le distributeur va attirer une plus large
clientèle dans son magasin et le fournisseur vendra plus de produits. La
contrepartie à cet avantage est souvent le paiement d'un prix a
priori déséquilibré. Une autre cause pouvant
justifier le maintien du déséquilibre significatif est le besoin
de trésorerie.
§2. Le besoin de maintien de la trésorerie
222. Plusieurs clauses concernant les modalités de
paiement ont été déclarées constitutives d'un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Ici nous allons essayer de comprendre si ces clauses peuvent
être justifiées par les besoins du partenaire commercial
déclaré fautif.
223. Le tribunal de commerce de Lille a déclaré
qu'une clause imposant au fournisseur un paiement par virement était
déséquilibrée. En l'espèce, le juge reproche au
distributeur d'imposer ce moyen de paiement au fournisseur alors que « le
choix du moyen de paiement doit rester une liberté
économique259. » Le fournisseur se voyait contraint de
payer par virement alors que le distributeur n'est pas astreint à la
même obligation. Cela dit, d'après les conclusions des avocats de
la partie défenderesse, le distributeur payait majoritairement par
virement, soit 72,49% de ses achats260, ce qui laisse penser qu'il
préférait recevoir les paiements sous cette forme par souci
d'organisation. Certes, le coût engendré par un paiement par
virement est peut-être plus élevé que d'autres moyens.
Cependant, il est possible que le distributeur n'organise la réception
des paiements que par virement bancaire et que cette méthode convient
aux deux partenaires commerciaux. La vitesse de cette forme de paiement permet
peut-être au distributeur de constituer une trésorerie plus
rapidement. En assignant le distributeur sans ambages, le ministre de
258
http://www.llllitl.fr/2014/03/investissements-publicitaires-marques-annnonceurs-france-2013/
(consulté le 26 mai 2015).
259
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
260
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
115
l'Économie n'a sans doute pas pris soin d'interroger le
fournisseur pour savoir si ce moyen de paiement imposé était
vécu comme une contrainte ou non. D'après les avocats de la
partie défenderesse, le rapport d'enquête effectué par la
DGCCRF au nom du ministère de l'Économie ne contenait aucun
indice d'opposition ou de réclamation des fournisseurs concernant cette
clause261.
224. Nous pouvons nous intéresser aussi à une
autre clause relative au paiement et qui fut déclarée
constitutive d'un déséquilibre significatif. La clause imposait
aux fournisseurs de payer des acomptes mensuels pour des prestations au
distributeur alors que celui-ci disposait d'un délai plus long pour
payer les produits du fournisseur262. Le tribunal relève une
absence de réciprocité. Néanmoins, le
déséquilibre peut là encore trouver une justification. Si
le distributeur impose au fournisseur cette avance des fonds, c'est
peut-être parce qu'il est nécessaire pour lui de constituer une
trésorerie pour pouvoir payer les charges relatives à la revente
des produits. De plus, le distributeur achète les produits et n'en
récupère les bénéfices qu'au moment de la vente.
Cela explique le délai plus élevé dont
bénéficie le distributeur pour payer les produits au fournisseur.
Par ailleurs, d'après les arguments des avocats de la partie
défenderesse « le coût supporté par les fournisseurs
en raison de l'utilisation de cette méthode de paiement est inexistant
ou à tout le moins insignifiant263. »
225. Une dernière clause considérée
comme créant un déséquilibre significatif par le tribunal
de commerce de Bobigny264 pourrait être justifiée. En
l'espèce, les parties ont inséré une clause de protection
des stocks et de mévente des produits. Cette clause faisait supporter au
fournisseur le risque de la baisse du prix des produits ou de leur
mévente. Le tribunal admet qu'en principe la mévente ou la baisse
de prix est prise en compte lors de la fixation du prix d'achat qui n'avait
d'ailleurs pas été revu à la baisse au profit du
fournisseur qui supportait les risques. De plus, la sécurité
qu'apportait cette clause au distributeur l'incitait à acheter de gros
volumes ce qui, en retour, permettait au fournisseur d'augmenter sa
trésorerie et de limiter ses frais de stockage. Dans ce cas, nous voyons
que la clause insérée dans le contrat servait sans doute
l'intérêt des deux parties. Ces
261
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
262
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
263
trib. com Lille, 6 janv. 2010,
n° 2009/05184.
264
trib. com Bobigny 29 mai 2012,
n° 2009/F01541.
116
entreprises voient le juge s'immiscer dans leurs contrats pour
rétablir un soi-disant équilibre allant à l'encontre de
leurs véritables intérêts : « l'enfer est vraiment
pavé de bonnes intentions265. »
226. Les partenaires commerciaux ont un
rôle à jouer dans la justification du déséquilibre
significatif, dont le maintien peut connaître différents motifs
qui pourraient expliquer la défiance à l'égard du
dispositif.
265 M. BEHAR-TOUCHAIS, « L'équilibre du contrat en
droit commercial » in L'équilibre du contrat, (dir.) G.
LARDEUX, éd. PUAM, 2012, p. 37.
117
TITRE II. DÉFIANCE À L'ÉGARD DU
DISPOSITIF
227. Le rejet du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif (Chapitre 1)
s'illustre par son utilisation subsidiaire de la part des acteurs
économiques et par le refus du juge d'accepter les demandes
formulées sur ce fondement. Ce rejet par les acteurs économiques
est d'autant plus flagrant dans le secteur de la grande distribution où
le législateur souhaitait pourtant tout particulièrement
intervenir. On s'interroge alors tout naturellement sur l'efficacité de
l'interdiction du déséquilibre significatif (Chapitre
2).
118
CHAPITRE I. REJET DU DISPOSITIF INTERDISANT
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
228. Le rejet du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif s'illustre par le bilan nuancé
de son utilisation (Section 1). Certes, le nombre
d'assignations en justice de la part des acteurs économiques a
augmenté, mais le juge ne semble pas prêt à engager la
responsabilité des professionnels sur ce fondement. La situation est
particulière dans le secteur de la grande distribution, car
l'utilisation du dispositif y est encore plus faible (Section
2). Cette situation s'explique peut-être par la situation de
dépendance de certains fournisseurs à l'égard des
distributeurs.
119
Section 1. Un bilan nuancé de l'utilisation du
dispositif
229. Depuis l'introduction de l'interdiction du
déséquilibre significatif en 2008, le bilan de son utilisation
reste nuancé. Ce bilan est dû à l'utilisation subsidiaire
du dispositif par les partenaires commerciaux (§1) ainsi
qu'au refus du juge d'accueillir les demandes des partenaires commerciaux
alléguant un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties (§2).
§1. L'utilisation subsidiaire du dispositif par les
partenaires commerciaux
230. Depuis l'introduction de la prohibition du
déséquilibre significatif, l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a
été davantage utilisé. La pratique restrictive de
concurrence demeure le dispositif le plus invoqué après la
rupture brutale des relations commerciales établies (
C. com., art. L. 442-6, I,
5°)266. Le nombre de décisions rendues en
application de cet article, à l'initiative des partenaires commerciaux,
était de quinze en 2011. Il s'est maintenu en 2012 avec quatorze
décisions puis a doublé en 2013 avec trente-cinq
décisions267. Nous constatons l'intérêt
croissant des partenaires commerciaux à utiliser ce dispositif.
231. Cependant, il est à noter que le dispositif n'est
utilisé que de manière subsidiaire. L'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce est rarement soulevé comme moyen
principal d'une action. Il vient compléter d'autres pratiques
restrictives de concurrence telles que la rupture brutale des relations
commerciales établies268, ou encore de la
266 Par exemple, en 2013, 213 décisions ont
été rendues en application de l'article L. 442-6, I,
5° du Code de commerce sur une assignation des partenaires
commerciaux. Source : Faculté de Droit de Montpellier, Bilan des
décisions judiciaires civiles et pénales, période du
1er
janv. au 31 déc. 2013, Actions en
justice à l'initiative des acteurs économiques, application du
Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p.59.
267 Rapport préc., période du 1er
janv. au 31 déc. 2011, p. 20 ;
période du 1er
janv. au 31 déc. 2012, p.35.
À noter qu'il s'agit d'estimations approximatives.
268 CA Paris, 1er févr. 2013, no
11/06560.
120
responsabilité délictuelle à l'appui de
l'article 1382 du Code civil269. L'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce est seulement
employé pour contester la compétence d'un juge au profit de celui
désigné par l'article D. 442-3 du Code de commerce,
spécialisé dans les pratiques restrictives de
concurrence270.
232. Il serait intéressant de comprendre pourquoi
l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce n'est
soulevé par les parties que de façon subsidiaire. Une avocate
spécialisée dans le droit de la distribution confie que « le
déséquilibre significatif ne nous effraie pas271.
» Pourquoi cet article n'a pas eu l'effet escompté par le
législateur ? Nous pouvons supposer qu'à la suite de
l'introduction de la prohibition du déséquilibre significatif,
les parties ont révisé leurs contrats afin d'éliminer les
clauses potentiellement constitutives d'un déséquilibre
significatif. Toutefois, l'augmentation du nombre d'assignations sur ce
fondement laisse entendre que les contrats n'ont pas tous été
modifiés. Finalement, l'utilisation subsidiaire de l'article L. 442-6,
I, 2° du Code de commerce résulte peut être de son
manque de crédibilité aux yeux des justiciables. Nous allons voir
qu'en dehors des assignations faites par le ministre de l'Économie, le
juge a tendance à refuser d'admettre le grief du
déséquilibre significatif.
§2. Le refus du juge d'accueillir les demandes des
partenaires commerciaux
233. L'introduction de l'interdiction du
déséquilibre significatif dans le Code de commerce en 2008 a fait
couler beaucoup d'encre parmi les juristes. Le dispositif a essuyé de
nombreuses critiques et un auteur l'a même assimilé à
« une machine à hacher le droit272. »
269 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
270
trib. com. Nanterre, 25 nov. 2014,
no 2014/F01229. Le juge rejette l'allégation de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce parce « qu'en
décider autrement reviendrait à permettre au défendeur de
choisir son juge. »
271 Information obtenue lors du salon de la franchise 2015.
272 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du
déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels
: l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir
«une machine à hacher le droit» ? », RLC,
2010/23, p. 47.
234. 121
Nous avons vu que le champ d'application ratione materiae
de l'article L. 442-
6, I, 2° du Code de commerce est très
vaste273. L'étude du bilan des décisions de justice
rendues sous l'application de l'article L. 442-6, I, 2° du Code
de commerce, révèle que le grief de déséquilibre
significatif est rarement admis par les juges en dehors des assignations
à l'initiative du ministre de l'Économie. En 2013, sur 31
assignations faites par les acteurs économiques, le juge a reconnu
l'existence d'un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties que dans une seule décision274. Les
choses ne furent pas différentes en 2012 puisque le juge refusa
d'appliquer l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce dans l'ensemble
des affaires fondées sur ce dispositif275.
235. Quant aux assignations faites par le ministre de
l'Économie, le juge y fut plus réceptif puisqu'en 2013, par
exemple, toutes les actions entreprises sur ce fondement, sauf
une276, furent reçues par le juge277. Qu'est-ce
qui justifie cette différence de traitement ? On peut trouver une
explication dans le fait que les litiges soumis directement par les acteurs
économiques sont en général de moindre importance
(contrats de location, crédit-bail, collaboration) que ceux
soulevés par le ministre de l'Économie. L'enjeu économique
ou le nombre de victimes est bien inférieur à celui des actions
initiées par le ministre qui concernent en général tout un
secteur d'activité278. Une autre explication résulte
peut être de la volonté du juge de ne pas utiliser l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce à d'autres fins que
celles originairement prévues, c'est-à-dire la relation
fournisseur-distributeur et plus spécialement la grande distribution. Le
dispositif n'a pas été conçu pour être
appliqué à l'ensemble des relations commerciales. Le juge
souhaite peut-être circonscrire le déséquilibre
significatif au domaine de la distribution bien qu'il commence peu à peu
à accepter les demandes en dehors de ce secteur, mais seulement dans le
cadre des assignations faites par le ministre de l'Economie et qui concernent
généralement des contrats à forte importance
économique279.
273 Cf. nos 62 s.
274 Faculté de Droit de Montpellier, rapport
préc., période du 1er
janv. au 31 déc. 2013, Actions en
justice à l'initiative des acteurs économiques, application du
Titre IV du Livre IV du Code de commerce, p. 40.
275 Rapport préc., période du 1er
janv. au 31 déc. 2012, p. 35.
276
trib. com Paris, 24 sept. 2013,
n° 2011/058615.
277 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale
2013, juin 2014.
278 Faculté de Droit de Montpellier, rapport préc.,
période du 1er
janv. au 31 déc. 2012, p. 35.
279
trib. com. Paris 19 mai 2015,
n° 2015/000040.
236. En dehors du secteur de la grande distribution, le juge
refuse de prononcer le déséquilibre significatif pour des clauses
qu'il aurait pourtant sans doute déclarées comme
déséquilibrées dans ce même secteur. C'est le cas
d'une décision rendue par la cour d'appel de Paris280. Une
clause litigieuse permettait à l'un des contractants de mettre
unilatéralement fin au contrat et cela, dans le seul objectif d'obtenir
une baisse de tarif de la part de son partenaire. D'après la cour, cette
clause était justifiée dans la mesure où l'entreprise
pouvant résilier unilatéralement cherchait à faire des
économies. Appliquée au secteur de la grande distribution, la
clause aurait été vraisemblablement annulée par le juge
à raison du déséquilibre qu'elle crée.
237. Il est à noter que dans la plupart des
décisions rendues sur assignation du ministre de l'Économie, le
juge prononce des amendes civiles ou encore la répétition de
l'indu, mais rarement la nullité de la clause créant un
déséquilibre dans les droits et obligations des
parties281. Cela s'explique peut-être par la tendance du
ministre de l'Économie à demander systématiquement le
versement d'une amende civile, plutôt que des dispositions favorables aux
victimes282. La fonction première de l'interdiction du
déséquilibre significatif, c'est-à-dire la protection des
acteurs économiques, n'est pas vraiment appliquée. En outre,
quand l'assignation provient des acteurs économiques, les juges
appliquent le plus souvent, en lieu et place du déséquilibre
significatif, l'article L. 420-2 du Code de commerce relatif à l'abus de
dépendance économique283. Le juge sanctionne les abus
sur un autre fondement que le déséquilibre significatif.
122
280 CA Paris, 9 oct. 2014, n° 13/01859.
281 DGCCRF, Le bilan de la jurisprudence civile et pénale
2013, juin 2014.
282 Pour plus d'informations sur ce point, Cf. supra
no 136.
283 Faculté de Montpellier, rapport préc.,
période du 1er
janv. au 31 déc. 2013, p. 40.
123
Section 2. Une faible utilisation du dispositif par
les partenaires commerciaux dans le domaine de la distribution
238. En 2013, trente et une décisions ont
été rendues sur le fondement de l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce à la suite d'assignation par les
partenaires commerciaux. Si le nombre de demandes est en augmentation, il reste
très faible en comparaison de celles rendues sous le visa de l'article
L. 442-6, I, 5° du Code de commerce relatif à la rupture
brutale des relations commerciales (251 en 2013).
239. Par ailleurs, les assignations initiées par les
partenaires commerciaux dans le domaine de la distribution sont quasiment
nulles, alors que c'est précisément ce secteur que le
législateur visait. Le bilan de l'année 2013 des assignations en
justice faites par les partenaires commerciaux nous indique que seulement cinq
des décisions284 concernent les relations
fournisseur-distributeur et encore, il ne s'agit pas des relations fournisseur-
grande distribution.
240. La situation entre les fournisseurs et les distributeurs
peut être caractérisée d'oligopsone285 puisque,
d'un côté, nous avons une concentration des distributeurs et de
l'autre, une fragmentation de l'ensemble des fournisseurs. Cette configuration
engendre une situation de dépendance des fournisseurs (§1)
qui les dissuade de mener des actions en justice à l'encontre
les distributeurs (§2).
§1. Une situation d'oligopsone créant une
dépendance
241. La fragmentation des fournisseurs face à la
concentration des distributeurs crée une situation d'oligopsone
(A) et ce, d'autant plus après les accords de
coopération conclus par une grande partie des sociétés de
la grande distribution en France. Ce contexte crée une situation de
dépendance des fournisseurs à l'égard des distributeurs
(B).
284 CA Versailles, 4 juin 2013, no 12/01171 ; CA
Paris, 23 mai 2013, no 12/01166 ; CA Paris, 22 mai 2013,
no 10/19022 ; CA Bordeaux, 23 sept. 2013, no 12/01231,
TGI Paris, 26 nov. 2013, no 12/10665.
285 Oligopsone : Cf. supra note note n°
16.
124
A. La situation d'oligopsone entre distributeurs et
fournisseurs
242. Pour comprendre le faible nombre d'actions en justice
entreprises sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce, il faut connaître précisément les
relations commerciales qui lient ces deux acteurs incontournables du monde
économique que sont le fournisseur et le distributeur.
243. Les fournisseurs et les distributeurs sont deux acteurs
de la vie économique qui dépendent l'un de l'autre pour mener
leur activité économique. D'un côté, nous avons les
fournisseurs - dont le marché est très fragmenté - et, de
l'autre côté, des distributeurs très concentrés. La
situation des distributeurs par rapport aux fournisseurs est qualifiée
d'un oligopsone puisque les dix premières entreprises françaises
de distributeurs occupent 73% des parts de marché dans le secteur des
biens de consommation à rotation rapide286. Sept centrales
d'achat représentent à elles seules 83% des grandes surfaces
alimentaires287. Du côté des fournisseurs, 7 900 PME
fournissent la grande distribution, dont 96% de produits de grande
consommation288. On compte également 550 000 exploitations
agricoles289 qui approvisionnent les industriels ou vendent
directement leurs produits aux distributeurs. Ce phénomène n'est
pas propre à la France. En Allemagne quatre sociétés
contrôlent 85% du marché alimentaire et en Angleterre, quatre
sociétés contrôlent 76% de ce
marché290.
244. La situation d'oligopsone est d'autant plus
accentuée avec les accords de coopération conclus entre les six
grands groupes de la grande distribution. Le graphique suivant291
nous indique les sociétés ayant conclu ces accords. Ces derniers
prévoient principalement des alliances pour la négociation des
achats d'une partie des produits.
286 J.-J. ROBERT, Rapport fait au nom de la commission des
Affaires économiques sur le projet de loi sur la loyauté et
l'équilibre des relations commerciales, Paris, Sénat, 30 avr.
1996, no 336, p. 5.
287 L. ATTUEL-MENDES et J.-F. NOTEBAERT, « Les pratiques
de négociation à l'épreuve du droit », Management
& Avenir 2011/4, no 44, p. 274.
288 G. CANIVET, Rapport préc., p. 50.
289 J.-J. ROBERT, ibid.
290 P. REIS, « Déséquilibres
économiques et relations entre la grande distribution et ses
fournisseurs », in Les déséquilibres économiques
et le droit de la concurrence, (dir.) L. BOY, éd. Larcier, 2015, p.
49.
291 Source : ADLC, « Rapprochements à l'achat dans
le secteur de la grande distribution », communiqué du
1er avr. 2015.
125
Certains de ces accords excluent des fournisseurs tels que les
PME ou encore les produits sous marque de distributeur, ceux-ci étant
considérés comme les fournisseurs les plus faibles. Mais
d'après l'Autorité de la concurrence, cette exclusion ne signifie
pas que ces fournisseurs soient à l'abri des conséquences de ces
accords. En effet, puisque les fournisseurs concernés par les accords
vont devoir revoir à la baisse les conditions contractuelles, notamment
celles sur les prix, cette baisse affectera par ricochet les fournisseurs a
priori exclus des accords. Ils verront leurs ventes diminuer et seront
donc contraints d'accepter les conditions imposées par les distributeurs
aux fournisseurs des accords292.
La mise en place de ces accords est justifiée par les
distributeurs comme une solution à la guerre des prix entre les
sociétés de distribution depuis l'année 2013. Cette guerre
obligeait les distributeurs à diminuer leurs marges afin d'être
compétitifs. Cependant, comme l'indique l'Autorité de la
concurrence, « la multiplication de ces accords a significativement
renforcé le degré de concentration et a abouti à la
constitution d'une puissance d'achat significative des opérateurs
concernés, lesquels disposaient déjà d'un poids
significatif au stade de la distribution de détail. Ainsi, à la
suite de ces accords, le marché est réparti principalement entre
quatre grands acheteurs (ITM/groupe Casino, Carrefour/Cora, Auchan/
Système U et E. Leclerc), qui représentent ensemble plus de 90%
du marché293. » Cette situation d'oligopsone est
porteuse d'une situation de dépendance.
292 Ibid.
293 ADLC, « Rapprochements à l'achat dans le
secteur de la grande distribution », communiqué du 1er avr.
2015.
126
B. La création d'une situation de
dépendance
245. Les 96% des fournisseurs de produits de grande
consommation ne représentent que 19% du chiffre d'affaires des
sociétés de distribution. Les marques de distributeur (MDD) quant
à elles représentent 35% du chiffre d'affaires de ces
sociétés. De plus, les MDD connaissent une forte croissance.
Entre 1999 et 2003, leur volume a augmenté de 30%. En France, 90% des
produits MDD sont fabriqués par les PME294. Du fait de
l'importance du chiffre d'affaires des MDD chez les distributeurs par rapport
aux produits de grande consommation, les PME se retrouvent dépendantes.
Elles doivent majoritairement fabriquer les produits MDD et n'ont aucun
contrôle sur cette production. De plus, avec la mondialisation, les
distributeurs internationaux font de plus en plus fréquemment appel
à des entreprises étrangères pour fabriquer les produits
MDD. La concurrence est rude, les fournisseurs doivent rester
compétitifs.
246. Les professionnels du secteur juridique conseillant les
fournisseurs confirment que la situation du marché entraine une certaine
dépendance. Pour Madame Aurélie Charrier, juriste à la
FDSEA de l'Oise, « les producteurs acceptent de signer des contrats
comportant des clauses contraires à ses intérêts à
cause de la structure du marché. Il y a une atomisation des producteurs
(presque tous secteurs confondus) et une hyper concentration des
distributeurs295. » De plus, avec la mise en place des accords
de coopération établis par les sociétés de la
grande distribution, le risque de déséquilibre significatif
s'accroit. En effet, plusieurs fournisseurs concernés par les accords
ont demandé une renégociation de leur contrat puisqu'ils estiment
que certaines obligations sont disproportionnées et
dénuées de contrepartie. Les fournisseurs agiront-ils en justice
pour dénoncer ces déséquilibres ? En tout cas, il est
possible d'envisager une nouvelle série d'actions par le ministre de
l'Économie à l'image des assignations « Novelli ».
247. Les fournisseurs doivent vendre leurs produits. Pour
cela, ils sont contraints de contracter avec les distributeurs et, par
extension, de s'adapter à leurs exigences. La dépendance à
l'égard des distributeurs de produits de l'agroalimentaire, par exemple,
commence très en aval dans la chaîne de production. C'est le cas
des producteurs des
294 G. CANIVET, Rapport préc., p. 50.
295 Annexe n° 2, question 4.
127
matières premières dans leurs relations avec les
industriels transformateurs ou avec les coopératives
agricoles296. En effet, les producteurs ne vendent pas directement
leurs produits aux distributeurs La plupart sont contraints d'adhérer
à une coopérative297 s'ils veulent espérer
vendre leur production. Madame Géraldine Odoul fait partie de ces
producteurs dont l'emplacement géographique de l'exploitation,
située en pleine montagne, ne lui permet pas d'orienter sa
production298. Elle est donc contrainte de réduire son
activité à l'élevage de bovins, ce qui restreint
considérablement son choix de partenaires commerciaux. Elle a
opté pour l'adhésion à une coopérative agricole,
cette dernière se chargeant de vendre les produits transformés ou
non aux industriels et aux distributeurs. Mais cette décision
d'adhésion n'a pas été un véritable choix puisque
dans la région où se trouve son exploitation, l'implantation des
acheteurs est territorialisée et le seul choix possible est la
coopérative299. C'est le même cas de figure pour les
fournisseurs qui doivent passer par les circuits de distribution afin de
pouvoir vendre leurs produits. Cette dépendance des fournisseurs
vis-à-vis des distributeurs peut expliquer leur hésitation
à les assigner en justice en cas de déséquilibre
significatif.
296 Coopérative agricole :
L'entreprise coopérative agricole est une organisation
économique d'agriculteurs qui ont décidé de mutualiser les
moyens de production, de transformation et de commercialisation de leurs
produits agricoles.
Source :
http://www.coopdefrance.coop/fr/2/qu-est-ce-qu-une-coop/
297 La coopérative agricole s'engage à acheter
la production de ses adhérents. Le producteur et la coopérative
sont liés par un contrat.
298 Annexe n° 3, question 4.
299 Annexe n° 3, question 1.
128
§2. Une dépendance dissuadant l'action en
justice
248. Les fournisseurs sont-ils réellement dans un
état de dépendance (A) ? Cette situation de
dépendance ne concerne pas tous les fournisseurs, certaines
multinationales échappent à cette situation. De même,
l'état de dépendance ne crée pas forcément un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Néanmoins, la situation de dépendance semble dissuader
les parties assujetties d'agir en justice (B).
A. Un réel état de dépendance
?
249. Nous avons vu300 que le
déséquilibre significatif est venu remplacer un article qui
nécessitait de rapporter la preuve qu'un des partenaires commerciaux
était en situation de dépendance tandis que l'autre avait une
puissance d'achat ou de vente. Bien que la notion de situation de
dépendance économique ne figure plus dans le corps du texte, elle
y est implicitement présente « dans la mesure où la
soumission conduisant à un déséquilibre significatif ne
peut en pratique exister que s'il y a état de dépendance
économique301. » Déséquilibre significatif
implique-t-il nécessairement un état de dépendance ? De
même, l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce fait
référence à l'interdiction de « soumettre. » En
utilisant ce terme, le législateur envisage, d'une certaine
manière que la soumission d'un partenaire commercial entraine sa
dépendance vis-à-vis de celui qui le soumet à une
obligation créant un déséquilibre significatif.
250. La dépendance n'est pas forcément un signe
de déséquilibre. Madame Géraldine Odoul, producteur, nous
indique que même si elle a été d'une certaine
manière contrainte de contracter avec la coopérative agricole -
puisque c'était le seul moyen de vendre ses produits - les dispositions
du contrat ainsi conclu ne lui ont pas semblé
déséquilibrées302, à l'exception d'une
clause relative à l'obligation de l'apport total de la production
à la coopérative agricole. En effet, les producteurs
adhérents à une coopérative ne peuvent
généralement pas vendre leur production à un autre
partenaire commercial ou vendre leurs
300 Cf. supra no 45.
301 F. MARTY et P. REIS, « Une approche critique du
contrôle de l'exercice des pouvoirs privés économiques par
l'abus de dépendance économique », RIDE, avr. 2013,
p. 587.
302 Annexe n° 3, question 8.
129
produits directement au consommateur. Toutefois, pour Madame
Géraldine Odoul, cette clause est justifiée par le fait que la
coopérative s'engage à acheter toute la production du
producteur303. Cette justification nous montre que même si les
producteurs ou fournisseurs sont contraints de vendre leurs produits à
un nombre réduit de partenaires commerciaux, cela ne signifie pas que
cette situation de dépendance engendre automatiquement un
déséquilibre significatif. Une exigence peut être
compensée par une autre.
251. Le lien de dépendance ne concerne
pas tous les fournisseurs. En effet, les grandes et moyennes surfaces
réalisent 59% de leur chiffre d'affaires avec 3% de leurs
fournisseurs304 qui sont pour la plupart des sociétés
multinationales propriétaires de marques à forte
notoriété. Les produits vendus par ces fournisseurs sont
convoités par les consommateurs. Même si le nombre de produits MDD
ne cesse d'augmenter, il ne semble avoir aucun impact négatif sur les
ventes des marques de grande notoriété305. Leurs
produits jouissant d'un attrait auprès des consommateurs, ces
fournisseurs sont plus indépendants des distributeurs que ne le sont les
PME. C'est ce type de société qui pourrait éventuellement
prendre le risque d'assigner en justice un distributeur.
B. La dissuasion d'action en justice
252. L'éventuelle dépendance ou soumission
pourrait-elle empêcher un partenaire commercial victime d'un
déséquilibre significatif d'agir en justice ? En tout cas,
l'attitude de certains fournisseurs confirme cette contrainte qui peut les
empêcher d'agir en justice en cas de déséquilibre
significatif. Il semble qu'à la suite d'une condamnation de restitution
de sommes prononcée par le juge, certains fournisseurs se soient
empressés de reverser ses sommes au distributeur
condamné306 !
253. Le faible nombre d'actions en justice résulte
peut-être de l'épée de Damoclès qui pèse sur
les fournisseurs, à savoir le déréférencement. Les
fournisseurs n'ont d'autre choix
303 Annexe n° 3, question 8.
304 P. REIS, « Déséquilibres
économiques et relations entre la grande distribution et ses
fournisseurs » in Les déséquilibres économiques et le
droit de la concurrence, (dir.) L. BOY, Larcier, 2015, p. 50.
305 Ibid.
306
trib. com Paris, 12 nov. 2011,
no 2011/058173.
130
que de se soumettre au déséquilibre
significatif. La cour d'appel de Paris307 reconnaît que «
peu de fournisseurs peuvent se permettre d'être
déréférencés par un distributeur [...] ou d'engager
une action en justice contre lui ; que ce rapport de force asymétrique
peut conduire certains fournisseurs à devoir accepter certaines clauses
qui leur sont défavorables. » Les juristes conseillant les
producteurs/fournisseurs nous confirment cette menace. Madame Aurélie
Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, indique que « pour pouvoir
exister sur le marché, il faut être prêt à faire des
sacrifices sous peine d'être
déréférencé308. » Depuis les
accords de coopération, les fournisseurs sont encore plus exposés
au déréférencement qu'auparavant. D'après
l'Autorité de la concurrence, « de nombreux cas de
déréférencements ou de menaces de
déréférencements ont été
signalés309. »
254. Les distributeurs n'hésitent pas à se
rabattre sur un autre produit si le fournisseur n'accepte pas les conditions
qui lui sont proposées. Nous excluons ici les fournisseurs des grandes
marques plébiscitées par les consommateurs, car ceux-ci seraient
prêts à changer de magasin pour retrouver leur marque habituelle.
Les fournisseurs de ces marques bénéficieront peut-être
d'un traitement particulier de la part des distributeurs. Malgré tout,
la cour d'appel de Paris310 affirme que si « certains
fournisseurs disposent de parts de marché importantes leur donnant un
pouvoir de négociation [...] tous sont dépendants des commandes
des distributeurs pour vendre leur production. »
255. Le déréférencement reste la
sanction ultime. Avant d'en arriver là, le distributeur peut, par sa
politique de gestion de ses linéaires, avantager certains
fournisseurs311. Un des fournisseurs qui l'assignerait en justice
risquerait ainsi de voir ses produits placés de manière moins
visible que ceux de ses concurrents.
256. Du côté des producteurs vendant directement
à la grande distribution ou aux industriels, Madame Aurélie
Charrier, juriste à la FDSEA de l'Oise, nous indique que les
307 CA Paris, 1er oct. 2014, no
13/16336.
308 Annexe n° 2, question 4.
309 ADLC, « Rapprochements à l'achat dans le
secteur de la grande distribution », communiqué du 1er avr.
2015.
310 CA Paris, 1er oct. 2014, no
13/16336.
311 B. DEFFAIS, « Quelle analyse économique pour
le droit de la distribution? », RLDA, supplément au no 83,
juin 2013, p. 46.
131
producteurs sont « généralement peu enclin
à aller au tribunal, et surtout à en subir les
conséquences312. » Parmi ses dernières on trouve
le déréférencement ou encore le non-renouvellement des
contrats. En tout cas, la tendance à refuser l'action en justice est
plutôt généralisée chez les fournisseurs.
257. L'interdiction du déséquilibre
significatif ne correspond pas forcément à la
réalité commerciale puisque les fournisseurs n'ont aucun
intérêt à assigner leurs partenaires commerciaux pour
déséquilibre significatif pendant la durée de leur
relation commerciale. Si le nombre des décisions en justice rendues sur
le fondement de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce relatif
à la rupture brutale des relations commerciales est élevé,
c'est certainement parce qu'il intervient alors que la relation commerciale est
déjà terminée. La victime n'a donc plus rien à
perdre. Il en va différemment lorsqu'il s'agit d'assigner son partenaire
commercial pour déséquilibre significatif. En effet, les autres
partenaires commerciaux ne voudront pas traiter avec un partenaire qui pourrait
les assigner en justice et cela concerne non seulement les relations
fournisseur-distributeur, mais aussi toutes les relations commerciales en
général.
258. Le refus d'agir en justice est d'autant plus
justifié que la preuve du déséquilibre est délicate
à rapporter. Certaines décisions révèlent que le
ministre, comme la DGCCRF, ont parfois des difficultés à
réunir tous les éléments probatoires313. Si la
DGCCRF peine à rapporter la preuve de la soumission d'un acteur à
un autre, imaginons la difficulté pour des partenaires commerciaux
d'apporter la preuve du déséquilibre significatif.
259. Le refus d'agir du fait de l'état de
dépendance pourrait être « le fruit d'un
dérèglement de l'esprit, provoqué par une crainte privant
l'individu de sa faculté de libre détermination314.
» Est-ce que cet état de contrainte justifie une évolution
de l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce afin de
permettre aux partenaires commerciaux de négocier librement et
d'éviter « la loi de la jungle [et] celle du silence315.
» En tout cas, « le cadre synallagmatique classique [étant]
inadapté au déséquilibre de rapports de force
312 Annexe n° 3, question 5.
313
trib. com. Paris, 24 sept. 2013,
n° 2011/058615.
314 M.-A. PEROT-MOREL, De l'Équilibre des
prestations dans la conclusion du contrat, éd. Allier, 1961, p.
173.
315 Ministère de l'Économie, de l'Industrie et
de l'Emploi, « Christine Lagarde et Luc Châtel installent la brigade
de contrôle de la LME », Communiqué de presse, no
506, 18 juin 2009.
132
qui caractérise le secteur [de la distribution]
316 », l'intervention du législateur interdisant le
déséquilibre significatif semble être justifiée,
mais elle mérite une évolution afin d'être appliquée
correctement.
316 J.-P. CHARIÉ, Rapport fait au nom de la commission
des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le
projet de loi de modernisation de l'économie, Paris, Assemblée
Nationale, mai 2008, n° 908, p. 50.
133
CHAPITRE II. L'UTILITÉ DU DISPOSITIF
INTERDISANT LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
260. Le dispositif interdisant le
déséquilibre significatif est-il utile ? Pour répondre
à cette question, nous allons nous interroger sur l'opportunité
de l'intervention du législateur en la matière (Section
1). Ensuite, nous étudierons l'efficacité du dispositif
(Section 2). Est-il possible de contourner l'interdiction du
déséquilibre significatif ? Est-il envisageable d'éviter
l'apparition d'un déséquilibre significatif autrement que par son
interdiction ?
134
Section 1. L'opportunité de l'intervention du
législateur pour éviter le déséquilibre
significatif
261. Le législateur devait-il intervenir ? Les parties
pouvaient-elles éviter le déséquilibre significatif sans
aide du législateur ? (§1) Ce n'est pas en vain
que le législateur est intervenu pour interdire le
déséquilibre significatif, car il appert qu'une
autorégulation entraîne des abus (§2).
§1. Le déséquilibre significatif
évité par les partenaires commerciaux
262. Si le législateur a interdit le
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties, c'est parce qu'il estimait que les partenaires commerciaux ne
pouvaient pas l'éviter par eux-mêmes dans la mesure où l'un
d'eux se trouve en position de faiblesse par rapport à l'autre. C'est
principalement la relation fournisseur-distributeur, archétype de
l'oligopsone317 où le fournisseur est
généralement en situation de faiblesse, que le régulateur
a voulu encadrer. Cependant, pour le Professeur Yves Lequette, sont des «
bigots [ceux] qui considèrent que la réponse aux
difficultés de déséquilibre de puissance doit être
recherchée dans une politique d'inspiration dirigiste qui conduit
à réglementer impérativement le contenu du
contrat318. » En effet, l'équilibre devrait être
atteint spontanément par l'action même des partenaires
commerciaux.
263. L'équilibre dans les droits et obligations des
parties serait atteint lorsque les partenaires commerciaux retirent de cette
relation l'intérêt qu'ils cherchaient au moment où ils ont
contracté319. L'intervention législative est-elle
nécessaire pour atteindre cette situation d'équilibre ? Comme
Adam Smith le souligne en parlant de sa théorie de la main invisible,
« ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière
et du boulanger que nous attendons notre diner, mais bien du soin qu'ils
apportent à leurs
317 Cf. supra note n° 16.
318 Y. LEQUETTE, « Bilan des solidarismes contractuels
», Mélanges P. Didier, Économica, 2008, p. 264.
319 Pour plus d'informations sur ce point Cf. supra
nos 30 s.
135
intérêts320. » L'équilibre
dans la relation commerciale, c'est-à-dire le juste milieu dans la
balance des droits et obligations, passe par la satisfaction de leur
égoïsme propre.
Toute tentative du législateur de réguler les
relations contractuelles peut être vue comme une volonté de
transformation de la nature humaine profonde. Le législateur souhaite
que les partenaires commerciaux soient « solidaires » entre eux afin
de préserver l'intérêt général. Pourtant,
l'homme est par nature égoïste et c'est précisément
ce sentiment qui va permettre d'éviter le déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties. Même si le droit
voulait organiser l'économie, c'est elle qui, en dernier ressort
commande le droit321. Les parties vont privilégier le recours
à des moyens économiques pour atteindre leurs
intérêts plutôt que de se reposer sur une intervention
providentielle du législateur.
264. Même si pour les juges, une disposition
contractuelle engendre un déséquilibre significatif, dès
lors qu'elle donne lieu à une forme de rentabilité
économique pour chacune des parties, la disposition n'est pas
qualifiée de déséquilibrée. En effet, les
partenaires ont retiré l'intérêt qu'ils attendaient de la
relation commerciale, c'est-à-dire qu'ils sont parvenus à faire
du profit.
265. Les partenaires commerciaux n'ont aucun
intérêt à imposer à leur partenaire un
déséquilibre significatif qui le mettrait en difficulté.
Au contraire, un professionnel a intérêt à ce que son
cocontractant maintienne son activité commerciale afin d'avoir à
sa disposition le plus grand nombre de partenaires commerciaux possible. Il
pourra ainsi accroître la concurrence entre eux et obtenir les meilleures
conditions commerciales possibles. Le respect du partenaire commercial est donc
paradoxalement le meilleur moyen d'atteindre ses intérêts
propres.
266. Cet ensemble d'arguments explique sans doute pourquoi
l'Union européenne promeut autant le développement de
l'autorégulation322. Il s'agit de normes
européennes
320 A. SMITH, La richesse des nations, éd.
Garnier Flammarion, 1992, t. 1, p. 82.
321 J.-M. LELOUP « Intervention du Bâtonnier,
Colloque : la franchise : questions sensibles », RLDA, 2012,
no 73 supplément, p. 16.
322 Comité économique et social européen,
« L'état actuel de la corégulation et
l'autorégulation dans le marché unique », Les cahiers du
CESE, mars 2005, p. 11 : l'autorégulation est définie comme
« la possibilité, pour les opérateurs économiques,
les partenaires sociaux, les organisations non
136
communes élaborées par des comités en
collaboration avec des professionnels d'un milieu économique et
permettant à ceux-ci d'adopter des lignes directrices en phase avec les
réalités et leurs besoins. Ces normes peuvent prendre
différentes formes telles que des codes de conduite, des accords, des
chartes, ou des déclarations, etc. Bien que, pour l'instant, ces accords
relèvent de la soft law323, c'est déjà
un pas en avant vers une éventuelle régulation plus
contraignante. Cette approche remet en question l'intervention
législative qui tendrait à produire des normes inadaptées
alors que les professionnels seraient plus à même de
déterminer un cadre optimum pour leurs relations commerciales.
267. Pour autant, est-il judicieux de laisser aux parties le
soin de trouver par elles-mêmes l'équilibre de leur relation
commerciale ? Comment être sûr que les partenaires atteindront
l'équilibre contractuel recherché sans l'aide d'un tiers ?
Jusqu'à quel point la régulation des relations commerciales
peut-elle être confiée aux seuls partenaires commerciaux ou aux
forces du marché ?
§2. La nécessité de l'intervention du
législateur pour éviter le déséquilibre
significatif
268. « La main invisible est invisible pour la bonne
raison qu'elle n'existe pas324. » Cette citation du prix Nobel
de l'économie Monsieur Joseph Stiglitz suggère la
nécessité de l'intervention du législateur dans les
relations commerciales. La main invisible qui guide les acteurs
économiques et qui permet de réguler par elle-même le
marché ne serait qu'un mirage. Est-il est possible de laisser les
partenaires commerciaux trouver par eux-mêmes l'équilibre de leurs
relations contractuelles ?
269. Pour Madame Aurélie Charrier, juriste à la
FDSEA de l'Oise et conseillère juridique des producteurs, l'intervention
du législateur pour réguler les relations commerciales est
nécessaire : « les différents rapports parlementaires et les
nombreuses lois successives : la loi Galland de 1996, la loi NRE de 2001, la
loi du 2 août 2005 en
gouvernementales ou les associations, d'adopter entre eux et
pour eux-mêmes des lignes directrices communes au niveau européen
(notamment codes de conduite ou accords sectoriels). »
323 Cf. supra note n° 224.
324 J. STIGLITZ, Un autre monde. Contre le fanatisme du
marché, éd. Fayard, 2006, p. 15.
137
faveur des PME, la LME 2008, loi Hamon 2014 montrent
définitivement qu'il faut légiférer en la matière
pour protéger le marché et les acteurs sensibles.
»325 Sans l'interdiction du déséquilibre
significatif, un partenaire commercial pourra toujours abuser de sa puissance
économique pour infliger à son cocontractant des obligations
créant un déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties. Dans l'exemple du secteur de la distribution,
l'intervention du législateur est nécessaire non seulement pour
éviter l'abus de dépendance de l'article L. 420-1 du Code de
commerce, mais aussi pour éviter la mise en place des pratiques
restrictives de concurrence de l'article L. 442-6 du Code de commerce dont fait
partie le déséquilibre significatif.
270. En France, les partenaires commerciaux
sont d'une certaine manière privilégiés d'avoir des
dispositions législatives les protégeant des
déséquilibres significatifs auxquels leurs partenaires
commerciaux peuvent les soumettre. Une comparaison peut être faite avec
le Tchad par exemple. Monsieur Vincent Munkeni, vice-président de la
Tchadienne des Eaux (entreprise de traitement en embouteillage d'eau
implantée au Tchad), nous confie les difficultés que son
entreprise rencontre avec les dispositions contractuelles qu'il
considère comme créant un déséquilibre significatif
dans les droits et obligations des parties326. Pour comprendre cette
situation, il faut revenir un bref instant sur le contexte dans lequel sont
conclus ces contrats. En effet, le Tchad est un pays enclavé et purement
continental. L'entreprise dans laquelle il travaille, comme l'ensemble de
l'économie tchadienne, est donc dépendante des importations,
c'est-à-dire des transports de marchandises dont l'activité est
gérée par un petit nombre d'entreprises exerçant un
véritable monopôle. Ce dernier est renforcé d'une entente
sur les prix. De plus, ces entreprises sont soutenues par un puissant lobby -
le syndicat de transporteurs du Tchad - qui leur permet de se maintenir dans
cette situation de monopole327. La situation est donc similaire
à celle existant en France entre les fournisseurs et la grande
distribution. Les entreprises tchadiennes devant faire appel aux services des
transporteurs sont contraintes d'accepter leurs conditions contractuelles alors
même que certaines d'entre elles présentent un
déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties. Pour Monsieur Vincent Munkeni, le déséquilibre le plus
significatif dans les contrats qu'il signe repose sur la question du prix. En
effet, l'entreprise doit payer des sommes exorbitantes
325 Annexe n° 2, question 2.
326 Annexe n° 4, question 6.
327 Annexe n° 4, question 5.
138
ne correspondant pas au réel coût du service. Par
exemple, le prix de transport pour acheminer un conteneur par voie maritime de
Dubaï à Douala, la capital du Cameroun, est de 1 200 euros environ
et la deuxième partie du transport, par camion cette fois-ci,
coûte 7 400 euros environ entre Douala et N'Djamena, la capitale du
Tchad328. Nous voyons ici qu'il y a une forte disproportion du prix
au kilomètre, puisque le trajet Dubaï-Douala fait 13 000
kilomètres et celui Douala-N'Djamena 1 700 kilomètres.
D'une façon générale, la cour d'appel de
Paris329 affirme que « [s]'il n'appartient pas aux juridictions
de fixer les prix qui sont libres et relèvent de la négociation
contractuelle, celles-ci doivent néanmoins, compte tenu des termes de ce
texte, examiner si les prix fixés entre des parties contractantes
créent, ou ont créé, un déséquilibre
significatif entre elles et si ce déséquilibre est d'une
importance suffisante pour être qualifiés de significatif. »
Nous pouvons supposer que si l'on transposait la situation tchadienne en
France, l'article
L. 442-6, I, 2° du Code de commerce trouverait
à s'appliquer puisque le caractère excessif du prix crée
un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des
parties.
Or, le droit appliqué au Tchad ne prévoit pas de
disposition relative à l'interdiction du déséquilibre
significatif. En effet, le Tchad ne dispose pas d'une législation en
matière de droit de la concurrence330. Cependant, le pays
fait partie de la Communauté économique monétaire de
l'Afrique centrale (CEMAC), une organisation internationale formée de
plusieurs États d'Afrique centrale331. Cette organisation
internationale dicte des normes devant être respectées par les
pays membres. Le droit de la CEMAC prévoit une législation
relative aux opérations de concentration, d'ententes, d'abus de position
dominante lorsque les pratiques affectent le commerce entre les États
membres332. C'est précisément le cas des contrats de
transport puisqu'il s'agit d'un commerce entre États faisant partie de
la CEMAC : le Cameroun et le Tchad. Toutefois, aucune réglementation ne
semble prévoir l'interdiction des pratiques restrictives de concurrence
telle que l'interdiction du déséquilibre significatif. Les
clauses déséquilibrées introduites par les transporteurs
nous
328 Annexe n° 4, question 6.
329 CA Paris, 23 mai 2013, no 12/01166.
330 L. BOY, « Quel droit de la concurrence pour l'Afrique
francophone subsaharienne ? », RIDE, mars 2011, p. 269.
331 Les pays faisant partie de la CEMAC sont : le Cameroun, la
République centrafricaine, La République du Congo, le Gabon, la
Guinée équatoriale et le Tchad.
332 L. BOY, ibid.
139
le démontrent. Du côté du droit de
l'Organisation pour l'harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA)
appliqué au Tchad, aucune disposition n'a été prise
concernant le droit de la concurrence333. Une intervention de
l'État Tchadien pour interdire le déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties empêcherait sans
doute cette situation. Pour Monsieur Vincent Munkeni, une intervention des
pouvoirs publics est nécessaire pour réglementer ces abus,
d'autant plus que de cette intervention dépend la survie de son
entreprise. A cela, il s'ajoute le fait que les entreprises tchadiennes
répercutent le coût du transport sur les consommateurs.
271. L'exemple de l'État tchadien nous
montre que la nécessité d'intervention du législateur pour
interdire le déséquilibre significatif est essentielle et que
l'intervention du législateur français est peut-être
justifiée. Mais le dispositif interdisant le déséquilibre
significatif est-il efficace ?
333 Pour plus d'information :
http://www.ohada.com/content/presentations/Presentation-OHADA.pdf
140
Section 2. L'efficacité du dispositif
272. L'efficacité du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif peut être remise en cause du fait
de la possibilité de son contournement. Des difficultés
probatoires ainsi que la possibilité de le contourner par le recours
à des droits étrangers mettent en doute son efficacité
(§1). Enfin, dans certains domaines, il est possible
d'éviter totalement l'application de ce dispositif
(§2).
§1. Le contournement du dispositif
273. Le contournement du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif est facilité par la
difficulté d'établir la preuve, notamment écrite, du
déséquilibre (A). La méconnaissance par
les parties de l'existence de l'interdiction du déséquilibre
significatif explique également sa non-application. Un autre moyen de le
contourner consiste en l'éviction du droit français
(B). Les parties soumettent alors le contrat à des
droits étrangers ou insèrent des clauses d'arbitrage afin
d'éluder l'application du droit français.
A. Le contournement facilité par la
difficulté d'établir le non-respect du dispositif
274. Le contournement du dispositif d'interdiction est
facilité par la possibilité de soumettre un partenaire commercial
à un déséquilibre significatif sans laisser de preuves
écrites (1). La méconnaissance du dispositif
explique également son absence d'invocation par les victimes
(2).
1- La difficulté de la preuve en absence de
contrat écrit
275. L'efficacité du dispositif interdisant le
déséquilibre significatif dans les relations commerciales peut se
mesurer par la possibilité des partenaires commerciaux de le
contourner.
141
276. La cour d'appel de Versailles
334 a indiqué que « le déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties doit s'apprécier
dans la formation et l'exécution des relations contractuelles entre les
parties au contrat [...] peu [importe] qu'il n'y ait pas de contrat
écrit. » Mais comment le partenaire commercial victime d'un
déséquilibre significatif va-t-il pouvoir apporter la preuve de
ce déséquilibre sans l'existence d'un contrat écrit ?
Prenons l'exemple de la relation commerciale de certains professionnels du
secteur de la restauration. Madame Marion Deneuville, cofondatrice de la
société Appro-fusion335, nous confie que le contrat
écrit est peu utilisé dans la plupart des relations commerciales
entre restaurateurs et leurs fournisseurs, car les conditions sont
établies principalement de manière orale336. Comment
constater un éventuel déséquilibre significatif sans
contrat écrit ? Le ministre de l'Économie ne va sûrement
pas diligenter une enquête approfondie sur des relations dont l'impact
économique est très relatif, sauf peut-être dans le cas
où un professionnel soumettrait un nombre important de ses partenaires
commerciaux à un déséquilibre significatif, comme ce fut
le cas dans les assignations « Novelli. » Cependant, dans les
affaires en cause, les contrats étaient écrits.
Certains professionnels vont jusqu'à refuser la
conclusion d'un contrat écrit, même si la législation les y
oblige, c'est le cas par exemple du secteur laitier337. En effet,
Madame Géraldine Odoul, producteur, nous a confié qu'elle s'est
vue contrainte de changer de coopérative agricole parce que celle
où elle avait adhéré ne proposait aucun contrat
écrit338. Il est possible que ce refus de mettre en place un
contrat écrit était éventuellement pour imposer des
conditions contractuelles abusives, telles que celles créant un
déséquilibre significatif. En effet, l'absence de contrat
écrit rend très difficile l'apport de preuves en cas d'abus. Au
vu de la nécessité des producteurs de lait comme Madame Odoul
d'adhérer à une coopérative agricole pour pouvoir vendre
sa production, nous pouvons supposer que l'absence d'un contrat écrit
cache la volonté de soumettre les producteurs à un
déséquilibre significatif.
334 CA Versailles, 27 oct. 2011, no 10/05259.
335 Pour plus d'information sur l'activité de
l'entreprise: Annexe n° 5, question 1.
336 Annexe n° 5, question 5.
337 Décret no 2010-1753 du 30 déc.
2010 pris pour l'application de l'article L. 631-24 du code rural et de la
pêche maritime dans le secteur laitier.
338 Annexe n° 3, question 3.
142
2- La méconnaissance du dispositif par les
partenaires commerciaux
277. Par ailleurs, les professionnels eux-mêmes ne
semblent pas forcément être au courant de l'existence d'un
dispositif interdisant le déséquilibre significatif. C'est le cas
par exemple de Madame Géraldine Odoul, producteur, qui - avant que nous
lui parlions de cette disposition législative - n'en connaissait pas
l'existence339. Cette situation facilite la soumission d'un
partenaire commercial à un déséquilibre.
Cette méconnaissance peut s'expliquer par l'absence de
connaissances juridiques des professionnels en la matière. Par exemple,
parmi la catégorie des PME-TPE en région parisienne, seulement
55% d'entre elles ayant entre 50 et 249 salariés ont un service
juridique. Pour les entreprises de plus petite taille, le pourcentage est
encore moins élevé. Par exemple, pour les entreprises ayant entre
1 et 9 salariés, seulement 7% d'entre elles ont un service
juridique340. Dans 57% de ce type d'entreprises, c'est leur
président qui est responsable des aspects juridiques, alors qu'il n'a
pas forcément de formation juridique, ni d'expérience
professionnelle dans ce secteur341. Bien que ces entreprises
puissent faire appel à un avocat pour vérifier le contenu de
leurs contrats, leurs moyens financiers ne leur permettent pas de faire appel
à ce type de service pour vérifier le contenu de l'ensemble de
leurs contrats et se rendre compte qu'elles sont victimes d'un
déséquilibre significatif.
B. Le contournement par l'éviction du droit
français
278. Il est envisageable de détourner l'application de
l'interdiction du déséquilibre significatif de l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce par la soumission des contrats
à un droit étranger ne prévoyant pas cette interdiction
(1) ou encore par l'introduction d'une clause compromissoire
(2).
339 Annexe n° 3, question 2.
340 IFOP, « Étude sur : Les besoins juridiques des
TPE -PME parisiennes et leurs relations avec les avocats », 2 oct. 2014,
p. 9.
341 Ibid., p.15.
143
1- La conclusion d'un contrat de droit étranger
279. L'interdiction du déséquilibre
significatif, comme les pratiques restrictives en général, est
une particularité française. Les autres États ne
connaissant pas ces règles. Les professionnels sont alors tentés
de contourner l'interdiction en soumettant le contrat à une autre
législation. Dans le secteur de la distribution, c'est souvent le droit
suisse qui est sollicité. Par exemple, une société
mère peut conclure un contrat d'achat avec sa filiale suisse sur des
produits à destination de ses magasins de distribution en Espagne et en
France. La filiale suisse du groupe de distribution signe le contrat
international et le soumet au droit suisse342. Bien que les produits
soient destinés à être vendus sur le marché
français, ce droit n'est pas appliqué.
280. Cependant, le contournement du droit français
pour éviter le déséquilibre significatif est remis en
cause depuis une décision récente rendue par le Tribunal de
commerce de Paris343. En effet, pour les contrats internationaux,
l'article 3 du Règlement de Rome I344 pose le principe de la
liberté du droit applicable aux obligations contractuelles. Mais
l'article 9 de ce même règlement dispose que les lois de
police345 sont applicables quel que soit le droit imputable au
contrat. En l'espèce il s'agissait de savoir si l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce interdisant le
déséquilibre significatif pouvait être appliqué
à un contrat qui prévoyait l'application du droit anglais. Le
tribunal de commerce de Paris déclara que l'interdiction du
déséquilibre significatif est une loi de police puisque «
cette disposition vise à assurer la protection d'une « partie
faible » au contrat ; [...] par cette disposition, le législateur a
clairement jugé que les règles
342 J. VOGEL, « Négociations tarifaires
fournisseurs / grande distribution : comment aborder les négociations
2012 ? », JCP E., 2012, 1183.
343
trib. com. Paris 19 mai 2015,
n° 2015/000040.
344 Règlement (CE) n° 593/2008 du
Parlement européen et du Conseil, 17 juin 2008, sur la loi applicable
aux obligations contractuelles « Rome I », JOUE, 4 juill.
2008. Règlement d'application universelle du moment où l'action
est introduite devant un tribunal d'un Etat membre de l'Union
Européenne.
345 Art. 9 alinéa 1 du Règlement (CE)
n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, 17 juin
2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles « Rome I
», JOUE, 4 juill. 2008, p. 8.
« 1. Une loi de police est une disposition
impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la
sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation
politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application
à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit
par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent
règlement ».
144
fondamentales de la formation et du consentement s'appliquant
aux contrats commerciaux n'étaient pas suffisantes et qu'il est
nécessaire de renforcer un équilibre contractuel que le
législateur estime menacé par l'évolution des pratiques
commerciales ». Du moment où l'exécution du contrat
présente un rattachement avec la France, l'interdiction du
déséquilibre significatif s'applique, peu importe le droit choisi
par les parties. En l'espèce les juridictions françaises avaient
été désignées comme compétentes.
Le Tribunal de commerce de Paris interprète de
façon stricte la notion de loi de police afin de faire appliquer la
disposition prévoyant l'interdiction du déséquilibre
significatif, alors que les pratiques restrictives de concurrence sont
plutôt une spécificité française rarement applicable
dans les contrats internationaux, d'où cette possibilité de
contournement. Une preuve de ce constat est le refus par le Tribunal de
commerce de Paris dans cette même espèce de considérer
l'article L. 442-6, II, d du Code de commerce relatif à la prohibition
des clauses d'alignement comme une loi de police alors qu'il s'agit aussi d'une
pratique restrictive de concurrence.
Cependant, il n'est pas certain que cette position se
concrétise en jurisprudence. En effet, d'une part, ce jugement fera sans
doute l'objet d'un appel et d'autre part il est nécessaire d'avoir une
position de la Cour de Cassation à ce sujet.
281. En outre, nous ne sommes pas certains de la
volonté expresse de contournement. Par exemple, dans le secteur de la
distribution les contrats de droit étranger ne sont
généralement conclus qu'avec des fournisseurs qui sont des
entreprises multinationales fabriquant de produits prisés des
consommateurs et qui n'ont pas réellement à craindre du
déséquilibre significatif auquel peut le soumettre un
distributeur français. L'utilisation du droit étranger n'a pas
ici comme objectif de contourner l'application du droit français.
2- L'utilisation d'une clause d'arbitrage
282. Pour sécuriser davantage la transaction, la
société française peut inclure dans le contrat une clause
d'arbitrage. De plus les frais d'arbitrage sont très
élevés, ce qui décourage les parties victimes au
contentieux.
145
Nous pouvons nous poser la question de la validité de
ce type de clauses d'arbitrage, comme ce fut le cas
supra346 pour les clauses désignant le droit
applicable. Serait-il possible d'évoquer une loi de police pour
éviter l'application d'une clause d'arbitrage ? En effet, il n'y a pas
de doute que le droit de la concurrence relève des lois de police, tant
au regard du droit français que du droit communautaire347.
À propos du contournement de l'application de l'article L. 442-6, I,
5° du Code de commerce relatif à la rupture brutale des relations
établies, la Cour de cassation a rejeté un pourvoi arguant
l'inapplicabilité d'une clause d'arbitrage aux motifs que cet article
était une loi de police : « la société
française ne peut faire grief à l'arrêt attaqué
d'avoir rejeté son contredit et dit le tribunal de commerce
incompétent au profit de la juridiction arbitrale pour statuer sur le
litige »348. L'application de cette décision à
l'ensemble des pratiques restrictives de concurrence laisse envisager la
validité d'une clause compromissoire dans un contrat afin
d'éviter l'application de l'interdiction du déséquilibre
significatif.
L'accès à un arbitre cependant très reste
marginal. En effet, les entreprises introduisant ce type de clause dans leur
contrat doivent pouvoir faire face aux coûts très
élevés d'accès à un tribunal arbitral.
§2. Éviter le déséquilibre
significatif
283. Ici nous allons essayer d'envisager la
possibilité pour les parties d'éviter d'être
confrontées au déséquilibre significatif. Nous allons nous
concentrer sur la relation fournisseur-distributeur puisque c'est dans ce
secteur que la plupart des déséquilibres significatifs ont
été constatés et sanctionnés par les juges et parce
que les solutions suivantes ne peuvent être mises en place que dans ce
secteur.
284. La menace du déséquilibre significatif est
toujours présente. Le bilan nuancé de l'acceptation par les juges
du déséquilibre significatif lors des assignations faites par les
professionnels ainsi que l'efficacité du dispositif nous amènent
à envisager des solutions alternatives de protection contre le
déséquilibre significatif différentes de son
interdiction.
346 Cf. supra n ° 280.
347 J.-B RACINE, « Droit économique et lois de police
», RIDE, janv. 2010, p. 65.
348 Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, no
09-67.013.
146
Des solutions sont possibles dans la relation
fournisseur-distributeur. Ces solutions alternatives sont d'autant plus
justifiées dans cette relation du fait de la difficulté
rencontrée par certains fournisseurs à utiliser le dispositif
interdisant le déséquilibre significatif349.
285. La protection contre le déséquilibre
significatif pourrait se faire notamment grâce aux produits proposant une
plus forte valeur ajoutée (A). En effet, ce type de
produit permettrait d'éviter l'état de dépendance des
fournisseurs vis-à-vis des distributeurs et ainsi éviter de se
voir soumettre des conditions créant un déséquilibre
significatif. Un autre moyen pour les fournisseurs de se protéger du
déséquilibre significatif est simplement d'éviter toute
relation commerciale avec les distributeurs (B). Les
fournisseurs pourraient distribuer eux-mêmes leurs propres produits.
A. Éviter le déséquilibre
significatif grâce à des produits à valeur
ajoutée
286. Une des solutions envisagées pour éviter
le déséquilibre significatif est d'équilibrer
l'état de dépendance dans lequel se trouvent certains
fournisseurs à l'égard des distributeurs. Pour éviter
l'état de dépendance, les fournisseurs pourraient
développer des produits offrant une plus grande valeur ajoutée.
Le distributeur étant contraint de s'approvisionner avec ces produits
plébiscités par les consommateurs du fait de leur qualité
et de leurs propriétés spécifiques.
La valeur ajoutée peut être donnée
à ces produits par le biais de signes distinctifs, comme les
Appellations d'origine protégée (AOP), les Appellations d'origine
contrôlée (AOC), les Indications d'origine protégée
(IGP), le label rouge, etc.350. Ces indications peuvent constituer
un atout pour les produits et pourront éventuellement fidéliser
une clientèle.
Malheureusement, tous les producteurs ne peuvent pas se
soumettre aux cahiers des charges à respecter pour avoir l'autorisation
d'apposer ces signes sur les produits. Cela peut être dû à
un manque de moyens financiers ou juste à une situation
géographique empêchant le respect des cahiers des charges.
L'adhésion à une coopérative agricole, par
349 Cf. supra nos 248 s.
350 Pour plus d'information sur ces signes distinctifs consulter
: http://www.inao.gouv.fr/
147
exemple, peut être une solution à ces
problématiques. En effet, les coopératives agricoles constituent
un véritable levier de différenciation des produits alimentaires
puisque la mutualisation des moyens permet d'atteindre des objectifs, tels que
la création de produits à valeur ajoutée.
Les risques posés par ces solutions sont de
créer un effet inverse, c'est-à-dire que des dispositions
constituant un déséquilibre significatif soient soumises aux
distributeurs par le pouvoir de négociation des producteurs de produits
à valeur ajoutée.
B. Éviter le déséquilibre par
l'absence de relation commerciale
287. Pour ne pas avoir à être
confrontés à une éventuelle situation de
déséquilibre significatif, les fournisseurs peuvent tenter de
contourner les circuits classiques de distribution, notamment grâce
à l'e-commerce.
La vente directe est un phénomène qui se
développe en France, notamment à raison du prix au détail
dans les grandes et moyennes surfaces. Le graphique suivant351 nous
montre que pour un panier de légumes vendu au détail en grandes
et moyennes surfaces en 2014, le prix était de 1,60 euro et le prix
à l'expédition au distributeur était de 0,75 centimes. En
écourtant le circuit de distribution, le producteur peut
bénéficier de la part allant normalement au distributeur et ainsi
augmenter ses marges. Cette alternative de vente directe peut permettre aux
producteurs de contourner d'éventuels déséquilibres
significatifs auxquels le distributeur pourrait sinon les soumettre.
351 Observatoire de la formation des prix et des marges des
produits alimentaires, Rapport au parlement 2015, avr. 2015, p. 43.
288.
148
Le circuit de vente directe se développe de plus en
plus grâce à l'e-commerce, les producteurs vendant alors
directement leurs produits aux consommateurs sans passer par les circuits de
distribution classiques. Les producteurs se regroupent également pour
éviter de conclure des contrats les liant à des
coopératives agricoles. Des groupements comme l'Association pour le
maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) ou encore les magasins fermiers
illustrent cette nouvelle forme de circuits courts. Ce mouvement de vente
directe permet également de protéger l'environnement en
réduisant les emballages et en raccourcissant la chaîne de
transport.
289. Cependant, la mise en place de la vente directe n'est
pas possible pour tous les producteurs. En effet, pour certains types de
produits, il est nécessaire d'avoir les infrastructures adéquates
pour transformer et conditionner la matière première en produits
prêts à la vente au consommateur. C'est le cas des producteurs de
lait par exemple. De même, lorsque les producteurs vendent leurs produits
directement au consommateur, ils sont responsables des éventuels
problèmes (sanitaire, sécurité, conformité, etc.)
liés à ces produits. Alors que lorsqu'ils livrent toute leur
production à la coopérative, c'est cette dernière qui
devient propriétaire de la matière première et donc
responsable en cas d'incident.
149
Les producteurs vendant directement leurs produits aux
consommateurs renoncent à l'adhésion d'une coopérative
puisque les contrats entre le producteur et la coopérative
prévoient l'interdiction de la vente directe. En vendant leurs produits
directement, les producteurs doivent prendre en charge la gestion de la vente
directe, c'est à dire, l'ensemble de la
supply-chain352. Cela requiert un investissement
conséquent difficile à lier avec l'activité de production.
Le producteur doit être certain que sa marge nette, en faisant de la
vente directe, est plus élevée qu'en vendant ses produits
à un distributeur.
L'alternative de vente directe doit faire face à
l'accès des consommateurs aux magasins fermiers ou encore à
l'attachement des consommateurs à leurs enseignes de distribution
où ils pourront parfois trouver une plus grande variété de
produits que chez un producteur.
352 La supply-chain ou chaîne logistique peut
être assimilée à un modèle séquentiel
d'activités organisé autour d'un réseau d'entreprises dont
le but est de mettre un produit ou un service à la disposition du client
dans des conditions optimales en termes de quantité, de date, de lieu,
etc. Ce réseau regroupe des organisations se trouvant à l'amont
et à l'aval du processus productif.
http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Supply-chain-238906.htm
150
CONCLUSION
290. Depuis son apparition en 2008, l'interdiction du
déséquilibre significatif disposée à l'article L.
442-6, I, 2° du Code de commerce a permis de limiter les abus
de position de force dans les relations commerciales. En revanche, les
sanctions prononcées l'ont été principalement à la
suite d'assignations effectuées par le ministre de l'Économie.
Les amendes civiles élevées - dont une augmentation à
hauteur de 5 % du chiffre d'affaires du professionnel fautif est prévue
par le projet de loi Macron - ont un rôle dissuasif.
291. Chaque décision de justice et chacun des avis
rendus par les instances administratives ont permis d'affiner un dispositif
a priori flou et imprécis. L'interdiction du
déséquilibre significatif continue malgré tout
d'être critiquée par les juristes qui espèrent, tout en
restant sceptiques, que le juge finira par préciser enfin les contours
et le régime de cette notion353. Sept ans se sont
écoulés depuis l'apparition de l'interdiction du
déséquilibre significatif. Le législateur a-t-il atteint
l'objectif qu'il s'était assigné ? Les contrats entre
professionnels sont-ils désormais dénués de tout
déséquilibre significatif ou doit-on, au contraire,
considérer que ce dispositif n'est qu'un « sabre de bois
»354 ?
292. Si le dispositif a été initialement
conçu principalement pour lutter contre les abus de la grande
distribution à l'égard des fournisseurs, nous avons vu qu'il
n'était pas toujours évident ou intéressant pour les
fournisseurs d'assigner en justice leur partenaire commercial au risque de
perdre de précieux débouchés de vente pour leurs
produits355. La possibilité du ministre de l'Économie
d'agir en justice, bien qu'elle ne soit pas toujours opportune, permet de
sanctionner les déséquilibres significatifs quand les enjeux
économiques sont importants. Tel fut notamment le cas des assignations
« Novelli. » Les assignations en dehors du secteur de la grande
distribution commencent peu à peu à se développer
malgré la réticence des juges à déclarer un
déséquilibre significatif dans d'autres secteurs.
353 F. BUY, art. préc., p. 1021.
354 M. CHAGNY, « Une (r)évolution du droit
français de la concurrence ? À propos de la loi LME du 4
août 2008 », JCP G,. 2008, I, 196.
355 Cf. supra, nos 248 s.
293. Critiquée pour son immixtion dans les contrats
conclus entre professionnels, l'interdiction du déséquilibre
significatif est une réalité qui pourrait résister aux
réformes fréquentes des dispositions relatives aux pratiques
restrictives de concurrence356. En effet, si l'Avant-projet de
réforme du droit des obligations est adopté, il introduira
à l'article 1169 du Code civil, l'interdiction du
déséquilibre significatif en droit commun, droit
généralement immuable. Nous supposons que le
déséquilibre significatif du Code de commerce subira le
même sort que son homologue du Code civil, et qu'il perdurera dans le
Code de commerce. Ceci peut sembler regrettable au vu de la justification dans
certains cas du maintien du déséquilibre significatif.
294. Si l'interdiction du déséquilibre
significatif devait se maintenir, une réforme du champ d'application du
dispositif s'avèrerait nécessaire afin de délimiter les
situations dans lesquelles le dispositif trouve à s'appliquer. Cette
délimitation pourrait passer par l'établissement d'une liste de
cas d'exceptions dans lesquels le déséquilibre significatif
serait justifié ou traduit autrement que par un désavantage. Dans
l'intervalle et face à une interdiction qui semble s'installer en droit
français, les professionnels doivent prévenir les cas de
déséquilibre significatif au moment de la négociation par
une rédaction minutieuse des termes du contrat.
295. Il est certain que le droit français de la
concurrence est un droit dense et la prolifération de ces règles
risque d'entraîner une baisse de compétitivité de la
France. Elle risque aussi et surtout de pousser les professionnels à
chercher des moyens de contourner des dispositifs toujours plus
contraignants.
151
356 Cf. supra, n° 4.
152
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Code civil, Articles 887, 1674, 1118, 1123, 1123, 1305, 1312
Code de commerce, Article L. 465-2, VII. Code de commerce,
Article L. 442-6. Code de commerce, Article D. 442-3.
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2. Droit prospectif
Projet d'ordonnance portant réforme du droit des contrats,
du régime général et de la preuve des obligations.
Projet de loi pour la croissance, l'activité et
l'égalité des chances économiques n°
473.
158
B. Règlementation européenne
Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement
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obligations contractuelles « Rome I », JOUE, 4 juill.
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159
Comité économique et social
européen, « L'état actuel de la corégulation
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Cons. Const., Commentaire de la
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COULON (J.-M.), (Groupe de travail
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DGCCRF, Le Tribunal de commerce sanctionne
une clause du contrat type de l'enseigne E. Leclerc, 22 juil. 2014.
DGCCRF, Application des dispositions de la
loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce
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DGCCRF, Note d'information
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Faculté de Droit de Montpellier, Bilan
des décisions judiciaires civiles et pénales, période du
1er
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LEFEBVRE (F.), Bilan d'activité 2010
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Ministère de l'Economie, de l'Industrie et de
l'Emploi « Christine Lagarde et Luc Châtel installent la
brigade de contrôle de la LME », Communiqué de presse,
n° 506, 18 juin 2009.
160
Observatoire de la formation des prix et des marges
des produits alimentaires, Rapport au parlement 2015, éd. avr.
2015.
OLLIER (P.) et GAUBERT (J.), Rapport
d'information présenté par la commission des affaires
économiques sur la mise en application de la loi n°
2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie,
n° 2312.
ROBERT (J.-J.), Rapport fait au nom de la
commission des Affaires économiques sur le projet de loi sur la
loyauté et l'équilibre des relations commerciales, Paris,
Sénat, n° 336, 30 avr. 1996.
VI. Jurisprudences
A. Jurisprudences françaises
1. Jurisprudences du Conseil Constitutionnel
DC, 10 juin 1998, n° 98-401.
DC, 19 déc. 2000, n° 2000-437. DC, 13
janv. 2011, n° 2010-85. DC, 13 mai 2011, n°
2011-126. DC, 13 janv. 2013, n° 2002-465. DC, 13 mars 2014,
n° 2014-690.
2. Jurisprudences de la Cour de Cassation
Cass. civ., 6 mars 1876.
Cass. com., 3 nov. 1992,
n°
90-18547. Cass. com., 22 oct.
1996, n°
93-18632. Cass. com., 6
févr. 2007, n°04-13.178. Cass, com., 8 juil. 2008,
n°
07-16.701. Cass. com., 16
déc. 2008, n° 07-15.589. Cass.
1ère civ., 8 juill. 2010, n° 09-67.013. Cass.
QPC, 15 oct. 2010, n° 1137.
161
Cass. com., 18 oct. 2011,
n°
10-15.296. Cass. com., 3 mars
2015, n°
13-27.525. Cass. com., 3 mars
2015, n° 14-10.907.
3. Jurisprudences des juridictions d'appel
CA Nancy, 26 sept. 2007, n° 06/02221. CA Lyon,
10 mai 2012, n° 10/08302. CA Douai, 13 sept. 2012,
n° 12/02832. CA Paris, 1er févr. 2013,
n° 11/06560. CA Nancy, 14 févr. 2013, n°
12/00378. CA Paris, 22 mai 2013, n° 10/19022. CA Paris, 23 mai
2013, n° 12/01166. CA Bordeaux, 23 sept. 2013,
n° 12/01231.
4. Jurisprudences des juridictions du premier
degré
Trib. com., Paris, 28 sept. 2005,
n° 2002/
055929. Trib. com., Lille, 6 janv.
2010, n° 2009/
05184. Trib. com., Bobigny, 13 juil.
2010, n° 2010/
F00541. Trib. com., Lille, 7 sept.
2011, n° 2009/
05105. Trib. com., Paris, 12 nov.
2011, n° 2011/
058173. Trib. com., Créteil,
3. déc. 2011, n° 2009/
F01018. Trib. com., Meaux, 6
déc. 2011, n° 2009/
02295. Trib. com., Bobigny, 29 mai
2012, n° 2009/
F01541. Trib. com., Paris, 24 sept.
2013, n° 2011/
058615. Trib. com. Paris, 19 mai
2015, n° 2015/
000040. Trib. com., Nanterre, 25
nov. 2014, n° 2014/F01229. TGI Paris, 26 nov. 2013,
n° 12/10665.
162
B. Jurisprudences européennes
CJCE Pronuptia, 28 janv. 1986, n° 161/84, pt.
21.
CEDH, 5ème section, Galec contre France, 17 janv.
2002, requête n°51255/08.
VII. Sites internet
http://www.agrojob.com/dictionnaire/definition-taux-de-service-3838.html
http://www.coopdefrance.coop/fr/2/qu-est-ce-qu-une-coop/
http://www.e-marketing.fr/Definitions-Glossaire/Supply-chain-238906.htm
http://www.economie.gouv.fr/facileco/adam-smith
http://finance.danone.fr/phoenix.zhtml?c=131801&p=irol-results
http://www.inao.gouv.fr/
http://www.inlex.com/departements/lexconcept/
http://www.larousse.fr
http://www.llllitl.fr/2014/03/investissements-publicitaires-marques-annnonceurs-france-
2013/
http://www.loreal.fr/groupe/nos-activites/chiffres-cles.aspx
http://www.ohada.com/content/presentations/Presentation-OHADA.pdf
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12-725.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quilibre
INDEX ALPHABÉTIQUE
(Les chiffres renvoient aux numéros des paragraphes)
A
Accords de coopération, 244, 246. Action en
responsabilité victime, 148 s. Amende civile, 138 s., 237.
Assignations en justice des partenaires commerciaux, 234.
Autorégulation, 266. Autorités administratives
- Avant-projet de réforme des droits des obligations, 74,
171, 204.
- Bilan des assignations, 235.
- Information de la victime, 132 s.
- Pouvoir d'action en justice, 127 s.
- Pouvoir d'enquête, 140, 154, 258.
- Pouvoir d'injonction, 152, 159.
- Pouvoir de sanction, 153, 158, 161 s.
C
Clauses
- Arbitrage, 282.
- Nullité, 199.
- Réciprocité, 181.
- Rédaction, 180.
- Révision de prix, 183.
- Taux de service, 184.
Commission d'Examen de Pratiques Commerciales
163
- Composition, 99.
- Exemple des pratiques constitutives d'un
déséquilibre significatif, 100.
- Rôle, 97.
- Saisine, 98.
Conditions générales de vente, 84 s. Consommateur,
9, 40, 45. Convention récapitulative, 91 s.
D
Dépendance (état), 249 s., 257.
Déréférencement, 253 s. Déséquilibre
significatif
- du droit de la consommation, 7, 50 s., 58.
- Champ d'application, 61 s.
- Clausula generalis, 72 s.
- Constitutionnalité, 46 s.
- Définition, 11, 67 s.
- Méconnaissance, 277.
- Méthode d'évaluation, 12, 56,
108 s.
- Pertinence, 192.
- Preuve, 275 s.
- Utilisation subsidiaire, 230 s.
164
Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes
- Avis, 101.
- Conflit d'intérêt, 102.
E
Equilibre économique du contrat, 120 s., 182, 270.
I
Information précontractuelle, 169 s.
Insécurité juridique, 70 s.
Intervention du juge, 198 s., 205.
Intervention du législateur, 1, 16, 18, 32,
187 s. 193, 268, 269.
G
Grande distribution, 38 s.
L
Lésion, 200.
Liberté contractuelle, - Limite, 188.
- Constitutionnalité, 189. Loi de police, 280.
M
Main invisible, 263.
Marque de distributeur, 245.
N
Négociation, 177 s., 209.
O
Oligopsone, 9, 243, 262.
R
Répétition de l'indu, 146 s., 252.
S
Soft law, 195.
Solidarisme contractuel, 2, 23 s., 33 s.
P
Pratiques restrictives de concurrence, 3, 4, 14, 37, 194.
Préservation
- Image, 209 s.
- Investissements, 218 s.
- Savoir-faire, 213 s.
- Trésorerie, 222.
Principe de non-discrimination, 5, 44 s.
Principe du contradictoire, 155, 133.
T
Théorie de l'imprévision, 203 s.
V
Vente directe, 287 s.
165
ANNEXES
Annexe n° 1 : Article L. 442-6
du Code de commerce.
Annexe n° 2 : Interview de
Madame Aurélie CHARRIER, juriste à la Fédération
départementale des Syndicats Exploitants Agricoles de l'Oise.
Annexe n° 3 : Interview de
Madame Géraldine ODOUL, Producteur associé du
GAEC ODOUL.
Annexe n° 4 : Interview de
Monsieur Vincent MUNKENI, Vice-Président de la Tchadienne des eaux.
Annexe n° 5 : Interview de
Madame Marion DENEUVILLE, Co-fondratrice de l'entreprise Appro-Fusion.
166
Annexe n° 1 : Article L. 442-6 du Code de
commerce.
Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014
- art. 122 Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 -
art. 123 Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014 -
art. 125 (V) Modifié par LOI n°2014-344 du 17 mars 2014
- art. 127
I. -Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige
à réparer le préjudice causé le fait, par tout
producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au
répertoire des métiers :
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire
commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service
commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au
regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister
en la participation, non justifiée par un intérêt commun et
sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération
d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en
particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du
rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou
d'achat. Un tel avantage peut également consister en une globalisation
artificielle des chiffres d'affaires, en une demande d'alignement sur les
conditions commerciales obtenues par d'autres clients ou en une demande
supplémentaire, en cours d'exécution du contrat, visant à
maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité
;
2° De soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire
commercial à des obligations créant un déséquilibre
significatif dans les droits et obligations des parties ;
3° D'obtenir ou de tenter d'obtenir un avantage,
condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir
d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le
cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et
ayant fait l'objet d'un accord écrit ;
4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une
rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions
manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les
modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations
d'achat et de vente ;
167
5° De rompre brutalement, même partiellement, une
relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant
compte de la durée de la relation commerciale et respectant la
durée minimale de préavis déterminée, en
référence aux usages du commerce, par des accords
interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de
produits sous marque de distributeur, la durée minimale de
préavis est double de celle qui serait applicable si le produit
n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels
accords, des arrêtés du ministre chargé de
l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en
tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis
et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en
fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne
font pas obstacle à la faculté de résiliation sans
préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses
obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation
commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères
à distance, la durée minimale de préavis est double de
celle résultant de l'application des dispositions du présent
alinéa dans les cas où la durée du préavis initial
est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ;
6° De participer directement ou indirectement à la
violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur
lié par un accord de distribution sélective ou exclusive
exempté au titre des règles applicables du droit de la
concurrence ;
7° (Abrogé) ;
8° De procéder au refus ou retour de marchandises
ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le
fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect
d'une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises,
lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que
le fournisseur n'ait été en mesure de contrôler la
réalité du grief correspondant ;
9° De ne pas communiquer ses conditions
générales de vente, dans les conditions prévues à
l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de
prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une
activité professionnelle ;
10° De refuser de mentionner sur
l'étiquetage d'un produit vendu sous marque de distributeur le nom et
l'adresse du fabricant si celui-ci en a fait la demande conformément
à l'article L. 112-6 du code de la consommation ;
168
11° D'annoncer des prix hors des lieux de
vente, pour un fruit ou légume frais, sans respecter les règles
définies aux II et III de l'article L. 441-2 du présent code ;
12° De passer, de régler ou de facturer
une commande de produits ou de prestations de services à un prix
différent du prix convenu résultant de l'application du
barème des prix unitaires mentionné dans les conditions
générales de vente, lorsque celles-ci ont été
acceptées sans négociation par l'acheteur, ou du prix convenu
à l'issue de la négociation commerciale faisant l'objet de la
convention prévue à l'article L. 441-7, modifiée le cas
échéant par avenant, ou de la renégociation prévue
à l'article L. 441-8.
II. -Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour
un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne
immatriculée au répertoire des métiers, la
possibilité :
a) De bénéficier rétroactivement de
remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;
b) D'obtenir le paiement d'un droit d'accès au
référencement préalablement à la passation de toute
commande ;
c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers
des créances qu'il détient sur lui ;
d) De bénéficier automatiquement des conditions
plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant
;
e) D'obtenir d'un revendeur exploitant une surface de vente
au détail inférieure à 300 mètres carrés
qu'il approvisionne mais qui n'est pas lié à lui, directement ou
indirectement, par un contrat de licence de marque ou de savoir-faire, un droit
de préférence sur la cession ou le transfert de son
activité ou une obligation de non-concurrence postcontractuelle, ou de
subordonner l'approvisionnement de ce revendeur à une clause
d'exclusivité ou de quasi-exclusivité d'achat de ses produits ou
services d'une durée supérieure à deux ans.
L'annulation des clauses relatives au règlement
entraîne l'application du délai indiqué au deuxième
alinéa de l'article L. 441-6, sauf si la juridiction saisie peut
constater un accord sur des conditions différentes qui soient
équitables.
III. -L'action est introduite devant la juridiction civile ou
commerciale compétente par toute personne justifiant d'un
intérêt, par le ministère public, par le ministre
chargé de
169
l'économie ou par le président de
l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à
l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une
pratique mentionnée au présent article.
Lors de cette action, le ministre chargé de
l'économie et le ministère public peuvent demander à la
juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées au
présent article. Ils peuvent aussi, pour toutes ces pratiques, faire
constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la
répétition de l'indu. Ils peuvent également demander le
prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut être
supérieur à 2 millions d'euros. Toutefois, cette amende peut
être portée au triple du montant des sommes indûment
versées. La réparation des préjudices subis peut
également être demandée. Dans tous les cas, il appartient
au prestataire de services, au producteur, au commerçant, à
l'industriel ou à la personne immatriculée au répertoire
des métiers qui se prétend libéré de justifier du
fait qui a produit l'extinction de son obligation.
La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou
l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les
modalités qu'elle précise. Elle peut également ordonner
l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport
établi sur les opérations de l'exercice par les gérants,
le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont
supportés par la personne condamnée.
La juridiction peut ordonner l'exécution de sa
décision sous astreinte.
Les litiges relatifs à l'application du présent
article sont attribués aux juridictions dont le siège et le
ressort sont fixés par décret.
IV. -Le juge des référés peut ordonner,
au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre
mesure provisoire.
170
Annexe n° 2 : Interview de Madame
Aurélie CHARRIER, juriste à la Fédération
départementale des Syndicats Exploitants Agricoles de
l'Oise.
1. En quoi la phase précontractuelle est un
élément suffisant permettant d'éclairer le consentement
des partenaires commerciaux ?
La phase précontractuelle démarre avec la
communication des conditions générales de vente qui servent de
base à la négociation contractuelle : sur les conditions
d'exécution du contrat et sur les prix. C'est donc au vendeur de
déterminer la façon de vendre son produit, et à qui il
souhaite le vendre.
Par la suite, la négociation, selon le poids
économique du vendeur et celui de l'acheteur, pourra être plus ou
moins difficile. Un fabricant de yaourts MDD n'a pas le même poids que
Coca Cola. Si l'acheteur représente une part importante des parts de
marché des débouchés de l'entreprise, le vendeur sera plus
enclin à revenir sur certaines clauses.
2. Pensez-vous que l'intervention du législateur
pour interdire le déséquilibre significatif était
nécessaire ?
Les différents rapports parlementaires et les
nombreuses lois successives (la loi Galland de 1996, la loi NRE de 2001, la loi
du 2 août 2005 en faveur des PME, la LME 2008, loi Hamon 2014) montrent
définitivement qu'il faut légiférer en la matière
pour protéger le marché et les acteurs sensibles. Le juge va
permettre ensuite de définir ce qui relève ou non de notions
nouvelles : abus de dépendance économique,
déséquilibre significatif
3. Comment les juristes peuvent prévenir le
déséquilibre significatif dans les contrats?
Le conseil juridique de la partie en négociation sera
là pour conseiller à la rédaction des clauses et veiller
au respect de la loi d'une part, et des intérêts
économiques d'autre part.
4.
171
Pourquoi un professionnel accepte de signer des
contrats prévoyant un déséquilibre significatif
?
Un professionnel accepte de signer des contrats comportant
des clauses contraires à ses intérêts à cause de la
structure du marché. Il y a une atomisation des producteurs (presque
tous secteurs confondus) et une hyperconcentration des distributeurs. Pour
pouvoir exister sur le marché, il faut être prêt à
faire des sacrifices sous peine de ne pas être
référencé.
5. Est-ce que les adhérents des syndicats
agricoles ont accès à un conseil juridique lors qu'ils ont des
questions relatives aux contrats les liant avec d'autres professionnels
?
Les adhérents à un syndicat ont accès au
service juridique, si celui-ci en dispose. Au sein du réseau FNSEA par
exemple, il y a des juristes, mais aussi dans la plupart des associations
spécialisées.
Le problème avec les exploitants agricoles, c'est
qu'ils font plutôt confiance, et ne sollicitent leurs conseils qu'une
fois le litige naissant. Il est donc un peu tard. De plus, ils sont
généralement peu enclins à aller au tribunal, et surtout
à en subir les conséquences. C'est donc à nous de
développer le réflexe de consultation AVANT contrat.
6. Les producteurs ont la possibilité de
négocier réellement les dispositions contractuelles ?
Sur la négociation sur le prix, je vais vous situer ce
qu'il se passe actuellement d'un point de vue pratique : le prix fixé
dans les contrats n'est pas respecté, cela permet en plus de sous-payer
le producteur, de le garder focalisé sur ce point, alors que l'on
devrait être en train de négocier le prochain contrat cadre. Cela
est plus ou moins la même chose en vente directe au distributeur,
où les conventions doivent être signées avant le 1er mars
de chaque année. Une fois que l'on a discuté de longues semaines
et que l'on s'est mis plus ou moins d'accord sur un prix, il ne reste plus de
temps pour négocier le reste.
172
Annexe n° 3 : Interview de Madame
Géraldine ODOUL, Producteur associé du
GAEC ODOUL.
1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son
activité ?
GAEC ODOUL - 2 associés, une petite exploitation
d'élevage de bovins, en zone de montagne, environ 100 hectares avec 95%
de production d'herbe et une minorité de terres arables et donc aucune
possibilité de conversion en production de céréales ou de
cultures de plaine en raison des températures froides. Le cheptel est
composé d'un troupeau de vaches laitières (40) pour la production
de lait brut (23400l de quota ou base du contrat), et un troupeau de vaches
allaitantes (25) pour l'élevage de jeunes bovins destinés
à la production de viande.
2. Est-ce que vous avez déjà entendu
parler de la notion du déséquilibre significatif dans les droits
et obligations des parties disposée à l'article L. 442-6, I,
2° du Code de commerce ?
Pas avant que vous m'en parliez.
3. Êtes-vous adhérent à une
coopérative agricole ? Si oui, laquelle ?
Oui, SODIAAL Union. Au départ on adhérait
à un autre groupe coopératif qu'on a quitté pour des
divergences d'opinion et un risque de faillite de certaines branches du groupe.
Ensuite, nous avons commercialisé le lait à une branche
privée du groupe 3A, et avec la loi de modernisation agricole de 2010,
nous avons été contraints d'adhérer à la
coopérative 3Acoop, la branche privée ne proposait pas de contrat
et était donc dans l'illégalité pour acheter le lait.
Ensuite en 2014, 3A coop a fusionné avec SODIAAL.
4. Pourquoi avez-vous choisi de vendre vos produits
à une coopérative agricole et non directement aux industriels par
exemple ?
Ce n'est pas un choix, comme l'explique l'historique
précédent. Nous n'avons même pas le choix entre les
coopératives et les privés, parce que l'implantation des
acheteurs est très territorialisée, et chez nous, il n'y a pas de
choix en dehors de la coopérative. Il y a donc, chez nous, des
contraintes géographiques qui s'ajoutent aux
173
limites des choix de contrats. On doit s'adapter à
l'organisation des tournées de collecte du lait.
5. Pensez-vous que la coopérative permet aux
producteurs de bénéficier de meilleures conditions contractuelles
?
C'est difficilement comparable, dans une coopérative,
c'est avant tout un contrat d'adhésion avec apport de parts sociales,
participation aux assemblées générales..., et un
règlement intérieur qui précise le fonctionnement, et une
responsabilité vis-à-vis de dettes. Même si dans un grand
groupe comme SODDIAL, à notre niveau, et en tant que nouveaux venus dans
le groupe, on se sent un peu loin des décisions.
6. Faites-vous partie d'une organisation professionnelle
? d'un syndicat agricole ? Pensez-vous qu'ils ont un poids de
négociation vis-à-vis des coopératives, des industriels ou
des distributeurs ?
Oui, des organisations qui assurent un suivi technico
économique, et un syndicat représentatif. Nous pensons qu'ils
jouent un rôle insuffisant dans notre région.
7. Avez-vous accès au service juridique de votre
coopérative afin d'être conseillée sur les dispositions du
contrat que vous signez avec eux ?
Non, pas spécifiquement et directement avec un service
juridique, mais un conseiller de secteur « polyvalent ».
8. Avez-vous accepté des clauses qui vous
semblaient déséquilibrées dans votre contrat ?
Non, par contre ce qui pourrait être discutable c'est
l'obligation d'apport total de la production à la coopérative,
mais c'est compensé par le fait que la coopérative s'engage
à acheter toute la production.
174
Annexe n° 4 : Interview de Monsieur
Vincent MUNKENI, Vice-Président de la Tchadienne des eaux.
1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son
activité ?
Au sein de la Tchadienne des Eaux je suis
Vice-Président et Membre du Conseil d'Administration en charge des
questions Marketing, Ressources humaines et logistiques.
2. Dans le cadre de l'activité de votre
entreprise, concluez-vous des contrats avec des entreprises de transport
?
Oui effectivement j'ai en charge la supervision et le suivi
des activités logistiques du groupe, la négociation et la
conclusion des contrats avec les entreprises de transports font partie de mes
prérogatives.
3. Avez-vous déjà entendu parler de
l'interdiction du déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties disposé à l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce français ?
Oui j'ai pu suivre l'évolution de cet outil juridique.
4. L'activité de votre entreprise dépend
du transport des marchandises par ces entreprises ?
Effectivement nous sommes basés au Tchad, un pays
enclavé et notre entreprise comme l'ensemble de l'économie
Tchadienne est très dépendante des importations.
Notre activité dépend donc du transport des
matières premières et d'autres marchandises par les entreprises
de transport.
5. Les entreprises de transport possèdent-elles
un monopole sur cette activité ? Si oui pourquoi ?
Les entreprises de transports sont représentées
par un puissant lobby, qui est le syndicat des transporteurs du Tchad, le
sentiment de monopole est renforcé par la surpuissance de ce
réseau et par l'entente entre les sociétés de transport
sur les prix pratiqués, à titre d'exemple, le cout de transport
entre N'Djamena capitale du Tchad et le port de Douala au Cameroun qui
représente 90 % des importations vers le Tchad, est
175
quatre à cinq fois plus élevé que le prix
du transport d'un conteneur par voie maritime entre le port de Douala et les
ports de Dubaï (Émirats Arabes Unis) et ou Shanghai (Chine). Ce qui
est une aberration du point de vue des distances et des moyens de transports
utilisés
6. Êtes-vous contraint d'accepter des
dispositions créant un déséquilibre significatif dans les
droits et obligations des parties ?
Je pense que le déséquilibre repose
entièrement sur la question du prix de la prestation de transport, nous
n'avons d'autre choix que d'accepter les prix exorbitants ne correspondants pas
aux prestations et qui ne trouvent malheureusement aucune justification, aucune
logique rationnelle puisque comme je vous l'ai dit à titre d'exemple
plus haut, nous payons environs 1200 euros pour acheminer un conteneur par voie
maritime de Dubaï à Douala et sommes contraints de payer
jusqu'à 7400 Euros pour le faire venir par la route jusqu'à
N'Djamena .
7. Pensez-vous qu'une intervention de l'Etat interdisant
ce déséquilibre significatif dans les relations commerciales est
nécessaire pour la survie des activités de votre entreprise
?
Nous pensons que l'intervention de la puissance publique est
nécessaire premièrement parce qu'il s'agit d'un secteur
d'activité peu réglementé, deuxièmement
au-delà de la survie de notre entreprise une intervention
étatique permettrait de baisser significativement le cout de la vie au
Tchad , les entreprises répercutent le cout du transport et les frais de
douanes sur le prix des biens et des produits de consommations qu'elles
importent sur le marché Tchadiens et proposent aux consommateurs
Tchadien.
Nous pensons que la lutte contre la pauvreté, la lutte
contre la cherté de la vie et pour l'accès de tous aux biens de
consommations passent par la prise de mesures concrètes dans le secteur
du transport routier, pour casser les monopoles et les ententes sur les prix et
améliorer les services car il s'agit là d'un secteur très
stratégique pour un pays qui importe 90 % de ce qu'il consomme.
176
Annexe n° 5 : Interview de Madame
Marion DENEUVILLE, Co-fondratrice de l'entreprise Appro-Fusion.
1. Quel est le nom de votre entreprise et quelle est son
activité ?
Appro-Fusion est une suite de solutions qui aide les
métiers de bouche à optimiser leurs achats (principalement
alimentaires). Cela se fait via une plateforme de suivi des commandes en ligne
sur laquelle les clients centralisent toutes leurs commandes et l'appel
à fournisseurs ou nous recherchons des fournisseurs pour nos clients et
les aidons à obtenir les meilleures conditions d'achat et de vente.
2. Quel est votre fonction dans l'entreprise ?
Co-fondatrice.
3. Quelles sont les avantages pour les professionnels de
faire appel vos services ?
Un suivi plus fin de leurs achats leur permet de mieux
optimiser et donc de faire baisser leurs couts. Aussi nous faisons gagner du
temps au niveau comptable et trésorerie car l'information est disponible
en temps réel. Notre connaissance du marché nous permet aussi de
les assister dans leurs négociations.
4. Avez-vous déjà entendu parler de
l'interdiction du déséquilibre significatif dans les droits et
obligations des parties disposé à l'article L. 442-6, I, 2°
du Code de commerce ?
Pas avant cette interview.
5. Pensez-vous que les restaurateurs ou les
fournisseurs avec lesquels vous travaillez connaissent la notion de
déséquilibre significatif ?
Non. Principalement parce que dans beaucoup de cas, les
restaurateurs ne signent pas vraiment de contrat avec leurs fournisseurs
alimentaires. Ce sont principalement des conditions établies oralement
ou au mieux par email. Le contrat écrit a peu cours.
177
6. Pensez-vous que faire appel à votre
entreprise permet aux professionnels d'avoir des conditions contractuelles plus
équilibrées ?
Notre vue d'ensemble du marché permet aux
professionnels de se positionner: Les conditions sont-elles normales? Pourquoi
ont-ils ces conditions-là? Ceci leur permet après de prendre une
décision plus informée.
178
TABLE DES MATIÈRES
PRINCIPALES ABRÉVIATIONS 6
SOMMAIRE 9
INTRODUCTION 11
PREMIÈRE PARTIE : 19
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF INTERDIT
19
TITRE I : PROTECTION DE L'ÉQUILIBRE
DE LA RELATION COMMERCIALE 21 CHAPITRE I. LA
NÉCÉSSITÉ DE PROTÉGER L'ÉQUILIBRE DE LA
RELATION
COMMERCIALE 22
Section 1. L'influence du solidarisme contractuel 23
§1. Le contrat comme élément de
régulation du déséquilibre entre les parties 23
A. La quête d'un équilibre contractuel 23
B. L'influence du solidarisme contractuel dans l'interdiction du
déséquilibre
significatif dans les relations commerciales 25
§2. Les moyens utilisés pour rétablir
l'équilibre entre les partenaires
commerciaux 26
A. Nature du « déséquilibre contractuel
» 26
B. Disparition du déséquilibre 27
Section 2. Un nécessaire équilibre 28
§1. Un équilibre nécessaire au maintien de la
concurrence 28
§2. Un équilibre nécessaire pour les
consommateurs 30 CHAPITRE
II. LA CONSÉCRATION DE L'INTERDICTION
DU DÉSÉQUILIBRE
SIGNIFICATIF À L'ARTICLE L. 442-6, I, 2°
DU CODE DE COMMERCE 31
Section 1. L'interdiction formelle du
déséquilibre significatif dans les relations
commerciales 31 §1. Genèse de l'interdiction du
déséquilibre significatif dans les relations
commerciales 31
A. 179
Abrogation du principe de non-discrimination : point de
départ de
l'interdiction du déséquilibre significatif 32
B. La constitutionnalité du texte interdisant le
déséquilibre significatif 33
§2. Une notion inspirée du droit de la consommation
35
A. L'assimilation du partenaire commercial au consommateur 35
B. L'assimilation contestable 37
Section 2. Le déséquilibre significatif : une
notion ambiguë ? 39
§1. Une notion large 39
A. Un champ d'application ratione personae trop large 39
B. Un champ d'application ratione materiae
indéterminé 41
1-Une quête d'exhaustivité 41
2-Quel déséquilibre ? 43
§2. L'insécurité juridique de la notion 45
A. Une notion en englobant d'autres 45
1-La confusion avec l'article L. 442-6, I, 4° du
Code de commerce 46
2-La confusion avec le droit commun 47
B. Un pouvoir trop important donné au juge 48
TITRE II. MISE EN PRATIQUE DE L'INTERDICTION
50
CHAPITRE I. LA DÉLICATE ÉVALUATION DU
DÉSÉQUILIBRE
SIGNIFICATIF 51
Section 1. Incertitude des référentiels 51
§1. La référence pour apprécier le
déséquilibre significatif 51
A. Le rôle des Conditions générales de vente
52
1-L'appréciation du déséquilibre
significatif par les CGV 52
2-L'insuffisance des CGV dans l'appréciation du
déséquilibre
significatif 53
§2. Une liste de situations infinie 56
A. Les avis d'autorités administratives 56
1- Les avis de la Commission d'examen de pratiques
commerciales
(CEPC) 56
2- La position de la DGCCRF 59
B. Les décisions judiciaires 60
Section 2. Incertitude des techniques 63
180
§1 Appréciation clause par clause ou in globo
? 63
A. L'analyse clause par clause à l'image du droit de la
consommation 63
B. Une prise en compte in globo 64
1- La prise en compte de l'existence ou de l'absence d'autres
clauses 65
2- La prise en compte du comportement des parties 66
§2. L'appréciation de l'équilibre
économique du contrat 67
A. Une appréciation inappropriée 67
B. Une appréciation nécessaire 69
CHAPITRE II. L'ASPECT DISSUASIF DE L'INTERDICTION 70
Section 1. La menace d'une action en justice 70
§1. Une action en justice des autorités
administratives de mise en oeuvre
difficile 70
A. L'instauration d'un pouvoir d'action en justice administratif
71
B. Les difficultés de la mise en place du pouvoir
d'action en justice
administratif 72
§2. Les finalités de l'action en justice 75
A. Une amende civile controversée 75
1- Une amende civile à connotation pénale 76
2- Un montant élevé mais dérisoire 77
B. Des actions au bénéfice de la victime 78
1-L'action en répétition de l'indu 78
2-L'action en responsabilité de la victime 79
Section 2. La menace d'une sanction administrative 81
§1. Un pouvoir de décision administratif 81
A. L'instauration du dispositif 81
B. Les aspects formels du dispositif 82
§2. Un pouvoir de décision désapprouvé
82
A. Une action remise en cause 83
B. La marginalisation du juge judiciaire 84
181
SECONDE PARTIE : 86
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF MAINTENU
86
TITRE I : PARTICIPATION DES PARTENAIRES COMMERCIAUX
AU
MAINTIEN DU DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF
88 CHAPITRE I. RÔLE DU CONSENTEMENT
DES PARTENAIRES COMMERCIAUX 89
Section 1. Le pouvoir de décision des partenaires
commerciaux 90
§1. La transparence précontractuelle permettant
d'éclairer le consentement 90
§2. Un déséquilibre prévisible 93
A. Au moment de la négociation 93
B. Au moment de la rédaction du contrat 95
Section 2. Le frein au pouvoir de décision des partenaires
commerciaux 98
§1. L'interdiction du déséquilibre
significatif contre la liberté contractuelle 98
A. L'immixtion législative à l'encontre des
intérêts des partenaires
commerciaux 98
1-La limite à la liberté contractuelle au nom de
l'intérêt général 98
2-La pertinence de l'intervention du législateur 100
B. L'inflation législative dans le droit de la
concurrence : une particularité
française 102
§2. La remise en cause du juge des dispositions
acceptées par les partenaires
commerciaux 103
A. La remise en cause des dispositions acceptées au nom
de l'interdiction du
déséquilibre significatif 103
B. Limitation de l'intervention du juge 105
1-Une exception à la théorie de
l'imprévision ? 105
2-Les mises en garde concernant l'intervention du juge 106
CHAPITRE II. LE RÔLE DE LA PRÉSERVATION
DES INTÉRÊTS LÉGITIMES
DES PARTENAIRES COMMERCIAUX 107
Section 1. La préservation de l'immatériel 108
§1. La préservation de l'image des partenaires
commerciaux 108
§2. La protection du savoir-faire des partenaires
commerciaux 110
Section 2. La préservation du capital 112
§1.
182
Le besoin d'une rentabilité sur les investissements 112
§2. Le besoin de maintien de la trésorerie 114
TITRE II. DÉFIANCE À L'ÉGARD DU
DISPOSITIF 117
CHAPITRE I. REJET DU DISPOSITIF INTERDISANT
LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF 118
Section 1. Un bilan nuancé de l'utilisation du dispositif
119
§1. L'utilisation subsidiaire du dispositif par les
partenaires commerciaux 119
§2. Le refus du juge d'accueillir les demandes des
partenaires commerciaux 120 Section 2. Une faible utilisation du dispositif
par les partenaires commerciaux dans
le domaine de la distribution 123
§1. Une situation d'oligopsone créant une
dépendance 123
A. La situation d'oligopsone entre distributeurs et fournisseurs
124
B. La création d'une situation de dépendance
126
§2. Une dépendance dissuadant l'action en justice
128
A. Un réel état de dépendance ? 128
B. La dissuasion d'action en justice 129 CHAPITRE II.
L'UTILITÉ DU DISPOSITIF INTERDISANT LE DÉSÉQUILIBRE
SIGNIFICATIF 133 Section 1. L'opportunité de
l'intervention du législateur pour éviter le
déséquilibre
significatif 134
§1. Le déséquilibre significatif
évité par les partenaires commerciaux 134
§2. La nécessité de l'intervention du
législateur pour éviter le déséquilibre
significatif 136
Section 2. L'efficacité du dispositif 140
§1. Le contournement du dispositif 140
A. Le contournement facilité par la difficulté
d'établir le non-respect du
dispositif 140
1-La difficulté de la preuve en absence de contrat
écrit 140
2-La méconnaissance du dispositif par les partenaires
commerciaux 142
B. Le contournement par l'éviction du droit
français 142
1-La conclusion d'un contrat de droit étranger 143
2-L'utilisation d'une clause d'arbitrage 144
§2. Éviter le déséquilibre significatif
145
A.
183
Éviter le déséquilibre significatif
grâce à des produits à valeur ajoutée 146
B. Éviter le déséquilibre par l'absence
de relation commerciale 147
CONCLUSION 150
BIBLIOGRAPHIE 152
INDEX ALPHABÉTIQUE 163
ANNEXES 165
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