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"le droit d'accès à  la justice pour la partie impécunieuse"

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par Lloyd Rosique
Université de Aix-Marseille - Master 2 Contentieux et procédures civiles dà¢â‚¬â„¢exécution 2015
  

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Paragraphe 2 La sauvegarde de la justice arbitrale

174 L'intervention du juge étatique dans la procédure arbitrale est une question déli-

cate, car elle tend à envisager la méconnaissance de l'un de nos grands principes en procédure civile, à savoir le principe compétence-compétence. Ce principe interdit au juge étatique d'intervenir dans une procédure d'arbitrage, avant que les arbitres ne soient amenés à examiner l'affaire. Toutefois, le droit français permet une exception dès lors que la convention d'arbitrage apparait être manifestement nulle ou inapplicable.

175 Par conséquent, nous sommes en droit de nous interroger sur le fait de savoir si la

reconnaissance de l'impécuniosité d'un plaideur dans une procédure d'arbitrage par le juge étatique est compatible avec l'effet négatif du principe compétence-compétence (A) ? Ainsi, cette réflexion nous amène également à repenser la place de la justice arbitrale dans notre droit interne (B).

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A) L'impécuniosité confrontée au principe compétence-compétence

176 Le principe compétence-compétence résulte de l'application de l'article 1448 du

code de procédure civile qui dispose que « lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. La juridiction de l'Etat ne peut relever d'office son incompétence. Toute stipulation contraire au présent article est réputée non écrite ». Ledit principe comprend deux implications : un effet positif105 et un effet négatif.106

177 Pris en son aspect positif, le principe compétence-compétence entend octroyer la

possibilité aux arbitres de se prononcer sur leur propre compétence, dès lors que celle-ci est amenée à être remise en cause par les litigants.

178 Pris en son aspect négatif, celui-ci consiste à priver les juridictions étatiques de sta-

tuer sur la compétence du tribunal arbitral, tant que ce dernier n'a pas été en mesure de le faire préalablement.

179 Néanmoins, ce principe connait quelques exceptions et notamment en cas de « nul-

lité manifeste de la clause compromissoire » ou « d'inapplicabilité manifeste » 107de ladite clause. Ces exceptions résultent aussi bien d'une volonté jurisprudentielle108 que législative (l'article 1448 du code de procédure civile le prévoit expressément). Au regard de la jurisprudence actuelle, il apparait clairement que l'inapplicabilité manifeste de la convention d'arbitrage soit rarement reconnue. Celle-ci privilégie en effet la mise en oeuvre d'un contrôle « Prima facie de la convention d'arbitrage »109 .

105 WEILLER Laura « Vingt ans de droit de l'arbitrage » Rev,Procédures n° 1, Janvier 2015, dossier 3.

106 Gaillard Emmanuel « L'effet négatif de la compétence-compétence » in Mélanges J.-F. Poudret : Lausanne, 1999, p. 387.

107 WEILLER Laura, op. et loc. cit.

108 Cass. 1re civ., 16 oct. 2001 : Quarto children : Rev. arb. 2002, p. 919, note D. Cohen. - Cass. 2e civ., 18 déc. 2003 : JCP G 2004, II, 10075, note C. Noblot ; Bull. civ. 2003, II, n° 393 et 394 ; Rev. arb. 2004, p. 442 ; RTD com. 2004, p. 255, obs. E. Loquin.

109 WEILLER Laura, op. et loc. cit.

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180 En somme, la mise en échec temporaire de la convention d'arbitrage en raison de

l'impécuniosité de l'une des parties s'analyse en une inapplicabilité de la clause et non en nullité de ladite clause110. Pour autant, ne pourrait-on pas considérer que cette suspension temporaire de la convention, soit assimilable à une cause « manifeste » d'inapplicabilité ? Bien que cette réflexion semble juridiquement logique, il n'en demeure pas moins qu'elle ne garantisse la résolution du contentieux de l'impécuniosité dans l'arbitrage.

181 En effet, le doute sur le maintien de la convention d'arbitrage en cas du non paie-

ment des frais d'arbitrage subsiste, et notamment du fait de la position de la Cour de cassa-tion111. En outre, l'interrogation persiste en vertu du caractère polysémique de la notion d'impécuniosité, que nous avons eu précédemment l'occasion d'étudier. De façon générale, l'impécuniosité correspond à l'impossibilité pour le plaideur qui en souffre, de faire face au paiement des charges financières qui émanent de la procédure arbitrale.

182 Dès lors, la constatation d'une telle situation implique nécessairement une étude

sérieuse et approfondie du dossier de la partie défaillante. En somme, Il est totalement impossible et impensable de conclure à l'existence d'un cas d'impécuniosité au premier abord. En effet, même une société faisant l'objet d'une procédure collective, ne se trouve pas forcément dans une situation d'impécuniosité au regard de la procédure arbitrale112. Par conséquent, il apparait peu probable que l'impécuniosité de l'une des parties dans un arbitrage constitue une cause d'inapplicabilité manifeste de la convention d'arbitrage.

183 Au demeurant, la possibilité pour le juge étatique d'intervenir dans une procédure

d'arbitrage, afin d'évaluer une telle situation vis-à-vis de la clause compromissoire, constitue une exception de l'effet négatif du principe compétence-compétence. Si l'intervention de la justice étatique trouve sa légitimité dans l'arbitrage, en cas de déni de justice économique,

110 TRAIN François Xavier « Impécuniosité et accès à la justice dans l'arbitrage international (à propos de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 17 novembre 2011 dans l'affaire "LP c/Pirelli) »(2) Rev. arb. 267.

111 CACHARD Olivier « le contrôle de la nullité ou de l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire », Rev, arb, 2006.893 ; LOQUIN Eric, obs, in RTD com, 2006.764.

112 TRAIN François Xavier : op. et loc. cit. « l'effet négatif de la compétence compétence s'impose au juge commissaire chargé en principe de la vérification des créances , lorsque la clause est invoquée devant lui : V. Articulation des procédures collectives et arbitrage : FOUCHARD Philipe « Arbitrage et faillite », Rev arb, 1998.471.

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tel ne devrait pas être le cas dès lors que les tribunaux arbitraux sont amenés à statuer sur un litige opposant uniquement des professionnels. La protection par la justice publique du professionnel partie faible dans un arbitrage n'a pas de raison d'être. Ce mécanisme procé-dural est dangereux dans la mesure où il risque d'entrainer le développement d'un contentieux important quant à l'efficacité des clauses compromissoires.

184 En ce sens, cette tendance se trouve en totale inadéquation avec d'une part nos

règles juridiques internes, et d'autre part avec la nature même de la justice arbitrale. Néanmoins, il est à noter que la jurisprudence Française tient à ce que les sentences arbitrales ne soient pas constamment remises en cause. A ce titre, la politique législative Française corrobore également la volonté de maintenir l'efficacité de la convention. De fait, l'intervention du juge étatique dans une procédure d'arbitrage doit s'entendre comme un soutien à la sauvegarde de la clause compromissoire.

185 En définitive, la question de l'effet négatif du principe compétence-compétence est

abandonnée aux mains des parties, dans la mesure où il leur appartient de soumettre aux arbitres, leurs contestations quant à la validité de la convention d'arbitrage. Ainsi, permettre à la justice publique de s'ingérer dans les relations d'affaires, en ayant la possibilité d'annihiler des conventions d'arbitrage, « remettrait en cause l'équilibre général du régime de l'arbitrage international en France »113. Il en va de même que certaines parties useraient de leur état d'impécuniosité afin d'échapper à la justice arbitrale. La partie forte n'est pas nécessairement à l'origine des manoeuvres dilatoires dans une instance arbitrale, elles peuvent très bien résulter de la partie impécunieuse114

186 En outre, la préservation du droit d'accès au juge n'a pas à altérer la convention

d'arbitrage sous peine de porter atteinte à la nature même de l'arbitrage. C'est la raison pour laquelle, la jurisprudence, de par les arrêts Lola Fleurs et Pirelli, invite les tribunaux arbitraux à trouver des solutions de manière à ce que les sentences qu'ils seront amenées à délivrer soient en parfaite adéquation avec l'ordre public procédural. La sauvegarde de la

113 TRAIN François Xavier : op. et loc. cit. P299.

114 GAILLARD Emmanuel « L'impécuniosité des parties et leurs effets dans l'arbitrage- la position Française ».

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justice arbitrale est essentielle, et celle-ci ne doit pas succomber aux exigences fondamentales qu'impliquent les dispositions de la Convention EDH.

B) La préservation des places arbitrales

187 En matière d'arbitrage, les dernières décisions rendues par les juridictions étatiques

tendent à remettre en cause certaines sentences arbitrales, qui auraient bafoué le principe de droit d'accès au juge. Pour autant, si l'on se réfère aux affaires Pirelli et Lola Fleurs, nous pouvons constater que les juridictions arbitrales n'ont à aucun moment privé les plaideurs impécunieux de leur droit d'accès au juge. En effet, ces derniers ne pouvant s'acquitter des charges procédurales qui leur incombaient, ont tout simplement entravé le fonctionnement de la justice arbitrale.

188 De ce fait, les tribunaux arbitraux leur ont indiqué que s'ils ne pouvaient pas assu-

mer financièrement le coût de leur défense au cours de l'instance, ils pouvaient légitimement le faire dans le cadre d'une procédure ultérieure. Bien que cette solution semble être illusoire au regard de la situation financières desdites parties en difficulté, les juridictions arbitrales n'ont à aucun moment violé le principe du droit d'accès au juge. Ainsi, les arbitres ne se sont pas livrés à un déni de justice tel que défini par l'article 4 du code civil qui dispose que : « Le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ».

189 Au demeurant, il ne s'agit pas d'une véritable privation du droit d'accès à la justice,

mais plutôt d'un report, dans la mesure où les plaideurs impécunieux pourront de nouveau faire valoir leurs droits au cours d'une autre instance, une fois après avoir réglé les frais de procédure115. Les règlements d'arbitrage subordonnant la présentation des moyens de défense au paiement de certains frais de provision permettent également de veiller à l'équilibre de la justice arbitrale. Comme le souligne le professeur Thomas CLAY, il faut absolument éviter que le défendeur impécunieux multiplie les demandes reconventionnelles « dans le seul but d'obtenir l'abandon du demandeur ». En effet, ce type de situation pour-

115 COHEN Daniel « Non paiement de la provision d'arbitrage, droit d'accès à la justice et égalité des parties : avancée ou menace pour l'arbitrage ? », The Paris Journal of International Arbitration, 2012.

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rait également conduire à une violation du droit d'accès au juge pour le demandeur à l'origine de la procédure d'arbitrage.

190 La liberté du juge étatique à statuer sur l'application des dispositions contractuelles

en vertu de la situation financière des parties à l'arbitrage parait tout simplement incongrue. Pour quelles raisons la défaillance d'une partie serait couverte par la justice publique dès lors que celle-ci avait fait le choix de la rendre incompétente ? A ce titre, le professeur Bruno OPPETIT écrit que « l'arbitrage ne peut être considéré comme un système mixte, à la fois mi public et mi privé » dans la mesure où « il n'est pas dans sa vocation de devenir une sorte de justice déléguée dans des tâches de service public »116.

191 La position actuelle de la jurisprudence concerne uniquement l'arbitrage internatio-

nal. Cependant, celle-ci nous invite à nous interroger sur son impact sur l'arbitrage interne, voire sur l'arbitrage ad hoc. En effet, comme le souligne Daniel COHEN117, l'argumentation avancée par la Cour de cassation dans le cadre de l'affaire Pirelli, pourrait réapparaitre à l'occasion d'un arbitrage interne. Le postulat revendiqué par les juridictions étatiques est amené à concerner tous les types d'arbitrage institutionnel, dans la mesure où celles-ci ont statué en fonction d'un règlement d'arbitrage.

192 En outre, l'arbitrage ad hoc risque d'être lui aussi fortement influencé par la juris-

prudence de la justice publique. En ce sens, si les arbitres d'un arbitrage ad hoc expriment initialement leur volonté de ne pas en prendre en compte les prétentions non provisionnées des plaideurs à la procédure, ceux-ci pourraient également voir leur décision censurée au nom du principe du droit d'accès au juge. Cette situation poserait la question de la différence entre la valeur contractuelle du règlement d'arbitrage présent dans un arbitrage institutionnel, et celle d'un acte de mission dans le cadre d'un arbitrage ad hoc. En somme, la volonté des parties n'est pas une raison juridique assez « solide » pour préserver la convention d'arbitrage du contrôle du juge étatique.

116 OPETTIT Bruno « théorie de l'arbitrage » op.cit,. spéc. P.119

117 COHEN Daniel « Non paiement de la provision d'arbitrage, droit d'accès à la justice et égalité des parties : avancée ou menace pour l'arbitrage ? », The Paris Journal of International Arbitration, 2012.

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193 Prise en l'état, la position actuelle de la jurisprudence affaiblit considérablement les

centres d'arbitrage. A l'issue des affaires Pirelli et Lola Fleurs, les professionnels de l'arbitrage ont exprimé leurs inquiétudes quant aux conséquences que celles-ci auraient sur l'efficacité de la justice arbitrale. De plus, il apparait que les centres d'arbitrage soient tentés de se détourner de la place parisienne comme lieu de siège de l'arbitrage. Cela aurait d'énormes répercussions sur l'arbitrage international, et la Cour d'appel Parisienne pourrait ne plus être la juridiction de contrôle des sentences arbitrales. Au regard des dernières réformes concernant les règlements d'arbitrage, une telle situation annihilerait les efforts menés par les centres d'arbitrage, qui s'étaient efforcés à clarifier, simplifier, et renforcer l'accessibilité à la justice arbitrale118.

194 En définitive, le problème de l'impécuniosité dans l'arbitrage ne doit pas pouvoir

être assimilable à une rupture d'égalité entre les droits des parties, entrainant une violation de l'ordre public procédural. De fait, la voie empruntée par la jurisprudence ne semble pas être très opportune. C'est la raison pour laquelle la doctrine s'est interrogée sur la manière de résoudre les écueils procéduraux causés par le manque d'argent des plaideurs dans l'arbitrage.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci